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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 182

Réunion du mardi 26 septembre 2006 à 15 heures

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition, ouverte à la presse, de M. Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, chargé des affaires européennes, sur la politique sociale de l'Union

Le Président Pierre Lequiller a rappelé, à titre liminaire, que la Délégation procédait pour la première fois à l'audition d'une personnalité syndicale, poursuivant une démarche d'élargissement du champ de ses interlocuteurs en parallèle avec le renforcement de son rôle.

Après avoir observé que l'audition intervenait au moment où l'on débat en France du dialogue social et des relations entre démocratie politique et démocratie sociale, M. Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, a rappelé l'ancienneté de l'engagement de la CFDT en faveur de l'Europe, non seulement en raison de ses convictions, mais également parce qu'il n'y a pas de réponse possible aux défis contemporains si l'on ne dépasse pas le cadre national et si l'on ne se place pas dans une perspective européenne.

Dans l'ensemble, sur le terrain social, l'Europe offre des aspects positifs, à côté, il est vrai, d'éléments assez médiocres. Parmi les points positifs, il faut citer l'aboutissement de la proposition de directive « services ». D'après les derniers travaux, le texte définitif sera équilibré entre une véritable ouverture du marché intérieur des services et la préservation de l'essentiel des droits sociaux des salariés. Cet équilibre est certes très complexe, mais il a permis de dépasser la vision très libérale d'une libre concurrence qui devrait se développer en Europe quelles que soient ses conséquences sociales. En outre, il ne va pas trop loin dans ses aspects protectionnistes. Il évite donc que l'élargissement de l'Europe ne se traduise par une concurrence sociale non encadrée, et concrétise le principe suivant lequel la construction européenne s'accompagne d'un progrès social partagé. Dès l'origine, certaines organisations syndicales et la Confédération européenne des syndicats (CES) ont indiqué que la proposition initiale de la Commission n'était pas acceptable. L'autre élément très positif est que les deux principales composantes du Parlement européen ont su dépasser des clivages extrêmement lourds pour établir un compromis valable. On évite tant l'Europe étatique que l'Europe libérale.

S'agissant du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, cette initiative ne porte pas sur le problème réel. On considère que l'Europe doit agir en la matière car l'opinion a été alertée par certaines opérations de restructuration lourdes, comme celle de Hewlett Packard à Grenoble. Cependant, la dotation du fonds est trop modeste et son rôle, tourné vers les seuls salariés dont l'emploi est délocalisé, est trop marginal face à l'enjeu, notamment pour ceux qui, comme la CFDT, pensent que l'avenir de l'Europe en matière informatique et électronique passe par une action communautaire globale. La bonne réponse consisterait à agir sur le fond, selon la stratégie de Lisbonne, de manière à ce que l'Europe dispose des emplois qualifiés capables de répondre aux défis et aptes à éviter tout décrochage sur des marchés mondiaux difficiles. C'est donc à une mutation considérable que doit faire face le salarié européen. La question de fond est que les entreprises de dimension européenne trouvent dans certains Etats membres les moyens de faire face aux enjeux de compétitivité, en termes de main d'œuvre, et dans d'autres, leurs capacités de recherche. Il faut donc examiner comment se structurent les différentes filières dans une Europe de vingt-cinq - bientôt vingt-sept - Etats membres dont chacun a son histoire sociale, ses capacités et compétences, et son niveau de revenu. Le cas des entreprises qui conservent leurs centres de décision et de recherche dans un pays tel que l'Allemagne mais implantent à l'Est des unités de production autrefois installées en Belgique ou en France, illustre l'ampleur des mutations en cours. C'est d'une manière dynamique qu'il faudrait accompagner celles-ci.

Pour ce qui la concerne, la proposition de directive sur l'aménagement du temps de travail s'annonce comme une véritable catastrophe. Si la question des heures d'équivalence, qui pose en France depuis la mise en place des 35 heures des problèmes à des professions très précises, peut être réglée, l'opt out présente des difficultés d'une autre ampleur, car il ne peut faire l'objet d'un consensus. Le clivage est très fort, même si les pays qui défendent l'opt out sont dans des situations très diverses. Pour sa part, le Royaume-Uni souhaite son maintien pour le fonctionnement de son économie de services, notamment de services financiers. Le maintien d'une telle exception dans ce seul Etat membre est peut-être acceptable. En revanche, pour les autres Etats favorables à l'opt out, les nouveaux pays membres, l'objectif est de compenser la faible productivité par la durée des horaires de travail, ce qui est contraire à ce que doit faire l'Europe. La faiblesse du dialogue social dans ces Etats laisse le champ libre à des stratégies de gains de compétitivité obtenus par le défaut de respect des réglementations et des horaires de travail. Si l'Europe laisse faire, alors la situation du salarié connaîtra un déclin. Déjà, celui-ci est sous la pression de la compétition, laquelle se traduit par la recrudescence de certaines maladies professionnelles en rapport avec l'intensification du travail.

S'agissant des questions institutionnelles, l'idée d'un éventuel protocole social additionnel a été avancée. La CFDT s'est prononcée en faveur du projet de traité constitutionnel, car elle s'est battue, avec la CES, pour la déclaration des droits fondamentaux et son intégration au projet de traité. En dépit de ses limites, le projet de traité a offert à l'Europe une capacité de coordination des politiques économique et sociale, et organisé une gouvernance pour l'Europe élargie, ce que ne permet pas le traité de Nice. Le « non » au référendum français s'accompagne d'une « panne » de l'Europe. Il est très difficile de connaître l'effet d'un éventuel pacte social additionnel, en l'absence d'éléments sur la stratégie de ses promoteurs et de leur capacité d'aboutir. On constate en effet des blocages sérieux sur des questions de moindre ampleur comme la directive sur l'aménagement du temps de travail. La situation actuelle s'apparente donc à la quadrature du cercle.

S'agissant de la participation des salariés, il est indispensable de la resituer dans le contexte d'une société européenne dont la nature doit s'affirmer tant face au monde anglo-saxon que par rapport à des conceptions autres comme celles de la Chine, qui ne partage ni les valeurs, ni les vues de l'Europe, ni son futur, ou de l'Inde, qui est sur sa propre trajectoire. Il y a indéniablement un espace pour une société industrielle ou commerciale dont la gouvernance réponde à un autre mode de développement, en liaison non seulement avec les salariés ou les salariés actionnaires, mais aussi avec les autres parties prenantes qui sont les collectivités locales et les consommateurs, avec une vision claire de ce qu'est la responsabilité sociale et les enjeux du développement durable.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que l'amélioration du texte de la directive « services » résultait non seulement de l'action du Parlement européen, mais aussi de celle des parlements nationaux, notamment de l'Assemblée nationale. Evoquant ensuite le projet de Constitution européenne et les travaux de la Délégation à ce sujet, le Président a demandé à M. Marcel Grignard son opinion sur la façon de relancer le processus, alors que 15 pays ont ratifié le texte, 2 ont dit non et que certains Etats membres ont annoncé qu'ils souhaitaient remettre en cause le texte du projet. Il a par ailleurs interrogé M. Marcel Grignard sur la question du salaire minimum européen et a souhaité connaître son opinion sur le « modèle » danois ou scandinave.

Mme Elisabeth Guigou a souligné qu'elle partageait beaucoup des analyses exposées par M. Marcel Grignard. Elle a évoqué la « panne actuelle » de l'Europe, en estimant que le « non » au référendum était le symptôme d'une crise dont l'origine était plus ancienne et profonde. Il y a une crise de sens en Europe depuis la chute du mur de Berlin. La question est de savoir quels nouveaux moteurs peuvent soutenir la construction européenne, alors que les objectifs de paix et de démocratie paraissent avoir été remplis.

Elle a ensuite considéré que trois axes principaux caractérisaient la situation actuelle, s'agissant de la question constitutionnelle. En premier lieu, il y a un accord sur la nécessité d'une pause institutionnelle à condition qu'elle ne dure pas trop longtemps, sinon l'Union deviendrait réellement ingouvernable. Par ailleurs, il est clair que l'on ne refera pas voter les Français sur le même texte. Enfin, la recherche de nouvelles formules reste ouverte, celle consistant à ne conserver que les première et seconde parties du projet pouvant être une solution possible.

Au-delà même du sujet constitutionnel, comment à présent renouer avec le succès et rapprocher l'Europe des citoyens, alors que la stratégie de Lisbonne manque à la fois de moyens et d'impulsion politique ? Mme Elisabeth Guigou a interrogé à cet égard M. Marcel Grignard, souhaitant savoir sur quels sujets ressortissant au champ social il serait, selon lui, possible de faire avancer concrètement la construction européenne et quel pourrait être à cet égard l'apport des syndicats et du dialogue social européen.

En réponse, M. Marcel Grignard a apporté les précisions suivantes :

- alors que la CFDT est une organisation clairement pro-européenne, des doutes se sont élevés après le référendum du 29 mai sur le texte même du projet de Constitution. Il paraissait notamment difficile de traduire concrètement une vision européenne à propos des différentes problématiques exprimées au sein du syndicat. L'organisation doit par conséquent repenser l'Europe à partir des réalités nationales et être capable de démontrer en quoi la dimension européenne est une plus-value. Le développement du nombre des comités d'entreprise européens est, par exemple, une retombée très positive du dialogue social européen. La mise en place en trois mois du comité d'entreprise européen d'Arcelor, qui réunit 18 organisations émanant de 6 Etats membres, a ainsi constitué un véritable exploit. Il faut une pédagogie concrète de l'Europe. Dans cet esprit, le débat public sur la directive « services » organisé par la CFDT, avec environ 200 responsables syndicaux, a été une très bonne chose ;

- la « panne européenne » n'épargne pas les acteurs sociaux, ni le dialogue social européen. On assiste à des formes de repli national des employeurs et des syndicats et la Commission ne joue plus son rôle d'impulsion ;

- l'Union européenne - partenaires sociaux compris - a raté l'élargissement. Il n'y a pas eu de vraie transition organisée et aidée dans les Etats concernés. La promotion d'une société civile solide et viable a été insuffisante ;

- il n'y a pas pour la France, ni pour l'Europe, de « modèle » danois ou scandinave. Ces pays sont dans un contexte très éloigné du nôtre. En revanche, les politiques sociales menées actuellement en Espagne peuvent constituer une référence intéressante pour la France, comme la négociation menée récemment à propos d'un agenda social à long terme et sur les contrats de travail ;

- la question du salaire minimum doit intégrer à la fois la diversité des « richesses nationales », la liberté qui doit être laissée aux Etats d'utiliser conjointement d'autres instruments de solidarité sociale, la diversité des systèmes juridiques existants au sein de l'Union s'agissant du salaire minimum, notamment leur mode de fixation. La question du salaire minimum a un impact plus fort dans les esprits que sa capacité à transformer réellement la situation sociale en Europe ;

- le développement d'un dialogue social sectoriel en Europe est un enjeu important pour l'avenir, en intégrant les dimensions stratégiques, économiques et sociales. Le dialogue social conduit entre l'Unice et la Confédération européenne des syndicats est un processus trop lent.

M. Pierre Forgues a souhaité savoir si la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur aurait été modifiée, comme elle l'a été, par le Parlement européen dans le sens d'un compromis préservant l'essentiel, s'il n'y avait pas eu un débat aussi important en France à son sujet lors de la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen. Il a souligné les effets positifs du débat français sur le traité constitutionnel sur ce point. Certains semblent avoir découvert que l'Europe est « en panne » après le « non » français au référendum, alors qu'elle l'était avant, surtout sur le plan social. M. Pierre Forgues a ensuite interrogé M. Marcel Grignard sur la signification qu'il donnait à cette « panne » de l'Europe, laquelle contraste avec l'augmentation du nombre d'Etats membres. La proposition de directive sur l'aménagement du temps de travail prévoit toujours une durée maximale hebdomadaire de 48 heures, qui ne saurait être considérée comme un progrès pour les salariés français. Les salariés français ne peuvent accepter de voir leurs droits sociaux, pour lesquels ils se sont battus pendant des décennies, diminuer au nom de l'Europe. La question sous-jacente, cruciale, est de déterminer l'Europe que nous voulons construire. M. Pierre Forgues s'est enfin déclaré favorable, pour sa part, à une Europe qui protège les citoyens, sur les plans social et économique.

M. François Guillaume a souhaité connaître la définition que la CFDT donne de la participation, car l'acception de ce terme varie souvent selon les interlocuteurs. A l'origine, la participation était un dispositif d'association du capital et du travail, lancé par le général de Gaulle, qui a connu sa première expression au travers des comités d'entreprise. La participation prend deux formes en France, financière et non financière. La participation financière s'est beaucoup développée, mais a dérivé vers d'autres finalités, telles que le développement d'une épargne de précaution pour le salarié, puis le complément aux régimes de retraite par répartition à travers la constitution de plans d'épargne pour la retraite collectifs (Perco). Quant à la participation non financière, elle n'a, en réalité, jamais été encouragée ni par le patronat, ni par les syndicats. M. François Guillaume a également interrogé M. Marcel Grignard sur sa définition du dialogue social. Certains le limitent à la négociation en vue d'obtenir des avantages supplémentaires, tandis que d'autres y incluent la participation à la gouvernance de l'entreprise, laquelle a ses grandeurs et ses servitudes mais est indispensable si l'on souhaite réformer la société, dans le cadre d'une cogestion « à l'allemande ».

M. Marcel Grignard a apporté les éléments de réponse suivants :

- le débat qui s'est tenu en France lors de la campagne référendaire n'a certainement pas été inutile. Il a contribué, conjointement avec les prises de position de la CES sur la proposition de directive « services », à une prise de conscience sur ce texte. Certains des arguments employés pendant ce débat étaient cependant hostiles à la construction européenne ;

- la CFDT estime que le traité constitutionnel européen était un progrès pour la démocratie. Il n'apporte, certes, pas beaucoup de garanties nouvelles pour les Français, mais il représente un progrès important pour les citoyens des autres Etats membres, notamment des nouveaux adhérents. L'Europe doit aider à consolider la démocratie face à la montée des mouvements populistes dans certains d'entre eux ;

- la proposition de directive relative à l'aménagement du temps de travail ne conduirait pas à modifier la législation française. Elle devrait permettre de construire un socle commun minimum en Europe, pour faire progresser les droits sociaux. En Espagne, à la suite de l'adhésion, le progrès économique s'est accompagné d'un progrès social. Il faudrait que ce cercle vertueux se reproduise dans les nouveaux Etats membres, afin d'allier progrès économique et progrès social, sans leur imposer pour autant immédiatement des standards sociaux identiques aux nôtres, car leur économie ne le supporterait pas ;

- la CFDT ne se pose pas la question du rapport entre le capital et le travail de manière théorique. Elle constate que l'économie de marché s'est imposée dans la plupart des Etats, depuis la chute du Mur de Berlin, et que l'Europe apparaît comme un havre de paix sociale pour le reste du monde. La vision de la CFDT de la gouvernance sociale s'ancre dans cette réalité. La seule voie praticable est la régulation de l'économie de marché, à laquelle les partenaires sociaux doivent prendre part. Le dialogue social repose sur la négociation collective, sans s'y limiter. Il ne s'agit pas seulement de trouver des compromis acceptables et de conclure des accords. Il faut aussi dialoguer avec l'ensemble des acteurs de l'entreprise, sans s'arrêter aux frontières juridiques de celle-ci et exclure, par exemple, ses sous-traitants, ses prestataires de services. Ce dialogue social doit aussi aborder la question de l'actionnariat, des consommateurs, des options d'achat d'actions et des offres publiques d'achat. Le comportement de certains actionnaires face aux offres publiques d'achat, par exemple, qui ne semblent tenir compte que du seul impact sur leur dividende, n'est pas acceptable. Ce type de gouvernance d'entreprise n'est pas une copie de la co-gestion à l'allemande. Il faut s'inspirer des aspects positifs du système allemand, mais aussi des modèles nordiques et latins ;

- la CFDT est réservée à l'égard de l'actionnariat salarié. C'est un leurre pour les salariés. Il se développera nécessairement, compte tenu de son attractivité financière et en l'absence de réelle gouvernance sociale permettant aux salariés de participer à la gestion de l'entreprise. Il pose cependant de sérieux problèmes, qui n'ont pas encore été résolus. Il ne fait que reproduire la hiérarchie de l'entreprise, les salariés modestes ne pouvant acquérir que peu d'actions, et le système des droits de vote continue de reposer sur le principe « une action égale une voix ». Il faudrait que chaque salarié ait une voix quel que soit le nombre d'actions qu'il détient. L'actionnariat salarié risque aussi d'accroître les inégalités entre les salariés selon l'entreprise à laquelle ils appartiennent : il profite aux salariés des grandes entreprises cotées au CAC 40, qui bénéficient de l'internationalisation, et pas aux salariés des PME.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué avoir particulièrement apprécié la remarque selon laquelle il ne faut pas s'en tenir aux seuls intérêts des Français lors des débats européens, mais prendre en compte la situation de tous les Européens. D'ailleurs, il importe de souligner que la réglementation européenne en matière sociale n'a jamais entamé les droits des travailleurs français.

M. Marcel Grignard a ajouté qu'œuvrer pour la consolidation de la démocratie dans les pays d'Europe centrale, revient aussi à la renforcer en France.

M. François Guillaume a noté avec satisfaction que la teneur des précédentes réponses révélait un grand sens des responsabilités et traduisait la prise en compte des visées internationales et des stratégies d'entreprises, mais a souhaité des précisions sur les modalités de la gouvernance des entreprises. On sent bien qu'il existe des réticences syndicales à la participation car la gouvernance comporte des grandeurs et des servitudes, en particulier lorsqu'il faut prendre des décisions drastiques quand la situation dans l'entreprise se dégrade.

M. Daniel Garrigue a estimé que la stratégie de Lisbonne n'était en fait qu'un assemblage de divers objectifs que chaque Etat est chargé de décliner à son niveau et qu'il n'existe donc pas une véritable stratégie européenne face à la mondialisation. La notion de dialogue social sectoriel apparaît très intéressante.

Il a ensuite rappelé qu'à l'occasion de son travail sur le règlement Reach, il avait proposé la mise en place d'un Conseil stratégique de la chimie, lequel existe aujourd'hui et comprend notamment des représentants des salariés. Le niveau de la branche semble le mieux adapté pour établir un dialogue, non seulement en matière sociale mais aussi en ce qui concerne la stratégie du secteur. Enfin, il est exact que le dernier élargissement a été raté, surtout à cause de la frilosité des anciens Etats membres et de leur volonté de se protéger contre de nouveaux pays dont l'économie est pourtant peu compétitive. Cette frilosité était d'ailleurs partagée aussi bien par le patronat que par les salariés. Il serait intéressant d'avoir des éléments sur la manière dont les syndicats des nouveaux Etats membres, notamment les syndicats polonais, perçoivent la situation.

M. André Schneider s'est intéressé aux différentes approches syndicales au sein de l'Union européenne et a souhaité des précisions sur ce que l'Europe pouvait apporter au monde syndical.

En réponse, M. Marcel Grignard a rappelé que la CFDT est favorable à la présence d'administrateurs représentant les salariés dans les conseils d'administration. Toutefois, il faut bien avoir conscience que les entreprises, même si elles ont évolué, ne sont pas aussi démocratiques que la société civile et qu'elles restent des lieux de subordination, ce qui restreint les possibilités de cogestion. A cet égard, le rôle du management de haut niveau n'est pas toujours conforme à ce que l'on peut en dire.

Les objectifs globaux de la stratégie de Lisbonne sont pertinents, mais les Etats doivent les mettre en œuvre sans véritable relais communautaire, ce qui les incite à privilégier les contraintes nationales. Il manque donc des outils et des règles au niveau européen, lesquels pourraient être institués, dans un premier temps, pour les principaux objectifs de cette stratégie, à savoir la recherche et développement ou encore la formation des salariés. Si l'Europe est aujourd'hui en panne, c'est peut-être parce qu'elle est encore tournée vers l'achèvement du marché unique, alors qu'il conviendrait de dépasser ce stade pour privilégier la confrontation du marché unique avec le reste du monde.

Le dialogue social sectoriel englobe des discussions d'ordre économique et stratégique, comme cela se fait déjà par exemple au sein du Comité de dialogue social sur la construction navale, qui peu de temps après sa création, a commandé un rapport pour mieux apprécier les perspectives de ce secteur face à la concurrence mondiale.

Les échanges avec les syndicalistes polonais montrent qu'ils nous perçoivent surtout comme très protectionnistes. On peut regretter cependant qu'ils refusent d'aborder des problèmes aussi profonds que l'immigration des travailleurs, concernant aussi bien l'installation de nombreux Polonais en Europe de l'ouest que la présence d'Ukrainiens travaillant dans des conditions déplorables sur le territoire polonais.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que la CFDT s'était prononcée très fortement en faveur de la libre circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres.

M. Marcel Grignard a confirmé qu'il ne lui semblait pas cohérent d'autoriser d'un côté, des entreprises françaises à prendre le contrôle d'entreprises dans les nouveaux Etats membres et de refuser d'un autre côté, aux citoyens de ces Etats de venir travailler dans notre pays.

M. Pierre Forgues a estimé que certains salariés français n'étaient pas forcément opposés à la libre circulation, à condition que ces nouveaux venus travaillent aux mêmes tarifs que la population nationale, ce qui aujourd'hui n'est pas le cas.

M. Marcel Grignard a observé que certains salariés français acceptent également de ne pas respecter la législation du travail, dans la mesure où ils y trouvent intérêt. Tel est par exemple le cas lorsqu'ils font des heures supplémentaires non déclarées. Il est cependant vrai que la dimension européenne introduit un élément de complexité. Il faut avoir conscience que les syndicats d'Europe centrale, les syndicats autonomes créés après la chute du communisme comme les anciens syndicats officiels qui ont parfois simplement changé d'appellation, sont confrontés à des situations très difficiles. Manquant d'expérience, composés de façon assez hétéroclite, ils subissent les pressions du pouvoir et des multinationales qui n'hésitent pas à exiger l'absence de syndicat pour accepter de s'installer dans un pays.

La question de savoir ce que l'Europe peut apporter au monde syndical est très difficile, mais à bien y réfléchir, on doit d'abord souligner qu'elle facilite la confrontation et la comparaison et finalement une meilleure compréhension des enjeux. Ensuite, l'Europe démontre que la seule voie de progrès réside dans le dialogue social, ce qui fait peut-être débat en France mais pas chez nos partenaires européens.

Le Président Pierre Lequiller a remercié M. Marcel Grignard pour la teneur du débat, inédit au sein de la Délégation, et la franchise des échanges, estimant que c'était un honneur pour la Délégation de procéder à une telle audition.