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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 143

Réunion du mercredi 2 novembre 2005 à 16 heures 45

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, après le sommet informel des chefs d'Etat et de gouvernement du 27 octobre 2005.

Le Président Pierre Lequiller a introduit le débat en évoquant trois questions relatives au contenu des discussions du Conseil européen informel d'Hampton Court :

- le projet de fonds « anti-chocs » destiné à aider les salariés victimes de restructurations liées à la mondialisation : quelle a été l'attitude de nos partenaires à propos de ce projet auquel la France est attachée ?

- les perspectives financières. Le Président a indiqué que la Délégation a décidé d'envoyer certains de ses membres en mission dans les Etats membres pour défendre les positions de la France à ce sujet. La présidence britannique a-t-elle effectivement intérêt à aboutir à un accord avant fin décembre ?

- les négociations commerciales internationales : la France parvient-elle, à cet égard, à réunir ses partenaires autour de ses positions ?

Madame Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, a évoqué le contenu des discussions du Conseil européen en estimant en premier lieu qu'il fallait savoir gré à M. Tony Blair d'avoir organisé cette rencontre pour favoriser la reprise du dialogue. La présidence avait souhaité que seuls les chefs d'Etat et de gouvernement y soient conviés. Aucun ministre n'y était donc présent. Par ailleurs, le caractère informel du Conseil européen a conduit la présidence à ne présenter que des conclusions orales. Le débat a été ouvert et convivial. Il y avait « accord sur la méthode » : s'attacher à ce qui rassemble et non pas à ce qui divise, ce qui a permis au sommet de se dérouler dans un esprit constructif.

Avant d'aborder les questions de fond, les chefs d'Etat et de gouvernement ont unanimement condamné de la manière la plus ferme les propos du président iranien contre Israël. A la demande du Président de la République, une déclaration a également été faite, qui enjoint à la Syrie d'apporter toute la lumière sur l'assassinat de l'ancien premier ministre M. Rafic Hariri. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a adopté depuis, lundi 31 octobre, une résolution allant dans le même sens. Enfin les chefs d'Etat et de gouvernement se sont engagés à apporter toute l'aide possible aux victimes des tremblements de terre survenus au Pakistan ces dernières semaines.

La ministre a ensuite rappelé que ce Conseil européen informel devait permettre, sur la base d'un document rédigé par la Commission européenne, d'avoir un débat sur les grands défis de la mondialisation que l'Europe doit relever.

La France attendait de ce premier rendez-vous des chefs d'Etat et de gouvernement, depuis l'échec du Conseil européen de juin dernier, qu'il permette de redonner à l'Europe une impulsion nouvelle, avec des orientations concrètes montrant que l'Europe peut améliorer la vie quotidienne des citoyens. C'est ce qu'avait clairement indiqué le Président de la République dans sa tribune publiée la veille du Conseil européen dans les
25 Etats membres. La France s'est ainsi rendue à Hampton Court dans un esprit constructif avec des propositions précises sur l'avenir de l'Europe. Les chefs d'Etat et de gouvernement sont-ils parvenus à un accord sur la direction à donner à l'Europe ? Des pistes de travail
ont-elles été dégagées, s'agissant notamment des politiques qui doivent être soit consolidées soit développées ?

La ministre a indiqué que pour la France, la réponse est clairement oui. Tout d'abord parce que le diagnostic est partagé entre les Etats membres : les pays européens doivent répondre aux défis de la mondialisation, en mettant en place une économie moderne et adaptée, qui apporte aux peuples européens prospérité, compétitivité mais aussi sécurité et protection. La ministre a souligné que c'était un des enseignements importants qu'elle tirait des déplacements qu'elle a effectués depuis septembre, auprès de plusieurs de nos partenaires, dont l'Irlande, le Danemark, la Finlande, la Slovaquie, la République tchèque. Sur ces questions, il n'y a pas et il ne saurait y avoir d'affrontement entre modèles. Cette convergence s'est nettement manifestée au cours du Conseil européen. L'Europe, parce qu'elle a la taille critique nécessaire, est apparue comme la meilleure réponse à la mondialisation car elle constitue le cadre d'action irremplaçable pour en relever les défis.

Madame Catherine Colonna a estimé que le deuxième résultat de ce sommet résidait dans le fait que les chefs d'Etat et de gouvernement ont pu arrêter des priorités d'action. Si l'Europe a tous les atouts pour être au premier rang de l'économie mondiale, elle est encore loin d'être la zone la plus compétitive du monde, comme l'objectif en a été fixé il y a cinq ans avec la stratégie de Lisbonne. C'est pourquoi il a été décidé de porter l'accent sur la recherche et l'innovation. Il est nécessaire de dynamiser ces politiques d'avenir, qui sont gages de compétitivité et des emplois de demain. Plusieurs idées sont sur la table pour atteindre l'objectif, d'ici 2010, de consacrer 3 % du PIB européen à la recherche et à l'innovation. Le Président de la République a par exemple proposé la création d'une « Agence européenne de l'innovation ». Le Conseil européen de la recherche dont la Commission propose la mise en place pourrait constituer une première étape et c'est pourquoi la France en soutient le principe.

Il faut également réfléchir aux moyens de stimuler la dépense privée, par exemple en développant le capital risque au plan européen, et ce point a également été abordé à Hampton Court. Enfin, reprenant et approfondissant une suggestion de la présidence luxembourgeoise, le Président de la République a proposé de créer, par un recours à la Banque européenne d'investissement, une nouvelle facilité de 10 milliards d'euros finançant des projets en matière de recherche et d'innovation. Ainsi, par un effet de levier, avec des cofinancements publics et privés, cela permettrait d'investir 30 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2013. Cette initiative a été bien accueillie par nos partenaires.

La ministre a ensuite souligné que relever le défi de la mondialisation ne consistait pas seulement à en tirer les bénéfices pour gagner en compétitivité, mais aussi à réagir aux conséquences sociales qu'elle peut engendrer. Dans ce cadre, les chefs d'Etat et de gouvernement ont évoqué la proposition de la Commission visant à créer un fonds d'adaptation à la mondialisation. Cette proposition, déjà faite il y a deux ans, est aujourd'hui reprise, ce qui témoigne de la part de la Commission d'une prise en compte croissante de la dimension sociale de l'action européenne. Ce fonds serait utilisé pour faire face à un choc économique ou pour aider ceux qui sont victimes des délocalisations. C'est pourquoi la France en soutient le principe. Il reste évidemment à préciser les modalités et le financement d'un tel fonds. Et, si certains de nos partenaires n'ont pas caché leurs réticences sur la mise en place de ce fonds, il faut noter que plusieurs Etats membres, notamment le Royaume-Uni, y sont favorables. La présidence a ainsi indiqué que des propositions concrètes seraient prochainement élaborées à ce sujet.

La ministre a par ailleurs indiqué que le Conseil européen informel avait aussi permis d'aborder d'autres grands défis auxquels l'Europe est aujourd'hui confrontée.

En ce qui concerne tout d'abord l'énergie, sujet capital dans un contexte de hausse du prix du pétrole, de raréfaction des ressources en hydrocarbures et d'une nécessité de plus en plus forte de lutter contre le réchauffement climatique. Les chefs d'Etat et de gouvernement se sont ainsi tous prononcés en faveur de la mise en place d'une véritable politique européenne en la matière, qui à ce jour fait défaut. La France, qui dans ce domaine a de réels atouts, une politique et des opérateurs puissants, a pour sa part indiqué qu'elle présenterait pour le début de l'an prochain un mémorandum sur la sécurisation et la diversification des approvisionnements énergétiques, ainsi que la définition de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui, comme l'a précisé le Président de la République lors de sa conférence de presse jeudi soir, devront être plus contraignants à l'avenir.

S'agissant ensuite de la démographie, la ministre a indiqué que le constat était également unanime : plusieurs de nos pays vont voir leur population vieillir et baisser dès les prochaines années. Cela affecte à long terme nos possibilités de croissance économique et c'est une différence avec les autres grands ensembles du monde. Certaines priorités d'action ont ainsi été définies : encourager la natalité, mieux concilier les vies professionnelles et familiales, développer les équipements pour la petite enfance. Là encore, même si dans ces domaines le rôle des Etats reste primordial, l'Europe doit prendre toute sa part pour redynamiser la démographie. Quelles seront les suites ? Comme l'a proposé le Président, dans un premier temps, la Commission procèdera à un état des lieux de nos perspectives démographiques et de nos politiques dans ce domaine, pour aider à cette prise de conscience. Par ailleurs, la présidence a indiqué que des pistes de travail seraient élaborées pour le sommet de décembre en vue d'adopter des conclusions au Conseil européen du printemps 2006.

La ministre a par ailleurs rappelé que, conformément au souhait de la présidence, la question des universités était également à l'ordre du jour. Les chefs d'Etat et de gouvernement se sont à ce propos prononcés en faveur de réformes jugées nécessaires pour permettre aux universités européennes de gagner en attractivité sur la scène internationale. En particulier, les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de faire de la coordination des universités une priorité et de développer des pôles d'excellence en Europe.

Madame Catherine Colonna a indiqué que les questions de sécurité avaient été également abordées, en particulier l'immigration clandestine et le terrorisme. Pour répondre au risque d'une immigration clandestine massive, et comme l'ont encore récemment montré les drames de Ceuta et de Melilla, l'Europe peut apporter des réponses. Ces réponses sont une des conditions pour une immigration légale réussie. Le Président de la République et le Président du gouvernement espagnol, M. José Luis Zapatero, ont présenté leur position commune sur ce sujet. L'enjeu majeur, c'est le développement. Nous devons donc augmenter notre aide, notamment par des financements innovants, mais aussi mieux utiliser cette aide pour pallier les manques en infrastructures élémentaires et vitales, transports, eau, énergie, télécommunications. Notre réponse passe aussi par la protection des frontières extérieures de l'Union et par la conclusion d'accords de réadmission des immigrants illégaux. La présidence britannique a indiqué, sans préciser de date, que devrait être organisé, comme le suggère l'Espagne, un sommet entre l'Union européenne et l'Afrique au niveau ministériel sur les questions de migration. Notre pays y est favorable. S'agissant de la lutte contre le terrorisme, qui constitue également une priorité, la nécessité d'agir de façon plus coordonnée à 25 a également été réaffirmée. Dans ce cadre, la présidence britannique a indiqué qu'il faudrait développer une stratégie européenne de contre-terrorisme destinée à prévenir les phénomènes de radicalisation, à protéger les infrastructures, à assurer une meilleure coopération et un meilleur échange d'informations entre les Etats.

La ministre a précisé que les questions de sécurité extérieure avaient été brièvement évoquées. Le message principal de M. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, aura consisté à souligner la nécessité d'augmenter les dépenses de recherche pour développer les capacités militaires de l'Union. Le Président de la République a fait valoir qu'il fallait renforcer l'influence de l'Europe dans le monde et qu'il fallait donc donner à l'Europe les moyens d'assumer pleinement ses responsabilités internationales.

Mme Catherine Colonna a souligné qu'il était important que les chefs d'Etat et de gouvernement reconnaissent que l'ensemble de ces sujets sont autant de défis à relever dans les années qui viennent et que l'action de l'Europe est nécessaire dans ces domaines. La présidence a par ailleurs indiqué que des propositions seraient présentées sur tous ces sujets lors du Conseil européen de décembre. La Commission devrait, pour sa part, comme l'a déclaré son président, présenter un rapport d'étape sur ces sujets lors du Conseil de décembre pour permettre aux chefs d'Etat et de gouvernement d'arrêter les décisions nécessaires lors du Conseil européen du printemps ou de l'automne 2006.

S'agissant des perspectives financières 2007-2013, la présidence britannique ne souhaitait pas avoir de débat de substance sur ce point à Hampton Court. Tel était son choix et il en a été pris acte. Cependant, plusieurs chefs d'Etat et de gouvernement ont voulu les évoquer. Sur le fond, rien de fondamentalement nouveau n'a été dit. Les positions sont bien connues. Pour la France, le « paquet Juncker » était et reste une bonne proposition, car il permet à la fois de consolider les politiques actuelles telles que la PESC et l'innovation ou la recherche, de développer de nouvelles politiques et de financer l'Europe élargie dans le respect des engagements pris lors de la réforme de la PAC. Il n'impose donc pas de choisir entre des politiques communes et la solidarité avec les nouveaux entrants.

Parvenir à un accord suppose cependant un financement équitable et ainsi une réforme du rabais britannique que rien ne justifie plus aujourd'hui et dont le maintien exonèrerait le Royaume-Uni de sa part dans le financement de l'élargissement.

Les échanges ont montré qu'une large majorité d'Etats membres souhaitait reprendre la proposition luxembourgeoise comme base de négociation. Les nouveaux Etats membres notamment sont inquiets de l'absence de proposition nouvelle de la présidence britannique, qui s'est contentée d'entretiens bilatéraux au cours desquels elle s'est plutôt intéressée aux demandes de ses interlocuteurs.

La présidence a cependant annoncé ses propositions pour le mois de novembre qui s'annonce. Quelques indications pourraient être données lors du prochain Conseil « Affaires générales » du 7 novembre prochain.

La France souhaite que la présidence fasse ses propositions et que celles-ci soient de nature à faire l'objet d'un consensus au sein de l'Union. En pratique, cela suppose de repartir de la cinquième version de la proposition luxembourgeoise, avec la possibilité de quelques ajustements. S'il faut en revanche entamer un travail de plusieurs années, les perspectives de succès ne sont pas les mêmes.

En ce qui concerne les négociations commerciales internationales, le Président de la République a fait part, en séance comme en conférence de presse, de ses doutes sur le dépôt d'une nouvelle offre en matière agricole, alors que la Commission a fait des concessions importantes dans ce domaine et que la négociation ne progresse pas sur les autres volets (industrie, services, développement).

Le Président de la République a eu l'occasion de réaffirmer que la France n'accepterait pas de remise en cause de la PAC. Il s'agit pour elle d'une « ligne rouge ». Elle se tiendra à sa position, à savoir le respect intégral de la PAC telle que réformée en 2003, faute de quoi elle ne pourrait approuver les positions qui seraient prises à Hong-Kong. Cette position de principe n'est pas seulement celle de la France. C'est la ligne officielle de l'Union. Le texte du Conseil « Affaires générales » du 18 octobre dernier indique que la réforme de la PAC de 2003 constitue la contribution de l'Union à la négociation commerciale internationale agricole. Elle représente donc une limite au mandat de négociation de la Commission.

Depuis, la Commission a pris l'initiative d'une deuxième offre sur l'agriculture dans le cadre des négociations à l'OMC. La France reste réservée sur l'opportunité de ce dépôt qui s'inscrit dans la continuité d'une stratégie de concessions unilatérales de l'Europe, laquelle est à ce jour restée infructueuse. Elle comporte toutefois un certain nombre d'éléments que celle-ci demandait, ce qui montre qu'elle a été partiellement entendue, notamment sur le rééquilibrage de la négociation entre les différents volets, puisqu'il n'y aura accord global que s'il y a équilibre entre ceux-ci, et la faculté de clauses de sauvegarde sur certains produits sensibles. L'offre prévoyant une forte diminution des tarifs agricoles, la France maintient dans l'ensemble ses doutes sur sa compatibilité avec le mandat de la Commission européenne. C'est à cette dernière qu'il appartient de démontrer que son offre s'inscrit dans le mandat qui lui a été donné, et non l'inverse.

S'agissant enfin de l'information des parlementaires sur le sommet informel, la contribution de la Commission, le texte de la conférence de presse du Président de la République ainsi que du premier ministre britannique, le relevé de conclusions de la présidence et la déclaration écrite transmise au Parlement par le premier ministre du Royaume-Uni, qui a un statut officiel dans l'ordre constitutionnel britannique, sont autant d'éléments à la disposition des députés.

Plusieurs membres de la Délégation sont ensuite intervenus.

M. François Guillaume a fait part de ses doutes sur les conséquences pratiques du sommet, au cours duquel les participants ont beaucoup parlé et qui se traduit par des éléments trop généraux, ainsi que sur la compatibilité de certains des sujets évoqués, tels que la natalité, avec le respect du principe de subsidiarité. Des initiatives importantes auraient au contraire été souhaitables, notamment sur l'énergie où le problème du pétrole devrait conduire à un développement des biocarburants pour lequel des obstacles fiscaux, voire techniques, avec à l'arrière plan la présence d'intérêts pétroliers majeurs, doivent être levés dans certains pays, en vue d'une situation plus homogène et, également, plus respectueuse de l'environnement. De la même manière, il faut regretter qu'en matière d'immigration ou de lutte contre le terrorisme, on en soit resté aux idées générales, ce qui ne permet pas de saisir quelles en seront les conséquences concrètes. S'agissant des perspectives financières, la position de la France doit être défendue. Il n'y a plus aucune justification au maintien du rabais britannique, qui a été à l'époque mis en place en raison du maintien des approvisionnements agricoles auprès des pays du Commonwealth et du refus britannique de verser à l'Union les droits correspondants. Ces éléments ont disparu depuis longtemps. En ce qui concerne enfin l'OMC, la ministre ayant parlé de « ligne rouge », faut-il en conclure que le compromis de Luxembourg reste valable ? Ce devrait être le cas puisque le traité constitutionnel n'a pas été adopté. Par ailleurs, il convient de savoir quel va être le calendrier des interventions des uns et des autres, puisque la Commission est responsable des négociations et qu'il n'est jamais arrivé par le passé que l'on interroge les ministres des Etats membres une fois l'accord conclu. C'est d'ailleurs le contraire aux Etats-Unis où celui-ci doit être présenté au Congrès, ce qui permet d'exercer un véritable droit de repentir sur les concessions octroyées pendant la négociation. La question est importante puisque des doutes sont émis sur la conformité des offres de la Commission à son mandat.

M. Jean-Claude Lefort a préalablement relevé que si le sommet avait été informel, tel n'était pas le cas des propositions du commissaire chargé du commerce, M. Peter Mandelson. Il faut, en effet, craindre qu'une fois un accord conclu, aucun retour en arrière ne sera possible. Les « lignes rouges » ont été franchies par le doublement de l'offre de la Commission. Tel est en premier lieu le cas pour l'agriculture française, notamment la petite agriculture, avec une offre qui méconnaît les bases de la souveraineté alimentaire d'un Etat ou d'un groupe d'Etats, étant rappelé que des accords tels que ceux sur la banane ont condamné les exploitations des Antilles au profit de la « banane dollar ». Cela sera-t-il demain le cas pour le sucre ?

L'hypothèse d'un veto de la France sur les négociations en cours a été évoqué. La seule parade pour la France consiste à présenter le problème devant les assemblées parlementaires.

En second lieu, la Commission a franchi une « ligne rouge » dans le domaine des services. Une offre a été faite dans des termes qui visent à sortir de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) et prévoit d'obliger les Etats du Sud d'ouvrir leur marché pour 90 des 160 rubriques de la liste prévue. Il faut rappeler qu'un élément de cet accord AGCS prévoit, de manière similaire à la directive « Bolkestein », le principe du pays d'origine. S'agissant d'ailleurs de cette proposition d'acte communautaire, il semblerait que l'Autriche ait demandé son retrait lors du sommet informel et que la Suède soit dans un état d'esprit similaire.

Les circonstances sont en définitives suffisamment mûres pour que le politique s'impose au niveau communautaire.

En réponse, la ministre a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant du principe de subsidiarité, il a été respecté, puisque le sommet s'est seulement limité à des orientations sans avoir pour objectif de fixer des règles précises. Pour autant, la nécessité de respecter la compétence des Etats membres ne signifie pas que l'action de l'Union européenne soit inutile. Celle-ci doit pouvoir prendre des mesures, par exemple en ce qui concerne la prévention de la grippe aviaire, en vue de coordonner l'action des Etats membres. L'action de l'Union européenne est au demeurant nécessaire car elle peut offrir des financements ayant des effets de levier dans des domaines tels que la démographie ou l'énergie. A cet égard, les conclusions orales du sommet citent les technologies propres et la diversification des sources énergétiques parmi les orientations que l'Europe doit prendre dans le domaine des énergies renouvelables. Pour sa part, la France présentera un mémorandum sur les orientations à suivre en matière énergétique au mois de janvier 2006. Mais en tout état de cause, la présidence est bien consciente du rôle que doivent jouer les biocarburants dans la politique énergétique de l'Europe ;

- dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, l'Europe est là encore un cadre nécessaire. En octobre 2001 et en mars 2004, des plans d'action ont été adoptés dans le domaine de la coordination de la police et de la justice. Un coordinateur de la lutte antiterroriste a été désigné. Le mandat d'arrêt européen a été créé. Les moyens d'Europol ont été renforcés ;

- pour ce qui est des négociations à l'OMC, évoquer le compromis de Luxembourg n'a pas lieu d'être. La Commission négocie pour le compte des Etats membres et non pour son propre compte. Par conséquent, elle détient un mandat de négociation du Conseil et ce dernier vérifie que la Commission en a bien respecté le cadre. Il en résulte dès lors que, si la Commission ne peut prouver qu'une offre entre dans le cadre du mandat, cette dernière n'engagera pas les Etats membres. Dans ce contexte, un accord éventuel - adopté à l'unanimité - à l'issue du cycle de négociations, qui ne serait ni global, ni équilibré, ne saurait recueillir l'adhésion de la France, comme l'a confirmé le Président de la République.

Pour le moment, se poursuit l'examen de la conformité des offres présentées par la Commission à son mandat, tel qu'il a été décidé par le Conseil des « Affaires générales » du 18 octobre 2005. Celui-ci a en effet rappelé que la réforme de la PAC intervenue en 2003 constituait la limite du mandat de négociation accordé à la Commission, ce qui lui interdit de présenter des offres qui entraîneraient des réformes supplémentaires ;

- en ce qui concerne l'accord AGCS et la proposition de directive relative aux services dite Bolkestein, le premier autorise les gouvernements à réglementer les services, la France ayant un intérêt important en la matière puisqu'elle est la quatrième puissance exportatrice dans le monde et la deuxième en Europe. Quant à la proposition de directive sur les services, elle retient le principe du pays d'origine, source de nombreuses contestations, à la différence de l'accord AGCS qui repose sur la législation du pays de destination. Enfin, alors que la proposition de directive sur les services couvre tous les secteurs, l'accord AGCS limite le principe de libéralisation des services aux seuls secteurs choisis par les Etats. Il importe d'observer que la proposition initiale de directive sur les services devra être revue, par la Commission, le Conseil européen ayant demandé sa remise à plat en mars 2005 à l'initiative de la France, et le Parlement européen se prononçant sur ce texte très prochainement.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la Délégation avait pris la décision de renforcer ses liens avec les membres du Parlement européen en invitant ces derniers à ses travaux, comme ce fut d'ailleurs le cas lors de l'examen par la Délégation de la proposition de directive sur les services. Il a indiqué que la Délégation se déplacerait à Bruxelles au siège du Parlement européen le 30 novembre 2005 pour y avoir une réunion de travail avec les membres du Parlement européen sur la proposition de directive sur les services.

Mme Anne-Marie Comparini a souligné l'utilité de la « causerie » qui a eu lieu entre les dirigeants européens, y voyant une bonne méthode de travail. Elle a déclaré, qu'en cette période où la construction européenne traverse une crise, les citoyens attendaient des plans d'action détaillés plus parlants. Elle a fait part de ses doutes quant à la pertinence des discussions sur des perspectives budgétaires - qui couvrent la période 2007-2013 - sans que celles-ci soient suivies d'actions concrètes. Pour ces raisons, elle a souhaité savoir si une feuille de route, qui proposerait une méthode de travail concrète, a été évoquée lors de ce sommet informel.

M. Christian Philip s'est dit satisfait que le Conseil européen se soit déroulé dans une bonne ambiance mais a souligné que les Français ne s'approprient plus l'Europe. Le Conseil européen de Hampton Court a-t-il eu un effet positif sur l'image de l'Union européenne ? Il semble bien que non. La presse s'est plutôt fait l'écho d'une certaine paralysie, et les Français n'ont retenu de ce sommet que l'absence d'avancées sur le budget, la discussion sans réel résultat sur le fonds d'adaptation proposé par la Commission, et le problème des négociations dans le cadre de l'OMC.

M. Christian Philip a exprimé le souhait que les chefs d'Etat et de gouvernement évitent de se réunir sans résultat. Le prochain rendez-vous est le Conseil européen du mois de décembre. Dans cette perspective, ne faudrait-il pas un plan d'action ? Il convient de déterminer comment sera expliqué aux Français, avant et après, ce qui va se passer lors de ce Conseil européen. Si l'Union européenne continue de renvoyer l'image de « réunions pour rien », la réappropriation, si nécessaire, de l'Europe par ses citoyens sera très difficile. Dans la mesure où l'on peut espérer que les conclusions du Conseil européen de décembre ne seront pas complètement négatives, il faut prévoir leur mise en valeur, se préparer avant et expliquer après.

La ministre a répondu qu'il n'était pas mauvais de se réunir parfois pour « causer », c'est-à-dire pour engager une réflexion sur des questions d'avenir au-delà des négociations immédiates portant sur le « paquet » budgétaire. Il relève des prérogatives de la présidence de l'Union d'organiser le travail du Conseil européen. Le Conseil européen de Hampton Court a été utile, compte tenu de l'échec du Sommet de juin dernier, pour renouer avec l'esprit de consensus européen. De plus, ce Conseil informel ne devant, par définition, déboucher sur aucune décision, a permis de dégager des orientations.

Certes, la méthode communautaire présente l'inconvénient d'être longue. C'est la rançon de la démocratie, et cela permet notamment de consulter le Parlement européen. Cette méthode impose des délais mais elle est particulièrement nécessaire sur des sujets importants jusqu'ici, trop souvent négligés par l'Union européenne. Ainsi, le domaine de la recherche : l'objectif de l'Union européenne est d'atteindre 3 % de son PIB, alors qu'aujourd'hui l'Europe ne consacre aux dépenses de recherche qu'un peu moins de 2 % de son PIB, et que plus de 90 % de ces dépenses sont effectuées au niveau des Etats membres. Ces dépenses sont également caractérisées par de grandes inégalités entre fonds publics et fonds privés.

Ce Conseil européen a été utile dans la mesure où il constitue une première étape, qui devra être suivie d'autres rencontres menant à des décisions. Il sera possible d'en juger en fin d'année, à l'issue de la présidence britannique. La ministre a indiqué qu'elle ne partageait pas complètement le point de vue de M. Christian Philip, considérant que ce sommet informel a permis d'aborder des questions d'avenir comme l'énergie, l'éducation et la recherche, sur lesquels les Etats membres auraient tous à gagner à travailler davantage ensemble.

M. Didier Quentin a posé à Mme la ministre les deux questions suivantes :

- concernant le problème de l'immigration clandestine, il faut saluer les propos tenus par le Président de la République et par le premier ministre espagnol, ainsi que la proposition du premier ministre britannique d'organiser sur ce thème une rencontre avec les Etats africains. La situation de la Bulgarie et de la Roumanie, et la question de la population Rom, ont-elles été évoquées lors du Conseil européen ?

- concernant le recours éventuel au « compromis de Luxembourg », la France peut-elle aujourd'hui compter sur le soutien de certains de ses partenaires ?

Mme Arlette Franco a souligné qu'il faut réconcilier les Français avec l'idée de l'Europe. Elle s'est déclarée particulièrement sensible aux problèmes liés à la démographie, étant chargée d'une mission sur ce thème. Ces problèmes relèvent surtout de la compétence des Etats membres, mais pourrait-il y avoir des règles permettant de s'assurer que les femmes peuvent exercer leur liberté de circulation et d'établissement afin de chercher un emploi partout dans l'Union, d'une part, et incitant les collectivités à créer des établissements pour la petite enfance, d'autre part ?

Par ailleurs, concernant les travailleurs étrangers dans l'Union, légaux ou illégaux, y a-t-il des mesures permettant d'aborder efficacement ce problème ?

En réponse, la ministre déléguée aux affaires européennes a indiqué que la question des futures adhésions à l'Union européenne n'avait pas été évoquée lors du sommet informel. Pour les adhésions les plus récentes, la France ainsi que onze de ses partenaires utilisent vis-à-vis de huit des dix nouveaux Etats membres les possibilités de dérogation à la libre circulation des travailleurs prévues par le traité d'adhésion. A l'issue de la première période transitoire, qui s'étend du 1er mai 2004 au 1er mai 2006, la France comme ses partenaires devront décider s'ils souhaitent prolonger la dérogation, comme le traité le permet. Pour ce qui est de la France, la décision fait l'objet de réflexions internes, et plusieurs paramètres seront pris en compte par le Gouvernement, parmi lesquels la situation du marché du travail.

La France dispose de partenaires pour construire l'Europe. A l'unanimité, les 25 Etats membres ont ainsi rappelé à la Commission les limites de son mandat de négociation dans le cadre de l'OMC, lors du Conseil « Affaires générales et relations extérieures » du 18 octobre dernier. Ces limites sont définies par la politique agricole commune réformée. Il est erroné de croire que la France est la seule à avoir l'ambition d'une Europe politique, dont l'intégration progresse. On peut regretter que cette erreur soit fréquemment faite au sujet des nouveaux Etats membres, qui sont attachés à une Europe forte, qui ne soit pas seulement un grand marché. Ils sont favorables à la dimension sociale de l'Europe, et engagés dans l'ensemble des politiques, ainsi que d'autres Etats membres ayant plus récemment adhéré à l'Union, comme la Finlande.

L'immigration clandestine et le travail illégal ne sont aucunement liés à la construction européenne, mais reposent seulement sur des violations des règles de droit et des dérives comportementales. Il appartient à chaque Etat membre de régler les problèmes au cas par cas.

La Commission et les Etats membres poursuivent leur réflexion sur la politique démographique et familiale. Des décisions devraient être proposées au premier semestre 2006. Les différents moyens d'action de l'Union européenne, subsidiaires par rapport à ceux des Etats membres, sont examinés. Les actions proposées pourraient concerner la création de fonds européens de soutien à des infrastructures, mais aussi l'échange de bonnes pratiques, certains Etats, comme la France, ayant des politiques familiales plus développées que d'autres et de meilleurs résultats.

Après avoir remercié la ministre, le Président Pierre Lequiller a indiqué que différentes initiatives de l'Assemblée nationale et de la Délégation visaient à donner une impulsion à l'information des citoyens en matière européenne. Ainsi, un débat en séance publique aura lieu préalablement au Conseil européen de décembre, une lettre européenne de l'Assemblée nationale va être créée, le site Internet de l'Assemblée nationale sur l'Europe va être amélioré et un questionnaire sur les souhaits des Français concernant l'Europe a été distribué par les membres de la Délégation dans leur circonscription.