COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

COMPTE RENDU N° 8

Jeudi 11 janvier 2007
(Séance de 9 heures)

12/03/95

Présidence de Mme Paulette Guinchard et M. Pierre Morange, coprésidents

SOMMAIRE

 

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Auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale des collectivités territoriales

 

- M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales, Mme Stéphanie Dupays, inspectrice des affaires sociales, et M. Thierry Leconte, inspecteur des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales.

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- M.  Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille

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- M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, M.  Jean-Luc Heller, chef du département des études et des statistiques locales, et M.  Jérôme Teillard, attaché au bureau des services publics locaux

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La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a d'abord entendu M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales, Mme Stéphanie Dupays, inspectrice des affaires sociales, et M. Thierry Leconte, inspecteur des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

J'attends beaucoup de la présentation de votre rapport d'étape. J'imagine qu'au regard de tous les dispositifs qu'ils doivent aujourd'hui gérer, les départements ont encore du mal à s'inscrire dans une logique de projet, même si un certain nombre de conseils généraux commencent à me solliciter afin que nous réfléchissons ensemble aux questions d'évaluation. Or, je constate que nous ne posons pas aux personnes directement concernées la question de savoir si les différents dispositifs répondent à leurs besoins. Que disent les personnes âgées ? Disposent-elles des informations nécessaires ? Cet aspect est-il présent dans votre travail ?

M. Christophe Lannelongue : Je pense que vous trouverez des réponses à ces questions au cours de la présentation que nous apprêtons à faire, car tout ceci renvoie à la connaissance des bénéficiaires, au fonctionnement des procédures, aux différents systèmes d'information et, en fait, à toute la logique du système.

Nous allons donc vous présenter un travail qui est actuellement en cours et qui a consisté, à votre demande, à regarder dans quatre départements - Lot-et-Garonne, Nord, Rhône, Val-de-Marne - comment se mettait en place l'action sociale locale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

Pour cela, nous avons rencontré sur place les principaux acteurs de l'action sociale, à commencer par le conseil général, ses élus et ses responsables administratifs, mais aussi les services de l'État, les représentants élus et responsables administratifs des communes, des centres communaux d'action sociale (CCAS), ainsi que des structures comme les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons des personnes handicapées (MDPH), certains opérateurs tels que des associations d'aides à domicile ou des établissements d'accueil pour personnes âgées, quelques représentants d'associations d'usagers ou d'acteurs connexes.

Nous n'avons pas procédé à des contrôles au sens strict, mais nous avons, à travers ces entretiens et tous les documents qui nous ont été remis, essayé d'appréhender :

- le positionnement des acteurs et l'évolution de leur rôle dans le nouveau contexte créé par l'ensemble des lois votées ces dernières années ;

- la mise en place des services au bénéfice des personnes âgées, en nous intéressant particulièrement à l'effort d'amélioration de l'aide à domicile grâce à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), aux plans successifs de création de places et d'amélioration de la qualité de l'accueil dans les établissements, aux questions de coordination et à leur impact sur la perception que la personne a des services ;

- la portée, pour les personnes handicapées, des grands bouleversements qu'a entraînés l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en particulier l'apport des MDPH et de la prestation de compensation du handicap (PCH).

M. Pierre SARDOU : Dans la mesure où les modifications législatives se sont succédé ces dernières années, on peut considérer que le système n'est pas encore stabilisé. La diversité des situations observées paraît également logique dans le contexte de la décentralisation, qui conduit à ce que l'on prenne davantage en compte les particularités et l'histoire de chaque département.

On sent très nettement que les départements sont aujourd'hui les chefs de file, mais ils se sont approprié les différents sujets de façon différente. Ils connaissaient déjà fort bien celui des personnes âgées et ont parfaitement intégré la réforme de l'APA et de la tarification des établissements d'hébergement. Les CLIC et CODERPA - comités départementaux des retraités et des personnes âgées - sont venus s'ajouter aux outils déjà bien maîtrisés comme les schémas directeurs et ils sont d'ailleurs pris en compte de façon différente selon les départements.

Le sujet des personnes handicapées adultes était moins bien connu des départements, qui ont eu récemment à appliquer des réformes très importantes, dont l'impact est encore difficile à apprécier, à tel point que nous avons senti que certains de nos interlocuteurs appréhendaient une montée en charge de la PCH similaire à celle de l'APA.

Le sujet des enfants handicapés est pratiquement nouveau, ce qui fait que l'on se trouve face à des schémas séparés. Le développement du schéma relatif à ces enfants dépendra largement du rôle que jouera le département, qui devra fédérer l'ensemble des acteurs. On sent déjà que des choses se font mais on ignore encore jusqu'où elles iront. Nous avons ressenti une certaine inquiétude quant à l'évolution des dépenses du département et au taux de couverture de ces dépenses par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et par les impôts locaux. On constate logiquement que les départements les plus aisés s'engagent davantage que ceux qui craignent pour leurs équilibres. Ainsi, le Lot-et-Garonne n'a procédé à aucun recrutement pour les MDPH, mais cela tient peut-être aussi au fait que le besoin n'y est pas très important.

Dans la mesure où on ne sait pas clairement ce que sera l'engagement de l'État dans les années à venir, une autre inquiétude des départements porte sur l'évolution des enveloppes médico-sociales, ce qui les amène à se placer parfois davantage dans une logique de revendication financière que de programmation-planification.

Pour leur part, les organismes de sécurité sociale paraissent s'être engagés dans les évolutions qui leur étaient demandées. Les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) se sont ainsi recentrées sur les GIR 5 et 6, elles ont réduit les aides ménagères, promu les plans d'aide personnalisée et l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). On a l'impression qu'elles sont davantage à l'écoute de ce que leur disent les caisses nationales, notamment dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG). Les politiques de prévention sanitaire et en direction des plus démunis sont désormais davantage affirmées.

Ces organismes cherchent également systématiquement à passer des conventions, même si elles ne sont pas toujours jugées satisfaisantes par les collectivités locales et les associations qui y voient parfois un certain désengagement.

Même si le rôle des communes est très variable, elles sont manifestement le véritable point d'entrée dans les dispositifs. Cela se vérifie dans le plan canicule mais aussi dans des activités dirigées directement vers les personnes comme le portage des repas. En fonction de leur histoire, de leur taille, de leur capacité financière, elles sont ou non opérateurs.

Le paysage associatif est lui aussi extrêmement varié. Des regroupements amènent parfois les associations à jouer un rôle de coordination, voire de point d'appui dans les CLIC quand des divergences politiques entre les collectivités empêchent que l'une d'entre elles prenne le leadership.

On assiste également au développement du secteur lucratif : il semble qu'autant de personnes âgées bénéficient des exonérations sociales et fiscales que de l'APA à domicile. Ainsi, même les opérateurs associatifs et communaux voient désormais les personnes acheter leurs services.

Si l'État garde de fortes responsabilités, il est toutefois affaibli dans les départements car la programmation a été largement transférée aux régions. Les collectivités ont pour leur part exprimé un fort besoin d'interlocuteurs locaux. Mais l'État est aussi affaibli au niveau régional parce que la CNSA n'a pas toujours suivi les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC), dans les montants comme dans les répartitions. Cela trouble un peu le jeu car les collectivités ne savent plus vraiment qui est leur interlocuteur. Il semble toutefois qu'un certain nombre des défauts de la première génération des PRIAC pourraient être corrigés à l'occasion de leur réexamen annuel.

Dès lors que l'État n'est plus l'interlocuteur unique, il est impératif de développer des systèmes d'information partagée qui permettent de dialoguer sur des bases objectives. De ce point de vue, l'héritage de l'État n'est pas très brillant.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est sans doute une des questions les plus importantes. Avez-vous des propositions à nous faire à ce propos ?

M. Christophe Lannelongue : Nous avions envisagé de vous présenter l'ensemble des constats que nous avons dressés mais, à l'occasion de ce premier travail que nous réalisons pour la MECSS, nous ne souhaitions pas nous engager sur le terrain des propositions, d'autant que le ministre a annoncé un certain nombre de décisions au cours de l'année écoulée. Pour autant, il est clair que ces constats ont été dressés avec l'idée de mettre en exergue quelques points sur lesquels nous souhaitons orienter votre réflexion afin qu'ils débouchent sur des propositions. Nous pourrons donc y revenir dans la suite de cette audition.

M. Thierry Leconte : J'en viens au second point de notre rapport d'étape, qui concerne l'action sociale en faveur des personnes âgées. Nous nous sommes intéressés à l'accueil à l'information, à la coordination, à tout ce que recouvre l'aide à domicile, à l'hébergement ainsi qu'au décloisonnement des réponses apportées, qui semble aller dans le sens que vous souhaitez.

M. Pierre Morange, coprésident : Il s'agit d'ailleurs d'un sujet récurrent : tous les travaux de la MECSS nous ont montré un cloisonnement excessif, ainsi qu'un manque de coordination et de partage des informations.

M. Thierry Leconte : Il apparaît que le premier accueil des personnes âgées dans le système se fait par les communes et les CCAS, sans doute parce qu'ils sont plus facilement identifiés par les personnes âgées et par leur entourage.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis un peu dubitative sur ce point, car ce sont en fait les médecins généralistes qui assurent le premier accueil et qui adressent ensuite les personnes âgées aux communes.

M. Thierry Leconte : Cet aspect est apparu surtout pour les CLIC. En fait, l'entrée dans le dispositif d'action sociale se fait surtout par les CCAS. Mais dès lors qu'il s'agit de questions sanitaires, ce sont essentiellement les professionnels de santé qui orientent vers des structures comme les CLIC, qu'ils connaissent davantage.

Les CLIC développent d'ailleurs une activité d'information en direction des personnes âgées ; ils élaborent un certain nombre de documents, de guides, de notices qui les aident dans leurs démarches, qui leur expliquent les possibilités qui s'ouvrent à elles, qui leur donnent des adresses pratiques permettant de répondre à leurs attentes.

Nous avons toutefois constaté que les CLIC travaillent très souvent seuls, que chacun essaie d'imaginer de son côté ce que doit être un bon guide, ce qui est bien sûr à l'origine d'une déperdition d'énergie, surtout quand deux CLIC d'un même département font la même chose. Peut-être faudrait-il les inciter à une mutualisation propice à un gain en temps comme en efficacité.

Nous avons en revanche constaté qu'il existait des structures assez intéressantes, notamment le service d'information du CODERPA du Nord, qui a constitué une documentation extrêmement fournie, qui va au-delà du volet sanitaire et social en traitant des questions de la vie quotidienne, par exemple des problèmes juridiques liés aux successions. Cette documentation comporte un grand nombre de fiches, qui ne sont pas destinées directement aux personnes âgées mais diffusées aux professionnels qui, eux, ont vocation à être au contact direct de ces personnes. Peut-être pourrait-on développer de telles structures en tant que centres de ressources pour une information homogène dans l'ensemble d'un département.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous un exemple précis qui prouve l'intérêt de tout regrouper au sein d'un département ?

M. Thierry Leconte : Je l'ai dit, les CLIC travaillent chacun de leur côté. Pour les CODERPA, les choses ont commencé à bouger récemment, les départements prenant conscience de l'utilité de ce service d'information. D'ailleurs celui du CODERPA du Nord a été officiellement installé par le département le jour même de notre visite.

M. Christophe Lannelongue : De même dans le Rhône, le conseil général a la volonté de reconstituer un outil qui existait précédemment afin d'en faire un véritable service d'information et de communication, un centre de ressources pour les CLIC et pour les professionnels mais aussi directement pour le grand public.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En Franche-Comté, nous avons créé un institut régional du vieillissement qui joue ce rôle de centre d'information et de ressources pour l'ensemble des structures.

À ce propos, il serait également intéressant de savoir si la CNSA poursuit les rencontres qu'elle avait engagées avec les CLIC ? Nous devons en effet nous demander comment mettre en valeur et rendre cohérent ce travail de fourmi qui est réalisé un peu partout.

M. Christophe Lannelongue : La CNSA commence à se comporter comme une agence technique pour les MDPH dans le cadre de sa politique de conventionnement et de construction d'un système d'information partagé par l'ensemble des maisons. En revanche, elle ne joue pas ce rôle pour le développement de la qualité des services aux personnes âgées. Comme l'a observé M. Thierry Leconte, il existe des initiatives très intéressantes mais qui ne sont pas du tout mises en valeur, y compris au sein d'un même département. Ainsi, dans le Rhône, le travail remarquable accompli à Sainte-Foy-Lès-Lyon comme à Villeurbanne ne bénéficie que d'une diffusion limitée.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez dressé la liste des expériences intéressantes qui mériteraient d'être répétées, mais vous n'avez constaté dans aucun des quatre départements l'existence d'une articulation des différents dispositifs et des différents opérateurs de l'action sociale et médico-sociale.

M. Thierry Leconte : En tous cas pas en ce qui concerne l'information.

M. Pierre Morange, coprésident : Et d'un point de vue opérationnel, existe-t-il des plates-formes multiservices ?

M. Thierry Leconte : On commence à en voir émerger, mais j'allais précisément venir à la coordination.

Celle-ci est en effet extrêmement importante car les personnes âgées ont bien du mal à s'y retrouver dans la mesure où, selon la difficulté qu'elles rencontrent, il leur faut s'adresser à des acteurs différents. Il est donc fort utile que quelqu'un leur apporte une réponse simple et s'arrange avec cette multitude d'acteurs et de dispositifs. C'est le rôle majeur des CLIC que nous avons rencontrés. Et quand il n'en existe pas, ce besoin est pris en compte par les CCAS, mais qui souhaitent très vivement la création d'un CLIC.

Généralement associatif, le CLIC a le mérite d'être indépendant des collectivités, de se situer à la frontière entre les différents acteurs sociaux et d'assurer la coordination entre les volets social et sanitaire, comme on le voit en particulier pour les sorties d'hospitalisation. Outre qu'ils insufflent une dynamique très forte, les CLIC mettent en réseau les acteurs, notamment les professionnels de santé, en particulier en développant des réseaux gérontologiques, même si ce n'est pas toujours facile, notamment parce que tous les hôpitaux ne disposent pas toujours d'un assistant social.

Les assurés de la Mutualité sociale agricole (MSA) ne sont pas dans la même situation car celle-ci offre un service global, assure la coordination, a une vision complète de la prévention, du vieillissement, de la maladie et se situe au plus près de ses assurés grâce à son réseau de correspondants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Elle participe aussi beaucoup aux CLIC et elle a une tradition démocratique différente. Qui plus est, par ses délégués cantonaux, elle est souvent proche de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR).

M. Pierre Morange, coprésident : Sur le fond comme sur la forme, la MSA est un modèle.

M. Pierre Sardou : En Lot-et-Garonne, il existe un seul CLIC. Dans un autre arrondissement, un réseau gérontologique est à l'origine d'une démarche de ce type et souhaiterait se transformer en CLIC.

M. Thierry Leconte : J'en viens à l'aide à domicile. On sait que, selon que la personne âgée relève des GIR 1 à 4 ou 5 et 6, elle n'entre pas dans le même dispositif. Mais elle-même ne connaît pas cette distinction. S'il n'y avait aucune convention entre les acteurs, on pourrait très bien imaginer qu'une personne n'ayant pas été classée 1 à 4 à l'issue de l'évaluation médico-sociale pour l'APA, soit obligée de subir une nouvelle évaluation de la part des caisses. Heureusement, nous avons constaté que les acteurs parviennent à des arrangements, soit, comme dans le Nord, en constituant une seule équipe qui réalise les évaluations de GIR 1 à 6 pour le conseil général et pour les caisses, soit par une reconnaissance mutuelle de l'évaluation réalisée par l'autre acteur.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La situation est parfois plus compliquée encore : dans mon département, j'ai rencontré une vieille dame dont le mari était atteint de la maladie d'Alzheimer, qui considérait que l'assurance dépendance privée qu'elle avait souscrite était la seule réponse et qui ne s'était donc même pas tournée vers le CCAS. On mesure là la profondeur du vide en matière d'information et d'évaluation.

M. Thierry Leconte : Certains professionnels ne connaissent pas encore tous les acteurs. Une enquête de la direction régionale de l'action sanitaire et sociale (DRASS) d'Île-de-France montre que les généralistes ont une connaissance insuffisante des CLIC. Il faut donc mieux faire connaître leur existence comme leur rôle de coordination.

Une fois l'évaluation réalisée, il faut établir un plan d'aide, dans le cadre soit de l'APA, soit de l'aide personnalisée accordée par les caisses. Nous manquons d'informations sur l'APA alors qu'il serait intéressant de savoir pourquoi certaines personnes refusent les plans d'aide et si cela tient au reste à charge, qu'il est bien difficile d'apprécier. Les conseils généraux savent qu'afin d'améliorer le dispositif il va leur falloir bâtir des outils pour recueillir les informations.

Si les caisses parviennent à réduire la part de l'aide ménagère dans leurs plans d'action, elles réfléchissent aux possibilités d'offrir de nouvelles prestations pour diversifier leurs aides. La caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie a mené dans l'Aisne une expérimentation destinée à mesurer le besoin d'autres types d'aides.

M. Pierre Morange, coprésident : N'avez-vous à aucun moment constaté qu'une caisse avait pris l'initiative d'être le lien entre tous les acteurs afin de mieux répondre à la demande des assurés ? Car, qu'il s'agisse de la dépendance, du handicap, des personnes âgées, de la précarité, du manque de lien entre les secteurs sanitaire et social, nous constatons que ce sont bien la réponse à l'assuré et sa perception de la qualité du service qui sont essentielles. À chaque fois, il manque quelque chose pour faciliter l'accès aux services et aux différents prestataires et l'assuré est complètement perdu dans un univers particulièrement complexe.

Avec la dématérialisation, le partage des fichiers informatiques et l'application de la nouvelle COG, un certain nombre d'agents vont être dégagés des tâches administratives qui les occupaient jusqu'ici. On pourra ainsi les mettre à la disposition des assurés pour établir un lien entre les différents acteurs. Il conviendrait aussi de mettre à profit l'expérience acquise sur le terrain par la MSA.

M. Christophe Lannelongue : Les caisses ont une expertise grâce à l'expérience des services sociaux des CRAM en matière d'évaluation et d'accompagnement des personnes âgées, mais elles sont mal placées pour faire le lien entre le conseil général et les CCAS, mais aussi entre le médico-social et le sanitaire. Seul le CLIC peut véritablement jouer ce rôle, créer le guichet unique que vous envisagez et offrir une visibilité aux professionnels de santé, le généraliste s'adressant à lui parce qu'il se sent en confiance. Les caisses peuvent y participer mais leur apport prendra la forme d'une expertise et d'un savoir-faire. La MSA est une exception, grâce à la proximité que permet son réseau de correspondants locaux. En revanche, même si son service social est implanté sur le terrain, la CRAM est loin des assurés et des acteurs de terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Je pensais surtout aux ressources humaines que les caisses pourraient consacrer à la gestion opérationnelle. Ce serait aussi un gage d'équité entre les départements.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous nous interrogeons beaucoup, au sein de la MECSS, sur le rôle des caisses. Pour votre part, vous posez aussi la question de la construction du plan d'aide. Pensez-vous que la réflexion autour du besoin réel de la personne, âgée ou handicapée, soit suffisante ?

Il paraît très important de mener un véritable travail de formation dans ce domaine, en particulier dans la perspective de l'application de la réforme des tutelles. Celle-ci s'oriente en effet nettement vers l'accompagnement personnalisé et je crains que l'on en arrive à bâtir une usine à gaz très onéreuse pour les collectivités, alors que l'assistant social qui prépare le plan d'aide paraît tout désigné pour être l'accompagnateur social.

M. Thierry Leconte : Même s'ils n'ont pas encore les réponses, tous les acteurs paraissent convaincus qu'il faut connaître les besoins réels des personnes âgées - ainsi, la CRAM Nord-Picardie a cherché à identifier ces besoins au-delà des heures d'aide ménagère.

Il ne faut pas oublier que des aides sont apportées par les CCAS, notamment lorsqu'ils sont prestataires, à un nombre de bénéficiaires plus important que celui des personnes percevant l'APA et l'aide des caisses. Beaucoup d'entre eux sont même ce que les CCAS appellent des « bénéficiaires à titre payant », auxquels ils ne font pas payer le coût réel de l'aide apportée, en facturant par exemple 16,90 euros une heure qui revient en réalité à 21 euros. Cette subvention constitue une aide facultative.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Ce matin, à l'occasion de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), ce sont des images de personnes âgées dépendantes qui ont illustré le reportage de France 2, alors que la majorité des gens âgés ne sont pas dépendants. Un autre sujet, qui portait sur le travail que font des médecins dans cette partie du Japon où les habitants atteignent un âge particulièrement avancé, montrait l'importance des temps de jeu et d'échange pour bien vieillir à 110 ans.

M. Christophe Lannelongue : Un CLIC du Nord fait faire aux personnes âgées une sorte de bilan de compétences afin d'orienter leurs activités au moment de la retraite. En effet, il apparaît que 18 % des personnes arrivant à la retraite n'envisagent aucune activité. Or, stimuler leur engagement dans des activités concourt aussi à reporter l'âge de leur entrée en maison de retraite.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce chiffre mérite sans doute d'être affiné car cette faible envie d'entreprendre une activité peut s'expliquer par un état dépressif mais aussi par la nécessité temporaire de récupérer de l'épuisement ressenti après des années d'activité soutenue.

M. Thierry Leconte : Les acteurs nous ont par ailleurs fait part de la nécessité d'instituer un référent APA afin d'assurer le suivi du plan d'aide et de pouvoir envisager de réajuster, la situation d'une personne âgée étant appelée à évoluer. Le conseil général du Nord envisage de désigner des référents, probablement au sein des CLIC puisqu'on en compte un pour 15 000 personnes âgées. Leur mission reste à préciser.

On nous a aussi signalé la difficulté de faire dispenser des soins infirmiers, notamment d'hygiène corporelle, à domicile. Cela conduit les personnes âgées à se tourner vers d'autres personnes, au risque d'une dégradation de la qualité de la prestation.

Il paraît également nécessaire d'envisager désormais l'hébergement de manière décloisonnée grâce à des plates-formes multiservices offrant à la fois des solutions d'hébergement, des soins infirmiers à domicile, de l'accueil de jour, de l'hébergement temporaire et qui, même de manière permanente, puissent accueillir des personnes présentant des degrés différents de dépendance afin de ne pas obliger une personne âgée à changer d'établissement au fur et à mesure que son état se dégrade.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Cela paraît très important : je suis quelque peu choquée que l'on continue à proposer la création de structures avec des unités très cloisonnées.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Le professeur Marc Berthel, qui a travaillé pendant une quinzaine d'années au Canada sur ces questions, en particulier sur la maladie d'Alzheimer, se bat désormais à Strasbourg en faveur du décloisonnement.

Mme Stéphanie Dupays : J'en viens à l'action sociale en faveur des personnes handicapées, domaine en pleine transformation en raison de l'application de la loi du 11 février 2005, ce qui nous empêche d'ailleurs de tirer des constats définitifs.

Je traiterai tout d'abord des maisons départementales du handicap, qui sont au centre de la nouvelle organisation. Placées sous l'autorité des départements, elles ont en charge : l'accueil et l'information ; l'évaluation des taux d'incapacité ; l'appréciation des besoins de compensation ; la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; l'orientation scolaire, professionnelle et sociale ; l'attribution de la carte d'invalidité ; la désignation des établissements et services appropriés.

Dans les quatre départements que nous avons étudiés, l'installation des MDPH a suscité un engagement fort des conseils généraux, qui ont choisi, dans trois cas sur quatre, de les intégrer dans leur propre structure. En Lot-et-Garonne et dans le Rhône, la fonction de directeur de la MDPH est ainsi assurée par le responsable du pôle personnes âgées et personnes handicapées du Conseil général. Les MDPH ont également bénéficié de la part des conseils généraux d'un soutien logistique en locaux, en moyens informatiques ainsi qu'en personnel, celui que l'État mettait à leur disposition étant parfois insuffisant.

Nous avons aussi constaté que les MDPH réussissent plutôt bien à fédérer tous les acteurs de l'action sociale locale, tous ceux qui le souhaitaient ayant été associés à leur installation. La composition de la commission des droits et de l'autonomie - instance décisionnelle qui regroupe les anciennes commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) et commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) - du Lot-et-Garonne en est une bonne illustration : elle regroupe des représentants de l'État, de la sécurité sociale, des départements mais aussi de 14 associations, des associations de parents d'élèves et des organisations syndicales. Il faut toutefois noter que certaines CRAM ont regretté de ne pas être davantage associées à ce mouvement.

La constitution des équipes pluridisciplinaires destinées à évaluer le handicap en vue de l'attribution de la PCH illustre également la bonne participation des différents acteurs, en dehors peut-être de ceux du secteur psychiatrique, pour des raisons historiques.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Faute aussi d'une culture commune...

Mme Stéphanie Dupays : En dépit de cette forte mobilisation, les MDPH sont encore loin d'avoir atteint leur vitesse de croisière. Lors de notre visite, certaines venaient seulement d'ouvrir. Si elles ont actuellement les moyens de fonctionner, l'absence de conventions pluriannuelles conduit à poser la question du financement pour l'avenir.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Certaines MDPH ont-elles d'emblée fait le choix d'ouvrir des antennes territoriales ?

Mme Stéphanie Dupays : L'organisation territoriale des MDPH est très différente d'un département à l'autre. Dans le Nord et en Lot-et-Garonne, la MDPH ne dispose d'aucune antenne. Il n'est pas envisagé de développer un réseau propre et pour l'instant les dossiers sont remplis dans les mairies et dans les CLIC. Le principal point d'entrée est constitué par les associations, très présentes dans le domaine du handicap. Dans le Rhône, à l'inverse, ce sont les structures territoriales du Conseil général, les Maisons du Rhône (MDR), qui assurent la représentation territoriale de la MDPH et qui assurent l'accueil et l'information, le dépôt des dossiers mais aussi l'instruction, l'évaluation en vue de l'attribution de la PCH, l'accompagnement des bénéficiaires.

M. Christophe Lannelongue : Créées il y a une dizaine d'années, les MDR correspondent à ce qu'on appelle ailleurs unités territoriales. Elles offrent toutes les composantes du service rendu par le conseil général sur une base territoriale assez étroite puisqu'on en compte 47, soit une par canton.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il me semble précisément que les MDPH ne rempliront correctement leurs missions qu'à partir du moment où elles pourront aller au plus près des personnes.

M. Christophe Lannelongue : Une telle organisation est quand même très compliquée car elle suppose des compétences - donc des équipes pluridisciplinaires dans chaque maison, ce qui a un coût très élevé -, ainsi qu'un pilotage très précis depuis le siège car les pratiques risquent de diverger fortement. Dans le Rhône, les associations portent un regard mitigé sur ce dispositif car elles considèrent que certaines MDR ne sont pas au bon niveau de compétence.

Mme Stéphanie Dupays : La CNSA a constitué un groupe de travail afin de lancer auprès des usagers une enquête sur la qualité de l'accueil et de l'information et il est encore un peu tôt pour se prononcer sur ce qu'apportent les MDPH en termes de services rendus à l'usager. On observe toutefois que certaines personnes handicapées qui ne disposaient pas de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) se tournent désormais vers les MDPH pour demander la PCH, ce qui semble montrer que ce guichet unique à une meilleure visibilité que le système précédent.

J'en viens précisément à la prestation de compensation du handicap, qui est une des déclinaisons les plus importantes du droit à compensation reconnu dans la loi du 11 février 2005. La PCH vise à compenser les charges et les frais supplémentaires liés au handicap. Il peut s'agir d'aides humaines, techniques, animalières ou d'aménagements du logement ou du véhicule.

Nous avons constaté une mise en place lente et partielle de la PCH. Ainsi, dans le Nord, où l'on a choisi de traiter prioritairement les personnes très lourdement handicapées, sur 3 000 demandes déposées fin novembre 2006, 450 évaluations de PCH ont été réalisées.

En Lot-et-Garonne, sur les 508 dossiers reçus entre janvier et novembre 2006, 370 ont été traités mais seulement de façon partielle car le département a choisi de se concentrer sur l'aide humaine, donc sur les dossiers les plus faciles.

Dans la mesure où l'on observe un certain nombre de refus, on peut bien évidemment se demander si cette prestation est bien adaptée. L'objectif de la loi était que l'on délivre une prestation au plus près des besoins de la personne, en fonction de son projet, contrairement à la logique de versement d'une prestation forfaitaire, sans prise en considération du besoin réel de compensation, qui prévalait jusqu'ici.

En Lot-et-Garonne, sur les 370 dossiers traités, on a observé par moins de 215 rejets. Si cela tient en premier lieu au fait que les conditions d'incapacité ne sont pas remplies, la deuxième explication est le choix fait par une personne handicapée sur cinq de conserver l'ancienne ACTP. Cela tient sans doute au fait que, à la différence de la PCH, l'attribution de l'ACTP ne donnait lieu à aucune visite à domicile. En outre, les plans d'aide paraissent encore trop peu fondés sur un projet de vie. Il y aurait aussi des difficultés à mettre en place les aides humaines, en particulier pour certains handicaps psychiques pour lesquels les personnels ne seraient pas assez formés. Surtout, même si nous n'avons pas pu nous procurer de chiffres précis, il apparaît que le reste à charge est trop élevé. Au total, la mise en place de la PCH est lente et partielle et l'on ignore encore si la prestation répond vraiment aux besoins des personnes handicapées.

Pour sa part, l'installation du fonds de compensation du handicap reste problématique. La contribution des départements et des organismes de sécurité sociale fait l'objet de fortes discussions qui portent à la fois sur les montants et sur les conditions d'attribution. Qui plus est, il faut du temps pour mettre au point la convention qui doit être passée au niveau national entre la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et la CNSA.

Un certain nombre de points suscitent l'inquiétude dans l'action sociale en faveur du handicap. La première tient au système d'information : il n'existe pas encore de remontée d'informations sur l'action sociale réalisée par les départements. La CNSA travaille sur ce sujet. Il est nécessaire d'établir des systèmes homogènes permettant des comparaisons entre les départements afin de garantir une équité territoriale mais aussi d'améliorer l'efficacité. Il manque aussi un lieu d'échange sur les bonnes pratiques. Nous avons ressenti l'isolement de certains médecins dans l'évaluation du handicap, en particulier lorsqu'ils doivent établir un plan personnalisé pour des handicaps rares.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La question se pose aussi pour les travailleurs sociaux, qui réclament un dispositif de conseils sur les bonnes pratiques.

Mme Stéphanie Dupays : On peut également s'interroger sur la qualité du service rendu, notamment sur l'aide humaine, et sur la façon de contrôler cette qualité.

Enfin, la question du fonds de compensation reste largement en suspens.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez évoqué le travail en commun des CLIC et des MDPH dans certains départements, en particulier pour la constitution des dossiers. Pensez-vous que ce mouvement est appelé à s'amplifier ?

Mme Stéphanie Dupays : Le guichet unique de la MDPH est fort utile pour traiter les dossiers car on y aborde en même temps l'ensemble des problèmes que rencontrent la personne, mais il faudrait un relais territorial plus proche des gens.

M. Christophe Lannelongue : Certes, il s'agit d'un guichet unique, mais avec une évaluation globale et sophistiquée de la personne et avec un dossier particulièrement complexe puisque l'on essaie d'appréhender l'ensemble des besoins. Un accompagnement paraît donc indispensable, ce qui suppose une implantation de proximité, d'accès facile. C'est pour cela que le CLIC est naturellement un correspondant de la MDPH.

M. Pierre Morange, coprésident : Si vous disposez de plus d'informations sur l'évaluation lancée par la CNSA, nous vous serions reconnaissants de nous les faire parvenir avant la rédaction de notre rapport, au plus tard mi-février.

Mme Stéphanie Dupays : Nous avons simplement entendu parler de la constitution d'un groupe de travail, mais nous ignorons s'il a déjà produit des documents.

M. Christophe Lannelongue : Nous vous transmettrons le 9 février notre propre rapport définitif, qui fera la synthèse des quatre rapports de sites. Mais nous sommes prêts bien évidemment à vous rencontrer avant cette date pour évoquer les sujets que nous n'avons pas pu aborder ce matin, en particulier celui des propositions.

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-être pourrons-nous organiser une nouvelle audition.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je souhaite d'ores et déjà dire à quel point je suis ravie de cette collaboration entre la MECSS et l'IGAS, qui nous permet de traiter ensemble des dossiers d'une importance capitale. L'analyse des besoins des personnes, le rôle des conseils généraux, la formation des personnels, les liens entre les caisses et les collectivités locales, l'accompagnement individualisé sont autant de chantier considérables et je suis donc persuadée que notre travail en commun est appelé à perdurer.

M. Christophe Lannelongue : C'est aussi ce que nous appelons de nos vœux car cette mission a été particulièrement intéressante.

M. Pierre Morange, coprésident : Je m'associe pleinement à ce qui vient d'être dit. L'approche transversale entre la Cour des Comptes, l'IGAS et la MECSS paraît d'autant plus pertinente que le champ social et médico-social est immense. Elle nous permet de dresser les constats, de faire des propositions, mais aussi de vérifier si nos préconisations sont effectivement mises en œuvre.

Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite entendu M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Pierre Morange, coprésident : Au nom de la MECSS, nous vous souhaitons une bonne année, Monsieur le ministre.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous travaillons depuis quelques mois sur l'action sociale, notamment l'action sociale locale en direction des personnes âgées et des personnes handicapées.

Pourriez-vous nous rappeler les principales orientations et les perspectives de la politique d'action sociale ? L'organisation actuelle vous paraît-elle optimale ? Comment faudrait-il la faire évoluer ? Avec la montée en charge de la compétence des départements, l'action sociale de la sécurité sociale est-elle toujours pertinente ? Ne conviendrait-il pas de clarifier et de rationaliser le dispositif d'ensemble en décentralisant complètement l'action sociale ?

Comment améliorer le pilotage, l'animation et l'évaluation de l'action sociale ?

M. Philippe Bas : La question que vous avez abordée cette année est au cœur de l'évolution de la politique sociale de notre pays. Le problème de l'articulation entre l'Etat, les caisses de sécurité sociale et les départements se pose, parallèlement à certaines exigences, comme l'adéquation des financements aux missions ou la coordination, sachant que le rêve d'un coordinateur unique est hors de portée, à supposer même qu'il soit souhaitable. La conjugaison des forces me paraît préférable au risque de neutralisation réciproque des institutions.

Comment chacun trouve-t-il sa place ? Prenons tout d'abord l'exemple de la cinquième branche de protection sociale, qui correspond à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Les mots ne sont pas neutres. La protection sociale n'est pas la sécurité sociale : elle est plus large. Sans remettre systématiquement nos pas dans ceux du passé, il n'est pas interdit de s'en inspirer, tout comme il est nécessaire de tenir compte des réalités. Lorsqu'il s'agit de personnes âgées ou de personnes handicapées, rayer d'un trait ce qui existe n'est pas le meilleur moyen d'avancer. Nous en avons débattu pendant des années : fallait-il reconnaître le risque dépendance en tant que tel et créer une cinquième branche de sécurité sociale ou fallait-il innover ? Nous avons choisi cette deuxième option, sans rien renier des apports de la sécurité sociale ni des départements dans la prise en charge des personnes dépendantes. Nous avons tenté de conjuguer un financement national avec le développement d'une action décentralisée.

C'est ainsi un souci de synergie qui nous a guidés vers ce dispositif moderne et novateur.

S'agissant de la politique du handicap, là encore, nous avons fait le choix de la synergie plutôt que de risquer le désengagement de partenaires nécessaires. Alors que les différents acteurs de la politique du handicap, autrefois dispersés, imposaient un véritable parcours du combattant aux personnes handicapées et à leurs familles, ils sont aujourd'hui regroupés au sein des maisons départementales des personnes handicapées. Le conseil du groupement d'intérêt public réunit les caisses de sécurité sociale qui, au titre de leur action sociale, finançaient les sites de la vie autonome, l'Etat, le conseil général, les associations de personnes handicapées. Les décisions de reconnaissance des droits sont prises au sein d'instances composées avec la même diversité d'acteurs. Personne ne peut plus aujourd'hui mener sa propre politique dans son coin. Je rappelle que ce travail en synergie se réalise sous la houlette du président du conseil général, avec des financements provenant essentiellement de l'Etat et de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Concernant la politique familiale, nous retrouvons cette diversité d'acteurs animés de la même volonté de travailler ensemble. Nous avons eu la joie de faire aboutir la discussion sur la réforme de la protection de l'enfance, après le vote de nombreux amendements portés en commun par des députés de la majorité et de l'opposition. Ce texte, adopté sans aucun vote contre, est un exemple de ce que l'on peut faire pour rassembler les différents acteurs de l'action sociale. C'est ainsi qu'un fonds a été constitué, doté par les crédits de l'action sociale et familiale des caisses d'allocation familiale et par l'Etat, afin de prendre en charge les moyens supplémentaires nécessaires aux départements pour mettre en œuvre une nouvelle politique de protection de l'enfance.

J'en viens aux politiques d'insertion, et notamment à l'allocation de parent isolé (API). Nous avons créé cette allocation en 1976, peu après la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, pour que des jeunes femmes isolées aient les moyens matériels de garder leur enfant. Mais il s'agissait alors d'une allocation de retrait du marché du travail, aujourd'hui dépassée, car il est à présent préférable pour l'enfant et sa mère que cette dernière ne soit pas marginalisée dans la société et qu'elle puisse élever son enfant en conservant une activité professionnelle. Or, les bénéficiaires de l'API sont généralement des jeunes femmes sans aucune qualification, confrontées à de nombreuses difficultés pour trouver du travail. Ce n'est pas leur rendre service que les enfermer dans un minimum social. Les prestations sociales mises en place par l'Etat, distribuées par les caisses d'allocations familiales, doivent rejoindre les initiatives de politiques d'insertion, qui sont à la charge des départements. J'ai pris un décret cette semaine pour que les jeunes enfants des femmes qui intègrent un processus d'insertion et de formation aient accès en priorité à la crèche. L'API n'est plus délivrée pour leur permettre de rester chez elles, mais au contraire pour les inciter à rechercher du travail.

Mais il faut aussi que les institutions en charge des politiques d'insertion, au premier rang desquelles les départements, prennent en charge, par des politiques spécifiques, le parcours d'insertion de ces jeunes femmes. Le rapport Mercier-Raincourt sur les minima sociaux nous a fourni des recommandations précieuses, mais là encore nous ne réussirons qu'à condition de rassembler nos efforts entre les politiques d'action sociale des uns et les politiques de protection sociale des autres.

Dernier exemple, les tutelles, dont votre assemblée va prochainement débattre. Dans un premier temps inquiets, les départements sont aujourd'hui rassurés puisque désormais l'Etat assumera la charge financière de la gestion des tutelles. La réforme des tutelles devra développer un volet puissant d'action sociale qui relèvera de la responsabilité des départements. Bien sûr, certaines des personnes sous tutelle souffrent d'un handicap mental définitif, mais beaucoup d'entre elles sont de grands accidentés de la vie sociale - perte d'emploi, de logement, divorce, problèmes d'alcool. Il est alors bien commode pour le travailleur social de demander au juge de placer la personne sous tutelle, laquelle restera malheureusement enfermée toute sa vie dans ce statut. La réforme des tutelles vise à redonner espoir à ces personnes placées sous tutelle faute de mieux, et à rendre à l'action sociale ses lettres de noblesse.

Bien sûr, cette action sociale aura un coût pour les départements, que nous avons tenu à compenser puisque l'Etat lui-même prendra en charge la gestion des tutelles.

Nous avons par ailleurs deux exigences, à commencer par la question du financement et de la maîtrise des coûts. J'ai voulu que la mise en œuvre de notre politique d'action sociale et familiale ne soit pas mise en péril par des systèmes de gestion beaucoup trop relâchés et qui entraînaient chaque année, comme l'ont prouvé les missions de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances, un surcroît de dépenses sans que les services suivent pour autant. Ainsi, en 2004, les crédits de l'action sociale des caisses d'allocations familiales ont augmenté de 22 % alors même que le nombre de places en crèche n'a crû que d'un peu plus de 2 %. Où est passé l'argent ? Sans doute dans l'amélioration de l'accueil des enfants, mais surtout dans des dépenses de personnel, qui n'ont cessé de croître du fait de taux d'encadrement devenus excessifs par rapport aux normes françaises, elles-mêmes les plus exigeantes d'Europe.

Nous avons voulu, avec les partenaires sociaux, que la garantie apportée par la convention d'objectifs et de gestion d'une augmentation de crédits d'action sociale des caisses d'allocations familiales de 7 à 8 % par an soit respectée, et que cette augmentation de crédits, qui est d'une ampleur inégalée, se traduise bien par l'augmentation du nombre de places en crèches. C'est la raison pour laquelle le dispositif a été recentré, avec le principe selon lequel tous les financements en cours seraient maintenus, et les nouveaux contrats établis sur des bases différentes. Nous avons maintenant un dispositif de bonne gestion et le renforcement du rôle de la Caisse nationale des allocations familiales dans le contrôle de gestion garantit le développement des crèches.

Si nous voulons répondre aux besoins des familles, nous devons nous montrer bons gestionnaires. Il en va de même pour le revenu minimum d'insertion (RMI). Au fond, ce sont les départements qui connaissent le mieux les bénéficiaires du RMI, puisqu'ils sont en charge de leur insertion. Ils sont les mieux placés pour appréhender la réalité du terrain, faire que chaque euro dépensé au titre de la solidarité soit réellement utile à la solidarité, et que l'évolution de nos dépenses d'aide aux plus démunis permette leur insertion et ne les enferme pas dans les minima sociaux.

La coordination est notre dernière exigence. Enfermer le travail social dans des compartiments - caisse d'allocations familiales, centre communal d'action sociale, département, autres institutions -, chacun ignorant tout des autres, porte préjudice aux familles, dont la situation n'est alors pas prise en compte de manière transversale.

La rencontre des travailleurs sociaux sur le terrain autour du problème de la famille, pour rassembler les pièces d'un puzzle dont chacun ne détient qu'une parcelle, et avoir une vision d'ensemble des difficultés de cette famille, pour mieux les régler dans la confiance, est particulièrement importante.

J'ai toujours été favorable au maintien du secret professionnel, mais j'ai toujours considéré qu'il était essentiel que des professionnels, également assujettis au secret, puissent partager les informations nécessaires au bien de la famille. Nous avons ainsi beaucoup progressé depuis l'adoption par le Parlement de dispositions de coordination du travail social. De même, il est salutaire que de nombreux départements aient développé la polyvalence des travailleurs sociaux. Au sein même du département, la distinction entre travailleurs sociaux en charge de politiques différentes n'a pas toujours donné de bons résultats. La transversalité est un gage d'efficacité.

M. Pierre Morange, coprésident : Permettez-moi de vous remercier d'avoir mis à la disposition de la MECSS des membres de l'IGAS, avec qui nous avons extrêmement bien travaillé. Nous tenons à saluer la qualité de leur travail.

Où en est l'application de l'article 138 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoyant la mise en place du répertoire national des bénéficiaires avec le numéro d'inscription au répertoire (NIR) comme code d'accès ?

M. Philippe Bas : Je tiens à rendre hommage à votre initiative. La mise en œuvre de cet article exige l'élaboration et la publication d'un décret en Conseil d'État, qui doit être pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ce décret doit préciser le contenu des différentes informations qui seront inscrites dans le répertoire commun et fixer les modalités de gestion et d'utilisation de ce répertoire.

Un groupe de travail est déjà en place, qui réunit les caisses nationales de sécurité sociale, l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), la direction générale des impôts (DGI). Il est piloté par la direction de la sécurité sociale, et il associe tous les organismes concernés par la création, l'utilisation, la gestion de ce fichier.

Ce groupe de travail formule des propositions, que je recevrai en février prochain. Sur cette base sera finalisé le projet de décret qui sera ensuite soumis à la CNIL, aux conseils d'administration des caisses nationales du régime général et au Conseil d'État.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Merci de cette présentation très complète. Vous avez rappelé l'importance de la conjugaison des forces, aujourd'hui indispensable pour avancer en matière de politique sociale. Dans le cadre d'une réflexion plus globale visant à décloisonner les différents secteurs - le sanitaire, le social, le médico-social - quel serait aujourd'hui le niveau le plus favorable pour mener cette coordination ? Les départements ? Les régions ?

Par ailleurs, serait-il envisageable d'instaurer sur les territoires un réseau santé-social ? Il convient aujourd'hui d'avancer sur ces questions. Ces réseaux santé-social, constitués de pôles santé-social par exemple, qui regrouperaient les informations, les compétences, et qui délivreraient certains soins vous paraîtraient-ils le bon niveau pour simplifier et mieux organiser les réponses sur le territoire ?

M. Philippe Bas : En matière de travail social, ce sont les départements qui disposent des ressources humaines les plus importantes. Pragmatique, je pars de cette réalité. Pour autant, ils n'ont pas de monopole. Évidemment, une petite commune qui n'a pas de travailleurs sociaux peut faire partie d'une communauté de communes, avec un centre intercommunal d'action sociale. Il est plus facile de faire du bon travail quand on connaît les gens, leur famille. Le département est parfois éloigné mais à lui d'organiser le maillage pour que les travailleurs sociaux soient au plus près du terrain.

Je rappelle que les travailleurs sociaux des communes et des centres communaux d'action sociale représentent seulement 4% des effectifs de travailleurs sociaux en France. Ne regardons pas le rôle de la commune au travers du prisme d'une réalité essentiellement urbaine où le travail social organisé par la commune a beaucoup plus d'importance qu'en milieu rural, et reconnaissons la réalité du leadership du département en matière d'action sociale. S'agissant des régions, nous devons nous entendre sur la notion d'action sociale. Si vous visez plus généralement les politiques sociales, l'équipement en services sociaux, le niveau régional est pertinent, mais nous ne parlons plus de la même chose, puisqu'il s'agit alors d'une offre institutionnelle de services. Il est impossible, quel que soit le domaine de notre politique sociale, de choisir à l'avance une collectivité qui s'occupera de tout. Il faut opérer des distinctions. Lorsqu'il s'agit de politique d'insertion, d'aide aux familles en difficulté, d'aide à l'enfance, de traitement des questions de surendettement, nous avons besoin d'un maillage au plus près de la personne. Quand il s'agit au contraire de répartir des financements pour créer de nouvelles institutions, il est nécessaire de prendre du recul pour être le plus juste possible et accorder les moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

S'agissant d'instaurer sur les territoires un réseau santé-social, je rappelle que le rapprochement de la santé et du social est déjà largement en cours pour les personnes âgées et handicapées. Les plans d'aide à la personne cumulent les deux dimensions, de même que les financements sont généralement conjoints et coordonnés. C'est le cas pour les établissements accueillant des personnes âgées et dépendantes ou pour les accueils de jour. Il paraît difficile à ce stade d'envisager un vaste réseau santé-social compétent vis-à-vis de tous les publics à la fois, mais c'est vrai que la loi sur l'autonomie a prévu que progressivement, les problématiques se ressemblant, la prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées dépendantes pourrait être plus homogène.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous sommes tous conscients de l'importance de la proximité dans le domaine de la protection sociale. Cependant, faute de compétence clairement définie, nous manquons d'information sur l'ampleur réelle des difficultés. Comment obtenir ces informations qui permettraient aux départements, aux caisses, au législateur de bien orienter les politiques ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l'action sociale de la branche vieillesse et de la branche maladie et de leur évolution ?

M. Philippe Bas : Nous sommes toujours partagés entre la nécessité d'obtenir des informations plus précises pour construire une politique et évaluer sa mise en œuvre, et le désir de ne pas transformer les acteurs de terrain en rédacteurs de dossiers d'information.

Des efforts sont entrepris. S'agissant du handicap, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) nous permettront de faire remonter des informations de très bonne qualité, d'autant plus qu'il s'agit là d'une priorité du directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Je trouve cette caisse mal nommée car il s'agit, à mon sens, d'une véritable agence qui joue un rôle de coordination sans contrainte, dans la mesure où les départements, les maisons départementales des personnes handicapées, les directeurs de ces maisons en ressentent fortement la nécessité. Cette coordination s'est du reste mise en place avant même leur installation par l'élaboration, par exemple, de guides pour la mise en place des maisons, ce qui a facilité le travail des départements.

Nous mettons par ailleurs en place avec la CNSA un système de remontée des informations qui nous permettra d'avoir un bon pilotage. Cet exemple pourrait être suivi, me semble-t-il, dans les autres domaines de l'action sociale.

Pour bien progresser, il est nécessaire de fournir aux responsables de terrain un retour de ces informations, afin que tout le monde en profite.

S'agissant de l'action sociale des caisses, oui, cent fois oui, cette action sociale des caisses de sécurité sociale doit se maintenir et même s'amplifier. Ainsi, quel est aujourd'hui le sens d'une politique familiale innovante ? Qu'elle réponde aux besoins des familles, par la mise en place de services. Aujourd'hui, les deux parents travaillent - 82 % des femmes françaises en âge d'avoir des enfants sont en activité ou en recherche d'emploi, ce qui est un résultat d'autant plus impressionnant au niveau européen que la France détient le taux de natalité le plus fort. Le travail des femmes n'est pas l'ennemi de la natalité, au contraire, il y contribue en ce qu'il apporte de la sécurité matérielle à la famille. Aujourd'hui, le plan pour la petite enfance est avant tout une action sociale des caisses d'allocations familiales, avec la garantie de l'Etat pour les financements - nous sommes en train de modifier la convention d'objectifs et de gestion pour assurer son financement sur les prochaines années. La garde des enfants est aujourd'hui la priorité numéro un de la politique familiale, car nous devons permettre que l'engagement professionnel des deux parents ne les empêche pas de remplir pleinement leurs responsabilités familiales.

Autre exemple, la protection de l'enfance. Les caisses d'allocations familiales sont celles qui emploient le plus de travailleuses familiales, aujourd'hui appelées techniciennes d'intervention sociale et familiale. Ce sont des femmes remarquables qui présentent l'avantage d'être à la maison avec la famille, et d'en partager la vie plusieurs heures par jour. Elles peuvent être, au sein du foyer, des ferments du progrès dans la manière dont les parents vont assumer leurs responsabilités parentales. C'est ainsi que nous ferons progresser la bientraitance. Il est nécessaire que les caisses d'allocations familiales continuent à être pleinement engagées dans ce travail familial de premier ordre.

Autre exemple : les caisses primaires d'assurance maladie, dont l'action sociale est très importante. Il est des cas où les remboursements, même importants, ne permettent pas à une famille de faire face à un problème de santé. Il est des cas d'urgence où il faut pouvoir agir. Ces caisses doivent continuer à jouer ce rôle. Bien sûr, une partie de ce qu'elles faisaient, quand il n'y avait pas d'aide pour l'acquisition d'une complémentaire santé, est repris au titre de cette aide que nous avons encore amplifiée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, en offrant à un million de familles supplémentaires la possibilité de bénéficier de l'aide. Cette aide nationale à l'acquisition d'une couverture de santé complémentaire pour les familles modeste représente autant de moins à prendre en charge au niveau local. Reste que beaucoup de dossiers d'action sanitaire et sociale doivent encore être assumés par nos caisses primaires d'assurance maladie, et c'est nécessaire.

Quant aux personnes âgées, je suis un ardent partisan du renforcement du rôle de la Caisse nationale d'assurance vieillesse au travers des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), mal nommées puisqu'elles devraient s'appeler caisses régionales d'assurance vieillesse et des accidents du travail (CRAVAT). Elles absorbent en effet l'essentiel des moyens pour l'action sociale dans le domaine des services aux personnes âgées en travaillant en étroite collaboration avec de grandes organisations nationales, comme Aide à domicile en milieu rural (ADMR). Il s'agit à la fois d'apporter aux personnes âgées vieillissantes et qui perdent de leurs forces le soutien nécessaire à la maison tant qu'elles restent autonomes, et de diversifier ces formes d'action. Il ne suffit pas de faire le ménage, il faut assurer un accompagnement beaucoup plus large amener la personne âgée faire des courses, l'accompagner chez le médecin, apporter des plateaux repas... Nos associations doivent évoluer sur ce point, et ne pas rester enfermées dans une forme de prestation unique, alors que les besoins se diversifient. Le libre choix, qui est au cœur du plan « Solidarité grand âge », c'est d'abord pour les personnes âgées le maintien à domicile. Le plan « Solidarité grand âge » prévoit chaque année davantage de création de places en service de soins infirmiers à domicile que de places en maisons de retraite, alors même que le nombre de places en maisons de retraite est le double de celui que nous avions prévu dans le plan « vieillissement solidarité » en 2003 après la canicule, ce plan étant lui-même sans précédent. Il est vrai que le vieillissement de la population s'accélère puisque le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait doubler dans les dix prochaines années.

Cette politique d'aide au maintien à domicile, dans son aspect de services généraux pilotés par l'action sociale des CRAM, se conjugue avec cette politique de développement des services de soins infirmiers à domicile mais aussi avec le développement de l'hospitalisation à domicile. Je rappelle qu'il n'existait que 3 000 places en France en 2002, contre 8 000 aujourd'hui, et 15 000 en 2010 ! L'on croit généralement qu'il coûte moins cher d'être maintenu à domicile que d'aller en maison de retraite, mais c'est le contraire, quand il s'agit de personnes en état de dépendance important et qui demandent des soins. Une place à domicile, avec des soins infirmiers, coûte 50% de plus qu'une place en maison de retraite médicalisée. C'est dire l'effort que représentent 6 000 places par an en service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), à comparer aux 6 000 places par an en maison de retraite, mais tel est bien le choix que nous faisons, celui d'un système ouvert, avec plusieurs points d'appui.

L'action sociale des caisses de sécurité sociale est donc vitale.

C'est en particulier le cas s'agissant des personnes handicapées. Alors que les caisses versaient de l'argent aux sites de la vie autonome, j'ai demandé que cet argent revienne aux fonds de compensation des maisons départementales des personnes handicapées, afin que la montée en régime de ces maisons ne se traduise pas par un retrait de l'action sociale de nos caisses. Au contraire, il faut la maintenir et si possible l'amplifier. Toutes les consignes ont été données et localement nous voyons adhérer les caisses de sécurité sociale aux fonds de compensation des maisons départementales des personnes handicapées.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous des expérimentations menées au titre des plates-formes multiservices, lesquelles permettent de réunir les différents acteurs des différentes branches du régime général ? Avez-vous des réflexions à ce sujet tant en termes de simplification des démarches que de partage des informations ?

Par ailleurs, s'agissant des besoins en formation, les moyens mis à disposition sur le plan budgétaire à la suite de la loi du 11 janvier 2005 sont importants, mais il faut une concrétisation en termes de ressources humaines et donc de formation de personnel compétent. Avez-vous la conviction que le plan ambitieux qui a été voté et les moyens alloués permettront de répondre au défi que constitue la prise en charge de la dépendance et du handicap ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Du fait du choix, porté par tous, de l'individualisation et de la proximité, les travailleurs sociaux sont en pleine mutation. Comment accompagner cette évolution ?

M. Philippe Bas : Il y a une grande continuité dans vos réflexions sur l'amélioration par la mise en commun des moyens du fonctionnement de la sécurité sociale.

Trois branches de la sécurité sociale sont en contact avec des publics différents. Je ne vois pas l'intérêt, pour une jeune maman qui s'interroge sur les prestations familiales, de s'adresser à un guichet qui pourrait aussi répondre à une question sur sa retraite. Il est important en revanche de bien répondre à sa question sur les prestations familiales.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez rappelé votre attachement à la professionnalisation des différentes branches, laquelle n'est pas contradictoire avec des plates-formes multiservices où chaque guichet conserverait sa spécificité, mais dans un espace commun.

M. Philippe Bas : J'allais y venir. Nous avons réformé le régime social des indépendants, en mettant en commun tout ce qui concernait l'assurance vieillesse, le recouvrement, et la maladie, pour le plus grand bonheur de nos artisans et commerçants qui ne savaient plus à quel saint se vouer.

Oui, cette plate-forme commune, avec l'aide de la communauté de communes en milieu rural, marche très bien, et va dans le sens du maintien d'un service public de proximité. Ce qui est important, dans ces plates-formes, n'est pas que le personnel puisse répondre à tout, mais qu'il sache à qui s'adresser pour obtenir la réponse et la transmettre au demandeur.

Je suis un ardent partisan de ces plates-formes.

Par ailleurs, nous développons, au sein des branches, la mutualisation des moyens, et nous n'hésitons pas à demander au Parlement de valider certaines initiatives lorsque les innovations se révèlent une réussite. Ainsi, nous avons permis au département de la Lozère de réunir en un même lieu les différents organismes de sécurité sociale, y compris l'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), et de créer une caisse lozérienne de sécurité sociale. Nous devons laisser leur chance aux personnes qui innovent pour le bien de leurs concitoyens, en mettant à leur disposition un service amélioré qui de surcroît coûte moins cher. Naturellement, comme toujours, des réticences se sont exprimées, certains craignant que l'exemple de la Lozère ne fasse des émules. Pour autant, si nous avons dit oui à la Lozère, c'est parce que les acteurs de ce département ont fait la preuve de leur efficacité. Nous n'avons pas dit oui à tout le monde. Nous voulons suivre les initiatives locales et leur permettre d'aboutir quand elles sont salutaires.

S'agissant de la formation, j'évalue les besoins, rien que pour les personnes âgées, à 40 000 personnes par an pendant dix ans. C'est énorme. Le plan « Solidarité grand âge » prévoit que, dans les cinq prochaines années, pour les personnes âgées les plus dépendantes, nous devrons pratiquement doubler les effectifs dans les maisons de retraite médicalisées. Les métiers médico-sociaux sont pleins d'avenir, et j'encourage les jeunes à s'orienter dans cette voie.

La formation va-t-elle suivre ? La formation des aides soignantes est en forte augmentation, mais nous devons encore ouvrir de plus en plus de formations en médico-social, dans le cadre des lycées et des classes de brevet de technicien supérieur (BTS).

Par ailleurs, la validation des acquis de l'expérience, aujourd'hui ouverte à pratiquement tous les métiers médico-sociaux, doit permettre, par exemple, à un agent de service d'une maison de retraite médicalisée, de devenir aide-soignant ou auxiliaire médico-psychologique, lequel doit pouvoir devenir à son tour infirmier. L'attractivité de ces métiers en sera renforcée d'autant.

Le travail est commencé, mais il faudra le poursuivre, durant ces dix prochaines années. Nous devrons tous nous y mettre, notamment les régions qui ont en charge la formation professionnelle.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le ministre, nous vous remercions.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, accompagné de M. Jean-Luc Heller, chef du département des études et des statistiques locales, et de M. Jérôme Teillard, attaché au bureau des services publics locaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous achevons avec vous une série d'auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et des collectivités territoriales.

Quel bilan pouvez-vous dresser de la décentralisation de l'action sociale ? Quelles sont les grandes tendances d'évolution de l'action sociale ? Peut-on encore distinguer aide sociale et action sociale ? L'organisation actuelle de l'action sociale vous paraît-elle optimale ? Comment faudrait-il la faire évoluer ? Avec la montée en charge des départements, l'action sociale de la sécurité sociale reste-t-elle pertinente ? Ne conviendrait-il pas de clarifier et de rationaliser le dispositif d'ensemble de l'action sociale en le décentralisant complètement ? Enfin, de votre point de vue, comment le pilotage, l'animation et l'évaluation de l'action sociale pourraient-ils être améliorés ?

M. Edward Jossa : Je m'exprimerai avec une grande modestie car je n'ai pas la prétention de maîtriser le sujet dans tous ses détails, tant il est vaste et protéiforme.

L'action sociale au sens large des collectivités locales représente 23 milliards d'euros, à comparer avec les 513 milliards d'euros de dépenses sociales totales et, de façon plus éclairante, avec les 71,5 milliards d'euros de contributions publiques au système de sécurité sociale.

Les prestations légales constituent de loin la partie la plus importante de l'action sociale des collectivités locales : 5 milliards d'euros pour le revenu minimum d'insertion (RMI) ; 5 milliards d'euros pour l'aide sociale à l'enfance ; 5 milliards d'euros pour les personnes âgées, dont 3,9 milliards pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; une situation moins monolithique pour le handicap puisque la prestation de compensation du handicap (PCH) ne représente qu'un gros tiers des 3,5 milliards d'euros dépensés par les collectivités locales dans ce domaine.

La dépense augmente très rapidement. L'évolution la plus significative concerne l'APA, qui a explosé : elle est passée de 1,8 milliard à 3,7 milliards d'euros depuis sa création, en 2002. Le vieillissement de la population a une incidence majeure sur les finances publiques - le problème va au-delà des collectivités locales - et, d'après nos estimations, la tendance ne se ralentit pas.

Le RMI suit également une progression importante : par rapport au droit historique à compensation, les dépenses supplémentaires atteignent 870 millions d'euros, ce qui a conduit l'État à concevoir un plan de 500 millions d'euros par an sur trois ans, quoique l'évolution soit intervenue postérieurement au transfert de compétence. Une partie des surcoûts du RMI peuvent aussi être liés aux changements de politique de l'emploi. Les élus locaux, légitimement attachés à la maîtrise de la dépense obligatoire, sont évidemment soucieux d'obtenir une compensation intégrale.

La notion d'aide sociale est de plus en plus difficile à cerner, les distinctions historiques entre action sociale et aide sociale ou entre prestations légales et facultatives s'effaçant progressivement. Depuis 1984, les prestations facultatives peuvent compléter les prestations obligatoires et, depuis 2002, le code de l'action sociale et des familles donne une définition très large de l'action sociale, qui s'étend désormais à l'aide à la citoyenneté, à la prévention et à la lutte contre l'exclusion - le champ est tellement étendu que l'on peut se demander s'il existe toujours une véritable définition.

Dans le domaine de l'action sociale, tout le monde peut intervenir : l'État, les collectivités locales, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les associations financées par l'État. C'est le domaine dans lequel le principe de non-spécialisation s'est le plus généralisé. Les relations entre les communes et les intercommunalités sont à cet égard significatives : l'existence d'un centre communal d'action sociale (CCAS) n'interdit pas à la commune d'intervenir directement et la création d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS) n'entraîne pas le dessaisissement des CCAS des communes membres. Il existe bien d'autres exemples : personne n'accepterait d'abandonner son pré carré au profit d'une structure mutualisée.

Se pose par conséquent la question du pilotage, et l'article 49 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confère au département la qualité de « chef de file numéro un ». Cette mesure est néanmoins d'une portée effective relative puisqu'elle n'autorise pas un département à intervenir directement pour imposer des orientations aux autres acteurs : c'est un chef de file passablement virtuel, dont le rôle, en l'état de la réglementation, ne peut aller au-delà de l'animation et de la coordination locales.

Avant de se lancer dans des transferts de compétences, il conviendrait de remettre à plat la matrice de l'action sociale, qui est très compliquée et se caractérise par des recoupements : des personnes handicapées deviennent âgées, des personnes bénéficiant du RMI sont âgées de plus de cinquante ans. Il y a par conséquent un besoin de fixer de grands principes d'orientation, définis de façon concertée, indiquant le système de prise en charge dont chaque public doit relever.

Nous serions en théorie assez favorables au transfert de l'action sociale des caisses vers les départements, la coexistence de deux acteurs créant des redondances, des doublons et des malentendus. Les régimes sociaux peinant à atteindre l'équilibre, ils se désengagent du financement de l'aide à l'enfance, ce qui conduit les communes à réclamer une compensation à l'État.

Une variante de cette proposition est envisageable : les caisses conserveraient une capacité d'intervention mais les établissements et les travailleurs sociaux seraient décentralisés. Leur regroupement auprès des départements permettrait de mieux mutualiser les frais de gestion, de spécialiser les caisses dans le financement des options et de laisser la mise en œuvre à des établissements gérés par les collectivités locales. Cela constituerait une bonne application du principe de subsidiarité, maintenant inscrit dans la Constitution.

La limite à cette logique de décentralisation est d'ordre financier car les sommes en jeu sont considérables et il faut être sûr que les charges supplémentaires incombant aux collectivités locales seront compensées, selon un système respectant le principe d'autonomie fiscale.

En dehors de ces perspectives à moyen terme, un travail quotidien d'amélioration des interactions entre les collectivités locales et l'État est évidemment mené en permanence. Des initiatives de coordination intéressantes ont notamment été conduites en matière d'information entre les inspections du travail et les départements ou entre la sécurité sociale et les départements. Dans cet esprit, une consultation beaucoup plus forte de départements pourrait être recherchée dans le domaine de la programmation pour les personnes âgées et handicapées.

Une partie des malentendus entre les différents intervenants tiennent au fait que, dans les domaines transférés vers les collectivités locales, la décentralisation est insuffisamment prise en compte : chacun continue à faire comme si l'État restait compétent, à tel point que l'on parle de « déconcentralisation », particulièrement pour l'action sociale. Un tiers de la réglementation française concerne le social, qui est donc l'objet d'une sur-réglementation massive. La loi va jusqu'à fixer la taille, le format et le contenu des notices de demande d'agrément pour l'adoption !

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous une liste exhaustive de ces excès ?

M. Edward Jossa : Nous disposons d'une fiche avec quelques exemples, que voici.

De même, contrairement aux principes de la décentralisation et de l'autonomie locale, l'organisation de certaines structures départementales, comme les services de protection maternelle et infantile (PMI), est fixée par décret en Conseil d'État.

Enfin, dans le domaine de la tarification, il me paraît indispensable de laisser davantage de marge de manœuvre aux collectivités locales. Je ne pense pas aux trente prestations légales comme le RMI, encore que celui-ci pourrait être décentralisé et modulé par rapport à un tarif de base.

La notion même de décentralisation, dans le domaine social, reste incomprise. Soit un champ est totalement encadré et n'a alors pas sa place parmi les compétences des collectivités locales, soit il est transféré et le principe de libre administration doit être accepté. Une solution consisterait à soumettre à un organisme comme le comité des finances locales toute nouvelle norme ayant une incidence sur les dépenses des collectivités locales. Une autre serait de supprimer toutes les normes ne figurant pas parmi une liste ; c'est ce que j'appelle le « désherbage massif ». Une troisième serait de conférer aux collectivités locales un pouvoir réglementaire de substitution, ce qui nécessiterait une expertise constitutionnelle. Les expérimentations ne sont pas satisfaisantes car on sait que leur généralisation est impossible.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nombre d'expérimentations restent effectivement au milieu du gué, en particulier dans le domaine des politiques sociales, alors que certaines d'entre elles ont réussi. La MECSS est attentive à ces réflexions. Le « désherbage massif » et la remise à plat de la matrice de l'action sociale sont nécessaires, mais les simplifications ne doivent pas mettre en péril les dispositifs qui appartiennent à l'histoire et ont apporté en leur temps des réponses satisfaisantes.

Avez-vous connaissance d'expériences de plates-formes multiservices apportant réellement satisfaction sur le territoire où elles sont menées ?

M. Jérôme Teillard : Dans le Nord ou à Rennes, il existe des expériences d'intégration assez poussée entre l'échelon communal et l'échelon départemental. Les collectivités trouvent intérêt à mutualiser leurs moyens, le cas échéant avec les organismes de sécurité sociale, notamment les caisses d'allocations familiales (CAF). Mais faut-il légiférer en s'inspirant d'expérimentations ou plutôt mettre en place des dispositifs de partage des bonnes pratiques et laisser le choix aux collectivités ?

Il existe deux exemples de modèles imposés par la loi : les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Il faut cependant laisser une marge de souplesse car les solutions ne sauraient être identiques en Lozère et dans le Nord.

M. Edward Jossa : Cette question renvoie à celle de l'évaluation des politiques. Je crois à des systèmes d'évaluation verticale et horizontale, procédure par procédure, avec des enquêtes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il importe en effet de développer l'évaluation car nous ne disposons pas de suffisamment de recul et de capacités pour analyser finement la situation.

Dans certains départements, des expériences de concertation entre CLIC et MDPH sont concluantes : ces deux niveaux d'intervention peuvent se compléter voire aller dans le même sens. Qu'en pensez-vous ?

M. Jérôme Teillard : La loi, en confiant la prise en charge des CLIC et des MDPH au conseil général, n'interdit pas à ce dernier de créer son propre dispositif de mutualisation entre les équipes médico-sociales, voire leur regroupement en un site unique. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) promeut d'ailleurs les expérimentations des départements tendant à mutualiser leurs services. Et c'est une perspective incontournable à moyen terme puisque la question de la convergence des systèmes de prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées est posée. Il est toutefois préférable, de notre point de vue, de laisser au conseil général le soin de choisir son organisation plutôt que de lui imposer un modèle par la loi. Certains départements ont même eu du mal à créer leur MDPH parce qu'ils auraient préféré l'intégrer dans leurs services au lieu de constituer un groupement d'intérêt public (GIP) extérieur.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous confirmez là ce que nous avons déjà entendu.

M. Jean-Luc Heller : J'ajouterai quelques mots sur les systèmes d'information statistiques. Leur source étant administrative, par opposition aux enquêtes particulières, plus qualitatives, ils sont soumis aux évolutions de la gestion liées par exemple à la décentralisation. Il est important de maintenir la cohérence du système, mais dans des conditions soutenables, qui ne se traduisent pas, pour les acteurs, par un accroissement de la charge, des doubles emplois ou des redondances dans les remontées d'informations. Pour étalonner des performances ou des résultats à partir de systèmes institutionnels très différents, une coordination statistique est assurée. Le dispositif repose sur la bonne volonté des participants mais aussi sur le travail du conseil national de l'information statistique (CNIS). Celui-ci est au demeurant sous-utilisé, certains partenaires du monde des collectivités locales n'étant pas aussi actifs qu'ils pourraient l'être dans cet effort. Le cadre est posé ; reste à le mettre en œuvre dans le contexte compliqué de la décentralisation.

M. Pierre Morange, coprésident : Une plate-forme multiservices visant à regrouper l'ensemble des branches du régime général a été mise en place en Lozère. Avez-vous analysé ce dispositif ? L'État ne pourrait-il pas faciliter la mise en œuvre de ce type de structures, tout au moins dans les régions où les services publics, en particulier les services de l'action sociale, tendent à se désertifier ?

M. Edward Jossa : Une telle expérience est extrêmement intéressante mais nous estimons que c'est au département de piloter la programmation territoriale des services car lui seul a la vision territoriale de la situation.

M. Jérôme Teillard : L'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a mené tout récemment dans les départements des études sur les réorganisations en cours liées à la décentralisation du RMI. Il en ressort que les solutions retenues sont diverses, en fonction de la force du réseau des CCAS. Dès lors qu'il a été décidé que la responsabilité de l'organisation incombe aux départements, mieux vaut laisser à chaque territoire les moyens de se structurer en fonction de sa réalité locale. L'exemple de la Lozère n'est pas nécessairement transposable dans des départements urbains, voire dans d'autres départements ruraux où l'histoire, l'implication des communes et le rôle des intercommunalités diffèrent. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales pose comme principe que le département doit être l'organisateur, le chef d'orchestre.

M. Edward Jossa : Nous sentons monter, sur le sujet, une certaine tension entre les départements et les grandes agglomérations, qui revendiquent le pilotage.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il semblerait que les schémas départementaux ne remplissent plus tout à fait le rôle qui leur est assigné. Disposez-vous de témoignages à ce sujet ?

M. Edward Jossa : Toute disposition de programmation est positive. Cependant, là aussi, faut-il totalement normaliser l'exercice à partir de Paris ou bien laisser les départements décider du contenu de leur schéma, des partenaires avec lesquels s'associer et des stratégies ?

M. Jérôme Teillard : La loi du 13 août 2004 a confié l'intégralité du pilotage des schémas aux départements, mais un quart d'entre eux seulement ont pris le transfert en compte.

Si le bilan est mitigé, c'est que le paysage juridique est très instable : tous les grands secteurs entrant dans le cadre des schémas départementaux ont été profondément impactés par les nombreux textes adoptés depuis 2004.

Autre difficulté, sur le terrain, on n'arrive pas à bâtir des schémas unifiants, du domaine de l'enfance jusqu'à celui des personnes âgées : ils restent très sectoriels, même si la volonté commence à se faire sentir.

Enfin, les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC), pilotés par l'État, ne s'articulent pas encore avec les schémas départementaux, expression de besoins localisés. Il est indispensable de consulter systématiquement les départements.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.


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