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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 141

Réunion du mardi 25 octobre 2005 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication de M. Alfred Almont sur l'institution d'un régime unique tarifaire sur les importations de bananes (document E 2957)

M. Alfred Almont, rapporteur, a présenté les enjeux liés à l'adoption de la proposition de règlement concernant les taux de droit applicables aux importations de bananes.

Ce texte prévoit d'opérer, à partir du 1er janvier 2006, une véritable « révolution » tarifaire, qui aura pour conséquence de faire entrer, sur le marché européen, davantage de bananes dites « dollars » et de renforcer la compétitivité des productions contrôlées, en Afrique et en Amérique, par les sociétés multinationales.

Le choc pour nos producteurs sera rude, et risque de les fragiliser encore, alors qu'ils travaillent, déjà, dans des conditions économiques et climatiques difficiles.

Abordant le premier point de son exposé, le rapporteur a jugé que la proposition de règlement mettra fin à la préférence communautaire en faveur des bananes produites dans l'Union européenne.

A ses yeux, cet abandon d'un principe cardinal de la PAC marque un tournant, dont la portée doit être soulignée, voire dénoncée.

La préférence communautaire permettant aux produits agricoles européens de conserver, grâce aux droits de douane, un avantage de prix par rapport aux produits importés, compense ainsi le haut degré d'exigence sociale, environnementale et sanitaire qui s'impose à nos producteurs. C'est, en vérité, l'élément clé de la protection du modèle agricole européen.

C'est pourquoi cette préférence bénéficie à toutes les productions faisant l'objet d'une organisation commune de marché, ce qui, depuis 1993, est le cas de la banane.

En effet, afin de protéger les bananes communautaires et celles de ses partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), moins compétitives que les bananes d'Amérique centrale, l'Europe a mis en place des barrières contingentaires et tarifaires.

Or ces protections ont été à l'origine de contentieux portés devant l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de facto initiés par les multinationales américaines, qui sont les opérateurs des bananes « dollars » (Chiquita, Del Monte, Dole...).

Le rapporteur a précisé que jusqu'à ce jour, l'OMC a toujours donné raison aux adversaires de l'Union européenne. Ainsi, en 1999, cette organisation a autorisé les Etats-Unis à appliquer des sanctions commerciales à l'encontre de l'Europe, ce qui a obligé cette dernière à négocier un compromis avec l'administration américaine.

En avril 2001, le commissaire européen en charge du commerce extérieur, Pascal Lamy, et son homologue américain, Robert Zoellick, concluaient un accord relatif à l'instauration, au plus tard, le 1er janvier 2006, d'un système de protection uniquement tarifaire du marché communautaire, ce qui a ouvert la voie à la levée des sanctions.

La proposition de règlement vise à mettre en œuvre cet accord, dont le respect conditionne, par ailleurs, l'avenir de la dérogation, accordée par l'OMC à Doha, qui autorise l'Europe à faire bénéficier, jusqu'à la fin 2007, les bananes ACP de préférences tarifaires spécifiques, conformément à la Convention de Cotonou.

Afin de se conformer à ses engagements, la Commission a notifié à l'OMC, le 1er février 2005, son intention de mettre en place un tarif de 230 euros/tonne. Cette proposition a suscité un nouveau conflit avec les pays latino-américains, qui ont sollicité l'arbitrage de l'OMC, celui-ci s'étant conclu, le 1er août 2005, par le rejet du tarif proposé par l'Union.

Le Collège des commissaires a donc adopté, le 12 septembre 2005, une nouvelle proposition de tarif, à 187 euros/tonne, assortie d'un contingent spécifique de 775 000 tonnes à droit nul pour les bananes ACP.

Les pays latino-américains ayant contesté cette deuxième proposition, un nouvel arbitrage a été sollicité, et sera rendu le 26 octobre 2005.

Toutefois, quelle que soit l'issue de la procédure OMC, le rapporteur a souligné qu'il est d'ores et déjà clair que la préférence communautaire pour les bananes européennes ne sera plus assurée. Dans une étude de 1998, la Commission reconnaissait, elle-même, que le maintien du niveau de protection assuré par les quotas exigeait l'application d'un tarif de 275 euros. Avec le droit proposé de 187 euros, les producteurs communautaires seront donc loin du compte.

A cela, il faut ajouter le risque posé par les bananes africaines, qui disposeront, avec le nouveau système d'importations, d'un avantage supplémentaire de compétitivité. En effet, elles continueront de bénéficier, après le premier janvier 2006, d'un tarif douanier nul contingenté, mais aussi d'un tarif hors contingent de 187 euros, au lieu du tarif actuel de 680 euros. Leur coût de revient étant comparable à celui des bananes latino-américaines, cet avantage tarifaire leur permettra toujours de pratiquer, pour des quantités très supérieures au contingent, des prix d'un niveau inférieur, et ceci particulièrement sur le marché français.

Dans ce contexte, le rapporteur, abordant le second point de son exposé, a estimé que puisque l'OMC, sous l'impulsion des Etats-Unis, contraint l'Europe à « lâcher », au bénéfice des pays d'Amérique centrale, la préférence communautaire, la défense des producteurs européens de bananes passe par le renforcement de l'aide compensatoire prévue par l'OCM.

Cette réforme est d'autant plus nécessaire que le régime actuel de l'aide compensatoire ne permet plus à l'OCM d'atteindre son double objectif de commercialisation de la production européenne et d'obtention de revenus équitables pour la filière.

La filière de la banane traverse une crise très grave, qui se traduit par un effondrement des cours. Les années 2002 et 2003 ont été particulièrement dramatiques pour les producteurs antillais : en 2002, le prix des bananes vertes atteignait 227 euros la tonne en Guadeloupe et 253 euros la tonne en Martinique, pour une moyenne communautaire de 337 euros, tendance qui s'est poursuivie, en 2003.

La concurrence des bananes dollars qui représentent aujourd'hui plus de 60 % du marché communautaire, contre 18 % pour les producteurs communautaires, les faiblesses de la filière antillaise, notamment la concentration insuffisante de l'offre et l'hétérogénéité des produits, la succession des calamités naturelles, cyclones et sécheresses, menacent la pérennité d'un secteur de production, qui reste essentiel pour l'équilibre économique et social des Antilles.

Or le pire est à venir, avec les perspectives d'augmentation des importations résultant du prochain régime tarifaire.

Il est donc clair que l'aide actuelle aux organisations de producteurs ne suffira pas à préserver la viabilité de leurs exploitations, ni à leur garantir un revenu adéquat.

Dans ce contexte, le rapporteur a souhaité que la Délégation marque son soutien à la démarche remarquable qui a conduit les producteurs européens, avec l'appui des élus locaux, à surmonter les clivages d'intérêt, pour demander collectivement, à Madère, en septembre 2004, l'introduction d'un nouveau régime d'aide.

Leur revendication a été, depuis lors, reprise par les gouvernements de la France, de l'Espagne, du Portugal et de Chypre, dans le cadre d'un mémorandum, transmis le 20 septembre 2005, à la Commission européenne.

Pour l'essentiel, ce document propose :

- l'octroi d'un droit à paiement à chaque producteur, sur la base des aides perçues au cours de la période 2000-2004, cette période de référence large devant permettre de compenser l'influence des campagnes anormales ;

- l'institution d'une enveloppe budgétaire minimale pour ce soutien, qui soit égale au montant global annuel le plus élevé des aides versées au cours de la période de référence ;

- la révision de la référence retenue pour l'enveloppe budgétaire, afin de tenir compte de l'évolution du marché au cours des trois premières années d'application du nouveau régime tarifaire ;

- l'attribution du droit à paiement à taux plein à tout producteur livrant au moins 70 % de son volume de référence, correspondant à la moyenne des quantités livrées pendant la période de référence. Au-dessous de 70 %, les droits seraient réduits selon une règle de proportionnalité ;

- enfin, au terme de chaque période de trois ans, les droits seraient intégralement maintenus pour les producteurs réalisant au moins 70 % de leurs quantités de référence et réduits, selon une règle de dégressivité, en deçà de ce seuil.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que la France n'est pas isolée sur ce dossier puisqu'elle a formé une alliance avec l'Espagne, Chypre et le Portugal.

M. Jérôme Lambert a établi un parallèle entre la réforme en cours de l'OCM du sucre et celle de l'OCM de la banane : on assiste au niveau international au démantèlement d'un des principes fondateurs de la politique agricole commune, celui de la préférence communautaire.

M. Jérôme Lambert a indiqué que dans sa région, plusieurs productions, comme la production ovine, bénéficient d'un système de mesures compensatoires. Ces systèmes fonctionnent mais ils tendent à être toujours remis en cause. Il faut être conscient du décalage entre les souhaits et la réalité. Ces mesures sont des « rustines », et leur pérennité est pour le moins incertaine. Dureront-elles quelques mois, quelques années ? L'expérience montre que ce type d'arrangement n'est jamais durable. Il faut éviter à l'avenir de recourir à ce procédé, sous peine d'être obligé de l'utiliser de manière systématique.

Il semble que la Commission s'apprête à remettre en cause l'ensemble des OCM, pas forcément dans le but de les démanteler mais pour élaborer un cadre unique, une OCM unique à la place de toutes les OCM existantes. Elle a en tout cas lancé une réflexion sur ce sujet. M. Jérôme Lambert a conclu son intervention en indiquant qu'il apportait son soutien aux propositions du rapporteur mais qu'il était néanmoins inquiet.

Le rapporteur a rappelé qu'aujourd'hui le principal problème est le poids des Etats-Unis sur le marché de la banane. Depuis les années 2000, le marché se trouve de ce fait déséquilibré, à cause du sur-approvisionnement en bananes « dollars ». En conséquence, les aides compensatoires sont devenues insuffisantes. Or l'un des principaux objectifs affichés par l'Union européenne est bien l'objectif de cohésion. En Martinique, la production de bananes est la seule production d'exportation. Si cette production devait disparaître, cela serait catastrophique, et pas uniquement pour les producteurs : le secteur du fret serait gravement touché, il y aurait un renchérissement du coût de la vie, ainsi qu'un problème social considérable, étant donné le nombre de familles vivant de cette production. Dans la mesure où un tiers de l'espace rural martiniquais serait laissé en friche, les conséquences seraient également graves pour le tourisme.

A cause des Etats-Unis, le volet externe de l'OCM ne donne pas satisfaction. C'est pourquoi il faut un renforcement de son volet compensatoire. Certes, il y a des divergences entre les Etats européens concernés, puisque par exemple la production de bananes aux Canaries se porte plutôt bien. Malgré ces divergences, les quatre Etats sont parvenus à former un front commun : la France n'est donc plus seule face à la Commission. Il importe que la Délégation apporte son soutien à la position du gouvernement français.

M. Jacques Myard a demandé quelques précisions techniques, notamment sur la nature des aides versées : s'agit-il d'aides directes à l'agriculture ?

Le rapporteur a répondu qu'il s'agit effectivement d'aides au revenu.

M. Jacques Myard a souligné combien cette question comporte une menace pour les intérêts français, puisqu'il peut aboutir à déstabiliser gravement la Martinique et la Guadeloupe. Ce dossier est explosif. Il faut demander le rétablissement de la préférence communautaire. Cela équivaut à remettre en cause la politique ultra-libérale de l'OMC, mais c'est nécessaire si l'on ne veut pas créer les conditions d'une révolte sociale dans les Antilles. Il faut exiger la mise en place d'une dérogation permettant de rétablir la préférence communautaire. M. Jacques Myard a demandé que la Délégation exprime une prise de position ferme en ce sens.

Le rapporteur a complété l'intervention de M. Jacques Myard en faisant observer que la remise en cause de cette préférence communautaire traduit une tendance qui risque de miner l'ensemble de la politique agricole commune.

M. Didier Quentin a exprimé son accord avec la demande de M. Jacques Myard, et rappelé que cette question a souvent été un sujet de combat pour la diplomatie française, et notamment pour le Président de la République.

M. Jacques Myard a observé que les Etats-Unis, pragmatiques, pratiquent ce qui équivaut à une « préférence américaine ». Le rétablissement de la préférence communautaire est justifié.

M. Didier Quentin a regretté que, contrairement aux bananes « dollars », les bananes produites dans l'Union européenne ne soient pas assez clairement identifiées sur les étalages, et que seules les bananes « dollars » fassent l'objet d'un marquage visuel efficace.

M. André Schneider a approuvé la proposition du rapporteur et s'est réjoui que la Délégation agisse pour préserver les espaces ruraux et les activités agricoles de la Guadeloupe et de la Martinique. Il s'est déclaré surpris par les différences de prix des bananes entre la France et l'Allemagne, où celles-ci sont vendues moins chères, et a souhaité savoir si ce différentiel découlait d'accords bilatéraux conclus par la France avec certaines de ses anciennes colonies.

Le rapporteur a précisé que la France n'a plus d'accords bilatéraux dans ce domaine, qui est régi par les accords conclus par l'Union européenne avec les pays ACP. Il a indiqué que certains Etats membres, en particulier parmi ceux ayant adhéré le 1er mai 2004, s'approvisionnent exclusivement en bananes « dollars ». Celles-ci sont moins chères mais ne répondent pas à nos exigences de qualité et sont produites dans des conditions sociales proches de l'esclavage.

M. Jacques Myard a souhaité ajouter un 5ème paragraphe aux conclusions proposées par le rapporteur, ainsi libellé : « 5. Estime cependant qu'il s'agit là d'un pis-aller et qu'il est urgent de reconsidérer la question pour maintenir la préférence communautaire, qui est la seule de nature à éviter la déstabilisation sociale aux Antilles ».

Le Président Pierre Lequiller a également proposé d'ajouter un 5ème paragraphe aux conclusions, ainsi rédigé : « 5. Demande néanmoins le maintien de la préférence communautaire, principe auquel la Délégation est attachée et qui est le seul de nature à éviter la déstabilisation sociale aux Antilles ».

M. Jacques Myard a indiqué se rallier à la formulation proposée par le Président Lequiller.

A la suite de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions suivantes, ainsi modifiées :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil concernant les taux de droits applicables aux bananes (COM [2005] 433 final/document E 2957),

Considérant que la Commission estime que le niveau de tarif proposé pour les importations de bananes, applicable au 1er janvier 2006, doit permettre de maintenir l'équilibre des flux d'approvisionnement ;

Considérant, toutefois, que la compétitivité des prix des bananes communautaires est inférieure à celle des bananes produites en Amérique centrale et dans les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), lesquelles bénéficieront, avec le nouveau droit de douane, d'un avantage de compétitivité supplémentaire, qui remettra en cause la préférence communautaire,

Considérant que la production de bananes apporte une contribution décisive à l'emploi et au développement économique des Antilles françaises,

Considérant que la France demande que le nouveau régime tarifaire puisse permettre de protéger la production européenne de bananes et préserver les intérêts des pays ACP, et fait un lien entre cette question et le dispositif d'aide aux producteurs, qui, en toute hypothèse, doit impérativement évoluer,

1. Rappelle à la Commission européenne qu'elle s'est engagée à tenir compte de toute évolution de l'équilibre des flux d'approvisionnement se faisant au détriment des producteurs communautaires antillais, qui opèrent dans des régions souffrant de handicaps spécifiques, reconnus par le traité instituant la Communauté européenne ;

2. Juge que le niveau de tarif retenu en raison des arbitrages rendus au sein de l'Organisation mondiale du commerce condamnera les producteurs communautaires à commercialiser leurs bananes à des prix inférieurs aux prix actuels ;

3. Demande que soit pris en compte le risque que représente, pour les producteurs communautaires, un afflux de bananes africaines vendues à un prix inférieur à celui du marché européen, en envisageant les dispositifs adéquats, notamment au travers du nouveau régime d'aide ou d'une clause de sauvegarde spécifique ;

4. Soutient le Mémorandum sur un nouveau régime d'aide aux producteurs transmis à la Commission européenne par Chypre, l'Espagne, le Portugal et la France, lequel prévoit notamment :

- l'octroi d'un droit à paiement à chaque producteur, sur la base des aides perçues au cours de la période 2000-2004 ;

- l'institution d'une enveloppe budgétaire minimale pour ce soutien, égale au montant global annuel le plus élevé des aides versées au cours de la période de référence ;

- le maintien intégral, au terme de chaque période de trois ans, des droits pour les producteurs réalisant au moins 70 % de leurs quantités de référence, avec une réduction des droits, selon une règle de dégressivité à définir, pour les producteurs se situant en deçà de ce seuil.

5. Demande néanmoins le maintien de la préférence communautaire, principe auquel la Délégation est attachée et qui est le seul de nature à éviter la déstabilisation sociale aux Antilles françaises. »

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné trois textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Point B

¬ Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un protocole modifiant l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédoine, d'autre part, sur un contingent tarifaire à l'importation dans la Communauté de sucre et de produits à base de sucre originaires de l'ancienne République yougoslave de Macédoine (document E 2960).

¬ PESC et relations extérieures

- projet de position commune du Conseil concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Ouzbékistan (document E 2974) ;

- projet de règlement du Conseil imposant certaines mesures restrictives concernant l'Ouzbékistan (document E 2975).

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé ces textes.