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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 137

Réunion du mercredi 5 octobre 2005 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice

Le Président Pierre Lequiller a remercié le Ministre d'Etat pour sa présence, et a rappelé qu'il avait déjà été auditionné par la Délégation, en avril 2003, sur l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Il a souhaité que cette audition permette de dresser un état des lieux de la contribution de l'Union européenne à la lutte contre le terrorisme, ainsi que des perspectives des politiques européennes d'asile et d'immigration. Les attentes des Français dans ces deux domaines sont en effet particulièrement fortes : selon un sondage récent, 88 % d'entre eux estiment que la lutte contre le terrorisme doit être menée à l'échelon européen, et 62 % souhaitent des règles communes en matière d'immigration. Le rejet du traité constitutionnel lors du référendum du 29 mai dernier est, à cet égard, paradoxal puisqu'il aurait permis de passer à la majorité qualifiée sur ces deux sujets, ce qui aurait rendu l'action de l'Union plus efficace.

Les attentats de Madrid puis de Londres ont confirmé que la coopération entre les Etats membres est indispensable face au terrorisme. Le Président Pierre Lequiller a rappelé les initiatives importantes prises par le ministre d'Etat à ce sujet, contre l'ETA et les réseaux islamistes, ainsi que contre l'immigration clandestine, telles que l'organisation de vols groupés par les pays du G5 des ministres de l'Intérieur. Dans une Europe à vingt-cinq, il faut permettre à une avant-garde telle que le G5 de se développer. Le Président Pierre Lequiller a souhaité savoir comment ses travaux s'articulent avec ceux du Conseil « Justice et affaires intérieures », et connaître les réactions des Etats membres qui n'en font pas partie. Il a également interrogé le ministre d'Etat sur les autres coopérations renforcées qui pourraient être mises en place en vue de la création d'un corps européen de gardes frontières, d'un parquet européen ou en matière de sécurité civile, par exemple.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a rappelé qu'il avait présenté, en avril 2003, les initiatives qu'il avait prises pour qu'en matière de gestion des frontières de l'Union européenne, l'élargissement à l'Est ne se traduise pas par un accroissement des flux d'immigration. L'extrême lenteur avec laquelle ces projets ont avancé depuis confirme que l'Union européenne n'arrive pas à se doter d'une véritable politique européenne de sécurité et d'immigration.

D'une manière générale, l'Union n'arrive plus à décider. Le rejet du traité constitutionnel européen est regrettable sur ce point, car il aurait permis d'étendre le vote à la majorité qualifiée, à quelques exceptions près, à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Il y a deux semaines, au Conseil « Justice et affaires intérieures » de Newcastle, il y avait autour de la table les ministres de l'Intérieur et de la Justice des vingt-cinq Etats membres, plus le commissaire européen chargé de la justice et des affaires intérieures, le représentant du Parlement européen, et les ministres roumain, bulgare, croate et turc, soit 56 personnes. Même si tous n'ont pas le droit de vote, trouver l'unanimité dans ces conditions est impossible. Moins de deux mois seulement après les attentats de Londres, qui ont provoqué une belle unanimité en Europe pour se donner les moyens de mieux lutter contre le terrorisme, on constate que sur des projets de texte aussi fondamentaux que le mandat d'obtention de preuves ou la rétention des données de communication électronique, un accord est impossible. C'est pourtant cette règle qui nous permettra d'obtenir des opérateurs de téléphone et d'Internet qu'ils conservent la trace de ces connexions dans des conditions telles que ces informations puissent être utilisées par les services de sécurité dans leur travail d'enquête. Ce sont ces enregistrements d'appels, souvent sur des portables, qui permettent de remonter la piste des terroristes, quand ce ne sont pas des connexions téléphoniques qui sont directement à l'origine du déclenchement des bombes, comme à Madrid. Jusqu'ici la situation était bloquée ; désormais, elle empire.

Le traité constitutionnel aurait également permis de renforcer les compétences opérationnelles d'Europol et d'Eurojust et, partant, de rendre Europol pleinement opérationnel. La décision de créer Eurojust, transposée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, était le préalable indispensable pour ouvrir la perspective d'un parquet européen, elle-même inscrite dans le texte. Un tel parquet européen est le pendant judiciaire nécessaire à une bonne complémentarité avec le travail des policiers à l'échelle européenne. De façon générale, en l'absence d'harmonisation de nos procédures pénales, tout projet de police européenne des frontières, logique à terme, sera voué à l'échec.

Il serait tentant de se rassurer en mettant en avant le nombre de directives adoptées ces dernières années en matière d'asile et d'immigration. Un socle législatif a pu être constitué concernant les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, les conditions à remplir pour obtenir la condition de réfugié ou une protection subsidiaire, la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié ou la protection temporaire. Ces règles communes ont complété la base de données Eurodac qui permet de comparer les empreintes digitales des demandeurs d'asile. L'objectif recherché était de lutter contre les mouvements secondaires de demandeurs d'asile entre les pays en raison des différences de leurs législations. La vérité, c'est que l'harmonisation apportée est minimale, tant les réticences de certains Etats membres étaient fortes. Ce constat vaut aussi en matière d'immigration régulière, avec les deux directives portant sur le regroupement familial et le statut des résidents de longue durée. Nous sommes donc loin d'une vraie politique européenne de l'immigration. C'est pourquoi la France a proposé aux pays du G5 de mettre en place un cadre législatif commun pour mieux lutter contre les abus et les détournements de procédures en matière d'immigration familiale.

Le ministre d'Etat, a indiqué qu'il a choisi, pour reprendre l'initiative en matière de justice et d'affaires intérieures, de réunir les pays les plus importants de l'Union en termes de population et de PIB. La création du G5 - qui devrait être élargi à la Pologne - vise deux objectifs. Le premier est de mettre en œuvre des actions de coopération opérationnelle en matière de lutte contre le terrorisme, contre le trafic de stupéfiants et contre l'immigration irrégulière. Cela se traduit, par exemple, par la mise en place de vols groupés européens, décidée lors de la réunion du G5 d'Evian début juillet. Un vol groupé a ainsi été organisé avec le Royaume-Uni vers l'Afghanistan en juillet dernier, et un autre vers la Roumanie avec nos partenaires espagnols et italiens en septembre. Un autre suivra dans les prochains jours, vers un autre pays. Des échanges de listes de djihadistes passés par certains pays à risque comme l'Irak ou le Pakistan ont aussi été décidés dans le cadre du G5, de même que le renforcement du contrôle des armes et des explosifs. Un système d'alerte, avec des points de contact nationaux, a ainsi été créé pour tous les vols d'explosifs ou d'armes, et devrait être étendu au Vingt-cinq.

Le second objectif est de lancer des idées dans un cénacle restreint pour les tester, les affiner, vérifier l'absence d'opposition de principe des autres grands Etats et constituer un groupe d'un poids suffisant pour emporter la décision au sein du Conseil « Justice et affaires intérieures ». C'est ainsi dans le cadre du G5 que la France a proposé à ses partenaires d'obtenir du Conseil que les passeports de tout étranger entrant dans la zone Schengen soit composté et que l'on puisse éloigner tous ceux qui en seraient dépourvus. Il en est de même de la proposition d'harmoniser les conditions de ressources exigées pour laisser entrer un étranger dans la zone Schengen. C'est également de cette façon que nous avons pu obtenir que des identifiants biométriques soient introduits à terme dans les visas Schengen, mais aussi dans les passeports des citoyens de l'Union européenne. De même, nous avons décidé de mutualiser nos équipements de prise d'empreintes digitales dans nos consulats à l'étranger : même si nous avons décidé d'équiper tous nos consulats d'ici à 2007, il nous faut gagner du temps en mettant à la disposition de nos partenaires nos équipements et profiter des leurs là où nous en sommes dépourvus.

M. Nicolas Sarkozy a estimé que l'étape suivante, qui serait symbolique de notre engagement européen, consisterait à regrouper nos services consulaires à l'étranger, puisque nous délivrons les mêmes visas pour le même espace de Schengen. Cette avancée aurait pour triple conséquence d'améliorer la lutte contre la fraude et les filières criminelles d'immigration clandestine, de réduire les coûts administratifs et de permettre une généralisation rapide de la biométrie.

Le G5 est parfois dénoncé comme constituant un « directoire des grands », mais en matière de sécurité nous n'avons pas le droit de perdre du temps. Dès lors, s'il ne peut y avoir d'accord à vingt-cinq, il convient néanmoins de progresser avec tous ceux qui le souhaitent. Il est évident que l'Europe n'a plus de moteur en ce moment. L'Allemagne est dans une situation politique intérieure telle qu'elle n'est pas en état d'impulser une politique européenne. Quant à la France, la victoire du non lors du référendum du 29 mai 2005 ne nous place pas en situation de leadership naturel. En conséquence, il a semblé opportun de proposer un moteur associant les six Etats membres ayant la population la plus nombreuse. On doit d'ailleurs souligner que le traditionnel moteur franco-allemand peut garder ses capacités d'entraînement au sein de ce groupe restreint, alors qu'il n'a plus cette capacité dans l'Europe à vingt-cinq.

Ayant participé dans le passé en tant que ministre de l'économie et des finances à l'Eurogroupe, organe composé de douze Etats seulement, il a pu constater que cette structure réduite était efficace. En revanche, Ecofin, qui fonctionne à vingt-cinq, ne parvient à produire que des communiqués de plus en plus techniques. Sans vouloir offenser personne, il est certain que dans le domaine de la sécurité, l'Allemagne et l'Italie ont un poids supérieur à celui de Malte ou du Luxembourg, ces derniers Etats ayant, en tout état de cause, la faculté de s'associer aux décisions du G5. Il faut d'ailleurs constater que personne ne demande la suppression de ce groupe aujourd'hui.

M. Nicolas Sarkozy a ensuite observé que les attentats de Londres étaient les premiers attentats suicides commis sur le territoire de l'Union européenne, pratique d'autant plus surprenante, dans ce cas précis, qu'elle ne semblait pas indispensable. Nous devons donc repenser nos modes d'action contre le terrorisme. Nous devons arrêter rapidement une stratégie de lutte contre la radicalisation idéologique, le prosélytisme et le recrutement par les groupes ayant des activités terroristes. Nous devons identifier les activistes prosélytes et les stratégies de déstabilisation des lieux de culte musulmans et des techniques de recrutement habituelles. Et pour améliorer la prévention du terrorisme, nous devons élaborer des procédures communes de prévention reposant sur un contrôle accru de ces milieux à risque (prisons, lieux de culte, lieux publics, communautés sensibles). Les mesures ne vaudront que si nous nous informons rapidement les uns des autres de ce que nous découvrirons. Nous devons mettre en place une coordination qui nous permette d'éviter qu'un individu expulsé d'un pays puisse trouver refuge dans un autre et poursuivre sa propagande. La France a expulsé depuis le 1er janvier, dix-sept islamistes radicaux dont deux imams et un prédicateur. Il ne faut pas que ces individus dangereux reviennent sur le territoire de l'Union.

Enfin, pour limiter les risques de dérive et d'endoctrinement de jeunes musulmans, il importe de gagner la bataille des idées. Nous devons pour cela lutter contre les formes les plus modernes de propagande. Contre le cyberterrorisme sur Internet, il nous faut créer au sein de nos services de police des équipes chargées de signaler toutes les actions de prosélytisme et nous mettre en mesure d'interdire les sites Internet menaçant la sécurité de nos compatriotes. Ensuite, nous devons mutualiser nos moyens de veille sur Internet en nous partageant les compétences en fonction de nos pôles d'excellence. Mais aujourd'hui, la propagande passe également par les chaînes de télévision par satellite. Ces médias ont un spectre de diffusion de plus en plus large, qui ne connaît plus de frontière. Ils sont devenus les vecteurs de diffusion privilégiés des prêcheurs de haine. A cet égard, l'affaire « Al Manar TV » a été riche d'enseignements pour nous. Rien qu'en France, pas moins de 2,6 millions de foyers auraient une parabole orientée vers le satellite qui relayait Al Manar, et près de 100 millions de foyers en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Nous devons maintenant mettre en œuvre une vraie politique européenne de prévention contre la propagande terroriste dans les médias audiovisuels. Certains proposent la création d'une Autorité européenne de régulation de l'audiovisuel. L'idée n'est pas mauvaise, mais dans la mesure où la politique audiovisuelle relève essentiellement de la compétence des Etats membres, une telle institution, lourde à mettre en place, n'aurait pas forcément les moyens d'agir. Dans ces conditions, la France a proposé de modifier la directive « Télévision sans frontières », en introduisant une disposition relative à la lutte contre la propagande terroriste et en donnant au « Comité de contact », institué auprès de la Commission européenne pour faciliter la mise en œuvre de la directive, davantage de pouvoirs de surveillance et de contrôle. On pourrait, par exemple, lui donner compétence pour fixer, au niveau européen, une liste de chaînes satellitaires indésirables, que les autorités nationales de régulation auraient la charge de bannir de leur paysage audiovisuel. Par ailleurs, il serait indispensable d'harmoniser nos législations nationales pour s'assurer que tous les Etats membres ont bien les capacités juridiques de lutter contre la diffusion de ces chaînes satellitaires extra-européennes.

En conclusion, M. Nicolas Sarkozy a constaté que par leur vote du 29 mai, les Français ont dit qu'ils attendaient de l'Europe qu'elle soit efficace, qu'elle apporte des solutions à leurs problèmes. Cette attente doit être satisfaite non seulement dans le domaine du terrorisme, mais aussi, par exemple dans la sécurité civile. Cet été, le feu a détruit 17 000 hectares de forêt dans nos départements méditerranéens. Les incendies de forêts au Portugal ont encore été plus terribles. Cette expérience difficile succède à de nombreuses catastrophes naturelles récentes dans le monde. Il a donc proposé de renforcer la capacité collective d'action de l'Union en matière de protection civile, en constituant une force d'intervention rapide européenne de réponse aux catastrophes, par l'acquisition de moyens collectifs par l'Union européenne (avions de transport pouvant être utilisés pour la lutte contre les feux de forêts, équipements hospitaliers mais aussi moyens de pompage). C'est par de tels projets concrets que nous rendrons à nos concitoyens confiance dans la construction européenne.

A l'issue de l'exposé du ministre d'Etat, un débat s'est engagé.

M. Marc Laffineur a demandé au ministre d'Etat s'il percevait une réelle volonté politique européenne commune de lutter contre le terrorisme. Les attentats meurtriers qui ont frappé Londres l'été dernier soulignent une nouvelle fois l'intérêt d'un renforcement de la coopération entre les Etats membres, notamment au regard des procédures d'extradition. Il a ensuite souhaité obtenir des précisions sur les récentes interpellations menées sur le territoire français, après certaines déclarations faisant état d'une possible précipitation policière.

M. Jérôme Lambert, associant son collègue M. Jacques Floch absent en raison de sa participation à une réunion du groupe socialiste sur le projet de loi de lutte contre le terrorisme, a interrogé le ministre d'Etat sur trois sujets.

Il a salué les initiatives prises au sein du G5 des ministres de l'Intérieur estimant que dans une Europe à vingt-cinq, il est en effet indispensable de développer de telles coopérations renforcées. L'existence du G5 est cependant mal perçue par certains de nos partenaires, qui se sentent exclus. La France doit donc être d'autant plus présente dans les institutions de l'Union à vingt-cinq, en particulier au Conseil des ministres. C'est pourquoi M. Jérôme Lambert s'est déclaré préoccupé de l'absentéisme des ministres français au Conseil. Les procès-verbaux du Conseil indiquent en effet que le ministre de l'Intérieur français n'a assisté qu'à 9 réunions sur 23 depuis mai 2002 - ce qui représente un taux d'absentéisme supérieur à 60 % -lorsque le ministre allemand a participé à 21 conseils sur 23. Il a demandé au ministre d'Etat s'il n'y voyait pas un lien de cause à effet sur la décision de confier la direction d'Europol à l'Allemagne alors que la France avait présenté un excellent candidat.

S'agissant des propositions britanniques relatives à la révision de la CEDH, il a fait état du discours récemment prononcé au Parlement européen par le ministre de l'Intérieur britannique, M. Charles Clarke, considérant que la Convention européenne des droits de l'homme n'était pas adaptée aux nécessités de la lutte contre terrorisme. Les Britanniques contestent en particulier la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui interdit d'extrader ou d'expulser une personne vers un pays où elle risquerait d'être torturée. M. Jérôme Lambert a souhaité connaître la position de la France sur ce sujet.

Il a enfin interrogé le ministre d'Etat sur l'efficacité du mandat d'arrêt européen, instrument important au service de la lutte contre le terrorisme, après qu'un arrêt du Tribunal constitutionnel allemand a déclaré, en juillet dernier, inconstitutionnelle la loi allemande le transposant. Une personne réclamée par l'Espagne pour des activités terroristes, M. Darkanzali, a ainsi été remis en liberté. Quelques semaines plus tard, en septembre dernier, l'une des plus hautes juridictions espagnoles, l'Audience nationale, a déclaré nuls tous les mandats d'arrêts européens émis par les autorités allemandes. Ces jugements portant sérieusement atteinte à l'efficacité du mandat d'arrêt européen, M. Jérôme Lambert a souhaité savoir si la France comptait prendre des initiatives à ce sujet.

En réponse, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a apporté les précisions suivantes :

- il n'existe pas de volonté européenne identique de lutter contre le terrorisme, dès lors que ni la perception du risque, ni les traditions juridiques ne sont les mêmes selon les Etats membres. En revanche, la condamnation du terrorisme est unanime. D'autre part, les moyens de lutte contre le terrorisme sont très variables d'un pays à l'autre, certains Etats, par exemple, ne disposant pas de services de renseignement ;

- sur les récentes interpellations menées en France, il est préférable que les policiers soient trop rapides que trop lents, étant donné qu'il est plus opportun d'intervenir avant qu'après le passage à l'acte. Cela étant, il est vrai que la question du moment de l'interpellation est délicate : s'il faut attendre de disposer des preuves nécessaires, il est également impératif d'éviter de faire prendre des risques à des innocents. S'agissant des interpellations récentes, il s'en est remis aux magistrats du pôle antiterroriste qui ont procédé à des mises en examen et à des incarcérations, ce qui prouve que l'intervention de la police n'a pas été trop rapide. Ces interpellations se sont d'ailleurs révélées particulièrement intéressantes ;

- en ce qui concerne l'influence française au sein du Conseil « JAI », la densité des agendas ministériels rend indispensable de procéder quotidiennement à des arbitrages, selon les ordres du jour. L'intérêt des rencontres multilatérales réside d'ailleurs le plus souvent dans les échanges qui ont lieu en marge des séances de travail. Il faut participer aux réunions où l'on est le plus utile, à celles qui sont les plus intéressantes. Concédant la justesse de certaines critiques, il a néanmoins estimé qu'il n'était pas illogique d'être représenté par un ministre délégué lorsque les sujets traités ne sont pas des questions politiques de premier ordre. Le ministre d'Etat a en revanche mentionné sa participation systématique aux réunions du G5 et relevé que la seule absence répertoriée à ce jour avait été celle de son homologue allemand, lors du G5 d'Evian. Quant à l'attribution de la direction d'Europol à un Allemand, elle ne doit en rien à la présence de tel ou tel ministre, d'autant qu'il a dit avoir activement soutenu la candidature française ;

- au sujet des propositions britanniques sur une éventuelle révision de la CEDH, il convient de respecter l'article 3 et, à titre personnel, il ne lui semble pas souhaitable de modifier la convention. En tout état de cause, on ne doit pas combattre le terrorisme avec les méthodes utilisées par les terroristes. Evoquant les règles de procédure au Royaume-Uni, il a rappelé que l'absence de détention provisoire outre-manche avait pour contrepartie la possibilité de détenir une personne en garde à vue pendant quinze jours. Or cela peut être considéré comme une forme de détention provisoire et des débats ont même lieu actuellement sur la possibilité d'allonger cette durée à quatre mois. En tout état de cause, les Britanniques ont pris acte des limites de leur système et entendent ainsi procéder à une refonte de leur arsenal juridique ;

- évoquant enfin la question de l'efficacité du mandat d'arrêt européen, il ne lui appartient pas de s'immiscer dans des dossiers qui relèvent de la compétence de la Chancellerie. Il a néanmoins estimé que tant qu'il n'existera pas de justice européenne, il ne pourra y avoir de véritable action de police européenne. Or, là aussi, la volonté politique n'est pas la même selon les Etats.

Compte tenu du constat de la paralysie de l'Union européenne à vingt-cinq en raison de la règle de l'unanimité, se reflétant dans des ordres du jour peu décisionnels, M. Christian Philip a demandé ce qu'il restait de valeur ajoutée à l'Union européenne globale et si elle allait continuer à faire semblant d'agir dans la lutte contre le terrorisme, faute de reconnaître son indécision à vingt-cinq dans ce domaine.

Il a ensuite demandé comment le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, prochainement débattu devant le Parlement, s'inscrirait dans une perspective européenne.

S'agissant de la rétention des données dans le domaine des télécommunications, qui concerne notamment les portables, la France, le Royaume-Uni, l'Irlande et la Suède avaient proposé une décision-cadre, puis la Commission, le 21 septembre dernier, estimant que la question relevait du marché intérieur, a proposé une directive soumise à la codécision avec le Parlement européen, avec le risque de fermer la porte à toute décision pour des années. Il a demandé si, face à cette initiative de la Commission, la France avait l'intention de proposer le rapatriement de ce dossier au G5 et à ses procédures de coopération.

Après avoir rappelé que le ministre d'Etat s'était toujours prononcé en faveur d'une immigration choisie et non pas subie, M. Michel Herbillon a évoqué l'accueil des étudiants étrangers en France qui oblige à regarder la France comme elle est et non pas comme on voudrait qu'elle soit, dans la mesure où les meilleurs étudiants étrangers vont aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, et, en tout cas, ailleurs que chez nous. C'est un enjeu essentiel pour l'image de la France et l'attractivité du modèle européen par rapport au modèle américain dominant. Il a demandé si le système par points mis en œuvre au Canada ne pourrait pas constituer l'une des pistes de réflexion pour sortir de l'incantation et réussir cet investissement d'avenir qui doit être guidé par la recherche de l'excellence.

Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a déclaré qu'actuellement, la coopération intergouvernementale bilatérale et multilatérale était le système de décision le plus efficace, par exemple avec l'Espagne face à l'E.T.A. ou avec tous nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Il ne faudrait cependant pas renoncer à toute dimension européenne.

Le projet de loi est directement inspiré de ce qui s'est passé au Royaume-Uni. Si de tels évènements se produisaient en France, nos compatriotes demanderaient légitimement aux autorités françaises quelles conclusions elles avaient tirées de ces faits. Ce texte est précisément un retour sur l'expérience britannique, dont il ressort que le Royaume-Uni a réagi de manière excellente sur deux points: sa stratégie de communication et sa façon d'identifier et de retrouver les coupables.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, il faut malheureusement reconnaître que la France accueille, notamment, ceux dont on ne veut nulle part ailleurs. Les visas ne doivent pas être attribués en fonction de la place dans la queue mais de la plus-value que peut apporter l'étudiant. Il faudrait donc expérimenter le système à points mis en place par le Canada.

M. Thierry Mariani a demandé si, à la suite du Livre vert déposé par la Commission européenne en janvier dernier dans lequel elle préconise un recours accru à la main d'œuvre étrangère pour faire face aux pénuries en Europe à partir de 2010, la France était favorable à l'élaboration de normes communes dans ce domaine.

Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a répondu par l'affirmative.

M. Thierry Mariani l'a ensuite interrogé sur le calendrier prévu pour la mise en œuvre de la réforme préconisée par le ministre, prévoyant un vote annuel par le Parlement sur le nombre de personnes admises, par catégories, à s'installer sur notre territoire, afin de retrouver la maîtrise quantitative de nos flux migratoires.

Il a enfin demandé si le Gouvernement envisageait une levée partielle des restrictions à la libre circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres, alors que la France doit décider, comme les autres anciens Etats membres à l'exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et de la Suède, du maintien de cet encadrement le 1er mai 2006.

Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a alors souhaité interrompre cette audition et demandé que la Délégation l'accueille de nouveau pour poursuivre la discussion.