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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 174

Réunion du mercredi 7 juin 2006 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Comptes-rendus des missions des missi dominici sur l'avenir du traité constitutionnel européen et la stratégie sur l'élargissement (réunion ouverte à la presse)

Pays-Bas : mission de M. Michel Delebarre, le 1er juin 2006

M. Michel Delebarre s'est rendu aux Pays-Bas le 1er juin 2006, jour « anniversaire » du rejet du traité constitutionnel par le peuple néerlandais. Il y a rencontré, outre l'Ambassadeur de France, Mme Van Heteren, la présidente de la commission des affaires européennes de la Chambre des représentants, M. Versteeg, le conseiller diplomatique du Premier ministre et M. Den Hartog, le responsable des affaires européennes au ministère des affaires étrangères.

Le rapporteur a déclaré avoir observé un climat particulier dans le pays du second « non ». Il a perçu un non néerlandais plus dense que le non français : alors que le non français résulte en partie de considérations politiques internes, aux Pays-Bas le non lui paraît déterminé.

Cela s'explique pour trois raisons.

Premièrement, le débat national sur les politiques d'immigration revêt un aspect central dans le pays, dans lequel les partis politiques se livrent à une surenchère.

Deuxièmement, le non néerlandais est fortement architecturé sur le refus d'une Constitution. La Convention sur l'avenir de l'Europe n'a pas assez réfléchi au fait que ce mot peut être incompatible avec certaines cultures politiques nationales. Pour les Pays-Bas, une Constitution ne peut être qu'adossée à un Etat, ce que n'est pas l'Europe. Si une Constitution devait être soumise à nouveau au vote populaire, il faut s'attendre à un non dur. Sur ce point, le rapporteur a rappelé que le gouvernement souhaitait ratifier le traité constitutionnel par la voie parlementaire et qu'au final, le Parlement a imposé le recours au référendum, un choix qui ne peut pas être remis en cause.

Troisièmement, le non est plus fort aux Pays-Bas car la Constitution est perçue comme le symbole de l'Europe des élites. Le peuple néerlandais ne veut pas de ce type de construction, qui ne répond pas à ses attentes et à ses besoins.

Il résulte de tout ceci que la méthode de la construction européenne doit évoluer, pour aller vers une Europe des valeurs et des peuples. D'ailleurs, les avancées présentées comme étant la continuation de l'Europe de la paix n'évoquent plus rien pour les jeunes générations.

Les Pays-Bas seraient toutefois favorables à une relance qui s'appuie sur des mesures concrètes, prouvant l'utilité de l'Europe, sans se référer au projet de Constitution. De surcroît, « Nice n'est si mal que ça » et offre les moyens permettant quelques avancées ciblées sur des thèmes lisibles pour l'opinion.

La relance passe donc par un renforcement de la transparence, davantage de subsidiarité et des initiatives donnant une valeur ajoutée à l'Europe.

Le rapporteur a noté l'insistance avec laquelle ses interlocuteurs ont rappelé le statut de contributeur net des Pays-Bas au budget européen. S'agissant des fonds structurels, qui constituent le visage concret de l'Europe, ce thème n'est pas mobilisateur, car les Pays-Bas ont inventé l'aménagement du territoire. Aussi ces dépenses européennes vers les territoires n'évoquent-elles qu'un faible intérêt. En revanche, les Pays-Bas sont « chatouillés » par leur contribution au budget européen, jugée excessive par rapport à des pays de taille comparable, comme le Danemark. C'est pourquoi leur premier ministre a, aux yeux de l'opinion, remporté une grande victoire en réduisant leur contribution de un milliard d'euros.

Revenant au projet de Constitution, le rapporteur a résumé le sentiment général des autorités néerlandaises en soulignant que ce texte est « fini » et que le débat institutionnel ne doit pas avoir lieu, pour le moment.

En ce qui concerne l'élargissement, les Pays-Bas ont une position identique à la France : adhésion acquise de la Bulgarie et de la Roumanie, adhésion ultérieure, le moment venu, des Balkans et strict respect des critères de la part de la Turquie, dont l'adhésion ne se fera qu'à très long terme. Mais après, « c'est fini », l'adhésion selon la méthode par tranche de salami n'est pas envisageable. Il convient d'ajouter que l'opinion éprouve une hostilité globale à l'égard de l'élargissement, y compris pour les pays dont l'adhésion est acquise, qui s'est manifestée à l'occasion d'un sondage effectué sur Internet.

En conclusion, le rapporteur a jugé qu'il a rencontré des interlocuteurs qui ont la chance d'être Néerlandais, c'est-à-dire extrêmement pragmatiques.

Le Président Pierre Lequiller a remarqué à cet égard que la position britannique lui paraît aussi pragmatique, mais presque plus positive.

Finlande : mission de M. Bernard Deflesselles, les 22 et 23 mai 2006

M. Bernard Deflesselles s'est rendu en Finlande les 22 et 23 mai 2006, et a rencontré notamment un membre de chacun des trois principaux groupes politiques du Parlement, le parti Conservateur, le parti Social-démocrate et le parti Centriste. A quelques semaines du début de la présidence finlandaise de l'Union, qui couvrira le second semestre 2006, cette mission a permis de recueillir des informations sur les priorités que les autorités finlandaises mettront en avant à cette occasion.

Ce sera, comme l'ont dit tous les interlocuteurs de M. Deflesselles, une présidence « profil bas ». Il ne faut donc pas compter sur la Finlande pour résoudre la crise institutionnelle. La présidence finlandaise se contentera de gérer les affaires courantes et a clairement l'intention de transmettre ce dossier difficile à la présidence allemande.

Les principaux thèmes de travail seront la compétitivité de l'économie européenne, l'énergie (avec un Sommet sur ce thème prévu pour le mois d'octobre), le réchauffement climatique, et la sécurité en Europe. L'un des objectifs présentés est d'accroître la transparence du processus décisionnel européen. D'autre part, la Finlande considère qu'il lui revient de mener à leur terme des travaux déjà engagés, en particulier sur le projet de directive sur les services.

Tous les interlocuteurs de M. Deflesselles ont insisté sur la vision concrète et pragmatique qu'ont les autorités finlandaises de leur future présidence. Pour autant, cette présidence ne débouchera pas sur de grandes avancées.

Où en est le processus de ratification du traité constitutionnel en Finlande, et quelle est la position des autorités finlandaises sur l'avenir de ce traité ?

La Finlande n'a pas encore ratifié le traité, mais la procédure de ratification suit son cours. Le débat au Parlement a commencé. Il a été un peu chaotique au départ, puis c'est la voie parlementaire qui a été choisie pour la ratification. Contrairement à ce qui était initialement prévu, le traité ne sera pas ratifié avant le début de la présidence finlandaise. Le projet de loi de ratification a été déposé par le Gouvernement sur le Bureau du Parlement début juin. Le projet ne sera cependant soumis au vote du Parlement que pendant sa session d'automne. Ainsi, le traité constitutionnel devrait être ratifié par la Finlande d'ici la fin de sa présidence de l'Union, en octobre ou novembre 2006. Cette procédure va donc occuper les autorités finlandaises pendant une partie de leur présidence.

Pourquoi la Finlande a-t-elle poursuivi la procédure de ratification du traité malgré les résultats des referenda français et néerlandais ?

Les autorités finlandaises estiment qu'aucune solution ne pourra être trouvée avant les élections de 2007 en France et aux Pays-Bas, mais que, cependant, il faut ratifier la Constitution et promouvoir sa ratification par les autres Etats. Le but est de faire se prononcer tous les Etats membres sans exception avant d'envisager éventuellement l'engagement d'un nouveau cycle de négociations sur l'élaboration d'une Constitution. Toutefois, la Finlande considère qu'il faudrait conserver le traité actuel dans son intégralité. Aucun des interlocuteurs rencontrés n'a préconisé un « découpage » du traité.

S'agissant des propositions faites par le Gouvernement français en avril 2006, certaines d'entre elles sont accueillies favorablement, et les autres, sans être repoussées, sont considérées comme peu pertinentes.

Ainsi, la proposition touchant à une meilleure association des Parlements nationaux au processus de décision européen n'a pas grand intérêt pour la Finlande, puisque le Parlement finlandais dispose déjà de prérogatives constitutionnelles considérables et influe de manière très effective, par l'intermédiaire de sa « Grande Commission », sur la politique européenne du Gouvernement.

Quant à la proposition relative au « modèle social européen », il faut comprendre que la Finlande est plutôt attachée au « modèle nordique », et à l'intérieur de celui-ci, au « modèle finlandais ». Aussi la question ne fait-elle pas vraiment l'objet d'un débat dans le pays.

En revanche, deux des propositions françaises recueillent l'assentiment explicite de la Finlande :

- l'extension de l'ouverture et de la transparence des travaux du Conseil, qui figure d'ailleurs dans le programme de la présidence finlandaise,

- l'utilisation de la « clause-passerelle » de l'article 42 du traité sur l'Union européenne, afin de faire progresser l'approfondissement de la construction européenne en matière de sécurité intérieure et de justice, qui a provoqué une réaction clairement favorable au cours des entretiens.

Quelle est la position des autorités finlandaises sur les élargissements futurs de l'Union ?

La notion de « capacité d'absorption » ne fait pas l'objet d'un débat en Finlande. La position de cet Etat est simple et claire : à partir du moment où un pays frappe à la porte de l'Union, il faut le considérer. Certes, les autorités finlandaises exigent un respect strict des critères. Mais cette position revient à se réfugier derrière l'aspect technique de la question, et révèle l'absence d'une vision politique ou d'un débat sur les frontières de l'Union.

La Finlande a une approche très ouverte sur le principe de l'élargissement non seulement aux pays des Balkans, mais aussi à la Turquie, à l'Ukraine, à la Moldavie, à la Biélorussie... Une future Europe à 40 membres ne suscite aucune réticence, au motif qu'ainsi la paix s'étendra le plus possible sur le continent.

L'éventuelle adhésion de la Turquie, en particulier, ne pose pas problème pour la Finlande, qui est donc ouverte à une vraie négociation avec ce pays. Et si la Turquie remplit un jour les critères et adhère donc à l'Union, pour la Finlande la porte ne sera pas fermée derrière elle : l'Arménie par exemple pourra tout à fait suivre. La position de la Finlande sur l'élargissement est donc difficilement compatible avec celle de la France.

Le Président Pierre Lequiller a relevé que la position de la Finlande est diamétralement opposée à celle des Pays-Bas sur le problème de la Constitution.

Danemark : mission de M. Jérôme Lambert, le 24 mai 2006

M. Jérôme Lambert a rencontré notamment, au cours de sa mission, Mme Elizabeth Arnold, présidente de la commission des affaires européennes du Folketing, Mme Lone Dybjkaer, porte-parole du parti radical au sein de la commission des affaires européennes du Folketing, Mme Ann-Dorte Riggelsen, directrice des affaires européennes, ministère des affaires étrangères, M. Carsten Groenbech-Jensen, conseiller pour les affaires européennes au cabinet du Premier ministre, M. Erik Boel, président de la section danoise du Mouvement européen, ainsi que M. Morten Kelstrup, professeur de relations européennes et internationales à la faculté de sciences politiques de Copenhague et Mme Ann-Mette Vestergaard, chercheur spécialisé dans les affaires européennes à l'institut danois d'études internationales (DIIS).

La ratification du traité constitutionnel, envisagée par référendum le 27 septembre 2005, a été reportée sine die par le Premier ministre libéral Anders Fogh Rasmussen à la suite des « non » français et néerlandais. Le Premier ministre a précisé la position officielle du Danemark dans un discours prononcé à l'université de Copenhague le 21 avril 2006. Selon lui, l'Europe est confrontée à deux défis : une meilleure maîtrise de la mondialisation et une plus forte appropriation de l'Union européenne par les citoyens. Ceux-ci ont le sentiment que l'Europe est une accumulation d'institutions, de procédures et d'articles alors qu'il importe de produire une « Europe des résultats ». Le Danemark soutient le traité constitutionnel, qui comporte de nombreuses avancées et qui aurait permis de « reconsidérer » les dérogations danoises. Les résultats négatifs des référendums français et néerlandais doivent cependant être respectés. A l'issue de la période de réflexion, que le Conseil européen de juin prolongera vraisemblablement, trois options sont envisageables en ce qui concerne l'avenir du traité constitutionnel :

- la première, peu probable, est qu'une solution soit trouvée pour résoudre les « problèmes français et néerlandais » ;

- la deuxième est un abandon du traité constitutionnel et le maintien en l'état du traité de Nice. Cette option est également peu probable, la majorité des Etats membres ayant déjà ratifié le traité constitutionnel et pouvant difficilement accepter que l'on ne tienne pas compte de leur opinion ;

- la troisième option, qui semble la plus probable, reposerait sur un accord en vue de négocier un nouveau traité.

Selon M. Rasmussen, « la balle est dans le camp de la France et des Pays-Bas ». Quelle que soit la décision prise par le Conseil européen, de nombreuses propositions figurant dans le traité constitutionnel sont les bonnes. C'est le cas, par exemple, de la prise de décision plus efficace, de la démocratisation du fonctionnement de l'Union, y compris la transparence du processus législatif, du président permanent du Conseil européen, du ministre européen des affaires étrangères et de la clarification des structures et des valeurs de l'Union. Les interlocuteurs rencontrés ont exprimé une convergence de vues avec cette position officielle, reflétant un consensus sur l'avenir du traité constitutionnel. Il revient, selon eux, à la France et aux Pays-Bas de proposer une issue à la situation créée par leur refus du texte, tout comme le Danemark avait dû trouver une solution lors de son rejet du traité de Maastricht. Dans l'attente de cette clarification, le Danemark ne favorise aucune option plutôt qu'une autre, et se contente d'évoquer des pistes pour sortir du blocage actuel. L'un des intérêts d'un nouveau « mini traité », du point de vue danois, serait qu'il permettrait peut-être d'éviter de recourir au référendum (s'il ne comportait pas de nouvelles délégations de souveraineté).

S'agissant des améliorations institutionnelles à traité constant, le ministère des affaires étrangères a indiqué que le Danemark est ouvert à l'utilisation de la « clause passerelle » de l'article 42 TUE. La communautarisation de la coopération judiciaire pénale poserait, certes, une difficulté politique au Danemark car l'Union européenne progressera plus vite dans ce domaine, sans qu'il puisse s'y associer en raison de sa dérogation. Le Premier ministre a cependant clairement indiqué que le Danemark ne peut ralentir l'Europe sur un sujet comme la lutte contre le terrorisme et la criminalité, où les attentes des citoyens sont fortes. Le Danemark est également favorable à des améliorations à traité constant en ce qui concerne la transparence des travaux du Conseil et le renforcement du rôle des Parlements nationaux. Il est en revanche opposé à l'activation de la clause passerelle de l'article 137, paragraphe 2 TCE, qui permettrait d'étendre la majorité qualifiée et la codécision en matière sociale. Les Danois craignent en effet qu'une harmonisation européenne dans ce domaine ne remette en cause le modèle social danois, fondé sur la flexisécurité et le dialogue social. Il vaudrait mieux, pour progresser sur ces sujets, intégrer la dimension sociale dans les autres politiques internes, plutôt que de légiférer directement.

Le Premier ministre danois estime qu'il est impossible de définir une fois pour toutes les frontières de l'Union européenne. Il convient cependant d'accorder davantage d'attention à la capacité d'absorption de l'Union. Cette capacité s'apprécie en relation avec l'efficacité du processus décisionnel européen, les politiques communes et le soutien populaire apporté à l'Union. La perspective de l'adhésion ne saurait constituer le principal instrument de la politique extérieure de l'Union européenne. Il faut trouver d'autres outils, dans le cadre de la politique de voisinage, pour inciter les pays qui n'adhéreront jamais, ou dans très longtemps, à se réformer. Pour y parvenir, il serait envisageable de mettre en place un « espace économique paneuropéen ». Il s'agirait d'un espace de libre-échange et de coopération économique entre l'Union européenne et les pays voisins. Les pays voisins y participant auraient accès au marché intérieur, pourraient participer à de nombreux programmes européens (tels qu'Erasmus) et recevraient une assistance financière importante pour soutenir leurs réformes. Dans certains domaines, ces pays voisins pourraient participer au processus décisionnel européen. Interrogé par la presse au sujet de l'application de ce nouvel outil à la Turquie (au sujet de laquelle M. Rasmussen a indiqué éprouver un « dilemme personnel »), le Premier ministre a précisé que celle-ci faisait l'objet d'un processus différent de la politique de voisinage.

Les personnalités rencontrées au cours de la mission ont, sur ce point également, exprimé une convergence de vues avec le Premier ministre. Le ministère des affaires étrangères a précisé que le précédent élargissement, « exercice réussi » et bénéfique tant sur les plans économique que politique, a suscité des craintes au Danemark. Celles-ci se sont concrétisées, par exemple, par le maintien des restrictions transitoires à la libre circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres, paradoxal compte tenu des besoins en main d'œuvre de l'économie danoise. Il faut éviter de faire des promesses inconsidérées, « sans fermer la porte au nez » pour autant aux pays qui souhaiteraient adhérer, comme l'Ukraine. Il faut élargir la « boîte à outils » de la politique de voisinage, afin d'offrir des perspectives intéressantes autres que l'adhésion. Le Danemark est attaché, comme la France, à la capacité d'absorption. Il souhaite que ce critère soit précisé, sans en adopter une « approche comptable » qui le figerait.

Portugal : mission de M. Michel Herbillon les 18 et 19 mai 2006

M. Michel Herbillon a rencontré notamment, lors de sa mission au Portugal, Mme Maria José Pires, directrice générale adjointe des affaires communautaires au ministère des affaires étrangères, M. Antonio Vitorino, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée de la République, M. Luis Pais Antunes, vice-président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée de la République, M. Jorge Morgado, député PSD, et M. Nuno Magalhaes, député CDS/PP.

Au Portugal, la ratification du traité constitutionnel, envisagée par référendum le 5 octobre 2005, a été reportée sine die par le Premier ministre socialiste José Socrates à la suite des « non » français et néerlandais. La position du Portugal sur ces sujets est d'autant plus importante qu'il exercera la présidence de l'Union européenne lors du second semestre 2007, après les élections présidentielles françaises, soit à un moment crucial pour l'avenir de l'Europe et, en particulier, du traité constitutionnel.

En ce qui concerne l'avenir du traité constitutionnel, le ministère des affaires étrangères portugais est ouvert à deux hypothèses, en fonction de la solution retenue par le Conseil européen : si l'ensemble des Etats membres décide de poursuivre le processus de ratification, le Portugal est prêt à organiser un référendum sur le traité, avec de bonnes chances de succès ; si le processus de ratification du traité constitutionnel est abandonné, le Portugal n'est pas opposé à la tenue d'une nouvelle Conférence intergouvernementale chargée de rédiger un nouveau traité. Ce nouveau traité ne saurait cependant porter uniquement sur les institutions, car les questions institutionnelles ont été résolues dans le cadre d'un compromis global qu'il ne faut pas défaire. Un nouveau traité devrait donc réviser également les politiques de l'Union. Selon le Portugal, la décision ne sera vraisemblablement prise qu'après les élections en France et aux Pays-Bas. La clarification attendue interviendra donc sans doute sous sa présidence.

M. Antonio Vitorino, président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée de la République, ainsi que les députés rencontrés, ont exprimé une vision assez proche. Selon M. Vitorino, la France et les Pays-Bas doivent clarifier leurs positions, car le Portugal ne peut organiser un référendum sans savoir si le traité constitutionnel est bien le texte final ayant une chance d'entrer en vigueur. La prolongation de la période de réflexion d'un an, jusqu'en juin 2007, semble donc nécessaire. Selon lui, la solution proposée par la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, consistant à ajouter un protocole économique et social au traité constitutionnel, serait la meilleure. Elle permettrait à la France et aux Pays-Bas d'organiser un nouveau référendum, sur un texte différent, sans obliger pour autant les Etats ayant ratifié, et en particulier ceux dont le référendum a été positif, à recommencer intégralement leur procédure de ratification. L'ancien commissaire s'est montré sceptique à l'égard de la proposition d'un nouveau traité institutionnel. Même si le traité constitutionnel n'entre pas en vigueur, il restera le point de départ de toute renégociation : « même mort, son fantôme est toujours là ! ». Il sera difficile de s'écarter de l'équilibre atteint lors de la Convention et de la CIG : le texte est issu d'un compromis global, chaque concession ayant été acceptée en contrepartie d'avantages obtenus par ailleurs. Il y aurait tout à perdre à rouvrir les négociations sur les questions institutionnelles, qui n'intéressent pas les citoyens : c'est la substance des politiques qui leur importent.

S'agissant des améliorations institutionnelles envisageables à traité constant, le ministère des affaires étrangères portugais s'est déclaré a priori favorable à l'utilisation de l'article 42 du traité sur l'Union européenne, qui autorise le transfert vers le premier pilier communautaire de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Le Portugal est favorable à une méthode progressive sur ces sujets. Lisbonne est également favorable a priori au passage à la majorité qualifiée et à la codécision en matière d'immigration légale (article 67 TCE), sous réserve dans ce domaine aussi d'une mise en œuvre échelonnée. M. Antonio Vitorino estime difficile d'anticiper les avancées du traité constitutionnel et de procéder à un dépeçage (« cherry picking ») du texte, qui ne serait pas très démocratique. Le recours aux clauses passerelles des articles 42 TUE (coopération pénale) et 67 TCE (immigration légale) est en revanche une bonne idée, car il ne s'agit pas d'anticiper l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, mais de mettre en œuvre des dispositions du traité d'Amsterdam. M. Vitorino s'est également déclaré favorable à une mise en œuvre de l'article 137 § 2, qui permettrait d'étendre le champ de la majorité qualifiée et de la codécision en matière sociale.

Tous les interlocuteurs rencontrés ont souligné que le sujet de l'élargissement est beaucoup moins sensible pour l'opinion publique au Portugal qu'en France. Le Portugal a bénéficié de l'élargissement, sur les plans économique et politique, et estime que les Etats candidats doivent pouvoir bénéficier eux aussi de ces effets positifs. Lisbonne est donc favorable à la poursuite de l'élargissement, selon un calendrier raisonnable permettant de vérifier que les conditions posées sont bien remplies (s'agissant, par exemple, du respect des droits de l'homme en Turquie). Aucune crainte particulière n'a été exprimée à l'égard de la Turquie et des Balkans occidentaux, même si l'absorption d'un pays aussi grand que la Turquie constitue un véritable défi. Selon M. Antonio Vitorino, il n'y a pas d'argument valable pouvant justifier de refuser l'adhésion des pays des Balkans occidentaux lorsqu'ils rempliront les critères de Copenhague. Il en va de même pour l'Ukraine. Le débat sur les frontières de l'Europe est sans issue, car il est trop émotionnel et irrationnel, comme celui sur le statut des langues dans l'Union ou le siège des agences. Il faut le poser en des termes différents, à savoir la constitution de noyaux durs qui seraient le moteur politique d'une Europe élargie. Ces noyaux durs seraient à géométrie variable selon les sujets : l'Europe de la défense, par exemple, ne pourra se faire sans le Royaume-Uni, tandis que l'Europe économique et monétaire, fondée sur la zone euro, peut s'en passer. Le Portugal essaiera, pour sa part, de faire partie de toutes les coopérations renforcées. Il est ouvert, par exemple, à une coopération renforcée en matière de fiscalité.

Royaume-Uni : mission du Président Pierre Lequiller le 5 juin 2006

Le Président Pierre Lequiller a souligné que, bien qu'étant un bon connaisseur de la société britannique, il avait été surpris par les réactions de ses divers interlocuteurs. Il a rencontré notamment M. Geoff Hoon, Ministre délégué aux affaires européennes, M. Kim Darroch, conseiller pour les affaires européennes de M. Tony Blair, Lord Grenfell, président de la commission des affaires européennes de la Chambre des Lords et plusieurs parlementaires.

Il s'attendait à rencontrer des eurosceptiques. Or la position des Britanniques est surtout pragmatique. A l'exception du représentant du parti conservateur, qui n'hésite pas à envisager un retour sur les acquis communautaires, les autres personnalités rencontrées ont toutes affirmé que le Royaume-Uni ne s'opposerait pas à une relance du processus européen. Il n'y a pas, à proprement parler, une vision de l'Europe, mais pas non plus une hostilité à de nouvelles avancées. Selon le Royaume-Uni, la conception franco-allemande de l'Europe politique a vécu, notamment à la suite du référendum français, mais si la France et l'Allemagne s'entendent sur les moyens d'une relance du processus institutionnel, le Royaume-Uni n'y fera pas obstacle.

Des pistes pour l'avenir ont notamment été tracées par M. Charles Grant, directeur du Center For European Reform, qui va suggérer au parti travailliste un « mini-traité », qui reviendrait en fait à amender le traité de Nice. Seraient ainsi exclues la troisième partie du projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe, qui n'est pas d'ordre constitutionnel, mais également la deuxième partie sur la Charte, qui contient des clauses sociales leur semblant aller trop loin. Il s'agirait donc de reprendre partiellement la première partie, notamment la présidence stable du Conseil européen, la règle de la double majorité des Etats et des peuples, le ministre européen des affaires étrangères et le service européen pour l'action extérieure. En revanche, il ne serait pas souhaitable de prévoir une reprise de l'extension de la prise de décision à la majorité qualifiée, afin de permettre la ratification de ce « mini-traité » par la voie parlementaire. Dans un contexte politique national où chaque parti attend que le Premier ministre, M. Tony Blair, cède son poste au leader du parti travailliste, M. Gordon Brown, il ne faut pas donner à l'opposition conservatrice un argument pour exiger le recours à la voie référendaire. Toujours pragmatiques, les partisans de cette solution font observer que le projet de Constitution contient d'ailleurs peu de cas d'extension de la majorité qualifiée et que l'avancée principale réalisée dans le domaine de la justice et des affaires intérieures peut parfaitement être atteinte en empruntant la voie de la clause passerelle.

Enfin, en ce qui concerne la politique d'élargissement, le Royaume-Uni confirme sa position traditionnelle en faveur du plus grand élargissement possible, qui contribue à diluer l'Europe politique.

Irlande : mission de M. Robert Lecou les 29 et 30 mai 2006

M. Robert Lecou a souligné que les interlocuteurs irlandais rencontrés se sont tous déclarés favorables à la poursuite de la construction européenne. L'Irlande a fortement bénéficié de son adhésion, à la fois sur le plan politique - sa participation à l'Europe lui a permis de conforter son identité internationale et de s'affranchir progressivement de l'influence prépondérante de la Grande-Bretagne - et sur le plan économique. Lors de son adhésion en 1973, le PIB irlandais par habitant se situait à 59 % de la moyenne européenne ; il atteint à présent 120 % de cette moyenne et est le deuxième PIB par habitant de l'Union, après le Luxembourg. Avec une croissance de 4,7 % en 2005, l'Irlande est l'une des économies les plus dynamiques de la zone euro.

L'Irlande est attachée à la construction d'une Europe politique, notamment en matière de politique étrangère. L'Europe ne doit pas se résumer à un grand marché. Néanmoins, ce souhait d'approfondissement d'une « voie européenne » est tempérée par l'attachement des Irlandais à leur tradition de neutralité. L'Irlande a cependant évolué à cet égard, notamment à travers son adhésion au « Partenariat pour la paix » en 1999, et en décidant de participer à la force de réaction rapide. Par ailleurs, les Irlandais souhaitent conserver leurs particularités nationales dans le domaine économique et social. Ils sont opposés à une harmonisation fiscale. De même, ils sont prudents quant à un rapprochement poussé dans le domaine de la justice, du fait de leur système juridique spécifique, de « common law ».

L'Irlande est par ailleurs favorable à un renforcement du contrôle de subsidiarité et, plus généralement, du rôle des parlements nationaux.

S'agissant du projet de Constitution, l'Irlande ne prévoit pas d'organiser un référendum dans le contexte actuel. L'Irlande est attachée au projet de Constitution, dont l'adoption avait constitué un des temps forts de la présidence irlandaise au premier semestre 2004. Après les « non » français et néerlandais, le gouvernement irlandais a annoncé son intention de maintenir un référendum sur le traité, la procédure référendaire étant obligatoire en Irlande pour tout traité ayant une incidence sur la Constitution nationale. Mais aucune date n'est actuellement fixée.

La campagne pour les élections législatives, qui sont prévues pour le printemps prochain, ne devrait pas aborder la question du projet constitutionnel européen. L'Irlande souhaite, pour aller de l'avant, que le contexte européen s'éclaircisse quant au devenir de la Constitution. La France doit clarifier sa position et une initiative politique doit émerger au niveau européen.

Le projet de Constitution dans sa version actuelle paraît un peu long et lourd aux Irlandais, qui gardent à l'esprit la brièveté de la déclaration d'indépendance des insurgés irlandais en 1916. L'idée d'un allégement du texte, ne retenant que la première et la seconde partie, a été évoquée. Le 50ème anniversaire du Traité de Rome en 2007 pourrait être l'occasion d'une déclaration fondamentale sur l'Europe et le projet européen. Les élections européennes de 2009 seront également une étape importante.

Les Irlandais sont en faveur d'une amélioration du fonctionnement de l'Union à traité constant, mais sont défavorables à l'utilisation de la clause passerelle de l'article 42 permettant la communautarisation de la coopération judiciaire et pénale.

S'agissant du développement de la « période de réflexion », les Irlandais soulignent la nécessité de développer le débat public. A cet égard, l'Irlande a une expérience importante, à travers le « Forum national pour l'Europe » mis en place en 2001 à la suite de l'échec du premier référendum sur le Traité de Nice. Ce Forum réunit non seulement les partis politiques, mais aussi l'ensemble des « forces vives » du pays.

En ce qui concerne l'élargissement, l'Irlande a une position traditionnellement favorable. Il n'est pas opportun de fixer des frontières à l'Europe. Le projet européen est d'abord un projet politique. Néanmoins, les Irlandais ont depuis peu une approche plus prudente de l'élargissement, liée en particulier à l'afflux de main d'œuvre immigrée, notamment polonaise, depuis mai 2004. Cette population représente environ 200 000 personnes, soit 10 % de la population active ; mais les statistiques ne permettent pas de déterminer s'il s'agit d'emplois de longue durée ou saisonniers. Il est possible que l'Irlande n'ouvre pas immédiatement son marché du travail à la Roumanie et à la Bulgarie, comme elle l'a fait en mai 2004 pour les dix nouveaux Etats membres. S'agissant de l'adhésion éventuelle de la Turquie, les Irlandais ne manifestent pas d'opposition de principe, mais estiment que le processus sera long et doit rester ouvert à des solutions alternatives.

En conclusion, le rapporteur a souligné que l'Irlande était très attentive aux positions françaises, que son approche était fondamentalement d'inspiration européenne, ouverte et pragmatique.

Belgique : Mission de Mme Arlette Franco le 24 mai 2006

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que Mme Arlette Franco, empêchée, avait effectué une mission en Belgique et que son rapport permettait de conclure que ce pays, qui avait voté oui au traité constitutionnel par la voie parlementaire, avait des positions globalement assez proches des positions françaises sur l'avenir du traité constitutionnel comme sur l'élargissement.

En conclusion, le Président Pierre Lequiller a considéré que ces missions auprès des autres Etats membres étaient très intéressantes et opportunes au moment où le président de la République française et la Chancelière allemande ont, lors de leur dernière rencontre de Rheinsberg, défini un calendrier et exprimé la volonté d'aboutir dans les deux ans. Après le « non » français, qui a quelque peu surpris nos partenaires, elles constituent un élément très concret du développement de la diplomatie parlementaire, renforcent l'image de la Délégation et son ouverture. Il a considéré qu'il serait sans doute utile de compléter les missions déjà effectuées par une série complémentaire auprès d'autres Etats membres.