Mercredi 23 novembre 2005

- Audition du Professeur François BRICAIRE, Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière

(Compte rendu de la réunion du 23 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le Professeur, vous inaugurez le cycle de nos auditions consacrées à l'hôpital. La mission d'information sur la grippe aviaire poursuit deux objectifs : le premier est de participer au contrôle parlementaire de l'exécutif ; le deuxième est de contribuer à l'information de nos concitoyens et à la rationalisation de cette information. Le Parlement a ainsi vocation à être en quelque sorte une « chambre de décantation » de l'information : grâce à vos explications, mais également grâce à nos questions, nous essayons, à propos d'une affaire qui fait beaucoup de bruit, de faire passer des messages. Or, chacun sait que le bruit et le message ne sont pas exactement la même chose...

Depuis un mois, nous avons beaucoup travaillé sur les moyens médicaux disponibles, notamment les médicaments et les vaccins. Nous entamons une deuxième série d'auditions en examinant la problématique de l'hôpital. Or vous êtes non seulement un spécialiste reconnu des maladies infectieuses, mais également le responsable du service des maladies infectieuses d'au moins un hôpital, particulièrement cher à mes yeux, qui est au cœur du dispositif parisien et francilien. Cette réunion, à laquelle participent des députés de toutes sensibilités, est également ouverte aux représentants de la presse dans la mesure où nous avons vocation à fournir des informations exactes, dans un cadre public.

M. François BRICAIRE : Je vous remercie d'abord de m'entendre sur ce problème qui met les experts dans une situation peu confortable, dans la mesure où nous devons, et c'est ce que nous avons fait, alerter l'opinion publique sur un phénomène scientifiquement réel - en l'occurrence, une épidémie pandémique animale, dont nous avons lieu de craindre qu'elle ne se transmette à l'homme -, mais également savoir mettre des limites à un phénomène d'emballement induit par l'action précédente, entretenu et peut-être aggravé par le fait qu'il se passe réellement quelque chose et que le monde entier, et singulièrement les plus grands de ce monde, est en train d'en prendre conscience.

Dès lors, tout en continuant à défendre le bien-fondé d'actions à nos yeux indispensables et qu'il faudra encore approfondir, il est également de notre devoir d'essayer de moduler, comme vous-même l'avez évoqué, le message à adresser à nos concitoyens afin de préserver un certain degré de sérénité face à un phénomène qui, premièrement, reste un phénomène naturel, deuxièmement, qui a déjà existé - ce ne serait pas la première fois que nous assisterions à une pandémie de grippe aviaire adaptée à l'homme - et, troisièmement, qu'il faut resituer dans le contexte d'une société qui peut avoir les moyens - inexistants autrefois - de lutter contre un phénomène pandémique, mais tellement attachée à aboutir au risque zéro que cette exigence la conduit à prendre des mesures bonnes sur le principe, mais parfois un peu excessives. Le professeur Jean-Philippe Derenne, avec lequel j'ai écrit un livre, et que vous avez entendu il y a quelques semaines, vous a sans doute tenu des propos semblables : s'il est des mesures à prendre et auxquelles nous tenons, elles n'en doivent pas moins respecter une certaine sagesse. Je tenais à le dire en préambule.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous nous sommes déjà rencontrés dans le cadre du rapport sur le risque épidémique que j'ai présenté à l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Je voudrais vous interroger sur l'évolution des moyens mis à votre disposition depuis les cinq dernières années, et notamment depuis l'apparition des risques infectieux émergents, SRAS et autres, dans le domaine des risques infectieux et épidémiques ? Comment jugez-vous cette évolution ?

M. François BRICAIRE : La grippe aviaire n'est pas parfaitement superposable aux risques infectieux émergents, au bioterrorisme ou encore à une infection très épidémique mais relativement limitée comme le serait une fièvre hémorragique venant d'Afrique, voire une reprise du syndrome du SRAS.

L'organisation autour d'hôpitaux référents a abouti à faire de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, l'AP-HP, le référent pour l'Île-de-France, les structures hospitalières Pitié-Salpêtrière et Bichat ayant été désignées comme les bras armés de cette prise en charge. Il est normalement prévu que soient mises à disposition de ces deux unités hospitalières, dans les deux services de maladies infectieuses, des chambres d'isolement capables d'accueillir, dans des conditions satisfaisantes, des malades infectés et donc potentiellement contagieux - ce qui signifie des chambres isolées avec sas et pression négative pour éviter tout risque de contamination. Mais force est de reconnaître qu'à ce jour, ces décisions n'ont pas été concrétisées par une réalisation des travaux. L'AP-HP est bien consciente de son rôle, mais, du fait de ses propres difficultés et de la lourdeur de la planification hospitalière qui ne peut pas être bousculée, sauf ordres qui viendraient de très haut, le cheminement est extrêmement long. Je sais, pour être également intérimaire à Bichat, que l'Assistance publique a fait faire des plans - largement avancés - de travaux pour réaliser ces chambres dans les deux structures.

Il faut toutefois reconnaître que l'on a perdu du temps en hésitant sur les décisions à prendre : soit on était déterminé à doter la région parisienne en particulier de chambres d'isolement, auquel cas il fallait les faire ; soit on admettait que c'était superflu, trop cher, et on ne les faisait pas, auquel cas il fallait le dire afin de ne pas encourir le reproche de double langage. Nous n'avons pas à ce jour tout ce que nous souhaitions ; cela devrait venir, mais il faut continuer à stimuler nos autorités de tutelle.

Cela dit, et même si la presse a publié certains articles un peu désagréables pour l'AP-HP, je puis assurer à M. le Rapporteur que la structure qu'il a visitée il y a quelques mois permet d'ores et déjà un accueil satisfaisant et qu'en aucune façon, nous ne faisons prendre un risque à quiconque. Ce n'est pas le « top », j'en conviens, mais la sécurité est assurée. Et je m'inscris en faux contre ce qu'ont prétendu certains journaux : la préparation de nos équipes est faite, et est bonne. Celle que j'ai le plaisir de diriger, sur le plan tant des infirmières et aides-soignantes que des médecins, a déjà montré à plusieurs reprises combien elle était capable de faire face à l'accueil de cas de suspicion de fièvre hémorragique, de charbon ou autre risque infectieux lié au bioterrorisme, et même de grippe aviaire.

M. le Président : Je crois que vous venez d'introduire le sujet. Les estimations de l'InVS tablent sur plus d'un million d'hospitalisations en cas de pandémie. Il serait utile que vous nous précisiez quelle serait la doctrine en matière d'hospitalisation. Vous n'allez pas recevoir tous les malades dans votre service. Quel serait donc le rôle spécifique de votre service ? Comment tout cela va-t-il s'articuler ?

M. François BRICAIRE : Le problème d'une pandémie grippale ne se pose absolument pas dans les mêmes termes qu'une épidémie de SRAS ou a fortiori un phénomène aigu lié au bioterrorisme. Le caractère très contagieux du virus de la grippe et sa propension à se répandre dans la population aboutissent rapidement à une multiplication telle du nombre des sujets atteints que toutes les structures hospitalières seront concernées. On ne connaît pas la virulence du futur mutant ni sa capacité à atteindre la population. L'InVS a fait des projections en fonction du pourcentage de sujets atteints - entre 15 et 35 % -. Il est de notre devoir de raisonner et de nous préparer sur la base des fourchettes les plus hautes, même si nous estimons - nous l'espérons en tout cas - qu'elles ne seront pas atteintes.

Le jour où l'épidémie de grippe aviaire « humanisée » aura atteint le territoire français, l'alerte sera lancée, comme on le fait déjà pour la grippe chaque année. Toute structure hospitalière, quelle qu'elle soit, devra alors se sentir concernée. Il faut donc que ces structures se préparent dans le cadre d'un plan d'accueil de malades grippés. Néanmoins, s'il y a, comme c'est probable, une courte période, dite phase prépandémique, au cours de laquelle arriveront sur le territoire des cas suspects dont on pourra se demander s'il s'agit de la grippe aviaire humanisée ou pas, cette phase particulière justifiera à mon sens -  et ce jugement est partagé par les personnels du SAMU et plusieurs collègues - une stratégie un peu différente, qui consistera à transférer ces sujets dits suspects et sélectionnés selon des critères prédéfinis par nos services référents, afin de les isoler et de procéder à des prélèvements ; ces prélèvements seront confiés aux laboratoires référents qui donneront leur réponse et permettront de sortir au plus vite de la période d'incertitude. J'insiste d'autant plus que je ne suis pas totalement persuadé d'avoir convaincu l'InVS : le plan gouvernemental prévoit des mesures d'isolement et de quarantaine des sujets, même s'ils ont un début de grippe, et auxquels on conseillera de rester chez eux. J'en suis d'accord, mais cela ne vaudra qu'une fois la pandémie déclarée.

M. le Président : Exact.

M. François BRICAIRE : Auparavant, il est fondamental de prendre les mêmes mesures. Il faut être concret. Imaginez qu'un médecin soit appelé au chevet d'un patient qui lui apprend qu'il revient depuis quarante-huit heures d'un pays où il y a déjà de la grippe aviaire humanisée, qu'il ne se sent pas bien et qu'il tousse. Va-t-il lui dire qu'il est possible qu'il soit atteint par le virus, lui conseiller de rester tranquillement chez lui et se contenter de passer un coup de téléphone à l'InVS ou à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales ? Ce serait déraisonnable. Il faut au contraire suivre le schéma prévu : appel du « 15 », autrement dit du SAMU, transfert à Bichat ou à La Pitié-Salpêtrière, dans la mesure où il y a suspicion, isolement et prélèvement ; une fois les réponses obtenues, l'InVS et les services de surveillance pourront être prévenus qu'il y a bel et bien de la grippe aviaire humanisée sur le territoire national. Voilà le travail que, partout en France, dans les différentes zones de défense, nos services référents devront faire pendant cette phase prépandémique qui ne durera peut-être qu'un ou deux jours, peut-être un peu plus. En revanche, une fois l'épidémie déclenchée et la guerre déclarée, il ne sera plus question de transférer un malade de Bar-le-Duc à Nancy en se demandant si sa grippe est aviaire ou pas ; on se battra là où il faudra se battre, c'est-à-dire là où sont les malades.

M. Pierre HELLIER : Je comprends très bien la nécessité d'isoler et de certifier le premier cas, mais un prélèvement à domicile ne permettrait-il pas d'identifier tout aussi efficacement le H5N1 mutant ? Le transfert en structure hospitalière ne se ferait dans ce cas que dans un deuxième temps.

M. François BRICAIRE : C'est théoriquement possible ; il est même prévu que des kits de prélèvement soient mis à disposition éventuellement des médecins traitants. Se pose toutefois une difficulté au niveau du transport, pour lequel il est prévu de solliciter les services du SAMU, à mon avis à tort : c'est là un détournement de fonction qui me paraît grave. Les personnels du SAMU en sont d'ailleurs conscients.

M. Pierre HELLIER : Un gaspillage !

M. François BRICAIRE : Un gaspillage et un danger pour le reste de la population : il vaut mieux que le SAMU s'occupe d'un infarctus du myocarde plutôt que de transférer un prélèvement à l'institut Pasteur... Ajoutons enfin qu'il me paraît psychologiquement difficile de conseiller au patient, en attendant que le résultat du prélèvement confirme ou non la présence de H5N1 mutant, de rester tranquillement chez lui au milieu des siens... Voilà pourquoi je crois important d'aboutir rapidement à une réponse précise, et c'est pourquoi cette période sera relativement courte - et peut-être limitée à un seul endroit du territoire : si le virus est détecté à Bordeaux, on peut estimer que ce n'est pas la peine d'aller le chercher à Paris ou ailleurs. Se poseront ensuite d'autres questions, dont celles de l'organisation de l'hôpital.

M. le Président : Vous avez bien distingué la période prépandémique de la période pandémique. Mais, dans une certaine mesure, on pourrait distinguer une période « pré-prépandémique », d'expertise devant un cas douteux, encore très isolé, puis une période prépandémique où l'alerte est déjà généralisée, où l'on cherchera à faire du « containment » en tâchant de gérer les gens qui arriveront malades à l'hôpital, et enfin la période de pandémie déclarée. La première période sera clairement l'affaire de services très spécialisés et hyper-protégés. Mais durant la deuxième, où les présomptions deviendront très fortes, pourra-t-on amener tout le monde à La Pitié-Salpêtrière ?

M. François BRICAIRE : Prenons garde à ce que nous disons : on pourrait penser que le pré-prépandémique correspond à la période actuelle, dans la mesure où l'on nous fait déjà accueillir des gens suspectés d'avoir attrapé la grippe aviaire, au motif qu'ils reviennent du Vietnam, qu'ils s'y sont occupés de poulets et qu'ils présentent un syndrome ressemblant fort à la grippe. Tout cela, nous savons très bien le gérer, et le SAMU aussi : les patients sont transférés dans notre unité ou celle de Bichat, sont traités selon qu'il s'agit d'une grippe ou pas, les prélèvements sont effectués et envoyés de façon protégée à l'institut Pasteur pour la région parisienne, et, ailleurs, aux autres laboratoires référents P4 ; les résultats sont connus sous quarante-huit heures. Je ne sais comment qualifier cette période...

M. le Président : Appelons la période de suspicion légitime...

M. François BRICAIRE : Vient ensuite la période que vous appelez pré-prépandémique, dans laquelle nous jouons effectivement le rôle que nous avons défini, puis, très vite, j'en conviens, viendra le moment où il ne sera plus possible ni même souhaitable de transférer les patients à La Pitié, à Bichat, ou à l'hôpital référent de Bordeaux ou de Lille. On n'ira pas faire un transfert de Toulouse à Bordeaux, hôpital référent, alors que l'on connaîtra déjà un ou deux cas avérés de grippe aviaire sur le territoire : le service des maladies infectieuses de l'hôpital Purpan pourra à l'évidence gérer cette affaire en phase prépandémique, comme du reste bon nombre de structures hospitalières de la région. Tout hôpital bien structuré, et au moins tous les établissements hospitalo-universitaires, seront en mesure d'assurer l'accueil et l'isolement des patients, et de procéder aux prélèvements qu'ils adresseront au centre biologique référent afin que le diagnostic soit établi. Les transferts seront inutiles.

M. Jean-Claude FLORY : À ce propos, qu'en est-il de l'élaboration de la grille des critères de sélectivité et de sa diffusion auprès de tous ceux qui ont été installés aux points de repérage potentiels - services hospitaliers, mais également médecins de ville et de campagne - qui auront un rôle majeur et doivent donc être sensibilisés et formés à l'appréhension du phénomène ?

M. Pierre HELLIER : Le passage d'un système à l'autre sera très difficile. Le médecin traitant aura une lourde décision à prendre : est-ce une grippe aviaire ou une grippe banale ? Dans le premier cas, on enverra le patient dans le service référent, mais seulement dans la première phase ; ensuite, il ne faudra surtout plus l'y envoyer et l'on devra être en mesure de le traiter sur place. Mais le passage d'un dispositif à l'autre sera très rapide et sûrement très difficile.

Mme Paulette GUINCHARD : Et la pression des gens très forte.

M. François BRICAIRE : Les critères ont été établis d'un commun accord entre les infectiologues, les réanimateurs, les experts de l'InVS, etc., pour définir les cas possibles, les cas probables et les cas exclus. Mais s'ils sont d'ores et déjà établis et utilisés, ces critères ne sont pas pour autant définitifs : en fonction de l'épidémiologie, de la transformation du virus, de son extension géographique, ils pourront devenir plus serrés ou, au contraire, plus ouverts. Cette mise à jour sera plus spécifiquement du rôle de l'InVS.

Le rôle des médecins de ville est absolument fondamental et appelle un investissement qui ne se met en place que depuis peu de temps et qui est encore très largement insuffisant. On le voit bien dans les réunions qui se tiennent au ministère de la santé et auxquelles assiste le Conseil de l'ordre des médecins. Le plan prévoit, dès le tout début de la phase prépandémique, de demander aux généralistes de se poser systématiquement la question de la possibilité d'une grippe aviaire ; encore faut-il leur faire savoir qu'ils devront immédiatement appeler le « 15 » s'ils se trouvent en présence d'un cas suspect. Une fois la phase pandémique déclarée, en plus de leur rôle habituel de médecin s'occupant de leur clientèle pour diagnostiquer les grippes, ils seront également chargés de l'organisation de la surveillance en ville : le docteur Untel s'occupera de tel secteur géographique dont il assurera la surveillance systématique, y compris celle de la petite dame habitant à telle adresse, restée gentiment et civiquement chez elle avec sa grippe, afin d'éviter que son état ne vienne à s'aggraver sans que personne ne s'en aperçoive. C'est là une affaire lourde et difficile, qui se met en place progressivement mais qui exige un gros travail de préparation. Les médecins généralistes en sont bien conscients et ont exprimé leur accord lors d'une première réunion au ministère de la santé ; mais ils demandent une formation et une information claires, ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas.

M. Pierre HELLIER : Il faudra certainement associer le reste du personnel médical, ceux qui assurent des soins infirmiers à domicile, prévoir les coordinations nécessaires... Est-ce prévu dans le plan ?

M. François BRICAIRE : C'est prévu mais, là encore, si la pandémie éclatait demain, nous ne serions pas forts... La surveillance à domicile exigera à l'évidence le concours d'un personnel paramédical aux côtés du personnel médical. Au demeurant, il peut suffire dans certains cas qu'une assistante sociale, ou une aide à domicile, passe pour signaler que Mme Unetelle, qui allait bien hier, ne va pas bien ce matin.

M. le Président : Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le détail. Concentrons-nous maintenant sur la problématique de l'hôpital en phase pandémique et, au sein de l'hôpital, sur le rôle des services référents. Comment s'organise la circulation des patients, quels sont les éléments de sélection, quels problèmes médicaux, administratifs ou autres rencontrez-vous ?

M. François BRICAIRE : L'organisation de l'hôpital est toujours en discussion et la direction de l'hospitalisation, au ministère de la santé, y travaille. D'ores et déjà, chaque structure hospitalière est invitée à présenter, en annexe à son plan blanc, un schéma d'organisation de l'établissement en cas de grippe aviaire, autrement dit en cas d'afflux important de sujets grippés. Le plan est naturellement fonction des caractéristiques de l'établissement - hôpital tour ou pavillonnaire, taille, spécialisations, etc. Mais globalement, l'organisation découle d'un premier principe : en période pandémique, il faudra essayer d'accueillir au maximum les grippés si la nécessité s'en fait sentir et, parallèlement, réduire, autrement dit déprogrammer, les autres activités de l'hôpital considérées comme non urgentes. Autant que possible, seront définies une zone « grippés » et une zone « non grippés », si c'est possible, en ayant conscience que l'étanchéité est virtuelle. C'est pourquoi il faut organiser les services d'accueil pour orienter les arrivées dans ces zones, de façon à limiter au maximum les possibilités de contamination, avec un personnel informé et protégé en conséquence, en particulier par les fameux masques.

M. le Président : Nous reviendrons sur les problèmes de protection du personnel.

M. François BRICAIRE : Au vu de ces principes généraux, certaines unités hospitalières pourront, compte tenu de leurs caractéristiques et de leurs services, accueillir un grand nombre de patients - ce sera le cas des services de médecine interne ou semi-spécialisés -, et d'autres, à l'inverse, un nombre beaucoup plus limité.

La question s'est posée de savoir s'il fallait prévoir des structures hospitalières « grippés » et d'autres « non grippés ». Le ministère de la santé n'y est pas favorable et cela me paraît très difficile sur le plan pratique, d'autant que l'étanchéité entre les deux systèmes sera largement battue en brèche. Cela risque d'aboutir à des dérapages et des confusions.

Au-delà de ce schéma général, il appartiendra à chaque structure de prévoir ce qu'elle pourra faire, ce qu'elle ne pourra pas faire, comment elle pourra déprogrammer certaines activités et surtout pendant combien de temps : décaler d'un jour une intervention sur un patient atteint d'un cancer ne pose pas problème, de quinze jours, c'est encore supportable, mais renvoyer l'opération à trois ou six mois devient tout à fait déraisonnable. Il faut donc un travail de préparation pour, en quelque sorte, re-programmer ce qui aura été déprogrammé.

Certaines structures, comme La Pitié-Salpêtrière, ont une plus grande marge de manœuvre parce qu'elles sont plus importantes. Chez nous, un groupe de réflexion a été constitué autour de la directrice de l'hôpital, qui réunit tous les acteurs concernés (la cellule d'hygiène, la pharmacie, les infectiologues, les pneumologues, le laboratoire de microbiologie et virologie...) et fait des propositions en liaison avec le président du comité consultatif médical.

M. le Président : Et où en êtes-vous ?

M. François BRICAIRE : Nous avons défini nos zones « grippés » et « non grippés ». Ainsi, notre bâtiment cardiologie et cardiovasculaire sera à l'évidence réservé aux non grippés, de même que le service gynécologie obstétrique. Ces services devront rester « propres ». A contrario, on trouvera, dans la partie « grippés », le service des maladies infectieuses et le service de pneumologie, mais également, en déclinaisons successive, selon les nécessités d'admissions, les services de médecine interne, d'hépato-gastro-entérologie, de rhumatologie, etc. Nous nous sommes enfin permis une petite « fantaisie » en laissant une zone « grise », dont l'affectation sera fonction de ce qui nous sera demandé et de l'importance de l'épidémie. En fonction de la progression de l'épidémie, on pourra décider d'y reprogrammer des activités ou de la transformer en zone « grippés ». Cette définition en zones imposera de restructurer certaines équipes, comme par exemple de demander à une infirmière en cardiologie de s'occuper de patients grippés, mais cela ne devrait pas poser de grosses difficultés.

M. Jean-Michel BOUCHERON : Entre la période prépandémique, où il n'y aura que quelques cas répertoriés dans les hôpitaux, et la période pandémique, où ceux-ci risqueront d'être débordés, a-t-on une idée du temps dont on pourra disposer ? 48 heures, un mois ? Autrement dit, à quelle vitesse arrivera le tsunami ?

M. François BRICAIRE : Il est très difficile de répondre à cette question. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'extension d'une épidémie n'est pas forcément aussi explosive que certains scénarios le laissent entendre. Une contamination venant d'Asie nous arrivera-t-elle dès le lendemain par le premier avion, ou seulement au bout de trois mois, par la voie terrestre, dans la mesure où c'est davantage par cette voie-là qu'arrivent les épidémies ? C'est tout le but de nos opérations retardatrices qui feront alors preuve ou non de leur efficacité : port de masques, utilisation du Tamiflu, contrôle aux frontières, etc. L'association de tous ces moyens - et cette association est importante car, par exemple, un contrôle aux frontières sans port des masques ne servirait à rien - n'a d'autre but que de retarder le processus, de donner du temps à la France pour se préparer à l'arrivée d'une contamination chinoise, par exemple, puis de laisser un peu de temps à Marseille par rapport à la région parisienne... Cela dit, notre territoire étant géographiquement assez limité, je crains fort que nous ne soyons tous rapidement concernés, même si l'on met des masques pour freiner la propagation du virus.

M. le Président : La question est surtout de savoir au bout de combien de temps nous serons prévenus de ce qui se sera passé en Asie - ou ailleurs. Tout porte à croire que ce temps s'exprimera plutôt en termes de petites semaines qu'en termes de mois...

M. François BRICAIRE : C'est effectivement plutôt de cet ordre.

M. Pierre HELLIER : Vous avez défini des zones dans votre hôpital, mais avez-vous envisagé la possibilité de reconfigurer des locaux inutilisés situés à proximité ?

M. François BRICAIRE : Nous n'avons pas conduit cette démarche, même s'il faut effectivement y penser. Votre suggestion est bonne et avait été déjà émise par M. Derenne. Mais, pour l'instant, nous nous contentons d'essayer d'organiser notre hôpital en termes de moyens humains : nous devrons en effet fonctionner avec des effectifs réduits, dans la mesure où une partie de notre personnel sera ou malade, ou dans l'impossibilité de se déplacer pour cause de restriction de transports, de fermeture de crèches ou d'écoles, voire tout simplement par peur de la contamination au travail. On réfléchit aussi au problème de l'organisation des salles de réanimation et de ventilation pour accueillir et traiter les patients grippés atteints de complications respiratoires ou infectieuses. Cela posera vraisemblablement des problèmes majeurs et exige une réflexion sur le plan des matériels d'abord. On a recensé le matériel et, grâce au bioterrorisme, nous disposons de ventilateurs légers que le SAMU a en dépôt à l'hôpital Necker, et qui nous permettront de disposer d'une soupape de qualité. La réflexion doit également se faire en termes de locaux : faut-il privilégier l'hospitalisation en chambre isolée et ventilée ou, à l'inverse, un regroupement dans des locaux plus larges ? L'idée d'installer une tente à Bichat a été émise. La Pitié avait envisagé un temps de mettre la chapelle à disposition, mais il y fait très froid. La réflexion est actuellement en cours, sans encore de réponses pour l'instant.

M. Gérard CHARASSE : Ma question était pratiquement la même : avez-vous prévu la restructuration ou l'aménagement de certains locaux ?

M. François BRICAIRE : Non, à l'exception des chambres isolées dont la finalité est tout à fait particulière. Je parle en tout cas pour Bichat et La Pitié-Salpêtrière ; il est possible que certaines structures hospitalières en province soient plus motivées sur ce point et songent à certaines adaptations.

M. François GUILLAUME : Tous les établissements hospitaliers, publics et privés, ont-ils reçu des consignes pour préparer cette répartition des locaux en cas de pandémie ? Si celle-ci venait à toucher une part importante de la population, que pourra-t-on faire au-delà des capacités d'accueil dont vous venez de parler ? Le maintien à domicile semble difficile du fait de la contagion - encore qu'il soit souvent trop tard une fois la maladie déclarée.

M. François BRICAIRE : Je ne sais pas si tous les hôpitaux ont reçu la consigne mais il incombe à la DHOS, la direction de l'hôpital, de faire passer le message. Pour ce qui est du secteur public, cela a normalement été fait. L'AP-HP a reçu la consigne et chacune de ses structures hospitalières est chargée de présenter sa contribution. S'agissant du maintien à domicile, c'est à l'évidence un élément important. Les gens ont l'impression - et j'en reviens à mon propos initial -, en entendant parler de grippe aviaire, que ce sera une calamité comme on n'en a jamais vu, qu'un sujet sur deux en mourra, etc. Tout porte à croire heureusement qu'il n'en sera pas ainsi. Un virus qui mute perd de sa virulence et les pires épidémies de grippe que l'on a connues jusqu'à présent n'ont jamais dépassé 2 % de mortalité. Si l'on atteint 3 % dans le monde, cela sera considéré comme important...

M. le Président : Cela fait du monde !

M. François BRICAIRE : Et cela ferait du dégât. Il faut revenir à une plus juste appréciation des choses : bon nombre de gens feront une grippe qui durera trois, quatre ou cinq jours, comme la grippe ordinaire, en guériront, repartiront au travail et seront, de surcroît, immunisés. Il faudra compter sur ces forces pour continuer à faire tourner la société dont l'arrêt absolu est inimaginable.

Cela signifie que le maintien à domicile, pour peu qu'il soit encadré et surveillé, apparaît une bonne chose en ce sens qu'il évitera à bien des gens de se précipiter dans des structures hospitalières elles-mêmes débordées et dont le rôle premier sera d'accueillir les gens vraiment gravement malades.

M. le Président : Venons-en aux aspects d'expertise médicale. Sur quels critères se fera l'hospitalisation ? Accepterez-vous toute personne sur indication du médecin traitant ? Y aura-t-il un diagnostic d'entrée ? On peut imaginer, dans les scénarios les plus noirs, que les gens se précipiteront à l'hôpital, croyant à tort qu'ils seront immédiatement pris en charge et soignés avec des médicaments miracle, etc. Comment gérerez-vous ces flux ?

Par ailleurs, et c'est une question importante dont nous discuterons avec les organisations syndicales, quel degré de protection exigerez-vous, en tant qu'infectiologue, pour vos personnels ? Le port des masques sera, à l'évidence, imposé. Mais comment ? Leur donnerez-vous du Tamiflu, en préventif ou non ? Enfin, comment traiterez-vous, en aval, tous les problèmes liés aux surinfections ?

M. Jean-Claude FLORY : Vous avez évoqué le rôle des centres hospitaliers universitaires, pour les mesures à prendre durant les phases prépandémique et pandémique. En tant qu'élu d'un territoire rural, je pense que ces plans doivent également être envisagés, au besoin en phase 2, dans les centres hospitaliers généraux (CHG). Les habitants de nos territoires ruraux vont d'abord voir le médecin traitant, éventuellement se rendent à l'hôpital local, puis à l'hôpital général avant d'aller au CHU qui, pour le département de l'Ardèche, peut être à deux heures de route.

M. François BRICAIRE : Vous avez parfaitement raison. L'hôpital de Privas doit se préparer au même titre que le CHU de Montpellier.

M. Claude LETEURTRE : Vous avez, à juste titre, évoqué les exigences d'une société à la recherche d'immortalité, qu'il convenait de ramener à la raison. La grippe aviaire, fût-elle sous sa forme humaine, resterait une grippe saisonnière. Si l'on a du mal à estimer le délai de l'explosion, peut-on au moins la situer dans le temps ? La grippe habituelle dure entre trois semaines et un mois. Peut-on avoir la même approche pour cette pathologie ? Sera-t-elle vraiment saisonnière ? Aura-t-elle des chances, en survenant en mars-avril, d'être moins sévère qu'en novembre ou décembre ?

M. François BRICAIRE : Si la grippe est habituellement saisonnière, il n'est pas sûr du tout que la grippe aviaire le soit également. Elle peut exploser à n'importe quel moment, d'autant que si cette explosion a lieu, elle surviendra dans des territoires géographiquement et climatologiquement très différents du nôtre.

Des nuances épidémiologiques pourront toutefois apparaître, selon que nous serons en saison froide ou en saison chaude. La saison froide favorise paradoxalement les grippes : le virus ne prolifère guère dans les températures froides, mais nous avons tendance à nous confiner dans des locaux chauffés et limités en volume : votre salle est ainsi parfaite pour garantir une bonne contamination... L'été, le virus se sent peut-être plus à l'aise, mais il diffuse beaucoup moins.

Venons-en à la question des critères de diagnostic et d'hospitalisation. Autant il sera important, dans la phase prépandémique, d'avoir un diagnostic précis sur des prélèvements bien exécutés, autant, une fois la pandémie déclarée, il sera inutile de perdre son temps et son argent : tout sujet qui présenterait une suspicion de grippe sera présumé et déclaré porteur de la grippe, comme cela se fait d'ailleurs pour la grippe banale.

Pour ce qui est des critères de l'hospitalisation, nous avons, en coordination avec nos collègues de l'hôpital Bichat et ceux du SAMU, mis au point une série de critères soumis à l'approbation de nos pairs et qui devraient être diffusés, par le ministère de la santé, aux médecins traitants : c'est là où nous avons encore du travail à faire afin que nos confrères sachent précisément quand il faut, en phase prépandémique, faire appel au « 15 » et réclamer le transfert en secteur hospitalier. Les patients qui se présenteront directement dans les hôpitaux seront, comme je l'ai indiqué plus haut, accueillis dans une zone spécialisée : au vu de leur état, on jugera de la nécessité d'une hospitalisation ou d'un renvoi au domicile - peut-être en donnant un masque, ce qui, d'ailleurs, posera des problèmes pratique pas toujours évidents.

M. le Président : Les recommandations de bonnes pratiques seront-elles impératives ou seulement indicatives ? L'hospitalisation sera-t-elle subordonnée à une confirmation du pronostic du médecin traitant, ou une lettre de celui-ci suffira-t-elle à justifier cette hospitalisation ?

M. François BRICAIRE : C'est davantage une question de bon sens qu'une règle absolue. J'ai toujours enseigné à mes jeunes confrères que l'avis du médecin traitant méritait la plus haute considération. Le premier médecin qui voit le malade a généralement raison. C'est là une règle de bonne pratique clinique. Mais peut-être faudra-t-il prévoir quelques restrictions en cas de saturation et renvoyer le patient chez lui, tout en gardant le contact avec son médecin traitant. On prendra certainement des risques ; mais à la guerre comme à la guerre, il faudra se battre...

M. le Président : Dans un grand hôpital très ouvert comme La Pitié-Salpêtrière, beaucoup de gens peuvent entrer. N'envisagez-vous pas un tri ?

M. François BRICAIRE : Si. Tout dépendra évidemment de l'intensité du phénomène, mais un plan de fermeture a été organisé avec les autorités de police si besoin, ainsi qu'une zone de tri dans la partie centrale, c'est-à-dire l'entrée de La Salpêtrière. Bichat prévoit un accueil sous tente. Chaque hôpital doit organiser son propre système. Mais tout dépendra de l'afflux, et il n'est pas dit que, dans le cas d'une grippe pandémique, il sera aussi massif et brutal que ce que nous pourrions connaître à l'occasion d'une attaque bioterroriste ou chimique. Il se distillera en quantités importantes certes, mais étalées dans le temps et, donc, plus faciles à gérer qu'un phénomène aigu.

M. Gabriel BIANCHERI : Nous sommes pour l'instant en présence d'un virus hypothétique dont on maximalise la virulence. Mais la grippe standard ne donne-t-elle pas lieu à de telles prévisions à chaque saison ?

M. François BRICAIRE : Évidemment si. Le plan « grippe aviaire » est tiré du plan « grippe standard » mis en place à La Pitié-Salpêtrière depuis deux ans. Nous n'avons pas réinventé l'eau chaude : les hôpitaux ont toujours accueilli des grippes et cela s'est bien passé. On nous demande simplement de mieux nous structurer, parce que c'est toujours mieux quand il y a une fiche, etc. Mais le service des maladies infectieuses et le service de pneumologie sont toujours en tête de liste, point.

M. Gabriel BIANCHERI : Cela méritait d'être dit, car c'est important en termes d'information : on sait déjà répondre à la grippe.

M. François BRICAIRE : Bien sûr.

M. le Président : Et pour la protection des personnels ?

M. le Rapporteur : A-t-on également réfléchi à la gestion du stress chez les personnels ?

M. François BRICAIRE : La protection contre les maladies infectieuses est relativement facile. Les agents pathogènes ne franchissent pas aussi aisément qu'on peut le penser les barrières mises en places, pour peu qu'on dispose d'un matériel correct mais simple. Un masque FFP2 bien mis, une surblouse, une casaque et des gants protègent parfaitement de tous les virus et bactéries connus. Le tout est d'en disposer et de les utiliser correctement. Nos services sont d'ores et déjà équipés en permanence ; tout au plus suffit-il d'adapter le niveau d'approvisionnement. On ne saurait enfin trop insister sur l'importance du lavage des mains qui, s'il est insuffisant, fait perdre la moitié du bénéfice des mesures de protection.

Sur les antiviraux, Tamiflu et Relenza, ma réponse sera plus nuancée : tout dépend de l'approvisionnement et de ce que l'on peut en faire. Au-delà de la protection des malades dès les premiers symptômes - passées quarante-huit heures, ces anti-viraux ne servent plus à rien -, la protection des personnels est, à ma connaissance, prévue, mais pose de nombreuses difficultés. Qui doit-on protéger dans un hôpital ? Si l'on a suffisamment de produit, il faut protéger tout le monde. On ne peut pas, comme on l'a entendu dire, se limiter aux services des urgences, des maladies infectieuses et de la pneumologie sans l'étendre aux radiologues et à l'ensemble du personnel de l'hôpital. C'est inconcevable. L'AP-HP, dans le cadre notamment de la cellule de crise à laquelle j'appartiens, a décidé que tout le monde à l'hôpital serait protégé.

Tout le monde sera protégé, mais pendant combien de temps ? Logiquement, pendant toute la durée de la pandémie. Donc, s'il y a deux périodes de poussée, comme c'est souvent le cas pour la grippe, il faudra protéger le personnel au moment des deux poussées, sauf évidemment ceux qui seront immunisés pour l'avoir déjà contractée.

Reste à savoir comment seront distribuées les gélules de Tamiflu ; et là, disons-le, nous ne sommes pas au point du tout. Cela suppose, premièrement, une distribution très rapide des centres de stockage vers les structures qui en ont besoin, et, deuxièmement, à l'intérieur même de l'établissement, une protection physique des réserves et l'organisation de la distribution du médicament aux personnels auxquels il aura été décidé de l'administrer. Or ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît : le pharmacien n'aura pas le temps de procéder à une distribution tous les matins ; en plus, si vous donnez à chaque infirmière un stock de Tamiflu pour dix jours, elle sera incapable de prendre sa gélule tous les matins devant ses enfants...

M. le Président : C'est impossible.

M. François BRICAIRE : Elle leur donnera son Tamiflu, et c'est normal. L'objectif ne sera pas atteint et tout le monde aura perdu. Cela fait partie des réflexions stratégiques non encore abouties.

M. Gabriel BIANCHERI : Faut-il le donner aux personnels malades ou à titre préventif ?

M. François BRICAIRE : Toute la question est là. On pourrait se demander, y compris pour le personnel hospitalier, s'il ne vaudrait pas mieux attendre les premiers symptômes pour donner immédiatement le médicament : la personne développera une forme bénigne de la grippe et, immédiatement après, retournera travailler, et sera de surcroît protégée, le Tamiflu n'empêchant pas l'apparition des anticorps. On est moins sûr qu'un traitement systématique en prophylaxie assure la même protection en cas de contamination. Je n'ai pas la réponse à cette question, qui doit être intégrée à la réflexion. Mais là aussi, il faut rester raisonnable afin d'éviter les dérapages.

La gestion du stress sera, à n'en pas douter, difficile ; nous aurons besoin de tout le monde, y compris des psychologues. Des actions de formation et d'information ont déjà été organisées dans nos services et dans nos hôpitaux ; cela fait aussi partie de notre travail.

M. le Président : Ont-elles réellement commencé ? Sous quelle forme ?

M. François BRICAIRE : Premièrement, j'organise régulièrement des séances d'information dans l'ensemble de mon service qui a besoin d'être « briefé » sur tous les problèmes infectieux ; deuxièmement, je me mets à disposition de la direction pour le faire en direction de l'ensemble du personnel hospitalier ; troisièmement, et c'est probablement une des choses les plus importantes, il faut aller porter l'information devant le Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). C'est le meilleur moyen de désarmer les contestations les plus virulentes. Il y a déjà des actions de formation et d'information intéressantes, relayées par les médias.

M. François GUILLAUME : Un vaccin serait, nous a-t-on dit, en cours de préparation. Exigerez-vous la vaccination des personnels lorsqu'il sera au point ?

M. le Président : Nous avons voté hier, et nous revoterons ce soir dans le cadre du PLFSS, le principe de la vaccination obligatoire contre la grippe du personnel soignant. Qu'en pensez-vous ?

M. François BRICAIRE : La vaccination standard, telle qu'on la connaît aujourd'hui, protège contre le virus humain, mais absolument pas - ou si peu - contre le virus aviaire. Le vaccin actuellement en cours de préparation est un vaccin aviaire, et non aviaire humanisé ; on ne pourra mettre au point un vaccin aviaire humanisé que le jour où le virus sera effectivement repéré et isolé ; à partir de ce moment-là, il faudra six mois. Tout l'objectif de nos mesures retardatrices est de gagner le maximum de temps, afin de permettre aux fabricants de produire le vaccin et aux autorités sanitaires d'engager la vaccination à la hauteur des besoins de la population, en fonction des capacités de production des fabricants. Là encore, tout est affaire de stratégie : si jamais, par chance, le virus mettait six mois à atteindre notre pays, nous aurions tout intérêt à organiser une vaccination en masse et dans le minimum de temps. Nous avons déjà une expérience en la matière, la vaccination contre la variole, à une différence près, c'est que, dans le cas de la grippe, l'immunogénéicité modérée obligera vraisemblablement à deux injections, ce qui pose un problème de stratégie vaccinale.

Je fais partie des gens qui poussent à la vaccination du personnel de santé, ne serait-ce que parce que la grippe est une infection nosocomiale : indépendamment du fait qu'il faut se protéger, le personnel hospitalier se doit de ne pas transmettre la grippe à des patients hospitalisés pour d'autres raisons.

M. le Président : Je note au passage que le Parlement n'a pas jugé utile de l'exiger des médecins libéraux.

M. François BRICAIRE : C'est peut-être regrettable. Quoi qu'il en soit, je vous rends hommage : rendre obligatoire une vaccination n'est pas évident aujourd'hui...

M. le Président : Pour les professionnels de santé et hospitaliers, cela fait partie du droit du travail.

M. François BRICAIRE : C'est une très bonne chose et nous l'encourageons, mais les résultats restent assez médiocres. Ils s'améliorent cette année compte tenu des circonstances, mais tiendrons-nous le cap ? Rien n'est moins sûr.

M. Pierre HELLIER : On parle des masques et du lavage des mains, mais beaucoup moins des lunettes...

M. François BRICAIRE : Effectivement, on ne parle pas de lunettes pour ne pas trop charger la barque. Le risque de transmission par voie conjonctivale existe, mais il est quand même beaucoup plus faible que celui, majeure, de la transmission par gouttelettes ou voie respiratoire. Tant mieux pour ceux qui portent des lunettes...

M. le Président : Professeur, nous vous remercions. Sans doute aurons-nous l'occasion de nous revoir lors de notre prochaine visite à La Pitié-Salpêtrière.


© Assemblée nationale