COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 16

Jeudi 6 avril 2006
(Séance de 9 h 30)

12/03/95

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

SOMMAIRE

 

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Auditions sur la tarification à l'activité dans les établissements de santé :

 

- M. Philippe Ritter, directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de l'Île-de-France, et M. Michel Ballereau, directeur de l'ARH de Bourgogne

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- M. Paul Castel, président de la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, et M. Angel Piquemal, président de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

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- Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Philippe Ritter, directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de l'Île-de-France, et M. Michel Ballereau, directeur de l'ARH de Bourgogne.

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Philippe Ritter, directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation de l'Île-de-France, et à M. Michel Ballereau, directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation de Bourgogne.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Comme vous le savez, notre mission consacre ses travaux actuels à la la tarification à l'activité. Nous vous entendrons avec intérêt nous présenter vos agences respectives et nous dire ce que vous attendez du nouveau dispositif.

M. Philippe Ritter : Le budget de l'agence régionale de l'hospitalisation de l'Île-de-France, ou ARHIF, représente 21 % des dépenses hospitalières françaises pour 375 établissements, y compris l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dont le seul budget équivaut à celui de l'ARH de la région Rhône-Alpes. Le poids des établissements privés non lucratifs est particulièrement fort en Île-de-France, qui en compte 138. Entrent aussi dans le périmètre de l'ARHIF trois centres de lutte contre le cancer, une bonne soixantaine d'établissements publics et 170 établissements privés sous contrat. En 2005, le financement par l'assurance maladie s'est élevé à près de 12 milliards d'euros, répartis entre l'AP-HP pour 4,5 milliards d'euros, les établissements antérieurement sous dotation globale pour 5,6 milliards d'euros et les établissements privés sous contrat pour 1,7 milliard d'euros, hors honoraires. Une des particularités de l'ARHIF est que l'AP-HP ne relève d'elle que pour la planification, et d'un conseil de tutelle ministériel pour les aspects financiers.

Certains établissements de la région gagnent à la tarification à l'activité, mais ils sont 60 % à y perdre, en raison de surcoûts structurels qui se traduisent par un écart de 11 % par rapport à la moyenne nationale. Pour tenir compte de ces surcoûts spécifiques, un coefficient correcteur géographique a été prévu dans le cadre de la tarification à l'activité, mais il est de 7 %. Un effort de productivité est donc demandé aux établissements et des mesures importantes ont été prises en ce sens. Il le fallait, puisque les gains de productivité nécessaires seront de 50 millions d'euros avec la T2A appliquée à 50 % comme il est prévu qu'elle le soit en 2008, et de 90 millions d'euros avec une tarification à l'activité appliquée à 100 %.

De plus, un nombre important de nos établissements, parce qu'ils sont en report de charges, sont contraints à un effort de retour à l'équilibre pour résorber ce déficit et devenir plus compétitifs. Dans ce domaine, l'effort devra être de 150 millions d'euros. À cela s'ajoute l'effet du plan d'économie de l'assurance maladie pour 2006, qui fait que le taux de progression de la dotation des établissements de médecine, chirurgie, obstétrique sera proche de zéro cette année. Vous l'aurez compris, la situation s'est tendue dans nombre d'hôpitaux de la région.

Des contrats de retour à l'équilibre financier, les CREF, ont été définis pour une trentaine d'établissements, souvent parmi les plus gros, qui connaissaient une situation particulièrement difficile. En contrepartie des gains de productivité qui leur sont demandés, l'ARHIF leur accorde un soutien pendant deux ou trois ans. À l'issue de cette période, les efforts de productivité, et parfois l'accroissement de l'activité, devront avoir permis le retour à l'équilibre.

M. Pierre Morange, coprésident : J'admire la diplomatie toute en retenue avec laquelle ces choses ont été dites. Le calendrier de la réforme vous paraît-il réalisable ?

M. Philippe Ritter : L'objectif est certes ambitieux, mais que l'on veuille bien se rappeler que l'AP-HP, qui présentait un grave déficit il y quelques années, a mis au point un plan de redressement prévu pour s'achever fin 2005, et annonce avoir atteint l'équilibre. La situation des établissements qui sont hors du périmètre de l'AP-HP et qui, pour certains, ont bénéficié de CREF, est contrastée. Les hôpitaux Foch, Saint-Joseph et l'Institut Gustave Roussy sont très fortement déficitaires et leur retour à l'équilibre passe par des plans sociaux assez importants, qui demandent du temps. D'une manière générale, le retour à l'équilibre est plus avancé pour les établissements publics que pour les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH). La majeure partie de la trentaine d'établissements mentionnés respectent les engagements souscrits. Il en est toutefois qui, tels l'hôpital de Poissy-Saint-Germain ou celui du Sud francilien, sont plutôt en retard et devront faire des efforts de productivité soutenus cette année et pendant les deux années à venir.

M. Pierre Morange, coprésident : Je salue l'arrivée de M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Michel Ballereau : Avec une superficie équivalente à celle de la Belgique, la Bourgogne compte 1,6 million d'habitants inégalement répartis entre un axe Nord-Sud normalement peuplé et le Morvan. L'état de santé moyen de la population est bon, mais l'on constate de fortes disparités. Le budget annuel total de l'ARH est de 1,35 milliard d'euros, ce qui correspond à celui des Hospices civils de Lyon. Un quart de ce budget va au centre hospitalo-universitaire (CHU), le reste est ventilé entre cent établissements, dont 65 établissements publics. Le déficit cumulé était de 75 millions d'euros fin 2005.

Aucun établissement public bourguignon ne perd à la tarification à l'activité, mais certains y gagnent et quelques-uns y gagnent beaucoup. L'hôpital de Mâcon est celui qui y gagne le plus : 24 millions d'euros, à rapporter à un budget de 150 millions. Il reste à déterminer s'il s'agit d'un gain net ou si cette évolution reflète une sous-dotation antérieure. Dans le secteur privé, certains établissements gagent à la réforme, d'autres y perdent.

La tarification à l'activité est à la fois un outil de financement des établissements de santé et un outil de gestion. Mais bien que la notion de tarif national uniforme soit très bien reçue, l'application de la réforme suppose une sorte de révolution culturelle dans les établissements. Jusqu'à présent, on additionnait les dépenses jugées nécessaires, que l'on cherchait ensuite à financer par des subventions. Le nouveau dispositif est tout autre, puisque l'on part des besoins. Autant dire que la réforme ne peut se faire qu'en lien avec les schémas régionaux de l'organisation des soins.

L'application de la T2A permet de se poser des questions de fond, la première étant de savoir quel gain ou quelle perte elle induit, et pourquoi. C'est aussi un instrument de mesure de satisfaction : les patients choisissent-ils un établissement plutôt qu'un autre ? Les médecins adressent-ils les malades à un hôpital donné et si oui, pourquoi ? C'est encore un outil d'analyse par pôles, ce qui suppose une comptabilité analytique ; mais l'établissement en a-t-il une et si c'est le cas, avec quel résultat ? La tarification à l'activité est donc indissociable d'autres éléments de la réforme de l'hôpital, dont on sait les contraintes de management. Le nouveau dispositif suppose que l'on passe de l'esprit d'établissement, où l'on part des dépenses, à l'esprit d'entreprise, où l'on part des besoins. Cette évolution doit être liée à une réforme de la gouvernance associant les médecins à l'élaboration du projet d'établissement. Mais l'application de la réforme connaît des difficultés qui tiennent pour partie à ce que les directeurs d'hôpitaux, tous formés à la même école, issus du même sérail et soumis au même statut, tendent à faire persister l'esprit de corps.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai retenu de vos propos que la tarification à l'activité est une réforme positive car elle permet l'accroissement des ressources, mais que la nouvelle gouvernance, souhaitable, n'est pas encore entrée dans les mœurs, et que le nouveau dipositif n'est pas encore pleinement opérationnel. La mise à disposition de ressources accrues se traduira-t-elle par l'amélioration de la productivité et par des réformes structurelles telles que le redéploiement de personnels et de services ?

M. Michel Ballereau : Oui. Nous travaillons actuellement au retour à l'équilibre des établissements qui sont en report de charges, ce qui passera notamment par la réduction de la masse salariale dans certains hôpitaux. Mais la « révolution culturelle », à laquelle je faisais allusion, a déjà eu lieu dans certains établissements qui, tels le centre hospitalier d'Auxerre, peuvent utiliser les gains qu'ils ont réalisés pour recruter. J'observe que ce que l'on appelle « reports de charges » en langage hospitalier se dit « déficit » partout ailleurs et qu'un déficit de 75 millions d'euros sur un budget total de 1,35 milliard doit être résorbé. Mais l'on en revient au problème déjà évoqué de l'endogamie des directeurs d'établissement. Notre objectif est que la moitié au moins des établissements bourguignons soient à l'équilibre mais, pour les raisons exposées par M. Ritter, il sera très difficile à atteindre.

M. Jean-Michel Dubernard : Je ne peux manquer de m'interroger sur la lenteur des réformes structurelles de l'hôpital public. Autrefois, à chaque exercice budgétaire, on partait d'une base 100, on estimait l'inflation à 7 %, on évaluait à 17 % les dépenses d'investissement, et le prix de journée passait mécaniquement à 124, sans qu'aucune décision de gestion n'ait été prise. Quand on s'est avisé que de très importantes économies étaient possibles, on a institué la dotation globale, laquelle, si je puis me permettre, s'est fait un très bel « endo-croche-pied », rendant nécessaire la tarification à l'activité. Mais, au moment où l'on a institué la dotation globale, on a aussi défini le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et investi des sommes gigantesques pour sa réalisation, sans que l'évolution ne se fasse plus rapide. Ni M. Claude Évin en 1991, ni M. Alain Juppé en 1996, n'ont rien pu y faire. À présent, les pôles d'activité se mettent en place avec une infinie lenteur, ce qui ne respecte pas l'esprit de la loi. Pourquoi cette lenteur ? N'est-ce pas faute d'autorité médicale dans les établissements, ce qui a aussi pour conséquence l'effarante baisse de la qualité du système hospitalier public français ? Vous avez raison de parler de l'endogamie du corps des directeurs. Comment, alors, stimuler le système sinon en réformant l'organisation interne des établissements ? En mars 2003, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales avait confié à M. René Couanau l'élaboration d'un rapport d'information à ce sujet. En le présentant, il avait parlé de « désenchantement ». C'est de désespérance qu'il faudrait parler maintenant. Il y a vraiment de quoi s'inquiéter de constater que, dans un effort sans précédent, dix milliards ont été mis sur la table sans que cela n'ait d'effet immédiat sur la qualité de soins. Et pourquoi ne jamais comparer avec ce qui se fait à l'étranger ? Pour aller de l'avant, il faut repenser l'organisation interne des hôpitaux. Les ARH ont déjà beaucoup apporté, elles doivent persister.

M. Michel Ballereau : Je partage ce point de vue. Il faut sortir de la monoculture actuelle et ouvrir la direction des hôpitaux à d'autres que les directeurs actuels. Diriger un hôpital est un métier difficile, mais c'est aussi un métier où l'immobilisme est possible. Actuellement, un directeur peut demeurer au même poste pendant vingt ans, ce qui ne me paraît pas compatible avec un mode d'administration moderne. Le ministère de la santé doit s'occuper de la gestion des ressources humaines et le fait que les directeurs d'hôpitaux sont logés devrait aider à la mobilité. Il faut, par ailleurs, donner des lignes de conduite claires - par exemple, savoir quel sera le taux de T2A l'an prochain facilite la gestion. La comparaison avec ce qui se passe à l'étranger montre que les tarifs baisseront, puisque cela a été le cas partout où un dispositif similaire a été institué, mais une lisibilité à deux ans au moins est nécessaire.

C'est une bonne chose d'associer les médecins à la marche générale de l'établissement. À ce sujet, les situations sont très variables ; certains hôpitaux ont évolué, mais sur ce point aussi, l'immobilisme peut prévaloir ailleurs. Comme dans toute entreprise, il est indispensable de préserver le moral des personnels des hôpitaux. Cela suppose de dire clairement qu'ils ont deux missions, et deux missions seulement : garantir la qualité de l'offre de soins et contribuer à la maîtrise des dépenses de santé. Cela suppose aussi que leurs efforts se traduisent par des marges de manœuvre supplémentaires.

M. Jean-Michel Dubernard : Mais comment améliorer l'organisation interne de l'hôpital public ?

M. Michel Ballereau : Nous disposons pour cela de deux instruments : les ARH et les schémas régionaux de l'organisation sanitaire (SROS). Si les résultats sont bons, on laisse les établissements œuvrer ; s'ils ne le sont pas, la tarification à l'activité permet d'analyser les déséquilibres et d'y remédier en faisant évoluer les pratiques et les processus.

M. Pierre Morange, coprésident : Au-delà des grandes réformes verticales, le nœud gordien est l'optimisation des moyens par l'organisation du travail. Qu'en est-il, à ce sujet, de la généralisation des expérimentations portant sur l'amélioration de la productivité des services et de la qualité des soins, conduites avec succès par la mission nationale d'expertise et d'audit hospitaliers, la MEAH ?

M. Michel Ballereau : La MEAH devrait gagner en notoriété, car son rôle d'appui dans la mise en œuvre de la réforme est méconnu ; toutefois, son image a quelque peu pâti de la circulaire « achats ». Des expériences réussies ont eu lieu en Bourgogne, mais elles sont loin d'être encore généralisées. Pour ce qui nous concerne, nous considérons que, soit tous les indicateurs sont au vert et les établissements poursuivent leurs mission de manière autonome avec un contrôle a posteriori, soit la tarification à l'activité révèle des difficultés globales ou sectorielles, et des missions conjointes ARH-DHOS s'emploient à les résorber. Nous réalisons aussi des audits sur site avec la trésorerie générale.

M. Pierre Morange, coprésident : Que penseriez-vous d'une évolution législative tendant à une meilleure articulation entre assurance maladie et ARH pour généraliser les bonnes pratiques et pour contractualiser, afin qu'une part des gains de productivité soit affectée au budget des établissements concernés ?

M. Michel Ballereau : L'important est de savoir ce que l'on attend d'une institution, et de quelle institution. En matière de santé - domaine particulier qui associe utilisation importante des ressources publiques, politique et technicité - une administration de spécialité a tout son sens. Mais, au fil des réformes, les approches varient et il est parfois difficile d'y voir clair. L'accent est parfois mis sur les ARH, parfois sur l'assurance maladie... mais qu'en est-il alors des services de l'État ? Parfois, la symétrie manque entre l'assurance maladie et l'État. Or, si l'on souhaite restructurer, les choses doivent être claires pour ces divers interlocuteurs et, qu'il s'agisse des services de l'État ou de ceux de l'assurance maladie, tous doivent savoir qu'ils interviennent au titre de l'ARH. Tout le monde doit être conscient de l'obligation de réussite, y compris au niveau national, car l'enjeu est considérable.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pourriez-vous nous dire plus précisément qui pilote la réforme en Bourgogne ?

M. Michel Ballereau : Lors de mon arrivée, j'ai indiqué que tous les contrats, qu'ils portent sur le bon usage du médicament, sur l'antibiothérapie ou sur la gestion des prescritions de médecine de ville, entrent dans le cadre de l'ARH.

M. Philippe Ritter : M. Jean-Michel Dubernard se demande pourquoi on n'avance pas plus vite dans les hôpitaux publics. Tout d'abord, on a en général demandé aux directeurs de ne pas faire de vagues plutôt que de faire évoluer l'organisation. Par ailleurs, les sanctions faisaient défaut. Dans le privé lucratif, en cas de déficit prolongé, le dépôt de bilan ne se fait pas attendre. Dans les établissements participant au service public hospitalier, un commissaire aux comptes peut mettre en œuvre une procédure d'alerte, et on peut passer à la phase du règlement judiciaire. On n'a pas souvent, en France, fermé un établissement public parce qu'il n'était pas en équilibre budgétaire.

Certes, le plan global de M. Jean-François Mattéi comportait des éléments nouveaux. Le directeur d'agence peut ainsi évaluer les directeurs d'établissement, ce qui n'était pas le cas jusqu'à l'an dernier.

De surcroît, la tarification à l'activité a eu le mérite de responsabiliser les établissements, quel que soit leur statut, et des dispositifs de mise en demeure, voire d'administration provisoire, sont prévus pour les établissements publics s'ils ne sont pas en état de gérer convenablement. L'introduction d'un certain nombre de réformes dans leur gestion responsabilise les établissements publics, et nous permettra de les obliger à mettre en œuvre des mesures nécessaires, qui ont été jusqu'à présent plutôt éludées, car l'habitude, en fin d'année, était plutôt de tendre la sébile que de prendre les problèmes à bras-le-corps. Au travers de la mise en œuvre de la T2A, la donne a donc changé.

Par ailleurs, dans le cadre des SROS 3, en tout cas pour l'Île-de-France, nous sommes passés d'une approche quantitative à des SROS beaucoup plus organisationnels : organisation interne aux établissements certes, mais surtout organisation entre établissements, dans le cadre des territoires. L'approche est également plus qualitative - qualité des soins, sécurité -, ce qui se concrétisera dans la contractualisation avec les établissements que nous allons mener prochainement.

Le travail de l'Agence évolue considérablement par rapport aux tâches fixées par l'ordonnance de 1996. Elle aura moins un rôle de tutelle - donner des autorisations, vérifier la régularité des décisions - qu'un rôle de suivi et d'accompagnement des établissements dans le changement, ainsi que d'évaluation du respect de leurs engagements. Nous réorganisons complètement l'agence, afin aussi d'être capables de redresser la situation le cas échéant.

En Île-de-France, nous avons essayé d'anticiper. Il y a dix-huit mois, nous avons mis en place un centre régional de ressources associant les établissements, afin de mutualiser les expériences positives en termes de management, de gestion. Depuis un an, les échanges entre établissements leur ont permis de s'inspirer des expériences réussies, en anticipant sur les initiatives de la MEAH, sur un plan sans doute plus pragmatique. La MEAH a eu tendance, dans un premier temps, à fixer des règles nationales, ou à donner des leçons sur un plan national. Pour que les leçons servent, elles doivent être assimilées, partagées, et il est plus facile de demander au DRH, au directeur financier ou au directeur technique de l'établissement de se réunir et d'échanger sur leurs expériences, que de fournir des recettes toutes cuites, rarement adaptées à la réalité d'un établissement particulier.

Nous avons aussi incité les établissements à développer et à homogénéiser leurs systèmes d'information, puisque cela devient un élément important dans le cadre de la tarification à l'activité, et dans la perspective du dossier médical partagé.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez raison, l'efficacité passe par l'expérimentation sur le terrain, plus que par des règles générales un peu trop théoriques. Justement, quel est le taux de diffusion de ces expérimentations réussies sur le parc hospitalier ?

M. Philippe Ritter : Nous ne sommes qu'aux débuts d'une expérience, d'une nouvelle culture. Mais les résultats sont encourageants, surtout dans une région comme l'Île-de-France, qui connaît des surcoûts structurels et des établissements plutôt immobilistes. Le choc de la T2A a été salutaire et leur a permis de s'engager dans un processus d'évolution, de changement. Certains établissements franciliens ont profondément bouleversé en deux ans leur mode de gestion et leur appréhension des problèmes d'organisation et de productivité, qui n'est plus un terme tabou. J'essaie de faire passer le message selon lequel il n'est pas indécent de bien utiliser l'argent public. La prise de conscience se généralise, et plus rapidement que je ne l'aurais pensé.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourrez-vous nous transmettre une note sur les expérimentations réussies, la diffusion des bonnes pratiques et les moyens de les généraliser ?

M. Jean-Michel Dubernard : La T2A a le mérite de permettre d'aborder tous les aspects du fonctionnement de l'hôpital. Je ne connais pas de parlementaire, de directeur d'hôpital, de médecin hospitalier qui pense que la création des ARH est une erreur colossale. Au contraire, tout le monde se félicite de leur existence.

Par ailleurs, je m'interroge sur la notion de qualité, qui doit être mieux mesurée. J'ai tendance à considérer qu'elle baisse, pas partout, mais de façon globale. Les indicateurs sont rares et difficiles à analyser. Autrefois, on se basait sur la qualité de l'accueil, et j'avais écrit un livre, il y a dix ans, qui s'intitulait « L'Hôpital a oublié l'homme ». Aujourd'hui, ce serait encore pire.

La T2A permet de se pencher sur la question des urgences. Comment se fait-il que l'on ne réussisse pas à réformer dans ce domaine ? Douze millions de Français chaque année se rendent aux urgences, où la durée d'attente est passée de 3 heures 58 en moyenne à 3 heures 52 ! On a gagné six minutes !

Et quand on pose la question à l'Assemblée, on s'entend répondre que ce serait de la faute du privé, des médecins de ville qui ne font plus leur travail, qui préfèrent fumer des cigarettes le samedi et le dimanche, et ne veulent plus travailler la nuit. Ce serait aussi de la faute des patients qui attendent, et la Fédération hospitalière de France mène une campagne contre les incivilités aux urgences. C'est vrai que, si le privé prenait tout en charge et que les patients ne venaient pas à l'hôpital, les choses seraient beaucoup plus simples ! Là encore, on ne voit pas de solution pour améliorer la situation.

Le Conseil économique et social a eu beau produire trois rapports en quinze ans, rien n'avance.

Nous sommes incapables de nous réformer, d'évoluer !

La durée moyenne de vie d'un hôpital aux États-Unis est de vingt-cinq ans ! En France, on fonctionne encore avec des Hôtels-Dieu qui ont trois ou quatre siècles ! J'ai travaillé à Boston dans un hôpital qui a été rasé en 1970 pour en construire un autre, rasé à nouveau en 2002 pour adapter l'hôpital aux besoins des malades et aux progrès de la médecine.

Vous, vous êtes au cœur de la question, mais vous ne devez pas vous contenter de regarder les choses par le haut, vous devez les regarder aussi par en bas, car c'est ce qui se passe au niveau du terrain, au niveau de la région, qui permettra d'avancer.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pouvez-vous nous dire sur l'articulation avec l'assurance maladie ? Sur les plans sociaux ?

M. Philippe Ritter : Les plans sociaux ne sont pas une fin en soi. La régulation des effectifs peut se faire dans certains établissements au fil des mouvements de personnels, des départs à la retraite, des mutations. C'est une procédure qui prend un peu plus de temps car on ne joue pas sur le stock existant. En Île-de-France, dans le secteur privé participant au service public hospitalier - PSPH -, les situations peuvent être tellement dégradées que les plans sociaux deviennent nécessaires. Ce fut le cas de plusieurs établissements importants et, parfois, dans des proportions conséquentes, puisque la réduction d'effectifs a pu concerner 15 % du personnel en place, et s'accompagner d'une réorganisation du travail. Ces réductions d'effectifs se sont traduites en général par le maintien ou l'augmentation de l'activité, ce qui montre que le gain de productivité est possible dans les établissements de santé, sans porter préjudice à la qualité. Ces établissements peuvent ainsi revenir à l'équilibre budgétaire malgré les contraintes actuelles.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel serait l'impact, par rapport à la masse globale ? 2 % ? 3 % ?

M. Philippe Ritter : C'est très variable. Dans les établissements où l'activité stagne, voire décline, il est évident que les effectifs devront être adaptés en conséquence, mais beaucoup d'établissements d'Île-de-France voient leur activité augmenter, et des effectifs stabilisés permettent une productivité plus importante si l'organisation est meilleure. Globalement, en Île-de-France, après la mise en œuvre de la réduction du temps de travail, qui a donné des moyens supplémentaires considérables pour augmenter les congés des personnels, nous avons finalement des effectifs relativement stables au niveau régional - environ 200 000 personnes, y compris les médecins.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Messieurs, nous vous remercions.

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La Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Paul Castel, président de la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires, accompagné par M. Jean-Pierre Dewitte, vice-président de la conférence et président de la commission des affaires financières, et M. Angel Piquemal, président de la conférence nationale des directeurs de centre hospitalier (CNDCH), accompagné par M. Jean Schmid, référent du bureau de la CNDCH pour la commission financement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Dans le cadre de nos travaux sur la tarification à l'activité, nous avons souhaité vous entendre. Peut-être souhaitez vous présenter quelques propos préliminaires ?

M. Paul Castel : La conférence des directeurs généraux de CHU, qui regroupe 31 établissements, soit environ 35 % de l'hospitalisation publique, se montre très favorable depuis plusieurs années à la mise en place de la tarification à l'activité et a formulé, il y a trois ans, des propositions précises en matière de réforme de la gouvernance.

Notre position n'a pas changé : nous restons attachés à la T2A et nous souhaitons même en accélérer le processus, même si nous devons vous faire part de fortes réserves techniques.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Quels avantages en attendiez-vous ?

M. Paul Castel : Nous souhaitions sortir d'un système distributif peu motivant, qui impliquait peu les acteurs hospitaliers, en particulier les médecins, en termes de production et de moyens. La dotation globale avait eu des résultats positifs en matière d'encadrement des dépenses, mais des effets négatifs dans la gestion de nos établissements. L'avantage corrélé était que cela s'inscrivait dans la réforme de la gouvernance qui donnait plus de réactivité et d'implication au corps médical, en partenariat avec les gestionnaires de l'établissement, dans l'évolution de l'établissement.

Il se produit malheureusement l'inverse de ce que l'on espérait, et la T2A évolue avec des effets pervers.

M. Angel Piquemal : Nous étions également favorables à la réforme de la tarification, autour de l'idée de la juste rémunération de nos activités, d'autant plus que le système de la dotation globale ne nous permettait pas d'atteindre cet objectif.

Cela étant, si la T2A est un outil important de la réforme, il n'est pas exclusif et doit être utilisé avec d'autres outils, sinon on lui demandera de remplir des objectifs qui ne sauraient être les siens. Ainsi, on ne peut pas travailler sur la T2A sans travailler sur la structuration de l'offre de soins, car il ne faut pas attendre de la T2A qu'elle structure l'offre de soins, ce serait trop risqué. Les SROS 3 peuvent y contribuer, mais il est important d'aller plus loin.

Nous devons par ailleurs travailler sur la qualité de nos prestations et l'évaluation des pratiques professionnelles.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Monsieur Castel, quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

M. Paul Castel : Elles sont nombreuses, et concernent d'abord le calendrier. Nous vous avions déjà alerté sur cette question lors du passage aux 25 % de tarification à l'activité, et la situation n'est pas meilleure aujourd'hui. Imaginez une campagne budgétaire non aboutie en mai, avec pour corollaire des plans de réorganisation, concernant 10 000 à 20 000 salariés et un budget d'un milliard d'euros : vous imaginez les conséquences...

Par ailleurs, je reste critique sur l'opacité des tarifs. Nous avons beau écrire depuis deux ans à des interlocuteurs tout à fait réactifs, tels que la DHOS ou le cabinet du ministre, nous n'arrivons pas à clarifier le mode de calcul des tarifs. Pourquoi varient-ils d'une année sur l'autre ? Quels sont les standards qui nous permettraient, dans les établissements, de nous adapter par rapport au volume des investissements ? Cette opacité est préjudiciable à la T2A.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avec qui un directeur de CHU discute-t-il ?

M. Paul Castel : Avec le directeur de l'ARH, mais il discute aussi beaucoup lors de nos conférences, dont l'une des missions premières est de nous réunir tous les mois pour faire le point. Nous avons treize commissions techniques, dont une commission financière présidée par M. Jean-Pierre Dewitte, et qui examine en détail ces problèmes. Ce sont les interlocuteurs des financiers de la DHOS et des autres services ministériels.

La montée en charge de la T2A est par ailleurs insuffisante.

Je ne suis pas favorable non plus au maintien des crédits fléchés. On arrive aujourd'hui à une situation où, en volume, dans la campagne budgétaire 2006, des réserves sont faites pour des crédits fléchés. On se retrouve, dans nos établissements, au moment où nous allons faire voter nos états prévisionnels de recettes et de dépenses, avec des pourcentages d'évolution bas, voire négatifs, alors que, parallèlement, des réserves sont constituées, sans transparence. C'est démotivant et ne permet pas une gestion budgétaire crédible et réactive.

M. Jean-Pierre Dewitte : Les parlementaires votent un objectif national de dépenses d'assurance maladie, et il y a ensuite une répartition entre les différentes enveloppes, ou pour satisfaire les différents établissements, qu'ils soient publics ou privés.

Dans ces sous-répartitions, certaines règles sont méconnues, comme le prélèvement à la source, ou l'application du plan d'économie, ce qui fait qu'à terme, cette enveloppe est déconnectée de la réalité. On le sait, un tarif n'est pas un coût, mais au départ, il y avait tout de même une échelle nationale de coûts. Un des intérêts de la tarification à l'activité était de mesurer si l'activité médico-économique d'un établissement avait un coût inférieur, supérieur ou équivalent à la moyenne des établissements. À partir du moment où la dissociation est de plus en plus forte entre le tarif et le coût, cela n'est pas compréhensible en interne pour le corps médical et ne permet pas de mettre en œuvre une comptabilité analytique précise par séjour. Les règles de formation de ces tarifs sont elles-mêmes opaques, sans parler du problème de la régulation prix-volume. Aujourd'hui, on ne sait pas quelles activités étaient à l'origine de l'augmentation du volume, et on ne sait pas comment est impactée la régulation.

Les enveloppes ciblées sont incompatibles avec la tarification à l'activité parce qu'elles dérégulent le système. Cette année, c'est particulièrement ubuesque.

Les espoirs des personnels sont aujourd'hui déçus, notamment en ce qui concerne la promotion de leurs activités, lorsqu'elles sont plus importantes ou faites à un coût inférieur au coût moyen.

M. Angel Piquemal : Il faut dissocier l'outil T2A de ce qui relève du plan d'économie ou du plan de maîtrise des dépenses d'assurance maladie. Il n'y a pas lieu de critiquer l'outil T2A pour ce qui ne relève pas de sa responsabilité. L'outil en lui-même est bon, même s'il est largement perfectible.

Par ailleurs, comment opérer la régulation du volume ? Il faut un système de régulation, mais lequel ? Comment le bâtir, et comment faire que les tarifs soient relativement stables et aient du sens ?

Pour les centres hospitaliers, se pose le problème de l'offre de soins. Certains établissements, dont l'activité est croissante et nécessite des moyens en augmentation, ne trouvent pas dans l'application de la réforme de la tarification les marges de manœuvre qu'ils escomptaient.

Il y a par ailleurs les établissements qui y perdent, mais pour des raisons variables. Il peut ainsi arriver que les activités ne correspondent plus aux besoins de la population du territoire qu'ils desservent. Ces activités sont déficitaires, et nous sommes donc obligés, pour préserver l'équilibre budgétaire de ces établissements, tant que la restructuration de l'offre n'est pas faite, d'allouer des crédits. C'est un véritable problème.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : À quel pourcentage les estimez-vous ?

M. Angel Piquemal : Il est impossible d'estimer. On essaie d'évaluer les sites.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous êtes-vous auto-saisis du sujet, ou est-ce une commande du ministère ?

M. Angel Piquemal : Nous nous sommes auto-saisis.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est une démarche intéressante. Et vous ne pouvez pas nous dire s'il s'agit, par exemple, de plus ou de moins de 5 % ?

M. Angel Piquemal : Je pense que dans certaines régions, on peut atteindre les 10 %.

M. Pierre Morange, coprésident : Et sur l'ensemble du parc hospitalier ?

M. Angel Piquemal : C'est très difficile à évaluer. On tourne vraisemblablement autour de 5 %.

M. Pierre Morange, coprésident : Cet avis est-il partagé ?

M. Paul Castel : Sur la question des pourcentages, je ne peux pas m'avancer, mais je partage l'analyse qui est faite sur la restructuration territoriale et ses incidences sur les volumes financiers, les volumes de lits....

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous entamé la même démarche ?

M. Paul Castel : Pour nous, c'est plus facile, parce que nous sommes 31. Depuis deux ans, nous menons une démarche de maillage interrégional entre les CHU. Nous constituons des groupements de coopération sanitaire. Celui de la région Nord fonctionne bien, un autre est en cours de constitution dans le grand Est...On travaille de façon à répartir les activités entre nous. Nous avons cette démarche, mais elle est plus facile à gérer à 31 que sur le volume des centres hospitaliers.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La tarification à l'activité a-t-elle révélé la nécessité de coopérations nouvelles ?

M. Angel Piquemal : Oui. La réforme a notamment fait naître des perspectives de coopération entre secteur public et secteur privé.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est le nombre de centres hospitaliers en France et de combien de lits disposent-ils ?

M. Angel Piquemal : Il y a 450 centres hospitaliers.

M. Jean Schmid : Et environ 300 000 lits.

M. Pierre Morange, coprésident : Le rapprochement entre ces 300 000 lits et les 5 % précédemment évoqués donne un ordre de grandeur intéressant.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous considérez que le calendrier de mise en œuvre de la tarification à l'activité devrait être accéléré. Les auteurs d'un rapport conjoint de l'IGAS et de l'inspection des finances pensent, eux, que l'on va trop vite. Selon vous, le passage à l'EPRD sera-t-il possible partout ?

M. Jean-Pierre Dewitte : Le problème ne tient pas au rythme, mais à la régulation. Il faut, certes, une période d'adaptation mais, actuellement, nous sommes toujours sous le régime de la dotation globale pour 65 % de notre budget. Si l'on est favorable au principe de la tarification à l'activité, mais qu'après avoir dépensé 100 on ne récupère que 35, cela ne va pas. Le secteur privé réagit beaucoup plus vite que nous, parce qu'il est sous le régime de la tarification à l'activité à 100 %. C'est ce qui lui a permis de s'engager dans l'hospitalisation à domicile dès 2005, ce que nous ne pouvons faire que depuis cette année, parce que la T2A nous le permet désormais. On ne peut demeurer ainsi au milieu du gué pendant encore cinq ou six ans. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'accélération du calendrier, tout en sachant que la T2A crééera des difficultés dans certains cas.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand devrait-on, dans l'idéal, parvenir à 100 % ?

M. Jean-Pierre Dewitte : En premier lieu, nous insistons pour que la tarification demeure limitée à la pathologie.

M. Paul Castel : Nous avons demandé une montée en puissance beaucoup plus rapide que prévue, avec une tarification à l'activité à 50 % cette année et à 100 % en 2008/2009.

M. Jean-Pierre Dewitte : Ce qui suppose des mesures d'accompagnement pour certains établissements.

M. Paul Castel : J'ajoute qu'une approche circonscrite à la seule tarification à l'activité ne peut convenir. L'absence actuelle de transparence des tarifs porte préjudice au dispositif. Lorsqu'on demande aux personnels de travailller beaucoup plus pour accroître les recettes, ils nous demandent pourquoi. L'accélération de l'application de la T2A doit s'accompagner de pré-requis techniques.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous validez donc le dispositif, mais vous souhaitez aussi une réforme de la gouvernance. Comme d'autres personnes auditionnées, les directeurs d'ARH que nous avons entendus estiment que cette réforme passe par la transformation des méthodes de travail. Le fait que des expérimentations aient permis d'accroître la productivité de 30 % plaide en ce sens. Pourquoi ces bonnes pratiques ne sont-elles pas généralisées ?

M. Jean-Pierre Dewitte : L'hospitalisation à domicile et la chirurgie ambulatoire sont insuffisamment développées à l'hôpital public. On aurait pu penser que la tarification à l'activité permettrait leur développement mais, en l'état, nous n'avons aucun intérêt à le faire.

M. Pierre Morange, coprésident : Autrement dit, la T2A n'est pas assez incitative. Mais n'est-il pas troublant de constater que le partage entre chirurgie classique et chirurgie ambulatoire est de 30/70 à l'étranger et que les proportions sont inverses en France ? Pourquoi avoir attendu l'institution de la tarification à l'activité pour s'interroger, quand on sait depuis vingt ans qu'en développant l'ambulatoire on répondrait aux besoins ?

M. Paul Castel : Cela s'explique d'abord par une question de culture et d'enseignement médicaux, mais ce n'est pas tout. Passer à la chirurgie ambulatoire suppose de reconfigurer les plateaux techniques et les services. Le plan Hôpital 2007 donne un coup d'accélérateur mais, il y a quatre ans, nous avions rédigé un Livre blanc pour signaler l'obsolescence criante des plateaux de chirurgie en CHU. La réforme des pratiques suppose aussi des investissements.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Cela signifie-t-il que le passage à une proportion plus forte de chirurgie ambulatoire se traduira par des fermetures de lits ?

M. Jean-Pierre Dewitte : Non, mais il faut mettre au point une organisation complètement différente de la prise en charge, dans un cadre nouveau. Le plan Hôpital 2007 le permet mais si, ce faisant, un établissement perdait 65 % du tarif, pourquoi le ferait-il ?

M. Angel Piquemal : Les freins sont divers. Il y a d'abord la nature des rapports entre les institutions, car on en vient maintenant seulement à la signature d'engagements contractualisés forts avec les ARH. Se pose ensuite le problème de la contractualisation avec les praticiens, qui viennent travailler à l'hôpital sans engagement formalisé ni sur les activités, ni sur le respect des orientations, ni sur l'adhésion à un projet d'établissement. Il y a enfin l'insuffisance de l'évaluation des pratiques professionnelles ; or, si l'on ne s'interroge pas sur ce que l'on fait, on n'a aucune raison d'aller voir ce qui se fait ailleurs. À cet égard, évaluer sa pratique au regard d'indicateurs régionaux ou nationaux est à la fois dérangeant et stimulant. Au-delà de la procédure d'accréditation, la Haute Autorité de santé doit donc s'engager plus fortement en faveur de l'évaluation des pratiques professionnelles, qui a une portée politique. Il y a là un terreau insuffisamment exploité.

M. Jean Schmid : La réforme, radicale et bouleversante, a suscité un immense espoir. Après avoir fini par admettre, difficilement, que la santé, si elle n'a pas de prix, a un coût, les personnels hospitaliers s'y sont faits. À présent, tout le monde est favorable à la tarification à l'activité, mais il ne faut pas poursuivre sur la pente actuelle au risque de faire tout capoter. La réforme peut aussi réussir, car ce sont bien les pratiques qui constituent les coûts et qui, donc, conditionneront le succès. Pour autant, si l'ONDAM doit être respecté, tout dépend de la manière dont l'enveloppe globale est ventilée. Si la réduction d'une fracture des os de la jambe coûte 3 000 euros, mais que le tarif est fixé à 2 000 euros, plus le chirurgien travaillera à réparer tibias et péronés cassés et plus il coûtera au budget de l'établissement, ce qui est inacceptable. Voilà pourquoi il faut pousser la réforme à son terme tout en évaluant plus systématiquement les pratiques professionnelles. À ce jour, chacun peut faire comme il l'entend et contribuer ou non à abaisser les coûts. La tarification à l'activité a donc ses limites, et ce n'est qu'un outil parmi d'autres. Il serait par ailleurs catastrophique qu'elle conduise à une multiplication artificielle des activités uniquement conçue pour générer des recettes. Enfin, on a peu progressé en matière d'équité territoriale dans l'accès aux soins et la population commence à être sensible à cette question. Pourquoi de tels écarts, à impôts égaux ? Or, la régulation prix-volume actuelle ne permet pas de progrès et les SROS ne permettront pas de rééquilibrer l'offre de manière satisfaisante, ce qui est inacceptable.

M. Pierre Morange, coprésident : Cette situation, ancienne, résulte d'une absence de décisions. Nous avons pris acte que vous soutenez un dispositif qui, selon vos propres termes, « a suscité un immense espoir ».

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : La réforme est-elle diversement appliquée selon les régions ?

M. Angel Piquemal : Incontestablement.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Je vous serais reconnaissant de nous transmettre quelques exemples. Le temps nous manque pour poursuivre cette audition, que nous complèterons en vous adressant un questionnaire relatif aux systèmes d'information et aux MIGAC, les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, je vous remercie.

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagnée par M. David Schajer, directeur-adjoint chargé des finances à la direction économique et financière de l'AP-HP.

M. Pierre Morange, coprésident : Madame Rose-Marie Van Lerberghe, je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu'à M. David Schajer.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pourriez-vous, Madame la directrice générale, nous rappeler brièvement quelques données générales sur l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, nous dire ce que vous attendez de la tarification à l'activité et comment vous la mettez en œuvre ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui réunit 93 000 personnes dans 38 hôpitaux et groupes hospitaliers, en région parisienne, mais aussi, pour des raisons historiques, à Hendaye, Toulouse et Berck, perd considérablement à la réforme du financement. En effet, pour un budget global de 5,8 milliards d'euros et dans l'hypothèse d'une T2A à 100 %, l'écart de convergence, qui était déjà de 350 millions d'euros avec un coefficicent correcteur géographique de 10 %, est désormais de 420 millions d'euros, le coefficient étant passé à 7 %.

Cela étant, le passage à la tarification à l'activité est une excellente occasion de moderniser l'hôpital tout en respectant ses missions de service public. Mon arrivée dans ce secteur est récente, mais j'ai été très frappée par le rythme d'évolution des besoins des personnes et du progrès médical. Autant dire qu'en santé publique, le sujet clé est l'allocation des moyens, qui doit permettre l'accès aux soins pour tous. La dotation globale, parce qu'elle figeait les situations, ne répondait plus aux besoins. Chaque établissement de l'AP-HP se considérait d'ailleurs mal doté, alors même que nous l'étions davantage que les autres. Un regard nouveau sur le rapport entre moyens alloués et service rendu était donc nécessaire, et la tarification à l'activité offre, en permanence, cette lisibilité accrue. Certes, dans l'ancien système, les points ISA donnaient des indications mais, à l'époque, le personnel récusait absolument cette approche, estimant que ces considérations ne le concernaient pas. C'est une très bonne chose que les groupes homogènes de séjour, les GHS, permettent d'établir des comparaisons et des références tout en préservant les missions de service public.

Nous sommes parvenus à modifier l'état d'esprit de la maison et les médecins qui prennent des responsabilités au sein de l'AP-HP sont tous très favorables à la T2A, grâce à laquelle on tient enfin compte de l'activité réelle. Jusqu'à présent, lorsqu'il fallait faire des économies, on nous demandait de limiter l'activité, ce qui était très choquant. Ce n'est plus le cas, et c'est pourquoi la nouvelle démarche correspond à l'état d'esprit des soignants. Le fait d'avoir placé les molécules onéreuses et les dispositifs médicaux implantables hors GHS et de les dire remboursables à 100 % signifie qu'il n'y aura pas de rationnement, ce qui est une excellente chose. De plus, le système est vertueux, car le remboursement à 100 % suppose la juste prescription. Comme nous avions déjà fait travailler les Collégiales sur le bon usage des médicaments et produits de santé - approche qui recueille l'assentiment sans réserve de l'ensemble des soignants - la mise en place des nouveaux dispositifs médicaux n'a pas eu d'effet inflationniste et si, en raison du progrès médical, ce poste connaît une augmentation importante, elle est moindre que précédemment.

Comme tout dispositif, la tarification à l'activité a néanmoins quelques effets pervers. Pour l'AP-HP, c'est le risque de sélection. Pour dire les choses crûment, la T2A ne doit pas avoir pour conséquence que les médecins refusent de prendre en charge les vieux et les pauvres. Mais cette considération n'était pas non plus absente du temps de la dotation globale. Nous avons pris les choses très au sérieux, et cela n'a pas eu lieu. On le constate, par exemple, en analysant de manière suivie le pourcentage de personnes âgées de plus de 75 ans dans la population prise en charge. Il faut toutefois prendre garde au risque d'éviction que la tarification à l'activité peut entraîner dans le service public de santé.

Le nouveau dispositif permet de disposer de l'équivalent d'un compte d'exploitation et donc de mesurer s'il est fait bon usage des deniers publics, mais tout dépend de la manière dont il est appliqué. Nous sommes un service public et, comme tel, nous devons accueillir tous les malades et former tous les médecins, mais le fait d'assurer toutes nos missions de service public ne nous interdit pas de jouer sur tous les leviers d'efficacité offerts par la T2A. À cette fin, il est capital de lier la tarification à l'activité à la réforme de la gouvernance et à la création des pôles.

Toutefois, le rythme d'évolution se heurte à la rigidité des organisations. Sait-on que l'on ne peut fermer un service qu'au départ à la retraite de son chef ? Et encore a-t-il souvent formé des élèves appelés à lui succéder... Médecins, techniciens, infirmières, administratifs constituent des corps extraordinairement cloisonnés, au point que l'on peut s'étonner que les choses ne marchent pas plus mal. Comment mettre fin à ce cloisonnement, alors que chacun a un sens aigü du service public, mais que sa vision n'est pas celle des autres, et que toutes ne sont pas spontanément convergentes ? Tout l'intérêt de la réforme hospitalière est de faire se confronter les points de vue dans chaque pôle et au conseil exécutif, à partir d'objectifs communs mesurables et mesurés, ceux-là même que la tarification à l'activité permet de définir objectivement. Nous avons, à cette fin, élaboré un tableau de bord mensuel destiné à notre conseil exécutif. Scindé en quatre cadrans - activité ; efficience ; attractivité, qualité, risques ; projets -, il permet de suivre l'évolution des indicateurs pertinents ventilés dans ces différents domaines. La tarification à l'activité est donc un levier, un outil au service d'un projet plus vaste, qui se met en place.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Que pensez-vous de la qualité de votre système d'information ? Jugez-vous le codage bien fait ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Cela fait longtemps qu'à l'AP-HP nous tenons une comptabilité analytique de très bonne qualité, mais nous n'en faisions malheureusement rien. Par ailleurs, le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), que le corps social AP-HP n'a pas vraiment apprécié dans un premier temps, s'était tout de même largement mis en place.

C'est vrai que nous nous demandons aujourd'hui comment mettre en regard l'aspect « contrôle de gestion » géré par la direction économique et financière et l'aspect « données du PMSI » géré par une autre direction.

Le vrai sujet est d'avoir un contrôle de gestion qui travaille étroitement avec le PMSI et le service de santé publique dans les hôpitaux.

On a beaucoup travaillé avec les médecins au sein du conseil exécutif sur le tableau de bord que je vous ai transmis, même si toutes les données ne sont pas encore renseignées. L'un des enjeux est le système d'information, et nous avons justement décidé, dans le cadre du plan stratégique, de moderniser notre système d'information. Nous venons de lancer des appels d'offres. La question clé de ce travail sera l'articulation entre le domaine « patients » qui récoltera les données médicales, et le programme de gestion intégrée (PGI) financier qui mettra en relation les dépenses et les recettes.

S'agissant du codage, j'étais préoccupée ces derniers mois par le fait que l'assurance maladie ne semblait pas déterminée à effectuer les contrôles nécessaires. C'est très important que le codage soit de très bonne qualité, qu'il n'y ait pas de sur-codage. Nous avons donc lancé un travail de contrôle en interne.

M. Pierre Morange, coprésident : Sur ce point, l'assurance maladie va s'investir au travers d'un redéploiement des effectifs du contrôle médical et se mobiliser sur le secteur de la médecine de ville, comme sur le secteur hospitalier.

Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la sixième chambre de la Cour des comptes : Vous nous avez donné le montant des écarts en début d'intervention, mais ces chiffres tiennent-ils compte des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC) ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : En 2004, l'écart entre le produit théorique de l'ensemble des tarifs en 100 % T2A avec la dotation historique était d'environ 350 millions d'euros avec un coefficient géographique de 10 % et de 420 millions d'euros avec un coefficient de 7 %. Début 2005, cet écart de convergence est passé à 300 millions d'euros. Ces 120 millions d'euros de différence sont dus pour moitié au plan d'économies structurelles auquel nous nous étions engagés vis-à-vis de l'État pour résorber notre déficit. Ce plan d'économies, jusqu'à présent, a porté uniquement sur les services supports - l'administration, la logistique - et les services médico-techniques, par exemple la biologie. Il était très important, à un moment où nous manquions d'infirmières, de ne pas toucher à la clinique, ce qui ne veut pas dire que la clinique ne doive faire aucun effort. L'idée est d'utiliser les écarts à la moyenne pour la réallocation des moyens sur de nouvelles activités. C'est comme cela que l'on a pu, dans certains hôpitaux, développer certaines activités, sans attendre les crédits fléchés du ministère.

L'écart de convergence constaté début 2004 tenait compte des MIGAC de l'époque. Il nous paraissait important, dans le même temps, d'utiliser la T2A comme élément d'efficacité. Nous avons tenu à documenter précisément les MIGAC et les missions d'enseignement, de recherche, de recours et d'innovation (MERRI), et à en calculer le coût. On l'a fait en 2004, en 2005. Il y a eu des progrès, puisque la liste, au moins des MIGAC, a été stabilisée, mais il reste beaucoup à faire. Aujourd'hui, on a simplement identifié les rubriques des MIGAC ; mais pour l'instant on a le coût brut, alors que la MIGAC pourrait aussi faire l'objet d'une démarche d'efficacité. Les MERRI sont forfaitaires, alors qu'elles pourraient être plus proches des réalités.

En 2006, l'augmentation de nos MIGAC a été assez faible.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous évoquiez, sur le plan des systèmes informatiques, un plan ambitieux pour moderniser le parc. L'assurance maladie a entamé une démarche similaire : travaillez-vous en coordination avec elle ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Il y a une partie commune, concernant le dossier médical partagé, pour permettre l'interopérabilité. Le reste, comme la gestion des rendez-vous, ne concerne pas vraiment l'assurance maladie.

Nous pourrions, en revanche, avancer sur le problème des nomenclatures et des référentiels, car nous aurions tous intérêt à adopter les mêmes référentiels.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez mené un certain nombre d'expérimentations, les plus récentes aux urgences de l'hôpital Beaujon, et vous avez démontré qu'il était possible en une dizaine de semaines, de réduire le temps d'attente de 5 heures 40 à 3 heures 45, grâce à une approche horizontale sur le terrain, et à une équipe de spécialistes accompagnant l'équipe médicale avec l'approbation des syndicats.

Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience réussie sur l'ensemble du parc hospitalier qui est sous votre domaine de compétence ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Il ne faut pas sous-estimer l'investissement que cela a représenté, et je ne pense pas que n'importe quel cabinet de consultant serait capable de réaliser un tel travail. Celui dont on parle est d'ailleurs très cher.

Par ailleurs, j'ai été très attentive à la méthode utilisée, car si le temps d'attente aux urgences et le temps d'attente pour obtenir un lit d'hospitalisation, se sont améliorés, ce qui est encore plus extraordinaire, c'est l'enthousiasme de tous les acteurs. Les médecins parlent eux-mêmes de tableaux de bord, à tel point que j'en suis venue à leur demander de m'assurer que ce n'était pas au détriment de la qualité !

Les syndicats, un peu suspicieux au départ, ont fini par se rallier, comme tout le monde.

Mais le prix à payer a été très lourd. Il a fallu passer beaucoup de temps avec les équipes. Des membres du cabinet sont venus, ont observé, ont fait partager à l'ensemble des équipes leurs observations. Ensuite, avec les équipes, ils ont conçu les organisations, et enfin, une fois que l'organisation a été pensée, ils les ont accompagnés dans la mise en œuvre.

Il serait urgent pour nous maintenant d'appliquer cette méthode au bloc opératoire, où tout le monde passe son temps à s'attendre, en faisant appel à un cabinet de cette envergure, mais en formant des gens de chez nous, pour ensuite diffuser les bonnes pratiques.

J'attends de la création des pôles des démarches de cet ordre, car les services sont de plus en plus petits, ils ne mutualisent pas, ils ne réfléchissent pas ensemble. Certains pôles commencent à réfléchir ensemble et ont même mutualisé l'hôpital de jour. Ils en sont aujourd'hui à se dire qu'il serait opportun de pouvoir l'ouvrir aussi le samedi matin. Au niveau de l'AP-HP, c'est une chose que nous ne pouvons pas imposer, alors qu'au niveau du pôle, les personnels se rendent compte des problèmes des patients, et on peut même faire du sur-mesure, avec des arrangements d'organisation, ce que, je le répète, nous ne pourrions pas imposer de notre niveau, notamment du fait de l'application de la RTT.

M. Pierre Morange, coprésident : On pourrait imaginer que ce soit un sujet de conversation avec M. Van Roekeghem.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Vous avez insisté sur le rôle de service public de l'AP-HP. Avez-vous des éléments permettant de chiffrer les surcoûts liés à l'accueil social ou à d'autres facteurs ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Les MIGAC et les MERRI permettent de chiffrer un certain nombre de choses, par exemple le coût de la formation, de la recherche, de la consultation de précarité, etc. En revanche, si l'on peut aujourd'hui coder la précarité, elle n'est pas « tarifante ». Du coup, les gens n'ont pas très envie de la coder. J'ai lancé un travail, dont je n'ai pas encore les résultats, pour mesurer l'impact de la précarité.

Par ailleurs, je rappelle qu'à l'hôpital public, on doit tout faire, des appendicites aux varices, parce que tout le monde ne peut pas aller faire soigner ses varices en clinique privée. Cette différence entre le public et le privé n'est aujourd'hui pas prise en compte.

M. David Schajer : Nous avons deux méthodes pour évaluer les missions d'intérêt général et notre spécificité de service public. Nous nous servons en général de la comptabilité analytique, ce qui est assez simple quand les unités sont entièrement affectées à ces missions. Quand ce n'est pas le cas, et que le calcul est plus compliqué, nous lançons des études pour évaluer les coûts, avant de les soumettre à l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) et d'en débattre.

Nous n'avons pas de réponse, à ce stade, sur tous les facteurs de surcoûts que nous avons pu identifier. Lors de la baisse du coefficient géographique, nous avons ainsi essayé de cerner un certain nombre de surcoûts spécifiques à l'AP-HP, liés soit à la proportion d'agents originaires des DOM et au volume de congés bonifiés, soit au volume des créances irrecouvrables, celles-ci étant supérieures à la moyenne nationale, soit encore à la proportion de praticiens attachés, dans la mesure où il y a plus de consultations à l'AP-HP qu'ailleurs....

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Ces consultations sont de deux sortes : celles requises par notre statut de CHU, mais aussi celles de proximité, du fait du manque de médecins conventionnés en région parisienne.

M. David Schajer : Sur ces éléments de surcoût que nous avons transmis à la DHOS, nous n'avons pas eu d'échange avec la tutelle qui nous permette de conclure.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Personnellement, je ne crois pas que le vrai sujet soit la convergence public-privé. Ce n'est pas une priorité, tant il y a à faire au sein du public. S'embarrasser de la dimension idéologique de la question est même contre-productif, car les comparaisons montrent que nous n'avons pas les mêmes missions, que le statut de la fonction publique est différent - il faut savoir que je ne peux même pas demander à un médecin de changer de lieu de travail. On sait bien que le privé a aussi ses contraintes, mais nous avons déjà assez à faire en matière de comparaisons internes pour ne pas prendre le risque d'obscurcir encore le débat.

Le vrai enjeu est d'appliquer cette comparaison en interne en regardant les coûts. C'est un travail énorme, qui n'a pas encore été fait, et la réforme dont je parlais va être très compliquée. L'idée est de réallouer les moyens au niveau du pôle. On garde les services, l'équipe médicale responsable des protocoles de prise en charge, mais les moyens, les lits, les infirmières etc...relèveront du pôle. Cela ne veut pas dire que les personnels se promèneront partout dans le pôle en permanence, mais on va mettre fin à un système où certains services hospitaliers sont en permanence débordés et d'autres moins, mais où ces derniers n'aideront pas les premiers de peur que l'on n'en déduise qu'ils ne servent pas à grand-chose.

Il s'agit aussi de réallouer les moyens au niveau de l'hôpital. Aujourd'hui, par exemple, on peut rencontrer des difficultés du fait du délai d'obtention d'une imagerie par résonance magnétique (IRM). Soit l'on fait ressortir le malade, ce qui n'est pas l'idéal, soit l'on allonge indûment la durée de séjour. Désormais, on va pouvoir mesurer objectivement, et le conseil exécutif pourra discuter pour dégager des moyens et trouver une solution. Les médecins adhèrent à cette méthode, l'un d'eux a même dit : « l'économique, c'est éthique ».

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avec qui faut-il discuter de la régulation prix-volumes ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : J'ai un peu de mal à voir la cohérence entre la T2A, qui suppose une régulation par le marché, et les objectifs quantifiés, qui procèdent plutôt d'une vision planificatrice. La régulation prix-volumes est essentielle et il n'est pas question de la remettre en cause, mais elle se fait au niveau national, et je ne vois pas comment on peut la concilier avec les objectifs quantifiés.

Quant aux relations avec les ARH et la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), je puis vous dire qu'elles sont excellentes avec M. Philippe Ritter et que nous nous voyons régulièrement, mais c'est, encore une fois, une question de bonne volonté des acteurs concernés.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Avez-vous des remarques à faire sur le rythme prévu pour la convergence ? Pensez-vous pouvoir le tenir ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Nous avons travaillé sur le plan stratégique en 2004 et en 2005, et nous nous sommes attachés à faire un cadrage financier, ce qui nous a permis de faire des choix. À chaque fois que nous avons envisagé des mesures nouvelles, nous avons pu en calculer le coût, et avoir une vision globale.

Nous avons retenu comme hypothèse d'atteindre, fin 2009, les 70 %. Ce n'était pas un souhait, mais une hypothèse. Je considère que je dois m'adapter aux règles, et je n'ai donc pas forcément d'avis.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Certains nous disent que c'est infaisable.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Ce n'est pas faisable très rapidement, mais si cela s'étale trop dans le temps, ce ne sera pas mieux. L'inconvénient pour le public d'une montée en charge progressive est que nous ne bénéficions pas de l'effet activité à 100 %, contrairement aux cliniques privées. Je considère d'ailleurs qu'il serait préférable que nous soyons traités de la même façon, surtout si l'État devait se ranger à une conception tarifaire des plans de santé publique. Je suis très mal à l'aise avec la logique de la T2A qui m'impose de toujours penser en termes de réallocation des moyens, et avec la logique des crédits fléchés de santé publique.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans esprit polémique, avez-vous l'intention de proposer une expérimentation similaire à celle menée à Beaujon, dans un autre service d'urgences d'un autre hôpital parisien célèbre, par exemple Saint-Antoine ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : J'ai des conversations très constructives avec la personne à laquelle nous pensons tous les deux. Sur les questions d'organisation, nous avons même un projet commun avec l'idée d'utiliser les temps morts pour des formations. De surcroît va arriver un nouveau chef de service qui aura certainement à cœur de revoir l'organisation.

Par ailleurs, je suis convaincue qu'aujourd'hui il y a assez de moyens dans les urgences, ce qui ne veut pas dire que le problème des urgences soit réglé.

Il y a aussi des problèmes d'allocation des moyens. Le vrai mérite de la T2A est de pouvoir mettre en évidence les moyens utilisés et les résultats, et ce n'est pas celui qui crie le plus fort qui obtient des moyens pas des canaux divers et variés.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Nous serions preneurs de toute remarque supplémentaire, notamment si vous avez des suggestions de simplification et de réforme...

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : On critique beaucoup la complexité du système, mais ce système est nécessairement complexe, car s'il était simple, il serait injuste.

Par ailleurs, il faut vraiment mettre en place une maintenance du système. Nous avons fait un travail pédagogique énorme vis-à-vis des médecins qui craignaient que leurs activités soient mal tarifées - ce qui était parfois le cas, notamment à chaque fois que de nouveaux modes de prise en charge étaient mis en place. Il faut des mécanismes pour en tenir compte. Puisqu'il s'agit d'un financement mieux tarifé des nouvelles prises en charge, il faut « faire le ménage » dans ce qui devient de la routine.

Il ne s'agit pas de simplifier, mais d'assurer la maintenance technique du système.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur : Pourriez-vous citer des exemples de pathologies concernées ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe : Oui, notamment l'hématologie.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions.

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