Mercredi 7 décembre 2005

- Audition de M. Michel BUBLOT et de Mme Charlotte SANDRET, représentants des laboratoires MERIAL

(Compte rendu de la réunion du 7 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Madame, Monsieur, nous vous remercions d'avoir accepté ce rendez-vous. Notre mission d'information travaille avant tout sur la pandémie humaine, mais s'intéresse également à la grippe animale et, davantage encore, à la jonction entre les deux problèmes. Nous avons tout à la fois une fonction de contrôle de l'action gouvernementale et un rôle d'information et de transparence - c'est pourquoi cette réunion est ouverte à la presse.

J'ai déjà eu l'occasion de faire connaissance avec votre laboratoire en allant visiter le centre de lutte contre les maladies infectieuses à Atlanta au mois de juillet dernier. J'ai appris à cette occasion que votre laboratoire était une joint-venture entre Merck et Sanofi. Nous aimerions entendre votre point de vue sur la situation actuelle de l'épizootie et son évolution.

M. Michel BUBLOT : Responsable d'un laboratoire de virologie, je suis aussi chef de projet sur les vaccins « grippe aviaire » de nouvelle génération. Je suis accompagné de Mme Charlotte Sandret, responsable de la communication Merial pour la France.

Issue du regroupement, en 1997, de Rhône-Mérieux, alors département « santé animale » de Rhône-Poulenc, devenu depuis Aventis, puis Sanofi, et des activités de santé animale des laboratoires américains Merck, Merial a en France une histoire très ancienne, qui remonte à la fondation en 1896, par Marcel Mérieux, disciple de Pasteur, de l'institut Mérieux, spécialisé après la seconde guerre mondiale dans la production de vaccins contre la fièvre aphteuse.

Dans le monde, Merial réalise un chiffre d'affaire de 1,8 milliard de dollars, emploie 5 000 salariés dont 1 700 experts et est présent dans 150 pays. Il s'agit donc d'une entreprise mondiale. En France, Merial SAS réalise un chiffre d'affaires de 567 millions d'euros dont 67 % à l'exportation et possède deux centres de recherche et développement, ainsi que quatre sites de production, trois à Lyon et un à Toulouse. Notre site de Lyon est capable de produire plus de 10 milliards de doses de vaccin aviaire par an. Nous sommes leader sur le marché français et n° 2 dans le monde, où nous talonnons Pfizer.

M. le Président : Présentez-nous vos vaccins.

M. Michel BUBLOT : Il existe deux grands types de vaccins contre la grippe aviaire.

Les vaccins classiques sont fabriqués en cultivant le virus de la grippe sur des œufs embryonnés ; le virus est alors inactivé, autrement dit tué et formulé avec un adjuvant huileux. Contrairement au vaccin humain, le vaccin aviaire, pour des raisons de coût, n'est pas purifié.

Les vaccins dits « vecteur fowlpox » sont issus des biotechnologies. La souche vaccinale est le virus fowlpox, responsable, sous sa forme pathogène, de la variole aviaire (qui n'a rien à voir avec la variole humaine), modifié pour exprimer un gène protecteur de la grippe, l'hémagglutinine, antigène majeur de la grippe. Le vaccin est produit en cultures de cellules et lyophilisé - le virus reste donc vivant.

La lutte contre la grippe aviaire dans les pays indemnes a pour but de prévenir la maladie par des mesures de biosécurité en élevage, jusqu'à l'abattage - confinement, désinfection, changement de tenue, etc. - et par des mesures de surveillance, domaine dans lequel la France a déjà prouvé sa réputation d'excellence ; la vaccination vient seulement en troisième position. Toute vaccination « grippe » est contrôlée et soumise à autorisation.

Dans les pays infectés, l'objectif est évidemment d'éradiquer la maladie par des mesures de sécurité - abattage, désinfection, restriction des déplacements -, par une surveillance accrue autour des foyers, et enfin par des vaccinations « en anneau » dans un rayon de dix kilomètres autour du foyer détecté.

Il existe de ce fait plusieurs politiques de vaccination contre la grippe aviaire. La vaccination préventive est limitée aux élevages à hauts risques, par exemple les canards prêts à gaver, en parcours extérieur. Les canards sont, on le sait, sensibles à la souche asiatique H5N1, mais les oiseaux sauvages, en particulier les canards, transportent également de nombreux autres virus de grippe transmissibles aux volailles, faiblement pathogènes... Ce risque est permanent.

M. le Président : Autrement dit, le H5N1 non pathogène existe aujourd'hui en France dans nos élevages de canards ?

M. Michel BUBLOT : Le risque d'infection par une souche faiblement pathogène H5N1, H5N3 ou d'autres sous-types encore existe.

M. le Président : Et ce H5N1 non pathogène, par sa propre mutation locale, sans importation extérieure, pourrait évoluer vers une forme plus pathogène - d'où votre recommandation de développer la vaccination préventive...

M. Michel BUBLOT : Il existe des dizaines de souches de grippe aviaire, les unes faiblement pathogènes et d'autres hautement pathogènes. On retrouve dans les premières tous les sous-types, de H1 à H16, mais seulement les sous-type H5 et H7 dans les souches hautement pathogènes. De ce fait, une souche faiblement pathogène H5 ou H7 peut passer des oiseaux sauvages aux volailles domestiques, se multiplier sans provoquer d'affection clinique visible puis, au hasard des réplications, modifier son matériel génétique et devenir soudain hautement pathogène. C'est pourquoi l'OIE recommande désormais de déclarer, outre les infections hautement pathogènes, les infections faiblement pathogènes par les souches H5 et H7, à cause de ce risque-là.

M. le Président : C'est très important. Alors, on vaccine ou pas ?

M. Michel BUBLOT : On peut recommander la vaccination préventive pour les élevages à haut risque, comme les canards en parcours extérieur, car nous savons qu'il y a déjà eu passage de souches faiblement pathogènes des canards sauvages vers les canards domestiques, ou encore pour les oiseaux rares dans les zoos, comme on l'a fait lors de l'épizootie aux Pays-Bas en 2003.

Deuxième politique possible, la vaccination d'urgence en anneau : sitôt qu'un foyer d'infection est détecté, on délimite un périmètre de quelques kilomètres (quatre ou cinq) dans lequel on abattra tous les animaux, et on vaccinera systématiquement tout autour dans un rayon plus large, d'une dizaine de kilomètres par exemple, avec, comme objectif, de circonscrire l'infection.

Troisième politique, la vaccination généralisée, qui se pratique dans les pays où la grippe est endémique : Vietnam, Chine, Indonésie ou encore Mexique, dans lequel sévissent d'autres souches, comme le H5N2.

M. le Président : Ce ne sont pour l'instant que des politiques potentielles. Dans quels scénarios préconisez-vous de les appliquer ? Comment déterminer s'il faut mettre en place la vaccination préventive ou la vaccination généralisée ?

M. Michel BUBLOT : Au niveau mondial, la vaccination n'est utilisée que dans les régions où la grippe aviaire est endémique, où les mesures de biosécurité n'ont pas permis d'éradiquer la maladie. Il est trop tard. C'est le seul moyen de diminuer la pression infectieuse, avec le confinement des élevages.

M. le Président : Cette politique est-elle vraiment mise en œuvre au Vietnam, en Chine ou en Indonésie ?

M. Michel BUBLOT : Oui et également au Mexique.

M. le Président : Mais ailleurs ?

M. Michel BUBLOT : Vous avez tous entendu parler du plan de vaccination des quatorze milliards de volailles chinoises ; à croire certaines annonces, entre 45 et 65 % des volailles auraient déjà été vaccinées.

M. François GUILLAUME : C'est le Gosplan...

M. le Président : Mais qui produira tous ces vaccins ?

M. Pierre HELLIER : Le problème reste que la vaccination se fait par injection. La Chine prévoit d'y consacrer un million de personnes... Sans un vaccin oral, un tel plan est techniquement impossible.

M. Jérôme BIGNON : Les appelants, aussi, sont au contact du milieu naturel et des autres oiseaux. Ces canards sont actuellement supposés confinés, mais on peut être certain qu'ils ne le sont pas totalement. Cette population est-elle à risque, et si oui, sa vaccination ne serait-elle pas de nature à diminuer le risque, tout en maintenant l'interdiction de les utiliser pour la chasse ? Les canards appelants se comptent par dizaines de milliers.

M. le Président : Quatre questions. De votre point de vue d'industriel, pensez-vous que les schémas théoriques que vous nous avez décrits sont concrètement mis en application ? Avez-vous, avec vos confrères, les moyens industriels de répondre à la demande ? Peut-on espérer des évolutions technologiques, l'arrivée d'un vaccin oral, par exemple, à court ou moyen terme ? Peut-on étendre la politique de vaccination préventive à d'autres catégories d'oiseaux que celles décrites ? Nos chasseurs, ai-je cru comprendre lors de leur audition, juste avant la vôtre, seraient heureux de pouvoir vacciner leurs appelants, pour être tranquillisés. Enfin, quel est finalement l'objectif stratégique de la vaccination ? S'agit-il de résorber le virus, ou de préserver l'animal ? Il y a là une certaine ambiguïté.

M. Michel BUBLOT : Les trois types de vaccination sont bel et bien utilisés. La vaccination préventive est appliquée dans certaines régions de l'Italie qui a demandé à pouvoir vacciner des élevages de dindes situés à proximité d'oiseaux sauvages, et régulièrement en contact avec ces derniers. À noter qu'il s'agit d'une vaccination contrôlée : il faut surveiller les élevages vaccinés pour vérifier qu'ils ne sont pas, malgré tout, infectés, ce qui est plus ou moins facile suivant les types de vaccins.

La vaccination d'urgence généralisée est mise en œuvre au Vietnam, qui utilise trois types de vaccins inactivés fabriqués par une société concurrente, mais également des vaccins chinois obtenus par génétique inverse, qui ont montré leur efficacité sur le canard et l'oie, et notre propre vaccin vecteur Trovac. L'objectif est bien de vacciner tous les animaux. L'opération a commencé par les régions à risque - delta du Mékong, région de Hanoi - et s'étend progressivement à tout le pays.

La Chine produit au moins trois types de vaccins. Elle dispose de vaccins inactivés classiques, mais fabriqués à partir d'une vieille souche anglaise proche de la souche H5N1 mais pas totalement similaire. Nous allons nous-même en produire, à la demande du gouvernement chinois. Je pense que cette année, nous produirons 300 millions de doses dans le cadre d'une joint venture constituée à Nanjing avec une société chinoise. La Chine a pour principe de ne vacciner qu'avec des vaccins chinois : la joint venture est pour nous le seul moyen d'entrer dans le business de ce pays.

La Chine a développé d'autres vaccins. Un vaccin de nouvelle génération obtenu par génétique inverse a été développé à l'université de Harbin, qui semble, à croire des études scientifiques très sérieuses publiées sur la question, donner d'excellents résultats sur l'oie et le canard. La même université a également développé un vaccin à vecteur très proche du nôtre. Les résultats, présentés lors de réunions scientifiques, mais non publiés, semblent témoigner d'une excellente efficacité. Il s'agit d'essais en stations isolées. Reste à savoir s'ils se confirmeront sur le terrain : lorsqu'un vaccin sort de Merial, il a été contrôlé, testé et nous savons qu'il répond aux spécificités attendues...

M. le Président : Faites-vous allusion à ce procès qui se déroule actuellement en Chine, où une usine de production aurait utilisé de l'eau distillée, certes moins coûteuse à produire, mais n'ayant pas le même effet ?

M. Michel BUBLOT : Il existe effectivement des problèmes de trafics de vaccins en Chine, mais ce n'est pas à cela que je faisais allusion. Je veux simplement dire qu'un vaccin parfaitement correct à sa sortie d'usine perd toute efficacité s'il séjourne dans une voiture à trente degrés ou encore s'il est mal injecté, par des personnes qui n'en ont pas l'habitude. De plus, l'immunité n'est pas acquise du jour au lendemain : il faut un certain temps. Enfin, la protection peut disparaître au bout de quelque mois. Autrement dit, de nombreux facteurs peuvent interférer, dont on ne saurait incriminer les producteurs de vaccins !

La Chine possède dix sites de fabrication, dont celui né de la joint venture avec Merial, et donc des capacités de production assez élevées. De là à pouvoir vacciner cinq milliards de volailles, la chose est difficile à contrôler. L'ouverture et la transparence s'améliorent, mais de là à atteindre 100 %...

M. le Rapporteur : Bref, elle s'améliore...

M. le Président : Et le vaccin oral, est-ce pour demain ?

M. Michel BUBLOT : En dépit de quelques annonces, aucun vaccin oral n'a été à ce jour enregistré. Nous allons démarrer un programme de recherche, mais cela risque d'être assez long. Le vaccin oral aurait l'avantage de pouvoir être utilisé sur les canards sauvages, mais il s'agit d'une problématique difficile. Merial a déjà une certaine expérience en matière de vaccination de la faune sauvage, puisque nous produisons le Raboral, développé par la société Transgene à Strasbourg, un vaccin vecteur de nouvelle génération utilisé sur les renards, qui a permis d'éradiquer la rage en Belgique, au Luxembourg et en France. On s'en sert maintenant aux États-Unis. Cela dit, nous n'avons encore aucune solution de ce genre pour la grippe aviaire, et la problématique n'est pas évidente. Merial n'a aucune solution pour vacciner par voie orale. Au-delà des effets d'annonce de certains, j'attends de voir les résultats. Mais il est possible qu'un vaccin sorte dans un avenir proche...

M. le Président : Quinze milliards de volailles en Chine, plus l'Indonésie et le Vietnam, cela fait du monde à vacciner. Les industries chinoise, française et américaine sont-elles capables de produire suffisamment de doses ?

M. Michel BUBLOT : Si tous les pays du monde se mettent à vacciner, nous ne pourrons pas satisfaire à la demande.

M. le Président : Mais s'il n'y a que la Chine, la France et les Etats-Unis ? Sans compter qu'il faut des œufs pour fabriquer les vaccins...

M. Michel BUBLOT : Le vaccin inactivé classique, cultivé sur œufs, est moins facile à produire. Et si une épizootie touche les volailles d'un pays, il n'y aura plus d'œufs... Le même problème se posera d'ailleurs pour le vaccin humain fabriqué par Sanofi Pasteur.

M. le Président : Avez-vous été contacté pour protéger les poules françaises chargées de produire des œufs destinés à la fabrication des vaccins humains ?

M. Michel BUBLOT : Nous avons évidemment des contacts avec Sanofi-Pasteur, notamment dans le cadre du pôle de compétitivité récemment mis en place dans la région lyonnaise. Un volet du programme « grippe » de ce biopole, qui réunit Bio-Mérieux pour les diagnostics, Sanofi-Pasteur pour les vaccins humains et Merial pour les vaccins vétérinaires, porte précisément sur cette question : peut-on vacciner ces poules dont les anticorps passeront inévitablement dans leurs œufs, sans pour autant amoindrir la capacité de ces œufs à produire du vaccin humain ? Personne ne connaît vraiment la réponse, mais Merial a là-dessus une certaine expérience dans la mesure où nous produisons des vaccins inactivés à partir d'œufs de poules vaccinées pour d'autres valences : on s'est aperçu qu'il suffisait d'injecter un peu plus de virus dans l'œuf pour compenser les interférences. Autrement dit, la difficulté semble être surmontable, mais cela reste à prouver. Nous devrions avoir la réponse courant 2006, car nous avons lancé des études pour répondre à cette question.

Si l'on compare les caractéristiques des vaccins inactivés et des vaccins vecteurs, on relève que les vaccins inactivés sont tout à fait excellents pour la vaccination en anneau de poulets adultes ; les vaccins vecteurs également, mais seulement sur les animaux n'ayant jamais été en contact avec le virus de la variole aviaire, par vaccination ou infestation. Si l'animal a développé une immunité contre le fowlpox, il ne sera que partiellement protégé par le vaccin vecteur. C'est la raison pour laquelle, au Vietnam ou au Mexique, où il y a du fowlpox un peu partout, on n'utilise le vaccin vecteur que sur le poussin d'un jour. En effet, contrairement au vaccin inactivé, le vaccin vecteur peut être utilisé dans les couvoirs alors que le vaccin inactivé n'est pas recommandé sur les volailles de moins d'une semaine, chez lesquelles il ne produit pas une bonne immunité. Il faut donc vacciner dans les élevages, dans des conditions plus difficiles.

M. le Président : Combien faut-il d'injections ?

M. Michel BUBLOT : Une seule injection suffit avec les vaccins vecteurs. Pour les vaccins inactivés, tout dépend des espèces : pour les canards et les dindes, il faut en général deux doses. Pour un poulet de chair, dont la durée de vie est très courte, une injection suffit. À noter que le vaccin vecteur fonctionne mal chez les canards et les dindes. Le vaccin inactivé s'administre par injection sous-cutanée ou intramusculaire, le vaccin vecteur en sous-cutanée.

Avec le vaccin inactivé, l'immunité protectrice se met en place dans un délai de quatorze à vingt et un jours. On s'est aperçu à l'occasion d'une vaccination en anneau à Hong Kong que des animaux vaccinés depuis moins de dix-huit jours pouvaient répliquer le virus s'ils étaient infectés. Une étude hollandaise publiée dans une revue américaine a également montré que la protection n'était pas complète avant deux semaines. Le vaccin vecteur, en revanche, induit une immunité complète après une semaine seulement - nos études comme celles des Chinois l'ont prouvé. Autrement dit, en vaccinant les poussins à un jour, il permet d'avoir en une semaine des poulets parfaitement protégés alors qu'il faudrait attendre presque un mois avec le vaccin inactivé.

M. le Président : La fabrication de vaccins exige, d'après les responsables de Sanofi Pasteur, des usines hautement sophistiquées. La Chine est-elle réellement parvenue à ce niveau de technologie ? Comment la classeriez-vous ?

M. Michel BUBLOT : Je peux vous assurer, en tout cas, que les vaccins qui sortent de l'usine de notre joint venture de Nanjing sont d'une qualité identique aux nôtres.

M. le Président : Nous parlons évidemment de vaccins de qualité. Mais le processus industriel fait-il appel à des technologies très sophistiquées, d'un niveau comparable à celui exigé pour produire du vaccin humain ?

M. Jérôme BIGNON : Ou du Tamiflu ?

M. Michel BUBLOT : Je n'ai pas visité notre site de Nanjing, mais c'est à ma connaissance le même niveau d'équipement qu'à Lyon, en Italie ou aux États-Unis.

M. le Président : Mais s'agit-il de haute technicité ?

Mme Jacqueline FRAYSSE : Est-ce facile à produire ?

M. Michel BUBLOT : Des ingénieurs français surveillent la production - ce qui ne veut pas dire que les Chinois soient incompétents...

M. le Président : Mais le processus est-il très compliqué ? Est-il contraignant sur le plan de la sécurité ? L'usine coûte-t-elle très cher ?

M. le Rapporteur : Quelle différence y a-t-il entre la production de vaccin inactivé et la production de vaccin vecteur ?

M. le Président : Pourrais-je fabriquer du vaccin dans mon garage ?

M. Michel BUBLOT : Évidemment non. Cela exige des bâtiments spécifiques, des installations spéciales, un niveau de confinement élevé et des normes pratiques de fabrication très strictes.

M. Pierre HELLIER : Des salles blanches, etc...

M. Michel BUBLOT : En effet, avec des pressions d'air négatives et un degré d'empoussièrement minimum. On ne peut pas faire du vaccin n'importe où. Monter une usine de production exige de gros investissements.

M. le Rapporteur : Un vaccin animal est-il plus facile à fabriquer qu'un vaccin humain ?

M. Michel BUBLOT : Pas du tout. La qualité des vaccins à usage vétérinaire est comparable à celle des vaccins humains. Pour les vaccins contre la grippe porcine, nous utilisons le procédé humain. Du reste, les deux étaient autrefois fabriqués dans les locaux de Merial, avant d'être transférés dans les locaux de Sanofi. Le procédé de production des vaccins inactivés contre la grippe porcine ou équine est exactement le même que celui du vaccin contre la grippe humaine.

M. le Président : Expliquez-nous alors comment vous êtes capables de faire de la culture cellulaire alors que vos confrères de Sanofi Pasteur se disent incapables d'en faire autant pour l'homme...

M. Michel BUBLOT : Il faut reconnaître que les vaccins vétérinaires produits sur cellules ne sont pas soumis aux mêmes contrôles. Ainsi, il ne peut y avoir que très peu d'ADN cellulaire dans un vaccin humain, ce qui constitue une difficulté. C'est vrai, Sanofi-Pasteur et d'autres sociétés travaillent sur les vaccins cellulaires ; c'est une alternative intéressante, mais ce n'est pas aussi facile qu'il y paraît. Dans le cas de notre vaccin vecteur produit sur cellules, nous ne cultivons pas un virus grippal, mais une souche fowlpox de variole aviaire. Nous n'avons donc pas eu besoin de changer notre procédé de fabrication : c'est exactement le même que pour le vaccin contre la variole aviaire. Nos vaccins inactivés quant à eux sont bien produits sur œufs.

M. le Président : Et les appelants ? Peut-on les vacciner ?

M. Jérôme BIGNON : Si j'ai bien retenu la leçon : vaccin inactivé, deux injections, immunité acquise en quinze jours, durée de l'immunité de deux mois...

M. Michel BUBLOT : Merial offre son expertise et ses produits aux autorités, mais ce n'est pas nous qui donnons les recommandations en matière de vaccination. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nos vaccins peuvent éventuellement servir sur les canards mais leur vaccination, comme celle des dindes d'ailleurs, est plus difficile.

M. le Rapporteur : Peut-on consommer tranquillement un animal vacciné ?

M. le Président : Il n'y a aucun problème.

M. Michel BUBLOT : Aucun. Les poulets sont vaccinés contre d'autres maladies et cela n'empêche pas de les manger.

M. le Président : M. Bignon n'a pas sa réponse pour le canard...

M. Jérôme BIGNON : J'ai déjà compris qu'il n'était pas si facile d'installer un cordon sanitaire autour des appelants. Et comme ils sont dans la nature, ils sont un facteur de risque pour les élevages. D'où ma question.

M. le Président : Je suppose que M. Bublot allait nous parler des problèmes de stocks...

M. Michel BUBLOT : Effectivement, ainsi que des tests de détection de l'infection sur un animal vacciné. Le vaccin vecteur n'exprimant qu'une partie du virus de la grippe, il est facile de mettre en évidence l'infection chez des animaux vaccinés. Des tests sont d'ores et déjà disponibles sur le marché. Chez les animaux vaccinés avec le virus inactivé, la chose est moins évidente par le fait que l'on a injecté toutes les protéines du virus de l'influenza. Des tests sont en cours de développement, en Italie notamment, mais non encore commercialement disponibles.

M. François GUILLAUME : C'est le même problème que pour la fièvre aphteuse : l'impossibilité de commercialiser des produits animaux vaccinés dans certains pays ?

M. Michel BUBLOT : Exactement.

Nos vaccins H5 inactivés sont produits à Noventa, en Italie, et nos vaccins vecteurs à Gainesville, aux États-Unis. Il serait également possible de fabriquer des vaccins contre la grippe à Lyon si nécessaire. Nos capacités actuelles de production par mois sont de 20 millions de vaccins inactivés et 80 millions de vaccins vecteurs. Nous sommes dans un processus d'augmentation des capacités de production. La demande devenant de plus en plus forte, il nous sera possible de les porter respectivement à 50 millions et 300 millions de vaccins par mois. La stabilité du vaccin est de 12 à 18 mois pour l'inactivé et de 24 mois pour le vecteur. Des essais sont en cours pour l'améliorer. Il faut compter deux mois - lorsqu'on dispose déjà d'antigènes - à cinq mois - lorsque l'on part de zéro - pour fabriquer le vaccin inactivé, et seulement deux mois pour le vecteur. Dans les deux cas, il faut ajouter un temps de contrôle d'un mois et le délai d'insertion dans une usine, entre un et trois mois. Au total, il faut compter au moins quatre mois entre la commande et la livraison. La France ne pourrait décider d'intervenir en vaccination d'urgence sans disposer au préalable d'un stock suffisant.

M. le Président : Vous a-t-elle commandé des stocks ?

M. Michel BUBLOT : Nous n'en sommes qu'au stade des discussions, dont nous ne pouvons rien vous dire pour l'instant.

Mme Charlotte SANDRET : Tout dépend également des autorisations de mise sur le marché.

M. Michel BUBLOT : Effectivement. Nous sommes en contact permanent avec les autorités françaises - DGAL, ANMV et AFSSA - auxquelles nous transmettons toutes les informations nécessaires sur nos vaccins.

M. le Président : Comment voyez-vous, à titre personnel et sans engager Merial, évoluer la demande mondiale ? Nous avons compris que le Vietnam, le Mexique, la Chine, etc., ont des besoins potentiels liés à une politique de vaccination généralisée. Avez-vous préparé des scénarios au niveau international comme au niveau français ?

M. Michel BUBLOT : Pour ce qui est des scénarios, au niveau international, je suis incapable de vous répondre. Pour ce qui est de la France et au niveau mondial, Merial a un plan d'augmentation de ses capacités de production, que je viens de vous indiquer. Nous pourrions aller plus loin encore en cas d'urgence, mais cela aurait des répercussions sur nos autres productions.

M. le Président : Vous avez un scénario pour une telle situation d'urgence ?

M. Michel BUBLOT : Bien sûr.

M. le Président : Ce scénario anticipe-t-il une infestation des élevages au moment d'un retour d'oiseaux migrateurs au printemps, par exemple, au point de déclencher une demande de vaccination générale ?

M. Michel BUBLOT : Nous n'avons pas vraiment étudié une telle éventualité. Nous n'avons fait que donner nos chiffres à la DGAL, qui sait désormais exactement ce que Merial peut produire. Mais il n'y a pas que la France ; d'autres pays nous ont contactés. Nous savons ce que nous pouvons produire ; si la demande est supérieure, nous ne pourrons pas fournir.

M. le Président : Avez-vous envisagé le scénario d'une explosion de la demande ?

Mme Charlotte SANDRET : La demande est évaluée au cas par cas, pays par pays ; de ce fait, nous manquons de visibilité. Chacun d'eux vient nous interroger sur nos capacités, nos prix, etc. Nous ne sommes pas en mesure de bâtir un scénario dans lequel le monde entier vaccinerait.

M. le Président : Autrement dit, vous n'avez jamais été sollicités par le ministère de l'agriculture sur un scénario possible, qui serait celui de l'apparition de quinze foyers d'infection, par exemple, ou de cinquante, avec les quantités à calculer pour des vaccinations en anneau, puis, éventuellement, pour vaccination générale, etc. ? Il n'existe pas de plan « grippe aviaire » sur le modèle du plan « pandémie grippale » ?

Mme Charlotte SANDRET : Nous n'avons pas été saisis de demandes de concertation, en tout cas pas à notre niveau. Nous avons évidemment été contactés par l'OMS et de nombreuses organisations internationales, mais la vaccination animale n'a pas été le premier sujet de préoccupation. Sitôt qu'on a parlé de grippe aviaire, on a d'abord songé au risque de pandémie humaine.

M. le Président : C'est logique. Mais depuis le temps qu'on y réfléchit, on aurait pu avancer...

Mme Charlotte SANDRET : La santé animale n'est venue qu'en second.

M. le Président : Merci pour toutes ces informations. Cela fait plaisir d'avoir affaire à une entreprise à moitié française...

Mme Charlotte SANDRET : Elle est française dans l'âme, je vous assure.

M. Michel BUBLOT : Lyon est vraiment notre premier centre pour la production des vaccins et la biomédecine vétérinaire, ainsi que pour la recherche-développement.


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