Mercredi 14 décembre 2005

- Audition conjointe de Mmes Charlotte DUNOYER, Françoise PESCHADOUR et M. Philippe BETTIG, représentant la Fédération nationale de la chasse, et de MM. Gilles DEPLANQUE et Éric KRAEMER, représentant l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau

(Compte rendu de la réunion du 14 décembre 2005)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président,

puis de Mme Bérengère Poletti, vice-présidente

M. le Président : Notre mission d'information, qui examine les mesures préventives de lutte contre la pandémie humaine, est amenée à s'intéresser également à la grippe aviaire. Après nous être attachés, dans un premier temps, à l'examen des dispositifs médicaux mis en place dans la perspective d'une pandémie, nous avons décidé d'entamer un deuxième volet plus spécifiquement consacré à l'épizootie, dans la mesure où nous sommes actuellement dans une période intermédiaire, entre les migrations d'automne et les retours d'hivernage au printemps.

Nous avons tout à la fois une fonction de contrôle parlementaire de l'action de l'exécutif et un rôle d'information, de rationalisation de cette information ainsi que de transparence en direction de l'opinion publique. Nous sommes convaincus que la transparence est une question centrale de cette crise potentielle. Après nous être intéressés aux problématiques de l'élevage, nous entendons examiner celle des oiseaux migrateurs. Votre expérience de terrain peut nous être précieuse.

M. Philippe BETTIG : Je vous remercie de réunir ce matin deux des trois grandes composantes de la chasse française, les fédérations et les grandes associations, la troisième étant l'Office national de la chasse et de la faune sauvage que vous entendrez tout à l'heure, après nous.

Alors qu'ils s'étaient déclarés prêts à participer aux actions préventives dès les premières alertes parues dans les médias, les chasseurs, et principalement les chasseurs de gibier d'eau, sont directement victimes des dispositions prises et se demandent déjà comment aborder les prochaines saisons de chasse, sachant que ce problème a tout lieu de perdurer pendant des années.

M. le Président : Je vous demanderai de concentrer vos propos sur la seule question de la grippe aviaire et non sur celle de la chasse : les premières victimes dont nous nous préoccupons, ce sont d'abord les hommes, ensuite les oiseaux... Vous ne manquez pas d'interlocuteurs auprès du ministère de l'agriculture et d'autres organismes pour évoquer les problèmes de la chasse. Nous nous intéressons ici à la grippe aviaire et nous savons que les chasseurs ont un rôle fondamental dans l'appréciation de la réalité, la surveillance et la connaissance du gibier, parallèlement à celles qu'en ont les scientifiques.

M. Philippe BETTIG : Nous sommes là-dessus complètement en phase. Depuis très longtemps, les chasseurs, les fédérations et l'Office national de la chasse surveillent toutes les maladies possibles du gibier dans le cadre du réseau SAGIR et sont prêts à participer à un dispositif spécifique à la grippe aviaire. Il reste qu'ils sont victimes de mesures à leurs yeux disproportionnées, dont ils souhaiteraient vous dire un mot, qui ne débordera pas sur l'essentiel...

Mme Françoise PESCHADOUR : Nous centrerons notre débat non sur la chasse en général, mais sur la vision qu'ont les chasseurs des mesures visant à prévenir les risques potentiels liés à la grippe aviaire. Notre responsable vétérinaire va d'abord vous en développer les aspects techniques.

Mme Charlotte DUNOYER : La problématique de la pandémie grippale doit être bien distinguée de celle de la grippe aviaire, maladie animale ; or ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Ces deux phénomènes ont des origines différentes. Le risque d'une pandémie grippale mis en évidence par l'OMS tient à l'impossibilité d'éteindre les foyers de grippe aviaire en Asie du Sud-Est. Autrement dit, pour faire simple, une éventuelle pandémie a toutes chances de survenir là-bas et de nous arriver par avion. Ce risque est évidemment très grave à terme et l'on comprend que les pouvoirs publics s'en préoccupent de la manière dont ils le font.

Il y a par ailleurs un risque d'influenza aviaire, maladie animale bien connue des vétérinaires, des éleveurs et des autorités sanitaires. L'Europe a déjà eu l'occasion d'y faire face, notamment en Italie en 2000 et aux Pays-Bas en 2003. C'était à nos portes. Les mesures alors prises par le ministère de l'agriculture semblent avoir été appropriées, puisque aucun foyer d'influenza aviaire ne s'est déclaré en France ; quant aux foyers italiens et néerlandais, ils ont été circonscrits grâce à des mesures de police sanitaire classiques, au demeurant inscrites dans les textes réglementaires français et européens.

On peut regretter que, cette année, le mélange des problèmes de pandémie grippale et de grippe animale ait conduit à ce que les décisions en matière de santé animale soient prises non par le ministère de l'agriculture, mais par les responsables de la santé humaine. Nous avons ainsi l'impression que le ministère de l'agriculture n'a pas eu la décision pour la santé animale. Ont ainsi été arrêtées une série de mesures draconiennes, ordinairement appliquées en cas d'infection déclarée sur le territoire, qui ont surpris bon nombre d'acteurs du monde cynégétiques et probablement aussi du monde agricole, même si je ne veux pas parler à leur place. On peut également y voir l'expression de l'application du nouveau principe de précaution, désormais intégré dans la Constitution ; on relèvera ainsi que les mesures prises au niveau tant européen que français vont largement au-delà des préconisations de l'AFSSA et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage en matière de gestion de risque. Si le principe de précaution consiste à aller plus loin que les recommandations des scientifiques, encore devrait-on songer à le contrebalancer par un principe de proportionnalité et prévoir un mécanisme d'aide financière pour soutenir des activités directement pénalisées par des mesures de prévention extraordinairement coûteuses.

L'interdiction des appelants dans la chasse aux oiseaux d'eau, prise pour toute la saison cynégétique, revient à interdire purement et simplement ce mode de chasse pendant un an. On comprend d'autant plus le désarroi des chasseurs que cette mesure, parmi toutes celles prises à titre de précaution, est la seule à n'être assortie d'aucun aménagement ni d'aucune dérogation, à la différence de celles prises pour les élevages en plein air ou les rassemblements d'oiseaux, lesquels peuvent faire l'objet d'exceptions dès lors que l'analyse de risque est favorable, ou des oiseaux de zoo, qui peuvent être vaccinés. Pour les appelants : aucune dérogation, aucun aménagement, aucune concertation, alors que plusieurs experts avaient montré qu'il aurait pu y avoir des aménagements tout en maîtrisant le risque de contamination.

La question est de savoir comment cela se passera l'année prochaine, sachant que le problème se reposera à coup sûr chaque année et pendant longtemps s'il est établi que les oiseaux migrateurs ont un rôle dans la diffusion de l'épizootie. Or les mesures arrêtées jusqu'à présent semblent être des mesures de crise et ne seront pas tenables à terme. Comment gérer cette situation dans le temps ? Va-t-on obliger toutes les activités en extérieur à rentrer sous terre tant que des oiseaux passeront au-dessus de nos têtes ?

M. le Président : Si le monde de la chasse est là aujourd'hui, c'est que nous pensons qu'il pourrait apporter quelque chose à la lutte contre la grippe aviaire et donc contre la pandémie, pour laquelle nous avons d'ores et déjà voté quelque 350 millions d'euros... Cette gestion du risque humain et sanitaire relativise quelque peu les inconvénients dont vous venez de faire état, que nous comprenons parfaitement, mais qui relèvent tout de même du loisir, du plaisir, de la culture et non du domaine de la sauvegarde de la vie. Recentrez vos propos et expliquez-nous comment vous pourriez contribuer à la réduction de ce risque, puisque l'on vous dépeint souvent comme les fantassins avancés de l'alerte sanitaire...

Mme Charlotte DUNOYER : J'allais précisément y venir, car nous avons besoin pour le moyen terme d'avoir une idée plus précise du risque migrateur - compte tenu des soupçons qui pèsent sur l'avifaune sauvage - grâce à une intensification des réseaux de surveillance des oiseaux sauvages, et notamment migrateurs, par les différents Etats membres, comme l'a du reste recommandé la Commission européenne. Le réseau SAGIR est à cet égard unique en Europe : organisé et géré à la base par les chasseurs, il a été créé avec l'Office national de la chasse en 1986. Le but est que les 1.400.000 chasseurs qui constituent un réseau particulièrement dense sur le terrain signalent et ramassent les animaux malades ou morts afin de les faire analyser, aux frais des fédérations départementales des chasseurs, dans les laboratoires vétérinaires. Les résultats sont mis en commun et gérés par l'AFSSA de Nancy sous la forme d'une banque de données. Le réseau SAGIR permet ainsi de disposer d'un historique des différentes maladies affectant la faune sauvage, en plus, évidemment, de son rôle de surveillance et d'alerte. Les autorités françaises ont fondé une grande partie de leur système de surveillance des oiseaux sauvages sur le réseau SAGIR, et elles ont demandé que ce réseau fonctionne en priorité pour détecter les oiseaux malades et c'est une action que les chasseurs mènent au quotidien. Les chasseurs ont assorti cette surveillance passive d'une surveillance dite active.

M. le Président : Quelle est la signification de l'acronyme SAGIR ?

Mme Charlotte DUNOYER : J'y aurais bien vu la fusion de « savoir » et d'« agir », mais il paraît qu'il n'y en a pas... Il faudrait interroger l'Office de la chasse.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment fonctionne exactement le réseau SAGIR ?

Mme Charlotte DUNOYER : À la base, il y a les chasseurs, qui signalent aux fédérations départementales les animaux morts ou malades, lesquels sont récupérés et envoyés aux laboratoires vétérinaires départementaux pour analyse : autopsies, recherche de germes pathogènes, éventuellement analyses virologiques ou toxicologiques dans des laboratoires spécialisés. Les résultats sont communiqués à la fois à l'Office, aux fédérations et à l'AFSSA de Nancy, où est saisi l'ensemble des données. Chaque animal trouvé a fait l'objet d'une fiche détaillant l'endroit où il a été trouvé, son espèce, son âge estimé, les indices alentour pour expliquer éventuellement la maladie, etc.

M. le Président : Ces réseaux, comme les réseaux épidémiologiques pour les maladies, ont prouvé leur utilité ; encore doit-on être sûr qu'ils fonctionnent correctement. L'AFSSA a-t-elle demandé des évaluations de ces réseaux ?

Mme Charlotte DUNOYER : Je ne pense pas. L'AFSSA, du fait qu'elle détient la banque de données, est en prise directe pour l'évaluer elle-même. Je n'ai pas eu connaissance de demande officielle de ce genre. Trois mille analyses sont réalisées par an. Cette surveillance est dite passive en ce sens qu'elle ne vise pas un protocole particulier : on alerte et on ramasse les animaux trouvés morts. Elle n'a donc pas de valeur hautement statistique, elle a une valeur d'alerte.

D'autres systèmes de surveillance active ont été développés par l'Office national de la chasse : l'examen d'oiseaux migrateurs vivants attrapés sur les réserves de l'Office, qui font l'objet de prélèvements, et la surveillance des « oiseaux sentinelles », c'est-à-dire des oiseaux domestiques évoluant à l'extérieur et donc en contact avec la nature et, éventuellement, des animaux sauvages. Nous avons ainsi été sollicités par le ministère de l'agriculture pour mettre en place un système de surveillance sur les canards appelants à raison de 600 appelants dans dix départements. Les fédérations s'étaient préparées à cette opération fin septembre, mais aucune suite n'a été donnée du fait de l'interdiction des appelants. Je trouve dommage de s'être ainsi privé d'un système de détection précoce de la grippe aviaire. Dans le Sud de la France, les canards appelants sont déjà utilisés pour révéler l'existence de la maladie dite du Nil occidental avant qu'elle ne touche le cheval et l'homme.

M. le Président : C'est un peu contradictoire avec la vaccination...

Mme Charlotte DUNOYER : En effet, dès lors que l'on n'est pas capable de faire la différence entre un vaccin et un virus.

M. le Président : Ce qui est malheureusement vraisemblable. Nous passons la parole à l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau.

M. Gilles DEPLANQUE : Les chasseurs de gibiers d'eau sont tout à fait prêts à contribuer à la préparation de mesures préventives, qui est le vif du sujet pour votre mission ; malheureusement, les chasseurs sont actuellement victimes de mesures répressives qui compromettent beaucoup notre possible contribution. Nos oiseaux appelants pourraient être des sentinelles très utiles pour détecter le virus : ils sont pour la plupart en permanence sur les plans d'eau, dans les marais...

M. le Président : Mais les autorités publiques ne manqueront pas d'exiger des garanties quant à la surveillance des appelants. Seriez-vous prêts à en assumer la responsabilité juridique ?

M. Gilles DEPLANQUE : On pourrait procéder par échantillonnage en sélectionnant des installations tests dans les départements où l'usage d'appelants est répandu, à charge pour la Direction des services vétérinaires d'assurer le suivi épidémiologique et sanitaire des oiseaux : c'est ce que nous avions proposé. Au demeurant, le risque d'une contamination par les oiseaux migrateurs devra très probablement être minoré lorsque nous disposerons de résultats crédibles. Il y a beaucoup plus de chances de voir des oiseaux migrateurs infectés par de la volaille domestique que de voir de la volaille infectée par des migrateurs...

M. le Président : Il semblerait que ce débat ait été tranché et que le problème de la contamination se pose au niveau des élevages et du transport de volailles, mais également au niveau des oiseaux migrateurs ; et si des interrogations subsistent au niveau du « comment », le fait est désormais acquis. Les représentants de l'Ecole vétérinaire de Maison-Alfort entendus hier en convenaient, même s'ils n'étaient pas spontanément ravis de cette évolution de la doctrine : on considérait jusqu'alors que les migrateurs étaient par définition peu porteurs de ce type de maladie. Or, si, pour ce qui concerne l'axe transsibérien, les raisons de la propagation sont à rechercher du côté du commerce et du chemin de fer, il n'y a guère d'autres possibilités que les migrations pour l'axe Nord-Sud.

Ajoutons qu'il est difficile d'exiger du Cambodge, du Laos ou du Vietnam une fermeté que nous ne nous imposerions pas. Vous avez très certainement raison sur le fait que la pandémie humaine a toutes chances de se développer dans les milieux d'Asie du Sud-Est. Mais nous ne pouvons ignorer l'hypothèse d'avoir à faire face à une attaque sur deux fronts : une problématique de pandémie grippale d'un côté, une problématique d'épizootie aviaire de l'autre. Nous avons nous-mêmes été surpris par la progression de l'épizootie cet été. Or, une bonne partie de notre stratégie face à la pandémie est basée sur le vaccin, fabriqué à partir d'œufs, d'où la nécessité de préserver de la grippe aviaire les élevages qui fournissent ces oeufs, sinon on ne pourra plus fabriquer le vaccin... Dans la mesure où la France concentre une bonne partie de l'outil de production d'œufs comme de vaccins, nous sommes tenus d'être très vigilants. Or le scénario de deux attaques concomitantes, jugé totalement invraisemblable à l'origine, a pris une tournure nettement plus inquiétante à partir du mois d'août ; on s'interroge maintenant sur ce qui se passera au printemps. Sans doute allez-vous nous faire part de vos propres informations - y compris sur ce qui se passe en Afrique où vos connaissances pourraient être supérieures aux nôtres.

M. Gilles DEPLANQUE : Pas encore, malheureusement... Les chasseurs de gibier d'eau sont en tout cas prêts à s'investir sur le territoire national, mais également à contribuer à des actions préventives dans les zones d'hivernage africaines comme dans les zones de reproduction baltes et russo-sibériennes, qui nous intéressent au premier chef, et même en Sibérie orientale si nécessaire. Nous sommes en train d'élaborer un programme d'étude avec une structure internationale, l'OMPO - Oiseaux migrateurs du Paléoarctique occidental - pour lequel nous recherchons des financements ; certains contributeurs, comme le conseil général de la Somme, se sont déjà manifestés. Le programme d'étude pour l'Afrique démarrera début janvier. La démarche est analogue à celle du réseau SAGIR : il faut récupérer les cadavres d'oiseaux morts « naturellement » - entendez hors faits de chasse - et il faut aller plus vite que les prédateurs ; il faut en récupérer en nombre suffisant pour pouvoir effectuer des analyses sérieuses. L'usage d'appelants n'est pas pratiqué dans cette zone. Viendra s'ajouter un prélèvement d'oiseaux recueillis par actes de chasse. Nous mobiliserons également un laboratoire virologique pour étudier la réaction du virus à la chaleur et au rayonnement ultraviolet. Il n'est peut-être pas évident que des oiseaux reviennent infectés d'Afrique, mais ces pistes de réflexion appellent à être approfondies. Voilà ce que les chasseurs de gibier d'eau se proposent de faire avec les chasseurs africains sur les zones d'hivernage.

Nous proposons également de maintenir le suivi des oiseaux migrateurs sur les trajets de retour en prélevant quelques dizaines d'oiseaux entre février et avril sur quelques installations de chasse de nui,t avec l'aide d'appelants, comme le ministère de l'agriculture l'avait déjà autorisé pour certaines études spécifiques. Ce suivi sanitaire et épidémiologique se poursuivrait dans les zones de reproduction par l'examen des cadavres et de sujets prélevés, puis sur les oiseaux lors des migrations d'automne, et ce deux saisons de suite, autrement dit en 2006 et 2007. Tel est le programme que nous entendons mener avec le concours des plus grands experts internationaux, mais également la contribution des chasseurs français, à la seule condition que la mesure répressive dont ils sont victimes soit levée afin qu'ils puissent entrer dans le processus de prévention : comment voulez-vous faire de la surveillance avec des oiseaux sentinelles enfermés ?

M. le Rapporteur : Qui est à l'origine de ces mesures « répressives » ? Sont-elles venues du ministère de l'agriculture, du ministère de l'environnement, ou d'ailleurs ?

M. Gilles DEPLANQUE : Le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, le CASA, qui n'a pourtant aucune compétence en matière de chasse, s'est permis de donner son avis sur une technique de chasse spécifique et a proposé l'interdiction des appelants dans une zone à déterminer, que le Gouvernement français a immédiatement définie comme l'ensemble du territoire national... Le ministère de l'agriculture a pris des mesures sur le confinement dans certains départements et sur la détention des oiseaux dans tous les départements, mais, de son côté, le ministère de l'écologie a purement et simplement interdit l'usage et le transport des appelants pour la chasse des oiseaux d'eau à compter du 24 octobre... Du coup, nos sentinelles ne surveillent plus rien du tout. Écouvillonner des oiseaux cloîtrés n'a aucun intérêt.

M. Pierre HELLIER : C'est un débat certes difficile. Je serais d'accord pour utiliser des appelants, mais dans un cadre extrêmement surveillé et selon un protocole très précis. Sans aller jusqu'à totalement libérer l'utilisation des appelants, une expérimentation bien cadrée ne pourrait-elle pas être utile ?

M. Gilles DEPLANQUE : Je partage ce point de vue. Les chasseurs de gibier d'eau avaient eux-mêmes proposé des mesures destinées à garantir le respect du confinement, comme la mise en cage des appelants. Encore faut-il pouvoir les mettre à l'eau, en tout cas dans des installations pilotes, si l'on veut utiliser la compétence de ces oiseaux à capter le virus et que les oiseaux migrateurs puissent les contaminer. Il faudrait donc accepter un plus grand risque dans ces zones, avec un suivi sanitaire plus important.

M. Jérôme BIGNON : Ce sujet n'a pas échappé au Gouvernement, puisque le Premier ministre a demandé à Mme Nelly Olin de mettre en place un groupe de travail composé d'experts et de chasseurs pour étudier l'opportunité d'un dispositif d'oiseaux sentinelles. Ce groupe de travail est en voie de constitution. Il est à noter que si le ministère de l'environnement a compétence pour gérer l'utilisation des appelants, l'arbitrage a été pris à l'instigation du ministère de l'agriculture, c'est-à-dire dans une vision d'abord agricole : les chasseurs n'étaient pas visés... Pour ce qui est de la coopération internationale, l'IRD nous a annoncé qu'il était en train de se mobiliser en liaison avec l'Institut Pasteur et les réseaux existants en Afrique. Mais les chasseurs mènent depuis longtemps, grâce notamment au réseau de l'OMPO, un travail très efficace de comptage et d'observation, d'autant plus nécessaire que, s'agissant d'espèces migratrices, ces opérations doivent être répétées sur tout l'arc de migration. C'est la raison pour laquelle le département de la Somme a apporté sa participation au titre de la coopération décentralisée. Je verserai la délibération du conseil général au dossier des pièces annexes de la mission d'information. Nous essayons d'inciter d'autres collectivités à faire preuve de solidarité à l'égard de pays qui n'ont guère les moyens de se préoccuper du sort de leurs oiseaux, et qui ne consomment que peu de poulets. Il faut développer cette coopération sanitaire et mobiliser d'autres départements.

M. le Président : Arrive-t-il à des chasseurs occidentaux, notamment français, d'aller chasser l'oiseau, l'hiver, en Afrique ? On remarquera par ailleurs que la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale sont beaucoup moins éloignées qu'il n'y paraît sur une carte : quelques centaines de kilomètres tout au plus. Êtes-vous certain qu'aucune contamination n'est possible entre les deux arcs de migration ? Pouvez-vous enfin nous parler des zones de chasse en Afrique et des pays concernés ?

M. Jean-Claude FLORY : Certains arguments sont tout à fait recevables, et notamment celui de la proportionnalité des mesures si le risque venait à diminuer. Quant à l'utilisation des appelants comme sentinelles, elle permettrait d'affirmer un rôle de surveillance dans lequel les chasseurs se sentent fortement engagés, pour peu, évidemment, qu'elle fasse l'objet d'un protocole rigoureux.

Nous évoquons aujourd'hui les zones d'hivernage en Afrique du Nord et de l'Ouest ; or le sud de la France est également un lieu d'hivernage, pour la bécasse africaine notamment. Le club des bécassiers avait, me semble-t-il, été sollicité en septembre ou octobre pour mener, éventuellement, des missions d'expertise en Roumanie ou dans des pays alentour. Cette affaire s'est-elle concrétisée ? Enfin, on parle souvent de migrations de printemps, alors que certains mouvements commencent dès février, parfois chez des espèces qui ne sont pas forcément à risque, comme les colombidés, qui ne sont peut-être pas porteurs, mais d'autres espèces peuvent l'être. Avez-vous prévu différents seuils d'intervention dans le cadre du réseau SAGIR ? Des consignes de réactivation des informations seront-elles distribuées dès janvier-février à chacun de vos correspondants dans les départements, eux-mêmes en liaison avec tous les acteurs locaux ?

Mme Geneviève GAILLARD : Je voudrais tout d'abord dire que je partage les propos de ma consœur Mme Dunoyer : il est toujours bon, devant la presse, de rappeler la différence entre la pandémie et l'influenza aviaire, pour en finir avec les amalgames permanents sur ces sujets, en France et ailleurs.

La DGAL, que nous avons auditionnée hier, nous a annoncé que le ministère de l'agriculture se préparait, dans les semaines qui viennent, à mieux cibler les zones à risques au regard des oiseaux migrateurs, et particulièrement les zones humides, prioritairement concernées. Avez-vous connaissance des études conduites dans ce sens au ministère de l'agriculture sur le meilleur ciblage des zones à risque ? Avez-vous été conviés à travailler sur ces thèmes ? Vingt-six départements se retrouvent dans une situation très pénible, y compris sur le plan économique du fait des élevages. Vous vous plaigniez tout à l'heure de l'absence de concertation sur les mesures prises. Est-ce toujours le cas ?

M. Pierre HELLIER : Quel est le cheminement précis d'un oiseau mort ramassé sur le terrain ?

(Mme Bérengère Poletti remplace M. Jean-Marie Le Guen à la présidence)

M. Gilles DEPLANQUE : Chaque espèce migratrice a sa propre zone de reproduction, son trajet migratoire, sa zone d'hivernage et circule en boucle au sein de ce que l'on appelle un flyway. Il peut arriver que différents flyways se superposent : c'est ce qui se passe en Sibérie, où les oiseaux du flyway paléarctique-zones afro-tropicales peuvent cohabiter, sur les zones de reproduction, avec des individus de mêmes espèces du flyway asiatique qui ne viennent pas chez nous. Il n'existe donc pas de barrière étanche, d'autant que certains oiseaux de Sibérie orientale viennent parfois sur notre territoire en suivant un trajet migratoire Est-Ouest pratiquement linéaire. Des travaux ont été menés sur le baguage, qu'il faudra approfondir ; l'OMPO a la chance d'avoir un réseau mobilisable dès maintenant, ce qui nous permet de commencer les travaux dès le 1er janvier. Ils concerneront les zones nord-africaines et ouest-africaines, et même jusqu'au Kenya : l'Afrique de l'ouest est donc également concernée. Nous sommes beaucoup moins présents en Afrique du Sud où ne se rendent guère que certains limicoles. Nous sommes du reste conduits à cibler les espèces, à raison de trois pour la migration descendante et trois pour la migration de retour. Les espèces sont donc différentes à l'aller et au retour.

M. le Rapporteur : Quelles sont-elles ?

M. Gilles DEPLANQUE : Je peux, de mémoire, vous citer le canard pilet et la sarcelle d'été pour la migration de retour, ce sont donc des oiseaux qui hivernent en Afrique et qui remontent chez nous ; pour la migration de descente, le fuligule milouin, le fuligule morillon et la sarcelle d'hiver, qui survolent notre territoire venant de leurs zones de reproduction - sans doute rajouterons-nous le vanneau huppé. Nous avons donc choisi des oiseaux qui, dans un sens ou un autre, passent par la France. Nous devons impérativement travailler avec une structure qui dispose déjà de réseaux sur place : il faudrait des années pour créer des réseaux opérationnels en Afrique, en Russie ou dans les États baltes. L'OMPO a ses réseaux, qui comptent plusieurs centaines de personnes. L'opération a déjà commencé à se mettre en place au Sénégal ; les réseaux africains ont commencé à être mobilisés sur la quête de cadavres d'oiseaux, et les réseaux baltes l'ont été pour la période d'avril à octobre.

Pour ce qui est du réseau national SAGIR, si nous voulons pouvoir faire de la veille sanitaire et de la prévention au-delà de février, il va falloir tuer de l'oiseau : on ne trouvera des cadavres qu'en cas d'épidémie, qu'il s'agisse de H5N1 ou d'autre chose. Il faudra, pour cela, cibler des installations de chasse de nuit avec appelants, lesquelles, munies des dérogations nécessaires, que le ministère accorde déjà, auront mission de tuer tant d'oiseaux pendant telle période à des fins scientifiques. Encore faudra-t-il le prévoir dans le dispositif sanitaire, au moins jusqu'à la mi-avril. Sur les zones plus au Nord et à l'Est, il faudra travailler avec les gouvernements des pays concernés et demander les autorisations nécessaires afin de prélever des échantillons, au demeurant très restreints, sur les zones de reproduction.

Pour ce qui est du nouveau ciblage des zones à risques, l'Association des chasseurs de gibiers d'eau n'a contacté pour l'instant que le ministère de l'écologie, qui a proposé une réunion de concertation avec le ministère de l'agriculture. La date n'a pas encore été fixée. Nous devrions proposer à cette occasion notre programme d'études ; le ministère de l'écologie étant intéressé tout à la fois par nos travaux et par une éventuelle participation financière du ministère de l'agriculture, nous avons donc tout lieu de penser que, cette fois-ci, la concertation ne sera pas ratée...

Mme Charlotte DUNOYER : Concernant le ciblage des zones, nous avons eu l'information - indirecte - selon laquelle le ministère voudrait redéfinir ces zones de manière plus précise. Jusqu'à présent, les départements en question avaient été ciblés à la suite d'une étude très rapide demandée aux experts de l'AFSSA, fondée, grosso modo, sur la présence de zones humides et non sur une réelle analyse de risque. Or, pour cibler une zone, il faut confronter un certain nombre de risques. Le ciblage d'une zone suppose en premier lieu d'identifier la présence d'oiseaux migrateurs potentiellement vecteurs de la maladie, puis il faut croiser ce risque avec celui qui découlerait de la présence d'élevages en plein air et même, en théorie, il faudrait le faire avec un troisième paramètre, qui est l'état sanitaire de l'avifaune locale.

Depuis un an, la fédération nationale des chasseurs travaille sur l'hypothèse d'un plan de prévention des risques naturels qui reprendrait exactement ce schéma théorique. Nous sommes conscients que les élevages ont fait d'énormes efforts pour se débarrasser de certaines maladies ; le problème est que ces affections ont eu, entre-temps, l'occasion de passer dans la faune sauvage, au point que certains oiseaux en sont effectivement atteints et peuvent constituer un risque qu'il nous faut impérativement identifier, ainsi que les zones à risque - le même problème s'est posé avec la peste porcine dans l'Est de la France. Nous ne pouvons pas attendre la possible survenue d'une épizootie sans avoir préparé une série de réponses scientifiques et de méthodologie, et relevé les « points rouges » ou clignotants, au demeurant relativement peu nombreux. Nous avons fait un travail d'évaluation des risques consistant à superposer trois cartes, la première répertoriant la présence d'animaux sauvages, la deuxième la présence des animaux d'élevage en plein air et la troisième l'état sanitaire de l'avifaune. Sachant que nous n'avons pas encore de données concernant l'état sanitaire relatif à la grippe aviaire, il faudrait au moins reprendre la carte des zones humides où la présence des oiseaux sauvages est la plus forte, et la carte précise des élevages de plein air, d'ores et déjà connus du ministère de l'agriculture. Cela revient à faire de la dentelle et je comprends que les autorités n'aiment guère cela, notamment lorsqu'il s'agit d'effectuer des contrôles. Il reste qu'il va bien falloir nous résoudre à faire dans la dentelle si nous sommes amenés à vivre avec cette menace pendant des années.

S'agissant du réseau SAGIR, le ministère de l'agriculture nous a donné, comme aux services vétérinaires, des consignes très strictes en matière de recherche des oiseaux morts : toute découverte d'au moins cinq oiseaux morts, sur la même zone et dans la même semaine, doit être signalée. Les cinq cadavres sont pris en charge par les interlocuteurs techniques SAGIR - il s'agit de personnels des fédérations ou de l'office -, qui en assurent la conservation, la congélation n'étant d'ailleurs pas conseillée, et les apportent le plus rapidement possible aux laboratoires vétérinaires départementaux. Ceux-ci procèdent à une première analyse, prise en charge par les fédérations départementales de la chasse, et qui vise à une autopsie et à des investigations classiques. Si une suspicion d'influenza aviaire est détectée, les DSV prennent la décision d'envoyer l'analyse au laboratoire de référence.

M. Philippe BETTIG : Les chasseurs étant présents sur le terrain douze mois sur douze, avec ou sans leur fusil, par exemple au printemps pour s'occuper de la reproduction, le réseau SAGIR n'a pas besoin d'être activé.

M. Éric KRAEMER : Responsable d'une association régionale - en Picardie - forte de quelque 20.000 chasseurs de gibier d'eau, j'aurai aimé vous faire part de leur ressenti. Ils ne chassent plus depuis plus d'un mois, faute d'autorisation pour transporter et utiliser leurs appelants, et en éprouvent un malaise profond, craignant que cette chasse populaire et ancestrale ne vienne à disparaître. Toute la difficulté pour moi est de leur faire comprendre le bien-fondé, non pas évidemment des mesures de santé publique, qu'ils ont parfaitement comprises, mais de dispositions qui ne touchent qu'eux seuls. Les dérogations fleurissent dans certains départements pour les éleveurs en plein air - c'est effectivement tout un pan économique qui est touché, et je pense que dans l'avenir, cela sera encore pire - qui peuvent sortir leurs volailles selon des horaires précis. Et nous avons appris, le 10 décembre, par la RTBF et Suisse-Info, que la Belgique et la Suisse allaient lever les mesures de confinement et autoriser les rassemblements de volailles ! Là, les chasseurs ne comprennent plus très bien. Or, quand on parle de nos routes migratoires, on constate que le gibier que l'on voit passer chez nous vient de la Belgique... Comment ne pas avoir l'intime conviction - même si je sais que tel n'est pas le cas - que l'on en veut à la chasse au gibier d'eau ? Comment vais-je pouvoir expliquer à quelque 250.000 chasseurs en France que la Belgique et la Suisse lèvent ces mesures, que les éleveurs bénéficient de dérogations, mais que les chasseurs français, eux, doivent continuer à enfermer leurs oiseaux et n'ont pas le droit d'aller à la chasse ?

Mme la Présidente : La mission d'information comprend la situation des possesseurs d'appelants, qui devraient, dans certains cas très réglementés, pouvoir faire l'objet de quelques dérogations. Il faudrait étudier le problème. Vous-même reconnaissez que personne ne leur en veut, mais qu'il se pose un réel problème de santé publique. C'est là-dessus qu'il faut appeler leur attention.

M. le Rapporteur : Le plan gouvernemental est en cours de préparation ; un peu de patience...

M. Éric KRAEMER : Je n'ai vraiment pas le sentiment que la population belge, sur le plan sanitaire, soit plus maltraitée par son gouvernement que la population française... J'ose en tout cas l'espérer !

M. François GUILLAUME : J'ai bien compris qu'il fallait trouver cinq oiseaux morts pour les signaler, mais sur quelle étendue ?

Mme Charlotte DUNOYER : Il s'agit d'un territoire assez restreint : une commune, ou autour d'un même étang...

M. François GUILLAUME : Certains oiseaux sont plus facilement porteurs du H5N1 que d'autres. Ainsi, les canards le transmettent très souvent et les pigeons pas du tout. A-t-on fait un inventaire et l'a-t-on diffusé sur le terrain, particulièrement chez les chasseurs dont le sens de l'observation est souvent plus développé ?

Mme Charlotte DUNOYER : Nous n'avons mis aucune restriction à cette surveillance. La DGAL nous a demandé d'être vigilants pour toutes les espèces d'oiseaux.

Mme Geneviève GAILLARD : Je ne suis pas une « fan » de la chasse, mais j'avais le sentiment que l'on pouvait chasser le gibier d'eau avec des appelants non vivants. Cette chasse-là est-elle interdite ? La consommation des oiseaux en tout cas ne l'est pas, puisque l'on sait qu'il est rigoureusement impossible d'être contaminé par cette voie. Votre discours extrême tendant à dire que vous ne pouvez plus chasser puisque vous n'avez pas d'appelants vivants mériterait d'être nuancé dans la mesure où vous pourriez utiliser d'autres techniques, comme les appelants non vivants...

M. Éric KRAEMER : La chasse aux appelants est d'abord une chasse de nuit dans laquelle on utilise des canards vivants qui, par leur chant, attirent leurs congénères sauvages.

Mme Geneviève GAILLARD : Il y a des appeaux...

M. Éric KRAEMER : Effectivement, mais ils sont très difficiles à utiliser de nuit. Pour résumer, chasser le gibier d'eau sans appelants, c'est comme chasser en plaine sans son chien, c'est partir au bal sans sa femme...

Mme Geneviève GAILLARD : Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien... Et au bal, vous pouvez trouver d'autres femmes, il y en a de très bien !

M. Éric KRAEMER : Mais chasser sans mes appelants, c'est vivre sans ma femme... C'est aussi profond que cela ! Sans appelants, l'oiseau sauvage passe au-dessus de la mare sans s'arrêter, car il n'est pas attiré par ses congénères. Il faut l'attirer pour qu'il s'y pose. Sinon, il passe son chemin. Et c'est triste à mourir...

M. Gilles DEPLANQUE : L'interdiction des appelants vivants revient à remettre totalement en cause la légalisation de la chasse de nuit, qui date de juillet 2000. Les appeaux fonctionnent de jour ; mais la nuit, vous ne voyez rien du tout. Les canards appelants attirent en permanence leurs congénères par leur chant, sans qu'il y ait besoin de les voir. Si vous supprimez le son dans cette pratique, qui se fait pratiquement sans vision, il ne reste plus rien du tout...

Mme Geneviève GAILLARD : Mais une heure avant le coucher du soleil, on doit voir un petit peu, tout de même...

M. Gilles DEPLANQUE : Je vais vous emmener à la hutte, Madame, et vous comprendrez comment cela se passe : on ne voit l'oiseau que lorsqu'il s'est posé. Quand il est en vol, on ne le voit pas du tout. La chasse crépusculaire peut effectivement se pratiquer dans certaines conditions, à la lune, dans de bonnes conditions de luminosité ; mais aux heures les plus sombres, sans appelants, vous aller tirer sur tout et n'importe quoi.

M. Jean-Michel BOUCHERON : Le sentiment que je retire de cette audition comme des autres, c'est qu'il règne le désordre le plus total au niveau européen. Que ces décisions soient contestables ou non, là n'est pas la question : ce qui est grave, c'est qu'elles diffèrent d'un pays à l'autre, et entre pays voisins, et il en va de la réglementation de la chasse comme de la production d'antiviraux. Avez-vous de votre côté une instance de coordination européenne, des interlocuteurs au niveau de la Commission européenne ?

M. Pierre HELLIER : On ne peut effectivement que regretter ce manque de coordination et de concertation sur le plan européen, et déplorer la décision des Belges et des Suisses. Il faut comprendre que les mesures mises en place sont contraignantes, pour les chasseurs comme pour les éleveurs, mais elles sont à nos yeux nécessaires. Ne pouvez-vous pas utiliser la stéréo au lieu de vos appelants ?

M. Philippe BETTIG : C'est illégal.

M. Éric KRAEMER : Ce n'est pas notre chasse. Pas ça, pas chez nous. On veut rester traditionnels...

M. Gabriel BIANCHERI : On a souvent l'impression qu'en France, les mesures sont prises par excès. C'est oublier que notre pays a toujours été celui qui s'en est le mieux tiré sur le plan sanitaire pour les maladies animales ! Excès peut-être, mais cela a marché... Cela dit, je reconnais que les appelants ont un rôle majeur à jouer en termes de prévention et d'alerte et qu'il est contradictoire de les interdire totalement. Il y a là quelque chose à éclaircir, et assez rapidement.

M. Marc LE FUR : On me dit que certains départements ont prévu des dérogations. Lesquelles, et dans quel cadre ? A-t-on au moins harmonisé la jurisprudence en la matière ?

M. Philippe BETTIG : Nous avons une organisation européenne : la Fédération des associations de chasseurs d'Europe, la FACE, autrement dit un observateur au niveau de Bruxelles, mais la décision ayant été prise, on l'a dit, dans le mauvais comité, les chasseurs français n'ont pas pu faire entendre leur voix, malgré l'intervention de la FACE.

Des dérogations ont été prévues dans le domaine de l'élevage, mais en aucun cas pour la chasse.

M. Marc LE FUR : Certains préfets en auraient accordé, m'a-t-on dit.

M. Philippe BETTIG : La première interdiction prise le 24 octobre jusqu'au 1er décembre nous a fait l'effet d'un coup de massue, mais a été relativement acceptée. Nous avons essayé de trouver des accommodements en identifiant les facteurs de risque. Nous avons présenté des propositions au ministère de l'écologie, qui les avait reprises, et proposé au Premier ministre des solutions de confinement prévoyant l'utilisation de cages, ce qui permettait l'utilisation des appelants, etc., sans malheureusement être entendus. Nous avons cherché un juste équilibre prenant en compte la nécessaire prévention et la surveillance, et le fait que nous sommes le pays d'Europe qui chasse le plus le migrateur : le jour où ils disparaîtront, il en sera de même pour la moitié des chasseurs français. Le gibier d'eau est plus particulièrement visé en raison du risque aquatique, mais on ne voit pas pourquoi d'autres espèces ne seraient pas également porteuses - n'a-t-on pas récemment trouvé un pigeon porteur du virus dans la banlieue de Moscou, il y a quelques semaines ? Nous sommes parfaitement conscients du risque et tout à fait désireux de participer au dispositif de surveillance, mais nous y participerions d'autant mieux que l'on trouvera des accommodements de nature à préserver ce qui est pour nous un loisir, mais surtout une véritable passion. Le canard en plastique et l'appeau ne remplaceront jamais l'appelant vivant, et nous refusons avec force les systèmes électroniques dont l'usage, hélas ! s'est considérablement développé depuis l'interdiction. Les grandes surfaces ont été dévalisées et cela est déplorable pour l'éthique cynégétique.

Mme Françoise PESCHADOUR : Je vois mal comment un chien robot pourrait remplacer un chien compagnon à la maison, et des formes en plastique remplacer nos appelants, fruit d'une sélection culturelle et d'une longue pratique du travail avec les animaux. Il n'y a pas de produit de substitution, ni d'ersatz. M. le Président, en début de séance, a quelque peu balayé nos arguments d'un revers de main au motif que la chasse n'était qu'un loisir face à une très lourde préoccupation de pandémie mondiale. Vous avez à juste titre rappelé que nous étions, pour le moment, confrontés à un problème de santé animale et que le réseau français a fait preuve de son excellence dans la gestion de ce risque. À preuve, l'épisode de grippe aviaire aux Pays-Bas avait été géré avec sérénité. Or les modèles appliqués avec succès dans l'élevage peuvent être transposés à la faune sauvage et les chasseurs peuvent contribuer au suivi de ce problème en offrant la solidité de leurs réseaux. Quelque opinion que l'on ait d'eux, leur aide peut être précieuse pour la société - quelle que soit l'opinion que l'on ait des chasseurs - dans la mesure où ils sont des hommes en contact avec la faune sauvage.

Le Parlement avait ardemment souhaité parvenir à une chasse apaisée. On ne peut négliger le fait qu'elle représente le deuxième loisir des Français. Or, sur le terrain, les mesures décidées sont ressenties comme un signe d'opprobre, une mise au ban de la société, au mépris des acquis culturels, économiques et sociaux. La chasse est une fête ; ne la tuons pas, utilisons-la plutôt intelligemment.

Mme la Présidente : Je vous remercie tous pour votre participation.


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