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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 122

Réunion du mardi 5 avril 2005 à 10 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la Délégation de l'Assemblée nationale
pour l'Union européenne,
et de M. Hubert Haenel,
Président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne

Rencontre, ouverte à la presse, avec le Président Josep Borrell Fontelles, Président du Parlement européen (en commun avec la Délégation du Sénat pour l'Union européenne)

M. Hubert Haenel, Président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, a exprimé son plaisir tout particulier à recevoir aujourd'hui, avec le Président Pierre Lequiller, au Parlement français le Président du Parlement européen, M. Josep Borrell Fontelles. Il faut dire que nous nous connaissons de longue date. Nous avons travaillé ensemble, d'abord au sein de la COSAC, lorsque M. Josep Borrell Fontelles était Président de la Commission chargée des affaires européennes au Parlement espagnol. Puis nous nous sommes retrouvés au sein de la Convention présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing. M. Josep Borrell Fontelles a même alors présidé, durant quelques mois, le groupe des conventionnels membres des parlements nationaux. Et, depuis juillet dernier, M. Josep Borrell Fontelles est Président du Parlement européen.

C'est la première fois depuis longtemps que le Parlement européen porte à sa tête, non pas un député européen de longue date, mais un député européen récent, qui a connu un parcours politique national, a été ministre, et était encore membre de son parlement national quelques semaines avant de devenir président du Parlement européen. Cette caractéristique ne peut qu'aller dans le sens du développement des rencontres entre parlementaires européens et parlementaires nationaux, qui sont profitables à la fois aux uns et aux autres.

Le Président Hubert Haenel a ajouté que la présidence du Parlement européen de M. Josep Borrell Fontelles est particulièrement active, puisqu'il préside actuellement la Commission que le Parlement européen a créée en octobre dernier sur les « défis politiques et moyens budgétaires de l'Union européenne élargie 2007-2013 ». Enfin, depuis quelques semaines, il est également le Président de l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne et il revient tout juste d'un déplacement qu'il vient d'effectuer, à ce titre, en Tunisie.

Il y a trois semaines, les délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ont reçu, au Palais du Luxembourg et au Palais Bourbon, une délégation de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen. La rencontre d'aujourd'hui avec le Président Josep Borrell Fontelles complète le dialogue que les deux délégations ont eu avec ses collègues.

Il a souligné que le Président Josep Borrell Fontelles connaissait la situation du débat français qui trouvera sa conclusion le 29 mai prochain et qu'il savait que la Commission européenne, par des déclarations parfois surprenantes, ne se révèle pas toujours une aide pour ceux qui militent en faveur d'une adoption du traité constitutionnel. C'est pourquoi les délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat pour l'Union européenne souhaitent vivement que le Parlement européen soit pour elles, en cette occasion, un allié précieux.

Le Président Josep Borrell Fontelles a alors informé les deux présidents qu'il se rendra en visite officielle en France le 18 avril prochain, à l'invitation du Président de la République, pendant une période de suspension des travaux du Parlement français. C'est la raison pour laquelle il a souhaité les rencontrer aujourd'hui. Il a précisé que la France est en effet dans une phase particulièrement importante de préparation du référendum sur le traité constitutionnel européen, qui se déroulera le 29 mai prochain, et, sans vouloir s'ingérer dans un débat national, il souhaitait leur faire connaître la position du Parlement européen et échanger des idées avec eux sur ce texte. Il a salué, à ce titre, trois anciens conventionnels français présents aujourd'hui, les Présidents Hubert Haenel et Pierre Lequiller et M. Robert Badinter, qui ont participé à son élaboration.

Il a souhaité tout d'abord confirmer que le Parlement européen entend jouer tout son rôle : il l'a montré en novembre dernier lors de la procédure d'investiture de la Commission présidée par M. José Manuel Barroso, et il a effectivement créé une commission ad hoc sur les perspectives financières, qu'il préside, afin de mieux faire entendre sa voix dans ces négociations. Depuis longtemps, le Parlement européen n'est plus une assemblée consultative, même si chacun n'en est pas encore pleinement conscient. Si le Parlement européen ne présente pas la même légitimité qu'un parlement national, cela s'explique par sa jeunesse et par le fait que l'Union européenne n'est pas un Etat. C'est pourquoi le Parlement européen souhaite travailler avec les parlements nationaux, et il prend des initiatives en ce sens, par exemple en organisant des débats à Bruxelles sur la stratégie de Lisbonne ou les perspectives financières.

Pour en venir à la Constitution européenne, le Président Josep Borrell Fontelles a ajouté qu'il lui semblait qu'en France, l'Europe n'a pas été, depuis longtemps, au centre des discussions. Le référendum sur le traité de Maastricht en 1992 avait été l'occasion d'un vrai débat, mais treize années se sont écoulées depuis. A l'époque, l'introduction de l'euro était controversée, mais il constate aujourd'hui que, sans être un véritable moteur de la croissance européenne, l'euro est un bouclier. Il pense aussi que les Etats qui ont adopté la monnaie européenne ont abandonné une souveraineté monétaire formelle pour une souveraineté politique réelle. Il a en effet la conviction que l'Espagne n'aurait pas pu retirer ses troupes d'Irak si sa monnaie était encore la peseta, car elle n'aurait pu faire face aux mouvements spéculatifs qui auraient suivi sa décision.

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, l'Union européenne a changé, puisqu'elle est passée de douze à vingt-cinq Etats membres, mais le monde également, qui a connu plusieurs attaques terroristes depuis le 11 septembre 2001 et l'émergence de pays continents comme la Chine ou l'Inde. La Constitution européenne, si elle est ratifiée, entrera pleinement en vigueur le 1er novembre 2009, soit presque neuf ans après la signature du traité de Nice, conclu le 26 février 2001. Si le texte devait être renégocié, on ne peut imaginer l'entrée en vigueur d'un nouveau traité avant de nombreuses années. Or, le monde n'attendra pas l'Europe et il continuera d'évoluer sans se préoccuper de ses querelles internes. Il est donc important que l'Union européenne se dote rapidement de méthodes décisionnelles plus efficaces.

Il convient pour cela de mieux expliquer les apports de la Constitution européenne. Le traité offre d'abord un nouveau cadre institutionnel à l'Union, plus lisible pour les citoyens, et surtout, il donne de nouvelles capacités d'influence pour la France, à travers un mécanisme de majorité qualifiée au Conseil des ministres qui lui est plus favorable qu'il ne l'est, par exemple, pour des pays comme l'Espagne ou la Pologne.

Le Président Josep Borrell Fontelles a constaté en France un certain malaise à l'égard de l'Europe, et le traité est parfois présenté comme un symbole du libéralisme. Il existe ainsi des oppositions à la prétendue « dérive libérale » de la Constitution européenne, alors que cette constitution réaffirme la volonté de cohésion économique, sociale et territoriale. Le traité comprend également des clauses horizontales sur le plein emploi et la lutte contre l'exclusion sociale, de même que des dispositions sociales dans la charte des droits fondamentaux. Le Parlement européen a d'ailleurs noté des éléments positifs comme l'affirmation nouvelle des valeurs de l'Union, de l'économie sociale de marché, du plein emploi, de l'égalité entre les hommes et les femmes, et du respect de la diversité culturelle. Enfin, les Etats membres conservent la maîtrise de leur politique sociale et de leur politique de l'emploi, et c'est la raison pour laquelle on ne trouve pas, par exemple, de référence au droit au logement.

Par ailleurs, le débat sur la Constitution européenne est entaché de sujets qui ne le concernent pas, et même si chacun sait que, dans un référendum, on ne répond pas toujours à la question posée mais à celui qui la pose, il convient de recentrer le débat sur la Constitution elle-même.

Ce texte comprend-il des reculs par rapport aux traités existants ? Assurément non, même si on peut regretter qu'il ne présente pas toutes les avancées souhaitées. Cette Constitution est le fruit d'un consensus, et ce n'est évidemment pas un texte parfait. Le traité comprend en outre des dispositions innovantes, comme le droit d'initiative populaire, ou la procédure d'alerte précoce des parlements nationaux en matière de subsidiarité, avec la possibilité in fine de saisir la Cour de justice de Luxembourg.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a affirmé que cette Constitution durerait cinquante ans. Le Président Josep Borrell Fontelles ne le pense pas, car il ne faut pas voir ce texte comme un aboutissement, mais comme une étape nouvelle de la construction européenne. En tout état de cause, le débat français, qui touche un des pays fondateurs, intéresse tous les Etats membres de l'Union, et la récente visite du Président du Parlement européen en Lituanie le lui a encore montré, puisqu'on l'a interrogé sur ce sujet.

Le Président Pierre Lequiller a souligné qu'il partageait l'analyse du Président Josep Borrell Fontelles sur le débat français sur la Constitution européenne. Il a ajouté qu'il avait également le sentiment que des sujets annexes se mêlaient au débat principal, si bien que les citoyens français ont des difficultés à cerner les enjeux du référendum. Il faut continuer à expliquer la Constitution tout en combattant les fausses idées, telle que celle selon laquelle le projet de directive sur les services dans le marché intérieur, dite « Bolkestein », serait liée à la Constitution européenne. Il en est de même pour la question de l'entrée de la Turquie ou de l'orientation libérale de l'Union européenne. Il faut recentrer les débats sur le texte constitutionnel. On n'a pas assez parlé de l'Europe ces dernières années, sinon pour la critiquer. Il faut également expliquer le rôle des différentes institutions, sinon le débat est incompréhensible pour les Français.

Il a souhaité revenir sur une idée ancienne, développée au cours de la Convention, à savoir la réunion d'un Congrès regroupant les parlementaires européens et les parlementaires nationaux. Une telle réunion ne pourrait avoir lieu sans l'initiative du Président du Parlement européen et il a voulu avoir son sentiment sur ce point. Pour le contrôle de subsidiarité, il a rappelé que les deux délégations ont commencé à réaliser un test sur le troisième paquet ferroviaire, conformément aux décisions prises à la dernière COSAC, et que ces résultats seront examinés lors de la prochaine réunion à Luxembourg les 17 et 18 mai prochains. Enfin, il a souhaité que le Président Josep Borrell Fontelles indique quels grands sujets le Parlement européen sera amené à examiner dans les mois qui viennent.

S'agissant de la question de la création d'un Congrès, le Président Josep Borrell Fontelles a rappelé qu'elle avait été très discutée lors de la Convention, mais cette idée n'a pas été retenue. En revanche, le Parlement européen procède actuellement à l'organisation de « mini-congrès » sur des thèmes spécifiques, comme la stratégie de Lisbonne ou les perspectives financières. Ces réunions, auxquelles assistent des parlementaires européens et des parlementaires nationaux, sont l'occasion de confronter des points de vue et d'interroger directement les responsables européens. Preuve en est la récente réunion consacrée à la stratégie de Lisbonne, qui a permis à MM. José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, Président du Conseil européen, et Wim Kok, auteur du rapport faisant le bilan de la stratégie de Lisbonne, d'expliquer leurs points de vue et de répondre aux questions des parlementaires. Le débat a d'ailleurs été l'occasion de constater un important clivage entre les anciens Etats membres et les nouveaux pays adhérents.

Pour des sujets comme le pacte de stabilité ou les perspectives financières de l'Union, il paraît inconcevable que les parlements nationaux ne soient pas associés en amont à ces discussions, dans la mesure où les décisions prises auront un impact direct sur les politiques budgétaires nationales. Il ne peut y avoir d'arbitrage politique sans débat démocratique. Dans le débat sur la stratégie de Lisbonne, l'importance accordée à chacun des piliers de cette stratégie, à savoir le modèle social européen, le développement de la compétitivité et l'environnement, doivent faire l'objet de choix politiques. Le Président du Parlement européen a ajouté qu'il était d'ailleurs favorable à l'institutionnalisation de ces débats parlementaires avant les conseils européens. Jusqu'à présent, les parlements nationaux étaient totalement absents des discussions et seul le Conseil des ministres, en tant que co-législateur, disposait du pouvoir de représenter les Etats.

En ce qui concerne la subsidiarité, le contrôle des parlements nationaux sera essentiel, mais il ne faudra pas négliger la valeur ajoutée de l'Union européenne. Pour la stratégie de Lisbonne, par exemple, une partie de son échec semble due à trop de subsidiarité, c'est-à-dire que l'Union a laissé faire les Etats membres qui n'ont pas pris les mesures nécessaires ou n'ont pas transposé les directives adéquates.

M. Simon Sutour, sénateur, a estimé que les Français doivent se prononcer sur le texte constitutionnel lui-même et non sur d'autres sujets. Il n'en reste pas moins qu'ils s'intéressent évidemment à l'auteur de la question référendaire et qu'ils sont préoccupés par le déficit démocratique de l'Union. En tant que sénateur élu du Languedoc-Roussillon, il constate que de nombreuses dispositions communautaires, comme celles relatives à la chasse, à la fabrication des fromages ou encore à certaines pratiques traditionnelles comme la corrida, posent problème à nos concitoyens, même si ces dispositions ne représentent qu'une partie de l'action de l'Union européenne.

Par ailleurs, après l'élargissement, la renégociation des perspectives financières pour 2007-2013 fait craindre la disparition des fonds communautaires pour nos régions. La région à laquelle il appartient bénéficie en effet d'aides au titre de l'objectif 2, et redoute de ne plus en recevoir demain. Il a regretté que le gouvernement français s'en tienne toujours à la lettre qu'il a signée en décembre 2003 pour refuser d'augmenter le budget communautaire au-delà de 1 % du revenu national brut (RNB) de l'Union. Il aimerait, en conclusion, que le Président du Parlement européen donne son sentiment sur la politique de cohésion.

M. André Schneider, député, a ajouté que les élus n'avaient certainement pas fait assez de pédagogie sur l'Europe. Il a rappelé qu'il était élu d'un département, le Bas-Rhin, dans lequel se trouve la ville de Strasbourg, siège du Parlement européen, et a demandé si Strasbourg devait rester le siège des institutions européennes.

M. Yann Gaillard, sénateur, a souligné qu'il s'était rendu à Bruxelles pour le débat que le Président Josep Borrell Fontelles avait organisé avec les parlementaires européens sur la stratégie de Lisbonne et qu'il avait beaucoup apprécié la manière dont le Président du Parlement européen avait présidé cette réunion. Il s'agit d'un nouveau mode de coopération entre parlementaires européens et parlementaires nationaux dont il a appris beaucoup et qui lui a permis au moins de constater que la France n'est pas seule en Europe, mais qu'elle doit composer avec ses partenaires.

Il a ajouté qu'il était également satisfait de deux des remarques liminaires : la première consistant à relever que, sans l'euro, l'Espagne n'aurait pu retirer ses troupes d'Irak et la seconde notant que la France disposait dans le traité constitutionnel d'une position institutionnelle plus favorable que d'autres pays comme l'Espagne ou la Pologne. Il lui a semblé toutefois que la comparaison entre le traité constitutionnel et les textes antérieurs est une affaire de techniciens, et qu'il serait une erreur de transformer le débat référendaire en discussion juridique. Il faut entrer pleinement dans le débat politique, même s'il avoue ne pas comprendre les arguments des défenseurs du « non ».

En conclusion, en supposant que la France ratifie la Constitution européenne, il a demandé au Président Josep Borrell Fontelles s'il ne pensait pas qu'il existait un risque réel qu'un ou deux autres Etats ne la ratifient pas.

M. Roland Ries, sénateur, a précisé qu'il avait été désigné par le groupe socialiste du Sénat pour suivre la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkestein ». Il n'a pas souhaité revenir sur un débat qui a déjà eu lieu, mais il a constaté que cette controverse a gagné le débat sur le référendum. Il appartient maintenant au Parlement européen de se prononcer. Il a demandé au Président du Parlement européen s'il pouvait donner des éléments de calendrier car, de son point de vue, le Conseil européen aurait dû prendre les mesures nécessaires pour le retrait de la proposition de directive afin de remettre à plat le texte, et le déconnecter de la campagne référendaire.

Mme Catherine Tasca, sénatrice, a souligné, comme son collègue Roland Ries, qu'elle était intéressée par le sort de la proposition de directive « Bolkestein » et qu'elle souhaitait également savoir si le Parlement européen pourrait jouer un rôle pour accélérer le dépôt d'un instrument juridique communautaire sur les services d'intérêt général (SIG), qui lui semble indispensable. Quant au déficit démocratique, on ne peut que regretter, dans les décennies passées, le poids considérable des exécutifs nationaux, et avec eux d'une certaine forme de technocratie, au regard de la faible influence du Parlement européen et des parlements nationaux, ce qui a contribué à éloigner l'Europe des citoyens. Quel pourrait être le nouvel équilibre institutionnel entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen ?

Le Président Josep Borrell Fontelles a rappelé que ce sont les traités qui prévoient que Strasbourg est le siège du Parlement européen et la Constitution européenne n'a pas modifié ce point. Toute discussion sur ce sujet lui paraît donc inutile, voire contre-productive. Il a toujours défendu ce point de vue, y compris lors de sa campagne au poste de Président du Parlement européen devant le groupe du parti socialiste européen, alors que son adversaire polonais avait choisi de proposer un siège unique.

Pour ce qui concerne le débat français à l'égard de l'Union européenne, il lui semble que la France a décroché de l'Europe depuis plusieurs années. Tout se passe comme si, une fois le but originel de la construction communautaire atteint, à savoir la réalisation de la paix avec ses voisins européens, la France s'était mise en retrait du débat sur l'avenir de la construction communautaire. Pour l'élargissement, il lui semble que la France n'en a pas pris la mesure exacte. Une coalition de petits pays peut désormais bloquer une décision et, si l'on prend l'exemple de la guerre en Irak, il n'est pas possible de savoir, avec vingt-cinq Etats membres, quelle position aurait pu l'emporter. Il faut constater que l'Europe est devenue une planète en miniature : avec l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, l'Union sera l'un des espaces politiques les plus inégalitaires au monde, avec des conséquences en termes politiques, économiques, mais aussi géostratégiques.

La politique de cohésion est un grand atout pour l'Europe. Des pays comme l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande en ont bénéficié, ce qui, au-delà de l'apport strictement financier, a contribué à construire leur adhésion à l'idée européenne. Lorsque l'on dit que cette politique a un coût élevé, il répond qu'elle coûte un euro par citoyen et par jour, ce qui lui semble raisonnable. Il est certain que le Parlement européen n'adoptera pas des perspectives financières qui sacrifient la politique de cohésion. Si un accord ne peut être trouvé, le budget communautaire sera adopté chaque année sans le plafond des perspectives financières. C'est la raison pour laquelle il ne sera pas possible d'en rester à un budget communautaire plafonné à 1 % du revenu national brut (RNB). Il sera également impossible d'expliquer aux nouveaux Etats membres que l'on restreint la liberté de mouvement de leurs travailleurs et que l'on diminue également les fonds structurels qui devraient leur être attribués. Enfin, en matière budgétaire, il faut cesser de parler de solde net, c'est-à-dire d'avoir une vision comptable, et tenir compte des avantages créés par l'élargissement du marché intérieur communautaire.

Pour la définition des limites de l'Europe, il constate que la France a adopté une réforme constitutionnelle imposant un référendum pour toute nouvelle adhésion à l'Union européenne, si bien que les limites de l'Europe seront fixées directement par le peuple français.

Sur les arguments des partisans du « non », il lui semble qu'il ne faut pas les écarter immédiatement, mais les prendre pleinement en considération. Certaines critiques sur les insuffisances du texte constitutionnel sont justifiées. Par exemple, il a défendu l'idée que la Banque centrale européenne (BCE) devrait se rapprocher du modèle de la réserve fédérale aux Etats-Unis (FED), et ceci ne figure pas dans le traité constitutionnel. Pour autant, rejeter ce dernier ne permettrait pas de nouvelles avancées et les rendrait même plus difficiles.

Au sujet du projet de directive « Bolkestein », le rapporteur du Parlement européen présentera son rapport devant la commission compétente le 19 avril prochain. Le Parlement européen ne pourra se prononcer d'ici au référendum français, mais ces premières discussions permettront sans aucun doute d'éclaircir le débat. La proposition de directive a été mal présentée, et de nombreuses fausses interprétations en ont été données. Il va de soi, par exemple, qu'une entreprise s'installant dans un pays étranger devra continuer de respecter le droit du pays d'accueil. Par ailleurs, le texte mérite de nombreuses explications et l'actuel commissaire en charge du marché intérieur, M. Charlie McCreevy, a lui-même reconnu que la portée du principe du pays d'origine n'était pas claire. Il n'est pas possible de discuter sur ce texte sans avoir un minimum de clarifications. Le Président du Parlement européen a enfin rappelé que la Commission européenne propose, mais que le Parlement européen et le Conseil des ministres, en tant que co-législateurs, disposent. Il faut donc, dans ce domaine comme dans d'autres, par exemple la proposition de directive sur le temps de travail, faire confiance au travail du Parlement européen. Cette proposition de directive sera, en tout état de cause, profondément remaniée.

Pour les services d'intérêt général (SIG), le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de présenter une proposition de directive, mais il n'a pas lui-même de compétence pour le faire. Le Président Josep Borrell Fontelles note que les services d'intérêt général devraient être mieux protégés par le texte constitutionnel. Il est également d'accord sur le poids trop important de la technocratie dans le mode de décision communautaire : au début de la construction européenne, alors qu'il s'agissait seulement de trouver des accords sur les droits de douanes ou des quotas d'importations, il n'a pas été jugé nécessaire d'inviter le peuple à participer à la construction communautaire. Il doit en être autrement aujourd'hui, tant il n'existe pas de démocratie sans « demos » c'est-à-dire sans peuple, et sans conscience collective.

M. Michel Delebarre, député, a observé que jamais l'Europe n'a été aussi présente dans le débat français, même si ce sont surtout ses aspects négatifs qui sont mis en valeur. Il a d'ailleurs noté que l'ancien commissaire européen, M. Frits Bolkestein, est devenu très populaire en France en peu de temps.

Il lui semble cependant que les débats européens se fondent sur une profonde méconnaissance du fonctionnement communautaire et les gouvernements français ont une part de responsabilité dans cette situation, puisqu'ils se sont toujours attribués les résultats positifs de l'Europe en imputant à la Commission européenne les mesures impopulaires. Il est aujourd'hui difficile de combattre cette tendance. Il a précisé qu'il craignait également que les adversaires de l'Union européenne prennent argument de sujets nationaux qui n'ont aucun rapport avec la Constitution européenne, comme la suppression du lundi de Pentecôte, pour mobiliser en faveur du « non ». Le délai est trop court d'ici au référendum du 29 mai pour faire un réel travail de pédagogie. Par ailleurs, il a suggéré que toutes les personnes qui s'expriment au nom des institutions communautaires soient attentives aux conséquences de leurs propos sur les opinions publiques nationales et, à ce titre, la communication confuse du Président de la Commission européenne sur la proposition de directive « Bolkestein » a eu un impact désastreux sur l'opinion publique française.

Pour les fonds structurels, il a précisé qu'il était élu d'une région, le Nord-Pas-de-Calais, qui en a bénéficié et qui ne souhaite pas voir ces crédits disparaître, même s'il faut évidemment tenir compte des besoins des pays de l'élargissement. Tout ce qui pourra être dit en faveur du maintien d'une politique structurelle sera positif dans le contexte de la campagne référendaire. Il siège au Comité des régions et il pense que l'Europe ne pourra être comprise que si elle est proche des territoires.

Il lui semble également que le meilleur moyen de rapprocher les citoyens de l'Union européenne est, d'une part, de renforcer la légitimité des parlementaires européens, ce qui suppose de réformer leur mode d'élection, et, d'autre part, d'utiliser demain le nouvel outil que constitue le droit de pétition. Si les organisations syndicales ou politiques se mobilisent, il sera possible d'obtenir un million de signatures sur des thèmes fédérateurs. Enfin, ne pourrait-on imaginer que les propositions de textes communautaires « tombent » avec le changement de Commission européenne ?

M. Christian Cointat, sénateur, a remarqué qu'on parle beaucoup d'Europe, mais on en parle souvent très mal. Il représente au Sénat les Français établis hors de France et il constate une différence importante entre la manière dont avait été conduit le débat au sujet de traité de Maastricht, et le débat actuel qui est particulièrement confus. Entre ces deux événements, plusieurs traités ont été signés, le traité d'Amsterdam en 1997 et le traité de Nice en 2001, et l'élargissement a été réalisé, sans que les citoyens soient pleinement informés. Ce déficit d'information permet au « non » de se développer, avec des arguments parfois absurdes. Il a demandé au Président Josep Borrell Fontelles s'il pensait que le Parlement européen, qui n'a pas perdu sa crédibilité sur ce thème, puisse, lors de sa session du mois de mai, envoyer un message fort au sujet de la Constitution européenne. Pour ce qui concerne l'euro, il a souhaité connaître ses suggestions pour lui donner un rôle moteur en faveur de la croissance en Europe.

M. Robert Badinter, sénateur, est alors intervenu pour observer que le débat actuel sur la Constitution européenne lui semblait se résumer à un affrontement entre pédagogie et démagogie, mais qu'il était optimiste car il pense que la raison finit toujours par l'emporter. Il a ajouté qu'il admirait la capacité de pédagogie du Président du Parlement européen et qu'il aimerait savoir s'il lui serait possible d'intervenir dans le débat français. Il a personnellement choisi de faire des conférences-débats dans les universités françaises et c'est une méthode qui lui semble efficace. Cependant, il a noté un point sur lequel il est à court d'arguments, à savoir la question de la révision de ce traité constitutionnel, et notamment de sa troisième partie, qui concerne les politiques de l'Union. Le Président Valéry Giscard d'Estaing a, lui semble-t-il, eu tort d'affirmer que la Constitution européenne serait adoptée pour cinquante ans. Il faut qu'il y ait une certaine souplesse. Hormis le fait de rappeler qu'il s'agit d'un traité comme un autre, qui pourra donc être révisé comme les traités antérieurs, à l'unanimité, il a demandé au Président Josep Borrell Fontelles s'il avait des arguments supplémentaires à lui apporter.

M. Gérard Voisin, député, a précisé qu'il était très sensible à la question du déficit démocratique, qu'il regrettait le manque d'explication sur les questions communautaires et qu'il constatait que la plupart des Français ne connaissent pas leurs députés européens. Il a demandé au Président du Parlement européen s'il ne pensait pas que les parlementaires européens devraient davantage s'impliquer sur le terrain et expliquer leur travail.

M. Jean Bizet, sénateur, a souligné qu'il s'était rendu à la réunion organisée à Bruxelles sur la stratégie de Lisbonne, en compagnie de son collègue Roland Ries, et il a particulièrement apprécié cette initiative. Par ailleurs, ce déplacement lui a permis de mesurer le décalage de perception entre les représentants des quinze anciens Etats membres et des dix nouveaux entrants. Il craint que l'incompréhension mutuelle aille en s'aggravant. Il a ajouté que le Président du Parlement européen avait dit que la France avait « décroché » de l'Union européenne, et il le regrette vivement, car elle devrait jouer un rôle d'impulsion.

Pour la stratégie de Lisbonne, il lui semble que l'Union européenne doit reprendre l'initiative sur deux points : d'une part, la politique en matière de recherche-développement et, d'autre part, l'arbitrage entre les trois piliers de la stratégie, à savoir les volets économique, social et environnemental.

Le Président Josep Borrell Fontelles a fait part des éléments suivants :

- il est vrai que les parlementaires européens ne sont pas suffisamment connus de leurs électeurs, mais le Parlement européen est le parlement dont la session est la plus longue et qui vote le plus de textes, dont certains n'ont malheureusement pas une valeur politique évidente. Les parlementaires européens ne disposent que de quatre à cinq semaines de congés entre les sessions parlementaires. Mais il est d'accord avec les différents intervenants sur l'importance d'aller davantage vers les citoyens européens ;

- l'ancien commissaire européen Frits Bolkestein est plus connu que populaire en France. Il doit être étonné de la controverse soulevée par sa proposition de directive. Le Président de la Commission européenne a effectivement eu tort d'affirmer qu'il défendrait les nouveaux Etats membres contre le protectionnisme des anciens, car il faut éviter ce type de clivages dans l'Europe élargie, que certains résument dans une confrontation entre le modèle social européen et la compétitivité. Le débat ne saurait se poser en ces termes ;

- s'agissant des perspectives financières, la « lettre des six » n'aurait jamais été écrite sans le contexte créé par la guerre en Irak. Mais la situation commence à évoluer. Il faut mettre en valeur l'adhésion à l'Union européenne et ne pas se contenter de voir dans les fonds structurels de simples versements communautaires. Il a fait passer le message auprès de ses compatriotes que la politique structurelle était vraiment une réussite lorsque des régions qui ont bénéficié des versements communautaires pour se développer n'en ont plus besoin. A ce titre, il ne comprend pas la position des agriculteurs français, qui bénéficient d'importants transferts de la politique agricole commune. Même si cette politique a été réformée, un retrait de l'Union européenne signifierait immédiatement la perte de la moitié de leurs revenus ;

- le traité constitutionnel donnerait plus de poids à la France pour, par exemple, s'opposer à la proposition de directive sur les services. En vertu du traité constitutionnel, l'ensemble des pays qui se sont déclarés opposés à ce texte au dernier Conseil européen disposent de 47 % des voix, contre seulement 37 % en application du traité de Nice. Plus généralement, l'Europe des six pays fondateurs dispose de 49 % des voix au Conseil des ministres en application des dispositions de la Constitution européenne, contre 36% seulement en application des dispositions du traité de Nice. Même si le raisonnement ne saurait être seulement national, la France passerait de 9 à 13 % des voix au Conseil. Cette différence est loin d'être négligeable ;

- l'idée selon laquelle les propositions de textes communautaires pourraient tomber automatiquement avec le changement de Commission européenne est à retenir. Dans plusieurs pays, dont l'Espagne, c'est la règle pour les projets de loi, même en cours de discussion, lorsque le gouvernement change. Mais le modèle institutionnel communautaire reste encore éloigné de celui théorisé par Montesquieu ;

- quant à l'opportunité pour le Parlement européen de réaffirmer sa position sur la Constitution européenne, car il n'aurait pas perdu sa crédibilité, on ne peut perdre ce dont on ne dispose pas. Le Parlement européen commence seulement aujourd'hui à gagner une crédibilité en osant utiliser les pouvoirs que lui confèrent les traités, comme l'a montré l'épisode de l'investiture de la Commission européenne. Le fait que le Conseil européen ait fait directement référence aux travaux à venir du Parlement européen sur la proposition de directive « Bolkestein » est également un très bon signe. Cependant, il n'est pas sûr qu'une médiatisation des débats au Parlement européen permettrait d'obtenir des résultats significatifs avant le référendum du 29 mai ;

- pour l'euro, il faut regretter qu'il soit aujourd'hui vécu comme une contrainte et il serait préférable qu'il soit considéré comme un élément dynamique. A ce titre, la réforme du pacte de stabilité est une bonne chose, car elle permettra de tenir compte de la situation de chaque Etat. Enfin, l'euro ne saurait reposer sur le seul pilier monétaire et il lui semble indispensable de tenir compte de la politique économique, comme cela existe, par exemple, aux Etats-Unis, à travers un dialogue entre le président de la réserve fédérale et le département du Trésor ;

- on ne sait pas si la pédagogie l'emportera sur la démagogie, car, au temps du mathématicien Condorcet, il n'existait pas de débat télévisé. Aujourd'hui, le débat ne peut qu'être trop simple et trop court. Il ne voit évidemment pas d'inconvénient à intervenir devant les médias français pour expliquer la position du Parlement européen ;

- en ce qui concerne la révision de la Constitution européenne, M. Robert Badinter a engagé une réflexion approfondie avec le vice-président de la Convention, M. Giuliano Amato, sur la question du vote à l'unanimité, mais faute de temps et de consensus, cette réflexion n'a pu aboutir. La Constitution européenne n'est pas davantage « gravée dans le marbre » que les traités antérieurs et, par conséquent, comme cela s'est toujours passé dans la construction communautaire, elle n'empêchera pas de nouvelles avancées. Le Président Valéry Giscard d'Estaing souhaitait que la Constitution puisse être lue dans les écoles : il lui semble que c'est possible, à l'exclusion de la troisième partie sur les politiques de l'Union, qui est très technique. Il a été choisi de l'ajouter aux dispositions institutionnelles et à la charte des droits fondamentaux dans la mesure où l'on souhaitait remplacer l'ensemble des traités antérieurs par un texte unique. Les « clauses-passerelles » permettant de modifier certains modes de décisions de l'Union ne seront pas évoquées, dans la mesure où il s'agit d'un sujet technique, mais c'est également un élément de réponse ;

- enfin, s'agissant de la recherche-développement, si l'Union européenne veut se rapprocher des Etats-Unis, il ne faut pas seulement qu'elle dépense plus, mais aussi qu'elle dépense mieux. Il lui faudrait créer des universités équivalentes au Massachussett Institut of Technology (MIT). L'Union européenne a été capable de grandes avancées en matière technologique, par exemple dans le domaine de l'aéronautique ou de la téléphonie mobile. Il manque seulement une volonté politique pour aller au-delà dans d'autres formes de coopération.