Mardi 8 novembre 2005

- Audition de M. Christophe Weber, président du laboratoire GlaxoSmithKline France

(Compte rendu de la réunion du 8 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Christophe Weber, président du laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) France.

Monsieur Weber, GSK est le fabricant du Relenza, l'autre antiviral, avec le Tamiflu, sur lequel nous pouvons compter pour faire face à la crise sanitaire qui nous menace. Par ailleurs, vous vous lancez dans la fabrication de vaccins antigrippaux.

Les caractéristiques du Relenza sont proches de celles du Tamiflu, à ceci près que son mode d'administration est apparemment un peu plus compliqué. Vous nous apporterez, si nécessaire, des compléments d'information sur ce produit. Nous évoquerons ensuite la question des vaccins. Nous pourrions conclure en abordant le problème sous l'angle économique et social : nous souhaiterions savoir comment vous comptez contribuer, en tant qu'industriel, à la stratégie qui sera conduite pour faire face à la pandémie au plan mondial.

M. le Rapporteur : Pour compléter les propos de M. le président, je souhaiterais savoir où en est la recherche sur les antiviraux. D'autre part, comment avez-vous créé le Relenza et quelle est son efficacité ? Enfin, quelle est la politique commerciale de votre laboratoire en matière d'antiviraux dans le cas d'une éventuelle pandémie ?

M. Christophe WEBER : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Relenza est disponible depuis maintenant plus de cinq ans. Il présente quelques spécificités qu'il importe de souligner. Notamment, des données existent montrant une certaine efficacité sur des souches qui seraient résistantes au Tamiflu. En ce sens, il a probablement sa place dans un arsenal thérapeutique pour lutter contre la pandémie.

Les démonstrations du Relenza ont été faites, mais pas in vivo, pour le virus H5N1. Elles ont été faites, in vivo, avec les souches classiques de la grippe, H3N2 et H1N1. Son indication concerne le traitement de la grippe. Quant à son mode d'administration, il se présente sous forme de système d'inhalation, au moyen duquel on inspire de la poudre sèche qui gagne ensuite les voies aériennes et les poumons. Le virus de la grippe se répliquant dans les poumons, l'efficacité du Relenza est donc rapide C'est un produit intéressant car il a peu de passage systémique.

Nous n'avons pas, en Europe et aux États-Unis, une indication de prévention. Nous allons soumettre à nouveau un dossier pour obtenir cette indication dans les prochains mois.

S'agissant du virus H5N1, les données in vitro montreraient son efficacité chez l'homme. Mais tant qu'il n'a pas été utilisé, il y a toujours un doute. Les données montrent son efficacité chez la souris.

En ce qui concerne les résistances, nous n'avons à ce jour qu'un seul cas, chez un enfant vietnamien immuno-déprimé. Nous pensons que du fait de sa puissance d'action et de son mode d'administration, le Relenza pourrait développer moins de résistances que d'autres produits. Mais il convient d'être prudent, car le Relenza a été beaucoup moins utilisé que le Tamiflu, et il est donc difficile de conclure définitivement. Il est cependant établi que des souches résistantes au Tamiflu sont sensibles au Relenza.

Commercialement, ce produit n'a pas été un succès en raison des contraintes de son administration : il doit être pris dans les 48 heures qui suivent les premiers symptômes, ce qui implique de voir son médecin rapidement. De plus, le Relenza n'est pas remboursé. En France, nous vendons traditionnellement environ 5 000 traitements par an, autant dire rien.

Au moment où le risque de pandémie est apparu, nous n'avions pas les capacités de production nous permettant d'y faire face. Nous avons donc commencé à investir massivement, ce qui nous permettra d'augmenter beaucoup nos capacités de production à partir de 2006 et 2007 : elles pourraient être multipliées par cinq ou six dans les deux prochaines années.

M. le Président : En termes de processus de fabrication, le Relenza est-il proche du Tamiflu ?

M. Christophe WEBER : Il est très différent. La fabrication des médicaments respiratoires sous forme de poudre inhalée est très compliquée car il faut savoir maîtriser une forme sèche en poudre et un système qui permette d'avoir le bon dosage à chaque inhalation.

Notre capacité de production va donc croître car une demande forte commence à apparaître de la part de certains États, dont la France.

S'agissant de notre politique en matière de brevets, nous sommes tout à fait ouverts à toute collaboration, que ce soit avec des entreprises ou des États, qui permettrait d'augmenter significativement la production. Le problème est que peu d'acteurs maîtrisent cette technologie.

M. le Rapporteur : Où se trouve le site de fabrication du Relenza ?

M. Christophe WEBER : Une grande partie de la chaîne de production se trouve à Evreux, où 80 % de la production est assuré. La matière première est fabriquée en Écosse.

Le Relenza a été beaucoup utilisé au Japon.

Nous avons annoncé que, tant pour le Relenza que pour le vaccin, nous étions ouverts à des formules de collaboration ou de licence. Nous sommes en contact, déjà, avec quelques producteurs. Nous appliquons une politique de prix différenciés. C'est ce que nous faisons pour les médicaments visant à traiter certaines pathologies. S'agissant du SIDA, par exemple, nous vendons nos médicaments à des prix très peu élevés dans tous les pays en développement, notamment africains. Nous ferons de même pour le Relenza et le vaccin.

M. le Rapporteur : Êtes-vous en contact avec des gouvernements étrangers ?

M. Christophe WEBER : Oui. Certains ont déjà clairement annoncé qu'ils commanderaient du Relenza. La France a été le premier d'entre eux, en commandant 200 000 traitements en 2004. Elle a été suivie par Hong-Kong, les Pays-Bas, l'Allemagne, qui a commandé près de 2 millions de traitements il y a quelques mois, et les États-Unis.

M. Gérard BAPT : Pourquoi le Relenza n'est-il par remboursé, contrairement au Tamiflu ?

M. Christophe WEBER : Le Tamiflu n'est remboursé que dans certains cas, notamment pour les immuno-déprimés. Quant au Relenza, la Commission de transparence avait estimé que ce produit n'était pas suffisamment efficace. Il amoindrit la sévérité des symptômes et réduit la durée de la grippe de 1,5 jour, mais ces éléments n'ont pas été jugés suffisants.

M. le Président : C'est là un point important, qui explique pourquoi le Tamiflu et le Relenza ont la réputation, dans le corps médical, d'être des produits peu efficaces. Cette rumeur vient de là. Elle n'est pas totalement dénuée de fondement, mais elle n'est pas vraie non plus.

M. Christophe WEBER : Les études cliniques ont établi clairement une efficacité comprise entre 60 et 80 %. Mais le fait est que le Relenza doit être pris dans les 48 heures qui suivent les premiers symptômes, et il réduit la durée de la grippe d'un jour, la question étant de savoir si c'est beaucoup ou pas. À l'époque, la commission avait estimé que cela ne méritait pas un remboursement.

M. Gérard BAPT : Ce qu'a dit M. le président signifie-t-il que l'information médicale est mal faite ?

M. Christophe WEBER : Lors du lancement du Relenza, nous avons informé le corps médical, comme nous avons l'habitude de le faire pour tous nos médicaments. Mais comme il n'était pas remboursé, nous n'avions plus d'ambition commerciale.

Je précise qu'il n'y a pas aujourd'hui de Relenza dans les pharmacies et il n'y en aura probablement pas dans un avenir proche, dans la mesure où le produit n'était pas utilisé en temps normal. Nous privilégions en effet les commandes du Gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie, pour lesquelles notre capacité de production est déjà à peine suffisante.

M. le Rapporteur : Comment le produit est-il stocké et quelle est sa longévité ?

M. Christophe WEBER : Nous sommes obligés de stocker le produit fini. Il n'y a pas de possibilité de stockage en gros ou en container, car c'est un produit inhalé.

La durée de péremption est de trois ans. Elle a récemment été portée à cinq ans.

M. François GUILLAUME : Le Tamiflu et le Relenza présentent le même inconvénient, dans la mesure où ils doivent être utilisés rapidement. Après les 48 heures qui suivent l'apparition des symptômes, ils ne font que réduire légèrement la durée de la grippe. Où est la différence entre les deux produits ?

M. Christophe WEBER : Dans le cas de la grippe aviaire, la sévérité est très forte puisque cette maladie est mortelle. Atténuer la virulence du virus est donc important. De ce point de vue, les médicaments ont à peu près la même efficacité. Mais si on regarde les résistances, elles sont comprises entre 0,5 et 4 % pour le Tamiflu. Aucune résistance n'a été identifiée pour le Relenza.

M. le Rapporteur : Il faut aussi garder à l'esprit qu'on ne sait pas encore quel sera le virus responsable de la pandémie.

M. Christophe WEBER : Des indices montrent que les antiviraux seraient efficaces, mais on n'en est pas sûr.

M. le Rapporteur : Le site d'Evreux sera-t-il suffisant pour augmenter votre capacité de production, ou d'autres unités seront-elles construites ?

M. Christophe WEBER : Nous construirons d'autres unités dans d'autres continents, en Amérique et en Asie.

M. le Rapporteur : Et en Europe ?

M. Christophe WEBER : Non. Le site d'Evreux suffira. C'est l'un des plus gros sites industriels de GSK dans le monde. Il emploie 2 000 personnes.

M. François GUILLAUME : La matière première est-elle un produit naturel ?

M. Christophe WEBER : Non, elle est purement chimique et fabriquée en Ecosse. Cette matière première est d'ailleurs explosive à une certaine étape du processus.

M. le Rapporteur : Quel est le prix d'un traitement ?

M. Christophe WEBER : Le prix fabricant est d'un peu moins de 15 euros par traitement. En prix public, il se situe autour de 30 euros, variant un peu selon les marges des pharmaciens.

M. le Rapporteur : Quel sera le prix pratiqué pour les commandes gouvernementales ?

M. Christophe WEBER : Nous ne le communiquons pas.

M. le Rapporteur : Nous devrons donc le demander au Gouvernement ?

M. Christophe WEBER : Oui.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il du vaccin ?

M. Christophe WEBER : Dans le domaine du vaccin, GSK partage la première place mondiale avec Sanofi-Aventis. Nous avons beaucoup de vaccins pédiatriques ou contre l'hépatite B. La grippe n'est pas un vaccin majeur pour GSK, qui n'occupe que 10 % du marché mondial du vaccin de la grippe.

La capacité de production n'est pas suffisante. L'ensemble des fabricants de vaccin sont capables de produire 300 millions de doses de vaccin grippal, dont 90 % sont destinées à l'hémisphère Nord.

Si la production n'a pas connu d'augmentation au cours des années passées, c'est d'abord parce que la fabrication est encore difficile et se fait à partir d'oeufs. D'autre part, les risques commerciaux sont grands : la plupart des pays procédant par appels d'offres, vous n'êtes jamais certain d'être retenu pour vendre votre produit. En outre, les investissements en capital sont énormes. Enfin, le vaccin de la grippe ne peut être vendu à un prix élevé car il est devenu un produit « courant ». Toutes ces raisons expliquent que la production n'augmente pas. Aucun acteur majeur nouveau n'est apparu depuis des années sur le marché du vaccin. 95 % des vaccins sont fabriqués en Europe. La majorité des vaccins de GSK sont fabriqués en Belgique, et nous avons racheté en 2004 une petite unité de production à Saint-Amand-les-Eaux.

Notre stratégie est la suivante. Nous travaillons sur un vaccin dit de première génération, qui sera un vaccin à cellule entière, avec un adjuvant à base d'aluminium. Ce sera un vaccin vivant atténué, ce qui nous permettra une capacité de production plus importante que celle actuelle : elle sera multipliée par dix ou par douze. Cela étant, les vaccins vivants atténués ont souvent plus d'effets secondaires que ceux qui ne contiennent que les antigènes. Mais nous estimons que l'urgence justifie ce choix. Il est important que la capacité de production soit forte, avec un vaccin suffisamment immunogène pour être efficace après deux doses. Dans les derniers mois, nous avons investi près de 2 milliards de dollars pour augmenter notre capacité de production, en Allemagne, au Canada, aux Etats-Unis.

Ce vaccin sera développé sur des souches proches du H5N1. Nous le soumettrons d'ici la fin de l'année à la procédure classique d'enregistrement des vaccins. Mais nous avons passé un accord avec l'EMEA, l'Agence européenne pour l'évaluation du médicament, pour que soit appliquée une procédure accélérée.

Nous travaillons également sur une deuxième génération de vaccins, dont la fabrication aura recours à des adjuvants spécifiques permettant de potentialiser l'effet immunogène. Ces vaccins ne seront plus vivants atténués mais trivalents ou pentavalents. Moins de doses seront nécessaires. De plus, le spectre d'efficacité sera plus large, ce qui est important dans les cas où le virus viendrait à muter.

Le jour où la pandémie se déclenchera, nous arrêterons la production du vaccin classique et nous utiliserons toutes nos capacités de production, multipliées par 10, pour fabriquer les vaccins de première génération.

Dans les vaccins de troisième génération, il s'agit d'abandonner la production à partir d'œufs. Il faut aujourd'hui un œuf par vaccin - en outre, un œuf spécifique -, ce qui constitue une limite très gênante, d'autant plus que la grippe aviaire risque de diminuer le nombre d'œufs disponibles. La troisième génération utilisera la culture cellulaire.

M. le Rapporteur : Une fois connue la souche virale responsable de la pandémie, combien de temps vous faudrait-il pour produire ce vaccin ?

M. Christophe WEBER : Le vaccin de première génération sera disponible à partir de 2007. Nous pourrons commencer la production quatre mois après que l'OMS nous aura communiqué la souche.

M. le Président : Pour son appel d'offres, la France a retenu deux prestataires, Sanofi-Aventis et Chiron. Quel argument donneriez-vous pour que l'on retienne GSK s'il y avait une troisième commande ?

M. Christophe WEBER : Lorsque le Gouvernement a lancé l'appel d'offres, nous avons estimé qu'il était trop tôt pour s'engager sur quoi que ce soit. Rien ne dit que les fabricants parviennent à mettre au point un vaccin suffisamment immunogène pour que la réaction soit suffisante après deux doses. Il est possible qu'un fabricant ne parvienne qu'à produire un vaccin efficace seulement après trois ou quatre doses. Si j'étais à la place du Gouvernement, je m'adresserais à tous les fabricants afin d'avoir le plus de chance possible d'avoir le meilleur vaccin. Je pense que c'est d'ailleurs son intention.

M. le Président : Travaillez-vous sur les vaccins anti-ARN, pas propres au H5N1, et qui auraient un spectre beaucoup plus large, capables de conférer une immunité pour une grande variété de maladies infectieuses et non infectieuses ?

D'autre part, les industriels font part de leurs hésitations à investir pour augmenter leurs capacités production qui ne serviraient qu'une fois, à produire de très grandes quantités. Quelle est votre position sur ce point ?

M. Christophe WEBER : Comme je le disais tout à l'heure, les fabricants sont actuellement capables de produire 300 millions de doses pour la population mondiale. C'est probablement dix fois moins que ce qui devrait être nécessaire pour la grippe classique. L'augmentation de la capacité de production se justifie donc indépendamment même de la crise pandémique. J'insiste sur le fait que nous voulons sortir de la logique commerciale qui consiste à ne produire de médicaments que pour l'hémisphère Nord. Par exemple, pour le SIDA, nous avons décidé de vendre nos produits à prix coûtant dans les pays en voie de développement. Notre démarche est la même en ce qui concerne le vaccin.

M. le Président : Comment suggérez-vous que les États interviennent ? Ils peuvent passer des commandes, ils peuvent aussi financer des investissements directs.

M. Christophe WEBER : Je pense qu'il faut passer des commandes en amont pour montrer l'intention d'utiliser ces vaccins. Pour l'après-pandémie, il faut être vigilant sur la pression qu'on exerce sur les prix, et qui entrave le développement des investissements visant à augmenter la capacité de production. Enfin, des États peuvent co-investir dans la fabrication de vaccins, comme l'Allemagne l'a fait avec nous.

M. le Président : Selon quelles modalités ?

M. Christophe WEBER : Les détails ne sont pas publics.

Dans d'autres pays, l'État peut s'engager dans des « joint-ventures ». Les formules de partenariat sont diverses.

S'agissant des vaccins anti-ARN, le problème est de trouver un antigène suffisamment puissant. Nous y travaillons.

M. Pierre HELLIER : Quand la technologie des vaccins sur hamster sera-t-elle prête ?

M. Christophe WEBER : Nous pensons qu'il faut compter au moins cinq ans.

M. Pierre HELLIER : S'agissant des commandes, je pense que vous avez eu raison de souligner que nous devrons faire appel à tous ceux qui seront en mesure de fabriquer le vaccin. Le fait de passer des commandes vous arrangerait-il sur le plan financier ?

M. Christophe WEBER : Passer commande ne signifie pas forcément que les vaccins seront disponibles. Tous les États vont passer des commandes, et dans la mesure où les capacités de production seront limitées, il faudra imaginer un processus d'allocation, à supposer que tous les fabricants soient capables, au même moment, de produire un vaccin spécifique, ce qui n'est pas du tout certain.

M. Pierre HELLIER : Dernière question : quel est l'intérêt de fabriquer un vaccin « proche du H5N1 », et pas un vaccin « H5N1 » ?

M. Christophe WEBER : Parce que nous savons que le virus responsable de la pandémie ne sera pas le H5N1. Ceci dit, nous sommes en train de fabriquer un lot de vaccins « H5N1 ».

M. le Rapporteur : Lors du Congrès mondial du vaccin qui s'est récemment tenu à Lyon, il a été dit que des études tendant à faire muter des virus étaient menées en laboratoire. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Christophe WEBER : Je ne suis pas assez expert pour vous répondre.

Avant que vous ne concluiez cette audition, monsieur le président, j'ajoute que certains indices montreraient l'intérêt d'une primo-vaccination avant la pandémie et ceci, avant que le virus responsable de la pandémie ne soit connu. La politique consistant à favoriser la vaccination est donc opportune.

M. le Président : Je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.


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