Mercredi 8 février 2006

- Audition de M. Frédéric VAN ROEKEGHEM, Directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et du professeur Hubert ALLEMAND, médecin-conseil de la CNAMTS

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 février 2006)

Présidence de Mme Bérengère POLETTI, Vice-Présidente

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : La première partie de nos travaux avait porté sur l'état des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie. La deuxième partie, en cours, est consacrée à l'épizootie aviaire et son évolution. Mais, nous avons d'ores et déjà entamé la troisième partie de nos travaux, qui concerne le « Plan pandémie » du Gouvernement. Nous vous avons invités pour voir avec vous le rôle que joueraient les caisses d'assurance maladie en cas de pandémie.

Pouvez-vous nous indiquer le cadre dans lequel interviendra la caisse nationale d'assurance maladie ? Comment l'assurance maladie participe-t-elle ordinairement à la lutte contre la grippe saisonnière ? Comment se répartissent les compétences entre les caisses et l'État en matière de prévention des risques épidémiques ? Comment intervenez-vous dans le financement des médicaments - le Tamiflu et le Relenza en particulier - et des masques de protection ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Je vous propose de commencer par les questions liées à la grippe aviaire pour, ensuite, parler de l'organisation générale de la prévention et de la répartition des compétences entre l'État et la CNAM. Hubert Allemand, présent à mes côtés, a été l'artisan de la politique de prévention que nous avons présentée à notre conseil en application de la loi de 2004.

L'assurance maladie serait amenée à participer au programme de lutte contre la grippe aviaire à trois titres : le financement du dispositif ; l'accompagnement des assurés et la mise à disposition des moyens financiers permettant d'assurer la continuité de l'activité des professionnels de santé - libéraux et cliniques principalement ; le recours à notre service médical, l'assurance maladie disposant d'un nombre important de professionnels de santé capables, en phase pré-pandémique, de participer au dispositif mis en place par les pouvoirs publics.

Le financement est la partie la plus simple : l'assurance maladie intervient en fonction des dispositions législatives et, le cas échéant, de budgets complémentaires. La grippe aviaire a fait l'objet d'un financement de 62 millions d'euros inscrit au titre de 2004 dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 et versé en début d'année. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoyait deux versements complémentaires pour la grippe aviaire : 176 millions d'euros au titre de 2005 et 175 millions d'euros au titre de 2006. À la demande du ministre de la santé et des solidarités, j'ai été amené à mandater un premier versement de 50 millions d'euros le 4 novembre 2005, alors que le projet de loi était en cours de discussion au Parlement ; j'en ai évidemment informé le conseil de la CNAM, qui l'a ratifiée. Une fois que la loi de financement de la sécurité sociale a été adoptée et la décision du Conseil constitutionnel publiée, 126 millions d'euros ont été versés, le 30 décembre. Autrement dit, l'ensemble des dotations au titre de 2005 ont été versées avant la fin de l'année. Le versement de la dotation 2006 - 175 millions d'euros - est en cours : son exécution est programmée aux alentours de lundi prochain.

Parallèlement, l'État a sollicité l'assurance maladie pour l'inscription d'un budget complémentaire de 25 millions d'euros au Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires, en vue notamment de l'acquisition de masques dans les établissements de santé. Ce financement a fait l'objet d'une décision modificative approuvée par le conseil de la CNAM et sera débloqué au fur et à mesure des besoins. Ces sommes, versées à titre de fonds de concours, donnent donc lieu à rétablissement de crédits au sein de l'État et constituent pour celui-ci autant de possibilités budgétaires pour mettre en place les appels d'offres dans le cadre de l'équilibre général arrêté par le délégué interministériel, le professeur Didier Houssin. Autrement dit, la CNAM n'intervient plus dans le processus décisionnel à partir du moment où les fonds ont été versés - ce qui n'interdit évidemment pas des réunions régulières avec le directeur général de la santé. C'est ainsi que, dans le cadre de nos activités de service public, j'ai proposé à M. Didier Houssin, le 19 octobre 2005, de mettre à disposition les moyens de l'assurance maladie pour assurer, autant que de besoin, les fonctions d'information des assurés et des professionnels de santé en phase pré-pandémique, ainsi que le prévoit le plan.

Pour ce qui est de notre participation en tant que service public à la lutte contre une éventuelle pandémie, j'ai demandé à notre directeur délégué aux opérations, Olivier de Cadeville, de prendre l'attache du haut fonctionnaire de défense du ministère de la santé, ce qui fut fait le 5 décembre 2005, pour élaborer un plan de crise, aujourd'hui en cours de finalisation. Ce plan repose sur trois objectifs majeurs : restreindre l'extension de la pandémie grâce à des mesures prophylactiques adaptées ; adapter nos organisations pour assurer la continuité du service public ; anticiper des dispositifs spécifiques et transitoires garantissant le remboursement des dépenses de santé en toutes circonstances.

S'agissant des mesures prophylactiques, le plan de crise, qui sera bien évidemment finalisé en liaison avec la direction générale de la santé, prévoit de relayer la campagne de sensibilisation conçue par l'INPES pour le compte du ministère de la santé en phase pré-pandémique, et, le cas échéant, par des moyens téléphoniques d'appels sortants en phase plus avancée. Les publics fragilisés, sujets notamment à d'autres affections, pourront faire l'objet d'une communication adaptée.

La prévention visera également les personnels des organismes de l'assurance maladie ; l'activité des points d'accueil devrait être progressivement réduite à mesure que se déclencheront les différentes phases du plan. Parallèlement seront mises en place diverses mesures d'hygiène - lavage des mains, ports des masques, etc. - en situation 5B et 6 - ce qui supposera l'acquisition de produits adaptés : gants, masques, en fonction de leur disponibilité et des priorités définies par les pouvoirs publics pour assurer la continuité du service public.

Afin de limiter les risques découlant des relations « clientèle », les mesures prophylactiques comporteront notamment un plan de maîtrise de l'ouverture des points d'accueil en fonction des niveaux de risque pandémique.

Enfin, les services « santé » de l'assurance maladie seront évidemment mobilisés, notamment en phase pandémique, afin que les médecins conseils soient mis à contribution pour soutenir l'action des professionnels de santé dans les domaines tant préventif que curatif. Les ressources des centres d'examen de santé seront prioritairement consacrées à la lutte contre la pandémie ; nous partons de l'hypothèse que nos établissements de santé relevant des unions de caisses d'assurance maladie - établissements de soins de suite et de réadaptation et établissements médico-sociaux notamment - ont été pris en compte, au même titre que les autres établissements de santé, dans le plan général établi par la DHOS en liaison avec le DILGA, le délégué interministériel.

S'agissant des mesures organisationnelles, et plus particulièrement des dispositions préalables à la pandémie, une note de cadrage sera émise d'ici mars prochain : elle prévoit qu'un cadre de haut niveau responsable « grippe aviaire » sera désigné dans chaque organisme afin de piloter le plan local de prévention et d'animer un comité de suivi comprenant les correspondants-relais retenus au sein des entités décentralisées de l'organisme. Notre réseau décentralisé nous permet de déléguer les responsabilités aux directeurs d'organismes pour animer, en liaison avec les préfets, les actions nécessaires à la mise en œuvre des plans blancs des départements. Nous demanderons à tous nos organismes d'élaborer des scénarios d'organisation des activités en tenant compte du risque prévisible d'une moindre mobilisation des personnels.

En période de pré-crise, une campagne de communication sera lancée auprès de nos partenaires, pour leur exposer les différents dispositifs de gestion de crise mis en place au sein des réseaux de l'assurance maladie, afin qu'ils connaissent tout à la fois notre organisation et leurs correspondants.

Notre plan de crise prévoit ensuite une série de mesures de priorisation des activités au cours de la pandémie - autrement dit, dans l'hypothèse où nous serions en situation 5B ou 6. Notre offre de services devra alors être adaptée pour maintenir un dispositif de relations efficaces avec le public tout en minimisant les risques. Pressentant que l'écart entre les phases 5B et 6 sera relativement faible, notre plan prévoira en situation 5B la mise en œuvre des mesures de phase 6 dans des zones géographiquement délimitées, mais cette distinction est plus théorique que pratique.

Seront considérées comme prioritaires les activités de remboursement des soins et de versement de revenus de substitution, sachant que l'activité de remboursement des soins devra être adaptée à l'organisation spécifique d'une situation de crise. Le traitement de certaines fonctions comme la gestion de fichiers, le traitement des rejets et des signalements ou la gestion de fonctions de support ou d'expertise sera différé : nous avons calculé qu'il ne serait pas nécessaire de mobiliser tout le service de paie alors qu'il est parfaitement possible de recourir à un système d'avances à partir d'une borne magnétique pour effectuer des règlements dans des conditions temporairement satisfaisantes, quitte à prévoir des récupérations ou ajustements une fois passée la phase pandémique.

Un plan spécifique sera proposé pour s'assurer du maintien des compétences nécessaires au bon fonctionnement de l'informatique, particulièrement de notre informatique de production. Nous avons besoin de nos équipes au sein des centres techniques informatiques de l'assurance maladie et d'un dispositif d'astreinte pour le personnel informatique des organismes.

Nous devons, enfin, anticiper des dispositifs spécifiques et transitoires garantissant le remboursement des dépenses de santé en toutes circonstances, et en premier lieu garantir aux professionnels de santé libéraux - dans la mesure évidemment où ils feront face à leurs obligations de réquisition - des revenus leur permettant de subsister alors même qu'ils ne réaliseront plus aucun acte, la totalité de leur activité étant dédiée à la grippe aviaire. Nous n'en avons pas encore discuté avec leurs syndicats représentatifs, mais nous privilégions pour l'instant un système d'avances. Il en serait de même pour les cliniques réquisitionnées, le cas échéant, pour faire face à la pandémie, afin qu'elles disposent des moyens financiers permettant leur fonctionnement.

La question se pose évidemment de savoir sur quels fonds on « tirera » ; on verra, à ce propos, que notre plan repose sur une série d'hypothèses de fonctionnement des services publics au sens large. Le financement de l'assurance maladie repose sur le circuit financier de l'ACOSS, lequel repose sur le réseau de la Caisse des Dépôts, lequel reste, en dépit de la séparation des comptes de l'État et de la CDC par le biais du programme GEODE, activé par les trésoreries générales. Je m'étais, du reste, opposé à l'idée d'aller plus loin dans la séparation pour des raisons notamment liées à la sécurité des paiements. Nos comptes restant alimentés par le réseau des trésoreries générales, sous contrôle de la Caisse des Dépôts, nous devrions être capables de mettre en place un dispositif d'avances - que nous avons d'ailleurs testé cette année bien malgré nous, lorsque le Parlement a autorisé la mise en place de la tarification à l'activité - tant pour les professionnels de santé que pour les cliniques, voire pour les hôpitaux, encore que l'on puisse se demander où serait l'intérêt de passer par l'assurance maladie pour alimenter les comptes des hôpitaux publics, qui sont ouverts auprès des trésoreries générales, alors qu'il suffirait d'une autorisation du ministre des finances.

Nous devons, en second lieu, garantir le reversement des revenus de substitution, c'est-à-dire des sommes et prestations en nature perçues par les assurés en arrêt de travail, mais également des prestations qui découleront directement de la pandémie. Cela pose le problème de la capacité de récupération de l'information - autrement dit des feuilles d'arrêt maladie - dans un contexte de fonctionnement interne dégradé : au vu, notamment, des estimations du plan ministériel, nous nous situons dans l'hypothèse d'un absentéisme modéré ou élevé (30 % ou 50 %). Une fois les fonctions essentielles isolées, l'affectation des personnels présents devra privilégier la réquisition des personnels les moins exposés compte tenu des mesures générales prises par les pouvoirs publics, en particulier la fermeture de certains lieux publics et notamment des écoles, et de l'expérience acquise lors des précédentes épidémies de grippe. Dans tous les cas où cela pourrait être compatible avec le maintien de la continuité des activités, nous dispenserions d'activité les mères de famille afin qu'elles puissent s'occuper de leurs enfants restés à la maison.

Il reste que notre bon fonctionnement dépendra, indépendamment de l'aspect financier, du soutien d'autres services publics. La fermeture de guichets physiquement ouverts au public conduira à privilégier des dispositifs d'accueil de type téléphonique ou électronique ; encore faut-il que ces outils de communication soient encore en état de fonctionner. Il en est de même pour les transports, dont dépendra pour une bonne part le taux de présence de nos personnels.

Tel est l'état de préparation du service public de l'assurance maladie face à une éventuelle crise pandémique. Dès la fin de ce mois, un numéro d'« Info Dirigeants » récapitulera les éléments préparés, à l'adresse de nos cadres dirigeants ; à la fin mars, une circulaire nationale arrêtera, au vu des derniers contacts, les modalités organisationnelles de façon déconcentrée ; fin juin chacun de nos organismes nous fera remonter le plan de continuité qu'il aura prévu pour faire face à cette situation particulière. Mais pour l'instant, la probabilité d'une phase pandémique en 2006, d'après nos estimations, reste faible.

L'assurance maladie sera enfin amenée à intervenir dans le cadre de son service médical. Conformément au plan gouvernemental, l'ensemble de ses praticiens salariés seraient bien évidemment réquisitionnés. Il serait néanmoins nécessaire de nous préserver un minimum de compétences médicales pour aider au pilotage général du réseau en phase pandémique, mais également pour sécuriser nos personnels, à tout le moins sur le plan psychologique et prophylactique, afin d'améliorer le taux de présence, en leur assurant la présence d'une autorité médicale dans les endroits où ils travailleront, en particulier dans les points d'accueil restés ouverts au public.

M. Pierre HELLIER : Quelles sommes avez-vous réellement versé en 2005 et 2006 au titre de la prévention des risques, et quelle est l'origine des fonds ? Pour ce qui est de l'information des médecins, entendez-vous laisser aux caisses primaires une certaine liberté d'action ou tout partira-t-il du haut ? Les caisses entretiennent souvent des rapports privilégiés avec les médecins. Or, ceux-ci ne semblent pas encore très informés de ce qui pourrait arriver et de ce qui risque de leur être imposé - il faudra notamment bien se mettre d'accord sur la question de leurs revenus et des honoraires : non seulement ils n'en ont aucune idée précise, mais je crois qu'ils ne veulent même pas en entendre parler.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : C'est pourquoi j'ai parlé d'avances.

M. Pierre HELLIER : Il faut bien évidemment un plan national, mais il faut également laisser une marge de liberté aux CPAM. Vous avez également raison de vouloir garder des médecins à l'intérieur des caisses, même s'il faudra en mettre une partie sur le terrain. Il faut bien comprendre que notre système de soins serait amené à fonctionner d'une manière très différente, en privilégiant effectivement, pour ce qui est de l'hôpital, le non-recours à la CNAM.

Mme Catherine GÉNISSON : Je partage les inquiétudes de mon collègue sur la formation et l'information des professions médicales et paramédicales. Très peu d'informations sont pour l'instant diffusées sur le terrain, y compris auprès des médecins généralistes. Je n'ai pas très bien compris comment votre plan s'articulait avec le plan gouvernemental de lutte contre la grippe aviaire, ni quelles seraient vos relations avec l'hôpital public en phase 6. Les hôpitaux aussi ont des dépenses...

M. François GUILLAUME : L'information des médecins libéraux me préoccupe également. Nous avons été assez rassurés en voyant comment le plan national était décliné dans certains CHU et CHR. Certains ont organisé des réunions d'informations à l'adresse des médecins libéraux, mais il ne semble pas que les caisses primaires aient été associées à cette opération d'information. D'une façon plus générale, on n'a pas l'impression qu'il y ait de liens bien étroits entre les initiatives des uns et des autres.

M. Pierre HELLIER : C'est aux ARH de s'en occuper...

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Ainsi que nous l'avons rappelé en octobre dernier au directeur général de la santé, nous disposons de moyens importants qui peuvent être mis à disposition, pour peu évidemment que le Gouvernement le souhaite : il s'agit principalement, pour une intervention en phase pré-pandémique, de moyens humains et matériels, à commencer par nos capacités d'impression. Ainsi, l'ensemble des formulaires à l'adresse des médecins traitants a été imprimé dans nos centres. Mais à ce stade, nous n'avons pas été mobilisés sur l'information des professionnels de santé. L'information des médecins comme des assurés passe plutôt par d'autres canaux que ceux de l'assurance maladie. Cela ne veut pas dire que nous ne serions pas impliqués à un stade plus avancé : le plan gouvernemental évolue chaque jour et M. Houssin veille précisément à ce qu'il colle au mieux à la réalité du moment. En attendant, nous n'avons pas reçu de demande officielle de mobilisation de nos moyens. Si nous préparons un plan de crise en interne, c'est parce que nous avons le sentiment que cela deviendra nécessaire à un moment donné. Non seulement nous nous sommes fondés sur les orientations rendues publiques par le ministère le 11 janvier dernier, mais nous ne le lancerons qu'après validation par le délégué interministériel.

Au-delà, nous sommes tombés d'accord avec Didier Houssin pour inclure spécifiquement, dans la convention d'objectifs et de gestion 2006, la contribution de l'assurance maladie au dispositif de surveillance sanitaire dans la perspective de la survenue de menaces sanitaires graves - grippe aviaire notamment - liées à la mondialisation des échanges. Ainsi, au-delà de la seule question de la grippe aviaire, est posée la question de l'organisation générale du système de santé dans le cadre des dispositions de la loi de 2004, aux termes desquelles l'assurance maladie participe à la politique de santé publique dont l'État est responsable. L'État et la CNAM se sont d'ores et déjà mis d'accord, dans le cadre des pré-négociations, pour intensifier leur concertation sur deux axes : utiliser la puissance d'information de la CNAM en direction des professionnels comme des assurés, et améliorer l'implication des professionnels de santé associés à des actions de vigilance et de surveillance en articulation avec des agences sanitaires - InVS et AFSSA -, en vue de recueillir des indices d'alerte. Les modalités de participation des professionnels à ces missions seront définies dans le cadre des négociations conventionnelles. Nous partageons le souci de voir les moyens de l'assurance maladie mieux utilisés, en cohérence avec notre politique de santé publique. D'ici à la fin mars, nous aurons « calé » avec la DGS notre plan d'intervention commun.

Nous partageons votre sentiment sur l'état d'information des médecins. Le niveau actuel de la menace - 3A - peut expliquer leur mobilisation encore très relative ; il en est de même pour les professionnels paramédicaux et les infirmières. Mais nous disposons des fichiers et des moyens humains prêts à être activés en cas de crise - dans une période pré-pandémique, s'entend, car tout doit être préparé en amont de la phase pandémique - pour participer à l'information de ces personnels, au besoin en organisant des réunions locales comme le font régulièrement les caisses primaires.

Notre organisation est particulière : étant un service public déconcentré, nous essayons de mutualiser ce qui est utile. Le contenu de l'information à dispenser aux professionnels de santé doit à l'évidence être mutualisé au niveau national, en s'appuyant, autant que faire se peut, sur ce qui a déjà été fait par la DGS. En revanche, la mise en œuvre des mesures relève des caisses primaires, dans le cadre d'un cahier des charges. C'est ainsi que nous concevons de plus en plus le management du réseau : le niveau national ne doit pas piloter chacune des opérations - ce serait d'autant moins souhaitable que l'organisation retenue par l'État repose sur un pilotage au niveau départemental, sous l'égide du préfet. En revanche, les contenus et le cahier des charges resteront élaborés au niveau national, notamment pour ce qui est des fonctions essentielles - sous réserve évidemment de la subsidiarité et du principe d'un pilotage par le préfet du département.

Pour ce qui est du revenu et des honoraires des médecins, il serait illusoire de songer à faire fonctionner, en phase pandémique, un système de rémunération à l'acte, d'autant que les médecins n'auraient vraisemblablement plus le temps de remplir leurs feuilles de soins électroniques : plus qu'un problème financier, c'est surtout un problème pratique. Non seulement une partie des personnels seraient « réaffectés » pour intervenir à domicile ou dans des établissements de santé, mais d'autres dépenses de soins non liées à la grippe devront toujours être traitées et prises en charge. Aussi entendons-nous privilégier la diminution du papier - pour nombre de raisons, à commencer par le manque de personnel pour le traiter -, alors même que les personnels réaffectés ne seront pas en mesure d'activer les feuilles de soins électroniques : il faudra donc mettre en place des systèmes alternatifs, sous la forme d'un dispositif d'avances dans un premier temps, ce qui nécessitera vraisemblablement de modifier les textes afin de les adapter à cette situation très particulière. Il est vrai que les personnels de santé libéraux n'ont pas totalement conscience de cette nécessité et que nous n'avons pas évoqué ce point avec eux.

M. le Rapporteur : Précisément : à qui revient ce rôle de discuter de ces moyens de remplacement avec les professionnels de santé ? À vous ou au ministère ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Si cela reste du domaine du contrat, autrement dit d'une modification conventionnelle, cela relève de l'union des caisses. Si ce n'est pas négociable, cela relève d'une modification de nature législative.

M. le Rapporteur : Ou réglementaire, dans le cadre du plan d'urgence.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Au demeurant, si des dispositions réglementaires n'étaient pas prises, il faudrait bien faire face à la réalité et, à tout le moins, mettre en place un dispositif d'avances. La loi l'avait, du reste, déjà autorisé, en dehors des situations de crise, pour les cliniques. Et les professionnels réquisitionnés devront bien continuer à nourrir leurs familles... C'est le type même de situation à anticiper.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Si des dispositions législatives devaient être prises, vous serait-il possible de nous faire parvenir une note qui pourrait donner lieu à une recommandation de la mission ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Tout à fait. Et cela vaut pour les médecins comme pour les infirmières et toutes les professions paramédicales.

M. Gabriel BIANCHERI : Les étudiants en dernière année de médecine ne pourraient-ils pas être mobilisés ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : C'est au ministère de décider de les réquisitionner.

Mme Catherine GÉNISSON : Les rémunérera-t-on ?

M. Gérard BAPT : Au CHU de Toulouse, le plan est en cours de préparation, mais il est loin d'être achevé : « C'est bien, ces réunions, cela nous permet de nous parler ! » ai-je entendu dire le chef du service des maladies infectieuses au médecin urgentiste responsable de la gestion de ce genre de risque. Preuve que nous n'en sommes qu'au stade de la montée en charge, y compris dans les CHU...

M. Pierre HELLIER : Vous n'êtes pas montés trop vite...

M. Gérard BAPT : La question s'est posée de la distribution des masques aux professionnels libéraux, y compris les transporteurs, en présence d'un cas suspect. Est-il prévu des réserves minimales de masques à cet effet ? Mais peut-être cette affaire relève-t-elle de la DGS...

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Le plan prévoit que cette affaire est gérée par l'État, qui constitue des stocks stratégiques, de masques FFP2 notamment, destinés aux professionnels de santé. Je suppose qu'il le fait également pour les services publics dits essentiels, particulièrement ceux qui seraient au contact avec des personnes susceptibles d'être infectées. Nous devrons nous-même nous préoccuper de notre propre fonctionnement interne, et nous assurer à tout le moins que nous sommes bien prévus dans le plan... Compte tenu des goulots d'étranglement qui affectent la production, il semble logique de laisser à l'État le soin de définir les priorités d'attribution.

M. le Rapporteur : Certains se sont précipités dans les pharmacies pour acheter du Tamiflu. Est-ce remboursable ?

M. Gérard BAPT : Est-ce efficace ?

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Avant que l'État ne fasse retirer ce médicament des pharmacies d'officine, j'avais fait mettre en place un dispositif de surveillance journalière des remboursements de Tamiflu, craignant qu'une augmentation ne vienne à peser sur les dépenses d'assurance maladie. Le directeur de cabinet du ministre, auquel je m'en étais ouvert, m'a rassuré en m'informant que ce médicament serait rapidement retiré de la vente, afin de pouvoir être distribué, le moment venu, en fonction des priorités définies par l'État et d'éviter la constitution de stocks de précaution sauvages. À noter que la constitution de stocks stratégique avait commencé, bien avant cette date, par l'achat de Tamiflu en vrac, la fabrication de gélules devant être assurée par la pharmacie centrale des armées. Toutes les mesures ont été prises pour surveiller la délivrance de Tamiflu dans le cadre remboursé - de fait, il peut toujours l'être aujourd'hui, mais on n'en trouve plus... Cette affaire a été prise en mains très tôt.

M. Hubert ALLEMAND : La distribution de ce produit exigera toute une logistique, mais j'ignore ce que prévoit le plan à cet égard. Il devrait être délivré sur prescription individuelle délivrée par le médecin, ce qui supposera une très grande réactivité pour être efficace. On pourrait envisager des dépôts ailleurs que dans les pharmacies et les hôpitaux, avec des professionnels de santé chargés de la distribution, en fonction des localisations géographiques et des situations locales. J'imagine que tout cela doit être en train de se préparer.

M. Pierre HELLIER : Il faudrait éviter au maximum que les gens se déplacent pour en avoir... De même pour les kits de prélèvements, que les médecins traitants devraient aller chercher dans les centres hospitaliers ! Chacun devrait avoir au moins un kit d'avance : on ne peut pas imaginer un médecin abandonnant sa clientèle au premier cas suspect pour aller chercher un kit à l'hôpital et revenir faire le prélèvement... C'est pourtant ce qui est prévu pour l'instant. Les mairies et les services de soins devraient pouvoir répartir le Tamiflu.

M. Gabriel BIANCHERI : Et les kits de prélèvement.

Mme Catherine GÉNISSON : Et le reste, notamment les masques.

M. Hubert ALLEMAND : La fonction de ces outils ne sera pas la même selon que l'on sera en phase pré-pandémique ou en phase pandémique. Les kits de prélèvement n'ont vocation à servir qu'en phase pré-épidémique, et de façon très ponctuelle, après information du centre 15 et éventuellement description des symptômes à l'opérateur. En période épidémique, il ne sera évidemment plus question de faire des prélèvements : le moindre signe avant-coureur déclenchera l'intervention immédiate.

M. Pierre HELLIER : Évidemment. Je parlais bien évidemment de la phase pré-pandémique.

M. Gérard BAPT : Certains spécialistes estiment qu'une pandémie aurait moins de chances de se déclencher une fois l'hiver passé. Continuera-t-on alors à constituer des stocks conformément aux objectifs initiaux ou adoptera-t-on plutôt un régime de veille ?

M. Hubert ALLEMAND : Tout dépend si nous sommes alors en situation d'être totalement prêts, notamment en termes de stocks de Tamiflu ou de masques, ou encore en montée en charge. Tout cela suppose une logistique adaptée, y compris pour le renouvellement de ces stocks - les masques FFP 2 eux-mêmes ne peuvent pas être stockés indéfiniment -, mais également pour leur diffusion opérationnelle sur le territoire. Nous-mêmes ne savons pas si nous devrons nous procurer des masques ou si nous serons approvisionnés, compte tenu du fait que nos personnels seront en contact avec des assurés susceptibles d'être infectés. Tous ces points restent à préciser. Il reste que la distribution et l'utilisation du Tamiflu seront d'abord fonction des stocks disponibles. Si ceux-ci sont restreints, il ne pourra être utilisé qu'à titre curatif ; dans d'autres situations, on peut envisager des hypothèses différentes. Je ne sais pas ce que sera la position des pouvoirs publics, et notamment de la DGS, à cet égard.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Sans compter un troisième cas, celui où nos capacités de détection avancée d'un virus transmissible par voie interhumaine permettraient d'élaborer un vaccin à temps, ce qui pourrait nous ramener à un schéma de prévention traditionnel de la grippe : l'assurance maladie a une solide expérience en matière de prévention de la grippe classique.

M. Hubert ALLEMAND : Cela permet d'apprécier le rôle d'opérateur de l'assurance maladie : nous vaccinons chaque année plusieurs millions de personnes, soit 70 % des personnes âgées et tous les patients atteints d'affections de longue durée, particulièrement exposés, selon une programmation quasiment parfaite : sollicitation individuelle, délivrance d'un bon, prise en charge à 100 %, etc. On ne parle jamais des trains qui arrivent à l'heure : il n'est pourtant pas évident de vacciner chaque année plusieurs millions de personnes, et de surcroît les mêmes, quand on voit les difficultés que nous donnent certaines vaccinations, comme la rougeole-oreillons-rubéole, qui n'ont lieu qu'une ou deux fois dans la vie et ne concernent que 700 000 ou 800 000 personnes par an. L'assurance maladie apparaît en la matière comme un opérateur particulièrement puissant, qui peut se prévaloir d'un dispositif bien rodé, grâce à ses contacts permanents avec les assurés et les professionnels.

Mme Catherine GÉNISSON : Nous nous posons encore beaucoup de questions à propos du Tamiflu. À vous entendre, il ne serait prescrit qu'à titre strictement curatif en période de pandémie avérée ; ce n'est pas forcément vrai. La médecine de catastrophe amène à totalement inverser nos réflexes de prise en charge « normale » des patients. La question est clairement posée de la prescription de Tamiflu à titre préventif pour tous les acteurs, à quelque titre que ce soit, de la prise en charge des populations infectées.

M. Pierre HELLIER : En effet.

M. Hubert ALLEMAND : Vous avez parfaitement raison : il y aura une possibilité d'utilisation de Tamiflu à titre préventif chez certaines populations...

Mme Catherine GÉNISSON : Cela sera exigé.

M. Hubert ALLEMAND : ...alors même que l'AFSSET1 l'a théoriquement exclue. Cela fait partie des questions à préciser, ne serait-ce que pour éviter les situations de panique, l'état des stocks ne permettant pas une action préventive sur une très large population.

M. Pierre HELLIER : Bien sûr.

M. Hubert ALLEMAND : On peut également imaginer utiliser des pré-vaccins. Enfin, mais il conviendrait d'interroger à ce sujet les spécialistes en épidémiologie des maladies infectieuses, il arrive que des personnes, particulièrement de jeunes adultes, commencent par contracter la maladie sous une forme relativement bénigne et deviennent par la suite immunisées. Cette cinétique de l'épidémie, qui pourrait permettre à des sujets désormais immunisés de travailler par la suite à découvert, sans masque, au contact de populations infectées, doit également être prise en compte, même si je suis incapable de vous modéliser ce cas de figure.

Mme Catherine GÉNISSON : Vous avez parfaitement raison, mais nous aurons beaucoup de mal à convaincre avec ce type d'argument...

M. le Rapporteur : Nous avons pu, avec le président Le Guen, avoir connaissance des plans de prévention développés en Asie, en particulier celui de Hong Kong, extrêmement élaboré. Ce pays peut se prévaloir d'une double expérience : la grippe aviaire en 1997 et le SRAS en 2003. Ce plan prévoit une utilisation systématique du Tamiflu en prophylaxie post-contact et en préventif pour tous les personnels de santé, des transports et d'autres services essentiels. La conclusion des Hongkongais, qui rejoint celle du professeur Perris, l'inventeur du coronavirus, est que l'investissement ainsi consenti sera toujours utile, notamment pour d'autres risques. Autrement dit, les efforts d'aujourd'hui serviront pour demain ou après-demain.

M. Hubert ALLEMAND : Mes propos de tout à l'heure valaient pour une situation pandémique, où une très grande partie de la population serait atteinte. Ce qui s'est passé en Asie ne correspond pas à une pandémie : il s'agissait de cas relativement isolés, où la priorité est de protéger l'environnement proche et, en premier lieu, les professionnels exposés. Il faut bien distinguer la situation pré-pandémique, où il s'agit de faire fonctionner à plein tous les dispositifs préventifs, y compris avec le Tamiflu, et la situation pandémique où l'on peut être contraint de gérer une ressource rare face à un nombre énorme de pathologies. L'Asie n'a pas connu de situation pandémique.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : Toute cette affaire relève de la DGS. Nous appliquerons les priorités arrêtées au niveau ministériel.

Mme Catherine GÉNISSON : Effectivement, cela ne relève plus de l'assurance maladie. Il reste que nous avons beaucoup de mal à nous mettre dans une logique de gestion crise et de médecine de catastrophe, où les priorités sont inversées : ce sont en fait les gens les moins atteints que l'on prend en charge.

M. Pierre HELLIER : Vous n'avez pas répondu à ma question sur les fonds versés en 2005 et 2006 au titre de la prévention des risques.

M. Frédéric VAN ROEKEGHEM : 62 millions d'euros avaient été prévus dans la loi de finances pour le plan Biotox ; cette dotation initiale sera utilisée par la DGS pour participer au financement du plan. A quoi sont venus s'ajouter 176 millions d'euros, versés en deux parties : 50 millions le 4 novembre et le solde le 31 décembre. Au titre de cette année, une dotation complémentaire de 175 millions d'euros a été inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale, qui a fait l'objet d'une décision spécifique du Conseil constitutionnel. Elle devrait être versée d'ici au 13 février. Parallèlement, un complément de 25 millions d'euros a été inscrit au budget du FNPEIS. D'une manière générale, il est permis de penser que ces dotations relèvent davantage du Fonds national de prévoyance que de la gestion des risques proprement dite. Toutes ces sommes s'entendent indépendamment de l'impact financier lié à la rémunération des personnels libéraux et au fonctionnement des établissements de santé en cas de pandémie. Des simulations ont été faites sur la base de 20 millions de personnes touchées. Tout porte à croire qu'il faudra prévoir un dispositif de versement vraisemblablement forfaitaire.

Mme Bérengère POLETTI, Présidente : Chacun a bien compris le rôle de premier plan que peut jouer l'assurance maladie en direction des professionnels de santé. Mais il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de l'information. Nous attendons de connaître vos suggestions de modifications législatives que nous pourrions reprendre dans notre rapport. Messieurs, je vous remercie.

1 Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail


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