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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 127

Réunion du mardi 7 juin 2005 à 15 heures 30

Présidence de M. Daniel Garrigue, Député

Réunion de travail avec la commission de la santé et de la protection sociale du Bundestag sur le projet de directive sur les services dans le domaine de la santé

Le Président Daniel Garrigue a rappelé que cette réunion s'inscrivait dans le cadre des rencontres habituelles entre la Délégation pour l'Union européenne et les parlementaires du Bundestag, notamment ceux de la commission des affaires européennes avec laquelle des réunions communes sont régulièrement tenues.

Evoquant d'abord la question de l'inclusion des services de santé dans la proposition de directive relative aux services, le Président Klaus Kirschner a insisté sur l'importance du dialogue franco-allemand dans la mesure où tant le Président de la République, M. Jacques Chirac, que le Chancelier Gerhardt Schröder avaient indiqué que l'adoption du texte de la proposition n'était pas envisageable en l'état. Compte tenu des problèmes posés à ce secteur, il est important de bien mesurer les conséquences de ses dispositions.

Le Président Daniel Garrigue a rappelé que la Délégation avait largement examiné le projet de directive « Bolkestein », et que ses propositions avaient pris la forme d'une proposition de résolution adoptée à l'initiative de sa rapporteure, Mme Anne-Marie Comparini. Celle-ci a donné lieu à un débat en séance publique et à l'adoption d'une résolution par l'ensemble de l'Assemblée nationale.

La position exprimée est similaire à celle du gouvernement français en ce qu'elle reconnaît l'intérêt d'un développement des échanges en matière de services, mais qu'elle exprime une grande réticence vis-à-vis du principe du pays d'origine. A l'issue des débats, il a été demandé une « remise à plat » de l'ensemble de la proposition de directive. Cette opération supposerait d'ailleurs un effort d'harmonisation préalable pour les secteurs concernés. Il a également été demandé de prévoir l'exclusion de certains d'entre eux : les services d'intérêt général, la culture et la santé, ainsi que certaines professions juridiques. Il convient de distinguer clairement la liberté d'établissement pour lesquels, en dépit des avancées constatées, certains obstacles subsistent, de la question de la libre prestation de services pour laquelle le principe de l'exclusion a été clairement décidé.

M. Michael Hennrich, après avoir rappelé ses fonctions de rapporteur sur la proposition de directive, a indiqué que la commission de la santé et de la protection sociale du Bundestag avait procédé à plusieurs d'auditions à l'issue desquelles, au-delà des clivages partisans, il apparaissait un certain nombre d'éléments. Le principe du pays d'origine doit faire l'objet d'une grande attention dans la mesure où son application peut entraîner des réductions du niveau de la qualité des prestations dans le domaine de la santé. Ce secteur fonctionne différemment de celui des autres prestations de services et il faut veiller aux conditions dans lesquelles il est organisé et financé. Les autres commissions compétentes du Bundestag ont procédé en parallèle à des auditions d'experts et leurs conclusions sont similaires. Il s'agit en définitive de savoir s'il convient d'exclure du champ de la directive l'ensemble du secteur ou la seule partie qui relève de la solidarité et d'un financement public. Les avis divergent sur la possibilité de soumettre à la concurrence la partie du secteur de la santé qui relève de financements privés. En revanche, l'exclusion de ce qui dépend des ressources publiques fait l'objet d'un consensus.

S'associant aux observations du Président Daniel Garrigue, M. Jérôme Lambert a indiqué que la Délégation avait procédé, sur un plan général, à l'examen de la proposition de directive relative aux services selon des modalités vraisemblablement similaires à celles de la commission des affaires européennes du Bundestag. La question du secteur de la santé a été largement évoquée comme un point de difficulté majeur. Le débat à l'Assemblée nationale a mobilisé l'ensemble des députés. Il a porté, entre la majorité et l'opposition, sur le point de savoir s'il convenait « remettre à plat » l'actuelle proposition ou bien la retirer pour la retravailler en vue d'un nouveau texte.

La majorité a souhaité la remise à plat alors que l'opposition était en faveur d'un rejet. Lors du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005, il a été décidé de poursuivre le processus engagé devant le Parlement européen. Le texte est toujours en cours d'examen. Le rôle des parlements nationaux n'est donc plus aussi primordial et peut-être une directive sera-t-elle un jour en définitive adoptée. Sa transposition sera alors obligatoire. Il convient de souhaiter que les parlementaires européens et les gouvernements sauront entendre le message des parlements nationaux. Il faut, de ce point de vue, regretter que les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 n'aient pas fondamentalement remis en cause les termes de la proposition contestée.

Mme Gudrun Schaich-Walch a déclaré qu'un débat intense se déroulait au sein du groupe parlementaire SPD et que comme le gouvernement, elle jugeait la directive nécessaire. La question est de savoir s'il convient d'aller plus loin en excluant la santé de son champ d'application ou s'il suffit de renoncer à la notion de pays d'origine et d'introduire des correctifs à la liberté d'établissement. Elle a fait observer que la seule exclusion de la santé de son champ d'application ne réglait pas pour autant des problèmes importants tels que l'assistance aux personnes dépendantes ou le rôle des institutions d'aide à la jeunesse et au-delà, celui de la prise en charge des services d'intérêt général. Elle a souhaité savoir si, au sein de l'Assemblée nationale, des débats analogues se sont déroulés et, plus particulièrement, si les services d'intérêt général devraient faire l'objet d'une directive distincte, comme l'a préconisé Mme Evelyne Gebhardt dans son rapport au Parlement européen, ou encore si des amendements avaient été adoptés sur ce texte, afin qu'ils puissent être repris par les députés français du Parlement européen.

M. Jacques Myard s'est déclaré frappé par les hésitations qui ont saisi les auteurs du projet de directive relative aux services quant aux domaines dans lesquels la concurrence doit s'appliquer, ce qui devrait inciter à davantage de prudence. Il a considéré que le dogmatisme qui a inspiré ce projet concernant le rôle de la concurrence était excessif. Actuellement, en Europe, il existe, selon lui, des niveaux différents de développement qui ne permettent pas le jeu d'une concurrence loyale, puisque, par exemple, entre l'Allemagne et la France, d'une part, et la Pologne, d'autre part, existe un écart de revenu monétaire qu'il a estimé de 1 à 10 et de 1 à 15 avec la Roumanie. Ceci s'oppose, à ses yeux, à l'application pure et simple de la notion du pays d'origine.

En ce qui concerne la santé, qui est au cœur du pacte social des Etats, il est difficile d'établir, selon lui, une distinction entre les soins hospitaliers et ceux qui ne sont pas soumis au jeu de la concurrence. En tout état de cause, tout n'est pas affaire de concurrence. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, une directive analogue ne pourrait être prise, car la réglementation très ferme de certains Etats empêcherait qu'une notion telle que le pays d'origine entraîne une modification de leur législation. Il a estimé que si la concurrence était nécessaire dans les activités marchandes, en revanche, elle devrait être exclue dans les secteurs qui touchent au cœur de la société et que le projet de directive montrait par l'absurde que lorsque le principe de la concurrence était appliqué de façon excessive, les peuples s'y opposent et invoquent le principe de subsidiarité.

En conclusion, il a jugé nécessaire que la santé relève de ce dernier principe et que soient respectées les règles relatives à la liberté d'établissement en vigueur dans les Etats, afin de prévenir d'éventuelles distorsions de concurrence.

M. Michael Hennrich, constatant que tous les intervenants ont exprimé leur hostilité à l'encontre de la proposition de directive, a estimé néanmoins nécessaire de procéder à une analyse sereine pour en examiner les aspects positifs et déterminer les secteurs où se poseraient des problèmes. Il a considéré que l'application des seules règles de la concurrence ne pourrait permettre une couverture complète des services sur le territoire des Etats. Il convient, conformément aux décisions du Conseil européen de Lisbonne, de parvenir à ce que l'Union européenne soit, d'ici à 2010, l'espace le plus compétitif du monde. Dans ce contexte, il a estimé que le projet de directive pouvait favoriser une concurrence accrue et qu'il lui apparaissait inopportun de le rejeter de façon globale et trop rapide. Ce texte peut, en effet, favoriser des créations d'emplois et générer un nouveau dynamisme de la croissance, deux objectifs que l'Union européenne ne parvient pas actuellement à atteindre. Dès lors, il conviendrait de distinguer les secteurs tels que la santé, les soins aux personnes dépendantes, ceux qui nécessitent un financement public et ceux touchant à la protection du consommateur devant être exclus du champ d'application de la directive et les autres, afin d'éviter qu'elle ne fasse l'objet d'un rejet total. Il n'existe pas d'autre stratégie qui permettrait à l'Union européenne de progresser.

Mme Hildegard Müller a contesté que le projet de directive oblige un Etat membre à revoir ses normes, considérant qu'il convenait simplement d'examiner si les mesures protectionnistes qui subsistent constituent une bonne voie à suivre à long terme. Elle a estimé que ce projet avait aiguisé le débat sur l'élargissement qui, selon elle, n'a pas été suffisamment mené au cours de ces dernières années. Déclarant ne pas partager les reproches formulés par certains intervenants à l'encontre de la directive, elle a jugé qu'il fallait parvenir à la création d'un marché commun européen, objectif qui passe par la libéralisation de certains domaines auxquels peut concourir la directive. En revanche, les services publics relèvent d'une autre logique.

Le Président Daniel Garrigue a estimé que le Conseil européen des 22 et 23 mars 2005 ne pouvait aller au-delà d'une simple prise de position sur le projet de directive sans interférer avec la discussion déjà engagée sur ce texte au sein du Parlement européen. Il a souligné la nécessité d'éviter toute diabolisation de ce texte, rappelant que le traité de Rome avait déjà prévu, dès 1957, que le principe de la liberté des échanges devait porter également sur les services, même s'il est convenu que cet objectif initial du marché commun n'avait pu être complètement atteint.

Constatant que l'économie de l'Union européenne était en panne de croissance de deux points par rapport à celle des Etats-Unis, il a considéré qu'il importait de développer les services sauf à risquer un blocage. S'il a admis que des secteurs soient soumis au jeu de la concurrence et au principe de la liberté d'établissement, en revanche, d'autres comme la santé devraient pouvoir en être exclus, en raison, notamment, de la politique de maîtrise des coûts de santé dans laquelle se sont engagés la plupart des Etats. Par exemple, le plan de maîtrise de l'assurance maladie adopté par la France impose aux patients de s'adresser à un médecin référent, notion difficilement compatible, à ses yeux, avec celle de la liberté de prestation des services. En outre, il a exprimé la crainte que l'application des règles de la concurrence dans le domaine de la santé ne débouche sur une médecine à deux vitesses. En conclusion, il a rappelé que la France était favorable à l'élaboration d'une directive spécifique sur les services d'intérêt général, problème auquel, selon lui, l'Allemagne est aussi très sensible.

Mme Erika Lotz a souligné combien ces questions sont délicates et qu'il convient de les aborder avec prudence. Le degré insuffisant de liberté d'établissement est largement déploré, et Français et Allemands semblent avoir des points de vue similaires sur cette question. Il ne faut pas perdre de vue dans les débats qu'il y aura de toute façon des gagnants et des perdants si le champ de la directive est étendu. Une partie de la population dans les deux pays est inquiète. Il faudrait faire évoluer les choses et apporter « plus d'Europe », mais cela ne sera possible que si les citoyens sont confiants. Le débat sur la « directive Bolkestein » a provoqué une certaine prise de conscience et surtout beaucoup d'inquiétude. Il appartient aux responsables politiques d'y répondre.

M. Guy Lengagne a souhaité soulever une question en marge de la discussion, celle du niveau de qualification des professionnels de santé. Par exemple, en France, les infirmiers et infirmières ne sont plus formés à bac+2 mais désormais à bac+3, et les médecins sont formés à bac+10. En conséquence, certaines régions françaises manquent dramatiquement de professionnels de santé, surtout dans certaines spécialités. La crainte qui existe est celle d'un nivellement par le bas : si dans d'autres pays de l'Union, les médecins sont formés à bac+6, faudra-t-il aligner la formation de tous les médecins européens à bac+6 ? A ce propos, quel est le niveau de formation requis pour les médecins en Allemagne ?

M. Peter Dressen a souhaité apporter des exemples pour illustrer les propos de Mme Erika Lotz sur les craintes suscitées par la directive. Ainsi, s'agissant des chauffeurs routiers, si le principe du pays d'origine devait s'appliquer alors que dans certains pays les normes de sécurité sont nettement moins contraignantes, il y aura des problèmes sur nos routes. On peut imaginer aussi le cas d'une maison pour laquelle un architecte français réaliserait le gros-œuvre, un polonais construirait le toit, et un tchèque serait chargé d'autres travaux : en vertu du principe du pays d'origine, quel sera le droit applicable au chantier ?

M. Peter Dressen a observé que le mécontentement lié à la proposition de directive relative aux services avait peut-être contribué au « non » français au référendum, et a estimé que si un référendum avait été organisé en Allemagne, ce projet de directive y aurait également joué un rôle.

Le Président Klaus Kirschner a remarqué qu'à partir des exemples cités, il était possible d'établir une distinction : le projet de directive sur la reconnaissance mutuelle des diplômes est une très bonne chose, notamment pour qu'un médecin formé dans un pays de l'Union puisse s'établir dans un autre pays. En revanche, la « directive Bolkestein » pose de graves problèmes, et le principe du pays d'origine est inacceptable en matière de santé. Les patients pourront-ils savoir à qui ils s'adressent et comment ont été formés ceux qui vont le soigner ? Il n'est pas souhaitable de limiter la liberté d'établissement, la possibilité d'aller travailler dans un autre pays, mais ce sont les règles locales qui doivent être applicables.

M. Jacques Myard a souhaité répondre aux remarques de M. Michael Hennrich sur la croissance européenne et la stratégie de Lisbonne, en insistant sur le fait que la « directive Bolkestein » n'améliorera en rien l'offre d'emplois en Europe. L'offre d'emplois restera la même, et la directive n'accélérera pas la croissance.

L'Acte Unique a marqué un changement de conception. Si l'on observe l'économie américaine, on constate que les Etats-Unis ne forment pas un « marché unique » mais un « marché commun » dans lequel les différents Etats continuent d'appliquer certaines de leurs règles. Par exemple, un camion partant de Chicago et qui respecte les normes de l'Etat de l'Illinois ne pourra pas entrer en Californie s'il ne respecte pas les normes californiennes. Le traité de Rome a ouvert un droit à l'établissement mais n'a jamais prévu qu'il devrait y avoir un nivellement vers le bas. Le principe du pays d'origine est acceptable dans le cadre de la directive « Télévision sans frontières », mais pas dans les autres secteurs.

M. Jacques Myard a ensuite confirmé que la « directive Bolkestein » a joué un rôle dans le résultat du référendum en France.

M. Michael Hennrich a considéré que les débats se focalisaient trop sur le principe du pays d'origine et que cela ne constituait pas la bonne approche. Il convient de souligner que ce principe a déjà été mis en place, sans difficulté, pour la circulation des marchandises. Ainsi, il n'y a plus aucun problème pour considérer qu'un camion qui respecte les normes d'un des pays de l'Union peut circuler librement dans toute l'Union. En revanche, on observe des réticences considérables dès qu'il s'agit du conducteur du camion.

La bonne approche consiste à déterminer quels secteurs ne peuvent pas relever exclusivement d'un principe de concurrence et doivent en conséquence être exclus.

L'Union européenne doit relever le défi du chômage. L'erreur commise jusqu'à présent dans ce débat est d'avoir examiné uniquement les risques de la « directive Bolkestein » sans examiner également les chances qu'elle offre. Ses aspects positifs ont été négligés.

M. Jacques Myard a estimé que le projet de directive relative aux services ne pouvait pas contribuer à la diminution du chômage dans l'Union européenne car l'offre d'emplois resterait forcément stable. A l'inverse, cette directive risquerait de déstabiliser certains secteurs. Il faut se garder du dogmatisme de la concurrence appliquée à tous les secteurs.

Le Président Daniel Garrigue a rappelé qu'il existe un consensus sur la nécessité d'une remise à plat du projet de directive mais pas sur le recours au principe même d'une directive libéralisant les services alors que jusqu'ici pourtant, l'Europe s'est faite autour d'un marché.

Il a ensuite proposé de passer à la question des causes du « non » au référendum sur le projet de constitution européenne en France et aux Pays-Bas et de ses conséquences.

La première question pouvant être posée est celle de la pertinence du choix du référendum comme mode de ratification en France. On peut penser que si la voie parlementaire avait été choisie, le vote en faveur du projet aurait été massif, comme il l'a été en Allemagne. Le choix du Président de la République s'explique en premier lieu par la tradition institutionnelle, mais aussi parce qu'il était difficilement imaginable de poursuivre la construction de l'Union européenne sans que les citoyens ne se prononcent et n'assument leurs choix.

La principale difficulté qui est apparue est que les enjeux européens et la connaissance de l'Union européenne sont absents de la vie quotidienne des citoyens. Après avoir indiqué qu'il avait fait campagne pour le « oui », M. Daniel Garrigue a jugé inquiétantes les raisons profondes du vote en faveur du « non ». Les Français n'acceptent pas les efforts et les adaptations rendus nécessaires par la construction européenne. Un travail d'explication doit être mené.

Par ailleurs, on peut penser que les deux premières parties du traité auraient pu être acceptées. La troisième partie, qui consiste surtout en une codification des traités depuis le traité de Rome, n'avait pas fondamentalement sa place dans le projet et la volonté de son inscription a peut-être été un pêché d'orgueil. Dès lors, l'une des solutions pourrait être de dissocier les deux premières parties de la troisième, qui a souvent été perçue à tort comme entièrement nouvelle. Il faudrait également prévoir des procédures de révision plus faciles.

Le Président Klaus Kirschner a fait état de son ignorance sur l'issue qu'aurait pu avoir un référendum sur le projet de constitution européenne en Allemagne. L'avantage du processus de ratification est qu'il permet un débat intense sur l'Union européenne. Le « non » français est regrettable. Il peut être lié à l'insécurité de l'avenir de l'Union européenne. Beaucoup de citoyens ne comprennent plus l'Union européenne et la rendent injustement responsable du chômage élevé. Face à cette situation, il convient de défendre la communauté de valeurs que constitue l'Union européenne et de réfléchir aux craintes des citoyens. Par exemple, la différence des rémunérations entre les Etats fait naître des craintes pour l'emploi. La construction européenne est décidée par les gouvernants, les référendums ont peut-être été l'occasion pour ceux qui la ressentent autrement de faire entendre leur voix. Il faut maintenant rapprocher l'Union européenne des citoyens.

M. Jérôme Lambert a estimé que la politique nationale en France ne permettait pas d'expliquer le résultat du référendum. Il y a quatre mois, les sondages indiquaient que le « oui » représentait 60 % des intentions de vote. La politique menée était pourtant la même depuis plusieurs années. Le véritable débat a porté sur le projet de constitution lui-même, dont les citoyens se sont saisis. Or celui-ci est incompréhensible, ce qui a provoqué une certaine méfiance. Il existe des contradictions entre les déclarations de principe, sur lesquelles un consensus règne, et les politiques décrites dans la troisième partie, qui font l'objet de débats. Les Français ont également mal compris pourquoi l'unanimité était requise pour modifier ces dispositions, tandis que la démocratie repose sur le principe majoritaire.

Le fait que les politiques de l'Union européenne sont devenues un enjeu pour les citoyens est une avancée remarquable. Il faut aujourd'hui poursuivre, en essayant de mieux associer les citoyens à la construction européenne. Les députés européens sont trop éloignés et mal connus. Une meilleure implication des parlements nationaux est nécessaire. Les dispositions relatives à la subsidiarité dans le projet de constitution sont malheureusement trop complexes.

Mme Hildegard Müller a déclaré que les générations politiques successives devront garder à l'esprit que la construction européenne reste aussi une question de guerre ou de paix. Il faut être lucide sur les erreurs qui ont pu être commises et ne pas sous estimer la part de responsabilité qu'ont aussi les institutions nationales. Au-delà de la promotion de la paix, il s'agit de s'interroger sur la place de l'Europe dans le monde, et sur la conciliation entre élargissement et approfondissement pour admettre qu'il existe bien une Europe à deux vitesses. D'un côté, les pays de la « vieille Europe » doivent engager des réformes structurelles, et sont enclins à faire porter à l'Union la responsabilité de leurs difficultés internes, à commencer par la situation leurs systèmes de protection sociale. De l'autre, des pays où la démographie est plus dynamique, ce qui inquiète les populations des « anciens » pays membres, alors que, plus que jamais, l'Europe doit se concentrer sur ses forces. S'exprimant sur l'avenir du traité constitutionnel, Mme Hildegard Muller a fait état des améliorations très nettes contenues dans les parties I et II au regard du traité de Nice, tout en regrettant qu'on ait voulu aller trop vite et trop loin en y ajoutant, sur le même plan, la troisième partie sur les politiques de l'Union.

M. Jacques Myard s'est démarqué des propos de son collègue M. Jérôme Lambert, pour donner une analyse différente du résultat négatif du référendum français du 29 mai. Après avoir déclaré que le projet des pères fondateurs s'inscrivait dans le cadre d'un monde bipolaire, il a rappelé qu'en cinquante ans, le monde avait changé. Si la coopération européenne est évidemment indispensable, le projet de traité constitutionnel proposait la construction d'une « Europe kolkhoze » en doublant les compétences dévolues à l'Union, au détriment des démocraties nationales. Or, après les élargissements, le temps est venu pour l'Europe de s'amaigrir. M. Jacques Myard a déploré la fuite en avant de l'Europe, faisant état d'une discussion qu'il avait eue il y a quelques années avec le Président Valéry Giscard d'Estaing alors favorable à une réorientation de la construction européenne pour tenir compte de la nouvelle donne issue de l'élargissement. Si les Etats ont des choses en commun, ils n'ont pas besoin de tout mettre en commun. La société est globalisée et tant l'alliance entre Renault et Nissan que la fusion de Daimler Benz avec Chrysler démontrent que notre horizon dépasse largement les seules frontières de l'Europe. Bruxelles n'a pas à imposer ses lois aux Etats, et ce « super Etat » européen représente une faute intellectuelle au regard de la réalité du monde.

M. Guy Lengagne, après avoir rappelé les divisions du parti socialiste sur le traité constitutionnel, a indiqué qu'il avait, pour sa part, fait campagne en faveur de la ratification du traité. Mais il a perçu à cette occasion le peu de prise des dirigeants politiques sur l'électorat. Ainsi, la circonscription de M. Jacques Lang, porte-parole national en faveur du « oui », a rejeté le texte à 66 %, tandis que les électeurs de Maison-Laffite, la ville dont le maire est M. Jacques Myard, partisan du « non », a voté massivement « oui », avec 70 % des suffrages. En définitive, M. Guy Lengagne a analysé le rejet du traité constitutionnel comme un rejet du gouvernement en place. Il a ensuite interrogé ses collègues allemands sur l'avenir du couple franco-allemand comme moteur de la construction européenne dans le nouveau contexte issu du rejet français lors du référendum.

Mme Gudrun Schaich-Walch a répondu que le couple franco-allemand pourra redémarrer, mais probablement après une phase où chacun devra se recentrer sur soi. Puis elle s'est élevée contre le discours visant à faire porter à Bruxelles la responsabilité de la crise actuelle et a plaidé en faveur d'une réappropriation des affaires européennes par les gouvernements et les parlements nationaux, à l'image du débat approfondi qu'a eu le Bundestag sur le projet de directive relative aux services. Si l'Allemagne avait soumis le traité constitutionnel à référendum, il n'est pas certain que le résultat aurait été différent de ce qui s'est passé en France. Les parlements nationaux doivent s'engager le plus en amont possible et s'impliquer davantage tandis que la construction européenne doit se recentrer sur ses missions essentielles, notamment la dimension sociale de son action. Il faut montrer aux peuples la valeur ajoutée de la coopération économique en Europe et mieux expliquer les avantages mutuels liés au développement des relations entre les Etats membres. Même si la situation actuelle est très regrettable, Mme Gudrun Schaich-Walch ne s'est pas déclarée si pessimiste pour l'avenir, dès lors que la crise actuelle peut et doit conduire à bâtir une Europe plus proche des aspirations des peuples.

En conclusion du débat, le Président Daniel Garrigue a rappelé la nécessité de débattre davantage sur les sujets européens. La discussion sur le projet de directive relative aux services, à l'Assemblée nationale comme au Bundestag, en est une illustration et témoigne du rôle essentiel que doivent jouer les parlements nationaux le plus en amont possible.

Le Président M. Klaus Kirschner a remercié la délégation française pour son accueil et la qualité du débat, tant sur le projet de directive relative aux services que sur l'avenir du traité constitutionnel. Puis il a réitéré la nécessité de réfléchir aux moyens de rapprocher l'Europe des citoyens, estimant que tout en veillant quotidiennement à la promotion de nos valeurs communes au service de la paix, il faudra désormais s'impliquer davantage dans la dimension économique et sociale de la construction européenne.