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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 154

Réunion du mardi 24 janvier 2006 à 17 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Echange de vues sur les réponses apportées au questionnaire « Quelle Europe voulez-vous ? » envoyé par les membres de la Délégation à leurs concitoyens

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que le questionnaire « Quelle Europe voulez-vous ? », transmis aux membres de la Délégation européenne, avait pour objet de prolonger le débat public engagé au printemps dernier lors de la campagne référendaire. Il a tenu à préciser que les centaines de réponses retournées par la dizaine de membres de la Délégation étaient dépourvues de valeur scientifique, s'agissant non pas d'un sondage mais d'une consultation. Celle-ci a porté sur trois thèmes principaux :

- l'avenir du Traité constitutionnel européen ;

- l'élargissement de l'Union européenne ;

- une évaluation du projet et des politiques de l'Union.

En ce qui concerne l'avenir du Traité constitutionnel européen, les réponses ont fait apparaître un fort attachement au principe d'une Constitution européenne. Ceci rejoint les conclusions d'une récente enquête Eurobaromètre publiée au mois de décembre 2005, selon laquelle le soutien à l'idée d'une Constitution est plus répandu en France qu'il ne l'était au printemps 2005, mais 65 % des Français estiment nécessaire une renégociation de la Constitution, qui pourrait toutefois se limiter à la seule troisième partie sur les politiques.

L'élargissement de 2004 est majoritairement perçu comme une « nécessité historique ». Pour autant, une majorité significative souhaite une pause dans le processus d'élargissement, les engagements pris à l'égard de la Bulgarie et de la Roumanie devant toutefois être respectés. La vocation européenne de la Croatie est également reconnue. En revanche, une très forte majorité s'oppose à une adhésion de la Turquie et dans une moindre mesure de l'Ukraine. Enfin, les personnes interrogées demandent une clarification des frontières de l'Union, bien que les avis émis soient souvent très imprécis et très divergents.

Pour ce qui est de l'évaluation du projet et des politiques de l'Union, celle-ci est perçue comme un instrument de maîtrise de la mondialisation. Quant aux politiques qui devraient être prioritaires, figurent l'emploi, l'immigration et la lutte contre le terrorisme.

Le Président Pierre Lequiller a relevé le jugement sévère sur l'état de la construction européenne, les personnes interrogées considérant que le projet européen actuel n'est pas lisible. De même, la politique étrangère européenne n'est pas considérée comme crédible, tandis que la politique agricole commune est jugée négativement, les aides étant souvent perçues comme inéquitables. Enfin, il a évoqué les réponses à la question posée sur la vision de l'Europe dans dix ans.

Il a conclu en qualifiant cette consultation de positive et a ajouté que depuis quelques jours, les citoyens peuvent aussi directement répondre en ligne à un questionnaire interactif sur l'avenir de l'Europe, en se connectant sur le site Internet de l'Assemblée nationale.

M. Christian Philip a déclaré avoir reçu 160 réponses dans sa circonscription, qui a voté « oui » au référendum à plus de 64 %. Les réponses émanent respectivement d'hommes pour 70 % et de femmes pour 30 %. Leur moyenne d'âge est de 60 ans, ces personnes demeurant dans une circonscription urbaine. Plus de 80% d'entre elles souhaitent la poursuite du processus de ratification et 55 % sont favorables à un vote sur le même texte. 80 % préconisent une pause dans le processus d'élargissement. 66 % estiment que l'Union européenne n'a pas vocation à s'élargir au-delà des frontières de l'actuelle Union européenne, bien qu'une majorité soit dans le même temps favorable à l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. Trois-quarts des personnes interrogées sont favorables à la notion d'avant-garde ou de groupe pionnier. Enfin, plusieurs réponses spontanées ont précisé que le groupe pionnier pourrait être constitué par les grands Etats membres ou par les Etats fondateurs.

Mme Arlette Franco, présentant sa circonscription, a indiqué qu'elle était composée d'un quartier de Perpignan habité par des gens du voyage et une population maghrébine, de trois grandes stations balnéaires et d'une vallée viticole en difficulté. Sa circonscription - rurale à 54 % et urbaine à 46 % - a voté « non » au référendum. Parmi les personnes interrogées, 78% sont des hommes et 22 % des femmes. Leur âge moyen est de 60 ans.

90 % sont convaincus de la nécessité d'une Constitution européenne, 81 % souhaitant la poursuite du processus de ratification. 53 % sont opposés à l'organisation d'un second vote et 75 % sont hostiles à ce que le Traité soit appliqué par les seuls Etats l'ayant ratifié. 62 % sont favorables à une renégociation du Traité, 39 % estimant qu'une nouvelle Convention doit être réunie à cet effet, contre 21 % qui souhaitent la saisine du Parlement européen, 15 % se prononçant en faveur de la convocation d'une Conférence intergouvernementale.

S'agissant de l'élargissement, 40 % estiment que celui-ci a été un frein pour l'Union européenne, 29 % une nécessité et 25 % une chance pour l'Union européenne. Sur l'adhésion de l'Ukraine, 43 % sont pour et 43 % contre. 64 % sont favorables à l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie et 57 % à celle de la Croatie. En revanche, 81 % sont hostiles à l'adhésion de la Turquie. 80 % souhaitent une clarification des frontières de l'Union, mais les avis divergent sur ces frontières.

Parmi les acquis à préserver figurent la paix, la sécurité et la défense des valeurs. S'agissant des principaux objectifs de l'Union, 53 % considèrent que l'emploi est un facteur de paix sociale. 34 % déclarent que la lutte contre le terrorisme est un gage de sécurité et 25 % insistent sur le contrôle de l'immigration. 56 % considèrent que l'Union est un instrument de maîtrise de la mondialisation.

81 % jugent nécessaire une réorientation de la construction européenne. 59 % sont favorables à une pause, dans l'attente d'une clarification. 73 % veulent une Europe plus politique, quitte à ce que pour 67 % elle soit dirigée par une avant-garde.

Mme Arlette Franco a indiqué que la question posée sur la vision de l'Europe dans dix ans avait suscité des observations analogues à celles évoquées par le Président Pierre Lequiller, remarquant que l'accent avait notamment été mis sur l'harmonisation de la fiscalité des Etats membres, tandis que certaines réponses ont souhaité que l'Europe soit une fédération dirigée par un président.

M. Marc Laffineur a présenté les résultats de la consultation menée dans sa circonscription, en précisant que celle-ci, très européenne, a voté « oui » au référendum à hauteur de 55 % des voix et de 65 % dans la ville d'Avrillé.

La démarche du questionnaire a été très appréciée. Beaucoup de personnes y ont répondu, dans un sens qui ne reflète pas la moyenne nationale des résultats du référendum et, parfois, en se contredisant.

Par ailleurs, M. Marc Laffineur a souligné que sa circonscription est rurale à 60 %, en ajoutant que 55 % des personnes interrogées sont issues du milieu rural, et que 88 % des réponses ont été fournies par des hommes.

Les résultats de cette consultation sont les suivants :

- 97 % des personnes consultées estiment que l'Union européenne a besoin d'une Constitution ;

- 80 % se prononcent en faveur de la poursuite du processus de ratification ;

- 65 % sont d'accord pour faire « revoter » les pays ayant voté « non » la première fois ;

- 80 % ne souhaitent pas l'abandon du Traité constitutionnel, en l'absence de ratification par l'ensemble des Etats membres ;

- 61 % sont hostiles à une entrée en vigueur du Traité limitée aux seuls Etats l'ayant accepté ;

- 58 % sont favorables à une renégociation du texte ;

- une personne interrogée sur deux considère que la renégociation ne doit concerner que la troisième partie du texte et que la renégociation doit emprunter la voie d'une nouvelle Convention ou d'une élaboration par le Parlement européen ;

- une personne consultée sur deux estime que l'élargissement constitue une chance, tandis que 26 % considèrent que cette étape constitue un frein à l'approfondissement de la construction européenne ;

- les trois quarts sont favorables à l'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, une courte majorité soutenant également l'entrée des autres pays des Balkans ;

- de manière paradoxale, 73 % considèrent qu'il faut faire une pause dans le processus d'élargissement ;

- 56 % pensent que les frontières de l'Europe doivent être fixées de manière définitive.

En ce qui concerne le projet européen, M. Marc Laffineur a indiqué que :

- 34 % des personnes consultées considèrent que la paix doit être l'un des principaux objectifs assignés à la construction de l'Europe, le résultat étant de 33 %, dans les deux cas, pour les objectifs de sécurité et de croissance économique ;

- 70 % des personnes consultées perçoivent l'Union européenne comme un instrument de maîtrise de la mondialisation ;

- 73 % déclarent soutenir une réorientation de la construction européenne ;

- 78 % souhaitent que l'Europe s'affirme comme une puissance politique.

En ce qui concerne les politiques de l'Union, la plupart des personnes interrogées se déclarent satisfaites, à l'exception très forte de la politique de l'immigration où 73 % marquent leur désaccord.

De manière plus détaillée, d'après les réponses fournies, on constate un souhait de voir la politique agricole commune réformée pour qu'elle soutienne davantage les petits exploitants et la qualité des produits. Par ailleurs, les injustices, en termes de redistribution, de cette politique doivent être corrigées, le montant des subventions diminué et les bénéfices qu'elle apporte aux différents Etats membres rééquilibrés, compte tenu de la part belle qui serait faite aux pays du Sud.

S'agissant de la politique de défense européenne, elle doit être plus ambitieuse et aboutir à la constitution d'une armée européenne.

Quant à la politique d'immigration, elle doit permettre de mieux contrôler les flux migratoires et s'adapter aux besoins des différents pays qui varient selon leur situation. En outre, les personnes sans travail doivent être refoulées.

De son côté, la politique de lutte contre le terrorisme international doit être renforcée, notamment par un échange plus systématique de l'information entre les services de renseignements.

En conclusion, M. Marc Laffineur a estimé que ces résultats témoignent d'un souhait de « plus d'Europe », en particulier dans le sens de la construction d'une Europe-puissance d'ici dix ans. Il a jugé excellente l'initiative prise par le Président de la Délégation : l'intérêt de cette consultation a été souligné par toutes les personnes approchées. M. Marc Laffineur s'est même déclaré surpris du taux de réponses qu'il a pu constater au cours de cet exercice. Enfin, les réponses montrent, sans ambiguïté, à quel point la question européenne dépasse les clivages politiques traditionnels.

Le Président Pierre Lequiller a considéré que l'exercice mené par les membres de la Délégation souligne l'intérêt que portent les citoyens à l'Europe. Le débat sur l'Europe agite les esprits, y compris au sein de l'hémicycle, comme l'a montrée, cet après-midi, l'intervention du Président José Manuel Barroso.

Le Président Pierre Lequiller a invité les membres de la Délégation qui n'ont pas été en mesure de se livrer à cet exercice à le faire dans les meilleurs délais. L'expérience en vaut la peine, car elle se révèle riche en enseignements. Elle reflète d'ailleurs la variété des circonscriptions.

Il s'est alors interrogé sur l'opportunité d'une démarche similaire conduite par l'ensemble des députés et a émis le vœu que les parlementaires évoquent davantage les sujets européens devant leurs électeurs.

M. Marc Laffineur a partagé l'analyse du Président, en soulignant qu'un danger guette le débat européen en France aujourd'hui. A entendre les commentateurs, il semble qu'on ait définitivement tourné la page européenne après l'épisode du référendum : d'ailleurs, ce sujet majeur n'est presque plus évoqué devant l'opinion.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'ensemble des progrès ayant permis d'améliorer le traitement des sujets européens à l'Assemblée nationale. Il a cité, à titre d'illustration, la lettre européenne, l'extension du pouvoir d'examen de la Délégation à l'ensemble des textes soumis à la procédure de codécision, y compris ceux de nature réglementaire, le principe de l'organisation d'un débat avec le Premier ministre avant la tenue de chaque Conseil européen et la réunion de la Délégation, au Parlement européen, sur la directive « services ».

Le mouvement doit se poursuivre : tous les députés doivent s'interroger sur les instruments permettant de placer l'Europe au cœur de l'Assemblée nationale.

M. Michel Delebarre a évoqué son expérience concernant la mise en valeur du travail de la Délégation, avec la présentation qu'il a faite, en circonscription, du rapport rédigé par M. Christian Philip sur la libéralisation des services portuaires. Il a présenté les conclusions du rapport lors d'une réunion d'information en circonscription, qui associait l'ensemble des élus de gauche du littoral et des corporations portuaires, ainsi que M. Gilles Savary, député européen et vice-président de la commission en charge des transports au Parlement européen. Cette rencontre a eu un certain retentissement, d'autant qu'elle s'est déroulée une semaine avant le rejet de la proposition de directive par le Parlement européen. Compte tenu de cette expérience positive, M. Michel Delebarre a souhaité savoir si les députés européens français sont destinataires des avis publiés par la Délégation.

M. François Guillaume s'est déclaré frappé par le discours réaliste du Président de la Commission européenne. Il a jugé positive la volonté exprimée par ce dernier d'avancer sur des dossiers concrets plutôt que de s'enliser dans de nouveaux débats institutionnels, en particulier sur la refonte du Traité constitutionnel. Cette approche pragmatique devant être aussi celle de la Délégation, M. François Guillaume a souhaité que celle-ci puisse examiner un sujet particulièrement important, l'harmonisation de la fiscalité en Europe, en prenant pour exemple le défaut d'harmonisation constaté pour les taux de TVA, pourtant prévue depuis plus de dix ans.

Le Président Pierre Lequiller a exprimé son accord avec cette proposition.