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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 134

Réunion du mardi 5 juillet 2005 à 18 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition de M. Pierre Sellal, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, sur le bilan de la présidence luxembourgeoise et les perspectives de la présidence britannique

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Pierre Sellal, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, d'avoir accepté de venir s'exprimer devant la Délégation pour l'Union européenne. Alors que l'Europe traverse actuellement une crise, il lui a proposé de dresser un état des lieux des principaux dossiers en discussion (perspectives financières, politique agricole commune, sommet social européen, avenir du traité constitutionnel) et de préciser la position française sur ces différents sujets.

Alors que vient de s'ouvrir la présidence britannique de l'Union européenne, M. Pierre Sellal a tout d'abord tenu à saluer la qualité de la présidence luxembourgeoise qui vient de s'achever et à laquelle il a rendu un hommage appuyé. Le Premier ministre luxembourgeois, M. Jean-Claude Juncker, et ses équipes se sont admirablement acquitté de leur mission conformément à la définition que donnait de la présidence de l'Union, à la fin des années 1970, le représentant permanent de la Belgique, à savoir « un service que chaque Etat membre, à tour de rôle, est invité à apporter à la Communauté ». Le Luxembourg a ainsi toujours recherché des compromis conformes à l'intérêt général européen, tout en restant à l'écoute des préoccupations de tel ou tel Etat membre. M. Pierre Sellal s'est également félicité que le Luxembourg ait exercé une présidence francophone, ce qui est de moins en moins fréquent dans l'Union élargie ; il en a mesuré l'agrément et l'importance pour la promotion des idées françaises.

Puis il a dressé un bilan de la présidence luxembourgeoise, estimant que les déboires des dernières semaines relatifs au processus de ratification de la Constitution européenne et à l'absence d'accord sur le budget européen ne devaient pas occulter de réels succès, à commencer par la réforme du pacte de stabilité et de croissance à laquelle notre pays était attaché. La réforme adoptée en mars dernier, et récemment finalisée dans les textes, correspond à ce que souhaitait la France. Le pacte avait besoin d'être adapté pour mieux répondre à l'objectif de croissance, et davantage tenir compte des données conjoncturelles qui peuvent affecter les situations nationales. Il s'agissait de promouvoir une approche plus politique, plus qualitative et moins comptable, d'effectuer un rééquilibrage entre les volets économique et budgétaire. Il conviendra à présent d'apprécier, en pratique, l'efficacité et la pertinence de cet instrument rénové au regard des objectifs poursuivis.

M. Pierre Sellal a ensuite évoqué la réflexion engagée par la présidence sur la relance de la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire les grandes orientations économiques et sociales de l'Europe. Les pays de l'Union sont parvenus à définir ensemble un cadre de référence qui concilie la priorité conférée à la croissance et à l'emploi ainsi que les objectifs de compétitivité économique avec les exigences de cohésion sociale et de développement durable. L'invitation faite désormais à chaque Etat d'établir un programme national - que le gouvernement français devrait présenter à l'automne - est un élément important pour la gouvernance économique de l'Union.

Evoquant enfin les relations extérieures de l'Union, M. Pierre Sellal a salué les initiatives prises par la présidence luxembourgeoise et a notamment insisté sur les engagements ambitieux souscrits par l'Union et ses Etats membres en matière d'aide au développement. C'est un signal positif pour l'image de l'Europe dans le monde, tant dans le cadre du G8 que dans la perspective du prochain sommet des Nations unies. Au cours du précédent semestre, l'Union a également pris des initiatives importantes avec ses deux grands partenaires que sont, d'une part, les Etats-Unis et, d'autre part, la Russie. Evénement inédit dans l'histoire de l'Europe, le Président des Etats-Unis s'est rendu à Bruxelles le 22 février 2005 pour y rencontrer les dirigeants de l'Union européenne réunis au sein du Conseil européen, pour un dialogue politique global sur les grands dossiers d'actualité. S'agissant des relations avec la Russie, M. Pierre Sellal s'est félicité de la conclusion d'un accord-cadre fixant une feuille de route ambitieuse dans chacun des grands domaines de coopération.

M. Pierre Sellal a ensuite évoqué le traité constitutionnel et son avenir, et a précisé les motivations des orientations convenues le 16 juin par le Conseil européen en ce qui concerne le processus de ratification. A cette date, dix Etats membres avaient, en effet, déjà ratifié le texte, deux - la France et les Pays-Bas - venaient de le rejeter, tandis que les autres pays ne s'étaient pas encore prononcés. Il a alors analysé les options possibles et expliqué les raisons pour lesquelles le Conseil européen n'a pas voulu déclarer caduc le projet de traité constitutionnel, malgré le rejet par deux Etats membres. Cela n'était en effet pas acceptable par les dix pays qui avaient déjà ratifié le texte (dont l'Espagne qui l'a approuvé par référendum), tandis que cela aurait privé les autres de mener à son terme leur processus de ratification et d'exprimer ainsi leur position nationale. En outre, pour beaucoup de pays
- voire la totalité -, la Constitution européenne apporte des réponses pertinentes aux questions qui se posent à l'Union, et à aucun moment il n'a été envisagé par quiconque une réouverture des négociations.

En revanche, le Conseil européen a considéré que l'on ne pouvait pas poursuivre tel quel le processus de ratification engagé en faisant totalement abstraction de la situation nouvelle créée par les votes négatifs en France et aux Pays-Bas. En particulier, les pays qui avaient prévu d'organiser un référendum en 2005 - notamment le Danemark et l'Irlande  - ont estimé qu'il n'était pas possible, dans ce nouveau contexte, de consulter leurs électeurs selon le calendrier prévu et qu'il convenait donc d'attendre que la réflexion collective ait apporté davantage de clarté quant au devenir du processus constitutionnel.

Le texte finalement adopté par le Conseil européen a ainsi précisé que :

- chaque Etat membre est libre de poursuivre comme il le souhaite le processus de ratification ;

- le calendrier, qui prévoyait la fin de ce processus à l'automne 2006, doit être adapté à la situation nouvelle ;

- cette période doit être mise à profit pour engager une réflexion approfondie, en particulier sur les raisons des incompréhensions vis-à-vis de l'Europe qui se sont manifestées chez les citoyens européens ;

- un rendez-vous est fixé au Conseil européen de juin 2006 ; la présidence britannique a en outre proposé, depuis le dernier Conseil européen, d'organiser fin octobre, au Royaume-Uni, une réunion informelle des Chefs d'Etat et de gouvernement, qui pourrait marquer une première étape de la réflexion engagée.

Le Conseil européen a ensuite consacré la journée du 17 juin à débattre de la question des perspectives financières. Un accord n'a pu être obtenu, malgré l'appui donné par une très large majorité de délégations aux propositions finales de la présidence luxembourgeoise. Le compromis présenté par M. Jean-Claude Juncker respectait nos objectifs de négociation et la France l'aurait donc accepté.

Il s'agissait, en premier lieu, pour notre pays, de contenir l'évolution de la contribution de la France au budget communautaire. Il aurait été en effet illogique et malsain d'exonérer les dépenses de l'Union de l'effort de rigueur auquel les budgets nationaux sont soumis. Sur ce point, la position de départ des six principaux contributeurs nets - préconisant un plafonnement du budget de l'Union à 1 % du PIB de l'Union, soit 822 milliards d'euros - se démarquait fortement de celle de la Commission proposant un budget communautaire de plus de 1 000 milliards d'euros.

Le compromis proposé par la présidence luxembourgeoise était plus proche de la position des six, en prévoyant un budget de 870 milliards d'euros.

Par ailleurs, la France souhaitait que les dépenses relatives à la recherche, au développement technologique, aux réseaux transeuropéens, bénéficient d'un accroissement significatif de crédits. L'accord proposé par le Luxembourg intégrait cette préconisation à travers une augmentation de 7,5 % par an sur l'ensemble de la période, soit, en 2013, 65 % d'augmentation par rapport à 2006.

Notre pays souhaitait également maintenir les moyens de la politique régionale pour les régions françaises, au-delà des seuls départements d'outre-mer. Cet objectif n'était pas, a priori, facile à satisfaire compte tenu, d'une part, des financements rendus nécessaires par l'élargissement et, d'autre part, de la volonté manifestée par beaucoup d'Etats membres parmi les anciens Quinze- dont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède - de réduire la politique de cohésion à un simple transfert financier de l'Union aux seuls nouveaux Etats membres, les autres étant invités à poursuivre leurs programmes nationaux d'aménagement du territoire par des moyens exclusivement nationaux. Les objectifs de la France dans ce domaine étaient respectés par le compromis luxembourgeois, qui prévoyait le maintien des moyens nécessaires au bénéfice des régions françaises.

Enfin, nous souhaitions préserver les financements prévus par l'accord d'octobre 2002 pour la PAC et la poursuite des aides directes à nos agriculteurs jusqu'en 2013, objectif également respecté par le projet d'accord préparé par la présidence.

Pour parvenir à ce projet de compromis respectant nos objectifs, la stratégie choisie par la France - qui s'est révélée juste - avait consisté tout d'abord à promouvoir l'accord des six sur une discipline globale du budget communautaire, en intégrant expressément dans cette entente l'accord d'octobre 2002 sur la PAC. Les six Etats membres impliqués s'y sont par la suite tenus, à l'exception du Royaume-Uni dans la toute dernière phase des discussions du Conseil européen. Cette démarche visait également, pour nous, à écarter la proposition de la Commission prévoyant un mécanisme de correction généralisée des soldes nets. Cette proposition était, en effet, très négative dans la mesure où elle étendait le système des corrections à tous les contributeurs nets, menaçait de déstabiliser l'esprit même des politiques communes et risquait de légitimer le concept de "juste retour" sous-jacent au " chèque britannique ». La démarche reposant sur la maîtrise de la dépense avait pour but de montrer aux pays contributeurs nets séduits par le mécanisme proposé par la Commission que c'était par la rigueur budgétaire qu'ils parviendraient à encadrer leur contribution, et la proposition de correction généralisée faite par la Commission a ainsi pu être écartée.

Le deuxième élément important de notre stratégie a été d'accepter, dès le départ, ce qui a été proposé par la Commission européenne pour les nouveaux Etats membres au titre de la politique de cohésion. Ces propositions étaient en effet légitimes: la priorité de cette politique est d'aider à combler les retards de développement qui affectent ces pays. C'est aussi notre intérêt bien compris que le rattrapage économique des nouveaux Etats membres soit le plus rapide possible, comme ce fut le cas pour l'Espagne et le Portugal, afin de limiter les risques de concurrence déloyale et de lutter efficacement contre les délocalisations. Il faut relever enfin que, grâce à ce choix et à l'appui que nous leur avons donné, les nouveaux Etats membres n'ont jamais revendiqué une révision des accords agricoles de 2002 ou une concentration à leur seul profit de la politique de cohésion.

En réalité, la question cruciale de toute cette négociation était de déterminer comment répartir entre les anciens Etats membres le financement de l'élargissement, que l'on peut évaluer à 150 milliards d'euros environ sur la période 2007 / 2013, si l'on additionne ce qu'ils recevront au titre de la politique agricole commune et des fonds structurels.

Pour des raisons politiques, de principe et d'équité, il était indispensable que cette charge soit répartie entre tous les Etats membres, aucun d'entre eux ne pouvant prétendre à en être exempté. C'est précisément pour cette raison que la question du « chèque britannique » est devenue la principale pierre d'achoppement.

Si en effet celui-ci restait inchangé, au delà même de toutes les raisons qui le rendent obsolète, le résultat était d'exonérer le Royaume-Uni de toute participation au coût de l'élargissement, dont il a pourtant été l'un des avocats les plus ardents. Une telle situation serait naturellement inconcevable sur le plan de l'équité. Elle serait également insoutenable sur le plan budgétaire; sur la période 1999-2003, ce "rabais" a représenté, en moyenne, 4,7 milliards d'euros, dont environ 30 % à la charge de la France. Sur la période 2007-2013, son montant cumulé, sans révision du mécanisme ni plafonnement s'élèverait à 7 milliards d'euros en moyenne, soit 50 milliards environ sur l'ensemble de la période. Il deviendrait ainsi l'un des postes budgétaires les plus dynamiques, avec un montant équivalent par exemple à celui de l'ensemble des dépenses de recherche. Seule sa remise à plat permet de financer les dépenses répondant vraiment à l'intérêt général européen, et de répondre aussi pour partie aux revendications des pays qui sont les plus gros contributeurs nets, c'est-à-dire des Pays-Bas, de la Suède et de l'Allemagne. Le financement d'allégements et de transferts en leur faveur n'était possible qu'à condition de réformer la correction budgétaire britannique.

Le Président du Conseil européen, M. Jean-Claude Juncker, a d'abord proposé de stabiliser - sans le réduire - le « chèque britannique » à son niveau d'avant l'élargissement (4,7 milliards d'euros) et de répartir l'économie réalisée entre les nouvelles politiques prioritaires de l'Union et les Etats contributeurs nets. Face à un premier refus du Royaume-Uni, il a ensuite suggéré de réviser l'assiette du chèque, de telle manière que le Royaume-Uni aurait versé une contribution normale pour les dépenses bénéficiant aux dix nouveaux Etats membres, la correction étant maintenue pour les dépenses relatives aux Quinze (ce qui conduisait à un montant du rabais d'environ 5, 5  milliards d'euros par an). Cette deuxième proposition a elle aussi été rejetée par le Premier ministre britannique, M. Tony Blair, qui a lié toute remise en cause du chèque à une réforme de la politique agricole commune. C'était une revendication nouvelle, car le Premier ministre britannique avait considéré publiquement que l'accord d'octobre 2002 sur le financement de la PAC était un bon accord et avait accepté qu'il soit confirmé dans la « lettre des Six ». Cela équivalait en tout cas à un refus de sa part de supporter une part normale du coût de l'élargissement, ce qui n'a pas laissé d'inquiéter.

L'absence d'accord sur les perspectives financières n'entraîne ni interruption des politiques de l'Union, ni cessation de paiements. Il n'y a pas de crise budgétaire immédiate, puisque les perspectives financières actuelles sont applicables jusqu'à la fin de l'année 2006. Il y avait cependant un intérêt politique certain à parvenir à un accord dès maintenant, dans le contexte actuel. L'échec sur les perspectives financières rend en outre plus difficile l'élaboration des programmes et instruments de recherche et de cohésion, les enveloppes financières finales n'étant pas encore connues. Pour la politique de cohésion, cette situation est problématique pour les nouveaux Etats membres, qui n'ont pas de références historiques en la matière, sur lesquelles il serait possible de se fonder. Cela explique qu'ils soient les plus attachés à un accord rapide, et que la quasi-totalité d'entre eux aient proposé, à la fin du Conseil européen, de renoncer à certaines dépenses dont ils devraient bénéficier, pour favoriser un accord, sans parvenir pour autant à entamer la détermination britannique.

M. Tony Blair a déclaré que l'obtention d'un accord sous sa présidence reste son objectif. Il faut cependant récuser la présentation consistant à placer dos à dos les deux « anomalies » que constitueraient le « chèque britannique » et la PAC. Il y a, en effet, d'un côté un mécanisme archaïque, qui a été adopté en 1984, alors que la PAC représentait 70 % du budget communautaire et que le Royaume-Uni avait l'un des PIB par habitant les plus faibles d'Europe, et de l'autre, une politique qui a été constamment adaptée et qui n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était en 1984. Vingt ans plus tard, le Royaume-Uni est l'un des Etats les plus prospères de l'Union, les dépenses de marché de la PAC ne représenteront plus que 30 % du budget de l'Union en 2013, l'Europe s'est élargie à trois reprises et la PAC a été réformée trois fois, en 1992, 1999 et 2003. Il n'y a donc pas de double anomalie, mais bien un seul archaïsme : le « chèque britannique ».

La présidence britannique a donc actuellement la charge de ce dossier. Au delà même des perspectives financières, il est délicat d'anticiper ce qu'elle sera.

Certes, on doit relever avec intérêt que le Premier ministre, M. Tony Blair, a réaffirmé l'objectif d'une Europe politique qui ne se réduit pas à une zone de libre échange, souligne l'importance qu'il attache à la dimension sociale tout en insist ant sur la nécessaire adaptation du modèle social européen. De telles orientations sont proches du consensus européen. Mais d'autres indications, comme celles exprimées par le Chancelier de l'échiquier, M. Gordon Brown, sont d'essence plus radicale. Selon celui-ci, entre les Etats nations et l'économie mondialisée, l'Europe ne serait plus un échelon efficace de régulation économique ni un espace politique pertinent. Il serait impératif de moderniser les politiques communautaires, non seulement la PAC ou la politique de cohésion, mais également les mesures d'harmonisation, notamment en matière sociale ou fiscale, qui ne se justifient plus. La même ambivalence caractérise un des objectifs importants affichés, celui de « mieux légiférer ». On ne peut que souscrire à l'idée de mieux respecter le principe de subsidiarité, d'éviter les excès auxquels cède parfois la Commission et de limiter le poids de la bureaucratie. Mais cette formule peut également signifier une déréglementation complète, la généralisation du principe du pays d'origine telle que le prévoyait le projet de directive « Bolkestein », voire la réalisation d'un marché transatlantique, comme le propose M. Gordon Brown pour les marchés financiers.

S'agissant des perspectives financières, l'impression domine que sous couvert de la notion de modernisation du budget communautaire, et derrière l'apparence d'une querelle des « anciens » et des « modernes », la volonté de préserver le « chèque britannique » l'emporte sur le souci de mieux doter les politiques présentées comme d'"avenir". Conforte ce sentiment le fait que la délégation britannique ait précisément refusé, lors du dernier Conseil européen, un accord qui comportait une augmentation des deux tiers des dépenses de recherche. Il est donc difficile de penser que son attitude ait été motivée par l'insuffisance des enveloppes prévues pour la stratégie de Lisbonne et pour la recherche.

Compte tenu de ces ambivalences, il convient d'attendre les initiatives et les actes concrets pour porter un jugement. Mais la France aura une attitude fondamentalement constructive et appuiera les efforts de la présidence à chaque fois qu'il s'agira de rassembler et de consolider le consensus européen dans l'intérêt commun.

Sur les autres sujets, les options de la présidence britannique rejoignent souvent nos propres attentes. S'agissant de la justice et des affaires intérieures (JAI), la présidence insiste à juste titre sur des actions plus opérationnelles : la lutte contre le terrorisme, l'immigration illégale, la lutte contre la grande criminalité. En ce qui concerne les relations extérieures, les priorités développées rejoignent nos objectifs: l'Afrique, le développement, la lutte contre le changement climatique, le renforcement de la capacité militaire de l'Union. La France ne peut qu'y apporter son appui.

Les négociations commerciales en cours dans le cadre de l'OMC constitueront certainement un sujet plus délicat. Deux importants rendez-vous sont prévus pour le cycle de Doha, l'un à la fin de ce même mois de juillet à Genève, l'autre surtout à la mi-décembre à Hong Kong. Nous devrons être vigilant.

Enfin la présidence devra gérer le dossier de l'élargissement avec la perspective de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie le 3 octobre, ainsi qu'avec la Croatie, lesquelles ont été différées pour ce dernier candidat en raison d'une insuffisance de collaboration avec le Tribunal pénal international.

M. Christian Philip s'est intéressé à l'importance de l'opposition de la France et du Royaume-Uni telle que l'a évoquée la presse et a souhaité savoir si une telle situation aurait des incidences sur la position de la France pendant la présidence britannique. Par ailleurs, les échecs des récents référendums ayant montré combien les citoyens sont éloignés de l'Europe et ignorent comment les décisions sont prises, des évolutions sont-elles envisageables pour faciliter la prise de décision et la rendre plus transparente, ainsi que mieux valoriser les textes adoptés ?

M. Daniel Garrigue a souhaité que les programmes de stabilité et les programmes nationaux de réforme prévus dans le cadre de la réforme du Pacte de stabilité et de la révision de la stratégie de Lisbonne fassent l'objet d'une plus grande publicité et soient soumis à l'approbation du Parlement. S'agissant du projet de traité constitutionnel, il a estimé ambiguës les conclusions du dernier Conseil européen et s'est interrogé sur la pertinence des modalités selon lesquelles elles avaient été présentées au public. La partie proprement constitutionnelle contenue dans les premiers articles du traité a fait l'objet d'un large débat entre les différents Etats membres. Elle représente un point d'équilibre et se suffit à elle-même. L'utilité de l'insertion de la troisième partie sur les politiques de l'Union n'est pas avérée. D'une part, il n'est pas logique de fixer dans un tel texte la teneur des politiques décidées dans le cadre de l'Union. D'autre part, le contenu de cette troisième partie est peu différent des textes actuels et le rejet du projet conduit paradoxalement au maintien de ces derniers, qui s'en trouvent consolidés. Il aurait pu être envisagé de retenir la démarche inverse et de retirer du traité les politiques de l'Union. C'eût été plus opportun, car en définitive, c'est cette troisième partie qui a servi de « cheval de Troie » aux partisans du « non ». Il conviendrait que l'on se penche sur cette question et sur les lourdes responsabilités qui sont ainsi engagées.

M. André Schneider a fait part des inquiétudes qui ont suivi le rejet par référendum du projet de traité constitutionnel en France puis aux Pays-Bas, certains observateurs estimant que l'Europe avait fait un bond de cinquante ans en arrière. Dans certaines enceintes, comme celles de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), l'attitude des représentants des Etats-Unis relève d'ailleurs dorénavant de l'arrogance. La situation actuelle de l'Union peut-elle affecter le statut de Strasbourg, où siège le Parlement européen ?

M. Jacques Myard a jugé que le « non » en France et aux Pays-Bas n'a pas provoqué la crise, car celle-ci couve depuis très longtemps en Europe. Nombre d'experts n'ont cessé de souligner que le système européen ne fait que s'enrayer et s'épuiser continuellement. En outre, au « machin » ne cessent de se greffer d'autres politiques, notamment celles engagées par le processus de Lisbonne. C'est ainsi que les décideurs transforment, petit à petit, l'Union européenne en « Union de transferts ».

Par ailleurs, les Etats membres ne se donnent pas les moyens budgétaires du projet européen qu'ils rêvent ou imaginent : la réalité budgétaire rattrape le rêve, ce qui ne peut que provoquer désenchantements et crises à la chaîne.

M. Jacques Myard a alors considéré que le choix ne consiste pas en une Europe libérale ou sociale. En effet, deux autres options se présentent aux Européens : soit ils décident de poursuivre l'intégration forcée des nations dans cette « usine à gaz » qu'est devenue l'Europe, dont d'ailleurs plus personne ne veut vraiment, soit ils donnent plus flexibilité au système.

Il s'est dit frappé par le fait qu'il ait pu lire dans un journal du soir un article d'un journaliste luxembourgeois estimant qu'il conviendrait de donner au Royaume-Uni l'objectif que ce pays poursuit depuis la conférence de Messine : la construction d'un espace juridique et économique sans ambition politique ni limite géographique. Ainsi, le plan B existe : il est déjà là.

Enfin, M. Jacques Myard a estimé qu'il est absurde de penser que l'on peut faire fonctionner le traité constitutionnel sans sa troisième partie, qui est au cœur de toute cette construction juridique. Il a conclu son intervention en estimant qu'une occasion unique s'offre à l'Union pour être refondée sur des bases plus saines.

M. Jérôme Lambert s'est interrogé sur la nature de la décision qui sera prise le 3 octobre concernant le processus d'adhésion de la Turquie. S'agit-il d'un processus ouvert ou bien réglé d'avance ? Il a demandé si M. Pierre Sellal a le sentiment que ce rendez-vous peut donner lieu à une nouvelle crise européenne où, une fois de plus, l'Europe continuerait son chemin, comme si de rien n'était malgré les avertissements donnés par les peuples.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la rédaction actuelle de la troisième partie du projet de traité, qui s'assimile, en partie seulement, à un travail de codification, résulte du fait que les exécutifs avaient fixé une date limite très stricte aux conventionnels pour permettre à ceux-ci de s'acquitter de leur tâche de simplification des traités existants.

M. Daniel Garrigue a observé qu'au moment de sa mise en place, la Convention sur l'avenir de l'Europe avait pour objectif de promouvoir plus de démocratie dans la mécanique européenne, de rechercher une meilleure répartition de compétences entre les Etats membres et l'Union et de donner à cette dernière plus de poids. Les réponses apportées par les Etats membres à ces trois enjeux figurent toutes dans la première partie du projet de traité constitutionnel.

En réponse aux intervenants, M. Pierre Sellal a apporté les éléments de précision suivants :

- ce qui s'est passé au Conseil européen ne correspond pas à un affrontement bilatéral franco-britannique, en dépit des efforts de certains pour présenter la discussion sous un tel jour, en opposant la « crispation » française sur la PAC à la fermeté du Royaume-Uni à l'égard du « chèque ». Or, il convient de rappeler que quatorze délégations sur quinze des anciens Etats membres ont accepté de prendre en charge leur part du coût de l'élargissement, le Royaume-Uni faisant figure d'unique exception, et que le compromis final proposé par la présidence était accepté par au moins vingt délégations, dont la France ;

- la réalité, c'est aussi que 24 délégations considéraient que le maintien du chèque britannique, inchangé, était inconcevable. Il est exact que 3 ou 4 délégations ont exprimé des positions révisionnistes à propos de l'accord d'octobre 2002 sur la PAC; mais à l'exception du Royaume-Uni, il ne s'agissait que d'ajustements à la marge, et en aucun cas d'appeler à une nouvelle réforme de la PAC;

- il convient de rappeler que jusqu'au 17 juin, le Royaume-Uni n'a jamais remis en cause l'accord de Bruxelles ni la grande réforme de la PAC décidée en juin 2003 ;

- le projet de traité constitutionnel comprend plusieurs dispositions visant à permettre une meilleure information des citoyens européens sur les enjeux de l'Union et une meilleure association de ces derniers à la prise de décision communautaire. Mais beaucoup de facteurs influençant le sentiment d'appropriation de la construction européenne par les citoyens dépendent, eux, de l'organisation mise en place à cet effet par les Etats membres. Il est loisible à chaque Etat membre de développer l'information sur les positions de négociation et les discussions menées à Bruxelles, ainsi que l'explication sur les décisions et les textes effectivement adoptés. Il est frappant de constater à quel point, en France, le compromis, qui est au cœur de toute la construction européenne, est perçu comme un élément négatif. Compromis semble être synonyme de compromission, donc d'un résultat nécessairement imparfait, où le négociateur aurait abandonné en cours de route une part des intérêts qu'il avait en charge. Ce décalage de perception par rapport à la réalité du travail européen, qui est par essence une œuvre collective, doit être résorbé par un surcroît d'explication et de transparence ;

- le processus de Lisbonne souffre d'une opacité certaine. Il manque de visibilité auprès des citoyens ; c'est là un échec de l'Europe. C'est pourquoi le Conseil européen a souhaité relancer ce processus, en prévoyant l'élaboration par chacun de programmes nationaux et d'un mécanisme de rendez-vous périodiques. L'Union a préconisé que tous les acteurs, y compris les parlements nationaux, soient associés de la manière la plus large possible à l'élaboration des programmes nationaux. Ce premier exercice devant être finalisé d'ici la fin de l'année, le gouvernement n'en a pas encore arrêté les modalités concrètes ;

- la troisième partie du projet de traité constitutionnel a suscité beaucoup d'incompréhension. Son existence n'est que le point d'aboutissement de l'un des objectifs de la déclaration de Laeken. En effet, à cette occasion, les Etats membres se sont mis d'accord pour simplifier et consolider la sédimentation de traités adoptés depuis 1957. Il a donc été convenu d'intégrer dans un traité unique l'ensemble des dispositions figurant dans les traités qui se sont succédés. Un traité constitutionnel qui se serait ajouté à d'autres traités, ceux-ci réglant les objectifs et les politiques de l'Union, n'aurait pas atteint l'objectif de simplification qui avait été fixé ;

- de plus, laisser de côté la troisième partie n'aurait pas manqué de susciter beaucoup d'interrogations. Dans ces conditions, en effet, le citoyen n'aurait-il pas été en droit de se demander pourquoi l'Europe avait pris tant de soin pour régler son cadre institutionnel, sans savoir ce qu'elle transférait comme objectifs concrets et comme politiques à ce dernier. Par ailleurs, le fait d'insérer les objectifs des politiques, et le cas échéant leurs limites, permettait de garantir ce à quoi la France tenait, s'agissant par exemple des objectifs de la PAC, des implications de la diversité culturelle ou de la place des services publics;

- s'agissant des perspectives de la Constitution européenne, et particulièrement de l'éventualité d'appliquer séparément certaines dispositions, comme la création d'un poste de ministre des affaires étrangères de l'Union, il existe très peu de possibilités à court terme. La question d'une mise en place anticipée de ce poste s'était posée dès l'automne 2004. Plusieurs pays s'y étaient opposés car ils avaient considéré qu'il s'agissait d'une mesure trop importante pour anticiper sur les votes relatifs à la ratification de la Constitution européenne, et d'autres avaient fait valoir qu'elle ne pouvait pas être dissociée d'autres aspects du compromis d'ensemble que représentait le traité constitutionnel;

M. Jérôme Lambert a remarqué que l'Agence européenne de défense et la présidence de l'Eurogroupe avaient pourtant été mises en place de façon anticipée.

M. Pierre Sellal a indiqué que, concernant l'Agence européenne de défense, la situation était particulière car la décision de la créer avait été prise lors du Conseil européen de Thessalonique en 2003 même si la Constitution européenne devait lui conférer une base juridique et sa pleine dimension. Le développement de l'agence reste possible et souhaitable. La présidence stable de l'Eurogroupe a en effet été anticipée depuis 2004 et sera maintenue même si la Constitution européenne n'est pas ratifiée.

M. Jérôme Lambert a estimé que la publicité des travaux du Conseil des ministres pourrait s'appliquer indépendamment de la Constitution européenne.

M. Pierre Sellal a jugé cette application possible, si elle faisait l'objet d'une décision collective. Il a apporté par ailleurs les précisions suivantes :

- l'existence d'une crise européenne est indéniable; le résultat du référendum en France a peut-être une part de responsabilité dans son déclenchement. Mais depuis, notre pays a fait la démonstration de sa volonté de continuer à occuper toute sa place au sein de l'Union et d'y œuvrer pour l'intérêt commun, comme en témoigne son attitude constructive et volontaire lors du dernier Conseil européen. La crise réside dans l'absence de perspectives institutionnelles et de dynamique politique; elle est aggravée par l'incapacité de retrouver le chemin des compromis nécessaires sur une question comme le cadre financier, plus que par l'absence elle-même de ce cadre financier. Le système ne peut fonctionner sans la volonté permanente de trouver un accord, un compromis. Il n'existe pas d'instruments coercitifs au niveau européen, tout repose en réalité sur le libre consentement des Etats, y compris pour accepter une décision majoritaire. Il est aujourd'hui nécessaire de retrouver cette capacité de compromis, et pour cela de mener une réflexion à la fois nationale et collective ;

-  une contestation ici ou là des dispositions faisant de Strasbourg le siège du Parlement européen n'a jamais vraiment disparu, renforcée par les élargissements successifs. Mais le droit est clair. Il faut continuer à faire preuve de vigilance et à soutenir ce choix commun des Etats. La Constitution européenne aurait renforcé les garanties mais son absence de ratification ne rend pas la situation plus précaire ;

- la crainte d'une croissance exponentielle du budget européen ne correspond pas à la réalité. Alors que l'Union européenne est passée de six à vingt-cinq Etats membres et que ses compétences se sont élargies, le budget européen est seulement passé de moins de 1 % à 1,06 %. On peut construire une Europe avec des compétences et des politiques ambitieuses en gardant un budget restreint car l'essentiel des moyens se trouve au niveau des Etats membres, et l'Union peut agir et influer par bien d'autres voies que la seule dépense.

Il existe aujourd'hui un consensus pour augmenter les efforts européens de recherche. Le plus important n'est pourtant pas son financement par le budget européen (50 à 60 milliards d'euros étaient proposés dans le compromis de la présidence luxembourgeoise pour 2007-2013), mais la définition d'objectifs et de mécanismes au niveau européen propres à susciter la mobilisation, publique et privée, au niveau des Etats membres.

M. Daniel Garrigue a souligné à ce sujet que la recherche européenne était également financée par des coopérations intergouvernementales.

- le Conseil européen a rappelé ses conclusions antérieures relatives à l'ouverture des négociations avec la Turquie. Pour autant, en vue d'une ouverture le 3 octobre 2005, le Conseil des ministres devra adopter à l'unanimité le cadre des négociations, lequel rappelle toutes les exigences et garanties convenues au Conseil européen de décembre 2004. En second lieu, la Turquie devra procéder - préalablement à l'ouverture de ces négociations - à la signature du protocole d'Ankara, qui implique une reconnaissance de fait de la République de Chypre. Enfin, les autorités turques devront confirmer que les réformes législatives, en particulier celle du code pénal, à la mise en œuvre desquelles elles se sont engagées en décembre 2004, sont effectives ;

- l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Croatie dépendra de la coopération des autorités de Zagreb avec le tribunal pénal international. Leurs efforts en vue de l' arrestation du général Gotovina et son transfert à La Haye, afin qu'il y soit jugé revêtent à cet égard une particulière importance;

- pour ce qui est de la Bulgarie et de la Roumanie, le traité d'adhésion de ces deux pays a été signé le 25 avril 2005. Ces deux Etats doivent toutefois continuer activement à effectuer des réformes, comme l'a rappelé la Commission dans une lettre d'avertissement qui leur a été adressée. La Commission présentera un rapport d'ici mai 2006, qui aura pour objet de déterminer si la Bulgarie et la Roumanie seront prêtes à adhérer à l'Union européenne au 1erjanvier 2007.

Après avoir remercié M. Pierre Sellal, le Président Pierre Lequiller a souligné la nécessité de poursuivre au sein du Parlement et dans l'opinion publique le débat sur l'Europe qui s'est déroulé lors de la campagne référendaire. Dans cette perspective, il importe, comme le Président Jean-Louis Debré et lui-même en sont convenus, d'améliorer l'information des députés, afin qu'ils soient en mesure de promouvoir sur le terrain une approche concrète de l'Union européenne. A cet égard, il a insisté sur la responsabilité particulière des membres de la Délégation, lesquels pourraient recueillir l'avis de leurs concitoyens en circonscription, sur l'Europe qu'ils souhaitent, sur la base d'un questionnaire et selon le même processus qui avait prévalu avec les missi dominici envoyés dans les différents Etats membres par la Délégation l'an dernier, en vue de la reprise des travaux de la Conférence intergouvernementale sur la Constitution européenne. La Délégation pourrait ensuite en tirer les enseignements et effectuer des propositions au Gouvernement. Il a considéré qu'était en jeu un véritable problème de communication, dont l'absence a joué un grand rôle dans le résultat du référendum, en France, comme aux Pays-Bas, même si dans cet Etat, la connaissance des problèmes européens paraît meilleure.