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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 144

Réunion du mercredi 9 novembre 2005 à 16 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la Délégation de l'Assemblée nationale
pour l'Union européenne,
et de M. Hubert Haenel,
président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne

Audition, en commun avec la Délégation du Sénat pour l'Union européenne, de M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur les projets européens de libéralisation des transports urbains et ferroviaires (proposition de règlement « obligations de service public » et troisième paquet ferroviaire)

Le président de la Délégation pour l'Union européenne du Sénat, M. Hubert Haenel, a remercié M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, pour sa venue, et lui a rappelé qu'il est fréquent que les délégations pour l'Union européenne entendent des représentants du Gouvernement, évoquant son audition précédente, dans ses fonctions antérieures à la Chancellerie. Il a cependant estimé que l'audition d'aujourd'hui constitue en quelque sorte une nouveauté et s'inscrit dans le cadre des mesures récemment annoncées par le Gouvernement afin de mieux associer le Parlement français aux questions européennes.

Le Premier ministre a décidé en juin dernier de réunir chaque mois un comité interministériel sur l'Europe au cours duquel sont évoquées les questions européennes les plus importantes, c'est-à-dire celles qui ne peuvent être laissées aux seules compétences des administrations. Le relevé des conclusions de chacune de ces réunions interministérielles est transmis aux présidents des délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat. Et il a été convenu que les ministres seraient à la disposition des délégations pour venir exposer dans les meilleurs délais tout point qui aurait été évoqué au cours d'un comité interministériel. Il s'agit d'informer le plus en amont possible les parlementaires français des questions les plus importantes traitées au sein des institutions européennes.

Au cours du comité interministériel du 20 septembre dernier, un point a été consacré aux projets européens de libéralisation des transports urbains et ferroviaires : il s'agit de la proposition de règlement relative aux « obligations de service public » et du troisième paquet ferroviaire. Le Premier ministre a insisté, au cours de ce comité interministériel, pour que le Gouvernement agisse en sorte que la négociation de ces textes soit bien comprise par les Français. Il va de soi que si l'on veut que les Français comprennent cette négociation, il faut d'abord que les parlementaires français eux-mêmes la comprennent. C'est la raison pour laquelle cette audition a lieu aujourd'hui. Elle porte donc sur une question précise et n'est pas destinée à couvrir l'ensemble des questions européennes touchant aux transports.

De plus, pour simplifier les choses autant que possible, cette réunion est organisée avec les membres de la délégation de l'Assemblée nationale. Le président Hubert Haenel a remercié le Président Pierre Lequiller et les députés présents d'avoir fait le déplacement jusqu'au Palais du Luxembourg, rappelant que la prochaine audition commune entrant dans ce cadre se déroulera au Palais Bourbon.

Le président Hubert Haenel a ensuite laissé la parole au ministre, pour qu'il explique le contenu de ces textes, l'état du débat européen à leur sujet, leur incidence sur notre territoire ainsi que la position du Gouvernement français.

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, a rappelé que des négociations communautaires sont aujourd'hui engagées sur des textes particulièrement importants et étroitement liés, pour l'organisation des transports ferroviaires et des transports collectifs urbains. Un premier échange de vues a eu lieu lors du Conseil transports du 6 octobre 2005 et le Parlement européen s'est déjà prononcé en première lecture.

Il a souligné l'importance des transports ferroviaires et des transports collectifs urbains dans le fonctionnement de notre pays, rappelant que nos concitoyens y sont particulièrement attachés et que toute décision les concernant doit être mûrement réfléchie et débattue.

La Commission propose une ouverture progressive à la concurrence dans ces secteurs. Le calendrier ne doit en aucun cas être accéléré. Le ministre est donc tout à fait opposé aux amendements adoptés par le Parlement européen en première lecture, c'est-à-dire à une ouverture en 2008 pour les services internationaux de passagers et à une libéralisation des services domestiques en 2012. Il croit, par ailleurs, que cette libéralisation ne peut s'envisager que dans le respect le plus strict des exigences de service public, de sécurité et des droits des salariés.

Les propositions de la Commission doivent être profondément retravaillées en ce sens. La France a en particulier fait valoir les points suivants :

- le libre accès prévu dans le troisième paquet ferroviaire ne doit pas obliger les Etats membres à mettre systématiquement en concurrence les services faisant l'objet de contrats de service public, c'est-à-dire bénéficiant de subventions ;

- la possibilité de prendre et de laisser des passagers dans des gares intermédiaires situées dans un même Etat membre (ce qu'on appelle le « cabotage consécutif ») doit être encadrée et limitée de telle sorte que le cabotage ne soit qu'un complément accessoire au trafic international et ne constitue pas une ouverture prématurée du trafic intérieur ;

- le développement de la concurrence risque de remettre en cause la péréquation qui existe aujourd'hui entre lignes bénéficiaires et lignes d'aménagement du territoire. Il lui semble donc nécessaire de disposer d'un cadre communautaire permettant d'assurer le financement des lignes déficitaires dans le cadre de contrats de service public. A cet égard, il convient d'introduire la possibilité, pour les Etats membres qui le souhaitent, de mettre en place un système de financement des lignes non rentables qui pourrait prendre la forme d'un prélèvement équitable et non discriminatoire sur l'ensemble des services comme cela existe dans d'autres secteurs tels que le transport aérien, l'énergie ou les télécommunications...

Le ministre s'est dit convaincu de l'impossibilité de réussir la libéralisation des transports collectifs si elle conduit au dumping social. Le texte du projet de règlement « Obligations de Service Public » (OSP) doit donc être amélioré pour garantir le respect des conditions d'emploi des personnels des entreprises de transports, notamment pour prendre en compte les situations particulières des opérateurs historiques du transport urbain, à commencer par la RATP en France (42 000 personnes).

La proposition de la Commission ne tient pas suffisamment compte des spécificités des grandes métropoles et doit être modifiée pour préciser clairement ce qui relève respectivement du transport urbain et du transport régional, cette dernière notion méritant d'être clarifiée.

Il faudra permettre aux opérateurs en place de se préparer à la concurrence et de participer aux appels d'offres dans des conditions équitables. Ainsi les clauses de réciprocité et de période transitoire devront être revues en profondeur.

Enfin, en ce qui concerne le processus de négociation européen, il attache une grande importance à l'articulation du troisième paquet ferroviaire et du règlement OSP, sans que cela implique nécessairement une approbation simultanée. Cependant, les acquis spécifiques qui concernent le ferroviaire dans le projet de règlement OSP devraient pouvoir être inclus dans un éventuel accord politique sur le troisième paquet ferroviaire.

Le Gouvernement souhaite notamment :

- qu'une définition claire de ce qu'est un contrat de service public figure dans ce texte ;

- que les conditions d'une possible attribution directe des contrats de service public pour les services ferroviaires grandes lignes et régionaux soient précisées ;

- qu'une limite claire soit établie entre services ferroviaires régionaux et urbains.

Le ministre a tenu par ailleurs à souligner que le troisième paquet ferroviaire contient d'autres textes, dont la proposition de directive relative à la certification des conducteurs de trains, qui s'inscrit pleinement dans la continuité du deuxième paquet ferroviaire et en particulier de la directive sécurité. Il est pleinement favorable à cette proposition de directive et ce d'autant plus qu'elle a été largement améliorée par le Conseil en prenant en compte notamment les propositions des partenaires sociaux. En instituant des règles communes de formation, de compétences et d'aptitude pour la certification des conducteurs de train, ce texte permettra ainsi d'accroître le trafic ferroviaire international tout en garantissant un niveau de sécurité optimal. La France a donc toujours été favorable à l'adoption de cette directive et souhaite que celle-ci puisse entrer en application rapidement, indépendamment du sort réservé aux autres textes du troisième paquet.

Vient ensuite la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs, destinée à améliorer l'attractivité du transport ferroviaire. Cette proposition peut être accueillie favorablement dans le contexte de l'ouverture future des services. Une attention particulière est accordée aux dispositions relatives à l'assistance aux personnes à mobilité réduite.

Quant à la proposition de règlement portant sur la qualité du fret ferroviaire, elle n'est plus vraiment d'actualité après son rejet par le vote du Parlement européen du 28 septembre 2005. On pouvait d'ailleurs s'interroger sur son opportunité, compte tenu du fait que les mesures proposées relèvent largement du domaine contractuel et des conventions internationales en la matière.

En résumé, la position du Gouvernement sur les quatre textes du troisième paquet ferroviaire et sur l'articulation avec le règlement OSP est la suivante :

- le texte sur la qualité du fret n'a plus lieu d'être ;

- nous sommes très favorables aux textes sur les droits et obligations des voyageurs et sur la certification des conducteurs ;

- sur la libéralisation du trafic international de passagers et son articulation avec le règlement OSP : il maintient que ces textes ne sont pas acceptables en l'état et qu'ils appellent des améliorations et précisions importantes.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que l'Allemagne est l'Etat membre le plus réticent à l'égard de la proposition de règlement rectifiée sur les obligations de service public dans les transports terrestres de voyageurs et a demandé au ministre si la position de cet Etat est susceptible d'évoluer.

Dans le cadre d'une « Europe des projets », le secteur des transports pourrait contribuer à redonner un élan à l'Union européenne. Quel est l'état d'avancement des réseaux transeuropéens de transport ?

En réponse, le ministre a indiqué qu'une réunion technique franco-allemande est prévue la semaine prochaine à Paris. Mais la situation est actuellement délicate du côté allemand, dans l'attente de l'arrivée du nouveau gouvernement. Sur le fond, l'Allemagne a déjà libéralisé ses services ferroviaires, mais doit ménager le cas de ses régies de transport municipales, qui comportent des participations privées minoritaires.

Il s'est dit convaincu que les grands projets d'infrastructures de transport pourraient relancer l'Europe. Ceux-ci sont particulièrement intéressants pour la France, qui se trouve au centre de l'espace continental. Toutefois, il s'agit là d'investissements qui risquent de jouer le rôle de variables d'ajustement budgétaire.

Dans tous les cas, nous devons pouvoir assurer la part nationale du financement de ces projets. D'où l'importance des décisions annoncées le 1er septembre dernier, qui confirment le TGV Est, le TGV Rhin-Rhône, la liaison Perpignan-Figueras, le TGV Sud Europe-Atlantique et la liaison Lyon-Turin prolongée jusqu'à Trieste, la Slovénie et Budapest.

Mme Anne-Marie Comparini, députée, en considérant des textes comme cette proposition de règlement révisée sur les obligations de service public dans les transports terrestres de voyageurs ou la proposition de directive relative aux services, s'est dite préoccupée de ce que pourrait être une philosophie des services d'intérêt général à l'européenne. Aura-t-on une directive générale sur les services publics ?

Le ministre, dans ce domaine, est favorable à une approche pragmatique, au cas par cas. Il craint qu'une approche trop conceptuelle amène à un débat où la France ne serait pas majoritaire. Quant à la proposition de directive relative aux services, elle a sans doute péché par excès d'ambition, tentant de couvrir des secteurs extrêmement différents.

M. Robert Del Picchia, sénateur, s'est interrogé sur la participation de l'Union européenne au financement du Lyon-Turin. Ce projet implique-t-il, selon lui, que l'on abandonne l'idée d'une liaison Strasbourg-Vienne-Munich-Budapest ?

Le ministre a indiqué que le taux de participation communautaire au Lyon-Turin se monte à 20 % en principe, mais pourrait atteindre jusqu'à 50 % pour l'ouvrage central. Cela reste à déterminer.

M. Robert Del Picchia, sénateur, pour en revenir aux deux textes présentés par le ministre, aimerait avoir une vision claire de ce que sera la situation en 2008.

Le ministre a indiqué qu'il n'y a pour l'instant d'accord politique sur aucun des deux sujets. Dans le meilleur des cas, l'ouverture des services ferroviaires internationaux de passagers n'interviendra pas avant 2010 et le règlement révisé ne s'appliquera pas avant 2015.

Mme Arlette Franco, députée, a tenu à faire part de l'inquiétude du monde économique face au retard pris dans la réalisation de la liaison Perpignan-Figueras.

Le ministre, saisissant l'allusion à la portion Perpignan-Montpellier, dont le tracé n'est pas encore acquis, a rappelé avoir confirmé récemment sa volonté que le débat public soit engagé.

Le président Hubert Haenel a souhaité connaître la perception de ce projet d'ouverture à la concurrence par une entreprise historique comme la SNCF et par les syndicats de cheminots et a demandé s'ils étaient inquiets.

Par ailleurs, l'introduction d'une possibilité de cabotage sur les lignes intérieures ne risque-t-elle pas de remettre en cause le principe de la péréquation ?

Le ministre a souligné qu'il ne peut pas s'exprimer au nom des organisations syndicales, mais a estimé que la SNCF se trouve plutôt en bonne position à l'international.

La question de la péréquation entre les lignes rentables et les lignes à vocation d'aménagement du territoire se pose. La France souhaite que les Etats membres soient libres de mettre en place un dispositif de péréquation compatible avec l'ouverture internationale.

M. Jacques Blanc, sénateur, a attiré l'attention sur la nécessité de se mobiliser sur le projet ferroviaire Barcelone-Montpellier.

Le ministre a jugé qu'il est important que l'ensemble de la liaison avance de manière coordonnée. Il a demandé qu'on prépare le débat public pour le tronçon Montpellier-Perpignan. Il pense qu'on devrait dégager aisément un consensus. Du côté espagnol, les Catalans sont très favorables ; et du côté français, la région Languedoc-Roussillon l'est aussi.

Mme Anne-Marie Comparini, députée, est revenue sur la crainte du ministre que les grands projets de transport européens soient pénalisés par la rigueur budgétaire. Est-ce qu'au moins les projets français sont bien placés dans la liste des 14 grands projets d'Essen ?

Le ministre a rappelé que la détermination de l'Etat français et des collectivités locales concernées constituera un élément déterminant pour que les projets intéressant la France figurent en bon ordre dans les opérations retenues par l'Union européenne.