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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 164

Réunion du mercredi 15 mars 2006 à 9 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président
puis de M. Matthias Wissmann, Président de la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag et
de M. Pierre Lequiller, Président

I. Communication de M. Jean-Marie Sermier sur la proposition de règlement relative à la protection des indications géographiques des produits agricoles (E 3071)

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a souhaité rappeler l'importance de la contribution des appellations et des indications au modèle agricole européen. Celles-ci traversent toute l'histoire de la production agricole française. A cet égard, le premier décret faisant le lien entre un produit et un territoire a été adopté au début du siècle dernier. La première appellation d'origine reconnue l'a été en 1936, le vin d'Arbois, produit dans le Jura.

Souvent décrié, car critiqué pour son soi-disant protectionnisme, ce système de dénominations assure, en réalité, une protection bien particulière, celle d'un produit et d'une méthode de production. Bref, ce qui est prévu pour les produits agricoles ne fait qu'appliquer à ce secteur les principes d'autres régimes de propriété intellectuelle, par exemple ceux des brevets pour les produits industriels.

Le rapporteur a estimé qu'en France, les AOC ont fonctionné de manière efficace. Ces instruments doivent être maintenus, tant au niveau national qu'européen, afin de protéger les productions de qualité contre les produits banalisés générés par le marché mondial.

Il a précisé que la Délégation est saisie d'une proposition de règlement sur la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.

Il a rappelé que la Communauté européenne a créé, par un règlement adopté en 1992, un système de protection et de valorisation des produits agro-alimentaires qui s'appuie sur deux grandes notions : l'appellation d'origine protégée (AOP) et l'indication géographique protégée (IGP).

La proposition de la Commission modifie le système communautaire d'enregistrement de ces dénominations.

Elle vise, d'une part, à rationaliser les informations demandées et, d'autre part, à mettre en conformité le droit communautaire avec les résultats d'un panel de l'OMC ayant, partiellement, condamné le règlement de 1992.

Sur ce dernier point, le rapporteur a précisé que les Etats-Unis et l'Australie ont déposé, à l'OMC, en août 2003, une plainte contre ce texte, au motif qu'il constitue une discrimination à l'égard des producteurs de pays tiers.

Or, le système de règlement des différends de l'Organisation a effectivement condamné le texte de 1992 pour ne pas permettre aux producteurs des pays tiers d'enregistrer, dans la Communauté, leurs propres indications géographiques.

Les parties à ce différend s'étant mises d'accord sur un délai de mise en conformité de la réglementation au 3 avril 2006, la Commission souhaite une adoption rapide de cette proposition, qu'il est prévu d'inscrire à l'ordre du jour du Conseil des 20-21 mars 2006.

En ce qui concerne les principales dispositions de la proposition, un document unique regroupant les informations clés, le cahier des charges, sera publié.

La proposition renforce, ce qui est positif pour le consommateur, les dispositions en matière d'identifiants visuels, avec une nouvelle obligation, pour les dénominations de la Communauté : indiquer, sur l'étiquetage des produits commercialisés sous une dénomination enregistrée, à la fois les mentions (« AOP » et « IGP ») et les logos communautaires correspondants. L'apposition de ces logos sur les produits originaires de pays tiers est également prévue, ce qui pose problème à la France : en effet, l'Europe ne disposera pas d'un droit de regard sur les contrôles opérés dans les pays tiers à l'égard des pays se voyant opposer un tel logo.

Par ailleurs, la proposition étend la procédure d'enregistrement des dénominations aux demandes émanant des groupements de producteurs de pays tiers. Cette modification répond à la demande du « jugement » rendu par le panel de l'OMC en avril 2005.

Enfin, la proposition, sur la base de la décision n° 1999/468/CE du 28 juin 1999 relative à la « comitologie », laquelle définit les modalités d'association des Etats membres, représentés au sein de « comités », à l'adoption des mesures d'application d'un acte communautaire, met en place un comité « hybride ». Ce dernier est en effet appelé à se prononcer selon la procédure de réglementation pour l'adoption des règles détaillées complétant le règlement de 1992 et selon la procédure de gestion pour l'adoption de décisions portant sur les dossiers relatifs aux dénominations.

La France s'associe aux objectifs de simplification et de rationalisation du dispositif proposés par la Commission, mais elle émet des réserves sur deux points essentiels.

A son article 2, la proposition donne une nouvelle définition de l'indication géographique protégée pour se rapprocher de la définition, plus large, des indications géographiques, de l'article 22 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'OMC.

Or, cette redéfinition n'est pas rendue nécessaire par les résultats du panel, lesquels ne concernent pas les définitions de l'appellation d'origine protégée et de l'indication géographique protégée.

En outre, le rapprochement avec la définition prévue par l'Accord ADPIC conduit à un appauvrissement de la notion communautaire. En effet, l'IGP ne sera plus constituée d'un nom géographique, mais s'assimilera, de plus en plus, à une simple indication de provenance.

Par ailleurs, le passage d'un comité de réglementation, mis en place depuis 1992, à un comité hybride, qui mélange les procédures de gestion et de réglementation, pose problème.

L'adoption, pour les dossiers relatifs aux dénominations, d'une procédure fondée sur un comité de gestion remet en cause la participation des Etats membres dans le processus de décision, compte tenu du caractère peu contraignant des avis rendus par ce comité.

La France n'est donc pas favorable à cette modification : d'après elle, les Etats membres doivent être associés, par la procédure de réglementation, à la totalité des sujets relatifs aux AOP-IGP, qu'ils portent sur des questions d'ensemble, comme sur des dossiers particuliers.

Or, sur ces deux points, la Présidence autrichienne de l'Union a proposé, fin février, un compromis sur le texte de la proposition, qui satisfait les revendications de la France : il réintroduit la définition de l'indication géographique protégée de l'actuel règlement et revient au comité de réglementation en vigueur.

M. François Guillaume a souhaité savoir si la proposition de règlement permet de prolonger l'effort de simplification des appellations poursuivi par la nouvelle loi d'orientation agricole. Il a souligné le caractère nécessaire d'une telle démarche, le régime actuel, par sa complexité, créant trop de confusion chez le consommateur. Le système de valorisation que constituent les appellations ne doit mettre en évidence que les produits qui le méritent.

M. François Guillaume a cité l'exemple du jambon de Parme, qui doit être fumé pendant 24 heures dans cette région pour bénéficier de l'IGP. Il a déclaré, à cet égard, qu'il était partisan d'une simplification plus radicale, abandonnant le système des deux notions AOP et IGP. Il a considéré d'ailleurs que l'utilisation de l'adjectif « protégé » pour les appellations d'origine et les indications géographiques ne permet pas de répondre à l'objectif de simplification.

Il a enfin demandé comment le récent accord viticole signé avec les Etats-Unis, qui tend à favoriser les usurpations, s'articule avec la refonte du système des dénominations protégées en Europe.

M. Pierre Forgues s'est interrogé sur la différence existant entre les AOP et les IGP qui, à ses yeux, lui paraît très ténue. Puis il a estimé que la volonté de protéger, au niveau mondial, toutes les appellations et les indications est une « belle illusion ». Cette démarche se justifie pleinement au niveau national, voire au niveau européen, mais voir plus grand, c'est aller vers la déception et tomber dans le ridicule.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les éléments de précision suivants :

- la loi d'orientation agricole a cherché à simplifier le régime des appellations, dont la complexité croît avec la coexistence des appellations, des labels « bio » et autres et les marques. Le souci de rationalisation doit nous guider et la proposition de la Commission y répond en partie ;

- l'Europe doit mettre en conformité son système avec les résultats du panel de l'OMC, lequel a jugé le système d'enregistrement discriminatoire. Il reste que l'apparition des logos communautaires sur les produits des pays tiers risque de créer de la confusion chez le consommateur européen, lequel fera son choix sur des produits ainsi labellisés, sans que l'Europe ait contrôlé le bon fonctionnement du système d'appellation des pays tiers ;

- il est important que la procédure de réglementation soit maintenue pour impliquer les Etats membres à tous les stades de décisions ;

- l'Europe n'est pas la seule à recourir à des appellations. Des règles mondiales sont par ailleurs souhaitables, afin d'éviter les distorsions de concurrence préjudiciables aux produits de qualité ;

- malgré une certaine complexité, nos appellations ont fait leur preuve : elles sont reconnues et jouent un rôle dans la commercialisation des produits.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions proposées par le rapporteur, dont le texte figure ci-après :

« La Délégation, 

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires,

1. Approuve la simplification des informations exigées pour l'instruction d'une demande d'enregistrement d'une dénomination,

2. Demande le maintien de la définition actuelle des indications géographiques, établissant un lien fort, constitutif de notre modèle agricole, entre nom géographique et savoir-faire, dont la révision n'est pas exigée par le rapport du « panel » adopté le 20 avril 2005 par l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce,

3. Soutient la demande du Gouvernement français concernant le recours à une procédure dite de réglementation pour l'adoption des mesures d'application du futur règlement, permettant d'associer les Etats membres à l'ensemble des décisions à prendre. »

II. Examen de deux textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné deux textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé ces deux textes.

¬ Commerce extérieur

- proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord relatif à l'octroi d'un régime de franchise de droits aux circuits intégrés à puces multiples (MCP) par une modification de l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 3093).

¬ PESC et relations extérieures

- projet d'action commune 2006/ .../PESC du Conseil du ... concernant le soutien aux activités de la Commission préparatoire de l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE) dans le domaine de la formation et du renforcement des capacités de vérification et dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de l'Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive (document E 3095).

III. Réunion commune avec la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag, ouverte à la presse

Le Président Pierre Lequiller s'est réjoui d'accueillir à l'Assemblée nationale les membres de la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag à l'occasion de cette réunion commune. Il s'est félicité de la présence d'étudiants dans l'assistance, estimant que l'Europe se construisait avant tout pour sa jeunesse.

Après avoir exposé les sujets à l'ordre du jour, il a tenu à rappeler les initiatives prises pour renforcer la place de l'Europe au sein de l'Assemblée nationale et a mentionné les propositions formulées par M. Michel Herbillon dans son excellent rapport sur « la fracture européenne ».

A l'initiative du Président Jean-Louis Debré, plusieurs personnalités européennes sont venues s'exprimer en séance publique, citant le débat organisé dans l'hémicycle en janvier dernier avec le Président de la Commission européenne, M. José-Manuel Barroso. Par ailleurs, un débat parlementaire est désormais organisé avant chaque réunion du Conseil européen et une fois par mois, la séance des questions d'actualité au Gouvernement est en partie réservée à des thèmes européens. L'Assemblée publie également une lettre d'information européenne qui est envoyée à tous les députés et dispose depuis 2003 d'un bureau de représentation à Bruxelles. Pour sa part, la Délégation pour l'Union européenne, dont la plupart des réunions sont ouvertes aux députés européens, a pris de nombreuses initiatives avec la création d'une nouvelle rubrique européenne sur Internet et la mise en ligne d'un questionnaire interactif sur l'avenir de l'Europe. Dans le cadre de la période de réflexion, le Président Pierre Lequiller a annoncé qu'il allait demander aux membres de la Délégation de se rendre dans différentes capitales européennes afin d'engager un dialogue, au niveau parlementaire, sur l'avenir de l'Europe. Le couple franco-allemand, s'il est capital, ne doit en effet pas être exclusif mais rester ouvert sur l'ensemble des pays de l'Union.

Le Président Matthias Wissmann a remercié le Président et les membres de la Délégation française pour leur accueil et l'atmosphère à la fois chaleureuse et politique du dîner de travail de la veille qui a permis d'échanger sur les projets d'avenir qui nous unissent.

Il s'agit de la quatrième réunion conjointe, ce qui souligne que le travail en commun devient de plus en plus naturel. Il s'est félicité de la présence d'étudiants à cette réunion, rappelant que la jeunesse constitue un volet très important de la coopération franco-allemande. Puis il a insisté sur la dimension parlementaire du couple franco-allemand, qui ne saurait se limiter au niveau gouvernemental.

S'exprimant ensuite sur l'avenir du traité constitutionnel, il a déclaré que l'issue des référendums français et néerlandais avait été vécue comme un choc en Allemagne. Cela serait mentir que de ne pas le reconnaître. A l'exception du parti d'extrême gauche, toutes les formations politiques allemandes s'étaient prononcées en faveur du texte et souhaitent aujourd'hui préserver l'essentiel du traité. La situation actuelle ne doit pas conduire à stopper l'approfondissement de l'Union européenne élargie.

Il a déclaré comprendre la position défendue par la France dès lors que les citoyens ont rejeté le traité, tout en déplorant que la particularité d'un référendum, c'est que l'on réponde à toutes les questions, sauf à celle qui est posée.

L'Allemagne reste pour sa part attachée au texte et mettra à profit sa présidence de l'Union européenne, au premier semestre 2007, pour prendre des initiatives. Néanmoins, rien ne pourra se décider avant les élections présidentielle et législatives en France au printemps 2007, ce qui ne laissera, en un mois, que très peu de marges de manœuvre à la future présidence allemande. D'ici là, le Président Matthias Wissmann a souhaité que l'on puisse d'ores et déjà progresser sur un certain nombre de sujets comme le renforcement du rôle des parlements nationaux et le contrôle du respect du principe de subsidiarité. Des avancées peuvent être envisagées, même si le traité constitutionnel n'est pas entré en vigueur.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le blocage institutionnel ne devait pas conduire les européens à renoncer à approfondir les politiques communes estimant, à l'instar de son homologue allemand, qu'il n'est plus envisageable d'élargir l'Union au-delà de la Bulgarie et de la Roumanie, sans un approfondissement préalable. A l'occasion du référendum, les citoyens français ont d'ailleurs sanctionné l'Europe, estimant qu'elle n'allait pas assez loin dans des domaines clés tels que la recherche, la politique économique et sociale ainsi qu'en matière d'emploi. De même, il est nécessaire de mettre en place une véritable politique européenne de l'énergie. Le Président Pierre Lequiller a également souhaité que l'on développe davantage les politiques européennes dans les domaines de la culture et de l'éducation.

S'exprimant ensuite sur le processus de ratification du traité constitutionnel, il a rappelé que 14 pays avaient ratifié le texte (ils pourraient bientôt être 16 avec l'Estonie et la Finlande) et que deux l'avaient rejeté. En application de la règle de l'unanimité, on ne pourra sortir du blocage qu'en modifiant le traité, car il est impensable de revenir devant le peuple français avec le même texte. Plusieurs propositions ont été formulées ici et là, qui soulignent le caractère consensuel des dispositions institutionnelles de la première partie du traité (présidence stable du Conseil européen, ministre européen des affaires étrangères, double majorité, notamment) alors que le débat référendaire français a essentiellement porté sur les dispositions controversées de la troisième partie. C'est l'analyse que fait le Président de l'UMP, M. Nicolas Sarkozy.

Le Président Pierre Lequiller a ainsi suggéré qu'une réflexion s'engage à partir des première et deuxième parties, même s'il est vrai qu'aucune décision ne pourra être prise avant les échéances électorales de 2007. Il a néanmoins admis la difficulté que cela présentait pour les pays qui ont ratifié le traité et qui sont naturellement réticents à tout nouveau vote sur un autre texte. En tout état de cause, il faut définir une méthode appropriée pour remédier au plus vite aux lacunes institutionnelles, à commencer par l'exigence de l'unanimité qui empêche l'approfondissement de la construction européenne dans un nombre important de domaines.

M. Axel Schäfer, après avoir rappelé son rôle de porte-parole du SPD sur les questions européennes au sein du Bundestag, a estimé qu'il convenait de maintenir le projet de traité constitutionnel tel qu'il a été ratifié par plusieurs Etats membres. Il ne s'agit pas seulement de constater un état de fait, mais également de tenir compte d'une dynamique liée à la nature de la construction européenne. Ceux qui disent que la Constitution est morte, comme le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas, sont ceux qui veulent interrompre le processus en cours. Tel n'est pas le cas de ceux qui veulent aller plus loin. Actuellement un peu moins de 60 % des pays ont ratifié le projet de traité et si l'on tient compte du prochain élargissement, il y aura en principe à la fin de l'année, 16 ratifications pour 27 Etats membres, soit la majorité des deux tiers. La question est de savoir si l'on considèrera qu'un certain quorum a ainsi été atteint.

S'agissant des éléments institutionnels tels que la Présidence du Conseil européen, leur mise en œuvre est difficile à envisager sans savoir comment évoluera le texte. Pour ce qui est des élections européennes de 2009, on envisage parfois d'organiser une campagne européenne avec des partenaires qui influent sur l'avenir de l'Europe. Se sent-on assez fort pour faire campagne avec d'autres européens ?

Sur un autre plan, il faut tenir compte des enseignements de l'histoire. Celle-ci ne se répète pas et l'échec de la CED en 1954 ne doit pas être considéré comme un précédent. Le dernier projet commun qui a eu du succès, celui de la monnaie, a abouti selon un calendrier plus long qu'initialement prévu. Dès 1969, le Chancelier Willy Brandt et le Président Georges Pompidou avaient envisagé une monnaie européenne avant l'échéance de 1980. Ensuite le Chancelier Helmut Schmidt et le Président Valéry Giscard d'Estaing puis le Chancelier Helmut Kohl et le Président François Mitterrand se sont accordés sur un tel projet et ce n'est que récemment que nous avons eu les pièces en euro. Le projet constitutionnel est un succès, même si l'on ne tient pas le calendrier initialement prévu.

M. Christian Philip a souhaité savoir si, du point de vue allemand, il serait possible, voire souhaitable, dans l'attente d'une évolution sur le projet constitutionnel, de mettre en œuvre certaines de ses dispositions qui pourraient juridiquement l'être dans le cadre des traités actuels : le contrôle des parlements nationaux sur la subsidiarité ; la règle de transparence du Conseil ; l'initiative populaire ; le titre de ministre des affaires étrangères qui pourrait d'ores et déjà être attribué.

M. Christian Philip a ensuite évoqué les travaux du Parlement européen en la matière, notamment la proposition de Forum interparlementaire, avant de remarquer que la non ratification par deux Etats membres bloquait en tout état de cause le processus de ratification engagé, en raison de la règle de l'unanimité des Etats membres. Etant également difficile de faire fi des ratifications déjà intervenues comme de demander à un pays de se déjuger, il convient de faire preuve d'initiative pour imaginer une autre voie. Il serait difficile d'obtenir à nouveau l'équilibre actuel si l'on reprenait la question à son point de départ. Comment, par conséquent, l'Allemagne envisage-t-elle sa présidence de l'Union européenne, qui débutera dans un peu plus d'un an, pour contribuer à définir une telle voie ?

M. Michael Stübgen, s'exprimant au nom du groupe CDU/CSU, a rappelé son accord avec le Président Matthias Wissmann et M. Axel Schäfer. Au sein du Bundestag, l'opinion selon laquelle le projet de traité constitutionnel est un ensemble de textes qui ne peuvent entrer en vigueur que conjointement, ou pas du tout, est largement partagée. Ce projet est le résultat d'un compromis intervenu à l'issue d'un important travail mené sur une longue période. L'exclusion de l'une de ses parties à la demande de l'un des Etats pourrait entraîner des demandes reconventionnelles sur certains de ces éléments. Il est vrai qu'il est difficile pour les Pays-Bas et pour la France d'envisager de présenter le même texte à leurs électeurs jusqu'à ce qu'ils donnent leur accord. De même, les pays qui ont déjà ratifié pourraient être exposés à de semblables difficultés si on leur présentait un autre traité. Il est certes difficile de résoudre une telle situation. On peut cependant envisager un élément supplémentaire qui s'ajouterait au projet actuel. La France voterait sur le nouvel ensemble, et les autres Etats sur cet élément supplémentaire. Si, en revanche, on retranche une partie du traité, on éprouvera de grandes difficultés. Les débats sur la subsidiarité ou la double majorité seront extrêmement durs.

M. Marc Laffineur a jugé que l'on pouvait craindre des observations précédentes que l'on se trouvât dans une impasse. Même si les arguments des Etats qui ont déjà ratifié le texte sont compréhensibles, la France ne pourra avant longtemps faire voter sur celui-ci. La règle démocratique s'impose. Le peuple français ne semble pas avoir changé d'avis et l'on peut même estimer que si un autre référendum était actuellement organisé, son résultat serait encore plus défavorable. Pour un parlementaire qui a soutenu le traité constitutionnel, cette situation est regrettable. Néanmoins, il faut trouver une solution pour sortir de la crise. Une ratification parlementaire ne peut naturellement être envisagée, car elle serait perçue comme un coup d'Etat. A l'autre extrême, il est très difficile d'envisager que l'Europe se poursuive sans la France. Sans, par conséquent, méconnaître la responsabilité de chacun, il faut essayer d'imaginer une solution qui permette à l'Europe de se constituer dans un monde qui évolue très rapidement et se structure, notamment en Asie et en Amérique. Si chacun continue à camper sur ses positions, il en résultera un immobilisme qui signifie la mort de l'Europe.

Le Président Matthias Wissmann a regretté que M. Marc Laffineur, médecin anesthésiste et réanimateur, n'ait pas la solution pour réanimer l'Europe.

M. Markus Löning, s'exprimant au nom du FDP, a exclu toute hypothèse d'une Europe sans la France et sans un accord de tous. Néanmoins, il faut tenir un langage de vérité et l'idée d'un protocole supplémentaire ne fera pas nécessairement avancer la cause européenne car elle donnera l'impression que l'on veut contourner l'opinion. Il faut donc se concentrer sur ce qui a fait le succès de l'Europe et examiner les politiques dont elle a besoin. Si la politique agricole commune correspondait à des objectifs clairs en 1963 lorsqu'elle a été établie par le Chancelier Konrad Adenauer et le Général de Gaulle, tel n'est plus le cas aujourd'hui. La même question de la pertinence de la politique régionale se pose. L'Europe a-t-elle ou non pour mission de répartir des fonds ? On peut en douter. En revanche, elle a besoin de parler d'une seule voix, sur le plan mondial, et de se concentrer sur les projets et domaines qui ont fait son succès. On ne peut négliger non plus que le traité constitutionnel a été adopté par une majorité d'Etats.

M. Pierre Forgues a estimé que l'on ne pouvait pas établir de symétrie entre la situation des Etats qui ont ratifié le projet et ceux qui l'ont refusé. La règle est en effet celle de l'unanimité. Il suffit qu'au moins l'un des Etats membres le rejette pour qu'il ne soit pas adopté. Un autre raisonnement ne peut être tenu que si l'on a considéré dès l'origine qu'aucun avis négatif ne pourrait intervenir.

Il faut par conséquent remettre l'ouvrage sur le métier. Des initiatives peuvent bien intervenir avant le deuxième semestre 2007 et il n'est pas fondé de dire qu'elles seraient contrariées par la perspective des élections françaises. Admettre le contraire revient à considérer que la France ne s'est pas prononcée par référendum sur les véritables enjeux européens, mais uniquement en fonction de considérations nationales et, par conséquent, ce qui est erroné, qu'il est possible de ne rien faire. Il faut en fait réexaminer les raisons qui ont conduit deux peuples à voter non, notamment la peur de la mondialisation, face à laquelle le traité n'a pas paru suffisant sur le plan social, et le principe de subsidiarité qui est extrêmement complexe. Si les gouvernements parviennent à s'entendre sur ces deux points, ils pourront alors établir un projet répondant aux attentes, telles qu'elles se sont exprimées à l'occasion des consultations populaires.

M. Diether Dehm, porte-parole du groupe Die Linke sur la politique européenne, a affirmé que si un référendum sur le traité constitutionnel avait eu lieu en Allemagne, 80% des électeurs auraient voté contre. Ce traité constitutionnel n'a pas le souffle historique qu'avait la Constitution allemande de 1949 et qui a même permis à celle-ci de surmonter la réunification. Le traité constitutionnel européen a été fait au bénéfice des grands groupes, des spéculateurs et des banques, pas pour les populations. M. Diether Dehm a félicité le peuple français d'avoir eu un vote courageux. Il a qualifié le projet de Constitution de « truc » éloigné de toute démarche démocratique. Il a précisé que son groupe est favorable à l'élaboration d'une autre Constitution européenne et est prêt à participer à un projet constitutionnel de remplacement.

M. Daniel Garrigue a indiqué qu'il serait regrettable que les positions restent figées s'agissant de la Constitution. Les Etats qui ont utilisé la procédure de la ratification parlementaire ne peuvent être certains qu'ils auraient obtenu cette ratification s'ils avaient eu recours au référendum ; il faut donc relativiser la portée de ces votes.

Derrière le « non » français, il y avait deux questions :

- la question des frontières de l'Europe, surtout par rapport à la Turquie : il ne sera pas possible de faire progresser l'Europe si l'on ne règle pas ce problème des frontières, car les citoyens européens ne s'identifieront pas à une Union européenne dont les frontières resteraient indéfinies ;

- la question de la mondialisation : les Français ont rejeté le traité constitutionnel car ils ont le sentiment que l'Europe n'y apporte pas de réponse, n'a aucune stratégie face à la mondialisation. L'Europe doit donc se doter de capacités d'analyse et définir les enjeux auxquels elle tient sur le plan énergétique, technologique... Si l'Europe avait des objectifs clairs en termes d'enjeux mondiaux, la question des « champions nationaux » ne se poserait plus. Par ailleurs, il faudra que l'Europe se dote d'outils pour défendre les enjeux qu'elle aura choisis.

Enfin, M. Daniel Garrigue a indiqué que, comme le Président Matthias Wissmann, les parlements nationaux doivent être beaucoup mieux associés à la construction européenne. Il a ajouté que les affaires européennes ne devaient plus, comme c'est le cas aujourd'hui, être réservés à quelques spécialistes au sein de chaque Parlement.

M. Rainder Steenblock, porte-parole des Verts au Bundestag, a exprimé le souhait qu'un projet constitutionnel soit développé au sein des groupes parlementaires. Il est nécessaire de faire une Constitution réunissant tous les pays européens. Ceci constitue un énorme défi à la capacité de compromis des partis politiques, des gouvernements et de la société civile. Or, il semble que ceux-ci capitulent face à ce défi, en raison du manque de confiance qui affecte les institutions.

M. Rainder Steenblock a dit comprendre que des millions d'Européens doutent de la capacité d'action de l'Union européenne, et s'est dit sceptique quant à la possibilité de regagner la confiance des populations, même si la perception varie selon les pays. Pourrait-on envisager de guérir le malade en changeant certains de ses organes ? Il y a en tout cas un défi qui concerne les parlements nationaux : cesser de déclarer que l'Europe est la cause de tous les problèmes. Pour cela, les réunions interparlementaires tenues à Bruxelles revêtent une grande importance. Un futur traité constitutionnel devra prévoir une subsidiarité nouvelle. Il faut poser clairement la question : que voulons-nous régler sur le plan européen ? Sans doute la politique étrangère, mais aussi d'autres sujets, et il faut donc remettre la question de la subsidiarité au cœur du débat.

M. François Guillaume a souligné qu'il a lui-même vécu toute l'histoire communautaire depuis le traité de Rome et qu'il y a participé de multiples façons. A la lumière de cette expérience, il a considéré que l'affaire de la Constitution mort-née n'est qu'une « mini-crise » par rapport aux crises du passé. Il est encore possible de développer des politiques communes. M. François Guillaume s'est élevé contre la suggestion de supprimer la Politique Agricole Commune : il ne faut pas supprimer des politiques communes mais éventuellement modifier celles qui existent et en construire d'autres : une politique fiscale commune, dont l'émergence est pour l'instant bloquée, une politique sociale, une politique de l'énergie, une politique de défense des intérêts européens face aux intérêts américains dans le cadre de l'O.M.C.

M. François Guillaume a rappelé le postulat de départ selon lequel le peuple a toujours raison, même si selon Montesquieu le peuple est tout juste bon à choisir ses représentants. Il est facile de consulter un Parlement où l'on sait que la majorité fera adopter tout texte, qu'il soit bon ou mauvais.

M. François Guillaume a appelé à ne pas toucher aux institutions. Le Président Jacques Chirac et le Chancelier Gerhard Schröder avaient dit que le traité de Nice était bon, et deux ans plus tard c'est le contraire qui a été affirmé. Il faut faire avancer les projets concrets, et non pas commencer par réformer les institutions. Et si l'on y touche un jour, en France, il faudra passer par la voie référendaire et pas par une ratification parlementaire.

M. Michael Grosse-Brömer a rappelé combien, à la fin des années cinquante, l'idée européenne suscitait l'enthousiasme en France et en Italie. Il a appelé tous les élus à ne pas enterrer cet enthousiasme. Ce qui doit être réglé en Europe ne doit pas toujours être réglé par l'Europe. Il ne faut pas surcharger l'Union européenne, et il est nécessaire d'approfondir avant d'élargir. Il faut chercher à redévelopper un enthousiasme pour l'Europe et à remettre celle-ci à sa bonne place.

M. Michel Herbillon a souligné combien la situation actuelle de l'Europe est singulière et difficile, qualifiant cette situation de crise et de panne. Il n'est pas bon de se cacher cette réalité, que vivent et constatent les Européens. Que faut-il faire ? En tout état de cause, il ne faut pas rester immobiles en attendant les échéances de 2007, qu'il s'agisse de la présidence allemande de l'Union ou des élections françaises. La question sera nécessairement évoquée pendant la campagne électorale en France. Par conséquent, il faut en amont, dès maintenant, trouver des solutions. Sur quels sujets ?

- sur l'élargissement et la question des frontières de l'Europe, de la pédagogie est nécessaire car les citoyens français en ont peur ;

- comment faire marcher l'Europe pour qu'elle intéresse les Européens ?

- quel rôle futur pour le couple franco-allemand ?

- enfin, la question des institutions, qui est primordiale puisque l'Union ne peut fonctionner à vingt-cinq ou vingt-sept comme elle fonctionnait à dix ou quinze.

M. Michel Herbillon a conclu en invitant la commission des affaires européennes du Bundestag et la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne à prendre des initiatives, soulignant que certains responsables, comme M. Nicolas Sarkozy qui s'est exprimé à Berlin devant la Fondation Konrad Adenauer le 16 février 2006, ont déjà formulé des propositions.

M. Michaël Roth a estimé que le débat sur le traité constitutionnel en France et en Allemagne avait été déloyal et dénué de connaissances profondes. Il est erroné de soutenir que le traité ne comporte pas de dimension sociale. Il comprend bien plus de dispositions sociales que les constitutions nationales.

Il convient aujourd'hui d'éviter que des chefs d'Etat comme MM. Vaclav Klaus et Lech Kaczynski mènent le débat, car ils souhaitent arrêter l'intégration européenne. Un renoncement à cette démarche d'intégration serait un échec pour tous.

Il serait souhaitable que l'Union européenne se concentre sur des succès concrets. La Commission, qui a l'initiative législative, devrait intégrer plus d'éléments sociaux. On peut en effet regretter que, comme certains Etats membres, elle n'ait pas toujours compris les attentes de la population européenne. Les projets politiques en matière de politique étrangère et de défense devraient également être une priorité.

Enfin, les parlements nationaux devraient renforcer leur capacité d'action en matière européenne. A cet égard, le Bundestag tient actuellement de bons débats sur l'Europe.

M. René André a estimé que l'Europe était morte, car les Etats membres l'ont accusée de tous les échecs et les responsables successifs de la Commission n'ont pas pris en compte les besoins des populations.

Il ne faut pas vouloir aujourd'hui faire accepter au peuple français ce qu'il a refusé. Le « non » de la France au référendum traduit un rejet d'une Europe se réduisant à une zone de libre-échange, ne permettant pas une meilleure protection sociale et mettant en œuvre une politique économique qui n'est pas soutenue par la population.

Si l'Europe évolue vers une zone de libre-échange, la question de ses frontières ne pose pas de difficulté. Il convient, en revanche, de recommencer à construire à quelques-uns, partageant les mêmes conceptions économiques et sociales, une Europe plus intégrée, permettant une véritable protection contre la mondialisation.

M. Jürgen Trittin a souligné qu'il avait ressenti le résultat du référendum français comme particulièrement douloureux, d'autant plus qu'il s'était exprimé sur le traité constitutionnel à l'Institut d'études politiques de Paris, avec M. Serge Lepeltier.

On peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'Europe, qui s'est construite à partir de la coopération économique, a eu un tel effet de paix sur le continent. Cette diffusion de la paix s'explique par la potentialité d'élargissement, à laquelle il ne faut pas renoncer. Il est cependant impossible d'élargir sans approfondir. Il faut un modèle différent de celui proposé par la Pologne et le Royaume-Uni, afin de renforcer la cohésion sociale et d'améliorer les conditions de vie.

La Convention présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing a proposé des éléments nouveaux qui ne sont pas contestés, comme la Charte des droits fondamentaux. Le traité constitutionnel est plus progressiste que la Constitution allemande, aux plans écologique et social.

Un compromis est aujourd'hui nécessaire sur la répartition des pouvoirs entre les institutions. Il convient également de se tourner vers l'avenir et de développer une compréhension commune sur les sujets de l'énergie et de la fiscalité.

M. Jean-Claude Lefort a estimé que l'Europe n'était pas morte mais qu'un certain type de construction européenne avait échoué. L'Europe souffre d'une panne d'ambition, de vision d'avenir, de modèle social et du manque de volonté de construire un monde multipolaire.

Le traité constitutionnel étant un traité international, son rejet par un ou plusieurs Etats conduit à son abandon. Un consensus devrait se dégager sur ce point à l'issue de la période de réflexion.

Il faut faire preuve de prudence lorsqu'on affirme que les Français ont répondu à une autre question que celle qui leur était posée. L'UMP, l'UDF, le Parti socialiste, les Verts avaient pris position en faveur du traité constitutionnel. A l'Assemblée nationale, seul le groupe communiste, qui compte 22 membres, y était opposé. Ceci souligne que le rejet du traité était un rejet fondamental et qu'on ne peut aujourd'hui le réintroduire, pour des raisons politiques et juridiques.

Le président de l'UMP, M. Nicolas Sarkozy, et le président de la commission des affaires étrangères, M. Edouard Balladur, ont estimé que l'intégration de la 3ème partie dans le traité était une erreur et ont souhaité qu'un accord intervienne sur les institutions. Or ce volet est lui-même discutable. Par exemple, la question du rattachement du ministre des affaires étrangères de l'Union se pose, quand on constate l'impuissance de celle-ci en Irak ou en Palestine. La dissociation des institutions et du contenu n'est pas souhaitable.

M. Hans Eichel a considéré qu'il fallait se garder de trop simplifier la situation, en considérant que le rejet du traité par deux Etats conduisait à son échec. Il faut également éviter de trop la compliquer, en exigeant qu'une solution soit trouvée dans l'immédiat.

Les partisans du traité souhaitent la possibilité d'une nouvelle constitution, tandis que certains Etats, comme la Pologne et la République tchèque, y sont opposés.

Il est paradoxal que la France, un Etat fondateur, se retrouve dans le même camp que le Royaume-Uni, qui a une conception différente de l'Europe.

La solution n'est pas la conclusion d'un nouveau traité dans un avenir proche. M. Hans Eichel, après avoir cité M. Vaclav Klaus, Président de la République tchèque, qui a déclaré que le processus du traité avait échoué, mais que l'Europe se poursuivait, s'est déclaré optimiste. Il faut désormais se concentrer sur les tâches d'avenir et sur les mesures susceptibles de créer de l'identité européenne.

Comme M. Dominique de Villepin l'a souligné lors de son intervention à l'université Humboldt à Berlin, il importe de lancer de nouveaux projets européens et d'adopter une approche pragmatique. L'Europe va continuer et une nouvelle situation peut permettre de résoudre les difficultés du traité constitutionnel.

M. Gérard Voisin, se référant à certaines interventions précédentes de députés français a observé que celles-ci avaient mis l'accent sur la panne à laquelle est confrontée la construction européenne ou sur l'absence de remèdes à la crise qu'elle traverse.

Evoquant les propos du Président Matthias Wissmann sur les difficultés inhérentes au calendrier décalé entre la future présidence allemande au premier semestre de l'année 2007 et les échéances électorales en France, il a jugé nécessaire que les initiatives réclamées par certains orateurs en vue de relancer la construction européenne puissent être d'ores et déjà examinées. L'échec du référendum en France est principalement dû à l'absence de pédagogie en direction des citoyens, car les Français aiment l'Europe, laquelle n'est pas morte dans leur esprit. C'est pourquoi, alors que le débat européen montera en puissance lors des prochaines élections présidentielles, il importe, d'une part, de s'accorder sur la nécessité d'approfondir la construction européenne avant de procéder à tout élargissement. D'autre part, les députés de la Délégation pour l'Union européenne et de la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag ont l'ardente obligation d'intervenir dans le débat politique et dans la campagne qui va s'ouvrir afin d'affirmer des positions pro-européennes.

M. Rainer Fornahl, contestant que l'Europe soit morte ou dans l'impasse, a déclaré qu'au contraire, elle était vivante et constituait une réalité quotidienne pour des millions de citoyens, à travers en particulier les projets transfrontaliers.

Evoquant le contexte actuel, il a rappelé que la moitié des Etats membres avait ratifié le traité constitutionnel, tandis que deux Etats membres fondateurs de l'Union - dont l'un des plus grands, la France - l'avaient rejeté, ce qui doit inciter cette dernière et l'Allemagne à se concerter en vue de parvenir à des vues communes. Il a considéré que le non français était le reflet de l'échec de l'Europe à répondre aux préoccupations des citoyens touchant à la mondialisation et aux problèmes économiques et sociaux auxquels ils sont confrontés.

M. Rainer Fornhal a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'attendre 2007 pour relancer la construction européenne et que, dans cette perspective, il appartenait à la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag et à la Délégation pour l'Union française de formuler des propositions et de créer un groupe de travail commun, afin qu'il soit possible d'avancer plus rapidement.

M. Jean-Marie Sermier a considéré que le traité sur la Constitution était mort et non l'Europe. Il a estimé que, compte tenu de la clarté des règles régissant l'adoption - à l'unanimité - du traité, le rejet exprimé par la France et les Pays-Bas s'opposait au maintien du traité.

S'agissant de la France, cette dernière n'a pas dit non à l'Europe, mais à l'amalgame entre les institutions, les règles du jeu et la politique à mener. La France est opposée à ce qu'une quelconque orientation politique soit inscrite dans le marbre du traité. Un nouveau rejet ne serait donc pas à exclure si, dans l'avenir, il était procédé à une consultation qui ne se départirait pas d'un tel amalgame. En conclusion, M. Jean-Marie Sermier a estimé, à titre personnel, qu'il conviendrait de laisser à une assemblée constituante élue par les citoyens européens, le soin d'établir une règle du jeu et de proposer de nouvelles institutions.

Le Président Pierre Lequiller, se félicitant que cette discussion très intéressante ait eu lieu, a considéré qu'il existait une volonté largement partagée par les différents intervenants de relancer la construction européenne et de réfléchir aux politiques à mener pour faire face à l'une des crises les plus graves auxquelles l'Europe est confrontée.

Il a ensuite proposé que soit abordé le thème de l'élargissement.

Le Président Matthias Wissmann, revenant sur le débat touchant au traité constitutionnel, a considéré qu'il ne pourra valablement reprendre qu'après les élections néerlandaises et françaises. C'est seulement à ce moment-là que, selon lui, existera une opportunité pour dégager des orientations.

Evoquant la question de l'élargissement, il a fait état des positions du Parlement européen, qui, dans une résolution du 19 janvier 2006 sur l'avenir de l'Europe, a estimé que le Traité de Nice ne permettait pas de procéder à un élargissement après les adhésions de la Bulgarie et de la Roumanie. Dans une nouvelle résolution, le Parlement européen a déclaré qu'il ne serait pas possible de mettre en œuvre l'élargissement sans approfondissement préalable.

Le Président Matthias Wissmann s'est dès lors interrogé à titre personnel sur la possibilité de maintenir, dans l'avenir, le système qui avait prévalu jusqu'à présent, d'après lequel l'appartenance à l'Union européenne est liée simplement au statut d'Etat membre à part entière ou si, au contraire, il ne serait pas nécessaire d'envisager de nouvelles formes particulières - dont les partenariats - en vue de jeter des ponts vers les Etats voisins. Il serait illusoire de penser qu'en 2025, par exemple, l'Union européenne puisse compter 40 Etats membres. Hormis la France et l'Allemagne, ce sont les Etats qui ont plaidé en faveur d'un élargissement très rapide, qui ont été les plus hostiles à une Union européenne politique. Dans ce contexte, la coopération entre les parlements français et allemand est décisive pour éviter que l'Europe ne soit seulement une zone de libre-échange. Il a rappelé par ailleurs que les chefs de gouvernement avaient insisté sur l'importance des frontières de l'Union européenne, problème qui, selon lui, pourrait utilement être inscrit à l'ordre du jour de la réunion de la commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag et de la Délégation. La France et l'Allemagne doivent être le moteur de la construction européenne.

Le Président Pierre Lequiller a tenu à faire part de sa totale unité de vues avec les propos du Président Matthias Wissmann. Il est clair qu'on ne pourra plus continuer à élargir l'Union européenne sans approfondissement préalable et que la conception que l'on s'en fait est liée à la question de ses frontières.

M. Bernard Deflesselles, après également s'être déclaré en accord avec l'intervention du Président Matthias Wissmann, a vu dans l'élargissement une question qu'il a qualifiée de centrale. Si, à ses yeux, l'Union européenne n'est pas morte, elle doit toutefois faire face, d'une part, au problème des institutions et de l'approfondissement et, d'autre part, à celui de l'élargissement.

Il a considéré que si les problèmes institutionnels revêtaient aux yeux des citoyens une importance secondaire, en revanche, ils sont fortement préoccupés par les questions des frontières et de l'élargissement, car elles sont liées à des enjeux géostratégiques et aux politiques à mener quant aux directions que l'on veut assigner à la construction européenne, comme l'illustre, en particulier, un rapport au Parlement européen de M. Elmar Brok sur le document de stratégie pour l'élargissement 2005 de la Commission. Ce rapport pose ainsi de nombreuses questions touchant : aux frontières de l'Union européenne ; au scepticisme suscité par la situation dans les Balkans et aux ressources budgétaires de l'Union européenne et des Etats membres.

Dès lors, les partis politiques se doivent de prendre en considération le sentiment d'abandon dans lequel se sont trouvés les citoyens français qui ont tourné le dos à la construction européenne lors du référendum, car les partis politiques ont perdu en cette circonstance leur capacité à donner un souffle au projet européen. C'est pourquoi, il leur appartient d'expliquer les enjeux de l'élargissement, afin d'éviter l'erreur commise en 2004, puisque, lors de cet élargissement-là, aucun effort pédagogique n'avait été entrepris.

Le Président Matthias Wissmann a considéré, à titre personnel, que l'Europe ne devait plus commettre l'erreur d'accueillir des Etats n'ayant pas résolu leurs problèmes internes, comme ce fut le cas avec Chypre.

M. Thomas Silberhorn a estimé que la question de l'élargissement nécessitait des réponses convaincantes au regard des préoccupations réelles exprimées par les citoyens et ne devait pas être traitée, comme le fait la Commission, comme un simple problème de communication. Pour cela, il faudrait d'abord mettre en cause la stratégie actuelle de négociation des adhésions, qui n'a pas fait ses preuves. Il faut clairement exiger que l'ensemble des critères soient remplis au moment même de l'adhésion, sinon on court le risque de créer des situations préjudiciables. Cette exigence devra être affirmée prochainement avec la Roumanie et la Bulgarie. Ensuite, il importe de s'entendre sur les limites géographiques de l'Europe et de ne pas hésiter à préciser, par exemple, que l'Afrique du Nord n'en fait pas partie. Pour autant, une politique de coopération doit être définie avec les Etats qui n'ont pas vocation à adhérer à l'Union européenne. Des partenariats doivent également être proposés pour les Etats voisins qui ne sont pas candidats à l'adhésion, en précisant que le contenu des collaborations devrait être différencié selon la situation géographique des partenaires.

M. André Schneider a rappelé que l'élargissement avait tenu une place centrale dans le débat français sur le référendum concernant le traité établissement une Constitution pour l'Europe. Dès lors, il faut aujourd'hui se hâter lentement, faire de la pédagogie et donner un nouveau souffle au projet européen. La notion d'intégration n'a pas suffisamment été mise en avant lors du dernier élargissement. Si l'on prend une métaphore, on s'est contenté d'accueillir dix nouveaux enfants à notre table, sans se préoccuper de savoir si nous disposions de suffisamment de nourriture ou si cette dernière était adaptée à leurs besoins. Il en résulte un développement parallèle des inquiétudes chez les populations des Etats fondateurs et chez les populations des nouveaux adhérents. D'autres élargissements sont envisageables, mais à condition de définir préalablement les frontières de l'Union et d'élaborer un projet clairement identifié.

M. Josip Juratovic a souligné que la question des frontières de l'Union était directement liée à celle de la sécurité. Un élargissement aux Etats des Balkans occidentaux ne paraît pas envisageable, à l'exception de la Croatie, au risque d'intégrer des pays connaissant une situation « à l'africaine ». Il ne faut pas priver ces peuples de perspectives, mais ils doivent savoir qu'il leur faut, au préalable, résoudre leurs problèmes intérieurs. Dès lors, nous devons tenir un langage commun à leur égard et cesser de mener des politiques nationales différentes. Le poids de la jeunesse dans ces Etats - 70 % de la population -est un facteur décisif et il est donc regrettable que l'Union envisage de faire passer les frais de visas à 60 euros, ce qui correspond à la moitié du salaire mensuel moyen dans les Balkans, et ce qui priverait la plupart des jeunes concernés de la possibilité de voyager et de mieux comprendre l'Europe.

M. Jérôme Lambert a jugé que l'Europe n'avait de justification que si elle se montrait protectrice des peuples qui la composent. Si sa seule ambition était la réalisation d'un marché plus étendu, elle n'aurait aucune plus-value dans un monde où la globalisation est déjà en œuvre. L'élargissement doit donc être conçu comme un moyen de développer la protection des populations européennes, sinon ces dernières n'en percevront pas l'intérêt.

M. Markus Löning a estimé, quant à lui, que le marché n'était peut-être pas un objectif suffisant, mais qu'il constituait néanmoins un instrument essentiel de la prospérité. L'Espagne et le Royaume-Uni ont d'ailleurs su en tirer les meilleures possibilités ces dernières années. Il n'en demeure pas moins important de réaliser un approfondissement politique de la construction communautaire. Sur ce point, il convient de ne pas être trop sceptique, et se garder d'évoquer une Union d'une quarantaine d'Etats, alors que les seules adhésions susceptibles de se produire dans un futur proche sont celles de la Croatie, de la Turquie et peut-être de la Macédoine. La question de l'adhésion de l'Ukraine, de l'Albanie ou du Kosovo n'est pas d'actualité et se posera, au mieux, dans une ou deux générations. Il ne faut pas oublier non plus que la perspective d'une adhésion peut inciter des Etats comme ceux des Balkans à rechercher des solutions pacifiques à leurs problèmes. Si l'on souhaite éviter l'apparition des situations « à l'africaine » précédemment évoquées, il faut donc plaider pour une approche plus détendue, même par rapport à la Turquie. En tout état de cause, le modèle européen devra probablement être revu pour permettre l'émergence de plusieurs noyaux, d'une Europe à plusieurs vitesses.

M. Marc Laffineur a confirmé que l'élargissement de quinze à vingt-cinq Etats membres, sans procéder à une réforme des institutions, avait constitué une erreur. S'il s'agissait de construire une simple zone de libre-échange, il n'y aurait pas lieu de freiner les adhésions, mais la mise en place d'une Europe politique exige de trouver les solutions institutionnelles avant de réaliser un nouvel élargissement. Il pourrait même être nécessaire de repartir sur la base d'une Europe restreinte à quelques Etats membres, quitte à ce que les autres nous rejoignent plus tard. En tout cas, le monde a besoin que l'Europe réussisse pour empêcher la domination d'une unique culture monolithique.

M. Hakki Keskin a déclaré qu'on ne pouvait parler d'élargissement sans s'interroger sur l'Union dont l'Europe a besoin et sur le rôle que l'Europe doit jouer dans l'avenir. Il faut approfondir la réflexion si l'on pense qu'à côté des Etats-Unis et de la Chine, l'Europe doit jouer un rôle politique, économique et culturel important. Face aux difficultés actuelles, il serait en tous cas inapproprié de s'en tenir à une réflexion de court terme et d'oublier les perspectives à long terme.

Par ailleurs, la déclaration du Président Matthias Wissmann sur la nécessité d'un approfondissement de l'Union après l'adhésion de la Bulgarie et la Roumanie, dans la perspective d'une Union européenne élargie à quarante membres potentiels, revêt un caractère polémique.

En dehors de la Bulgarie et de la Roumanie, l'élargissement ne concerne actuellement que deux pays supplémentaires, la Croatie et la Turquie, avec laquelle l'Union européenne discute de ce sujet depuis quarante ans. Après la décision prise en 2005 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement d'entamer les négociations, l'Union européenne ne va pas leur dire maintenant qu'elle a changé d'avis.

Il faut au contraire poursuivre sans réticences les négociations d'adhésion, en particulier avec la Turquie, pour laquelle la date d'adhésion est complètement ouverte et tiendra compte de sa capacité d'adhésion à l'Union européenne.

Mme Arlette Franco a considéré que la perspective d'élargissement offerte à la Turquie constituait l'une des raisons du non des Français au référendum sur le traité constitutionnel. Un certain nombre d'entre eux avaient mal vécu l'élargissement douloureux à l'Espagne et au Portugal en raison de la réglementation de la concurrence avec ces pays, notamment sur les produits agricoles. Il faut mener une pédagogie rassurante pour justifier l'accueil des futurs Etats membres, proposer des mesures pour une Europe sociale afin de favoriser l'identification des citoyens à l'Europe, ne pas occulter les problèmes de compétitivité de l'Europe face à la mondialisation et, enfin, fixer des limites territoriales clairement établies pour que les Européens sachent où ils vont.

M. Rainder Steenblock a d'abord observé que les Européens non-membres de l'Union européenne jugent arrogante la confusion souvent faite entre l'Europe et l'Union européenne et qu'il fallait parler d'Union européenne élargie et non d'Europe élargie. Si l'angoisse et la peur sont très mauvaises conseillères, l'élargissement a suscité des peurs très fortes sur l'impact négatif des nouveaux membres dans le domaine social, alors que l'ouverture des marchés ne crée pas seulement des problèmes mais aussi des chances et que la libre circulation est aussi une opportunité pour les citoyens. La protection des intérêts bien comprise n'est pas de rester sur la défensive et de seulement s'abriter derrière les frontières, car l'Union européenne perdra ses positions internationales si elle continue dans cette voie.

Par ailleurs, il ne faut cesser de rappeler que la quantité des membres va devenir la qualité des membres de l'Union européenne. Les Français aiment beaucoup les structures anciennes de la Communauté européenne, mais l'élargissement requiert de nouvelles structures répondant aux besoins d'une Union non seulement économique mais politique. L'adhésion est, en effet, une question non seulement économique mais politique.

La situation en Ukraine est terrible et l'intérêt politique de l'Union européenne est de l'intégrer comme la Turquie. Un refus entraînerait des conséquences pour ces pays. Il conviendrait de rediscuter des critères politiques de l'Union. Il faut s'occuper du chômage, qui est un problème réel, mais il faut aussi définir les critères politiques d'une adhésion à part entière permettant d'assurer la qualité de cette intégration.

M. Pierre Forgues a déclaré qu'il savait répondre « oui » sans hésitation à l'élargissement de l'Union européenne à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce en 1980, mais qu'il se trouvait aujourd'hui dans l'incapacité de répondre à des élargissements avec lesquels on est en train de mettre la charrue avant les bœufs. Le problème est de savoir si l'on élargit sans se demander si l'on est capable de réussir l'élargissement, c'est-à-dire si l'on est capable de s'en donner les moyens financiers, de définir l'espace européen et de décider des finalités de l'Union européenne : est-ce un espace de solidarité, quand la discussion sur les perspectives financières a montré que chaque Etat membre défendait ses intérêts propres ; est-ce un espace politique ; est-ce un espace social, on peut être très réservé ; est-ce un espace protecteur, projetant la paix entre les peuples qui adhèrent ; est-ce un espace économique dont l'ambition serait d'être le meilleur élève de la mondialisation.

Si l'on veut un espace homogène de développement, il faut s'en donner les moyens, ce qui n'est pas le cas actuellement. L'Espagne a voté majoritairement pour le « oui » au traité constitutionnel, même si c'est avec une faible participation, parce que l'Union européenne l'a vraiment intégrée sur les plans de la démocratie et du développement économique. C'est beaucoup moins sûr pour les nouveaux membres. Il faudrait donc définir ces notions avant de procéder à de nouveaux élargissements, tout en respectant la parole donnée à la Bulgarie, à la Roumanie, et éviter que l'Union européenne soit un espace d'appel pour de nouveaux pays si elle n'a pas les moyens de les intégrer.

M. Hans-Jürgen Uhl a estimé que l'adhésion de la Suisse et de la Norvège pourrait également être abordée. L'Allemagne était, dans les années cinquante, un pays à bas salaire comparé aux Etats-Unis ; les entreprises américaines y ont investi et en ont profité. Les précédents élargissements, à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce par exemple, n'ont pas posé de difficulté parce que la place de ces pays est indiscutablement dans l'Union européenne. L'élargissement aux dix nouveaux Etats membres opéré le 1er mai 2004 et ceux projetés soulèvent des difficultés parce que ces pays n'ont pas encore réglé tous leurs problèmes. Il existe, en particulier, des citoyens de seconde catégorie en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie parce qu'ils appartiennent à des minorités. L'Union européenne doit déterminer les limites de ce que ses citoyens peuvent accepter et préciser ses capacités d'absorption. Dans les milieux économiques allemands, la tentation de délocaliser en Pologne, par exemple, est forte depuis quelques années. Mais en réalité l'Allemagne n'a perdu aucun emploi à cause de l'élargissement. D'une manière générale, les difficultés de nos concitoyens ne découlent pas de l'élargissement mais des excès du capitalisme et de la concurrence, qui ignorent les besoins de protection sociale.

M. Jean Claude Lefort a rejeté l'idée selon laquelle une réforme des institutions européennes serait indispensable, sinon l'Union deviendra une zone de libre échange. Des institutions peuvent être au service d'une zone de libre échange ; ce qui importe c'est la définition du projet européen. Les parlements nationaux se sont prononcés en faveur de l'adhésion lorsqu'ils ont approuvé le traité d'Athènes. L'effort insuffisant consenti par les anciens Etats membres au profit des nouveaux explique les difficultés rencontrées. A cet égard, la disparité entre ce qui a été fait pour l'Espagne, le Portugal et la Grèce et ce qui est accordé aux Dix est considérable. C'est ce déséquilibre qui explique qu'aujourd'hui le rattrapage tend à se faire par le bas, et non par le haut. M. Jean-Claude Lefort a indiqué qu'il est favorable à l'adhésion de la Turquie, sous certaines conditions, mais qu'il est scandaleux d'avoir accepté d'ouvrir les négociations alors que la Turquie n'a toujours pas reconnu l'un des Etats membres, Chypre.

M. Hans Eichel a souligné qu'il faut distinguer le débat sur l'élargissement, qui inclut la question turque, et celui sur le projet européen. Si la Turquie adhère, l'Union européenne aura une frontière commune avec l'Irak, ce qui est problématique. La Russie n'a pas vocation à adhérer à l'Union européenne, mais nous avons des intérêts stratégiques communs qui requièrent un dialogue approfondi. Il en va de même avec le Maghreb. Si des référendums avaient été organisés sur le précédent élargissement, les résultats auraient été sans doute positifs si la question posée était de savoir s'ils font partie de l'Europe, mais négatifs si la question portait sur leur adhésion, pour des raisons avant tout sociales. Les Balkans font partie de l'Europe, mais ils ne pourront adhérer que lorsqu'ils se comporteront pleinement comme des Européens et souscriront à nos valeurs communes. La Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine posent davantage de difficultés. Notre position à l'égard de l'Ukraine dépend beaucoup de notre relation avec la Russie ; il sera en tout cas plus difficile de lui dire non qu'à la Turquie.

Il existe deux visions du projet européen : celle du Royaume-Uni, et celle à laquelle la France et l'Allemagne, avec d'autres, adhèrent. Ces divergences ne doivent pas être dramatisées. Tous les Etats membres n'appartiennent pas à la zone euro, par exemple. Tous ne participeront pas non plus à la coopération renforcée projetée pour l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Les Etats qui n'y participeront pas dès le départ rejoindront les autres plus tard. Il faut déterminer nos frontières et avancer avec ceux qui veulent aller de l'avant, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne.

Abordant le troisième point, les questions à l'ordre du jour du Conseil européen des 23 et 24 mars prochains, le Président Pierre Lequiller a estimé que l'un des sujets les plus importants concerne la politique énergétique de l'Union. La crise gazière entre l'Ukraine et la Russie et la hausse des prix du pétrole et de la demande chinoise rendent cette question très sensible. Certains Etats membres, tels que l'Autriche, dépendent jusqu'à hauteur de 30 % de la Russie pour leur approvisionnement en pétrole. Les capacités de production, le recours à l'énergie nucléaire, la diversification des sources d'énergie pour assurer notre indépendance, la solidarité énergétique européenne doivent être débattues et faire l'objet d'une position commune. M. André Schneider a présenté un rapport d'information à la Délégation à ce sujet, et le Gouvernement français a déposé, en janvier 2006, un mémorandum pour une relance de la politique énergétique européenne dans une perspective de développement durable. La réflexion doit se poursuivre sur ces bases, car il en va de l'autonomie de l'Europe. Le Président Pierre Lequiller a souhaité qu'une autre réunion bilatérale avec la commission des affaires européennes du Bundestag soit rapidement organisée pour poursuivre ces débats.

M. Henning Otte a estimé que la question énergétique est essentielle. Il faut une politique européenne de l'énergie fondée sur la sécurité de l'approvisionnement, le respect de la concurrence et la protection de l'environnement, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. L'Union européenne doit déterminer un cadre juridique tenant compte du principe de subsidiarité. Le débat a été ouvert par le Livre vert de la Commission sur l'efficacité énergétique. Pour l'Allemagne, il existe cinq priorités dans ce domaine : poursuivre la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz ; assurer la sécurité de l'approvisionnement, grâce au développement des énergies renouvelables mais aussi du nucléaire ; garantir la sécurité de l'emploi donc éviter une hausse des prix ; respecter les objectifs environnementaux du protocole de Kyoto ; poursuivre l'effort de recherche et développement en matière énergétique. Un sommet se tiendra prochainement à ce sujet en Allemagne. La politique de l'énergie allemande doit être définie dans un cadre européen.

M. Kurt Bodewig a déclaré qu'il fallait s'en tenir aux objectifs de Lisbonne et a évoqué la politique énergétique qui devra éloigner l'Europe du pétrole. L'Allemagne n'a pas la même position que la France sur le nucléaire et elle a plutôt assez bien réussi ce qu'elle a entrepris dans le développement des énergies renouvelables et l'élargissement du « mix énergétique » auquel devront procéder tous les Etats membres. Il existe également des points d'accord entre la France et l'Allemagne, comme le montre le travail en commun sur Galiléo et le GPS, et nos deux pays doivent continuer à développer leur coopération dans les domaines de la technologie.

Par ailleurs, le Parlement européen a réussi à retirer le principe du pays d'origine de la directive sur les services et il serait très souhaitable que l'Allemagne et la France agissent ensemble pour que le Conseil aboutisse à un accord pour accepter ce compromis très important.

Le Président Pierre Lequiller a également approuvé la nécessité de soutenir le compromis adopté par le Parlement européen sur le projet de directive sur les services et rappelé que le groupe des député-e-s Communistes et Républicains avait déposé à l'Assemblée nationale une proposition de résolution défendant le point de vue inverse.

Mme Arlette Franco a indiqué qu'à l'occasion de la mission sur la démographie en Europe qui l'avait conduite notamment à Berlin, où elle avait pu rencontrer les ministres et organismes compétents, elle avait pu clairement mesurer les répercussions de la natalité sur l'emploi, le financement des retraites et l'immigration, ainsi que les différences avec d'autres pays comme la Suède et la République tchèque où elle s'était également rendue.

Le problème semble assez aigu en Allemagne, particulièrement à l'Est du pays où existent des difficultés relatives au temps de travail, aux congés parentaux et au manque de structures comme les crèches, les écoles maternelles, le temps scolaire et les cantines. Le problème est moins aigu en France, même si nous avons longtemps envié à l'Allemagne sa demi-journée sportive. Ce sujet est désormais en discussion au Conseil et il faut souhaiter que l'ensemble des Etats membres se livrent à des comparaisons réciproques et tirent le meilleur de leurs expériences respectives.

Le Président Matthias Wissmann a souhaité recevoir ce rapport comparatif, qui pourrait s'avérer très utile à la réflexion des parlementaires allemands.

M. Alexander Ulrich a d'abord déclaré que les difficultés qui pèsent sur les conditions de la natalité allemande ne seront pas surmontées sans un changement de paradigme politique.

Ensuite, sur les causes de l'échec de la stratégie de Lisbonne, M. Hans Eichel, en tant qu'ancien ministre des finances, pourrait expliquer d'abord les raisons du développement du chômage qui a contribué si fort au rejet de l'Europe par les citoyens. Le Conseil européen devrait se préoccuper d'une flexibilisation qui s'accroît et pourrait atteindre tous les standards sociaux.

Après s'être réjoui que la discipline extraordinaire observée par les nombreux orateurs ait permis de tenir un débat aussi riche, sympathique et condensé, le Président Matthias Wissmann a proposé d'organiser une réunion de travail à Berlin au deuxième semestre 2006, éventuellement ouverte à nos amis polonais, et a souligné les nombreux points communs qui étaient apparus au cours de cette rencontre, au-delà des divisions de partis et de frontières.

Le Président Pierre Lequiller a exprimé son sentiment d'avoir participé à une commission unique avec deux présidents à sa tête, tant sont apparus un même style de réflexion et une même approche des questions européennes. Il est important d'approfondir cette relation traditionnelle, en particulier dans cette période de crise où le plan B promis pendant la campagne référendaire française pour surmonter les difficultés en cas de victoire du « non » n'est pas arrivé.

Sur l'élargissement, le Président Pierre Lequiller a exprimé son accord total avec la position du Président Matthias Wissmann. Il faut dire « oui » à l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie et, ensuite, approfondir d'abord avant de procéder à tout élargissement. Sinon, l'Union européenne aboutirait à une Europe qui serait le contraire de l'Europe politique correspondant à notre objectif commun.

Il a enfin remercié le Président Matthias Wissmann pour son invitation à laquelle la Délégation répondra avec plaisir et intérêt, en dépit de la proximité des échéances électorales en France.