Mardi 29 novembre 2005

- Audition de M. Xavier BERTRAND, ministre de la santé et des solidarités

(Compte rendu de la réunion du 29 novembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie Le Guen, Président

M. le Président : Notre discussion d'aujourd'hui ne portera pas, comme cela était initialement prévu, sur la nouvelle version du plan gouvernemental de lutte contre la pandémie, car il est encore en cours de finalisation. Après nous être demandés, le Ministre et moi-même, si nous maintenions cette audition, nous avons finalement décidé de la maintenir pour avoir l'occasion d'aborder ensemble la dimension internationale et européenne du dossier grippe aviaire. Nous entendrons le Ministre sur la version actualisée du plan « Pandémie » dans les prochaines semaines.

M. Xavier BERTRAND : L'officialisation de la nouvelle version du plan pandémie est, en effet, une question de jours. Des réunions interministérielles ont d'ores et déjà eu lieu et nous n'attendons plus qu'une ultime réunion ministérielle, qui devrait se tenir très bientôt. Sitôt qu'elle aura eu lieu, je reviendrai devant votre mission pour vous présenter le plan actualisé.

Nous avons tenu à décliner le plan français sur le même phasage que celui de l'OMS, modifié en mai dernier. La version actualisée du plan va ainsi distinguer six phases, réparties en trois périodes. Je peux les évoquer devant vous car elles sont déjà définitivement calées.

La première période, dite interpandémique, couvre deux phases : la phase 1, où n'est constatée la présence d'aucun virus dit hautement pathogène ; la phase 2, correspondant à l'apparition d'un virus hautement pathogène chez l'animal, que ce soit à l'étranger ou en France.

La deuxième période, dite de l'alerte pandémique, correspond à l'apparition d'une contamination humaine et distingue trois phases : la phase 3, dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, où l'on a pu constater une transmission de l'animal à l'homme ; la phase 4, qui est celle d'une contamination interhumaine limitée ; la phase 5, qui est celle d'une contamination plus étendue, mais géographiquement localisée.

La troisième période est la période pandémique, qui correspond à une forte transmission interhumaine et à une extension géographique rapide. C'est la phase 6.

Dès la fin 2004, le ministère de la santé avait commandé 13,8 millions de traitements antiviraux. Au moment où je vous parle, 12 millions de traitements ont déjà été livrés - 11,8 millions de Tamiflu et 200 000 de Relenza. Nous avons commandé 10 millions supplémentaires de traitements de Tamiflu et 9 millions supplémentaires de Relenza, qui seront livrés en 2006 et au début de l'année 2007. Une partie du Tamiflu se présente en vrac. Il peut être transformé en gélules en deux mois environ par la pharmacie centrale des armées. Je précise que la péremption de ces stocks en vrac est actuellement de dix ans. Avec l'ensemble de ces traitements, la France se situerait à un niveau de couverture supérieure à celui recommandé par l'OMS, qui est de 25 % de la population. Nous pourrions ainsi prévenir les risques de résistance et, aussi, nous adapter dans les stratégies mises en œuvre en fonction des caractéristiques du virus et de la pandémie.

S'agissant des vaccins, 40 millions de vaccins pandémiques ont d'ores et déjà été réservés : 28 millions auprès de Sanofi-Pasteur et 12 millions auprès de Chiron. Nous sommes actuellement en pourparlers avec cinq grands groupes mondiaux, de façon à étendre la couverture vaccinale jusqu'à 62 millions de traitements vaccinaux.

Je voudrais maintenant aborder la coordination européenne entre les États membres. Un conseil informel des ministres de la santé s'est tenu à Hertfordshire le 21 octobre. Un Conseil européen, très formel celui-ci, se tiendra le 9 décembre prochain à Bruxelles.

L'idée est que nous avons besoin de renforcer la coordination entre tous les États membres. Pour cela, il nous faut renforcer la communication entre eux. Le commissaire européen Markos Kyprianou et moi-même avons demandé à chacun des États membres de nous informer, le 9 décembre, de leur état de préparation en nous indiquant : si leurs plans sont en phasage complet avec l'OMS ; quelles sont leurs disponibilités en médicaments ; quelles sont leurs réservations vaccinales ; quelles sont leurs dotations en masques ; quel est leur niveau d'organisation.

C'est important, même si les résultats officiels de l'exercice Common Ground qui s'est tenu la semaine dernière ne sont pas encore communiqués par la Commission européenne. Nous attendons d'ailleurs ces résultats pour valider définitivement notre plan ; il reste des points en suspens comme le contrôle renforcé aux frontières ou la mutualisation des capacités de rapatriement des Français et des autres Européens à l'étranger.

Nous devons également savoir si nous avons la volonté et la capacité de constituer des stocks de médicaments au plan européen, en plus des stocks nationaux. Le commissaire européen avait fait une proposition en ce sens, que j'ai l'intention de reprendre le 9 décembre pour qu'elle émane d'un Etat membre, puisque la Commission n'a pas de compétence en matière de santé. Nous avons en effet l'impérieuse nécessité de doter l'Europe de stocks supplémentaires, de façon à mutualiser notre action en faveur de pays qui ne seraient pas suffisamment pourvus, et aussi à développer des capacités d'action internationales.

Nous avons besoin de renforcer la coordination de l'information délivrée aux voyageurs. Nous avons d'ores et déjà renforcé cette information dans les aéroports français, et nous la renforcerons encore davantage en cas de transmission d'homme à homme. Les vols internationaux pourront être suspendus de manière temporaire.

La question du contrôle aux frontières nationales et européennes doit aussi être posée et recevoir une réponse claire de la part de l'ensemble des États membres de l'Union européenne.

Il faut également savoir si nous sommes capables d'avoir une veille sanitaire, une veille épidémiologique, et s'il existe une volonté européenne de renforcer les moyens de recherche à l'échelle européenne, pour aider les pays directement exposés au risque de grippe aviaire.

Chacun doit bien avoir conscience qu'aujourd'hui, il faut prendre le mal à la racine et apporter notre assistance à tous les pays qui sont en première ligne. Ce n'est pas seulement une question de solidarité : c'est aussi le moyen de nous protéger nous-mêmes.

Aujourd'hui, la demande la plus pressante que formulent ces pays est qu'on leur apporte un soutien en matière de veille sanitaire et de veille épidémiologique, un soutien pour l'analyse des données recensées et la recherche. On pourra répondre à leur attente si la coordination, à la fois européenne et internationale, est au rendez-vous.

La France a choisi de renforcer son aide aux structures multilatérales, qu'il s'agisse de l'OMS, de l'OIE ou de la FAO. Lors de la conférence des donateurs qui s'est tenue à Genève du 7 au 9 novembre 2005, la Banque mondiale a chiffré entre 750 millions et un milliard de dollars le montant de l'aide à apporter aux pays peu équipés pour qu'ils puissent faire face non seulement à l'épizootie, mais aussi à une éventuelle pandémie - en dehors bien sûr des coûts vaccinaux et des antiviraux. Elle a estimé les besoins urgents à 80 millions de dollars. La France a d'ores et déjà indiqué qu'elle verserait 12 millions de dollars, soit 10 millions d'euros, ce qui couvre 15 % des besoins recensés sur le plan international.

Une nouvelle conférence des donateurs aura lieu à Pékin entre le l7 et le 19 janvier - la date n'est pas encore arrêtée. Nous pourrons alors faire le point sur qui donne quoi et comment nous pouvons aider les uns et les autres.

Nous avons décidé de renforcer la contribution française contre la grippe aviaire dans les pays qui sont aujourd'hui en première ligne, notamment les pays d'Asie. Quatre experts viennent de prendre leurs fonctions auprès du bureau des ressources animales de l'ASEAN et du bureau de l'OIE à Bangkok. Nous augmenterons nos contributions volontaires pour 2006 de 2,5 millions d'euros supplémentaires.

La contribution totale de la France représente aujourd'hui huit postes, dont un auprès de « Vétérinaires sans frontières » à Hanoï. Parallèlement, nous entretenons des liens très étroits avec l'OIE.

Mais nous devons aussi réfléchir pour savoir si nous voulons passer des accords bilatéraux de coopération renforcée avec un certain nombre d'États. Après le déplacement que je viens d'effectuer à Hanoï, à Pékin et à Hong Kong, je considère qu'il est indispensable de passer de tels accords. Les pays concernés sont d'ailleurs demandeurs.

J'ai proposé, lors de la réunion du G7 + Mexique, qui s'est tenue à Rome le 18 novembre dernier, la mise en place d'une Université de sécurité sanitaire mondiale, qui serait ancrée au sein du pôle de l'OMS de Lyon, sur le modèle de ce qui a été fait il y a quelques années à Malmö avec l'Université de sécurité maritime. Cette proposition, qui permettrait de faire profiter tout le monde des connaissances et de l'expertise d'ores et déjà acquises, a recueilli un large assentiment, non seulement de la part des pays présents au G7 + Mexique, mais aussi du Vietnam ou de la Chine.

M. le Président : Je vous propose de commencer la discussion par la question de la gestion, au plan européen et international, d'une crise en phase 4, 5 ou 6, s'agissant, par exemple, du contrôle aux frontières ou du rapatriement des Français de l'étranger.

M. Xavier BERTRAND : Je souhaite le maximum de coordination entre les différents États membres, et des politiques communes, s'agissant notamment des contrôles aux frontières.

J'ai participé à un exercice grandeur nature qui s'est tenu le 30 juin dernier à Paris. Nous nous sommes aperçus que moins on hésitait à prendre des mesures radicales au début d'une transmission interhumaine, plus on retardait l'arrivée d'un virus sur le territoire européen et donc national.

Il faut contrôler les frontières aériennes, dans les aéroports internationaux ; les frontières portuaires ; les frontières terrestres. L'intérêt de cette coopération internationale est justement que les mêmes mesures de protection s'appliquent partout en Europe. Imaginez que nous ayons des mesures de contrôle renforcé à Roissy, mais que de telles mesures ne soient pas prises à l'identique en Allemagne ou à Bruxelles ! Le passager infecté qui descendrait d'avion à Bruxelles et louerait une voiture pour aller en France pourrait donc entrer sur notre territoire sans avoir été détecté.

La fermeture des frontières à titre temporaire est une possibilité...

M. Jean Michel BOUCHERON : Quelles frontières ? Celles de la France ou celles de Schengen ?

M. Xavier BERTRAND : Nous sommes bien dans une logique européenne. Je parle de l'ensemble des frontières de l'Union européenne.

Pour pouvoir organiser la réponse sanitaire à une situation pandémique en Asie du Sud-Est, il faut savoir gagner du temps, afin de préparer notre système de santé. Quelqu'un qui arriverait, malade, sur le territoire devra pouvoir y être traité dans les meilleures conditions. Là encore, il faut que nous ayons tous le même niveau de réponse.

Ce matin, dans une conférence de presse, le commissaire européen a indiqué qu'il ne donnerait que vers le 10 ou le 12 décembre l'ensemble des résultats de l'exercice du 30 juin dernier. Mais je peux vous dire d'ores et déjà que la question du contrôle aux frontières est une question centrale, qui a été révélée par l'exercice.

M. le Président : L'objectif, en fermant, le cas échéant, nos frontières est bien de retarder - l'empêcher serait impossible - l'arrivée de la pandémie en France. Je repose donc la question : le gouvernement veut-il instaurer un contrôle aux frontières Schengen, Union européenne, ou, à défaut, aux frontières nationales ?

M. Xavier BERTRAND : Nous disons la même chose que l'OMS : l'objectif est de gagner du temps et de retarder au maximum la propagation du virus.

Le plan français prévoit des mesures de contrôle aux frontières, qui seront adoptées prochainement. Au niveau européen, je souhaite que les mesures de contrôle les plus rigoureuses possibles soient prises, avec une détection sanitaire aux aéroports - où se trouve le principal risque - et sur les frontières des vingt-cinq pays de l'Union. Soyons clairs : je parle de l'Union européenne, et donc des frontières de l'ensemble des États membres.

M. Jérôme BIGNON : Le gouvernement semble craindre que le niveau de conscience ou d'exigence ne soit pas partout le même.

M. le Président : Pour ma part, je poserais la question inverse : le gouvernement ne redoute-t-il pas une réaction de « sur-précaution » de certains pays ?

M. Xavier BERTRAND : Si nous voulons être efficaces, il faut que, dans l'ensemble des aéroports de l'Union européenne, les mêmes messages soient passés aux passagers, que les équipages, personnel navigant et personnel au sol, aient bénéficié du même type d'information et de formation sur la conduite à tenir si un passager en provenance d'un pays qui connaîtrait une situation pandémique a été contaminé ou présente des risques de suspicion très forts.

Nous souhaitons qu'on institue un mode de contrôle - caméras thermiques ou thermomètres auriculaires - et qu'on soit capable d'isoler les passagers contagieux et de les soumettre immédiatement à un suivi médical. Si nous voulons être efficaces, il faut que l'ensemble des pays réagisse exactement de la même manière.

Si nous n'en étions pas capables, il faudrait bien que le gouvernement français en tire les conclusions - et cela fera partie du plan.

M. le Président : Comment réagiriez-vous si un pays déclarait vouloir fermer ses frontières ?

M. Xavier BERTRAND : Cela me gênerait moins qu'un pays qui refuserait de les fermer. A ce propos, je remarque qu'il faudra résoudre le problème des transfrontaliers. Je m'en suis d'ailleurs entretenu avec M. Mars Di Bartolomeo, le ministre de la santé luxembourgeois.

Aujourd'hui, l'objectif prioritaire est de mettre en place un même niveau de protection sur l'ensemble des frontières.

M. Alain CLAEYS : Y a-t-il une prise de conscience parmi les Vingt-Cinq ? Certains pays sont-ils en retard par rapport aux autres ? Comment la Commission et le Conseil des ministres articulent-ils leurs positions respectives ?

M. Xavier BERTRAND : Il est vrai que le niveau de préparation n'est pas le même selon les États. Mais je ne distribuerai pas de bons et de mauvais points. Markos Kyprianou avait écrit à l'ensemble des pays membres pour leur demander quel était leur niveau de préparation. Tous les pays ne lui ont pas répondu. Il faut commencer par communiquer entre nous et jouer carte sur table. Autrement, certains pourraient, en cas de pandémie, dire que, finalement, ils n'ont pas de stocks et demanderaient à être aidés. Il faut anticiper.

Le plan français repose sur une logique d'anticipation. Je demande que l'ensemble des pays européens adopte la même logique. Markos Kyprianou, le commissaire européen, est très sensible, depuis longtemps, à cette nécessité d'anticipation d'une crise pandémique. Je précise qu'entre le Conseil des ministres et la Commission, il n'y a pas de différence de position. La seule chose à laquelle il faut veiller, c'est que la logique européenne s'impose par rapport aux logiques nationales. Le dernier sommet a été très intéressant. Nous y avons entendu une intervention de Mme Margaret Chan, sous-directrice à l'OMS. Son franc-parler n'a pas manqué de provoquer une prise de conscience chez certains, si elle ne s'était pas encore produite.

Dans un premier temps les pays ont constitué des stocks de moyens de protection - masques, antiviraux et vaccins. Maintenant, il faut aller au-delà et imaginer, si possible dans le détail, comment utiliser ces moyens. Même quand nous aurons réussi à obtenir des informations sur ces moyens, il faudra s'assurer de leur utilisation opérationnelle.

Enfin, il ne faut pas oublier un autre aspect, qui est essentiel : la communication.

M. François GUILLAUME : Il est surprenant, depuis le temps qu'on parle d'une possible pandémie, que le Conseil des ministres, sur proposition de la Commission, n'ait pas adopté les mesures nécessaires pour mettre en place dans tous les pays des systèmes de prévention. C'est étonnant qu'on n'aille pas plus vite.

Vous avez signalé que l'Union européenne envisageait de constituer des stocks de Tamiflu. Mais attention à ce que cette initiative n'incite certains pays à ne pas faire trop d'efforts, comptant, en cas de crise, sur l'aide européenne. Ne faudrait-il pas, par exemple, dédier ces stocks à l'aide aux pays qui seront les premiers touchés, ceux d'Europe de l'Est notamment ?

M. Pierre HELLIER : Y a-t-il eu une réflexion, au niveau européen, sur la surveillance des oiseaux migrateurs ? Il est indispensable de coordonner toutes les actions à ce niveau. La France, qui semble relativement bien préparée, pourrait servir d'exemple. Quand les oiseaux reviendront, nous risquons d'assister à des contaminations croisées et multiples. Or la pandémie sera d'autant plus grave qu'il y aura eu davantage d'animaux malades.

M. Jean-Pierre DOOR, rapporteur : Quels sont les moyens envisagés au plan européen pour combattre le problème étiologique ? Il ne faut pas attendre que le mal continue de se développer. Quels sont les moyens envisagés au plan européen pour surveiller ce qui se passe en Afrique, où sont arrivés, pour l'hiver, les oiseaux migrateurs, et d'où ils vont repartir au printemps ?

M. Marc JOULAUD : Monsieur le ministre, vous avez évoqué des différences de niveau de préparation entre les pays de l'Union. S'expliquent-elles, selon vous, par un degré de sensibilisation différent au sujet ou par les difficultés financières de certains pays ? Dans ce cas, est-ce que l'Union peut envisager d'intervenir financièrement pour aider à cette préparation ?

Avez-vous le sentiment que l'ensemble des pays de l'Union, s'il en avait la volonté, pourrait se doter de stocks susceptibles de protéger l'ensemble de la population européenne ? La capacité de production industrielle en Europe et dans le monde serait-elle suffisante ?

M. Gabriel BIANCHERI : La vaccination des volailles a-t-elle été envisagée ? Est-elle réalisable ou non ? On sait bien que plus vite on enrayera l'épizootie, plus grandes seront les chances de limiter le risque pandémique.

M. le Président : J'ai appris que l'Autriche avait annoncé son intention de fermer ses frontières.

Si tel devait être le cas, que penseraient les Français si leur gouvernement se contentait, dans le même temps, de renforcer les contrôles dans les aéroports et les infrastructures portuaires, en considérant ces mesures suffisantes pour la santé publique, sans aller jusqu'à fermer les frontières ? Nos concitoyens pourraient penser que nous ne prenons pas toutes les mesures nécessaires. Rappelez-vous l'affaire du confinement des poulets : les citoyens français se sont demandé si le Gouvernement avait pris les bonnes mesures.

M. Xavier BERTRAND : Avant même de nous demander quelle interprétation l'opinion publique pourrait tirer du fait que tel pays ferme ses frontières alors que tel autre ne les ferme pas, nous devons nous interroger sur ce qu'il y a à faire au nom du principe de précaution. Ce qui me semble, à cet égard, essentiel, c'est que tout le monde prenne, dès le début, des mesures rigoureuses, même si ces mesures, par exemple de fermeture des frontières, peuvent n'avoir qu'un caractère transitoire. Il pourrait aussi s'agir de mesures restrictives applicables pas seulement à l'arrivée dans les pays, mais aussi au départ. C'est un point sur lequel j'ai sensibilisé le docteur Li et le docteur Chan, de l'OMS. L'OMS a aussi un rôle important à jouer pour empêcher la propagation du virus au niveau mondial. Nous réfléchissons pour l'Europe, mais il est évident que l'Amérique et les autres continents seront tout aussi concernés par cette question. Je me doute d'ailleurs de ce que ferait le continent australien, pour m'en être entretenu avec un certain nombre de dirigeants à Hong Kong.

Jouons la carte de la coopération européenne. Si tout le monde ne le faisait pas, il faudrait en tirer les conclusions.

Je répondrai à Gabriel Biancheri que nous sommes, effectivement, dans une logique d'épizootie. Il faut remettre les choses à leur juste place : aujourd'hui, aucun cas de transmission de l'homme à l'homme n'a été recensé nulle part sur la planète. Mais à partir du moment où le risque existe, il faut absolument que nous soyons capables d'en parler de façon transparente et, surtout, de nous y préparer.

Un certain nombre de mesures de protection des volailles ont déjà été prises au niveau européen. La vaccination est une option possible. Aujourd'hui, les recommandations des experts vétérinaires n'ont pas amené la France à l'adopter. Il en a été de même au niveau européen.

En revanche, la Chine et le Vietnam appliquent à la fois des mesures d'abattage et de vaccination. Mais il faut savoir que ces vaccinations obligent à des manipulations quasi individuelles de chaque volaille, que les vaccins qui peuvent exister ne produisent pas les mêmes effets sur tel ou tel type de volaille, et que la vaccination risque de masquer la présence du virus. On sait aussi qu'elle peut conduire à l'apparition de résistances. Ce qui est sûr, c'est que nous devons prévoir l'éventualité que les experts vétérinaires recommandent la vaccination.

Je précise que la vaccination qui est recommandée est celle dite en anneau : elle est effectuée dans un certain rayon autour du foyer épizootique, tandis qu'au cœur de ce rayon, c'est la mesure d'abattage qui s'impose. La Chine, le Vietnam et Hong Kong ont, eux, choisi la vaccination systématique.

Marc Joulaud a insisté sur le niveau de sensibilisation et de préparation de chaque pays. Il s'est demandé si ce niveau était identique et, sinon, pour quelle raison. Il m'est très difficile de répondre à cette question. Si tout le monde voulait se mettre au même niveau, chacun des pays pourrait-il le faire ? Compte tenu des nouvelles capacités de production annoncées par le laboratoire Roche, qui estime être en mesure de produire en année pleine 300 millions de traitements de Tamiflu, ce serait théoriquement possible. Encore faudrait-il savoir à quel moment ces traitements seront disponibles. Le laboratoire Roche s'est dit prêt à accorder des licences pour permettre à d'autres laboratoires de produire du Tamiflu.

N'oublions pas le Relenza, l'autre antiviral disponible contre la grippe, et dont l'efficacité est, pour l'OMS, de même niveau que celui du Tamiflu.

M. Alain CLAEYS : Je rappelle que Roche détient l'exclusivité de la fabrication du Tamiflu. La législation sur les brevets et la propriété intellectuelle ne constitue-t-elle pas un frein à l'augmentation des capacités de production ? Quelles initiatives pourraient être prises auprès de l'OMC à cet égard ?

M. Xavier BERTRAND : C'est l'OMS qui est compétente. Selon les accords de Doha, c'est elle qui décrète la situation de pandémie, et qui permet ensuite d'en tirer les conclusions sur le droit des brevets.

Mais avant même la question des brevets, c'est de la capacité de production dont il faut se préoccuper. Si Roche, comme il l'a annoncé, est prêt à accorder des licences, qui va pouvoir répondre à cet appel et être en mesure de fabriquer du Tamiflu ? Ce n'est pas le tout d'accorder des licences : il faut avoir les moyens de production pour aller au-delà de 300 millions de traitements.

Autre problème : la protection par antiviraux ne peut pas être l'apanage des seuls pays riches. Dans quel pays vivrions-nous si nous n'étions pas capables de faire preuve de solidarité internationale et de faire en sorte que dans tous les pays du monde, on puisse avoir accès aux médicaments ? Et c'est valable aussi pour les vaccins.

La vraie question est donc celle de l'accès au traitement, qu'il soit médicamenteux ou vaccinal. Je le dis avec d'autant plus de force que la France est certainement considérée par l'OMS comme l'un des pays qui se sont le mieux préparés. Mais nous ne pouvons pas nous contenter d'assurer la protection de la santé des seuls Français, qu'ils soient sur le territoire métropolitain ou à l'étranger. L'accès au traitement doit se faire de façon globalisée, au niveau européen comme au niveau international.

M. le Président : Je ne comprends pas la position du laboratoire Roche. Au mois de septembre, ses représentants m'assuraient que le processus de fabrication du Tamiflu était tellement compliqué et tellement dangereux que seul Roche savait le maîtriser. Quelques semaines plus tard, Roche se dit prêt à accorder des licences secondaires, notamment au Vietnam et en Indonésie. Or ces pays, que je connais et que je respecte, n'ont pas une industrie chimique des plus poussées. Alors, je m'interroge et je comprends d'autant moins que, dans le même temps, on apprend que Taïwan, dont le niveau de développement est nettement supérieur, n'est pas jugé capable, par Roche, de fabriquer du Tamiflu ! Quelle est votre opinion, Monsieur le Ministre ?

D'autre part, peut-on raisonnablement espérer, en augmentant sensiblement la production d'antiviraux, assurer une protection efficace des populations, alors que l'on sait que l'efficacité du Tamiflu dépend des conditions dans lesquelles on l'emploie ?

M. Xavier BERTRAND : Roche a dit que Cipla, laboratoire indien, n'arriverait pas à fabriquer le générique. En même temps, nous avons entendu dire que le Tamiflu pourrait être fabriqué au Vietnam. Ces deux déclarations ne me semblent pas très cohérentes, en effet.

De son côté, Cipla explique que ce n'est pas si compliqué de produire du Tamiflu, le problème étant plutôt de pouvoir disposer de la matière première, la badiane ou anis étoilé, dont on extrait l'acide shikimique. Ce qui est délicat, en réalité, c'est la phase suivante, la phase explosive, que tout le monde ne maîtrise pas.

M. Alain CLAEYS : Est-ce que le gouvernement français envisage de sécuriser le marché de cette matière première ?

M. Xavier BERTRAND : Aujourd'hui, nous avons déjà des stocks sur le territoire national. Je ne sais pas comment Cipla a pu sécuriser là-bas - c'est-à-dire en Inde - la matière première. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne saurait accepter que telle ou telle firme réserve la matière première à son seul bénéfice. Celle-ci doit profiter à l'ensemble de la planète.

Les différents process de fabrication devraient permettre à d'autres laboratoires dans le monde de fabriquer du Tamiflu. Cela dit, j'ai le sentiment que l'on a beaucoup parlé du Tamiflu, et pas assez du Relenza, ni non plus d'autres médicaments. Le laboratoire Pasteur, à Hong Kong, a intégré dans son programme de recherche la préparation et la conception de nouvelles thérapeutiques. Il nous faut en effet imaginer de nouveaux traitements médicamenteux et de nouveaux antiviraux. Cela peut prendre du temps, mais je pense que nous aurions tout intérêt à doper les moyens de recherche pour y parvenir.

Et n'oublions pas les autres moyens de protection, comme les masques. La France a voulu se doter de stocks importants de masques. Nous savons que dans certains pays, notamment lors de la crise du SRAS, les masques ont été la première et la meilleure des protections.

Enfin, des règles d'hygiène et de vie sociale adaptées sont tout aussi protectrices, comme le rappelle régulièrement l'OMS.

Jean-Pierre Door et Pierre Hellier ont évoqué les moyens européens pour lutter contre l'épizootie. Nous avons en effet besoin d'une action européenne en la matière. La France a choisi de jouer la carte des organisations internationales, car il faut, par exemple, surveiller ce qui se passe aujourd'hui en Afrique, où des quantités impressionnantes d'oiseaux migrateurs se sont retrouvés aux abords du lac Tanganyika et du lac Debo. Nous voudrions savoir s'il y a, aux abords de ces deux lacs, une mortalité anormale chez les oiseaux migrateurs. Il faudrait pouvoir procéder à des prélèvements, car on se demande si certains oiseaux ne pourraient pas être porteurs du virus H5N1 sans en être pour autant les victimes. Faire de telles recherches pendant l'hiver serait intéressant : en effet, les flux migratoires, à partir de février/mars, vont directement repasser au-dessus des pays européens, notamment la France. Les Américains travaillent eux aussi, en Afrique, à la surveillance des oiseaux migrateurs et font des analyses.

François Guillaume a parlé de la stratégie et de la position de la Commission européenne. Comme je l'ai déjà dit, la santé n'est pas une compétence propre de l'Union européenne. La Commission a un rôle de coordination, d'impulsion, de sensibilisation, mais elle ne peut pas directement imposer des orientations ou des choix. C'est d'ailleurs pourquoi, je vous l'ai indiqué, la France reprendra la proposition du commissaire européen Kyprianou de constituer des stocks européens, en plus des stocks nationaux.

M. le Président : J'aimerais connaître la position du Gouvernement français sur la polémique entre l'OIE et l'OMS à propos de ce qu'il aurait fallu faire ou ne pas faire au début de l'épizootie.

M. Xavier BERTRAND : La position du gouvernement français est de ne pas rentrer dans la polémique ! Cela dit, il faut rappeler qu'aujourd'hui, c'est sur la santé animale que nous pouvons être efficaces.

M. le Rapporteur : Quels enseignements avez-vous tirés de votre récent voyage en Chine ? Que pensez-vous de la transparence des informations données par la Chine sur l'épizootie dans le pays ? Quels moyens les Chinois ont-ils engagés ? Ils ont déclaré qu'ils allaient vacciner 5 milliards de volailles ? Cela paraît difficile, sur le plan technique comme sur le plan financier.

M. Marc LE FUR : Je reviens d'un voyage au Cambodge, organisé dans le cadre du groupe d'amitié France-Cambodge. J'en ai profité pour regarder ce qui se passait en matière de lutte contre la grippe aviaire. Les personnes que j'ai rencontrées, qu'il s'agisse de nos diplomates ou des responsables de l'institut Pasteur, étaient très mobilisées.

Il y a eu au Cambodge quatre malades, qui sont décédés. Mes interlocuteurs sont convaincus du caractère saisonnier de la maladie. Les derniers décès étant intervenus en mai, ils considèrent qu'à partir de février, on rentrera à nouveau dans une phase très délicate, où l'on pourrait avoir des décès dus à l'épizootie. Ils s'y préparent. Le secrétaire américain à la santé a fait une tournée générale au Cambodge. Il est venu dans l'intention de mettre beaucoup d'argent sur la table.

Nous avons là bas un institut Pasteur qui fonctionne bien, avec des personnels remarquables. Or cet institut Pasteur a un laboratoire classé P2. Les personnels considèrent qu'il serait tout à fait indispensable qu'il passe à un niveau P3, afin de pouvoir faire des examens d'échantillons dans des conditions satisfaisantes au moment où la pandémie se déclarerait. Ils considèrent que les examens devront se faire sur place pour pallier une éventuelle désorganisation du pays -interdiction de transports, etc. Je signale que le coût d'une telle transformation est assez limité, de l'ordre d'un million d'euros.

M. Xavier BERTRAND : Si je suis allé au Vietnam et en Chine, c'était pour y mesurer l'état d'esprit, ainsi que l'état de préparation et l'état des besoins, en particulier de nos ressortissants sur place. En effet, la façon dont nous préparons la prise en charge de nos ressortissants permettra à notre opinion d'apprécier notre capacité à réagir face à un risque pandémique sur le territoire national. Il est donc très important de bien mesurer le niveau de besoin de nos ressortissants à l'étranger, auprès de nos postes diplomatiques.

Les organisations internationales, le réseau Pasteur, qui est très développé et très apprécié là-bas, et les autorités gouvernementales peuvent nous renseigner. A Hanoï, à Shanghai ou à Hong Kong, j'ai rencontré à chaque fois les ministres de la santé et les représentants de l'Institut Pasteur.

Les besoins qui ont été exprimés ne sont pas d'ordre financier. Ces pays demandent des moyens supplémentaires pour la veille sanitaire, la veille épidémiologique, pour améliorer leurs capacités d'analyse et surtout pour mener des travaux de recherche. Ils ont besoin, en fait, de chercheurs.

L'Université de Hong Kong a fait un travail très important. Je pense notamment aux chercheurs qui ont travaillé sur le SRAS et réussi à concevoir le vaccin.

Pasteur travaille sur la grippe aviaire. Son travail est remarquable, mais repose sur deux personnes seulement. Si nous pouvions doter chacun des postes de Pasteur de tout ce qu'il y a dans le réseau RESPARI en Asie du Sud-Est, nous pourrions faire progresser la recherche à grand pas.

On nous demande des collaborations et des chercheurs supplémentaires. Je pense qu'il serait bon que nous puissions le faire au niveau européen. Je rencontrerai vendredi les responsables de l'institut Pasteur pour évaluer les moyens que nous pourrions trouver.

La France s'est singularisée par sa capacité à mettre en place des forces d'action rapide à caractère humanitaire. Nous devons aussi être capables de mettre en place de façon préventive des forces d'action rapide à caractère sanitaire et épidémiologique. C'est de cela que ces pays ont besoin. Si nous étions capables de nous mobiliser au plan international, on pourrait sans doute limiter le développement de la crise.

S'agissant du caractère saisonnier de la grippe aviaire, M. Joseph Domenech, de la FAO, a effectivement dit qu'il pouvait y avoir un lien de cause à effet entre le cycle de culture du riz et le déplacement des canards domestiques, ce qui pourrait expliquer le caractère saisonnier de la grippe. Je serai très prudent. On nous avait dit que c'était plutôt en phase hivernale qu'on pouvait assister à une recrudescence. Mais je note que les cas successifs de transmission à l'homme ont été de moins en moins virulents. Est-ce dû à une meilleure prise de conscience du problème par les éleveurs touchés ? Vont-ils se faire soigner plus rapidement ? Le virus devient-il moins pathogène lorsqu'il passe à l'homme ? Les chercheurs sont en train de travailler sur ces sujets.

Vous voyez tout l'intérêt qu'il y a à envisager de chercher, comme le fait Pasteur à Hong-Kong, les critères de transmission à l'homme du virus H5N1. Mais il faut aussi envisager l'hypothèse que la contamination humaine pourrait résulter d'une autre souche. Il ne faudrait pas être totalement désarmés dans ce cas-là.

On peut renforcer les moyens en hommes, mais aussi en dotations. C'est vrai qu'à Shanghai, comme au Cambodge, les chercheurs souhaiteraient disposer d'un laboratoire P3. La difficulté, c'est que, lorsque les laboratoires sont situés en territoire urbain, les autorités locales sont très attentives au respect des normes de sécurité. Il faudrait trois autorisations pour que le laboratoire de Shanghai passe du niveau P2 au niveau P3. J'ai obtenu l'accord du ministre de la santé chinois et l'accord de la municipalité de Shanghai ; il nous reste à solliciter et à obtenir l'accord du ministère chinois de la recherche. Le ministre de la santé, M. Gao Qiang, m'a assuré qu'il interviendrait auprès de son collègue. Il sera ainsi possible de faire, sur place, des travaux de recherche sans être obligés de les transmettre, ensuite, à d'autres laboratoires situés ailleurs. Vous savez qu'un laboratoire P4 est prévu à Wuhan. Mais il faut aussi qu'il y ait des laboratoires de proximité.

J'ai apporté aux autorités chinoises des garanties en termes de sécurité. J'ai rappelé que le responsable du laboratoire de Shanghai a travaillé au sein du laboratoire P4 de Lyon, ce qui est tout de même une référence.

M. le Président : Qui construit le P4 chinois ?

M. Xavier BERTRAND : C'est une collaboration franco-chinoise, mais avec, à la base, l'expertise française. Il faudra aussi réfléchir à la création de laboratoires P3 mobiles. Si nous voulons être capables de réagir de façon encore plus efficace, il faut pouvoir déplacer un certain nombre de laboratoires. Je m'adresserai à nos spécialistes en France pour savoir quel en serait le coût et pour envisager les conditions d'une mutualisation au niveau européen. Si nous développons les capacités de recherche, nous ferons gagner un temps précieux à l'industrie qui produira le vaccin pandémique.

J'ai été frappé par la sérénité de nos ressortissants, qui ont vécu l'épisode du SRAS et pour lesquels, aujourd'hui, la grippe aviaire reste encore un problème de santé animale. Il en est de même des autorités locales, qui en ont néanmoins bien mesuré le risque.

Les autorités chinoises et vietnamiennes sont décidées à communiquer dans la plus grande transparence et à prendre des mesures très rigoureuses, notamment en matière d'abattage. Ainsi, les élevages qui étaient autour de Hanoï ont disparu quasiment en une semaine. Aujourd'hui, sur les marchés, il n'y a plus de volailles vivantes.

Je me suis entretenu pendant une heure et demie avec le ministre chinois. Je l'ai interrogé et j'ai obtenu de lui des réponses très claires. Les Chinois ont bien conscience qu'ils doivent faire preuve aujourd'hui de la plus grande transparence et la plus grande rigueur. Deux événements mondiaux majeurs auront lieu en Chine : en 2008 les Jeux Olympiques, en 2010 l'Exposition internationale à Shangaï. Les Chinois ont donc à cœur de montrer que, s'agissant de la grippe aviaire, ils sont décidés à prendre les choses avec le plus grand sérieux et le plus tôt possible.

L'épisode du SRAS a marqué les esprits, aussi bien chez les responsables politiques que chez les responsables sanitaires. Ils ont bien conscience que si la pandémie était là, le système de santé comme le système économique et social rencontreraient bien des difficultés. C'est pourquoi ils sont déterminés à trouver, le plus vite possible, les solutions les plus efficaces.

Je sais bien que des observateurs s'interrogent sur le niveau d'engagement des autorités concernées et sur la précision des réponses aux questions posées. Mais j'ai pu mesurer qu'elles avaient bien conscience des risques existants pour la santé humaine.

M. le Rapporteur : A la conférence des donateurs qui doit avoir lieu à Pékin au mois de janvier, la France sera-t-elle représentée ?

M. Xavier BERTRAND : La France sera représentée au niveau ministériel. Cette conférence de Pékin devrait permettre de faire le point, à la suite de l'appel aux donateurs lancé à Kuala Lumpur en juillet dernier et à la suite de la conférence de Genève du mois de novembre dernier. Deux questions devraient y recevoir une réponse précise : qui fait quoi ? Qui donne quoi ?

M. Gerard DUBRAC : Est-ce que les Chinois utilisent le Tamiflu ? Les cas sporadiques de contamination humaine pourraient être l'occasion de tester l'efficacité de ce produit : qu'en pensez-vous ?

M. le Président : Début janvier 2005, une délégation de députés membres de la commission des affaires sociales de notre Assemblée s'est rendue en Chine. Nous avons visité, à Pékin, le CDC, Center for Disease Control, le centre de lutte contre les maladies infectieuses. Nos entretiens, sur place, ont mis en évidence les limites de la capacité des autorités chinoises à dire les choses telles qu'elles sont, qu'il s'agisse du SRAS, de la grippe aviaire ou du sida. Il y a un décalage entre ce que disent les élites scientifiques du pays, qui ont pris conscience du problème, et ce que disent les autorités politiques, qui maintiennent un système totalement opaque. On a bien vu que, pendant dix mois, alors que l'épizootie se répandait au Cambodge, au Vietnam, en Birmanie, provinces qui ont des liens avec la Chine du sud et de l'ouest, on nous disait qu'il n'y avait pas de grippe aviaire en Chine. Maintenant, on s'aperçoit qu'il y en a en Chine du sud et qu'elle s'est répandue dans des endroits où l'on ne pensait pas la voir si rapidement, notamment au nord est. A tel point qu'on s'est demandé comment il pouvait y avoir autant de grippe aviaire chez les animaux sans cas d'infection chez les humains. Puis on apprend récemment qu'il y a eu un cas humain ! Compte tenu de l'immensité de la Chine, on se dit qu'on ne sait peut-être pas tout. Ne serait-ce pas, simplement, parce que les informations ne remontent pas toutes aux autorités chinoises centrales ?

Ce n'est pas la première fois que la Chine décide de vacciner les animaux. Elle avait déjà mené une première campagne de vaccination mais qui n'a visiblement pas marché. Nous devons donc être vigilants.

La conférence de Pékin est d'autant plus importante qu'elle est le signe d'une prise de conscience de la Chine. Il reste que la situation est potentiellement explosive dans cette région du monde.

M. Xavier BERTRAND : Si je m'étais rendu en Chine il y a dix mois, je ne suis pas certain que je vous aurais donné la même réponse. Or je m'y suis rendu après la révélation de trois cas de transmission à l'homme.

Lors de mes entretiens sur place, j'ai compris que sur le plan de l'épizootie, la Chine était loin de tout maîtriser dans certains endroits du territoire. Mes interlocuteurs chinois ont dit qu'ils avaient bien conscience que, dans un certain nombre de campagnes isolées ou reculées, les capacités de réaction et d'isolement rapides n'étaient pas du même niveau que celui constaté à Pékin et à Shanghai.

Je tiens à vous préciser qu'au moment où je me suis rendu en Chine, il y avait 74 foyers épizootiques dans neuf provinces. Le fait que nous soyons au courant est une preuve de transparence.

J'ai aussi appris que les Chinois avaient l'intention de renforcer leur législation : il deviendra obligatoire de déclarer aux autorités nationales, sous peine de sanction, tous les cas constatés dans les quatre heures suivant leur découverte.

S'agissant du Tamiflu, les Chinois disposent de stocks, mais je ne pense pas que ce soit à hauteur du taux de couverture de la population recommandé par l'OMS, soit 25 %...

Je remarque par ailleurs que, depuis des années, le Japon utilise massivement le Tamiflu, notamment pour la grippe saisonnière. Il est sûrement le premier consommateur au monde de Tamiflu.

M. le Président : Dans une publication de l'institut Pasteur du Vietnam, j'ai lu que le H5N1 avait muté. Que savez-vous sur ce point ?

M. Xavier BERTRAND : On parle davantage d'évolution que de mutation, ce qui expliquerait sa moindre virulence aujourd'hui. Fort heureusement, car les taux de mortalité étaient jusqu'à présent de 50 %. Cela dit, comme il y a aussi une meilleure prise de conscience du problème et un meilleur accès à des traitements de qualité, dans des délais raccourcis, il est difficile de se prononcer.

M. le Président : J'aimerais faire une suggestion. Il existe une structure internationale, qui s'appelle l'ASEM1, qui rapproche les pays ASEAN22 de l'Europe. Elle a été lancée par la France il y a sept ou huit ans, puis reprise par l'Europe, mais tourne un peu en rond aujourd'hui. Elle pourrait constituer un cadre intéressant pour organiser une conférence, à la fois parce que c'est l'Europe, mais aussi parce que c'est l'ASEAN plus trois pays, dont le Japon et Singapour, qui ont de l'argent et des moyens techniques.

Lorsque je me suis rendu aux États-Unis, je me suis rendu compte que les Américains considéraient la question de la grippe aviaire comme une question de souveraineté nationale mais aussi internationale : nationale pour la défense de leur territoire, internationale pour l'image des États-Unis. Plus généralement, ce sont l'image de chacun d'entre nous et notre capacité à prendre le leadership au plan international qui sont en jeu.

La France a fait le choix du multilatéralisme vis-à-vis de l'OMS. Est-ce que cela la prive de relations bilatérales avec les États-Unis ? Dans des pays comme le Vietnam ou le Cambodge, les États-Unis ont une volonté très forte de s'appuyer sur les structures françaises existantes.

Comment tous ces éléments d'ordre international pourraient-ils, selon vous, s'articuler ?

M. Xavier BERTRAND : Nous avons déjà songé à organiser une conférence internationale. L'idée d'en organiser une dans le cadre de l'ASEM est bonne. Je vais voir avec le ministère

des affaires étrangères si l'ASEM constituerait un cadre adapté.

J'ai rencontré, il y a quelques mois, l'ambassadeur américain à Paris, M. Craig Stapleton. Force est de reconnaître que les Américains sont impliqués dans la coopération avec les organisations internationales plus substantiellement que ce qu'ils semblaient avoir l'intention de faire il y a quelques mois.

J'ai, par ailleurs, constaté que les moyens financiers n'étaient pas la demande prioritaire des pays touchés. Ainsi, la ministre de la santé du Vietnam m'a demandé une aide en personnes et en moyens, ainsi qu'une aide pour les situations d'urgence - matériel médical, vêtements, ambulances, respirateurs. Nous allons inviter des entreprises françaises installées là-bas à aider les autorités nationales. Et donc, bien qu'engagée dans les organisations internationales, la France n'exclut évidemment pas l'éventualité de passer des accords bilatéraux avec les pays concernés.

S'agissant des États-Unis, nous avons rencontré à Rome des experts du Center for Disease Control, le CDC. Les Américains sont très intéressés par ce qui se passe en Afrique. S'ils veulent contribuer à renforcer la coopération internationale, notamment au Cambodge et dans tout le réseau RESPARI, nous devons nous garder de nous placer en concurrents. Complémentarité oui, concurrence non.

Cela suppose que la France et l'Europe soient présentes là-bas. L'enjeu est d'aider ces pays. En les aidant, nous nous protégeons. Mais pour nous protéger, il faut aussi être capables de mener des travaux de recherche sur le vaccin, ce qui n'est pas secondaire.

S'agissant de l'Afrique, nous n'avons pas encore été sollicités. Toutefois, nous avons anticipé la demande car elle risque d'arriver. Force est de reconnaître que les niveaux de veille sanitaire ne sont pas les mêmes dans tous les pays africains. Si nous avons vraiment une force d'action rapide en matière vétérinaire à installer, ce sera en Afrique. On sait que l'Afrique est un foyer potentiel d'épizootie. Mais le poids économique et culturel des élevages n'est pas le même en Afrique qu'en Asie du Sud-Est. Il n'y a pas la même proximité entre les élevages et les humains, et la place du poulet dans l'alimentation n'est pas non plus la même qu'en Asie. Cela dit, le niveau des services vétérinaires demanderait certainement à être renforcé sur l'ensemble du continent africain.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas encore auditionné l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Son audition aura lieu dans une quinzaine de jours. Quel serait son rôle en Afrique ?

M. Xavier BERTRAND : La question n'a pas encore été abordée. Aujourd'hui, c'est davantage avec la FAO et l'OIE que j'ai eu des contacts.

M. le Président : D'après vous, quels sont les pays africains les plus sensibles ?

M. Xavier BERTRAND : Je n'ai pas d'idée précise. Une étude a montré qu'un certain nombre de pays africains seront, dans quelques années, sur le plan économique, l'équivalent des dragons asiatiques. On peut donc penser qu'ils auront un niveau de réactivité supérieur. C'est en tout cas ce qu'on a dit du Kenya et de l'Afrique du Sud. Mais je n'ai pas à porter de jugement sur l'état de préparation de ces pays.

M. le Président : Ma question visait plutôt les pays qui, au départ, risqueraient d'être plus touchés par l'épizootie ?

M. Xavier BERTRAND : Aujourd'hui, même la FAO n'est pas en mesure de répondre précisément à cette question. Mais bien évidemment, les pays de l'Afrique subsaharienne seraient plus directement concernés.

M. le Président : Merci, monsieur le ministre.

1 Asia-Europe Meeting

2 Asian Nations


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