Mercredi 1er février 2006

- Audition de Mme Pascale BRIAND, Directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

(Compte rendu de la réunion du 1er février 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Nous vous remercions, Madame, d'être venue devant cette mission d'information dont la fonction est tout à la fois de contrôler l'action gouvernementale et d'informer nos concitoyens. Nous nous sommes intéressés, dans un premier temps, à la mobilisation des moyens médicaux nécessaires à la lutte contre une éventuelle pandémie ; nous avons ensuite travaillé à un deuxième rapport - il est en cours d'élaboration - plus particulièrement consacré à l'épizootie aviaire dans ses aspects nationaux et internationaux ; dans un troisième temps, nous aborderons la question des dispositifs opérationnels du plan de lutte contre la pandémie. Nous vous avons invitée dans le cadre de notre réflexion sur l'épizootie actuelle et son évolution.

Mme Pascale BRIAND : Sachant que vous avez déjà entendu M. Philippe Vannier, directeur de la santé animale à l'AFSSA, sur certains aspects techniques, je m'attacherai à vous décrire brièvement la place de l'AFSSA dans le dispositif de lutte contre la grippe aviaire, en rappelant ses différents niveaux d'intervention dans le cadre de son champ de compétence, circonscrit à l'évaluation du risque.

L'Agence ayant une mission de recherche, d'appui scientifique et d'expertise, elle est donc toute entière mobilisée sur la problématique de la grippe aviaire. Je mentionnerai aussi le rôle de l'agence nationale du médicament vétérinaire. L'aspect « information » de notre action n'a pas été oublié : une page spécifique de notre site est consacrée à la grippe aviaire ; on y trouve, évidemment, nos avis, mais également une série de liens intéressants.

Notre mobilisation en matière de recherche ne remonte pas à août dernier. L'Agence s'était, depuis longtemps déjà, engagée dans des travaux de recherche, avec notre laboratoire de référence situé à Ploufragan, où sont réunis des moyens tant de recherche que d'appui scientifique et technique. Ces travaux se sont notamment orientés sur les questions liées à la vaccinologie et, en liaison avec l'Institut Pasteur, au franchissement de la barrière entre les espèces. Ils se sont naturellement inscrits dans un continuum appui scientifique et technique/recherche/expertise, comme nous le faisons dans la plupart de nos recherches, Nous pouvons travailler sur l'ensemble des prélèvements parvenant au laboratoire de référence en cas de suspicion : on comprend tout l'intérêt de l'épidémio-surveillance et de l'analyse de ces prélèvements pour ce qui touche à la gestion du risque et à la recherche sur ce sujet.

Pour ce qui est de notre mission d'expertise, nous avons fait l'objet de plusieurs saisines depuis août dernier, et nous nous sommes également auto-saisis de questions touchant à la grippe aviaire ; mais bien avant, dans le prolongement des événements survenus à Hong-Kong en 1999, l'Agence s'était déjà auto-saisie de cette affaire et avait produit un rapport, publié en 2002 sous le titre : Le risque de transmission à l'homme des virus influenza aviaire, qui faisait le point sur une série de questions - risques de transmission du virus à l'homme, populations humaines à risques, incidences possibles de la vaccination, aviaire notamment, etc. L'AFSSA travaille donc depuis longtemps sur le sujet.

Pour ce qui est de l'appui scientifique et technique, nous assurons, dans le cadre du laboratoire de Ploufragan, la surveillance des élevages et de la faune sauvage - surveillance passive par l'examen des oiseaux morts, surveillance active par l'analyse d'échantillons prélevés sur des animaux vivants, en liaison notamment avec l'Office nationale de la chasse et de la faune sauvage. À signaler, également, une mission de transfert de compétences à des laboratoires vétérinaires départementaux de techniques susceptibles d'être déconcentrées, afin de démultiplier les capacités d'analyse de première intention.

Au niveau de l'Agence nationale du médicament vétérinaire, les problématiques abordées concernent notamment les demandes d'autorisation temporaire d'utilisation, voire d'autorisation de mise sur le marché, pour des vaccins destinés aux différentes espèces d'oiseaux.

L'expertise se déroule suivant une procédure collective classique, dans le cadre de comités d'experts scientifiques, les CES, en santé animale en l'occurrence, et au besoin de groupes de travail spécialisés - ce qui est le cas ici pour le problème qui nous préoccupe, puisqu'un groupe « influenza aviaire » a été constitué -, l'ensemble étant placé sous la responsabilité du directeur de la santé animale, Philippe Vannier, et de notre direction d'évaluation des risques.

Indépendamment de ce schéma général mis en place de longue date, l'AFSSA a su faire preuve de réactivité face à la crise récente, en multipliant les réunions des CES et des groupes de travail, et en mettant rapidement en place une cellule d'appui ou d'urgence afin de coordonner les travaux et de répondre le plus rapidement possible aux demandes dont nous étions saisis - une dizaine, dont la première portait sur l'évaluation du risque de contamination des élevages par les oiseaux migrateurs. Sur ce point, nous avons répondu en soulignant que le rôle des flux migratoires n'était qu'une hypothèse parmi d'autres, dont celle, évoquée à maintes reprises, d'une contamination liée aux transports de volailles. L'analyse des foyers survenus en Russie justifiait, par exemple, de relativiser l'hypothèse des flux migratoires, compte tenu d'autres éléments, en particulier la localisation des foyers le long du Transsibérien. Notre souci, à cet égard, a toujours été de ne jamais accorder un poids excessif à une hypothèse donnée par rapport aux autres, au risque d'orienter vers l'adoption de recommandations inadaptées.

Nous avons également été appelés à émettre des avis plus spécifiques, notamment sur la question d'une augmentation du risque lié à l'apparition de nouveaux foyers en Turquie, Roumanie et ailleurs, sur les risques liés à l'importation de guano, sur la vaccination des volailles domestiques ; plus récemment, nous nous sommes autosaisis de la question de l'aggravation de la situation sanitaire en Turquie et aux confins de l'Europe, en insistant sur le déficit d'information, et particulièrement sur le manque cruel de données de contexte et d'épidémiosurveillance dans les pays touchés et à leur périphérie.

Les forces mobilisées sur ce sujet à l'AFSSA se résument à une quinzaine de personnes au laboratoire, sans compter les experts mobilisés dans les CES, groupe de travail et unité d'évaluation ; nous procédé par redéploiement, en renforçant l'équipe du laboratoire de Ploufragan, autrement dit en anticipant sur des moyens supplémentaires annoncés.

M. le Président : On nous a dit que les laboratoires internationaux de référence étaient surchargés, mais que Ploufragan l'était tout autant. Où en est le plan de charge ? Comment comptez-vous résoudre ces difficultés, sachant que la situation ne risque guère de s'améliorer ?

M. le Rapporteur : Comment faire pour que l'unité Ploufragan devienne laboratoire international de référence sur le territoire français ?

Mme Pascale BRIAND : Ploufragan est laboratoire national de référence. Pour tout le territoire de la Communauté européenne, il n'y a qu'un seul laboratoire communautaire de référence, situé à Weybridge. Viennent ensuite des laboratoires capables d'analyser les prélèvements effectués dans d'autres pays ; une convention sera bientôt signée avec le CIRAD, et des collaborations importantes ont été mises en places, qui permettront de diriger une part des prélèvements sur notre laboratoire, pour peu évidemment que nous soyons en mesure de monter en puissance.

M. le Rapporteur : Quelle structure trouve-t-on à Venise ?

Mme Pascale BRIAND : Il y a, à Venise, un laboratoire de l'OIE, qui intervient également dans cette affaire. Nous avons à l'évidence besoin de renforcer les moyens de tous les laboratoires européens, pour assurer une épidémio-surveillance suffisante.

M. le Président : Avez-vous, ou aurez-vous bientôt, à Ploufragan, les moyens de faire face à une demande qui a tout lieu de croître et certainement pas de diminuer dans les années à venir ?

Mme Pascale BRIAND : On nous a annoncé un renforcement de nos moyens pour un montant de 830 000 euros, qui devrait normalement nous permettre de compléter des aménagements et surtout de recruter cinq personnes sur ce sujet. Mais comme nous ne pouvions pas attendre, nous avons redéployé en anticipant cette augmentation de moyens ; autrement dit, à défaut de monter en puissance par de nouveaux recrutements, nous nous sommes adaptés pour répondre dans l'urgence à la situation actuelle. Ajoutons que le renforcement de l'appui scientifique et technique - tests et diagnostics - ne doit pas se faire au détriment de notre potentiel de recherche, notamment en vaccinologie. D'où notre besoin urgent de ces cinq recrutements. Il faut également espérer que ces 830 000 euros ne sont pas accordés pour une seule année, mais bien intégrés en base, compte tenu de la durée prévisible de la crise.

M. le Président : Nous sommes bien d'accord. Pouvez-vous nous expliquer comment se prend un avis sur un sujet donné - le confinement des volailles, par exemple ? Comment sont composés vos groupes d'experts ?

Mme Pascale BRIAND : Nous avons dix comités d'experts scientifiques, en place depuis trois ans, constitués par sélection après appel à candidatures, en équilibrant les compétences jugées nécessaires dans chaque domaine. Le comité concerné dans cette affaire est principalement le CES « santé animale ». Composé d'un président et de quinze membres nommés par le ministre sur proposition de l'agence, il peut, en cas de besoin, constituer des groupes de travail dont les membres sont choisis en concertation avec l'AFSSA et nommés par le directeur de l'établissement. Nous avons ainsi un groupe de travail, présidé par le chef du laboratoire de l'unité « grippe aviaire » à Ploufragan et qui réunit des ornithologues, des virologistes humains et animaux, etc.

Classiquement, une saisine est aussitôt enregistrée au niveau de la direction et du CES ; le travail est alors confié à des rapporteurs et, lorsque le sujet le justifie, à un groupe de travail. Le but est d'avoir une mobilisation suffisante pour répondre dans les délais, tout en assurant une exploration du sujet aussi vaste que possible. Ces premiers travaux sont menés avec un appui et une coordination scientifiques assurés par les unités de la direction de l'évaluation des risques. Un rapport est ensuite établi au niveau du CES qui se prononce sur un avis, autrement dit sur un texte qu'il valide avant de le faire porter à la signature du directeur de l'agence.

Pour les saisines où le délai de réponse est très court - vingt-quatre ou quarante-huit heures -, nous avons une procédure d'urgence : les réunions font place à des contacts téléphoniques entre experts, sachant toutefois que, compte tenu de notre mobilisation sur ce sujet depuis maintenant plusieurs années, et qui s'est encore intensifiée ces derniers mois, nous disposons d'ores et déjà d'une base de réflexion importante qui contribue évidemment à la réactivité.

M. le Rapporteur : Nous avons cru vous entendre appeler les pouvoirs publics à davantage de souplesse dans leurs décisions, notamment en matière de confinement. Vous avez également évoqué, dans une revue, l'idée d'une vaccination préventive des canards. Maintenez-vous ces jugements ?

M. Marc LE FUR : Nous apprécions la qualité des experts réunis à l'AFSSA ; l'audition de M. Vannier nous avait déjà grandement impressionnés. La vraie question est celle du rapport entre l'avis d'experts et la décision, et par conséquent des décalages dans un sens ou un autre. Parfois, la décision va au-delà de l'avis que vous avez rendu : ainsi en a-t-il été du confinement des élevages et de l'interdiction de l'utilisation des appelants.

J'ai eu l'occasion de visiter le laboratoire de l'Institut Pasteur au Cambodge. Ses moyens doivent être incontestablement renforcés, ne serait-ce qu'à cause du danger que pourrait représenter demain le transport des prélèvements pour analyses. Le problème se pose également en France, avec notre laboratoire de référence à Ploufragan. Ces risques sont-ils réels ? Comment pourrait-on les éviter ?

M. François GUILLAUME : Avez-vous émis un avis avant que le ministre n'interdise la présence de volatiles vivants à l'occasion du concours général de l'agriculture, et plus généralement sur les marchés traditionnels ? Cette dernière mesure ne pourrait-elle pas être assouplie, dans des conditions à déterminer ?

M. le Président : Le problème se pose enfin de l'articulation avec l'Europe - articulation politique, que chaque gouvernement doit assumer, mais également scientifique. Avons-nous une « diplomatie européenne scientifique », une coordination scientifique, officielle ou officieuse, entre Français présents dans les instances européennes ?

Mme Pascale BRIAND : Il n'y a pas à s'étonner d'éventuels décalages entre les avis de l'AFSSA et certaines décisions en matière de gestion du risque : cela tient tout simplement au fait que la France a décidé de séparer l'évaluation du risque de sa gestion, précisément pour donner une marge de manœuvre aux décideurs, amenés à intégrer d'autres paramètres que la simple évaluation scientifique du risque au moment de prendre leurs décisions. N'oublions pas non plus qu'un avis ne vaut que pour le moment où il est donné et qu'il doit être actualisé. À chaque fois, les experts se sont très clairement prononcés : le niveau actuel du risque en France n'appelle pas de mesures de confinement particulières, mais justifie des mesures rigoureuses de bonne pratique visant à éviter autant que possible les contacts entre oiseaux sauvages et domestiques - en ne distribuant pas la nourriture à l'extérieur, par exemple. Au-delà de ces précautions, l'AFSSA ne recommandait pas le confinement ; le fait que les pouvoirs publics l'aient décidé ne nous choque pas pour autant : c'est dans la logique de la distinction évaluation/gestion du risque.

S'agissant de la vaccination, nos experts ont travaillé sur plusieurs scénarios, en réponse à une saisine initiale comportant plusieurs questions à ce sujet : à partir de quel moment la vaccination serait intéressante, comment, dans quelles conditions, etc. L'AFSSA a répondu que la vaccination pourrait être une mesure intéressante en complément d'autres dispositifs d'éradication classiquement appliqués en cas d'apparition de foyers, et dans la mesure où la situation apparaîtrait difficilement maîtrisable par les approches habituelles de gestion du risque. Nos avis indiquaient clairement que la vaccination pouvait se justifier dans les pays où la situation n'était pas maîtrisée, comme en Asie du Sud-Est, en Turquie ou aux portes de l'Europe, mais certainement pas en France, d'autant que la vaccination a ses limites : efficacité des vaccins très variable selon les espèces, risque d'un masquage des symptômes cliniques qui permettraient une identification et un diagnostic précoces, et retards dans le déclenchement des mesures d'éradication. C'est pourquoi, seule l'éventualité de vaccination des canards, espèce peu sensible et difficile à confiner, était envisagée dans cet avis. S'agissant des appelants, le message était parfaitement clair : nous ne préconisions pas de mesures d'interdiction lorsque nous avons donné notre avis, et nous n'avons pas eu lieu de modifier notre appréciation jusqu'à présent.

Pour ce qui concerne le transport d'échantillons, je ne peux vous répondre précisément sur le plan technique. Mais il est certain qu'à l'heure actuelle, les prélèvements sont transportés vers le laboratoire de référence dans des conditions propres à éviter tout risque de contamination.

M. Marc LE FUR : Si j'ai posé la question, c'est parce que nous voulions apporter notre soutien à la mise en place de laboratoires de proximité au Cambodge et au Vietnam pour, justement, réduire au maximum ce risque lié au transfert de prélèvements.

Mme Pascale BRIAND : J'entends bien, mais l'installation de laboratoires de proximité se justifie surtout par la nécessité d'obtenir des diagnostics le plus rapidement possible, en réduisant au maximum les délais de transfert, et d'entrer ainsi aussi vite que possible dans un système d'éradication systématique, sitôt le foyer détecté.

M. Marc LE FUR : Examinez-vous des échantillons en provenance d'Asie ?

Mme Pascale BRIAND : Non. Tout le problème, dans ces pays, est de faire porter l'effort sur la maîtrise de l'épizootie, c'est-à-dire le maillage vétérinaire, les laboratoires de diagnostic, l'indemnisation des abattages pour s'assurer de l'adhésion des populations - et cela vaut pour l'Asie du Sud-Est comme pour la Turquie et les pays environnants. C'est là-dessus que doit porter prioritairement l'aide, mais cela reste très difficile.

Pour ce qui est de l'articulation européenne et de la coordination scientifique, l'AFSSA est en lien permanent avec l'OIE, via son directeur général, Bernard Vallat, le CDC1 et les experts envoyés à la demande de la Commission ; nous avons nous-mêmes fourni une liste d'experts mobilisables sur les questions relatives à l'épizootie et Philippe Vannier, notre directeur de la santé animale, est lui-même membre du panel d'experts de l'EFSA2 sur ces questions. Nous assurons ainsi une coordination dans des conditions très pragmatiques.

M. le Président : Une présence active à Bruxelles évitera des divergences potentielles entre les points de vue scientifiques européens et français - après tout, il est normal que des experts venant de pays dont la géographie, les modes d'élevage, le vécu ne sont pas les mêmes aient parfois des points de vue différents. Et comme nous-mêmes plaidons pour une politique harmonisée au plan européen, nous sommes bien conduits à accepter des arbitrages qui ne correspondent pas à 100 % à nos positions. Mais nous serons d'autant plus capables de peser fortement sur les décisions de Bruxelles, et de faire prévaloir des solutions à nos yeux scientifiquement plus appropriées et plus proches de notre vécu, que nos capacités de recherche et d'expertise seront fortes et reconnues.

Mme Pascale BRIAND : Ce souci de cohérence européenne est d'autant plus important qu'il faut renforcer tant les contrôles aux frontières de l'Europe que nos capacités de collecte des données épidémiologiques.

Mme Catherine GÉNISSON : Je partage l'argument de notre président : il n'est pas question de remettre en cause des décisions prises par les autorités publiques européennes. Notre souci fondamental doit être moins de faire prédominer les positions scientifiques françaises au niveau européen que de parvenir à une évaluation et une recherche partagées, afin que la position commune puisse s'appuyer sur une base scientifique tout à la fois étayée et reconnue par tous. D'où la nécessité de mettre en place et de conforter les instances scientifiques européennes.

Mme Pascale BRIAND : Pour ce qui est de l'épidémiologie, il faut tout à la fois collecter davantage de données et, effectivement, les partager.

M. le Président : Madame, je vous remercie.

1 Center for Disease Control and Prevention.

2 European Food Safety Authority


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