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N° 1158

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 octobre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la réforme du régime des concentrations
entre entreprises,

ET PRÉSENTÉ

par M. Marc LAFFINEUR,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Economie -Finances publiques.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

Résumé du rapport 7

Summary of the report 9

INTRODUCTION 11

PREMIERE PARTIE : UNE REFORME OPPORTUNE 15

I. LE CONTROLE COMMUNAUTAIRE DES CONCENTRATIONS PRESENTE DE SERIEUSES LACUNES 17

A. Un système complexe et inefficace de répartition des compétences entre la Commission et les Etats membres 17

1) Le champ de la compétence de la Commission repose sur des critères multiples 17

2) Un système qui ne favorise pas la mise en œuvre rapide du contrôle des opérations de concentration 19

a) La question non résolue des notifications multiples 19

b) Les mécanismes de renvoi sont source de lenteurs 19

B. L'insuffisance des garanties procédurales reconnues aux entreprises et aux Etats membres 20

1) Les effets pervers s'attachant à la brièveté des délais 20

a) Pour ce qui concerne les entreprises 20

b) Pour ce qui concerne les Etats membres 22

2) L'encadrement défectueux des pouvoirs de la Commission 22

a) Le non-respect des droits de la défense 23

b) L'absence de réel contre-pouvoir 24

C. Les principes contestables présidant aux décisions de la Commission 26

1) Une analyse trop étroite des opérations de concentration 26

2) Une conception extensive de la notion de position dominante 27

II. LE SOUHAIT DE LA COMMISSION DE PROCEDER A LA CLARIFICATION ET A LA SIMPLIFICATION DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL 31

A. L'instauration d'une sécurité juridique accrue 31

1) La simplification du système de renvoi 31

a) Le refus de la Commission de reprendre les propositions préconisées dans le cadre de la consultation sur le Livre vert 31

b) Une meilleure régulation des compétences de la Commission et de celles des Etats membres 32

2) L'assouplissement des procédures 34

a) La présentation des notifications 34

b) L'allongement de la durée des phases de traitement des dossiers 35

B. Le maintien des méthodes d'analyse de la Commission 36

1) Des méthodes jugées satisfaisantes 37

a) La pertinence du critère de position dominante 37

b) La prise en compte des gains d'efficacité 39

2) Les compléments à la proposition de règlement 40

a) La réorganisation des services de la Direction générale de la concurrence (DG-Concurrence) 40

b) La consultation sur le projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales et le code des bonnes pratiques 42

DEUXIEME PARTIE : LA NECESSITE D'AMELIORER LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION 45

I. LES CONTROVERSES SUSCITEES PAR LES CHOIX DE LA COMMISSION 47

A. L'économie des relations entre la Commission et les Etats membres 47

1) Les interprétations opposées sur la configuration des mécanismes de renvoi 47

a) Aptitude ou inaptitude des renvois à favoriser une répartition optimale des compétences ? 48

b) La portée réelle de la clarification apportée par la proposition de règlement 52

2) Le rôle du comité consultatif 52

B. Les critères d'appréciation de la Commission 54

1) La bataille des tests 54

a) La confrontation entre le test de la position dominante et le double test 54

b) Le risque d'un glissement subreptice vers le test SLC (réduction sensible de la concurrence) 58

2) La question de la prise en compte des gains d'efficacité 58

a) La frilosité de la Commission 59

b) Les modalités contestées de la prise en compte des gains d'efficacité 60

C. Les lacunes affectant le volet sur les garanties procédurales 62

1) La proposition de règlement 62

2) Les imprécisions du projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales et du code des bonnes pratiques 63

a) Le projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales 63

b) Le code des bonnes pratiques 64

II. POUR UN REGIME EQUILIBRE ET DYNAMIQUE DU CONTROLE DES CONCENTRATIONS 67

A. Le contrôle des concentrations doit veiller à concilier différentes exigences 67

1) Nécessité d'un cadre communautaire et respect du principe de subsidiarité 67

a) Permettre le jeu du système des renvois 67

b) Renforcer les droits des Etats membres dans la procédure de contrôle 68

2) Efficacité du contrôle et besoin de transparence juridique 68

a) La réelle prise en compte du principe du contradictoire 68

b) Le renforcement des procédures juridictionnelles 69

B. Le contrôle des concentrations doit être un instrument de la bonne gouvernance économique 70

1) La nécessité d'une révision de l'approche de la Commission 70

a) La pertinence du choix des autorités françaises et espagnoles en faveur du double test 70

b) La nécessité d'une meilleure prise en compte des gains d'efficience 72

2) L'élaboration d'un contenu plus précis du projet de communication et du code des bonnes pratiques 75

CONCLUSION 77

TRAVAUX DE LA DELEGATION 79

PROPOSITION DE RESOLUTION 81

ANNEXES 85

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 87

Annexe 2 : Note récapitulative des orientations françaises pour la révision du règlement sur les concentrations 89

Annexe 3 : Consultation de la Commission sur son projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales 93

Annexe 4 : Observations des autorités françaises sur le projet de « bonnes pratiques » sur le déroulement de la procédure de contrôle des concentrations 99

Résumé du rapport


Le présent rapport comporte deux parties :

- Dans la première partie, il examine en quoi va dans le bon sens l'objectif poursuivi par la Commission, au travers de la proposition de règlement, de simplifier et de clarifier le contrôle communautaire des concentrations.

La Commission propose ainsi de corriger les dysfonctionnements qui affectent le système des renvois entre elle et les Etats membres, d'une part, et, d'autre part, le régime des délais. En effet, sur le premier point, la Commission a constaté que le nombre de notifications multiples dans le cas d'opérations intéressant au moins trois Etats membres n'avait pas diminué, en dépit d'une réforme intervenue en 1997. C'est pourquoi elle préconise le recours accru aux mécanismes de renvoi à la demande de la Commission et à celle des Etats membres. Quant aux parties notifiantes, elles se voient ouvrir la possibilité de demander l'application des mécanismes de renvoi au stade de la prénotification.

S'agissant des délais, la proposition de règlement prévoit l'abandon du délai d'une semaine dans lequel les opérations doivent être notifiées avant leur réalisation. En outre, elle tente de remédier aux effets pervers résultant de la brièveté des délais auxquels sont confrontés les entreprises et les Etats membres, en assouplissant ces délais.

En revanche, la Commission maintient, pour l'essentiel, ses méthodes d'analyse qu'elle juge satisfaisantes. D'un côté, elle conserve le test de la position dominante en l'assortissant d'une définition de la position de domination collective. De l'autre, elle considère que la réglementation actuelle lui permet déjà de prendre en compte les gains d'efficience et qu'il n'y a donc pas lieu d'introduire de nouvelles dispositions sur ce point.


- Ce sont les critiques suscitées par cette démarche de la Commission qu'aborde la deuxième partie. Trois séries de reproches sont adressées à la Commission.

En premier lieu, le Parlement européen et les entreprises estiment que le système de renvois proposé par la Commission affaiblit la logique du guichet unique, notamment du fait de l'élargissement des compétences des Etats membres. C'est la raison pour laquelle le Parlement européen a suggéré de reprendre une proposition formulée par la Commission dans le cadre du Livre vert présenté en décembre 2001, aux termes de laquelle une opération est présumée être de dimension communautaire lorsqu'elle intéresse au moins trois Etats.

En second lieu, pour le Parlement européen, la définition de la position de domination collective risque non seulement de n'apporter aucune sécurité juridique satisfaisante aux entreprises, car toute fusion entraînant un certain avantage concurrentiel entrerait dans le champ de la nouvelle définition. De surcroît, celle-ci favorise un glissement vers le test SLC - réduction sensible de la concurrence. Pour ces raisons, le Parlement européen a préconisé la suppression de la disposition, qui introduit la définition de la position collective.

Au sein du Conseil, les autorités françaises et espagnoles ont contesté que cette définition permette de contrôler les oligopoles non collusifs. De fait, elles ont proposé une solution de compromis qui, tout à la fois, couvrirait les oligopoles non collusifs, conserverait le test de la dominance et ne redéfinirait pas la notion de position dominante dégagée par la jurisprudence.

Enfin, le Parlement européen a également critiqué les lacunes qui affectent le volet sur la garanties procédurales.

Devant ces différentes imperfections, le rapporteur a formulé un certain nombre d'orientations sur lesquelles doit reposer le régime équilibré et dynamique du contrôle des concentrations. En particulier, il insiste sur la nécessité pour l'Europe d'ériger ce contrôle en instrument de la bonne gouvernance économique, ce qui suppose une meilleure prise en compte de la notion des gains d'efficience et de la compétitivité internationale des entreprises dans l'appréciation des concentrations.

Summary of the report


The present report is in two parts.

Part One examines the positive aspects of the objective which the Commission is pursuing in the draft Regulation, namely to simplify and clarify Community regulation of mergers.

It is the Commission's aim to find a remedy for the problems affecting the system of referrals between itself and the Member States and the deadline arrangements. On the former question, the Commission found that, despite the 1997 reform, there had been no reduction in the number of multiple notifications where the operation involves at least three Member States. It therefore recommends increased use of the referral machinery at the request of the Commission and of the Member States. The notifying parties would have the option of requesting implementation of the referral machinery at the pre-notification stage.

As regards deadlines, the draft Regulation envisages abandoning the one-week deadline for the notification of operations before they come into effect. It also aims, by lengthening the deadlines, to eliminate the anomalies that arise for companies and Member States owing to the shortness of the deadlines.

However, the Commission would retain most of its analytical methods which it regards as satisfactory. It would continue the dominant position test, combining it with a definition of the position of collective dominance. It further believes that the current rules already allow it to take account of efficiency gains and that there is therefore no need to introduce new provisions in this area.

Part Two
concerns the objections raised over the Commission's approach. The Commission is criticised on three fronts.

Firstly, the European Parliament and the companies consider that the referral system proposed by the Commission undermines the "one-stop shop" principle, in particular by increasing Member States' powers. The European Parliament has therefore suggested returning to a proposal put forward by the Commission in the December 2001 Green Paper, under which an operation is deemed to have a Community dimension if it involves at least three States.

Secondly, the European Parliament fears that not only would the definition of a position of collective dominance fail to provide a satisfactory degree of legal certainty for companies (since any merger that resulted in a competitive advantage would fall within the new definition). It would also make a drift towards the SLC ("substantial lessening of competition") test more likely. For these reasons the European Parliament has recommended that this provision introducing the definition of the collective position should be withdrawn.

During the Council's deliberations the French and Spanish authorities argued that this definition would make it easier to regulate non-collusive oligopolies. They have, in fact, proposed a compromise solution, which would cover non-collusive oligopolies, would retain the dominance test and would not redefine the concept of dominant position arrived at in case-law.

Finally, the European Parliament has also criticised the gaps in the area of procedural guarantees.

In view of these various defects the Rapporteur has drawn up a number of guidelines to serve as a basis for a balanced and flexible system of merger regulation. In particular, he stresses the need for Europe to make merger regulation an instrument of good economic governance. This implies paying greater attention to efficiency gains and to international corporate competitiveness when assessing mergers.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Il convient de se féliciter que l'Assemblée nationale soit saisie de la présente proposition de règlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Certes, ce texte ne procède pas à une réforme de grande ampleur du contrôle communautaire des concentrations instauré par le règlement n° 4064/89 - entré en vigueur le 21 septembre 1990 et modifié en 1997. Son dispositif apparaîtrait même moins ambitieux que les propositions contenues dans le Livre vert sur la révision du règlement n° 4064/89 présenté le 11 décembre 2001 et auquel il fait suite. En effet, affirmant, dans l'exposé des motifs, que « le contrôle communautaire est très largement considéré comme un succès », la Commission déclare que la proposition de règlement vise à combler certaines lacunes qui affectent le fonctionnement du contrôle des concentrations dans la Communauté européenne.

L'examen de cette réforme doit toutefois être l'occasion d'un débat de fond. Car, d'une part, elle s'inscrit dans le cadre de la modernisation du droit de la concurrence à laquelle la Commission a procédé depuis quelques années et dont les étapes précédentes ont été marquées par l'instauration d'un nouveau régime des accords de restriction verticale et par la réforme du régime des ententes.

D'autre part et surtout, la présente proposition de règlement intervient à un moment où la politique de la concurrence menée par la Commission suscite de sévères critiques. Il en est ainsi des trois décisions d'interdiction de concentrations, qui - fait exceptionnel - ont été annulées au cours d'une seule et même année, en 2002. L'une d'elles(1) qui concernait la fusion entre Schneider et Legrand a, comme on le sait, amené les autorités françaises à exprimer leurs très vives préoccupations. S'y ajoute la réaction tout aussi vive du Gouvernement américain à la suite de la décision d'interdiction par la Commission, en juillet 2001, de la fusion entre General Electric et Honeywell, alors qu'elle avait été autorisée précédemment par les autorités de concurrence américaines.

De même, bien qu'elle ne concerne pas le contrôle des concentrations mais les aides d'Etat, l'affaire Alstom a révélé le risque d'un affrontement entre la logique juridique et la logique industrielle, dont se sont prévalus respectivement la Commission et le Gouvernement.

Or, le rapporteur estime que, - parce qu'ils doivent être regardés comme des instruments d'une bonne gouvernance économique -, il incombe à la politique de la concurrence, en général, et au contrôle des concentrations - en particulier - de parvenir à la conciliation des logiques juridique et économique.

Concrètement, l'objectif à poursuivre consiste à promouvoir un cadre juridique qui soit non pas un carcan bureaucratique, mais qui permette le réglage fin de la concurrence et un fonctionnement optimal du marché, au profit des entreprises et des consommateurs. Au plan politique, cet objectif est, dans le cas présent, d'autant plus important que, conformément à l'article 308 du traité, le Conseil devra statuer à l'unanimité. En outre, il serait souhaitable qu'un dispositif puisse effectivement être institué au 1er mai 2004 - comme le prévoit d'ailleurs la proposition de règlement - c'est-à-dire au moment de l'entrée dans l'Union des nouveaux membres.

Force est toutefois de constater que le texte présenté par la Commission ne répond que de façon imparfaite à ces exigences. Qu'il s'agisse des réactions des entreprises ou encore des discussions au sein du Parlement européen, il est reproché à la Commission de n'avoir pas tiré toutes les conséquences de la consultation lancée dans le cadre du Livre vert ni de celles des différents arrêts d'annulation rendus en 2002.

Au-delà de ces critiques, le rapporteur estime que, du fait de la timidité de sa démarche, la réforme proposée n'est pas totalement à la hauteur des enjeux.

Car, d'un côté, la réforme présentée va certes dans le bon sens, en ce qu'elle procède à une clarification et à une simplification opportune du cadre juridique actuel.

Mais, de l'autre, devant les imperfections que recèle cette réforme, seule l'introduction d'importantes améliorations lui permettra de porter pleinement ses fruits et d'être regardée comme un pas vers l'instauration d'une bonne gouvernance économique en Europe.

*

* *

PREMIERE PARTIE :
UNE REFORME OPPORTUNE

La consultation que la Commission avait lancée, en 2001, à la suite de la présentation du Livre vert sur la révision du règlement n° 4064/89, portait sur trois questions :

- les questions de compétence, c'est-à-dire le fonctionnement des seuils de chiffres d'affaires et des mécanismes de renvoi entre la Commission et les Etats membres ;

- les questions de fond, touchant aux critères qui président à l'examen des concentrations par la Commission ;

- les questions de procédure.

Tant les réponses à ces questions que les arrêts d'annulation d'interdiction de concentration - intervenus en 2002 - montrent que le contrôle communautaire des concentrations présente de sérieux dysfonctionnements.

Même si ce n'est que de façon partielle, la proposition de règlement tente d'y porter remède au travers de mesures destinées à clarifier et à simplifier certains aspects du régime actuellement en vigueur.

I. LE CONTROLE COMMUNAUTAIRE DES CONCENTRATIONS PRESENTE DE SERIEUSES LACUNES

Ces lacunes touchent respectivement :

- à la complexité et à l'inefficacité du système de répartition des compétences entre la Commission et les Etats membres ;

- à l'insuffisance des garanties procédurales accordées aux entreprises et aux Etats membres ;

- aux principes contestables présidant aux décisions de la Commission.

A. Un système complexe et inefficace de répartition des compétences entre la Commission et les Etats membres

1) Le champ de la compétence de la Commission repose sur des critères multiples

Le règlement 4064/89 pose le principe du « guichet unique », aux termes duquel les concentrations de « dimension communautaire » relèvent de la compétence exclusive de la Commission européenne. Les autres sont en principe du ressort de la compétence des autorités nationales. Cependant, sur le fondement de l'article 9 du règlement, la Commission peut renvoyer un dossier « communautaire » à une autorité nationale, tandis que l'article 22 autorise le renvoi inverse.

La dimension communautaire a tout d'abord été définie à l'aide de trois critères qui doivent être simultanément réunis :

- le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par toutes les entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'euros ;

- le chiffre d'affaires réalisé individuellement dans l'Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'euros ;

- les entreprises concernées ne doivent pas réaliser plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires à l'intérieur d'un seul et même Etat membre, ce que l'on appelle encore la règle des deux tiers.

De nouveaux seuils - alternatifs - ont été introduits en 1997. En application de ces dispositions, sont également des opérations de dimension communautaire, celles qui satisfont simultanément aux conditions suivantes :

- le chiffre d'affaires mondial des entreprises concernées est supérieur à 2,5 milliards d'euros ;

- le chiffre d'affaires individuellement réalisé dans au moins trois Etats membres par au moins deux des entreprises concernées dépasse 25 millions d'euros ;

- le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'Union européenne par au moins deux des entreprises concernées dépasse 100 millions d'euros, sauf si chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans l'Union à l'intérieur d'un seul Etat membre.

Cette réforme avait pour objet d'éviter aux entreprises d'avoir à multiplier les notifications dans plusieurs Etats membres, selon des procédures et pour des résultats éventuellement différents. Il s'agissait donc de renforcer la sécurité juridique des entreprises procédant à des opérations ayant un impact significatif dans plusieurs Etats membres.

Or, la réforme introduite en 1997 n'a pas atteint ses objectifs.

2) Un système qui ne favorise pas la mise en œuvre rapide du contrôle des opérations de concentration

a) La question non résolue des notifications multiples

Un rapport sur l'application des seuils, présenté en 2000 par la Commission, a mis en évidence que les critères déterminant les opérations de dimension communautaire ne favorisaient pas l'inclusion de certaines concentrations ayant pourtant des effets transfrontaliers significatifs.

En effet, la Commission a relevé dans le Livre vert qu'une opération, dont le montant est inférieur aux seuils, devait faire l'objet d'une notification dans plusieurs Etats membres, alors qu'en principe la réforme de ces seuils intervenue en 1997 avait précisément pour objet de diminuer le nombre de ces notifications multiples et - par conséquent - de permettre au guichet unique de bien fonctionner lorsque les opérations affectent la concurrence dans plus de deux Etats membres.

Pour ces raisons, la Commission avait proposé dans le Livre vert que la dimension communautaire d'une opération puisse être présumée lorsqu'elle donne lieu à une notification dans trois Etats membres, ce que la proposition de règlement n'a toutefois pas retenu.

b) Les mécanismes de renvoi sont source de lenteurs

La Commission rappelle(2) que les dispositions de renvoi actuelles ne peuvent être appliquées qu'après la notification d'une opération soit à la Commission, soit aux autorités nationales. Ce système entraîne inévitablement - observe la Commission - une importante perte de temps et d'efficacité administrative, tout en imposant des coûts et un surcroît de travail aux entreprises parties à l'opération.

Les entreprises sont confrontées à une incertitude d'autant plus grande qu'en application de l'article 9 du règlement, la Commission peut décider discrétionnairement sur demande d'un Etat membre de renvoyer tout ou partie d'un dossier à la compétence des autorités nationales.

L'affaire du rachat de Vivendi Universal Publishing (VUP) par Lagardère illustre bien les difficultés que les entreprises peuvent ainsi rencontrer. En effet, cette opération a été notifiée le 14 avril 2003 à la Commission, soit six mois après qu'elle eut été annoncée. Or, bien que le 14 mai 2003, les autorités françaises aient déposé une demande de renvoi pour ce qui concerne le marché français, au titre de l'article 9 du règlement, la Commission a néanmoins décidé d'ouvrir une enquête approfondie, au motif qu'elle a des doutes sérieux quant à l'impact concurrentiel de l'opération sur plusieurs marchés - dont les droits d'édition, la diffusion, la distribution et la vente de livres. Puis, au mois de juillet 2003, la Commission a annoncé sa décision d'instruire l'intégralité du dossier de rachat des actifs européens du groupe VUP par Lagardère.

B. L'insuffisance des garanties procédurales reconnues aux entreprises et aux Etats membres

1) Les effets pervers s'attachant à la brièveté des délais

a) Pour ce qui concerne les entreprises

Les délais dont disposent les entreprises pour proposer des engagements - c'est-à-dire des mesures destinées à rendre la concentration compatible avec le marché commun - sont extrêmement courts. Ceux-ci ne permettent pas toujours qu'ils puissent faire l'objet ni d'une discussion utile avant leur expiration ni d'une proposition alternative dans l'hypothèse où les engagements proposés ne seraient pas jugés suffisants :

¬ En phase I, les parties doivent présenter leurs propositions d'engagement dans un délai maximal de trois semaines à compter de la notification, ce qui laisse à la Commission un délai identique pour rendre sa décision.

Or, sous la pression extrême des délais, il arrive que les entreprises soient amenées, d'abord, à déposer leurs propositions, alors même que les problèmes de concurrence n'ont pas été clairement identifiés, puis à rectifier leurs propositions lorsque les délais sont expirés, ce qui pourrait conduire la Commission à les écarter et à interdire l'opération - comme ce fut le cas dans les affaires General Electric-Honeywell et Schneider-Legrand.

En outre, pour prévenir l'ouverture de l'examen approfondi - encore appelée phase II -, les entreprises proposent fréquemment plus de remèdes que nécessaire.

¬ En phase II, les propositions doivent être effectuées dans un délai de trois mois après l'ouverture de l'examen approfondi, ce qui laisse à la Commission un délai d'un mois pour rendre sa décision. Toutefois, le délai est beaucoup plus court qu'il n'y paraît. En effet, la Commission dispose d'environ la moitié de la période de phase II - c'est-à-dire huit semaines - pour adresser à l'entreprise sa communication des griefs. Sur cette base, l'entreprise ne dispose en général que d'un mois environ pour exercer son droit d'accès au dossier, répondre à la communication des griefs, demander et préparer l'audition orale et élaborer et soumettre une ou plusieurs propositions d'engagement. Tous ces éléments sont par ailleurs interdépendants, le débat sur le fond commandant les engagements. Il est donc difficile de remettre des engagements dans un délai qui permette encore de présenter des propositions alternatives.

Pour prendre la mesure de la situation délicate à laquelle les entreprises peuvent être confrontées du fait de la computation des délais, on peut se reporter à l'encadré ci-dessous, qui rappelle les conditions dans lesquelles cette question a été débattue dans l'affaire Schneider, le Tribunal de Première instance ayant donné raison à la Commission notamment sur ce point.

- La computation des délais de l'article 10 du règlement de base a été débattue dans l'affaire Schneider. Le passage à la phase II ayant été décidé le 30 mars 2001, le délai de quatre mois prévu par l'article 10, paragraphe 3, aurait dû venir à échéance le 10 août en application des règles de l'article 9 du règlement n° 447/98. Or, pour la requérante, la décision de la Commission étant intervenue le 10 octobre 2001, soit hors délai, l'opération aurait dû être considérée comme compatible. La Commission, quant à elle, se prévalait de la suspension exceptionnelle du délai prévu par l'article 10, paragraphe 4, et faisait valoir que sa demande du 6 avril 2001 de renseignements à fournir pour le 18 avril étant demeurée sans réponse, elle avait été obligée de renouveler celle-ci par voie de décision le 27 avril. Les informations n'avaient finalement été transmises que le 25 juin.

- En l'espèce la suspension contestée courait par conséquent du 19 avril au 25 juin, auquel cas, si elle était fondée, la décision avait été prise dans le délai du paragraphe 3. Le Tribunal considère que la demande du 6 avril fixant un délai de réponse au 18 pour 322 questions était dans le contexte raisonnable et que dans ces conditions la décision du 27 avril était justifiée. Il considère également qu'il n'y a aucune contradiction entre l'article 9 du règlement n° 447/98 qui organise de manière automatique la suspension, notamment lorsque les parties n'ont pas répondu dans les délais à la demande de renseignements, et l'article 10, paragraphe 4, du règlement de base qui emploie les termes « est exceptionnellement suspendu ». Le caractère exceptionnel se réfère à la survenance des conditions qui permettent l'adoption d'une décision de demande de renseignements et non aux conséquences à tirer de cette décision.

b) Pour ce qui concerne les Etats membres

Les Etats membres désignent un ou deux représentants au comité consultatif en matière de concentrations.

En application de l'article 19 du règlement, ce comité est consulté préalablement à toute décision de la Commission sur une opération, ou encore au prononcé d'amendes ou d'astreintes par la Commission.

Or, comme l'observe la DGCCRF dans sa Note de consultation « la tenue du comité consultatif peut être parfois presque formelle, les Etats membres ne recevant pas ou recevant tardivement les informations nécessaires à un examen complet et serein de l'opération (...) Certains estiment que les règles de fonctionnement du comité consultatif réunissant les Etats membres mériteraient d'être largement revues, afin d'augmenter le poids de ses avis dans le processus décisionnel ».

2) L'encadrement défectueux des pouvoirs de la Commission

Cette critique très largement répandue touche, d'une part, au non-respect des droits de la défense et, d'autre part, à l'absence de réel contre-pouvoir.

a) Le non-respect des droits de la défense

Comme le montrent les moyens invoqués respectivement par Tetra et Schneider devant le Tribunal de Première instance, les droits de la défense peuvent être méconnus par la Commission, soit parce que l'accès au dossier est incomplet, soit parce que la communication des griefs n'a pas permis aux parties d'assurer leur défense.

¬ S'agissant de l'accès au dossier, Tetra a fait valoir qu'elle n'était pas parvenue à obtenir un rapport économétrique destiné à la Commission ni les réponses aux enquêtes menées auprès des tiers sur ses engagements. Seuls de vagues résumés lui avaient été fournis, l'accès complet ayant été refusé, malgré ses demandes, par le conseiller-auditeur. Sur ce point, le Tribunal a estimé que, « l'assistance sous forme de conseil, fournie par le professeur Ivaldi ne saurait constituer une « étude » devant être rendue accessible en vertu du point I.B, quatrième alinéa, de la communication ».

Quant aux réponses aux enquêtes, Tetra s'était heurtée, semble-t-il, à une situation bien connue des praticiens, puisqu'elles étaient toutes couvertes par le secret des affaires.

Deux versions non confidentielles seulement ayant été fournies par les intéressés, la Commission avait de sa propre initiative préparé un résumé non confidentiel, auquel elle avait donné accès. Pour justifier cette pratique, le Tribunal rappelle que le risque de mesures de rétorsions de la part de l'entreprise en position dominante peut justifier la confidentialité de l'information et qu'en l'espèce l'ensemble des réponses nécessitait un traitement confidentiel. Il admet également que cette exigence de confidentialité peut, au-delà des textes, justifier la préparation par la Commission de résumés non confidentiels de toutes les réponses. En l'espèce, l'analyse des circonstances lui permet de conclure que les droits de la défense de la requérante n'ont pas été méconnus.

¬ En second lieu, pour ce qui est de la communication des griefs, terrain sur lequel Schneider a obtenu satisfaction, Schneider soutenait que la Commission avait tiré un grief déterminant du renforcement en France de sa position sur les marchés des tableaux divisionnaires et terminaux découlant de la position prépondérante de Legrand dans le secteur des équipements ultraterminaux. Or, ce grief n'avait jamais été formulé dans la communication, alors qu'il avait été présenté comme l'obstacle décisif aux engagements présentés en dernier lieu fin septembre 2001.

Le Tribunal commence par rappeler la fonction de la communication des griefs qui « consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n'adopte une décision définitive ». Elément nouveau, le Tribunal reconnaît que cette fonction est encore plus importante en matière de contrôle des concentrations, compte tenu de l'analyse prospective à laquelle se livre la Commission et du fait que la communication des griefs a également vocation à permettre aux parties notifiantes de présenter des engagements.

Or, en l'espèce, le Tribunal estime que la communication des griefs n'a pas fait apparaître que le renforcement de la position de Schneider vis-à-vis des distributeurs français résultait également de la position prépondérante de Legrand sur les segments des équipements ultraterminaux. En effet, la conclusion générale énumère les différents marchés sectoriels nationaux affectés sans aborder la question d'un adossement d'une position détenue sur un marché à la position de l'autre partie sur un autre marché sectoriel. En conséquence, les droits de la défense de Schneider ont été méconnus, puisque l'entreprise n'a pas été à même de présenter des mesures correctives pour résoudre les difficultés relatives à la distribution.

b) L'absence de réel contre-pouvoir

Cette critique revêt deux aspects.

· Tout d'abord, nombreux sont ceux qui déplorent une certaine confusion des pouvoirs, puisque la Commission instruit les dossiers et décide, alors que dans plusieurs pays - aux Etats-Unis, notamment - c'est le juge qui prononce une interdiction de concentration.

M. Mario Monti, commissaire en charge de la concurrence, récuse une telle critique : « Il y a, dit-il, beaucoup de contrôles internes qui évitent tout dérapage : le service juridique qui ne dépend pas du commissaire à la concurrence mais du président de la Commission, le conseiller-auditeur dont le rôle et l'indépendance ont été récemment renforcés, le comité consultatif des fusions composé des autorités nationales de concurrence, qui exprime son avis. Notre système est totalement transparent et respecte pleinement les droits de la défense(3).

Ces propos relèvent du satisfecit et méconnaissent l'importance des dysfonctionnements. Car, en se limitant à la seule réponse des autorités françaises au Livre vert - qui synthétise les prises de position des parties consultées(4) - on ne peut manquer de constater que, sur chacun des points évoqués par M. Mario Monti, les propositions formulées témoignent d'une profonde demande de réforme.

· Quant au contrôle juridictionnel, il y a lieu de regretter que, jusqu'aux arrêts d'annulation rendus en 2002, les juges communautaires aient - sauf rarissime exception(5) - refusé de se départir de leur réserve. C'est ainsi qu'en 1999, le Tribunal de Première instance a affirmé : « Les règles de fond du règlement ... confèrent à la Commission un certain pouvoir d'appréciation, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir ... doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations »(6). En d'autres termes, même lorsqu'elles sont contestables, les analyses de la Commission demeurent difficilement attaquables, sauf erreur manifeste d'appréciation.

Mais au-delà de ces orientations - sur lesquelles le juge communautaire a, fort heureusement, décidé de revenir - la question - cruciale - demeure posée de savoir si le contrôle juridictionnel est - compte tenu de sa lenteur - réellement adapté au contrôle des concentrations.

En effet, une fois l'opération interdite et, le cas échéant, les mesures de désinvestissement ordonnées, une annulation de la décision qui aurait conclu à l'existence d'une position dominante, apporte certes une satisfaction morale au requérant. Mais on ne conçoit pas réellement qu'une telle annulation permette de renouveler l'opération.

Au demeurant, les recours sont d'ailleurs très peu nombreux et - jusqu'en 2002, tout au moins - n'aboutissaient que très rarement à l'annulation des décisions, en raison de la réserve - précédemment évoquée - du juge communautaire.

Pour ces différentes raisons, diverses propositions - formulées en France notamment - ont été présentées en faveur de l'instauration d'une procédure de référé, qui permettrait de suspendre les effets des décisions de la Commission et de prévenir ainsi les conséquences d'une décision d'interdiction non fondée.

C. Les principes contestables présidant aux décisions de la Commission

1) Une analyse trop étroite des opérations de concentration

Soucieuse d'écarter toute référence à la notion controversée de politique industrielle, la Commission a centré son analyse des opérations de concentration sur des critères d'appréciation tirés presque exclusivement de la notion d'atteinte à la concurrence(7).

C'est ainsi qu'elle s'est toujours montrée hostile à la prise en compte des gains d'efficacité générés par les opérations de concentration. En effet, la Commission analyse parfois les économies d'échelle et autres gains d'efficacité induits par une opération comme des éléments constitutifs de la domination. Par exemple, au cours de l'instruction de l'opération Dupont/ICI(8), la Commission a considéré que la fusion des potentiels de recherche des deux entreprises pouvait constituer un facteur majeur de position dominante. De même, dans sa décision AT&T/NCR, elle a estimé que « les avantages potentiels résultant des synergies pouvaient créer ou renforcer une position dominante »(9). Encore très récemment, dans sa décision GE/Honeywell du 3 juillet 2001, la Commission a bloqué l'opération au motif que la nouvelle entité
- constituée par des entreprises détenant une position dominante sur leurs marchés respectifs(10) - aurait la capacité de lier les ventes de produits et des services de sa gamme. Considérant que les concurrents ne possédaient pas les ressources suffisantes pour constituer une gamme similaire de produits, la Commission a déduit qu'ils seraient, à terme, exclus des différents marchés concernés.

Cette approche de la Commission, qui est à l'opposé de l'analyse plus rigoureuse des autorités françaises, et américaines
- le rapporteur y reviendra ultérieurement - va à l'encontre de l'article 2 § 1er (b) du règlement 4064/89, qui dispose que dans son appréciation d'une opération de concentration, la Commission doit tenir compte de « l'évolution du progrès technique et économique, pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence ».

2) Une conception extensive de la notion de position dominante

L'analyse de la Commission en matière de contrôle des concentrations repose sur le critère dit de position dominante, conformément à ce que prévoit l'article 2, paragraphe 2, du règlement :

« Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun ».

Or, la Commission semble adopter une conception de plus en plus extensive de cette notion au détriment de la transparence et de la rigueur économique de son analyse, comme le montrent les arrêts rendus à propos des affaires Schneider et Tetra Laval.

¬ Dans la première affaire, le Tribunal a relevé que l'opération ne posait, en réalité, de problème de concurrence qu'en France et, pour certains segments, sur six autres marchés nationaux. Si le Tribunal admet que la Commission puisse prendre en considération l'existence d'effets transnationaux susceptibles de renforcer l'impact d'une opération sur chacun des marchés sectoriels nationaux retenus comme pertinents, encore faut-il qu'elle en démontre l'existence, ce qui n'avait pas été fait en l'espèce. En effet, pour la Commission, l'opération conduirait à la combinaison des positions fortes de Schneider dans les pays nordiques et de Legrand dans les pays du Sud. La Commission a, dès lors, élaboré une thèse pour le moins audacieuse, reposant finalement sur l'idée qu'une entreprise localisée dans une partie de l'Europe, qui ne renforce nulle part sa position dominante, en termes de cumul de parts de marchés, peut quand même créer ou renforcer partout sa domination, lorsque, par une concentration, elle prend position sur l'ensemble de l'Europe !

¬ La décision Tetra Laval/Sidel semble également marquer un affaiblissement de la notion de marché pertinent. Cette affaire concernait une opération de concentration entre Tetra Laval, qui détenait alors une position dominante sur le marché des équipements d'emballage en carton, et Sidel, leader sur celui des équipements d'emballage en PET (plastique). Tout en admettant que les deux marchés étaient bien distincts, la Commission avait cependant considéré qu'ils étaient « étroitement liés » (le carton et le PET étant de plus en plus utilisés pour l'emballage des mêmes boissons). Elle en a déduit que la nouvelle entité, du fait de sa domination sur le marché des équipements d'emballage en carton, serait en mesure, par un effet de levier, d'étendre sa position dominante sur le marché voisin des équipements d'emballage en PET. Tetra aurait notamment pu « suivre » ses clients ayant décidé de passer du carton au PET ou pratiquer des prix prédateurs.

Pour autant, le Tribunal a estimé que la Commission ne pouvait fonder son analyse de l'effet de levier éventuel qu'en tenant compte des comportements qui ne seraient pas illégaux, en apportant des preuves solides et en se fondant sur une analyse prospective particulièrement plausible. Or, la Commission n'a satisfait à aucune de ces exigences, le Tribunal ayant jugé la plupart de ses arguments erronés, insuffisants, peu plausibles, peu vraisemblables ou sommaires. Il a, en conséquence, considéré qu'aucune création de position dominante n'a été démontrée.

II. LE SOUHAIT DE LA COMMISSION DE PROCEDER A LA CLARIFICATION ET A LA SIMPLIFICATION DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL

Cette ambition est rappelée par la Commission dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement. En effet, au travers de dispositions destinées à favoriser une sécurité juridique accrue en faveur des entreprises et des précisions sur ses méthodes d'analyse économique, la Commission estime avoir répondu aux préoccupations qui se sont fait jour dans le cadre de la consultation sur le Livre vert.

A. L'instauration d'une sécurité juridique accrue

1) La simplification du système de renvoi

a) Le refus de la Commission de reprendre les propositions préconisées dans le cadre de la consultation sur le Livre vert

L'exposé des motifs rappelle les raisons pour lesquelles la Commission a écarté les deux propositions formulées, l'une dans le Livre vert, l'autre au titre des réponses qu'elle a reçues, destinées à apporter une solution au problème des notifications multiples.

La première consistait à instituer une présomption de compétence communautaire, dans le cas des opérations notifiées dans au moins trois Etats membres, mécanisme que la Commission appelle « système obligatoire 3+ ».

Pour la Commission, deux séries d'arguments s'opposent à l'adoption de ce système. D'une part, l'obligation de notifier une opération dans au moins trois Etats membres ne constitue pas une indication suffisante de l'existence d'une dimension communautaire, du fait de la faiblesse des seuils dans certains Etats membres et pays candidats.

D'autre part, ce système n'offre aucune garantie au plan de la sécurité juridique, car des interprétations divergentes pourraient apparaître du fait de l'absence d'harmonisation des législations des Etats membres, en ce qui concerne : le système de contrôle - lequel peut être obligatoire ou facultatif -, la définition de l'opération de concentration et le niveau des seuils.

La Commission n'a pas non plus retenu la solution qui aurait consisté à transformer « le système 3+ » en option facultative. Les parties vérifieraient si l'opération est notifiable dans au moins trois Etats membres. Si tel est le cas, elles pourraient notifier l'opération aux autorités nationales, ou demander qu'elle soit notifiée à la Commission. Les Etats membres intéressés pourraient s'opposer à la décision des entreprises de notifier l'opération à la Commission et non aux autorités de concurrence nationales.

Elle y est opposée au motif que ce système ne permettrait pas de contrôler efficacement des opérations transfrontalières, puisque, par exemple, certaines opérations, qui ne sont notifiables que dans un ou deux Etats membres, échapperaient au système, alors qu'elles pourraient comporter des effets transfrontaliers.

Mais surtout, ce mécanisme pourrait favoriser le « forum shopping », c'est-à-dire comporter le risque d'inciter les parties à rechercher la compétence de l'autorité qui paraît la plus conforme à leurs intérêts. En outre, le droit des Etats membres intéressés de s'opposer à la notification ne permettrait pas de prévenir un tel risque et serait source d'insécurité juridique.

b) Une meilleure régulation des compétences de la Commission et de celles des Etats membres

Les mesures finalement retenues par la Commission consistent à prévoir, d'une part, un recours accru aux mécanismes de renvoi institués aux articles 9 et 22 du règlement et, d'autre part, l'application de ces renvois au stade de la pré-notification.

Pour la Commission, ces dispositions devraient être de nature à permettre une répartition - qu'elle qualifie d'« optimale » - des affaires entre elle-même et les Etats membres et à diminuer le nombre de notifications multiples.

¬ Le recours accru aux mécanismes de renvoi

· S'agissant de l'article 9, la Commission propose de supprimer dans son deuxième paragraphe (a) l'obligation impartie aux Etats membres de vérifier si l'opération menace de créer ou de renforcer une position dominante. Il s'agit de permettre les demandes de renvoi lorsque la concurrence est affectée de manière significative sur un marché distinct d'un Etat membre. La Commission estime que cette modification pourrait contribuer à accélérer l'examen des dossiers en dispensant les Etats membres de l'obligation de présenter des conclusions préliminaires détaillées pour l'appréciation de l'opération au regard du droit de la concurrence.

· En ce qui concerne, en second lieu, le renvoi prévu à l'article 22, c'est-à-dire le renvoi d'une affaire par un ou des Etats membres à la Commission, les modifications proposées renforcent l'application du principe du guichet unique aux concentrations ayant des effets transfrontaliers significatifs, ainsi que le rôle de la Commission.

Ainsi, il est prévu que, lorsque tous les Etats membres ou au moins trois d'entre eux compétents, en vertu de leur droit national, décident de renvoyer une affaire à la Commission, la concentration est réputée de dimension communautaire.

En outre, afin de simplifier les règles de procédure, la proposition fixe les délais dans lesquels les Etats membres peuvent faire des demandes de renvoi, ou s'y joindre.

De même, dans un souci d'efficacité, un mécanisme de « silence positif » - ou encore d'acceptation tacite - est institué, aux termes duquel les Etats sont présumés s'être joints à une demande de renvoi et la Commission avoir décidé d'être saisie d'un dossier.

¬ L'application des mécanismes de renvoi au stade de la pré-notification à la demande des parties notifiantes

Cette réforme demandée par les entreprises et les organisations professionnelles - telles que le MEDEF - est destinée à remédier à l'une des lacunes du système actuel, résultant du fait que les dispositions de renvoi ne peuvent être appliquées qu'après la notification d'une opération soit à la Commission, soit aux autorités de concurrence nationales.

En permettant aux parties notifiantes de faire une demande de renvoi au stade de la pré-notification, la proposition permet de réduire les risques d'incertitude et les retards dans le cas des opérations qui, atteignant les seuils de chiffres d'affaires, relèvent de la compétence des Etats membres ou encore dans le cas où, en application de l'article 22, les Etats membres pourraient renvoyer à la Commission les opérations qui, n'atteignant pas les seuils de chiffres d'affaires, risquent néanmoins d'avoir des effets transfrontaliers significatifs.

Malgré ces améliorations, le MEDEF, par exemple, estime que la sécurité juridique des entreprises, ni le jeu optimal du guichet unique, ne sont garantis de façon satisfaisante, du fait des possibilités de renvoi partiel maintenues au profit des Etats membres.

2) L'assouplissement des procédures

a) La présentation des notifications

La Commission préconise deux mesures qui ont le mérite de contribuer à accélérer les opérations de concentration.

La première prévoit l'abandon du délai d'une semaine dans lequel les opérations doivent être notifiées avant leur réalisation. Cette disposition ne peut qu'être approuvée, la pratique ayant montré que l'application stricte de ce délai n'était pas nécessaire. En effet, en toute hypothèse, l'opération est suspendue, tandis qu'il est de l'intérêt des entreprises d'obtenir l'autorisation de la Commission le plus rapidement possible.

En second lieu, la proposition de règlement prévoit de modifier le fait déterminant la notification. Jusqu'à présent, celui-ci est constitué par la notification d'une concentration, ce qui a pour effet d'obliger les parties à attendre la conclusion d'un accord contraignant, puisque la notification d'opérations à l'état de projet n'est pas autorisée, à la différence de ce que prévoit la législation américaine.

Désormais, les entreprises pourront procéder à la notification lorsqu'elles ont l'intention de bonne foi de conclure un accord de concentration.

b) L'allongement de la durée des phases de traitement des dossiers

Les modifications introduites sont synthétisées dans le tableau ci-après :

Phases
de la procédure

Législation actuelle
Règlement n° 4064/89

Proposition de règlement

Phase I :
Notification de l'opé-ration ; présentation des propositions d'enga-gement par les parties et décision de la Commission

Délai maximum :
six semaines

Délai maximum  :
35 jours ouvrables = 7 semaines

Phase II :
Examen approfondi par la Commission

Délai maximum :
4 mois (16 semaines)

Délai maximum :
90 jours ouvrables
= 18 semaines

Possibilités de pro-rogation :
1) Prorogation automatique en cas de présentations d'engagement + 15 jours ouvrables (= 3 semaines) :
105 jours ouvrables = 21 semaines

     

2) Prorogation facultative par la Commission et sur demande des parties : + 20 jours ouvrables (= 4 se-maines)

Les nouvelles dispositions appellent deux remarques :

- conformément à une proposition du Livre vert, c'est la notion de jours ouvrables qui est retenue, à savoir qu'une semaine correspond à cinq jours, sauf si elle comprend des jours fériés officiels de la Commission. Cette modification contribue à rendre plus transparent le calcul des délais, ce qui est loin d'être négligeable, puisque comme l'a montré l'affaire Schneider Legrand, la computation des délais peut être la source d'un litige ;

- en ce qui concerne la distinction entre prorogation automatique et prorogation facultative, elle repose sur le fait que, dans le premier cas, il s'agit d'affaires dans lesquelles des engagements ayant été proposés, la prorogation du délai s'avère nécessaire pour assurer une meilleure consultation des Etats membres. Le second cas a trait aux affaires que la Commission qualifie de complexes. C'est pourquoi elle se voit conférer la faculté - avec l'accord ou sur la demande des parties - de proroger le délai dans la limite de 20 jours.

A cet égard, il serait opportun qu'au cours des discussions, soit précisé le point de savoir si les délais de 15 et 20 jours sont cumulables ou si le second commence à courir dès que l'allongement est décidé.

B. Le maintien des méthodes d'analyse de la Commission

En ce domaine, la Commission s'est opposée à l'introduction de tout bouleversement, alors même que la révision de ses méthodes constituait l'un des principaux points du débat ouvert dans le cadre du Livre vert et à la suite des arrêts d'annulation rendus en 2002.

En effet, la Commission soutient que ses méthodes reposent sur des critères qu'elles jugent satisfaisants, et estime que les compléments importants qui y sont apportés - aux plans institutionnel et réglementaire - sont de nature à répondre aux critiques qui lui ont été adressées.

1) Des méthodes jugées satisfaisantes

a) La pertinence du critère de position dominante

Dans le Livre vert, la Commission avait ouvert le débat sur les avantages respectifs du critère de la « position dominante » et le critère de la « diminution substantielle de la concurrence », dit critère SLC. Le dernier critère est utilisé en particulier aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Irlande.

Il existe, en effet, des divergences formelles d'appréciation. Celles-ci résultent d'abord des critères retenus de part et d'autre : en Europe, c'est le critère de création ou de renforcement d'une position dominante qui est consacré par l'article 2, paragraphe 3 du règlement n° 4064/89. En revanche, l'article 7 du Clayton Act américain prohibe toute opération de concentration susceptible de réduire la concurrence (critère SLC) ou de contribuer à la création d'un monopole.

Or, pour certains, le critère de la position dominante ne permettrait pas d'assurer un contrôle dans certaines situations d'oligopole et notamment dans celles où les entreprises parties à la concentration seraient capables de relever les prix et donc d'exercer leur puissance de marché, sans détenir nécessairement la plus grosse part de marché. C'est pourquoi l'adoption du critère SLC pourrait s'avérer utile en vue d'englober ces cas.

En second lieu, il convient d'observer que le débat ouvert par la Commission n'est pas dépourvu de tout lien avec les critiques qui ont fait suite à l'affaire General Electric-Honeywell. En l'espèce, les autorités américaines et communautaires sont, en effet, parvenues à des résultats opposés, qui ont mis en lumière des désaccords fondamentaux de principe : une concentration doit-elle être interdite, dès lors qu'elle crée ou renforce une position dominante ou peut-on néanmoins l'autoriser lorsqu'elle apportera les bénéfices économiques dont, in fine, les consommateurs jouiront (économies d'échelle, synergies, taille critique au plan international) ?

Or, ces désaccords sont le fruit de la confrontation entre deux cultures du contrôle des concentrations.

Pour la Commission, les concurrents sont le principal moteur de la concurrence au travers du contrepoids qu'ils sont en mesure d'exercer et c'est en amont qu'il convient de préserver cet effet de contrepoids. En revanche, dans le système américain, la finalité poursuivie ne justifie pas une sévérité inflexible à l'égard des projets qui peuvent se révéler profitables aux consommateurs et sont conformes à la politique nationale. En cas de doute, des mesures a posteriori sont, par ailleurs, jugées préférables(11).

Pour autant, sans nier ces différences d'approche, d'autres commentateurs jugent néanmoins nécessaire d'en relativiser la portée. Ainsi, le critère européen de position dominante implique une analyse de la diminution substantielle de concurrence. En effet, selon l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, pour être incompatible avec le marché commun, une opération de concentration qui crée ou renforce une position dominante doit avoir « comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci ».

A l'inverse, l'analyse américaine recherche implicitement l'existence d'une position dominante à travers l'évaluation du pouvoir de marché. En effet, d'après les lignes directrices pour les concentrations horizontales (Horizontal Merger Guidelines) adoptées par les autorités américaines de la concurrence, le critère de la diminution substantielle de concurrence est la création ou le renforcement d'un pouvoir de marché.

La pratique a confirmé cette tendance au rapprochement entre les autorités de concurrence communautaires et américaines. C'est ainsi que depuis l'affaire Nestlé/Perrier(12), la Commission s'est reconnue le pouvoir de contrôler les opérations qui créeraient ou renforceraient une position dominante collective, de sorte que la divergence transatlantique sur ce point fut de courte durée. Les autorités américaines, quant à elles, attribuent une place de plus en plus importante au contrôle des concentrations pouvant aboutir à la création d'une position dominante simple.

Cet ensemble de considérations - partagées par la Commission - l'a conduite à conserver le critère actuel de la position dominante, sous réserve d'une précision insérée dans le deuxième paragraphe de l'article 2 de la proposition de règlement. L'objet de cette nouvelle disposition est de définir la notion de position dominante collective comme étant la situation dans laquelle « une ou plusieurs entreprises - en présence ou en l'absence de coordination - possèdent le pouvoir économique d'influencer, de manière appréciable et durable, les paramètres de la concurrence, en particulier les prix, la production, la qualité de la production, la distribution ou l'innovation, ou de restreindre sensiblement la concurrence ».

La Commission fait observer que cette précision apporte une clarification et « suit de près » les interprétations de la Cour de justice. Pour autant, comme on le verra, l'opportunité de maintenir cette disposition a été contestée au sein du Conseil et du Parlement européen, au motif qu'elle est peu pertinente.

b) La prise en compte des gains d'efficacité

Sur cet autre sujet de controverse, la Commission n'a pas non plus souhaité donner suite aux propositions - nombreuses - qui l'invitent à consacrer expressément la notion de gains d'efficacité et à modifier la législation actuelle dans ce sens. Dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement, la Commission justifie sa position par le fait que les termes mêmes de l'article 2, paragraphe premier, point b) lui permettent déjà de prendre en compte les gains d'efficacité, puisque cette disposition lui impartit d'apprécier les concentrations notamment au regard « de l'évolution du progrès technique et économique, pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence ».

Mais, comme les autorités françaises l'ont fait observer dans leur commentaire sur le projet de communication(13), on peut craindre que le maintien de l'exigence mentionnée in fine, selon laquelle la prise en compte de l'évolution du progrès technique « ne constitue pas un obstacle à la concurrence », vide à peu près de toute portée la prise en compte des gains d'efficacité, et ce, bien qu'elle soit expressément visée dans le considérant 24 de la proposition de règlement(14) ou encore dans le projet de communication, qui fait partie des compléments à la proposition de règlement.

2) Les compléments à la proposition de règlement

Ces compléments visent à montrer que la Commission s'efforce - un tant soit peu - de tirer les conséquences des arrêts d'annulation prononcés en 2002 et des critiques ou suggestions formulées à l'occasion de la consultation lancée dans le cadre du Livre vert.

a) La réorganisation des services de la Direction générale de la concurrence (DG-Concurrence)

Il est significatif que M. Mario Monti ait annoncé diverses mesures de restructuration de ses services, à la suite des différents arrêts d'annulation intervenus en 2002. Ces arrêts avaient, en effet, révélé une analyse économique le plus souvent insatisfaisante de la part de la Commission.

C'est pourquoi un poste d'économiste en chef a été créé auprès du Commissaire en charge de la concurrence et pourvu depuis le 1er septembre 2003. Dirigeant une équipe composée de dix agents, l'économiste en chef et son équipe participeront aux enquêtes sur les concentrations et dans d'autres domaines de la concurrence (aides d'Etat, ententes et abus de position dominante). A cet égard, les interlocuteurs américains du rapporteur lui ont toutefois fait remarquer que l'indépendance de l'économiste en chef pouvait rencontrer des limites tenant au fait que la DG-Concurrence a également des économistes qui rendent compte à leur chef d'unité et non à l'économiste en chef.

De surcroît, pour ces mêmes interlocuteurs, le système de recrutement par concours ne permettrait pas de trouver les personnes avec les compétences économiques pointues nécessaires, ce qui obligerait la Commission européenne à recruter des contractuels.

En second lieu, à partir du 1er mai 2004 - date d'entrée en vigueur du nouveau règlement - la Merger Task Force, direction spécifique chargée actuellement du traitement des affaires de concentration, sera dissoute. A partir de cette date, les concentrations seront, en effet, contrôlées par les différentes directions en fonction du secteur dans lequel elles interviennent. Une petite équipe chargée exclusivement des concentrations pourrait être maintenue, afin d'assurer la coordination du contrôle, indépendamment des secteurs concernés.

Le rapporteur ne saurait qu'approuver ces réformes qui contribuent, dans leur esprit, à aligner - fût-ce de façon encore très limitée - l'Europe sur les Etats-Unis. En effet, ces réformes s'efforcent de prendre en considération les deux idées-forces sur lesquelles repose le système américain. La première a trait au rôle central de l'analyse économique, évoqué dans les propos tenus par l'un des interlocuteurs américains du rapporteur : « Le contrôle antitrust est avant tout un exercice de nature économique ».

Quant à la deuxième idée, elle souligne la nécessité d'un travail collégial. En effet, au sein de la Division Antitrust du Département de la justice et du FTC (Federal Trade Commission) - qui sont les autorités de concurrence américaines - juristes et économistes participent aux enquêtes sans que les uns aient une prééminence sur les autres et vice versa, comme le rappelle l'encadré ci-dessous. Aussi la décision finale résulte-t-elle de la confrontation de leurs points de vue respectifs. On est donc loin de la domination exercée presque sans partage par la DG-Concurrence.

Les méthodes de travail des avocats et des économistes au sein des autorités de concurrence américaines.

1. Antitrust Division du Department of Justice (DOJ)

Une enquête donne lieu pour chaque équipe, celle des avocats et celle des économistes, à une recommandation. Les deux recommandations sont soumises via chaque hiérarchie au Chef de l'Antitrust Division (Assistant Attorney General (AAG) qui tranche. Bien qu'il y ait deux recommandations, les deux équipes travaillent ensemble et peuvent s'influencer. Ce mode opératoire n'est prévu dans aucun texte.

Les économistes (environ 55) sont regroupés dans trois sections : Competition Policy Section, Economic Litigation Section et Economic Regulatory Section. Ces trois sections constituent l'Economic Analysis Group (EAG). Les économistes ont leur propre hiérarchie, à laquelle ils rendent compte. Les avocats (environ 350) sont répartis dans plusieurs sections : Litigation I Section, Litigation II Section, Litigation III Section et autres. Les avocats ont leur propre hiérarchie. Par exemple, pour les cartels, ils rendent compte au Director of Criminal Enforcement et au Deputy compétent ; pour les concentrations, au Director of Civil Enforcement et au Deputy compétent.

2. Federal Trade Commission (FTC)

Pour toute enquête, plusieurs avocats (« staff attorneys ») ainsi qu'un économiste ou plus (« staff economist ») sont désignés. Chaque équipe rédige un mémorandum qui est remis à la Commission pour vote (collège de cinq commissaires). La Commission peut demander un seul mémorandum, mais la pratique montre qu'elle préfère décider sur la base de deux mémorandum. Ceci n'est prévu dans aucun texte.

Des négociations peuvent avoir lieu entre les équipes et l'une peut persuader l'autre d'adopter sa position.

Tous les économistes (70 environ) sont regroupés dans le Bureau of Economics. Une moitié des effectifs travaille sur les sujets de protection du consommateur, l'autre sur les sujets de concurrence. Il s'agit des deux missions de la FTC et le Congrès veut que la FTC alloue autant de ressources pour une mission que l'autre.

Les avocats (200 environ) se partagent également en théorie pour moitié entre protection du consommateur et concurrence. Les avocats spécialisés en concurrence travaillent au sein du Bureau of Competition et se répartissent entre les divisions suivantes : Anticompetitive Practices, Health Care, International Antitrust, Merger I, Merger II, Merger III, Premerger Notification.

b) La consultation sur le projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales et le code des bonnes pratiques

Ces deux documents, sur lesquels la Commission a engagé une consultation, sont d'importance. En effet, ils précisent les conditions dans lesquelles la Commission appliquera les dispositions du nouveau règlement.

Incontestablement, il s'agit là d'une bonne et nécessaire initiative, dont le principe a d'ailleurs été salué de façon unanime. Dans une matière où la jurisprudence lui a reconnu un large pouvoir d'appréciation, la Commission a tenté de répondre aux critiques selon lesquelles, faute d'une analyse économique rigoureuse, ses décisions ne sont pas de nature à garantir la sécurité juridique nécessaire.

A cet égard, la publication du projet de communication sur l'appréciation des concentrations horizontales comble opportunément une lacune, puisque, à la différence d'autres autorités de concurrence, américaines notamment, il n'existait pas, jusqu'à présent, de document rassemblant les lignes directrices, sur lesquelles s'appuie le contrôle exercé par la Commission dans le domaine des concentrations.

Le projet de communication précise - entre autres - les conditions dans lesquelles la Commission appliquera la notion de position dominante collective sur les marchés oligopolistiques.

De même, pour ce qui est de la question cruciale des gains d'efficacité, la Commission déclare être disposée à examiner attentivement toute allégation de gains d'efficacité.

Pour autant, elle n'admettra les allégations de gains d'efficacité que lorsqu'elle sera en mesure de conclure avec suffisamment de certitude qu'ils renforceront la volonté de l'entité issue de la concentration d'agir au bénéfice des consommateurs.

On verra que les modalités envisagées par la Commission ont été très fortement contestées, car elles témoignent aux yeux de nombreux acteurs - entreprises ou Etats membres - du souhait de la Commission de maintenir une conception restrictive.

Le code des bonnes pratiques sur le déroulement de la procédure du contrôle communautaire des concentrations suscite également des réactions nuancées. Ayant pour objet d'expliciter les principes régissant le cadre procédural, il devrait contribuer à faciliter la tâche des entreprises notifiantes. Le souci affiché par la Commission d'instaurer une transparence accrue paraît avoir été bien accueilli, de même que l'idée d'une mise en place de réunions d'étape au cours de la procédure avec les parties notifiantes ou encore l'organisation plus en amont de la procédure d'accès au dossier.

Mais, comme l'ont relevé les autorités françaises(15), le document de la Commission est toutefois silencieux ou imprécis sur des points importants. Il en est ainsi du rôle que les acteurs seront appelés à jouer dans le processus décisionnel, tels que l'équipe placée sous la supervision du chef économiste, les autres services de la Commission et les Etats membres.

*

* *

Comme on le voit, la réforme présentée par la Commission comporte certes des points positifs. Mais les imperfections qu'elle recèle semblent l'emporter sur ces derniers. C'est pourquoi il importe d'améliorer les propositions de la Commission.

DEUXIEME PARTIE :
LA NECESSITE D'AMELIORER LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

En l'état actuel de leur rédaction, les propositions de la Commission - qu'il s'agisse de la proposition de règlement proprement dite ou des documents non législatifs soumis à consultation, projet de lignes directrices et code des bonnes pratiques - sont loin de recueillir un large consensus.

Sur les deux questions essentielles qui, pour les autorités françaises, constituent les enjeux de la réforme présentée par la Commission - à savoir la régulation des compétences entre la Commission et les Etats membres et le test utilisé pour juger du risque d'atteinte à la concurrence - des critiques ont été formulées par le Comité économique et social et les commissions du Parlement européen. Ils reprochent, en effet, à la Commission d'être en retrait par rapport aux orientations proposées dans le Livre vert et doutent que les propositions qu'elle a finalement retenues puissent apporter une réelle clarification du cadre actuel.

Quant aux travaux du Conseil, bien qu'ils se soient accélérés sous la présidence italienne, ils n'en révèlent pas moins la persistance de désaccords sensibles sur le test de contrôle, entre la France et l'Allemagne pour l'essentiel.

Aux yeux du rapporteur, ces controverses montrent que la réforme préconisée par la Commission n'est pas encore parvenue à poser les bases du régime équilibré et dynamique du contrôle des concentrations, en faveur duquel il plaide.

C'est pourquoi, après avoir abordé ces controverses, le rapporteur formulera des propositions, qui seront reprises dans la proposition de résolution qu'il présentera en conclusion de ce rapport.

III. LES CONTROVERSES SUSCITEES PAR LES CHOIX DE LA COMMISSION

Ces controverses portent, pour l'essentiel, sur trois séries de points :

- l'économie des relations entre la Commission et les Etats membres ;

- les critères d'appréciation de la Commission ;

- les insuffisances du volet concernant les garanties procédurales.

A. L'économie des relations entre la Commission et les Etats membres

On constate ici la persistance de l'opposition, déjà visible lors de la consultation engagée sur le Livre vert, entre les partisans du renforcement des compétences communautaires et ceux qui, au contraire, estiment nécessaire de préserver le rôle des Etats membres au nom du principe de subsidiarité. Cette opposition touche ainsi à la configuration des mécanismes de renvoi ainsi qu'au rôle du comité consultatif.

1) Les interprétations opposées sur la configuration des mécanismes de renvoi

Ces interprétations concernent l'aptitude des mécanismes de renvoi proposés par la Commission à permettre une répartition optimale des compétences entre elle-même et les Etats membres, ainsi qu'à la portée réelle de la clarification apportée par le nouveau dispositif.

a) Aptitude ou inaptitude des renvois à favoriser une répartition optimale des compétences ?

Pour les uns - Comité économique et social, commissions du Parlement européen et entreprises notamment - les propositions de la Commission ne sont pas pleinement conformes à l'objectif
- souhaitable - du renforcement du guichet unique.

En revanche, pour les autres - c'est-à-dire les Etats membres - les appréciations sont plus nuancées.

¬ Le risque d'un affaiblissement de la logique du guichet unique

Un tel risque découlerait du double choix de la Commission, d'une part, d'abandonner le système de présomption de la compétence communautaire et, d'autre part, d'étendre la compétence des Etats membres.

· Les rapporteurs de la commission économique et monétaire et de la commission juridique du Parlement européen ont, d'emblée, critiqué le fait que la Commission n'ait pas repris la proposition qu'elle avait formulée dans le Livre vert, aux termes de laquelle, toute opération devant être notifiée à au moins trois autorités nationales - encore appelé « système 3+ » par la Commission - relèverait de sa compétence.

Ce « système 3+ » serait, en effet, de nature à éliminer l'insécurité juridique découlant du problème des notifications multiples.

En second lieu, un système « 3+facultatif » permettrait aux entreprises de décider, face aux incertitudes liées à la diversité des réglementations nationales, s'il convient de notifier le cas à la Commission ou à plusieurs autorités nationales ; de plus, d'éventuelles distorsions pourraient être corrigées grâce au système de renvoi, en recourant notamment à l'article 9.

C'est pourquoi les deux commissions, conformément aux propositions de leur rapporteur, ont décidé de reprendre le « système 3+ »(16) et de renforcer la compétence communautaire. Ainsi, elles ont autorisé les entreprises concernées à demander le renvoi à la Commission avant notification, si la concentration produit des effets sur la concurrence sur un marché distinct et non plus seulement lorsqu'elle a des effets néfastes sur cette dernière.

De même, en l'absence d'une demande des parties, elles ont décidé de limiter le renvoi par la Commission de tout ou partie d'une affaire aux autorités compétentes de l'Etat membre demandeur au cas où la Commission considère qu'il existe un risque que la concentration crée ou renforce une position dominante susceptible d'entraver la concurrence sur le marché d'un Etat membre présentant les caractéristiques d'un marché distinct.

· Le principe du guichet unique serait également affaibli du fait de l'élargissement de la compétence des Etats membres. Ainsi, l'article 4, paragraphe 4, alinéa 2, les autorise à s'opposer à une demande de renvoi à la Commission par une entreprise au stade de la pré-notification. Sur ce point, l'avis du Comité économique et social estime que le droit de veto devrait être retiré aux Etats membres et que l'opération ne devrait, en conséquence, être examinée qu'au niveau communautaire.

De même, va également dans le sens du renforcement de la compétence des Etats membres la substitution du critère de l'existence d'un marché distinct à celui de la création ou du renforcement d'une position dominante en vue de permettre le renvoi total ou partiel d'un cas par la Commission à un Etat membre.

Pour les organisations professionnelles - le MEDEF et l'UNICE(17) notamment - une telle modification risque d'accroître l'insécurité juridique. Ces organisations estiment que le renvoi à un Etat membre entraîne l'application du droit de cet Etat tant sur le plan procédural que sur celui du fond - ce qui n'est pas souhaitable - et un renvoi partiel, l'application d'un droit national et du droit communautaire, ce qui l'est encore moins.

Ces organisations jugent, dès lors, nécessaire de supprimer le renvoi partiel ou de n'autoriser ce renvoi à un Etat membre qu'avec l'accord des parties notifiantes ou, à défaut, de limiter les cas de renvoi partiels en excluant le renvoi à un Etat membre pour les cas non susceptibles d'avoir des effets sur la concurrence, tels que ceux soumis à la procédure simplifiée, et d'harmoniser rapidement les règles de procédure et les critères nationaux de contrôle. Le Parlement européen a adopté un amendement qui tend à répondre à ces souhaits, puisqu'il propose d'interdire un renvoi par la Commission aux Etats membres, lorsque l'opération de concentration est soumise à la procédure simplifiée.

Ces arguments du Parlement européen et des organisations professionnelles en faveur d'une limitation des renvois rejoignent les critiques de la jurisprudence récente, à laquelle les rapporteurs du Parlement européen ne manquent d'ailleurs pas de se référer. En effet, dans l'affaire Seb-Moulinex(18), l'une des parties requérantes avait contesté le renvoi aux autorités françaises de la concurrence au motif que ce renvoi aurait pour effet de fragmenter l'examen de la concentration entre Seb et Moulinex, mettant ainsi en péril une appréciation cohérente de celle-ci.

Le Tribunal de Première instance critique certes le risque réel de fragmentation qui peut en résulter. Car, d'une part, il considère que : « Une telle fragmentation n'apparaît certes pas souhaitable eu égard au principe du « guichet unique » sur lequel est fondé le règlement n° 4064/89, en vertu duquel la Commission dispose d'une compétence exclusive pour examiner les concentrations de dimension communautaire. Il ne saurait en effet être nié que le renvoi systématique de concentrations de dimension communautaire qui concernent des produits relevant de marchés nationaux distincts serait susceptible de vider ce principe de sa substance (point 350) ».

D'autre part, il affirme que « Une trop grande utilisation de l'article 9 risquerait de réduire la sécurité juridique offerte aux entreprises et ne pourrait se concevoir sans une harmonisation des principales caractéristiques des systèmes nationaux de contrôle des concentrations ».

Cependant, tout en déclarant que les renvois de concentrations de dimension communautaire aux autorités nationales doivent être limités à des cas exceptionnels, il juge licite le renvoi effectué par la Commission en l'espèce : « La Commission a pu raisonnablement considérer que les autorités françaises de la concurrence adopteraient dans leur décision rendue sur renvoi des mesures permettant de préserver ou rétablir une concurrence effective sur les marchés distincts ».

¬ La position des Etats membres

Parce qu'ils sont attachés à un système qui concilie le respect du principe du guichet et le respect du principe de subsidiarité, il était logique que les Etats membres ne partagent pas les positions défendues par le Parlement européen.

Pour ce qui est de la France, par exemple, le système des renvois - total ou partiel - aux Etats membres doit être conservé. En effet, il arrive qu'un Etat soit mieux outillé que la Commission pour analyser les problèmes concurrentiels posés par une concentration, lorsque son centre de gravité se situe sur un marché national. Il conviendra donc d'attribuer l'examen des affaires de manière optimale, au cas par cas, et sans systématisme rigide. Par conséquent, la France ne soutient pas l'idée de renvois automatiques à la Commission. Elle estime également que des renvois partiels peuvent s'avérer utiles, en particulier lorsque des marchés locaux sont concernés.

En outre, le coût des notifications multiples ne doit pas être surestimé. La majorité des entreprises consultées par la France estime notamment que celles-ci ne sont pas nécessairement plus coûteuses et complexes qu'une seule notification auprès de la Commission.

D'après les renseignements qui ont été communiqués au rapporteur, ces questions, après avoir été débattues au sein du Conseil, font désormais l'objet d'un quasi-consensus.

Lors des derniers travaux du groupe de travail du Conseil, les dispositions relatives aux renvois qui soulèveraient encore des difficultés concernent le mécanisme du silence positif auquel seule l'Espagne désormais demeure opposée.

De son côté, l'Allemagne a souhaité limiter les cas de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 5(19), aux affaires dans lesquelles le ou les marchés sont clairement de dimension transnationale.

b) La portée réelle de la clarification apportée par la proposition de règlement

Les positions adoptées sur ce point sont le corollaire de celles qui l'ont été sur les mécanismes de renvoi.

En effet, à la différence du Conseil qui, comme on l'a vu, s'oriente vers un quasi-consensus, le Parlement européen et le Comité économique et social ont, en revanche, émis des réserves quant à la clarification de la régulation des compétences. C'est pourquoi les commissions du Parlement européen ont jugé nécessaire d'adopter plusieurs amendements de précision.

Par exemple, afin de garantir une application uniforme du droit de la concurrence, elles ont décidé que, lorsqu'en application de l'article 9, la Commission renvoie une affaire à un Etat membre en vue de l'application de son droit national de la concurrence, cet Etat ne peut prendre de décisions qui soient manifestement contraires aux dispositions du Règlement. Elles ont ainsi souhaité compléter les dispositions de l'article 21, paragraphe 3, aux termes desquelles il est interdit aux Etats membres d'appliquer leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire.

2) Le rôle du comité consultatif

Cette question a davantage été débattue au sein du Conseil que par les commissions du Parlement européen. Il apparaît que les propositions formulées par les Etats membres ont visé à tirer toutes les conséquences des dispositions contenues à l'article 19, paragraphe 2, selon lesquelles « La Commission mène les procédures visées au présent règlement en liaison étroite et constante avec les autorités compétentes des Etats membres qui sont habilitées à formuler toutes observations sur ces procédures. »

C'est pourquoi, dans ses observations sur le code des bonnes pratiques, les autorités françaises ont souhaité que soient apportées plusieurs précisions. S'agissant de la publication au Journal Officiel de l'avis du comité consultatif - prévue au paragraphe 7 de l'article 19 de la proposition - les autorités françaises jugent utile que soit précisée, à l'intention des parties, la façon dont la Commission tient compte de cet avis.

Pour ce qui est du rôle du ou des Etats rapporteurs, elles suggèrent que ces représentants d'une ou de plusieurs autorités nationales - chargés de présenter l'opération et le résultat de l'instruction devant le Comité - puissent, dès l'ouverture de la phase d'enquête approfondie, assister aux réunions d'étape. En outre, l'accès à l'ensemble du dossier, déjà ouvert à tous les Etats membres, devrait leur être facilité sans que toutefois leur soit reconnu un pouvoir d'instruction autonome.

La France a toujours défendu les mêmes positions au sein du groupe de travail du Conseil, en faisant valoir que les propositions qu'elle a avancées dans ses observations sur le code de bonnes pratiques, devraient être précisées non plus seulement dans ce document mais également dans le règlement. Cette suggestion a été soutenue par l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne, l'Allemagne s'étant toutefois demandée s'il ne suffisait pas de l'inscrire dans un règlement intérieur du Comité.

La Commission s'est opposée à la proposition française, considérant que le rôle des Etats rapporteurs relevait de procédures internes et que l'essentiel était l'affirmation du principe de liaison constante entre la Commission et les Etats membres visé au paragraphe 2 de l'article 19.

On peut toutefois se demander quelle peut être la portée de ce principe, si la Commission s'oppose aux propositions susceptibles un tant soit peu de rendre cette liaison étroite, comme l'indique d'ailleurs l'article 19, paragraphe 2. C'est ainsi qu'elle a rejeté une proposition allemande, qui tendait à permettre la consultation du comité sur les décisions provisoires prises en application de l'article 18, paragraphe 2, en raison du caractère spécifique de ce type de décisions, qui concernent les parties auditionnées seulement ex post.

En dépit de cette attitude de la Commission, les Etats membres n'ont pas renoncé à formuler des observations, même si en l'état actuel de la discussion au sein du groupe de travail du Conseil, elles ne figurent qu'en notes de bas de page(20). Par exemple, l'Allemagne, l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont souhaité que les Etats membres reçoivent les documents et le projet de décision au moins dans un délai de dix jours précédant la réunion du Comité. De son côté, l'Espagne a suggéré que dans ces documents figurent les résultats des tests des marchés.

B. Les critères d'appréciation de la Commission

Ce deuxième thème de controverse a trait, d'une part, à la bataille des tests et, d'autre part, à la question de l'opportunité de prendre en compte les gains d'efficacité.

1) La bataille des tests

Cette bataille revêt deux aspects :

- la confrontation entre le test de la position dominante et le double test, c'est-à-dire le recours conjoint à la notion de position dominante et à celle d'atteinte à la concurrence ;

- la crainte qu'un glissement subreptice vers l'adoption du test SLC ne s'instaure.

a) La confrontation entre le test de la position dominante et le double test

Cette confrontation résulte de la question de savoir par quelles voies la réglementation actuelle peut être modifiée en vue de tirer les conséquences de l'arrêt Airtours du 6 juin 2002.

Dans cette affaire, était en cause la décision adoptée par la Commission le 22 septembre 1999, qui interdisait la prise de contrôle par Airtours de son concurrent First Choice, l'une et l'autre entreprises étant des voyagistes proposant des vacances à forfait en Grande-Bretagne. La décision concluait que si le projet se réalisait, la concentration créerait une position dominante collective entravant de façon significative la concurrence sur le marché concerné.

La Commission a, en effet, appliqué dans cette affaire, le raisonnement qu'elle avait adopté dans la décision Gencor(21) - que le Tribunal de Première instance a confirmé - selon lequel un risque de collusion tacite dans une situation oligopolistique suffisait à justifier l'interdiction de la concentration. Ainsi il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve d'une intention de collusion active pour conclure à l'existence d'une position dominante collective. Il suffit de démontrer que l'opération de concentration rendrait rationnel un comportement parallèle anticoncurrentiel entre les oligopolistes. La position dominante collective serait donc déduite de la nouvelle structure du marché qui peut constituer, en elle-même, une incitation à la collusion tacite.

Or, dans l'affaire Airtours, la Commission a appliqué ce raisonnement, alors que le marché semblait beaucoup moins propice à d'éventuels comportements collusifs, même tacites.

En effet, il s'agissait d'une opération de concentration sur le marché des voyages à forfaits vers des destinations proches. Celui-ci se caractérisait par une grande hétérogénéité des produits, par un faible degré de transparence et par une forte concurrence sur les prix. En outre, l'oligopole était moins restreint que lors des cas précédents de position dominante collective puisque trois acteurs seraient demeurés sur le marché après la concentration (au lieu de deux dans les autres cas). Malgré cela, la Commission a considéré que la nouvelle structure du marché constituait pour les membres de l'oligopole une incitation à limiter leurs capacités.

Le Tribunal de Première instance a censuré cette démarche de la Commission, au motif que cette dernière n'avait pas démontré que la situation d'interdépendance résultant de la concentration conduirait à une domination collective.

Or, la diversité des interprétations formulées quant aux conséquences pouvant être tirées de cet arrêt est telle que le débat est devenu de plus en plus obscur.

Pour certains commentateurs, la position dominante collective se limite à la collusion tacite et aux liens structurels entre les entreprises et ne couvrirait pas les cas d'oligopoles non collusifs.

Pour la Commission, en revanche, les lignes directrices seraient conçues de manière à montrer que les différents vides juridiques supposés pourraient être comblés par les notions de position dominante, voire oligopolistique(22).

Quoi qu'il en soit, c'est bien cette approche que la Commission a adoptée dans le cadre de la proposition de règlement, à l'article 2, paragraphe 2. Cette disposition définit ainsi la position dominante « Une ou plusieurs entreprises sont réputées détenir une position dominante si, en présence ou en l'absence de coordination, elles possèdent le pouvoir économique d'influencer, de manière appréciable et durable, en particulier les prix, la production, la fiscalité de la production, la distribution ou l'innovation ou de restreindre sensiblement la concurrence ».

C'est précisément l'aptitude de cette disposition à régler le cas des oligopoles non collusifs qui est au cœur du débat au sein du Conseil. Car, d'un côté, l'Allemagne, dont la législation est fondée sur le test de la position dominante, soutient le texte de la Commission. En vue de concilier sécurité juridique et élargissement de la notion de position dominante aux oligopoles non collusifs, tout en conservant l'abondante jurisprudence communautaire existante, l'Allemagne a proposé de reprendre le texte de l'article 2, paragraphe 2, de la proposition de règlement, et d'y insérer les termes mêmes de la jurisprudence de la Cour de justice « avec ou sans coordination ».

En revanche, la France et plusieurs autres Etats membres (Irlande, Royaume-Uni, Suède, Espagne et l'Autriche) ont émis des réserves sur le fait que la proposition allemande pût effectivement couvrir les oligopoles non collusifs. C'est pourquoi la France et l'Espagne ont présenté un texte commun en insistant sur le fait qu'il s'agissait d'une proposition de compromis visant à concilier trois contraintes : la nécessité que le test couvre les oligopoles non collusifs (ce qui est douteux dans le cadre du test suggéré par la proposition allemande), la nécessité de conserver le test de dominance qui couvre la grande majorité des cas et la volonté de ne pas redéfinir la notion de position dominante sur laquelle est fondée la jurisprudence communautaire.

Ce texte est donc inspiré du souci d'instaurer un système qu'on appelle le double test. Reposant à la fois sur la notion de position dominante et celle d'atteinte à la concurrence, cette démarche est consacrée par la législation française à l'article L 430-6 du code du commerce, aux termes duquel les autorités de concurrence doivent évaluer « si la concentration est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par la création ou le renforcement d'une position dominante ».

Quoi qu'il en soit, la proposition franco-espagnole a été soutenue par plusieurs Etats membres, la Finlande, l'Autriche et la Suède. Elle s'est, en revanche, heurtée à l'opposition de l'Allemagne, qui a fait part de ses « énormes réserves », mais également à celle - notamment - des Pays-Bas. Ces deux Etats ont manifesté leur désaccord quant au postulat de la proposition franco-espagnole, selon lequel une création ou un renforcement de la position dominante constitue en soi une atteinte à la concurrence.

Pour ce qui est du Parlement européen, la commission économique et monétaire et la commission juridique ont adopté un amendement de suppression de l'article 2, paragraphe 2, conformément à la proposition de leur rapporteur. En des termes identiques, ils ont estimé que cette disposition n'avait pas pour effet de clarifier la notion de position dominante et allait à l'encontre de l'objectif du renforcement de la sécurité juridique affiché par la Commission. Ils ont, en effet, fait valoir que toute fusion entraînant un certain avantage concurrentiel entrerait dans le champ de la nouvelle définition. De surcroît, une modification de la définition manifestement inspirée - selon eux - du souhait de se rapprocher du critère SLC entraînerait la confusion et favoriserait l'insécurité juridique.

b) Le risque d'un glissement subreptice vers le test SLC (réduction sensible de la concurrence)

Cette crainte résulte de la contradiction constatée par de nombreux commentateurs entre la proposition de règlement et le projet de communication sur l'appréciation des concentrations horizontales. C'est ainsi que France Telecom voit l'illustration de ce risque de glissement dans la substitution de la nouvelle classification tripartite - position de prééminence - oligopole collusoire, oligopole non collusoire - à la distinction traditionnelle entre la position dominante simple et la position dominante collective.

Or, France Telecom juge un tel découpage purement artificiel au plan économique, mais surtout conteste que la « Commission ait voulu par ce biais combler un vide juridique supposé du test européen de position dominante. » France Telecom considère, en effet, qu'un tel objectif aurait pu être atteint par une modification explicite de l'article 2 du règlement 4064/89, ce qui aurait évité une confusion dommageable pour les entreprises.

Quant aux autorités françaises, elles s'étonnent également que le projet de communication de la Commission tende à élargir la notion de dominance pour la rapprocher du test SLC, alors que la question du test applicable demeure débattue dans le cadre de la révision du règlement.

Ce risque d'un glissement vers le test SLC est d'autant plus contesté qu'il est reproché à la Commission de ne pas aller au bout de cette logique en prévoyant clairement des moyens de défense appropriés et efficaces reconnus par le système américain aux parties, parmi lesquels figure la prise en compte des gains d'efficacité.

2) La question de la prise en compte des gains d'efficacité

La frilosité de la Commission en la matière, mais aussi les modalités qu'elle préconise sont largement critiquées par les entreprises essentiellement.

a) La frilosité de la Commission

Cette critique de la frilosité de la Commission a été surtout formulée à l'extérieur du Conseil par les milieux économiques.

En effet, d'après les renseignements qui ont été communiqués au rapporteur, la France a été peu soutenue dans sa critique de l'article 2, paragraphe premier, alinéa (b), dont la rédaction actuelle peut donner l'impression que des gains d'efficacité sont susceptibles, en eux-mêmes, de constituer une atteinte à la concurrence, puisque, in fine, cette disposition prévoit que la Commission ne tient compte de l'évolution du progrès technique et économique que pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.

Certes, plusieurs Etats (Irlande, Royaume-Uni, Finlande) ont manifesté leur intérêt pour les propositions de clarification françaises, tandis que d'autres Etats (Espagne, Danemark, Pays-Bas, Belgique et Suède) ont souhaité approfondir leurs réflexions sur ce thème. En revanche, l'Allemagne, le Portugal et l'Autriche se sont montrés hostiles à l'introduction dans le règlement de la notion de gains d'efficacité. De son côté, la Commission a indiqué également ne pas souhaiter de modifications de l'article 2, paragraphe premier, alinéa (b). Dans ce contexte, la Présidence italienne a indiqué à la délégation française que, compte tenu de l'absence d'unanimité sur cette proposition il paraissait préférable d'y renoncer.

A la différence du Conseil, et même du Parlement européen, le Comité économique et social a pris la mesure de l'importance des gains d'efficacité. D'une part, il a adopté un amendement tendant à mentionner l'évolution de l'emploi dans le secteur économique concerné, dans les critères pris en compte. D'autre part, il a souhaité que le contrôle des opérations de concentration tienne compte de la dimension mondiale de la concurrence.

Cette dernière position est identique à celle que défend le MEDEF. Il rappelle, en effet, avoir toujours plaidé pour que la Commission examine si les effets positifs de la concentration sur l'économie ne devaient pas permettre d'autoriser cette opération, alors même qu'elle conduirait à créer ou renforcer une position dominante. Le MEDEF fait valoir ainsi que ce n'est pas la constitution de la position dominante en elle-même qui peut permettre l'interdiction de la concentration, mais le fait que celle-ci entrave de manière significative la concurrence effective.

Dans cette analyse, devraient être intégrées la dimension mondiale de la concurrence et une approche dynamique des marchés.

Enfin, redoutant que l'appréciation actuelle des gains d'efficacité par la Commission reste inchangée, faute de modification de l'article 2, France Telecom émet les mêmes réserves sur la prise en compte de la théorie de l'entreprise défaillante, pourtant évoquée au point VII du projet de communication. Cette théorie permet à certaines conditions d'autoriser une opération de concentration qui porte atteinte à la concurrence, dès lors que la société cible se trouve en cessation de paiements et est inévitablement amenée à disparaître du marché.

Or, France Telecom craint que la reconnaissance de cette théorie - d'ailleurs consacrée par la jurisprudence, et dont la Commission a même assoupli les conditions d'application - ne soit pas suivie d'effets, puisque, là encore, il n'en est fait état ni dans les considérants ni dans le dispositif de la proposition de règlement.

b) Les modalités contestées de la prise en compte des gains d'efficacité

Deux séries de reproches sont adressées à la Commission.

- D'une part, les gains d'efficacité ne font l'objet à aucun moment d'une réelle définition. Le projet de communication ne précise pas non plus à quel niveau de son contrôle, dans le cadre des procédures de notification, la Commission envisage de prendre en compte les gains d'efficacité.

En effet, le projet de communication ne définit pas clairement si elle entend prendre en compte ces gains :

· au niveau de l'analyse concurrentielle initiale ;

· en tant qu'élément de nature positive à intégrer dans l'évaluation finale du bilan concurrentiel ;

· comme une mesure de compensation à apprécier a posteriori si le bilan concurrentiel s'avère négatif.

De manière générale, l'analyse proposée par la Commission est dépourvue d'exemples pratiques sur la façon dont la Commission examinera effectivement les gains d'efficacité qui lui seront présentés.

Il en va tout autrement des lignes directrices (Horizontal Merger Guidelines) appliquées par les autorités de la concurrence américaines - Département de la Justice et FTC. La section 4 de ces lignes directrices fournit des exemples visant à illustrer la notion de gains d'efficacité et indique les modalités selon lesquelles ils sont examinés par les autorités de la concurrence américaines.

- En second lieu, les entreprises contestent que la charge de la preuve des gains d'efficacité incombe aux parties, alors que ce n'est plus le cas aux Etats-Unis depuis 1992. Elles craignent que l'obligation qui leur est ainsi impartie ne soit en contradiction avec l'interprétation du Tribunal de Première instance dans l'arrêt Airtours, selon laquelle « ... lorsque la Commission estime qu'une opération doit être interdite parce qu'elle va créer une position dominante collective, il lui incombe de fournir des preuves solides. Ces preuves doivent concerner, notamment, les éléments appelés à jouer un rôle important dans l'évaluation de l'éventuelle création d'une position dominante collective, comme l'absence d'une concurrence effective entre les opérateurs prétendument membres de l'oligopole dominant et la faiblesse de la pression concurrentielle pouvant éventuellement être exercée par les autres opérateurs ».

Pour autant, sur ce point, Mme Laurence Idot, professeure à l'Université de Paris I, fait observer que l'orientation préconisée par le projet de communication en matière de répartition de la charge de la preuve « semble effectivement logique. Bornons-nous à rappeler que c'était déjà la position française il y a plus de vingt ans »(23).

C. Les lacunes affectant le volet sur les garanties procédurales

Ces insuffisances apparaissent tant dans la proposition de règlement, que dans le projet de communication et le code des bonnes pratiques.

1) La proposition de règlement

Deux séries de dispositions ont été contestées par les commissions du Parlement européen :

- Il s'agit d'abord de l'alignement des pouvoirs d'enquête de la Commission sur ceux, récemment renforcés prévus par le règlement (CE) 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues en matière de contrôle des ententes et des abus de position dominante. Le rapporteur de la commission économique et monétaire et celui de la commission juridique ont, en effet, fait valoir que la finalité des deux types de contrôle étant fondamentalement différente, les mesures préconisées par la Commission ne respectaient pas le principe de proportionnalité, d'autant que la proposition lui confèrera, par ailleurs, la possibilité d'imposer des amendes très sévères. En particulier, les rapporteurs jugent exorbitant le pouvoir qu'aurait la Commission de contraindre tout membre du personnel de l'entreprise à faire des déclarations au moment des inspections.

C'est pourquoi, les deux commissions ont adopté des amendements, dont l'objet est de contraindre la Commission au respect des droits des intéressés, en particulier le droit au silence de l'avocat de l'entreprise, mais aussi celui d'autres salariés que la Commission peut convier à une audition.

- En second lieu, le rapporteur de la commission juridique a appelé l'attention sur l'absence de contrôle interne et externe du processus décisionnel, puisque l'autorité d'examen et l'autorité de décision ne sont pas distinctes, ce qui, à ses yeux, est difficilement compatible avec l'exigence d'indépendance et de sécurité juridique.

Il a également estimé que la légitimité du processus décisionnel pourrait également être renforcée par la création, auprès du Tribunal de Première instance, d'une chambre spécialisée dans les affaires de concurrence.

Allant dans le même sens que le Parlement européen, les avocats rencontrés par le rapporteur ont tenu à appeler son attention sur le fait que l'adoption éventuelle du double test proposé par les autorités françaises et espagnoles accroîtra les compétences de la Commission, puisque cette dernière contrôlera des situations dont elle ne connaissait pas jusqu'à présent. Or, une telle extension interviendra dans un contexte qui demeure, faute d'avoir été au préalable réformé, marqué par le cumul des fonctions par la Commission, dont il est clair qu'il n'est pas tout à fait conforme, aux yeux des avocats, aux exigences du droit au procès équitable consacré à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

2) Les imprécisions du projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales et du code des bonnes pratiques

a) Le projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales

Dans ses observations, l'AFEC (Association française d'étude de la concurrence) a formulé des remarques fort pertinentes aux yeux du rapporteur.

Elle a tout d'abord constaté que la Commission n'avait pas envisagé la position de l'entreprise tierce à la concentration mais « particulièrement intéressée » par celle-ci en ce que, au-delà de sa qualité de concurrente des parties notifiantes, cette entreprise tierce serait regardée comme participant à l'oligopole et coordonnant son comportement avec celui de l'entité issue de la concentration.

Afin de permettre à celle-ci d'intervenir et de faire valoir ses observations à la procédure, l'AFEC suggère à la Commission de signifier en temps utile à cette entreprise tierce, au plus tard lors de l'envoi de la communication de griefs dans le cadre de la phase II, que, pour la Commission, elle opère sur un marché qui est ou risque d'être qualifié d'oligopolistique. Cela est d'autant plus important que cette entreprise tierce est également susceptible d'être affectée, directement ou indirectement, par des engagements comportementaux que pourraient prendre les parties notifiantes.

D'autre part, l'AFEC fait observer que la Commission ne traite pas avec une précision suffisante la question des éléments de preuve tant quantitatifs que qualitatifs qui devront être apportés :

- par les entreprises notifiantes pour établir que la concentration ne crée ni ne renforce une position dominante collective ;

- par la Commission pour contredire l'argumentation des entreprises notifiantes.

b) Le code des bonnes pratiques

Sur plusieurs points sensibles, le Gouvernement a émis des remarques utiles.

Constatant que la Commission n'avait pas établi une distinction claire entre la phase de pré-notification et la phase de notification, il a craint que, dans ce contexte, la Commission ne puisse également infliger des amendes au stade de la pré-notification et a, en conséquence, demandé à la Commission de lever toute ambiguïté sur ce point.

S'agissant de l'accès au dossier, il a jugé pertinent de compléter les propositions de la Commission par une référence explicite au fait que l'ensemble du dossier sera rendu accessible qu'il soit à charge ou à décharge, sous réserve des informations couvertes par le secret des affaires. Une telle précision est d'autant plus opportune que, comme on l'a vu, dans l'affaire Tetra, celle-ci s'était précisément plainte que le dossier fût incomplet.

De même, le Gouvernement a également souhaité que soit mentionnée explicitement l'ouverture à la consultation des résultats des enquêtes sur les propositions d'engagement soumises par les parties.

Il a également insisté sur la nécessité de bien préciser le rôle des différents acteurs dans le processus décisionnel, exigence qu'il n'a pas manqué de défendre dans les réunions au sein du Conseil.

Enfin, comme les entreprises, il a appelé l'attention sur la nécessité de renforcer le rôle du conseiller-auditeur, tout au long de la procédure. L'encadré ci-dessous rappelle ses fonctions.

Institués en 1982, les conseillers-auditeurs étaient, à l'origine, chargés d'organiser et de conduire les auditions dans le cadre de la procédure de contrôle des ententes et des abus de position dominante, puis plus tard du contrôle des concentrations. A ce titre, il leur incombait de veiller à ce que les droits de la défense des parties soient respectés.

En 1994, une réforme destinée à renforcer les droits des parties a prévu qu'ils devraient - notamment - s'assurer que les parties puissent accéder correctement aux dossiers de la Commission.

En 2001, leur statut a été modifié : en vue d'accroître leur indépendance, ils sont désormais rattachés directement au commissaire et non plus au directeur général de la concurrence.

En outre, non seulement toutes les décisions concernant leur traitement, ou leur nomination, sont publiées au Journal Officiel des Communautés européennes. Mais il est précisé que, dorénavant, la fonction devra être exercée par des personnes n'appartenant pas aux services de la Commission et justifiant d'une qualification professionnelle.

En second lieu, cette réforme a précisé le rôle du conseiller auditeur dans la procédure.

Elle a prévu que le rapport établi par le conseiller auditeur en vue du projet de décision sera désormais communiqué aux Etats membres. De surcroît, il sera systématiquement joint au projet de décision soumis par la Commission au Collège des commissaires. Enfin, il sera également divulgué aux parties et publié conjointement avec la décision finale.

IV. POUR UN REGIME EQUILIBRE ET DYNAMIQUE DU CONTROLE DES CONCENTRATIONS

Ce régime doit poursuivre un double objectif :

- concilier différentes exigences : nécessité d'un cadre communautaire et respect du principe de subsidiarité, d'une part, et, d'autre part, efficacité du contrôle et besoin de transparence juridique ;

- concevoir le contrôle des concentrations comme un instrument de la bonne gouvernance économique.

A. Le contrôle des concentrations doit veiller à concilier différentes exigences

1) Nécessité d'un cadre communautaire et respect du principe de subsidiarité

a) Permettre le jeu du système des renvois

Si, comme le rapporteur l'a rappelé, le dispositif proposé par la Commission fait l'objet d'un quasi-consensus au sein du Conseil, c'est très vraisemblablement parce que les Etats membres estiment, conformément aux termes mêmes du dixième considérant du règlement n° 1310/97 - ayant modifié le règlement n° 4064/89 - que « [les règles régissant les renvois] protègent de façon idoine les intérêts des Etats membres, quant à la concurrence et prennent en compte le besoin de sécurité juridique et le principe du guichet unique ».

Comme le Gouvernement, le rapporteur n'estime, dès lors, pas souhaitable d'instaurer un dispositif qui, selon les propositions du Parlement européen, aurait pour effet de limiter les possibilités de renvoi aux Etats membres.

b) Renforcer les droits des Etats membres dans la procédure de contrôle

Il est souhaitable que la coopération entre les Etats membres et la Commission ne se limite pas aux renvois. C'est pourquoi le rapporteur juge indispensable de rendre le rôle du Comité consultatif plus effectif.

Certes, le fait que la proposition de règlement prévoie la publication de l'avis du Comité consultatif au Journal officiel des Communautés européennes(24) va dans le bon sens. Mais, comme le montrent d'ailleurs les débats en cours au sein du Conseil, il est nécessaire d'aller au-delà, les Etats membres marquant leur réel souci d'être associés étroitement à la procédure de contrôle.

C'est pourquoi il serait opportun de prévoir, d'une part, que les avis du Comité rendent compte des débats, en faisant, par exemple, état des positions divergentes, et, d'autre part, que la Commission expose aux Etats membres la façon dont elle a tenu compte des avis du Comité.

En second lieu, il serait souhaitable que le futur règlement - et non plus seulement le code des bonnes pratiques - contienne des dispositions précisant le statut et le rôle du ou des Etats rapporteurs. De telles dispositions devraient prévoir qu'ils puissent, dès le début de l'ouverture d'une enquête approfondie, assister aux réunions avec les parties et rendre compte au commissaire de leurs conclusions.

2) Efficacité du contrôle et besoin de transparence juridique

a) La réelle prise en compte du principe du contradictoire

A l'évidence, le contrôle exercé par la Commission sera d'autant moins contesté et contestable que le principe du contradictoire aura été respecté par elle tout au long de la procédure. Car, il ne suffit pas que l'article 18, paragraphe 3, de la proposition de règlement affirme que « les droits de la défense des intéressés sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure ». Encore faut-il, pour éviter que cette disposition ne soit qu'une pétition de principe - comme l'ont montré les affaires Tetra ou Schneider - que deux précisions soient explicitement induites dans l'article 18. La première a trait au principe de l'accès à un dossier complet qu'il importe de consacrer clairement. Sous réserve, bien entendu, du respect du secret des affaires, l'accès au dossier devrait inclure l'accès aux études économiques - tests de marché, par exemple - sur la base desquelles la Commission prendra sa décision.

La deuxième précision consisterait à mentionner à l'article 18 le rôle que doit jouer le conseiller-auditeur dans la garantie du respect des droits de la défense. Une telle précision serait de nature à fournir une base juridique plus solide aux propositions formulées par la Commission dans le code des bonnes pratiques.

b) Le renforcement des procédures juridictionnelles

Il s'agit là d'une exigence que toutes les personnalités rencontrées par le rapporteur ont formulée. A l'unanimité, elles ont déploré les lenteurs de la procédure judiciaire actuelle. La mise en place d'un système permettant aux recours des entreprises d'être jugés sur le fond dans les délais les plus brefs pourrait passer par les mesures suivantes :

- l'institution au sein du Tribunal de Première instance d'une chambre spécialisée dans les recours en matière de concurrence, voire pour les seules décisions en matière de concentration ;

- l'instauration d'une procédure de recours d'urgence spécifique aux opérations de concentration portant soit sur le fond de l'analyse (article 8.3) soit sur les modalités de déconcentration (article 8.4), afin que le juge puisse se prononcer dans des délais compris entre 2 et 6 mois. Une telle procédure, sur le modèle du système actuel de « fast track » (procédure accélérée), pourrait prévoir la réduction des échanges de mémoire et la limitation de leur taille, au profit d'une procédure orale plus développée.

B. Le contrôle des concentrations doit être un instrument de la bonne gouvernance économique

Il s'agit là non pas d'une formule rhétorique, mais d'un objectif politique, qui consisterait pour l'Europe à se doter d'un système de contrôle des concentrations susceptible de promouvoir compétitivité et respect de la concurrence.

Cette bonne gouvernance économique passe par une double démarche :

- la nécessité d'une révision de l'approche de la Commission ;

- l'élaboration d'un contenu plus précis du projet de communication et du code des bonnes pratiques.

1) La nécessité d'une révision de l'approche de la Commission

a) La pertinence du choix des autorités françaises et espagnoles en faveur du double test

Le rapporteur constate que la confrontation entre les tests SLC et de position dominante est quelque peu théorique, puisque d'un côté, nombreux sont ceux qui affirment que, dans les faits, ils aboutissent aux mêmes résultats. De l'autre, les partisans de chaque test soutiennent qu'il est meilleur que l'autre pour concilier efficacité économique et sécurité juridique des entreprises ! Pour autant, il apparaît au rapporteur que ni la solution préconisée par la Commission, ni celle retenue par le Parlement européen, ne sont de nature à répondre à cette double exigence.

S'agissant de l'article 2, paragraphe 2, de la proposition de règlement définissant la notion de position dominante collective, il présente un double risque : celui de ne pas permettre le contrôle de certaines situations, tels que les oligopoles non collusifs. Celui ensuite, comme l'a remarqué le Parlement européen, de favoriser un glissement vers le test SLC, que pourtant la Commission a déclaré avoir rejeté, pour des motifs tirés de la sécurité juridique(25) !

Quant à la décision des commissions du Parlement européen de préconiser l'abrogation du deuxième paragraphe de l'article 2, elle n'est pas non plus satisfaisante. D'une part, on se trouverait de nouveau confronté, comme c'est le cas actuellement, au vide juridique apparu, pour certains, à la suite de l'affaire Airtours, vide résultant de l'inaptitude de la réglementation actuelle à permettre le contrôle des oligopoles non collusifs.

D'autre part, il n'est pas certain que le quatrième paragraphe de l'article 2(26) suffise à combler ce vide juridique.

Dans ces conditions, le rapporteur plaide en faveur de la solution soutenue par les autorités françaises et espagnoles, qu'elles ont défendue lors de la réunion du groupe de travail du Conseil des 8 et 9  octobre 2003.

Cette proposition ne crée pas, contrairement aux craintes de certains (Allemagne et Italie notamment), un abaissement des seuils d'intervention dans les situations de dominance simple ou d'oligopoles collusifs, ni de hiérarchie entre les différents types de concentrations anticoncurrentielles. Elle confirme également que pour déclarer des concentrations incompatibles, la jurisprudence actuelle continuera donc à s'appliquer. Le seul changement consiste à permettre à la Commission d'appréhender les cas de concentrations anti-concurrentielles qui, jusqu'à maintenant, lui échappaient compte tenu des incertitudes de la règlementation et de la jurisprudence (les « gap cases », concernant principalement les marchés oligopolistiques non collusifs). Un considérant dans le règlement ainsi qu'une clarification dans les lignes directrices sur les concentrations horizontales pourraient préciser cette position.

Or, le fait que la Commission se soit engagée clairement en faveur de la proposition franco-espagnole n'a toutefois pas levé les inquiétudes des délégations allemande, autrichienne, italienne et néerlandaise.

D'autres délégations, a priori favorables au test SLC, ont indiqué pouvoir rejoindre cette proposition dans un souci de compromis : c'est le cas de la Suède, du Danemark, de l'Irlande, du Royaume-Uni et de la Grèce.

Le représentant français a souligné que le risque de cas non couverts par les règles actuelles apparaissait de plus en plus évident et qu'il fallait donc trouver un moyen d'y faire face, ce que la proposition allemande ne fait pas. Il a cependant fait observer que pour rassurer les délégations inquiètes d'un bouleversement de la pratique actuelle, il faudrait revoir le projet de lignes directrices qui ne montre pas assez clairement que le test de dominance restera la règle dans 90 % des cas.

M. Drauz, directeur de la Merger Task Force de la Commission, a tenu à ajouter que les marchés tendaient à devenir de plus en plus oligopolistiques, caractéristique que la Commission se doit de prendre en compte dans son action en matière de concentrations et que, par ailleurs, la proposition allemande ne garantirait pas plus de sécurité juridique. Ses services devraient fournir une note pour la prochaine réunion sur cette préoccupation de sécurité juridique.

b) La nécessité d'une meilleure prise en compte des gains d'efficience

Cette orientation doit déboucher sur l'inclusion de la notion de bilan économique et la mention de la compétitivité internationale des entreprises dans les critères d'appréciation de la Commission.

L'inclusion de la notion de bilan économique

Il convient de se féliciter que M. Mario Monti ait déclaré être « partisan d'une vraie politique industrielle »(27). Hélas, il y a lieu de déplorer qu'il n'accepte pas pleinement d'ériger la politique de la concurrence en instrument de la politique industrielle(28).

Comme on l'a vu, la proposition de règlement reflète la même frilosité.

Or, le rapporteur estime qu'il n'existe aucune raison valable, qui devrait dissuader l'Europe de s'aligner sur la pratique des autorités américaines de concurrence. En prenant en compte les gains d'efficience, ces dernières peuvent, en effet, autoriser une concentration, lorsqu'il leur apparaît que ces gains d'efficience contrebalancent le risque d'une réduction sensible de la concurrence. C'est également à un bilan économique analogue que procèdent les autorités françaises de la concurrence.

En effet, aux termes de l'article L430-6, premier alinéa, du Code de commerce, lorsque le Conseil de la concurrence examine si une opération est de nature à porter atteinte à la concurrence « Il apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ».

Le temps est venu pour l'Union européenne de s'engager dans la même voie.

Non seulement, l'Union serait ainsi plus à même d'affronter la menace de désindustrialisation, qui est loin d'être un « fantasme », comme ont pu le déclarer - à tort - certains commentateurs(29).

Mais, en outre, l'inclusion de la notion de bilan économique dans le contrôle communautaire des concentrations permettrait d'harmoniser ce dernier avec le contrôle des ententes qui tient déjà compte de cette notion, conformément à l'article 81 du traité(30).

Il est clair que cette menace de désindustrialisation devrait pousser les Etats membres à envisager une telle approche plus favorablement qu'en 1989 lors de l'adoption de l'actuel règlement. En effet, elle n'avait pu alors être retenue devant l'hostilité qu'inspirait à certains Etats membres - dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne - tout ce qui s'apparente à une politique industrielle.

Le maintien d'une telle position ne saurait plus être de mise, dans le contexte actuel de la mondialisation où la désindustrialisation de l'Europe et des Etats-Unis résulte à la fois du poids accru des services mais aussi des délocalisations dans les pays émergents.

Inclusion explicite de la compétitivité internationale des entreprises européennes dans le contrôle des concentrations

On peut regretter que le règlement de 1989 ait dévalorisé la prise en compte des exigences de compétitivité internationale des entreprises européennes. Ce critère explicite dans la loi française(31), et dans certaines versions du projet de règlement avant 1989, a malheureusement été relégué à l'article 2, paragraphe premier 1a) au rang des éléments dont la Commission doit tenir compte dans son appréciation.

Une telle formulation a contribué à ce que la Commission se soit déclarée peu favorable à la constitution de champions nationaux comme le rappelle M. Mario Monti : « On nous reproche parfois de ne pas fermer nos yeux concurrentiels sur les avantages que procurerait la création de « champions ». Par exemple, nous avons refusé les fusions Volvo/Scania et Schneider/Legrand, qui avaient vocation à devenir des champions nationaux dans leurs secteurs respectivement en Suède et en France »(32).

Or, malgré les dénégations qu'elles ont opposées - notamment à la suite de la concentration Boeing Mac Donnell Douglas - c'est bien la constitution de champions nationaux - notamment dans les secteurs stratégiques (armement, par exemple) - que les autorités de concurrence américaines ont favorisée.

Dès lors, on peut regretter que dans certains cas - notamment celui de Schneider Legrand cité précisément par M. Monti - la Commission ait empêché les entreprises européennes d'acquérir la taille critique nécessaire pour affronter la concurrence internationale.

C'est pourquoi, il convient de porter remède à cette lacune en introduisant une référence explicite à la compétitivité internationale des entreprises européennes à l'article 2, paragraphe premier, alinéa (a).

Ce serait là un moyen qui permettrait de donner une base juridique solide à la déclaration de la Commission selon laquelle elle est « favorable aux restructurations d'entreprises qui prennent la forme des concentrations, parce qu'elles correspondent aux exigences d'une concurrence dynamique et qu'elles sont de nature à augmenter la compétitivité de l'industrie européenne, à améliorer les conditions de la croissance et à relever le niveau de vie dans la Communauté ».(33)

2) L'élaboration d'un contenu plus précis du projet de communication et du code des bonnes pratiques

Le projet de communication sur les lignes directrices et le code des bonnes pratiques joueront un rôle crucial dans l'application du nouveau règlement.

Or, comme on l'a vu, ils comportent des imperfections et entrent même en contradiction avec la proposition de règlement.

C'est pourquoi, comme l'a suggéré le Gouvernement, il serait souhaitable, d'une part, que la Commission lève les ambiguïtés qui subsistent dans ces documents et que, d'autre part, le Conseil en soit saisi avant qu'ils ne soient publiés.

CONCLUSION

CONCLUSION

Le rapporteur constate avec satisfaction que le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre 2003 a déclaré que : « La législation communautaire ne devrait pas brider la compétitivité de l'Union européenne, comparée à celle d'autres grandes zones économiques ».

C'est fort de cette conviction qu'il a formulé les propositions exposées dans ce rapport. Il est clair qu'à l'heure où l'on s'interroge sur l'aptitude de l'Europe à être une puissance, il serait paradoxal et regrettable qu'elle ne se dote pas des instruments nécessaires pour renforcer son potentiel économique.

*

* *

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le jeudi 23 octobre 2003, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Daniel Garrigue a déclaré partager l'analyse du rapporteur concernant le manque de flexibilité de la Commission concernant certaines concentrations et les aides d'Etat. Il a déploré le décalage entre le discours de la Commission vantant les mérites d'une politique industrielle européenne et sa pratique, qui ne crée pas les conditions d'une telle politique. Or, la législation et la pratique en matière de concurrence sont un élément déterminant de la compétitivité internationale des Etats. Il serait utile, dans cette perspective, d'établir une comparaison ente la législation et la pratique des Etats-Unis, d'une part, et de l'Europe, d'autre part.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que les règles appliquées par la Commission avaient été fixées par le Conseil. Il a souligné par ailleurs l'importance des délais en matière d'aides d'Etat.

M. Jérôme Lambert a considéré que la proposition de résolution présentée par le rapporteur prévoyait d'apporter de sensibles améliorations au texte de la Commission, mais que la solution aux problèmes évoqués nécessite aussi la mise en œuvre d'une politique économique et industrielle européenne, qui soit de nature à prévenir d'éventuels conflits entre la Commission et les Etats membres.

M. Daniel Garrigue a jugé que par rapport aux Etats-Unis, qui jouent à la fois sur l'accélérateur, grâce à leur politique industrielle activement stimulée par les aides versées par le gouvernement fédéral au financement de la recherche, et sur le frein, par le biais de leur droit à la concurrence, l'Union ne se bat pas à « armes égales », puisqu'elle ne dispose que d'un seul levier, qui contrôle et empêche les entreprises européennes d'agir.

Le Président Pierre Lequiller a observé que la France avait déposé à la Convention de nombreuses contributions concernant la gouvernance économique. Ces propositions ont été toutefois bloquées, notamment par les conventionnels britanniques. La France espère néanmoins pouvoir faire avancer le dossier de la gouvernance économique dans le cadre de la CIG.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- il est regrettable que l'Europe n'ait pas de politique industrielle. La Commission tend à se pencher trop exclusivement sur les conditions de la concurrence en Europe, sans tenir compte des contraintes et des défis du marché mondial ;

- la France a une longue tradition d'aide à ses entreprises qui la rend parfois suspecte aux yeux de la Commission. Les déclarations tendant à déconsidérer le rôle de cette dernière renforcent cette image négative ;

- les délais trop courts de la procédure résultent de la confusion des rôles évoquée précédemment. Mais ils ont l'avantage de permettre l'adoption de décisions rapides, en quelques mois, à la différence de la procédure américaine, qui peut durer plusieurs années ;

- il est regrettable que la Convention ait manqué d'ambition en matière de politique industrielle et économique. Il existe un déséquilibre indéniable avec les Etats-Unis, dont la politique de concurrence peut varier en fonction de la couleur politique de l'administration en place.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (COM [2002] 711 final/document E 2176),

- Vu les conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre 2003,

I. SUR LES QUESTIONS DE COMPETENCE

1. Approuve les dispositions proposées concernant les renvois entre la Commission et les Etats membres qui permettent de concilier le principe du guichet unique et le respect du principe de subsidiarité ;

2. Souhaite que le rôle du comité consultatif soit plus effectif et que, dans cette perspective :

- les avis du comité rendent compte des débats, notamment des positions divergentes ;

- la Commission expose aux Etats membres la façon dont elle a tenu compte des avis du comité ;

- des dispositions précisent le rôle du ou des Etats, lorsqu'ils sont appelés à jouer le rôle de rapporteur.

II. SUR LES QUESTIONS DE FOND

1. Soutient la proposition présentée au Conseil par les autorités françaises et espagnoles, visant à substituer à l'article 2, paragraphe 2, relatif à la définition de la position dominante collective, des dispositions qui, tout en conservant la notion de position dominante, combinent cette dernière avec celle d'atteinte à la concurrence, afin de permettre un contrôle plus efficace des oligopoles non collusifs, notamment ;

2. Estime indispensable qu'à l'article 2 relatif aux critères d'appréciation des opérations de concentration soient insérées deux dispositions précisant que :

- la Commission apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ;

- la Commission tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale.

III. SUR LES QUESTIONS DE PROCEDURE

1. Juge nécessaire que les droits de la défense soient mieux garantis et, qu'à cette fin, soit consacré le principe de l'accès à un dossier complet ;

2. Souhaite que le rôle imparti au conseiller-auditeur dans la garantie des droits de la défense soit mentionné à l'article 18 de la proposition de règlement ;

3. Estime nécessaire que la présente proposition de règlement soit accompagnée par des mesures visant au renforcement des procédures juridictionnelles, afin :

- d'instituer, au sein du Tribunal de Première instance, une chambre spécialisée dans les recours en matière de concurrence, et même pour les seules décisions en matière de concentration ;

- d'instaurer une procédure de recours d'urgence spécifique aux opérations de concentration portant, d'une part, sur les décisions de la Commission qui déclarent la concentration incompatible avec le marché commun et, d'autre part, sur les mesures que la Commission peut prendre à la suite d'une telle déclaration d'incompatibilité.

IV. AUTRES QUESTIONS

1. Approuve les propositions de modifications présentées par les autorités françaises destinées à améliorer le contenu du projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales et du code des bonnes pratiques sur le déroulement de la procédure de contrôle des concentrations ;

2. Souhaite que ces documents soient soumis au Conseil préalablement à leur publication.

ANNEXES

Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées

Le rapporteur souhaite remercier vivement les personnalités qui ont bien voulu accepter de le rencontrer, à l'occasion des auditions auxquelles il a procédé, ou qui lui ont adressé une contribution écrite.

EN FRANCE

I. Personnalités qualifiées

- Mme Laurence Idot, professeure à l'Université de Paris I ;

- M. François Lamy, Conseiller d'Etat.

II. Conseil de la Concurrence

- M. Thierry Dahan, rapporteur général ;

- Mme Dominique Hagelsteen, présidente ;

- Mme Irène Luc, chargée des questions européennes.

III. Les représentants des départements ministériels

- M. Dominique Blanc, SAIE, ministère de la justice ;

- Mme Frédérique Delaugerre, chef du bureau « politique industrielle et concurrence » de la DIGITIP, ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- M. Jean-Christophe Mauger, bureau des concentrations et aides, ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- M. Frédéric Million, ministère des affaires étrangères ;

- Mme Elizabeth Oppel-Reveneau, direction des affaires civiles et du sceau, bureau du droit commercial, ministère de la justice ;

- Monsieur Jacques Le Pape, conseiller technique au cabinet, ministère de la justice ;

- M. Benoît Parlos, directeur général, direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes, ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- M. Régis de Seresin, adjoint au chef du secteur marché intérieur, consommateurs, concurrence, aides d'Etat, armement (MICCAA) SGCI.

IV. Avocats

- Me Hugues Calvet, avocat, Bredin Prêt & Associés.

- Me Théophile Didier, avocat, Darrois Villey Maillot Brochier ;

- Me Antoine Winkler, avocat, Clary Gottlieb Steem & Hamilton.

V. Organisations professionnelles

- M. Pascal Durand-Barthez, directeur juridique, Alcatel ;

- Mme Joëlle Simon, direction des affaires juridiques, MEDEF.

A L'ETRANGER

I. A Washington

- M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France aux Etats-Unis ;

- M. Jean-François Boittin, ministre conseiller pour les affaires économiques et commerciales ;

- M. Etienne Oudot de Dainville, adjoint du ministre conseiller ;

- Mme Marianne Faessel-Kahn, chef du secteur juridique de la mission économique ;

- M. Edward Hand, deputy assistant for international affairs ;

- M. John Parisi, conseiller de la Merger Task Force ;

- M. Robert Pitofsky, Of Counsel, Arnold & Porter ;

- Mme Anne Purcell, Assistant Chief Foreign Commerce Section, Antitrust Division ;

- M. James F. Rill, Patner, Howrey Simon Arnold & White, LLP ;

- M. Randolph Tritell, International Antitrust Assistant Director, FTC.

II. A Bruxelles

- M. Christian Masset, représentant permanent adjoint ;

- M. Alain Pithon, attaché financier à la Représentation permanente ;

- M. Carles Esteva-Mosse, membre du Cabinet du Commissaire Monti ;

- MM. Goetz Drauz et Daniel Dittert, Merger Task Force.

Annexe 2 :
Note récapitulative des orientations françaises pour la révision du règlement sur les concentrations

Un rapport de synthèse a été rédigé à l'issue de la consultation engagée en janvier 2002 auprès du monde des affaires sur le projet de révision du contrôle communautaire des concentrations, sur la base des principaux thèmes du Livre vert de la Commission européenne. Il retrace fidèlement le contenu des réponses reçues.

D'ores et déjà, à partir de cette large consultation nationale au cours de laquelle le Conseil de la concurrence a également donné son avis, plusieurs orientations se dégagent et peuvent servir de fondement aux discussions à venir sur la réforme du règlement.

I/ Les questions de compétence

La réforme du règlement doit poursuivre deux objectifs : fixer des règles simples permettant une détermination rapide et adéquate de la compétence et simplifier les procédures de renvoi entre autorités nationales et communautaires. Ces objectifs passent par :

- le retour aux seuils de chiffres d'affaires antérieur à la révision du règlement en 1997, qui vise à simplifier le système de détermination de la dimension communautaire et à libérer des moyens pour examiner les opérations les plus importantes ;

- le maintien en l'état de la règle dite des « deux tiers » qui permet de faire examiner par un Etat membre une opération ayant des conséquences importantes sur le territoire national et peu d'impact en dehors de celui-ci ;

- le refus, en raison de son caractère difficilement praticable, de toute règle de compétence liée à un nombre d'Etats compétents pour examiner une opération ;

- la mise en place d'un mécanisme simplifié de renvoi par la Commission à la demande d'un Etat membre par rapport à l'article 9 actuel, afin de multiplier les possibilités d'y recourir et afin d'obtenir davantage de garanties pour les entreprises et pour les Etats membres dans la procédure (motivation du refus de la demande...) ;

- la non-acceptation de l'instauration d'un mécanisme de renvoi à la seule initiative de la Commission, susceptible d'être une source de déséquilibre dans la répartition des compétences et d'instabilité pour les entreprises ;

- la poursuite de l'amélioration de la coopération entre autorités nationales afin de se coordonner dans le traitement des opérations de concentration notifiées dans plusieurs Etats membres et de faciliter le renvoi de l'examen de l'opération à la Commission dans le cadre d'un article 22, éventuellement simplifié.

II/ Les procédures

La réforme du règlement est très attendue sur les questions de procédure. L'objectif recherché est l'organisation d'une plus grande transparence ainsi qu'une plus grande prise en compte du principe du contradictoire à tous les stades de la procédure, entre toutes les parties prenantes, comme par exemple :

- le renforcement des droits des parties à une opération à obtenir toutes les informations transmises par les tiers dans la procédure et non couvertes par le secret des affaires ;

- l'aménagement d'une plus grande flexibilité à la demande des entreprises, au cas par cas, lors de la phase de discussion des engagements ;

- la transmission des engagements aux Etats membres pour expertise dans un délai raisonnable avant la tenue du comité consultatif (cinq jours) ainsi que la communication des résultats des tests de marché réalisés ;

- l'amélioration de l'information transmise par la Merger Task Force aux autres Directions générales et services de la Commission, afin de renforcer la collégialité du travail ;

- l'accroissement du rôle du Conseiller auditeur, indépendant de la Merger Task Force, dans la procédure, sur les questions de fond.

III/ Les Etats membres

La réforme du règlement doit aboutir à un renforcement du rôle des Etats membres dans la procédure et à un accroissement des prérogatives du comité consultatif, dont le rôle pourrait dépasser la seule consultation dans des cas précis, au travers d'améliorations substantielles d'organisation et de fonctionnement. Cela concerne par exemple les points suivants :

- l'affirmation dans le texte du règlement qu'une majorité d'Etats membres votant contre la Commission impose à la Commission de revoir son analyse de l'affaire et de convoquer un nouveau comité ;

- le renouvellement profond des méthodes de travail au sein du comité des Etats membres (lors de la préparation des réunions, l'obligation de transmission des documents, notamment des engagements, dans les délais, et l'obligation de transmission suffisamment anticipée des questions posées en comité ; lors du déroulement des comités, l'obligation pesant sur la Commission, et non plus sur l'Etat rapporteur, de présenter son analyse sur l'opération afin de lancer le débat avec les Etats membres, l'instauration d'un quorum pour que le comité délibère valablement, l'établissement d'un règlement intérieur définissant les modalités de vote, par exemple l'organisation du tour de table ou encore la possibilité réelle pour les représentants des Etats membres de poser des questions directes aux autres services de la Commission présents au comité et d'obtenir des réponses...) ;

- s'agissant de la portée des réunions des comités, la modification du règlement en vue d'une publication systématique de l'avis du comité au JOCE, qui rende compte plus précisément des débats, par exemple en indiquant les motivations lorsque des positions divergentes s'expriment ou le nombre d'Etats membres s'étant prononcé sur chacune des questions, tout en conservant l'anonymat des votes ;

- l'application effective de la disposition du règlement qui prévoit que la Commission rende compte aux Etats membres de la façon dont elle a tenu compte de l'avis du comité (par email, les jours suivants le comité et possibilité pour les Etats membres de donner leur avis sur l'avant projet de décision modifié à la suite du comité, par email, avec une procédure de silence).

IV/ La méthode d'analyse de la Commission

L'objectif de la réforme devrait être de faire évoluer le test de concurrence utilisé par la Commission afin de permettre :

- la prise en compte d'une éventuelle contribution au progrès économique que l'opération pourrait apporter ;

- l'appréciation des exigences de compétitivité internationale auxquelles les entreprises parties à une concentration peuvent être soumises.

V/ Les voies de recours juridictionnels

Les procédures actuelles de recours, non prévues par le texte du règlement sur les concentrations, pourraient être révisées dans le souci d'améliorer la contestabilité des décisions de la Commission et dans le but de les rendre compatibles avec le temps des affaires, la procédure judiciaire actuelle étant unanimement considérée comme inopérante. La mise en place d'un système permettant aux recours des entreprises d'être jugés sur le fond dans les délais les plus brefs pourrait passer par les mesures suivantes :

- la mise en place au sein du TPICE d'une chambre spécialisée dans les recours en matière de concurrence, voire pour les seules décisions en matière de concentration ;

- l'instauration d'une procédure de recours d'urgence spécifique aux opérations de concentration portant soit sur le fond de l'analyse (article 8.3) soit sur les modalités de déconcentration (article 8.4), afin que le juge puisse se prononcer dans des délais compris entre 2 et 6 mois. Une telle procédure, sur le modèle du système actuel de « fast track », pourrait prévoir la réduction des échanges de mémoire et la limitation de leur taille, au profit d'une procédure orale plus développée.

Annexe 3 :
Consultation de la Commission sur son projet
de communication relative à l'appréciation
des concentrations horizontales

La Commission a soumis à consultation publique jusqu'au 31 mars 2003, un projet de communication sur l'appréciation des concentrations horizontales.

Les autorités françaises prient la Commission de bien vouloir trouver ci-après leur contribution.

Cette contribution est centrée sur la question des gains d'efficacité et formule d'autres observations sur le projet préparé par la Commission.

I - LE CAS PARTICULIER DES OLIGOPOLES NON COLLUSOIRES (POINTS 25 A 39)

Cette question doit être examinée en relation avec le nouvel article 2.2 du projet de règlement proposé par la Commission.

On peut s'interroger sur la question de savoir si l'on ne passe pas ici du test de position dominante au test de diminution substantielle de la concurrence (SLC), alors que la question du test applicable demeure débattue dans le cadre de la révision du Règlement, l'actuel projet de la Commission consistant à élargir la notion de dominance pour la rapprocher des concepts du test SLC. Le souhait de la Commission de pouvoir mieux appréhender les oligopoles non collusoires n'est guère contestable, mais cet affinement de l'analyse semble plus relever d'un test SLC que d'un test de position dominante.

Notamment, définir la position dominante dans les termes de la réduction de concurrence revient à fragiliser la première notion sans nécessairement rendre applicables de façon claire les éléments spécifiques de la seconde.

II - LES GAINS D'EFFICACITE (POINTS 87 A 95 DU PROJET)

A. Approche de la Commission

Dans son projet de lignes directrices, la Commission se déclare d'emblée « favorable aux restructurations d'entreprises qui prennent la forme de concentrations, parce qu'elles correspondent aux exigences d'une concurrence dynamique et qu'elles sont de nature à augmenter la compétitivité de l'industrie européenne, à améliorer les conditions de la croissance et à relever le niveau de vie dans la communauté ».

La Commission semble ainsi prête à faire évoluer sa pratique en prenant en compte les gains d'efficacité dans l'analyse d'une opération dans la mesure où ils remplissent certains critères.

Outre le critère de transfert des gains aux consommateurs, ces conditions, directement inspirées des lignes directrices américaines, fournissent un cadre d'analyse des gains d'efficacité :

- Les gains d'efficacité doivent être vérifiables, c'est-à-dire que l'autorité de concurrence doit être en mesure d'estimer qu'ils vont réellement se matérialiser.

- Ils doivent se matérialiser suffisamment tôt de façon à ce que les consommateurs ne supportent pas trop longtemps les conséquences négatives d'une fusion anticoncurrentielle.

- Ils doivent être spécifiques à la concentration et ne doivent pas pouvoir être atteints par un autre moyen que l'opération projetée.

- Ils doivent être d'autant plus substantiels que l'atteinte à la concurrence est importante (« sliding-scale effect »). Toutefois, une fusion aboutissant à la création d'un monopole ou d'un quasi- monopole aurait des effets anticoncurrentiels tels qu'ils ne sauraient qu'être exceptionnellement compensés par des gains d'efficacité, à moins d'une réglementation du marché et des prix qui e se justifie que dans le cas de monopoles « naturels ».

Dans ce cadre, c'est aux parties à l'opération, seules détentrices des informations nécessaires, d'apporter la preuve que les gains d'efficacité remplissent ces critères et sont donc susceptibles de compenser ou de limiter les effets anticoncurrentiels de l'opération, au bénéfice des consommateurs.

Sur cette base, la Commission déclare prendre en compte toute justification motivée des gains d'efficacité qu'elle cite :

· les réductions des coûts variables ou marginaux ;

· les gains d'efficacité qui débouchent sur de nouveaux produits ou services ou sur des améliorations de produits ou services existant ;

· les gains d'efficacité directement liés à la concentration ;

· les gains d'efficacité vérifiables ;

· les gains d'efficacité quantifiables ;

· les gains d'efficacité à court terme.

B. Point de vue des autorités françaises

L'approche de la Commission soulève cinq commentaires de fond.

1. Le type de gains pris en compte

La Commission européenne fait uniquement référence à l'avantage direct pour les consommateurs. Les gains d'efficacité réalisés très en amont du processus de production ne peuvent évidemment être pris en compte que si l'incitation à les diffuser fonctionne tout au long de la chaîne de production.

De nombreuses concentrations sont, en effet, à l'origine d'économies d'échelle, d'effets de réseaux, et d'un renforcement de la capacité d'innovation (c'est-à-dire de gains à la fois en statique et en dynamique) dont peut bénéficier in fine le consommateur, si certaines conditions sont remplies. Le calcul du surplus tant des producteurs que des consommateurs intermédiaires et finaux doit être effectué dans la mesure du possible, même s'il est évident que cette évaluation est particulièrement délicate. Dans ce cadre, ce sont bien les conséquences sur les consommateurs finaux qui doivent demeurer privilégiés dans l'analyse, étant entendu que l'appréciation des gains d'efficacité doit prendre en compte les effets sur les prix, mais aussi les impacts en termes d'innovation ou d'amélioration de la qualité des produits et des services.

A tout le moins, on ne saurait utiliser ces gains d'efficience comme argument à l'appui du rejet d'un projet de concentration, sauf s'il est démontré que cet avantage, après avoir permis dans un premier temps d'éliminer les concurrents, se traduirait in fine par une augmentation du pouvoir de marché et une hausse de prix au détriment d'une partie des consommateurs.

Par conséquent, les autorités françaises souhaitent que le texte vise ici tous les clients des entreprises en cause, c'est-à-dire à la fois les consommateurs finaux et les intermédiaires. Les autorités françaises souhaitent obtenir de la part de la Commission un éclaircissement sur ce point.

2. L'horizon temporel du contrôle et de la prise en compte des gains d'efficacité

Au point 94, la Commission souligne qu'elle prend plus difficilement en compte les effets de l'opération éloignés dans le temps.

Effectivement, dans un premier temps, les gains d'efficacité peuvent permettre la nouvelle entreprise de baisser suffisamment son prix pour éliminer ses concurrents du marché. On ne peut exclure que, dans un second temps, si le marché se caractérise par de fortes barrières à l'entrée, la hausse du pouvoir de marché de l'entreprise l'amène à ré-augmenter ses prix. Ainsi, il peut arriver que des gains d'efficacité qui sont, au départ, favorables au consommateur, conduisent à une réduction de concurrence qui contribue à détériorer le bien-être des consommateurs au bout d'un certain temps. Les arbitrages entre les effets à court terme des gains d'efficacité et leurs effets à plus long terme sont particulièrement délicats à réaliser et nécessitent une attention particulière.

3. La réduction des coûts

La Commission privilégie la réduction des coûts variables ou marginaux. Ce choix est bien justifié par la théorie économique.

On peut généralement s'attendre, après une fusion, à une hausse du pouvoir du marché des parties à l'opération, voire, dans certains cas, de leurs concurrents. Les conséquences à attendre sur les prix diffèrent en fonction de la façon dont les gains d'efficacité sont répercutés, de la structure du marché et de la nature de la concurrence (prix, quantités, variété des produits. En effet, le prix est fonction du coût marginal de production. Les gains d'efficacité exclusivement liés à des économies d'échelle sur les coûts fixes n'auront donc pas d'influence sur le prix à court terme.

A long terme les choses peuvent être différentes. En oligopole, la baisse des coûts fixes, lorsqu'elle ne se limite pas à un simple effet d'échelle, peut faciliter l'entrée de nouvelles entreprises, c'est à dire conduire à une concurrence potentielle plus forte, ce qui oblige les acteurs à des baisses de prix.

Lorsque les gains d'efficacité sont de nature à permettre une réduction du coût marginal de production, l'analyse de la concentration doit amener à s'interroger sur le seuil minimal de baisse de coût qui peut rendre la fusion favorable aux intérêts du consommateur. Ce seuil minimal doit compenser la hausse de pouvoir de marché liée à la concentration. Par conséquent, la baisse de coût doit être particulièrement conséquente pour devenir, in fine, favorable aux consommateurs.

Les autorités françaises sont en accord avec la Commission européenne lorsque celle-ci privilégie les gains de coûts variables, étant entendu que la prise en compte des gains sur les coûts fixes est d'appréciation plus délicate quant à leur répercussion sur la chaîne de valeur.

4. La mesure des gains d'efficacité

Les gains d'efficacité n'ont pas une destination unique dans la stratégie de développement. Les synergies recherchées peuvent en effet être d'ordre :

· scientifique (mise en commun d'investissements et de compétences dans la recherche-développement) ;

· industriel (meilleure allocation des unités de production) ;

· commercial (accès à de nouveaux marchés).

La quantification de ces derniers est difficile, et pour d'autres types de gains quasiment impossible : les innovations en matière de produits ou de services, mais aussi des éléments immatériels, comme les gains potentiels résultant de la mise en commun des équipes.

Il serait particulièrement opportun de mener une vérification ex post des réalisations de ces gains d'efficacité dans les affaires ayant amené à soulever la question.

Dans l'affaire Aérospatiale/De Haviland (décision d'interdiction IV/M.774 du 2 octobre 1991), les parties mettaient en avant les réductions de coûts générées par la mise en commun du marketing et de la logistique et un couverture plus complète du marché (point 32 de la décision). La Commission reconnaît que la concentration aboutirait à une rationalisation des achats, du marketing et de la logistique, mais trouve ses conséquences mineures puisque la réduction des coûts n'est estimée qu'à 5 millions d'euros par an. Mais elle refuse de prendre en compte les améliorations de la gestion de De Haviland qui résulterait de l'opération en considérant qu'elles « ne seront pas une conséquence de l'opération, et pourraient être atteintes par le propriétaire actuel de De Haviland, ou par tout acquéreur potentiel » (point 65). De même, elle refuse de prendre en compte les gains commerciaux de l'opération, en estimant que des parts de marché supplémentaires ne sont pas nécessaires pour une entreprise déjà solidement établie. Elle considère également comme injustifié l'argument de prévention des risques de change par une localisation de la production dans la zone dollar.

Dans l'affaire Saint-Gobain/Wacker Chimie (décision d'interdiction IV/M.774 du 4 décembre 1996), la Commission reconnaît les synergies potentielles de l'opération (surtout dans l'une des usines du groupe), mais en considérant qu'il n'est pas démontré que ces gains seront transférés aux consommateurs, elle déclare : « la possibilité d'une augmentation du prix du produit, comme conséquence de l'opération, contrebalance les synergies potentielles » (point 246).

Au total, dans les cas où les gains d'efficacité sont examinés, il semble que la Commission considère que les conséquences bénéfiques de ceux-ci ne sont pas automatiques, alors que les augmentations de prix résultant des concentrations sont considérées comme inéluctables.

La vérification des gains d'efficacité ex post pourrait avoir des vertus pédagogiques et servir à d'autres réflexions sur les effets des concentrations. Il serait intéressant que quelques années après l'autorisation ou l'interdiction de certaines opérations intéressantes, soient menées des analyses ex post. Une telle mission pourrait être confiée au « chief economist » à nommer dans le cadre de la réforme.

5. La mention des gains d'efficacité dans les textes

Les gains d'efficacité ne sont pas mentionnés dans le règlement, mais dans le considérant 24 et dans la communication en cause qui n'a pas de valeur contraignante.

La mention dans l'article 2.1.b du règlement relatif au contrôle des concentrations de « ne constitue pas un obstacle à la concurrence » vide à peu près de toute portée la prise en compte des gains d'efficacité.

Enfin, pour que les gains d'efficacité soient systématiquement examinés, on devrait prévoir que, dans le formulaire CO, une ou des questions sur ce point soient posées aux parties qui notifient, comme cela existe en droit français.

Les autorités françaises souhaitent donc, au niveau du formulaire CO, l'ajout d'une ou plusieurs questions sur les gains d'efficacité et au niveau du règlement relatif au contrôle des concentrations la modification du texte de l'article 2.1.b en supprimant le membre de phrase précité.

III - AUTRE OBSERVATION

Sur l'ensemble des effets des concentrations horizontales

On doit saluer le travail d'approfondissement de la Commission qui cerne l'ensemble des aspects concernés. C'est la mise en œuvre de ces critères d'appréciation qui sera décisive. De ce point de vue, ce travail de réflexion sur les critères de fond sera d'autant plus valorisé que l'amélioration des procédures et notamment le respect du contradictoire et le rôle des Etats membres se trouveront renforcés à l'issue de la réforme. D'ores et déjà, la France suggère qu'une réunion des Etats membres sur ce projet de communication puisse se tenir avant sa publication.

Annexe 4 :
Observations des autorités françaises sur le projet de « bonnes pratiques » sur le déroulement de la procédure de contrôle des concentrations

Le 19 décembre dernier, la Commission a ouvert une consultation publique sur un projet de Bonnes pratiques sur le déroulement de la procédure de contrôle communautaire des concentrations, destinées à faciliter la tâche des entreprises notifiantes. Les autorités françaises apportent leur soutien à cette démarche qui garantit l'amélioration de la transparence, de la prévisibilité et de l'efficacité du contrôle des concentrations.

Par rapport au texte publié en 1999 par la DG Concurrence, le projet aujourd'hui soumis à la consultation publique aborde une plus grande variété de sujets, couvrant le déroulement de l'ensemble de la procédure. Les parties seront ainsi mieux à même d'anticiper correctement les contraintes et le calendrier des autorités en charge du contrôle, notamment si des problèmes de concurrence doivent être traités, ce qui devrait permettre une gestion plus efficace du calendrier de réalisation de l'opération elle-même.

C'est d'ailleurs dans cette même intention que les autorités françaises ont consacré une partie de leur réponse au projet de Lignes directrices relatives à l'analyse des concentrations et aux procédures de contrôle, sur lequel une consultation publique a été ouverte le 13 décembre dernier, aux questions procédurales (pré-notification, contenu du dossier de notification, déroulement des première et seconde phases dans le respect du principe du contradictoire).

De ce point de vue, les éléments relatifs à la phase de discussions préalables à la notification, la systématisation des réunions faisant le point sur le cas, et les questions d'accès au dossier et de relations avec les tiers intéressés, présentent l'avantage de clarifier et de rendre publics des éléments qui relevaient jusqu'à présent de l'organisation interne de la procédure d'instruction.

Les autorités françaises souhaitent attirer l'attention de la DG-Concurrence sur les points suivants.

Sur la phase de pré-notification, les précisions communiquées par le projet de « bonnes pratiques » ont l'avantage d'expliquer en quoi ces contacts préalables peuvent être améliorés pour rendre plus efficace la suite de la procédure. Il n'en reste pas moins que cette possibilité est une facilité offerte aux parties (ainsi qu'à la DG-Concurrence qui peut ainsi prendre la mesure de la difficulté posée par un nouveau dossier), et que celles-ci doivent pouvoir conserver un choix entre utiliser cette facilité ou notifier directement une opération. Il importe par conséquent que la phase précédant la notification reste suffisamment souple et informelle, et ne nécessite en elle-même pas de préparation approfondie. Notamment, il importe que les parties puissent commencer la phase de discussions sans nécessairement produire dès la première réunion l'ensemble des documents internes, un mémorandum de présentation et le projet de formulaire de notification, puisque précisément il s'agit de contacts pris en amont du moment où elles prévoient la notification proprement dite - sauf bien entendu si elles attendent un avis préalable de la DG-Concurrence sur le caractère complet du dossier ou sur les questions de fond.

Par ailleurs, le document de la Commission ne fait pas de distinction claire entre la phase de pré-notification et la phase de notification. Ainsi, les autorités françaises se demandent si lors de la phase de pré-notification la Commission peut prononcer des amendes aux parties notifiantes en cas d'informations incomplètes ou inexactes durant cette phase. Si tel devait être le cas, il serait nécessaire de mieux formaliser la phase de pré-notification, ce qui n'apparaît pas souhaitable. En conséquence, la France demande que le prononcé d'amendes n'ait lieu qu'en phase de notification et que ce point soit précisé dans le document de la Commission, et en particulier que le paragraphe 17 ne s'applique pas à la phase de pré-notification. Cette approche devra également présider aux travaux en cours sur le projet de règlement sur les concentrations. En effet, la note de bas de page n° 10 renvoie à l'article 14, paragraphe 1, relatif aux amendes, lequel vise l'article 4 relatif à la notification préalable des concentrations et au renvoi en pré-notification à la demande des parties notifiantes. Il s'ensuit une ambiguïté pouvant laisser penser que la Commission pourrait se reconnaître le droit d'infliger des amendes à des entreprises en phase de pré-notification. Si tel devait être le cas, la phase de pré-notification perdrait de son intérêt en raison des risques encourus par les entreprises de se voir infliger des amendes. La France est favorable au mécanisme de pré-notification dès lors que celui-ci ne fait porter aucun risque d'amendes aux entreprises. L'article 14, paragraphe 1, devra être examiné dans ce sens lors des prochains travaux du groupe concurrence.

Sur les réunions permettant de faire le point sur les cas, les autorités françaises constatent que leur systématisation est de nature à permettre aux parties de mieux gérer le calendrier de l'opération, notamment du point de vue de l'information interne aux entreprises. Il est également intéressant que ces réunions se déroulent sur la base d'un mémorandum formalisant les questions de la DG-Concurrence - et, de ce point de vue, il serait intéressant que celle-ci prévoit également de produire un mémorandum lors de la première réunion, malgré les fortes contraintes temporelles, qui dresse au moins la liste des « doutes sérieux » sur la base desquels l'ouverture d'une deuxième phase est envisagée.

Les autorités françaises souhaitent rappeler, à propos des réunions « triangulaires » que peuvent éventuellement demander les parties, que la procédure de deuxième phase prévoit, dans le même but, l'organisation d'une audition formelle (art. 14 du règlement n°447/98 de la Commission) à laquelle participent les parties, les tiers justifiant d'un intérêt suffisant qui en ont fait la demande, les Etats membres et la Commission. Cette audition a été formalisée de façon à garantir la mise en œuvre du principe du contradictoire, et force est de constater son utilité là où cette faculté a été utilisée par les parties. Les éventuelles réunions triangulaires, par définition informelles et relevant du domaine des bonnes pratiques, ne sauraient donc s'y substituer, et il devrait appartenir au conseiller auditeur de veiller à limiter ces réunions informelles à des cas très spécifiques, la procédure normale restant l'audition formelle.

Enfin, sur l'accès au dossier, les autorités françaises jugent pertinent de compléter les propositions actuelles, qui constituent un progrès utile, d'une part par une référence explicite au fait que l'ensemble du dossier sera rendu accessible, qu'il soit à charge ou à décharge, sous réserve des informations couvertes par le secret des affaires et des documents internes, en application de la jurisprudence communautaire(34) et, d'autre part, par la mention explicite que sont également ouverts à consultation les résultats des enquêtes sur les propositions d'engagement soumises par les parties.

Par ailleurs, les autorités françaises souhaitent attirer l'attention de la DG-Concurrence sur la nécessité de compléter ce texte en incluant des précisions sur d'autres aspects de la procédure et du processus décisionnel proprement dit.

En effet, si les relations entre l'équipe en charge du cas, les parties et les tiers sont utilement clarifiées par ce projet de bonnes pratiques, celui-ci reste silencieux, alors même que des précisions peuvent être utiles sur le sujet, sur le rôle et le cadre d'intervention des autres parties prenantes que sont l'équipe placée sous la supervision du chef économiste, les conseillers auditeurs, le panel « d'avocats du diable », le conseiller représentant les consommateurs, les autres services de la Commission et les Etats membres - du fait même qu'il s'agit à ce stade d'un code de bonnes pratiques de la DG-Concurrence, et non d'un projet de communication de la Commission.

Le commissaire Monti a cependant lui-même mis l'accent dans ses discours récents sur l'importance que revêtait l'implication de ces différents acteurs dans le processus décisionnel comme garantie de l'équilibre de l'instruction et du plein respect du principe du contradictoire. Les autorités françaises partagent pleinement cette analyse, considérant qu'il s'agit de garanties procédurales fortes dont bénéficient les entreprises, de nature à renforcer la légitimité et l'efficacité du contrôle. Il s'agit cependant des aspects les moins bien connus des parties et, en ce sens, une clarification paraît constituer l'un des éléments de la réforme d'ensemble du contrôle communautaire des concentrations. Un souci de cohérence impose que ces précisions prennent place dans un texte d'ensemble sur le déroulement de la procédure, qui fait d'ailleurs d'ores et déjà référence à plusieurs Communications interprétatives de la Commission, sur les engagements et sur les relations entre la Commission et les parties.

Certaines de ces interventions sont nouvelles, puisque l'équipe du chef économiste est en cours de constitution et que la création d'une liaison avec les consommateurs a été annoncée à l'automne. Le rôle et les modalités d'intervention devraient donc en être précisés.

Par ailleurs, la pratique des panels de pairs a déjà eu cours sur certaines opérations, mais leur systématisation devrait également faire l'objet de précisions, notamment quant à la constitution de ces équipes (notamment leur direction d'origine et leur rattachement opérationnel) et à la marge d'autonomie qu'elles peuvent avoir dans l'instruction. De ce point de vue, il n'est pas certain qu'un pouvoir d'enquête autonome doive leur être reconnu, mais il importe évidemment qu'ils puissent être présents aux réunions d'étape, à l'audition formelle le cas échéant et au Comité consultatif.

Le rôle spécifique du conseiller auditeur devrait également faire l'objet d'un rappel, en référence à la décision de la Commission du 23 mai 2001, en particulier en ce qui concerne les relations entre l'équipe du cas, les parties et les tiers, les réunions « triangulaires » et les questions d'accès au dossier.

Pour des raisons de clarté, il serait également utile de rappeler à quel moment se déroule la consultation des autres services de la Commission, et d'indiquer quels services sont concernés selon les cas.

Enfin, le rôle consultatif des Etats membres pourrait légitimement faire l'objet d'un commentaire destiné à faciliter la compréhension par les parties de cette dernière étape procédurale avant la décision. L'article 19 du règlement n°4064/89 CE précise que la Commission mène les procédures en « liaison étroite et constante » avec les autorités compétentes des Etats membres qui sont habilitées à formuler toutes observations sur ces procédures et sont amenées à émettre un avis sur les projets de décision issus d'une enquête approfondie, dont la Commission a proposé, dans sa proposition de refonte du règlement n°4064/89 CE, qu'il soit systématiquement publié au Journal officiel des Communautés européennes. Il pourrait être utile que soit précisée, à l'intention des parties, la façon dont la Commission tient compte de cet avis. Par ailleurs, le mode de fonctionnement du Comité consultatif pourrait également être expliqué, et notamment le rôle du ou des Etats rapporteurs. Ces représentants d'une ou éventuellement plusieurs autorités nationales sont en effet chargés de présenter l'opération et le résultat de l'instruction devant le Comité, en complément de la présentation faite par la Commission. A ce titre, et compte tenu des contraintes temporelles fortes qui portent sur la fin de la phase d'enquête approfondie, il pourrait être précisé que ces représentants, désignés dès l'ouverture de cette phase, pourraient assister aux réunions d'étape et que l'accès à l'ensemble du dossier, déjà ouvert à tous les Etats membres, leur soit facilité sans que leur soit reconnu un pouvoir d'instruction autonome.

Ces mesures relevant de la liaison étroite et constante entre la Commission et les Etats membres, les autorités françaises prient donc la Commission de bien vouloir réunir les représentants des autorités nationales compétentes avant de publier la version définitive de ce code de bonnes pratiques.

1 () Les deux autres sont les affaires Airtours et Tetra Laval.

2 () Exposé des motifs de la proposition de règlement.

3 () Petites Affiches, 5 novembre 2001, n° 220, p. 4.

4 () Voir Annexe 2.

5 () Même dans un arrêt de 1998 - dit Kali und Salz - par lequel la Cour de justice avait, pour la première fois, annulé une décision de la Commission en matière de concentration, la position de la Cour s'était, à certains égards, avérée dissuasive pour les éventuels requérants. Etait contestée une décision d'autorisation de concentration sous condition, la Cour ayant non seulement annulé les engagements imposés aux entreprises, mais aussi la décision d'autorisation de la concentration.

6 () TPICE, 15 décembre 1999, Kesko Oy T 22/1997, Rec. p. 11-3775, point 3775.

7 () Il y a une dizaine d'années, la Commission a cependant pour la première fois tenu compte de considérations d'ordre social, en appliquant la théorie de l'entreprise défaillante. Celle-ci permet, à certaines conditions, d'autoriser une opération qui porte atteinte à la concurrence, dès lors que la société cible se trouve en cessation de paiement et est inévitablement amenée à disparaître du marché (Décision de la Commission du 14 décembre 1993, affaire IV/M.308, Kali + Salz/MDK/Treuhand, Journal officiel des Communautés européennes n° L.186 du 21 juillet 1994, p. 38).

8 () Décision de la Commission du 30 septembre 1992, affaire IV/M.214, Dupont/ICI, Journal officiel des Communautés européennes N° L.7 du 13 janvier 1993, p. 13.

9 () Décision de la Commission du 18 janvier 1991.

10 () General Electric est en position dominante sur les différents marchés de moteurs d'avions tandis qu'Honeywell est leader des marchés de produits avioniques et non-avionniques.

11 () Comme l'illustrent de nombreux exemples - de la Standard Oil à Microsoft - les autorités américaines peuvent prendre des décisions de déconcentration après avoir constaté les effets réels des opérations sur le marché.

12 () Décision de la Commission du 22 juillet 1992, affaire IV/M.190, Journal officiel des Communautés européennes n° L.356 du 5 décembre 1992, p. 1.

13 () Ce commentaire figure à l'Annexe 3.

14 () La première phrase de ce considérant énonce que « Pour déterminer l'effet d'une concentration sur la structure de la concurrence dans le marché commun, il convient de tenir compte des gains d'efficacité probables démontrés par les entreprises ».

15 () Voir en Annexe 4, leurs observations sur le projet de code des bonnes pratiques.

16 () Il s'agit là de la confirmation d'une position que le Parlement européen avait déjà adoptée, lorsqu'il fut saisi du Livre vert.

17 () L'UNICE est un organe européen réunissant différentes organisations patronales nationales.

18 () Arrêts du Tribunal de Première instance du 3 avril 2003 - Affaires T.114/02 et T.119/02.

19 () Cette disposition fixe les modalités selon lesquelles la Commission peut être saisie d'une concentration ayant des effets transfrontaliers sans être de dimension communautaire avant que les entreprises concernées ne la notifient aux Etats membres.

20 () Il s'agit de remarques ayant seulement une valeur indicative, situées en bas de page des documents du groupe de travail du Conseil, mais qui, dans le cas d'un texte devant être adopté à l'unanimité, peuvent néanmoins revêtir de l'importance.

21 () Décision de la Commission du 24 avril 1996, affaire IV/M.619, Gencor/Lourbo, JOCE n° L11 du 14 janvier 1997, p. 30, paragraphe 41.

22 () Substantive criteria used for the assessment of mergers (critères de fond utilisés pour l'appréciation des concentrations), Colloque de l'OCDE du 11 février 2003, p. 346.

23 () Laurence Idot, La politique communautaire de concurrence sous les feux de l'actualité, Europe, n° 12, décembre 2002.

24 () Cette mesure a été préconisée par les autorités françaises dans le Livre vert.

25 () Exposé des motifs.

26 () Aux termes de cette disposition : « Les concentrations qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun. »

27 () Entretien avec Le Monde, 14 octobre 2003.

28 () Dans ce même entretien, il dit, en effet : « Telle que je la vois, la politique de la concurrence est un élément clé mais pas le seul d'une politique en faveur de la croissance industrielle ».

29 () M. Grégoire Biseau, Le fantasme d'un pays sans usine, Libération, 8 octobre 2003.

30 () Le paragraphe 3 de l'article 81 du traité permet en effet de déclarer compatibles avec le marché commun « toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. »

31 () Article L430-6, premier alinéa, du code de commerce précité.

32 () Entretien avec les Petites Affiches, 5 novembre 2001.

33 () Projet de communication relative à l'appréciation des concentrations horizontales.

34 () Par ex. TPI T-7/89 Hercules v. Commission.

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