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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 149

Réunion du mercredi 30 novembre 2005 à 15 heures

au Parlement européen, à Bruxelles

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Réunion de travail, ouverte à la presse, avec les députés européens sur le suivi de la proposition de directive sur les services

Le Président Pierre Lequiller s'est déclaré très heureux de la tenue de cette première réunion de la Délégation au Parlement européen avec les députés européens. Le thème de la réunion est sensible : il s'agit du suivi de la proposition de directive sur les services, après le vote de la commission du marché intérieur et avant l'examen en séance plénière. Les deux rapporteurs de l'Assemblée nationale qui ont travaillé sur ce texte sont présents, ainsi que Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur, et Mme Marie-Hélène Descamps, rapporteure de la commission des affaires culturelles du Parlement européen.

Quelle que soit leur taille et quel que soit leur domaine d'activité, les entreprises et prestataires de services se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu'ils veulent donner à leur activité une dimension transfrontalière, que ce soit pour offrir leurs services à distance, pour se rendre dans un autre Etat membre afin d'y réaliser des prestations, pour faire venir des clients en provenance d'autres Etats, ou pour ouvrir un établissement dans un Etat membre autre que le leur.

Le traité de Rome prévoyait que la libre circulation dans le domaine des services constituerait le quatrième pilier du marché intérieur. Nul ne conteste donc la nécessité de concrétiser ces dispositions du traité, même si la proposition de la Commission a pu paraître à certains trop ambitieuse car trop générale. Certains volets de la proposition sont à saluer, en particulier la création des « guichets uniques » permettant d'envisager une simplification considérable des démarches administratives. Mais, a rappelé le Président Pierre Lequiller, cette proposition a soulevé trois problèmes graves, auxquels les travaux du Parlement européen ont apporté les premiers éléments d'une solution.

Le premier problème tient au champ d'application de la directive. A l'issue des travaux des commissions du Parlement européen et du vote de la commission du marché intérieur, le champ d'application se trouve mieux délimité, avec une liste d'exclusions qui satisfait les demandes de nombreux Etats. Mais il subsiste un problème s'agissant du traitement réservé aux « services d'intérêt économique général » (SIEG). La délimitation du champ d'application doit être encore améliorée.

Le deuxième problème est celui de l'articulation entre la proposition de directive et les autres instruments juridiques. Sur ce point également, les modifications introduites dans le texte par la commission du marché intérieur apportent des éléments rassurants concernant la primauté des directives sectorielles et la place de la directive sur le détachement des travailleurs.

En revanche, le problème du principe du pays d'origine (PPO) se pose toujours. Les propositions de Mme Evelyne Gebhardt n'ont pas recueilli l'assentiment de ses collègues. Le texte amendé parle désormais de « libre prestation de services ». Il est nécessaire à la fois de déterminer ce que ce changement signifie, et de poursuivre la réflexion dans la perspective de l'examen en séance plénière.

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui de cette rencontre entre parlementaires nationaux et parlementaires français du Parlement européen. Il a invité Mme Anne-Marie Comparini et M. Robert Lecou à faire le point sur l'état de la réflexion à l'Assemblée nationale.

Il a indiqué que la Délégation s'est fixé comme objectif de faire parler de plus en plus de l'Europe : en obtenant qu'une séance de questions par mois soit consacrée aux questions européennes ; en plaidant pour l'organisation d'un débat en séance publique avant chaque Conseil européen, ce qui va se concrétiser de nouveau le 13 décembre prochain en présence du Premier ministre ; en obtenant que soient invitées à s'exprimer dans l'hémicycle, en dérogation aux dispositions du Règlement de l'Assemblée, des personnalités comme M. Valéry Giscard d'Estaing, M. José Luis Zapatero, et prochainement M. José Manuel Barroso. Une « Lettre européenne » est sur le point d'être lancée et sera notamment transmise aux membres français du Parlement européen. Enfin, la Délégation a envoyé des « missi dominici » dans plusieurs capitales européennes sur le thème des perspectives financières.

Ainsi la Délégation fait-elle en sorte que les questions européennes, trop longtemps absentes ou négligées dans notre pays, deviennent plus familières aux députés français. Tel est l'esprit dans lequel s'inscrit la présente réunion. Le Président Pierre Lequiller a conclu son intervention en réitérant son invitation, adressée aux députés du Parlement européen, à venir assister aux réunions de la Délégation.

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure de la Délégation, a fait observer qu'à l'Assemblée nationale ce sont les membres de la Délégation qui ont été les premiers à travailler sur le projet de directive.

Le marché unique des biens existe ; il est évident qu'il faut un marché unique des services. Mme Anne-Marie Comparini a rappelé qu'elle avait rencontré de très nombreux acteurs économiques, et que ceux-ci ne s'étaient pas exprimés contre un marché unique des services ; mais ils se sont montrés préoccupés par les difficultés soulevées par le texte initial.

Il est essentiel de déterminer quelles sont les bonnes règles pour ce projet de directive, et d'évoquer les étapes parcourues depuis février 2005. Mme Anne-Marie Comparini a indiqué que, sur la base des exemples concrets qu'elle a recueillis, pour la libre prestation de services un préalable lui paraît réaliste : l'abandon du principe du pays d'origine. Il faut regarder la réalité en face : avec l'élargissement sont apparues des disparités telles que le risque de dumping social existe bel et bien. Le PPO menace par ailleurs la protection juridique des consommateurs et des clients. Il serait intéressant de savoir quelles étapes le Parlement européen a franchi sur ce point.

Il faut surtout appliquer des règles de bon sens : lorsqu'on se lance dans une grande entreprise, il faut savoir de quoi l'on parle. Or le projet ne délimite pas les contours de son champ d'application : quid des services d'intérêt général ? Quid des SIEG ? Mme Anne-Marie Comparini a rappelé qu'elle avait fait des propositions basées sur le rapport de M. Philippe Herzog relatif au « Livre blanc sur les services d'intérêt général », et qu'elle avait proposé l'exclusion des SIEG.

Enfin, elle a souligné un problème qui, s'il n'a pas fait la « une » des journaux, lui paraît cependant important : la directive devra assurer son articulation avec les autres directives, telle que la directive « Télévision sans frontières » ou les directives sur les transports. Et une directive sur la reconnaissance des équivalences entre les diplômes est nécessaire.

Mme Anne-Marie Comparini a conclu par ces trois questions : quelles avancées y a-t-il eu au sein du Parlement européen sur le concept du PPO en se préoccupant des salariés et des consommateurs ? Qu'en est-il du champ d'application, sachant que de nombreux acteurs économiques ignorent s'ils sont concernés ou non ? Enfin, quelle hiérarchie sera ménagée entre les directives sectorielles et la directive sur les services ?

M. Robert Lecou, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, a remercié le Président d'avoir pris l'initiative de cette réunion, et il a estimé qu'il faudrait renouveler cet excellent exercice.

Il a indiqué qu'il rappellerait les préoccupations exprimées dans la résolution adoptée par l'Assemblée nationale, et que ses travaux pour la commission des affaires économiques s'étaient fortement appuyés sur ceux de la rapporteure de la Délégation pour l'Union européenne, Mme Anne-Marie Comparini.

Il a réaffirmé que l'objectif du texte était bon. Il faut en effet parvenir à la réalisation du marché intérieur et la France n'a rien à craindre de cette démarche.

Il a souhaité toutefois obtenir des clarifications indispensables, rappelant que l'incompréhension de ce texte, et certaines utilisations tendancieuses qui en ont été faites, avaient joué un grand rôle dans la victoire du non au référendum du 29 mai sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Estimant que la proposition de directive manquait de clarté, il a souligné que la lecture des articles de presse relatifs aux amendements adoptés le 22 novembre dernier par la commission du marché intérieur du Parlement européen était source de grande confusion.

Il a rappelé que les trois principaux sujets de préoccupation des députés nationaux tenaient à la définition du champ d'application de la directive (la résolution votée demandait clairement l'exclusion des SIEG), à l'articulation avec les autres normes communautaires et au principe du pays d'origine. L'objectif fondamental, et partagé par tous, est d'éviter tout dumping social, mais également juridique.

Il a également précisé que la France s'était félicitée des mesures de simplification administrative mais qu'elles devaient avoir une contrepartie : le renforcement du contrôle de la qualification des prestataires et de la qualité des services offerts, au profit des consommateurs, et afin de préserver notre modèle social.

M. Robert Lecou a conclu en indiquant qu'il était surtout venu aujourd'hui pour écouter ses collègues députés européens.

Mme Janelly Fourtou, députée européenne, a estimé que l'un des grands intérêts de la proposition de directive était d'avoir permis, fait rare, ce travail commun très en amont.

Elle a salué le travail considérable accompli par la commission du marché intérieur, qui a examiné plus de mille amendements au cours de quatre heures de réunion, et reconnu que leur complexité faisait qu'il était parfois difficile d'en apprécier l'exacte portée.

Elle a estimé que la commission du marché intérieur avait répondu à la plupart des attentes françaises sur le champ d'application de la directive, puisque doivent en être exclus les services d'intérêt général (mais pas les services d'intérêt économique général), les professions participant à l'exercice de l'autorité publique, les services de santé qu'ils soient publics ou privés, les services audiovisuels, les jeux de hasard et d'argent, les services bancaires, de crédit et d'assurance, tandis que les services de communication électronique et les transports étaient déjà exclus de la proposition de la Commission.

Elle a souligné que la commission du marché intérieur proposait la primauté de la réglementation communautaire existante sur la future directive « services ». Quant à la reconnaissance des diplômes, elle est déjà prévue par le droit communautaire.

Sur le principe du pays d'origine, elle a déclaré que personne ne voulait du mot, et que l'article 16 avait reçu un nouvel intitulé : « libre prestation de services ». Elle a reconnu que deux visions s'affrontaient encore : celle qu'elle soutenait, et celle de Mme Evelyne Gebhardt.

Le Président Pierre Lequiller a alors salué Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur et a indiqué que tous attendaient des précisions sur les modifications apportées par les commissions du Parlement européen.

Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur du Parlement européen, après avoir remercié le Président de son invitation, a insisté sur l'importance d'une concertation entre les députés européens et les membres des parlements nationaux, estimant que sur un sujet aussi crucial pour la vie, l'économie, la culture des Etats membres et des citoyens, il fallait être particulièrement attentifs.

En ce qui concerne le champ d'application de la directive, Mme Evelyne Gebhardt a rappelé qu'elle avait demandé dans son rapport, soutenue en cela par le Groupe socialiste au Parlement européen, l'exclusion des services d'intérêt général non marchands, mais aussi des services économiques d'intérêt général, les SIEG, puisque la proposition de directive « services » consiste en un texte horizontal extrêmement large, qui ne peut prendre en compte les nécessaires spécificités des services qui doivent être rendus à tous les citoyens avec une qualité satisfaisante, quelles que soient leur origine géographique et leur capacité financière, ce que le marché ne peut garantir à lui seul.

La rapporteure a ensuite énuméré les principaux succès obtenus lors de la réunion de la commission du marché intérieur, le 22 novembre, au premier rang desquels l'exclusion des services d'intérêt général non marchands, de l'ensemble des services de santé, ce qui était inespéré, des services juridiques déjà couverts par un texte communautaire, des jeux d'argent et de hasard, y compris les casinos, des professions participant à l'exercice de l'autorité publique, des services financiers, pour lesquels se posait notamment le problème particulièrement délicat des fonds de pension.

Parmi les échecs, elle a cité le refus d'écarter totalement les SIEG, exclus partiellement du champ d'application des seuls articles 15 et 16, et les agences de travail temporaire. Il reste beaucoup de travail à accomplir sur ces deux points, mais une majorité avec d'autres groupes lui semble envisageable.

Abordant le principe du pays d'origine, elle a qualifié d'aussi importants que sidérants les propos de Mme Janelly Fourtou sur le changement en profondeur de la proposition de directive, estimant que la reformulation d'un intitulé et quelques ajouts ne modifiaient que marginalement le texte de la Commission. Elle a admis, tout en y étant opposée, que l'on puisse approuver le principe du pays d'origine, mais a estimé qu'il fallait alors l'assumer.

Mme Evelyne Gebhardt a annoncé qu'elle allait continuer à chercher une majorité sur le compromis, très acceptable, qu'elle proposait, et qui s'articulait autour de la distinction entre l'accès à une activité, et ses conditions d'exercice.

Chaque entreprise établie légalement dans l'Union européenne a automatiquement le droit d'offrir ses services dans tous les Etats membres, conformément à l'esprit qui a toujours été celui de la construction européenne, mais tous ceux qui travaillent dans un autre Etat membre doivent en respecter les lois. Il convient de tout mettre en œuvre pour faire progresser l'harmonisation chaque fois que cela est possible, et il faut regretter que cette préoccupation ait disparu des discussions. En effet, quand cette base commune est atteinte, le débat entre le principe du pays d'origine et celui du pays de destination devient sans objet.

Elle a dénoncé la proposition des députés du Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-chrétiens) et des Démocrates européens (PPE-DE) et du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), de modifier l'intitulé de l'article 16 comme suit : « libre prestation de service et dérogations » sans suggérer aucune dérogation.

Elle a jugé très grave de n'avoir obtenu satisfaction sur aucun de ces points, notamment sur celui de l'harmonisation, pourtant conforme aux fondements de la construction européenne. Elle a estimé incompréhensible que le PPE, les Libéraux, et l'Union pour l'Europe des Nations (UEN) aient refusé ses propositions, y compris les Français, malgré les déclarations du Président de la République et du Premier ministre. Elle s'est déclarée déçue de leur refus d'adopter ses amendements. Cela traduit une volonté de laisser libre cours à la concurrence entre les Etats membres, et non de créer des conditions de concurrence loyale entre les entrepreneurs de l'Union. Cependant, elle a dit son espoir de réunir suffisamment de députés pour obtenir une majorité sur ces questions.

En matière sociale, elle s'est réjouie d'avoir réussi à l'article 1 à empêcher que le droit du travail ne soit remis en cause par la directive, mais a estimé que les garanties apportées restaient insuffisantes pour certains Etats membres, comme l'Allemagne, où le salaire minimum n'est pas fixé par la loi, mais par les négociations collectives. De ce fait, il n'est pas possible, comme le fait remarquer M. Jacques Toubon, de considérer que les problèmes sont réglés parce qu'ils ne se posent plus dans certains Etats membres.

La rapporteure a conclu en affirmant que pour être acceptée par les citoyens, l'Europe devait apporter une plus-value, pas une moins-value, sinon elle serait refusée, ce qui est la dernière chose qu'elle souhaitait. Enfin, elle a annoncé que le vote en séance plénière aurait sans doute lieu en février 2006.

Mme Janelly Fourtou, députée européenne, interpellée par Mme Evelyne Gebhardt, a précisé qu'en tant que députée européenne, elle n'estimait avoir à se référer ni au Président de la République, ni au Premier ministre français.

M. Jean-Luc Bennhamias, député européen, a dénoncé le comportement des dirigeants français qui ont laissé croire aux citoyens que la directive « services » n'était plus d'actualité.

Mme Margie Sudre, députée européenne, a alors vivement déploré l'exploitation politique faite par son collègue du Parlement européen.

M. Jean-Luc Bennhamias, député européen, a poursuivi en soulignant l'enjeu que représente cette proposition de directive dans le débat public et a demandé que le Conseil et la Commission reconnaissent enfin la notion de service public.

M. Jean-Marie Beaupuy, député européen, a regretté que l'arbre cache la forêt, à savoir que les aspects non réglés masquent les nombreuses avancées. Puis il s'est étonné qu'il n'existe pas, à sa connaissance, d'évaluation chiffrée du nombre de personnes concernées par la directive. S'il existe un vrai danger, il faut le dire ; mais il serait vain de s'amuser à se faire peur.

M. Benoît Hamon, député européen, a en revanche estimé que les blocages continuent largement à l'emporter sur les maigres progrès. Il est essentiel de ne pas élucider la question des services d'intérêt général, du PPO et des controverses soulevées par les articles 14 et 15 de la proposition de directive. Le marché des services représente 60 % du marché intérieur européen, ce qui entraîne des conséquences très importantes. Le principal problème auquel nous sommes confrontés tient à ce que, par défaut, la proposition de directive légifère sur les SIG, alors qu'il faut au contraire se battre pour l'adoption d'une directive-cadre spécifique sur les services publics. Certes, la directive « services » exclut les SIG de son champ d'application ; mais une conception restrictive de la notion de SIG pourrait conduire à y intégrer des prestations de service qui, au moins en France, relèvent d'une mission de service public. Par ailleurs, s'il existe un consensus sur la scène politique intérieure française pour rejeter le PPO, il serait bien prématuré de crier victoire car en l'état, à quelques réserves près, le PPO est maintenu. Qui plus est, la Commission envisage même un dispositif pilote relatif à la fiscalité des entreprises, fondé sur le PPO. Ce principe commence ainsi à s'étendre à d'autres textes. Or chaque nouvelle étape de libéralisation devrait avoir pour contrepartie une initiative d'harmonisation.

Mme Marielle de Sarnez, députée européenne, a salué l'initiative prise par le Président Pierre Lequiller d'organiser cette réunion conjointe avec les députés européens. S'exprimant sur la négociation en cours sur la directive « services », elle a estimé que les choses n'étaient pas figées et qu'elles devaient encore évoluer. Il faut poursuivre le débat et rechercher un consensus parmi les députés européens français au vu de la place prise en France par cette proposition de directive lors du débat référendaire sur le traité constitutionnel.

M. Bernard Lehideux, député européen, a fait état de la position exprimée au sein de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, où il est coordinateur pour le groupe politique ADLE. Il s'est félicité que la position de la commission parlementaire ait été pleinement prise en compte dans la perspective du vote en session plénière. Puis il a, à son tour, fait état de la croyance qui circule ici et là d'un abandon du texte. Exprimant enfin sa crainte sur le PPO et sur son extension possible à la fiscalité, il a souligné l'importance d'un consensus entre les députés européens français.

M. Daniel Garrigue a stigmatisé une attitude paradoxale de frilosité. Nombreux sont pourtant les secteurs où la France a tout à gagner d'une libéralisation, y compris s'agissant de certains SIG comme l'énergie ou la distribution de l'eau. La défense des intérêts nationaux doit être autant offensive que défensive. Il s'est réjoui de l'élargissement qui a scellé la réunification du continent européen et offre aux populations des nouveaux Etats membres de réelles perspectives d'amélioration de leur niveau de vie. Quant à l'état actuel de la proposition de directive, des modifications substantielles ont d'ores et déjà été obtenues sur le droit du travail et les SIG. Ce qui est essentiel, c'est de disposer de clauses de sauvegarde appropriées, car il ne faut pas non plus écarter le risque de voir des nationaux de certains Etats s'installer délibérément dans des pays où la législation sur le travail est plus protectrice.

Mme Margie Sudre, députée européenne, a demandé à Mme Evelyne Gebhardt si elle avait voté pour son propre rapport lors de son examen par la commission du marché intérieur. Puis elle a rappelé à Mme Gebhardt que M. Jacques Toubon lui avait apporté son soutien dès le début de la négociation. Contrairement à ce qui a été déclaré, il n'a jamais voté en faveur d'un texte soutenant le PPO. Au cours de la campagne référendaire, les députés européens français du PPE ont été unanimes pour combattre le PPO. Chacun ne peut pas en dire autant, citant l'amendement n°832 déposé par M. Benoît Hamon relatif au PPO pour les secteurs harmonisés.

M. Benoît Hamon, député européen, mis en cause, a répondu que le PPO n'était pas problématique s'agissant des secteurs harmonisés puisque, par définition, il n'existe plus de disparités entre les législations nationales.

Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur du Parlement européen, a précisé qu'en tant que coordinatrice, elle avait laissé chaque membre de son groupe politique libre de voter selon les engagements pris auprès de ses électeurs. Pour sa part, elle a indiqué s'être abstenue en raison du maintien du PPO.

Le Président Pierre Lequiller a justifié la position de M. Jacques Toubon en évoquant la stratégie visant à acter un accord, même imparfait, dès lors qu'il permet d'engranger des progrès tangibles tels que la limitation du champ de compétences et la primauté des directives sectorielles. En tout état de cause, il faut naturellement continuer à faire évoluer le texte.

M. François Guillaume a estimé qu'il est nécessaire de promouvoir un véritable marché des services, à la condition que l'on s'accorde sur un certain nombre de dérogations. En réalité, la polémique suscitée par la proposition de directive « services » est liée à l'adhésion des nouveaux pays membres et aux distorsions de concurrence inacceptables que cet élargissement peut entraîner. Considérant que le fait avait en l'espèce précédé le droit, il a mentionné l'exemple des vétérinaires belges pour lesquels les études sont moins longues qu'en France, et qui viennent exercer leur profession sur notre territoire en pratiquant des tarifs inférieurs. Cela est inacceptable, mais il faut bien admettre que, plus globalement, ce type de situation est avant tout lié aux blocages persistants sur l'harmonisation fiscale et sociale. C'est ce défaut d'harmonisation qui a motivé l'initiative de la proposition de directive « services ». M. François Guillaume a alors apporté son soutien à la position exprimée par Mme Evelyne Gebhardt et considéré que le prestataire de services devrait être soumis au pays de destination. Parallèlement, il est essentiel de progresser sur la voie de l'harmonisation.

Mme Marie-Hélène Descamps, rapporteure pour avis de la commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen, a tout d'abord rappelé que la France est le premier exportateur de services en Europe. Elle a ensuite précisé la position adoptée par sa commission pour se déclarer satisfaite de l'exclusion du champ de la proposition de directive des services éducatifs et culturels ainsi que des services audiovisuels. Elle a cependant regretté l'absence d'exclusion des sociétés de gestion collective. Mais globalement, la commission de la culture et de l'éducation a obtenu des modifications substantielles et la rapporteure a remercié Mme Evelyne Gebhardt pour l'attention qu'elle avait constamment portée à la culture dans le rapport qu'elle a présenté devant la commission du marché intérieur.

M. Jérôme Lambert a déclaré faire partie des députés français qui n'ont jamais été naïfs quant au maintien de la directive « services » en dépit du rejet français du traité constitutionnel. Rappelant que dès 1957, le traité de Rome prévoyait la création d'un marché commun des services, il a estimé qu'en cinquante ans, le contexte avait profondément changé, à commencer par les conséquences des élargissements successifs. Alors que la mise en œuvre du marché unique n'est déjà pas sans poser de problèmes, la libéralisation des services se révèle être une difficulté supplémentaire. C'est la raison pour laquelle il serait préférable de consolider l'existant, ce qui suppose une harmonisation fiscale et sociale préalable à une libéralisation des services qui n'est pas sans conséquences en termes d'emploi et de délocalisations.

M. Bruno Gollnisch, député européen, s'est félicité du consensus politique qu'il observe pour rejeter le PPO, à l'instar de ce que propose Mme Evelyne Gebhardt. Mais paradoxalement, il a estimé que la dynamique actuelle restait bien celle d'une reconnaissance du PPO. Il a alors regretté qu'au lieu de combattre l'existence même de ce principe, on se contente de vouloir multiplier les dérogations. Rejoignant une observation précédemment formulée par M. Jean-Luc Bennhamias, il a souhaité - sans polémiquer - qu'une position forte s'exprime au plus haut niveau, et que, tant le Président de la République que le Premier ministre français, clarifient leur discours. Sur le fond, il a considéré que les questions soulevées par la proposition de directive relevaient en réalité du droit international privé : en l'absence de droit applicable, la loi en vigueur doit être celle du lieu d'exécution du contrat. A la différence de la libre circulation des biens et des capitaux, la libéralisation des services pose un problème de dumping, dont il ne faut pas sous-estimer la dimension extra-européenne. Nombreuses sont en effet les prestations de services qui peuvent être sous-traitées à l'extérieur de l'Union, ce qui renforce d'autant le dumping social et fiscal.

M. Pierre Forgues a fait part de sa grande perplexité devant la proposition de directive « services ». A ses yeux, elle s'oppose à la notion même de directive, ainsi qu'aux fondements de la construction européenne.

Il a en effet considéré que l'objet d'une directive est de substituer une norme communautaire aux normes nationales. Or qu'est-ce que l'affirmation du principe du pays d'origine, tel que consacré par le projet de la Commission, sinon la négation de cette approche d'harmonisation, par le primat du droit du pays d'origine ?

Ainsi, cette initiative de la Commission va l'encontre de la philosophie qui préside aux progrès de l'Union.

Par ailleurs, M. Pierre Forgues a constaté que l'approche de la Commission privilégie, à l'inverse de celle fondée sur le respect du droit du pays destinataire, une convergence par le bas, se faisant au détriment des droits sociaux nationaux.

Le principe du pays d'origine est donc un mauvais principe. Pourtant, jusqu'ici, les travaux du Parlement européen n'ont apporté que des aménagements et des exceptions à cette erreur de construction fondamentale. M. Pierre Forgues a jugé que ces travaux de correction, aussi bien intentionnés soient-ils, ne peuvent qu'être sans fin : en effet, l'empilement des dérogations peut être infini ; cela ne changera pas pour autant l'aspect le plus contestable de la proposition de directive.

Au total, le sentiment qui prédomine est celui d'une fatalité, d'une mécanique qui ne peut plus être arrêtée. C'est pourquoi il faut répéter, sans cesse, que cette directive est contraire à la construction européenne. Ce texte organise une concurrence non entre les entreprises, mais entre les institutions et les droits sociaux, ce qui est inacceptable. M. Pierre Forgues a jugé très dangereuse cette affaire, qui aboutit à faire de l'Union une « moins-value » pour le citoyen européen.

Il a souhaité également répondre aux arguments concernant les bénéfices escomptés pour les entreprises. Certaines seront gagnantes, mais pas toutes. D'autre part, les conséquences sociales d'un cadre juridique qui poussera nos entreprises à s'installer à Budapest, par exemple, car c'est ce schéma qui prévaudra et non l'inverse, seront insupportables. Ce jeu est trop dangereux pour la légitimité de l'Europe.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le débat ne peut plus porter sur la disparition ou le retrait de la proposition. La négociation est lancée ; il convient donc de continuer le travail commencé. De ce point de vue, les travaux de la rapporteure de la commission du marché intérieur du Parlement européen ont permis d'enregistrer des progrès importants par rapport au texte initial. S'il faut, bien entendu, aller plus loin, cela ne veut pas dire non plus que les jeux sont faits, d'autant que le Président de la République et le gouvernement y veilleront.

Il a considéré en outre que la France ne doit pas « se braquer » au regard du potentiel économique que recèle une directive correctement remaniée. Il ne faut pas oublier que notre pays est la première puissance exportatrice de services en Europe.

M. Patrick Louis, député européen, s'est élevé contre un texte qui met en danger la cohésion nationale. Sur les effets de la directive, s'agissant de la concurrence sociale, ils sont incontestables. Lorsque l'on fait coexister une pièce chauffée à dix degrés, avec une autre chauffée à vingt-quatre degrés et une cloison en papier japonais, il est inévitable que la température dans l'une et l'autre soit, au final, de 16 degrés. La France a donc tout à perdre avec l'initiative de la Commission.

Par ailleurs, l'échange libre poussé jusqu'au bout aboutit au primat du principe du pays d'origine. La France ne doit pas se glorifier de sa position première dans le secteur des services, dans un tel contexte : cet argument ne pourrait être accepté qu'avec un cadre qui consacre la règle de l'application du pays destinataire, protégeant ainsi et notre compétitivité et nos droits.

Sur un plan plus général, M. Patrick Louis, a considéré que le projet porte atteinte aux traits essentiels du sentiment d'appartenance nationale. Le citoyen est un sujet qui a des droits et des devoirs, comme le paiement des impôts. Il existe en effet un lien structurel entre l'impôt, la nationalité et la citoyenneté. Or le régime de concurrence généralisé que prévoit la directive proposée revient à récompenser, entre autres, l'évasion fiscale vers les pays moins-disants. Cette course au moins-disant est redoutable, car en fin de compte, elle déstabilise les fondements de la nation et de la citoyenneté. Cela doit être dit, et si l'on soutient le projet, même amendé, il faut alors expliquer les conséquences qui en résultent et prendre ses responsabilités devant le citoyen.

Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur du Parlement européen, a souhaité préciser plusieurs points.

D'abord, il y a un accord pour dire que le texte de la Commission fait l'objet d'un rejet.

Ensuite, il n'en reste pas moins qu'une procédure doit être suivie et qu'à partir du travail en commission, le texte doit être encore corrigé. Mais il ne faut pas se tromper : un texte reste nécessaire, car autrement, la Cour de justice des Communautés européennes, comme elle l'a déjà fait, appliquera une forme de principe de pays d'origine dans les affaires qui lui sont soumises. Sans texte qui encadre et limite le principe du pays d'origine, le juge communautaire risque d'appliquer et de généraliser le point que nous contestons tous.

Mme Evelyne Gebhardt a donc insisté sur le fait qu'il faut une directive, mais pas n'importe laquelle. A ce stade, nous devons poursuivre le débat pour fixer les conditions qui rendront la directive acceptable, lesquelles portent, notamment, sur le champ d'application du texte et les solutions alternatives au principe du pays d'origine.

Les Français donnent parfois le sentiment qu'ils peuvent tout obtenir à eux seuls. Il s'agit d'une illusion dangereuse : au Parlement européen, on ne compte que 78 députés élus en France, pour un total de 732. Ces réalités arithmétiques ne doivent pas être oubliées, tout comme le soutien marqué de certains députés européens, venant de Hongrie ou de Pologne, au principe du pays d'origine. Sur ce dernier point, cette approche est également défendue par le représentant au Parlement européen du PPE, britannique.

Mme Evelyne Gebhardt a déclaré qu'elle poursuivra son travail d'alliance et d'explication pour convaincre, et ainsi s'assurer de l'appui des députés de tendance libérale ou conservatrice. Le groupe socialiste doit lui aussi participer de manière constructive au débat, pour obtenir un texte qui corrige en profondeur la proposition de la Commission.

Elle a réaffirmé avec force que le principe du pays d'origine n'est, pour elle, pas acceptable. Mais quand bien même cette analyse est partagée par d'autres, la France ne peut pas pour autant considérer qu'elle dispose du pouvoir d'obtenir le retrait de cette proposition. La Commission peut en revanche exercer ce pouvoir, mais au risque de voir la Cour de justice fixer le droit dans ce domaine.

Le vote de la commission du marché intérieur n'est donc qu'une première étape, qui ne doit pas être confondue avec une position définitive. Les possibilités de compromis existent, les discussions à ce stade de l'examen du texte l'ont amplement démontré. Mais les pièges doivent être évités : ainsi, un rapprochement avec le représentant du PPE sur ce texte aurait conduit à faire adopter une version du principe du pays d'origine qui aurait été beaucoup plus « dure ». En conclusion, la bataille pour l'exclusion du principe du pays d'origine doit se poursuivre, avant le vote en session plénière du Parlement européen.

M. Robert Lecou, rapporteur de la commission des affaires économiques, a jugé que le travail de la rapporteure a permis d'obtenir de réels progrès par rapport au texte de la Commission. Il s'est en particulier déclaré satisfait des résultats concernant l'exclusion de certains secteurs du champ d'application de la directive et la clause de sauvegarde dans le domaine culturel. Il a noté en outre que certaines demandes formulées par la résolution adoptée par l'Assemblée nationale sur le sujet ont obtenu un début de réponse.

Au total, à ses yeux, les travaux menés jusqu'ici ont débouché sur une remise à plat de la proposition de la Commission. Ce résultat doit être acté, mais, de toute évidence, le travail doit être poursuivi, sans ignorer que cela implique de rechercher des compromis.

Par ailleurs, le rapport de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a souligné la nécessité d'instaurer un marché unique en Europe.

M. Robert Lecou a estimé, en conclusion, que tout n'a pas été encore obtenu. La stratégie à suivre est donc claire : obtenir d'autres améliorations, pour déboucher sur un compromis réunissant la majorité la plus large, car plus celle-ci sera faible, plus la Commission aura beau jeu de persévérer. Enfin, il doit être clair pour tous que si la discussion ne se poursuit pas, il n'y aura plus rien à discuter, puisque la Cour de justice dira le droit.

M. Francis Wurtz, député européen, a souhaité marquer son désaccord avec les propos précédents, avant de souligner à quel point les effets néfastes de l'acquis communautaire sont, dans ce domaine, sous-estimés. Afin d'illustrer son propos, il a évoqué le cas, rendu si célèbre par la presse, de cette entreprise lettone de travaux, choisie pour construire une école en Suède et qui a fait part de sa volonté de ne pas respecter les conventions collectives du pays. Cette affaire a été portée devant la Cour de Justice, qui doit se prononcer. Pour sa part, le commissaire européen en charge du marché intérieur a déclaré soutenir le point de vue de l'entreprise lettone. Or le fondement de ses propos est la règle de la reconnaissance mutuelle, posée dès le début de la construction européenne, par le traité de Rome. Ce principe a été, de plus, repris dans plusieurs actes communautaires, bien avant la directive « services ». En outre, selon la Cour, la reconnaissance mutuelle conduit à l'application du principe du pays d'origine, dans certains domaines au moins.

Dans ces conditions, M. Francis Wurtz a estimé que si l'on ne tient pas compte des effets induits de cet acquis communautaire, on prend le risque de porter le combat là où il ne sera pas nécessairement le plus efficace, avec comme conséquence, une situation dans laquelle « nous n'aurons plus que nos yeux pour pleurer ».

La résistance contre de telles dérives doit être organisée. Les attitudes timorées, conduisant au final à l'adoption d'une directive « soft » qui laisserait en suspens les vrais problèmes, sont d'autant moins justifiées que la capacité de résistance de l'opinion publique est sous-estimée. M. Francis Wurtz a alors fait part des propos tenus par l'actuel Chancelier d'Autriche, le prochain Président du Conseil de l'Union, lequel a déclaré au Sommet de Hampton Court, que la proposition de la Commission ne passera pas et qu'elle doit être donc retirée.

Mme Roselyne Bachelot, députée européenne, a indiqué que le commissaire européen en charge du marché intérieur a seulement déclaré qu'il attend le résultat de l'affaire portée devant la Cour. Elle a fait part de son optimiste sur l'issue de l'instance, à l'instar des syndicats suédois, en raison des garanties sociales qu'apporte la directive sur le détachement des travailleurs. Celles-ci sont capitales et ont été « sécurisées » dans la proposition de directive « services », par les articles 24 et 25. Ces derniers maintiennent en effet les acquis de la directive sur le détachement des travailleurs, la commission de l'emploi du Parlement européen y a veillé avec soin, ainsi que la rapporteure de la commission du marché intérieur.

En réponse à cette intervention, M. Francis Wurtz, député européen, a réaffirmé que le commissaire est intervenu dans l'affaire judiciaire précitée et qu'il a déclaré en attendre l'issue qu'après avoir été convoqué par une commission du Parlement européen, qui lui a demandé de s'expliquer.

M. Benoît Hamon, député européen, a souligné qu'en commission, les acquis de la directive relative au détachement ont été effectivement « gelés ». Cela ne préjuge pas pour autant des résultats des travaux en séance plénière, ce qui doit inciter les parlementaires à rester extrêmement vigilants.

Le Président Pierre Lequiller a remercié les intervenants pour la qualité de leurs propos, en ajoutant que cette réunion de travail a été instructive, riche en enseignements sur l'état du texte et révélatrice de la nécessité de poursuivre ce suivi parlementaire. Il a appelé à une coordination des positions pour la suite des débats, aux deux niveaux, national et européen.