Mercredi 15 février 2006

- Audition de M. Jean-Marc BOULANGER, secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, accompagné de MM. François BRICAIRE, Patrick CAMPHIN et Philippe HROUDA

Compte rendu de la réunion du mercredi 15 février 2006

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Le but de notre mission est tout à la fois de contrôler l'action gouvernementale, mais également de fournir des éléments d'information et des repères à l'opinion publique sur la question de la grippe aviaire et du risque de pandémie.

Nous avons déjà consacré plusieurs séances de travail à la problématique du plan « pandémie ». Nous avons publié un premier rapport sur les dispositifs médicaux d'ores et déjà en place. Nos travaux ont ensuite porté sur l'aspect aviaire stricto sensu, mais nous avons en même temps commencé à travailler sur le » plan pandémie » du Gouvernement, en nous focalisant plus particulièrement dans un premier temps sur l'hôpital : sur ce point, l'expérience de l'Assistance publique nous sera très utile. Notre rôle est de savoir si nous sommes sur la bonne voie. Faut-il accélérer la préparation à la pandémie ? Quelles questions devons-nous nous poser en priorité, sachant que bien des interrogations sont encore devant nous ? C'est dans ce cadre que nous avons souhaité vous auditionner, afin que vous nous aidiez dans notre réflexion globale.

M. Jean-Marc BOULANGER : La préparation à une gestion de crise comme, par exemple, la pandémie grippale, est une des vingt-et-une lignes directrices de notre plan stratégique. Il n'est plus possible de considérer la crise comme un événement exceptionnel, face auquel l'on se débrouille quand il arrive. L'organisation de crise est désormais considérée comme un élément structurel et structurant, y compris pour la vie quotidienne, et cette idée doit être intégrée par tout le personnel, de la directrice générale au brancardier, afin qu'ils soient mobilisés. Quatre grands sujets transversaux sont au rang de nos priorités à ce jour : la tarification à l'activité, la nouvelle gouvernance hospitalière, le nouveau système d'information et la préparation à la gestion de crise. Pour 2005-2006, nous avons retenu sur ce dernier thème deux sujets : l'attentat multi-sites - il y a trois ans, c'étaient les inondations - et la préparation à la pandémie grippale, et nous avons organisé notre action autour de trois piliers : une organisation de crise, une préparation à la crise et une capacité d'adaptation. On aura beau se dire prêt jusqu'au dernier bouton de guêtre, rien, dans la réalité, ne se passe tout à fait comme prévu : il faut savoir s'adapter. Il faut être capable de recomposer un dispositif opérationnel répondant aux exigences de la réalité constatée à partir des éléments fournis par les plans préparés. Cependant, pour virtuelle qu'elle soit, la préparation à la crise n'en est pas moins nécessaire.

Sur les aspects « attentats multi-sites » et « pandémie grippale », nous avons travaillé sur l'organisation du siège et son interopérabilité avec, d'une part, les cellules de crise des hôpitaux et, d'autre part, les services de l'Etat : la zone de défense, qui pour nous est le référent, et le centre opérationnel du ministère chargé de la santé.

M. le Président : Pourquoi la zone de défense est-elle, pour vous le référent ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Parce que notre « patron-État », à Paris, c'est la zone de défense.

M. le Président : Pas en cas de crise pandémique...

M. Jean-Marc BOULANGER : Pour ce qui est de la préparation de crise, nous travaillons directement et en liaison continue avec le secrétariat général de la zone de défense. Il en est ainsi depuis la canicule de 2003.

M. le Président : Mais cela n'a-t-il pas changé depuis la nomination d'un délégué interministériel ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Notre organisation au niveau du siège repose sur notre propre centre opérationnel, celui de la zone et celui du ministère. Et comme nous sommes une structure à deux étages, il nous faut un peu plus de temps qu'ailleurs pour traiter tous les sujets et monter notre dispositif... Viennent ensuite l'organisation pré-hospitalière, avec les SAMU, et l'organisation des hôpitaux.

Nous devions être prêts à assurer une prise en charge en situation pré-pandémique fin janvier. De ce point de vue, le calendrier est tenu. Quant au dispositif d'action en situation pandémique, qui est plus complexe à mettre en œuvre, il devrait être effectif d'ici à la fin du semestre 2006. Le centre opérationnel Victoria, en relation permanente avec les hôpitaux, les services généraux, les SAMU et les centres opérationnels ministériels ou de zone, peut être considéré comme fonctionnel : nous l'avons mis en œuvre à l'occasion de l'exercice Ambroise du 7 décembre dernier et les liaisons ont correctement fonctionné.

L'information et la formation restent un point-clé. Les 93 000 agents de l'AP-HP, c'est pratiquement une opinion publique et il est impératif que tous les personnels de l'AP-HP aient les idées claires sur le sujet. Or, ce n'est pas facile dans la mesure où la communication est à la fois partagée entre Le Parisien et par ce que nous-mêmes pouvons écrire... Chaque mois, un document mèl traitant des quatre chantiers précités, dont celui de la pandémie, est distribué dans 30.000 boîtes. Autrement dit, une information circule, mais nous sommes encore au début du processus et il y a encore un gros travail à accomplir. Dans les hôpitaux référents, les choses sont plus avancées qu'ailleurs : le Comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notamment, est bien informé et, de ce fait, l'information se diffuse assez bien. Nous devons faire de même dans les autres hôpitaux.

Pour ce qui est de la formation, un travail a été accompli dans tous les établissements comportant un service de maladies infectieuses par les professeurs des services référents, qui a porté jusqu'à présent sur 1 500 personnes environ. Un centre de formation pratique au risque NRBC a été, par ailleurs, mis en place à l'hôpital Broussais, où nous sommes progressivement passés des simples exercices de décontamination à la prise en charge des infections émergentes. Parallèlement, nous avons demandé aux hôpitaux d'inclure dans leurs programmes de formation des sessions spécifiquement consacrées à la prise en charge d'une pandémie.

Sujet plus connu, la mise en place des stocks, bien que le fait qu'ils existent ne signifie pas pour autant qu'ils soient opérationnels et répartis. Nous disposons en gros de 10 % - même s'il ne nous appartient pas à proprement parler - du stock national de Tamiflu à l'AGEPS1 ; les masques FFP2 - un peu plus de cinq millions - sont stockés dans les hôpitaux.

M. le Président : Est-ce vous qui les avez achetés ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Ils nous ont été livrés et nous les avons payés ; ils nous seront remboursés.

M. le Président : Mais qui a fait l'acte d'achat ?

M. Jean-Marc BOULANGER : L'AGEPS, autrement dit la Pharmacie centrale des hôpitaux. Les masques ont été positionnés dans tous les hôpitaux en proportion de leur taille, plus un stock resté à l'AGEPS.

Il ne s'agit à nos yeux que de l'acte I : il faut maintenant calculer la dotation de manière plus exacte, la compléter par des masques chirurgicaux à l'usage des patients, des visiteurs et probablement une partie des personnels - tout le monde n'a pas besoin d'utiliser en permanence un FFP2. Reste également à mettre en place toute l'organisation logistique - doctrine d'emploi, processus d'approvisionnement, etc. - dans le cadre de la préparation à la phase pandémique, d'ici au deuxième trimestre.

Autre sujet important, qui vaut tout aussi bien pour l'attentat multi-sites que pour la pandémie grippale : la sécurisation des hôpitaux. Un des points-clefs sera non pas de fermer totalement les hôpitaux, mais d'en contrôler les accès, y compris pour les visiteurs. Ce travail est mené de manière progressive, en partant des hôpitaux référents NRBC pour s'étendre à l'ensemble des établissements, en liaison avec la préfecture de police.

Nous nous attachons enfin à développer la culture de l'exercice. Un premier exercice NRBC avait été organisé en octobre 2004 à Necker ; nous avons été ensuite conviés à participer à l'exercice national SGDN de juin 2005 ; en octobre-novembre, un exercice de sécurisation NRBC a eu lieu à l'hôpital référent de Bichat ainsi qu'un exercice spécifique « pandémie » à l'hôpital de Garches ; le dernier en date a été l'exercice Ambroise en décembre. C'est le seul moyen de vérifier si ce que l'on a prévu est opérationnel ou non.

Nous pouvons considérer que nous sommes aujourd'hui capables de prendre correctement en charge les cas qui se présenteraient sur notre territoire en phase pré-pandémique, autrement dit en situation 3 de la classification OMS. Le schéma s'articule autour de trois hôpitaux référents (Bichat, Pitié-Salpêtrière et Necker), six établissements comportant un service maladies infectieuses (Avicenne, Saint-Louis, Saint-Antoine, Tenon, Paul-Brousse et Poincaré), l'ensemble des hôpitaux recevant les urgences, le SAMU et enfin un dispositif dit CERVEAU (CEllule Régionale de VEille et d'Action sur les Urgences) de suivi d'ensemble mis en place en 2004 à la suite de la canicule.

Le but n'est pas d'intervenir sitôt que quelqu'un déclare avoir croisé un canard en Chine et ressent de la fièvre... Aussi avons-nous mis au point une fiche d'aide à la décision, commune à tous les services d'accueil des urgences et aux SAMU, qui permet d'effectuer un premier tri. Au moindre doute, le service d'accueil fait appel au service référent qui l'aidera à consolider son questionnement. On a parlé des quelques cas suspects à la Réunion et à Montpellier, mais il va sans dire que Paris a également connu des alertes du même type - encore hier - et que le processus de sélection et d'identification a permis d'éliminer. Le risque est très faible ; encore ne faut-il pas passer à côté, sans pour autant se laisser polluer par la psychose et céder à la pandémie médiatique. Notre système d'aide à la décision est opérationnel depuis décembre.

M. le Président : Ce travail est certes important et nécessaire, mais ne correspond-il pas davantage à un schéma de type SRAS qu'à un schéma de type pandémie ? La probabilité qu'un hôpital de l'Assistance publique soit saisi du premier cas préalable à l'irruption de la pandémie sur la planète est somme toute assez faible. La situation la plus probable est celle d'un premier cas détecté dans un pays étranger, suivi d'autres cas dans le pays, puis dans la zone, puis, par le biais des transports, à Toronto, à Montevideo et un peu partout en quinze jours, au mieux un mois... Le scénario le plus vraisemblable est le suivant : à vingt heures, le journal télévisé annonce l'arrivée du virus, à vingt heures quinze, les gens commencent à avoir mal à la tête et trois semaines plus tard, vous vous retrouvez face à une foule de malades...

M. Jean-Marc BOULANGER : Je raisonne toujours en situation 3 : pas de transmission interhumaine, donc pas de risque pandémique. À supposer qu'un cas survienne, nous ne devons pas passer à côté. Il va falloir le prendre en charge, l'identifier parfaitement, faire les prélèvements nécessaires pendant la période d'incertitude et, s'il est avéré que c'est un cas de grippe aviaire, le traiter. Autrement dit, le schéma est le suivant : nous commençons par le tri ; si le cas apparaît possible, nous le transférons dans un hôpital référent ou un établissement ayant un service de maladies infectieuses, si le malade en est d'accord, pour prélèvement et suivi jusqu'à ce que le résultat soit connu, négatif ou positif, ensuite, éventuellement, nous le traitons.

M. Pierre HELLIER : Combien avez-vous déjà effectué de questionnements et de prélèvements, afin que nous ayons une idée du tri à faire ?

M. François BRICAIRE : Pour ce qui concerne La Pitié-Salpêtrière, les demandes ont été de l'ordre d'une vingtaine au moins, dont trois cas hospitalisés pour vérification, encore qu'un interrogatoire correctement mené eût rapidement dissipé les doutes. Mais dès lors que plusieurs critères étaient remplis, il fallait appliquer la procédure et traiter, ce que nous avons fait, et de même à Bichat.

M. le Président : Comment sont arrivées ces vingt personnes ?

M. François BRICAIRE : Un patient se présente dans une structure de santé - médecin, hôpital ou autre - où il déclare revenir d'une zone contaminée et souffrir d'un syndrome grippal, ce qui l'amène à penser qu'il a contracté la grippe aviaire. Les gens ont d'ores et déjà compris que le centre 15 était là pour aider à la réponse : les gens du SAMU prennent immédiatement le relais et indiquent les questions à poser. Au moindre doute, ils préviennent le centre référent et nous terminons l'analyse avec eux. Ou bien nous voyons que ce n'est pas une grippe aviaire - comme cela s'est passé hier encore avec des voyageurs qui revenaient de Chine -, ou bien il reste un point d'interrogation, auquel cas nous transférons le cas suspect au centre référent pour effectuer les prélèvements.

M. Pierre HELLIER : Au départ, il y en avait donc plus de vingt.

M. François BRICAIRE : Vingt cas appelant réellement une interrogation et montrant la nécessité du questionnaire. Je vous passe les appels fantaisistes...

M. Jean-Marc BOULANGER : Cela ne peut effectivement pas correspondre à un grand nombre de situations, mais il est important de couper court à toute psychose. Pour ce qui est de la phase pandémique, qui correspond aux situations 5 et 6 de l'OMS, nous ne savons pas quand elle se produira ni quelle sera la virulence de l'attaque. Nous estimons qu'elle pourrait se produire en deux vagues d'environ dix semaines chacune, en considérant que nous devrons être totalement prêts à faire face à la première vague et être à même d'ajuster notre dispositif initial afin de répondre à la seconde ; tout dépendra de l'allure générale de la première vague et de la mise au point ou non d'un vaccin. Nous avons pour l'instant dégagé des principes et un mode de travail, mais il reste beaucoup à faire.

Au niveau des principes, je voudrais dire qu'il n'y aura pas des hôpitaux « grippe » et des hôpitaux « pas grippe » ; cela ne nous paraît pas tenable. En revanche, nous demandons à chaque établissement d'identifier une zone de haute densité virale qu'il sera possible d'étendre au vu de la situation. Une épidémie en deux temps a le mérite de laisser un peu de temps au début pour voir ce qu'il en est...

M. le Président : On espère !

M. Jean-Marc BOULANGER : ...et se préparer à gérer l'appoint. Parallèlement sera ménagée une zone de basse densité virale pour les autres patients.

M. le Président : Avez-vous estimé, approximativement, la part d'activités à déprogrammer ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Notre schéma consiste à nous concentrer sur l'indispensable.

M. le Président : J'entends, mais combien ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Sur 12 000 lits en MCO, 3 000 sont occupés par l'aval des urgences. Le reste est pris par des activités d'une autre nature.

M. le Président : Vous n'allez tout de même pas renvoyer tous ces gens chez eux, y compris les malades qui ont pris rendez-vous depuis un mois pour se faire opérer d'un cancer... A-t-on une idée de ce qui peut être repoussé de deux mois ou trois ?

M. Patrick CAMPHIN : Globalement, cela doit représenter 40 %... Certains établissements ont une activité programmée plus importante que d'autres : tout cela doit être étudié site par site et défini en fonction des organisations, mais également en fonction de ces deux zones à haute et basse densité virale, avec tout ce que cela suppose en termes de regroupements, de lieux de prise en charge et de circuits de communication. C'est là un travail très compliqué qui demande une approche des détails, sachant qu'en tout état de cause, il restera une part d'offre de soins que nous ne serons pas en capacité d'assurer.

M. le Président : Ce qui revient à dire que les principaux hôpitaux de l'AP-HP n'ont pas encore opéré ce travail de séparation.

M. Jean-Marc BOULANGER : Pas partout, car nous avons adopté une démarche progressive. À la Pitié-Salpêtrière, hôpital tout à la fois central et référent, il a été fait...

M. le Président : J'en suis d'autant plus heureux que c'est ma circonscription, mais on comprendra que je ne puisse m'en satisfaire !

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous avons organisé une réunion avec l'ensemble des directeurs des hôpitaux le 23 janvier dernier, afin de leur expliquer le processus à suivre à partir, précisément, de l'exemple de la Pitié-Salpêtrière. Ce travail doit être achevé avant la fin du semestre. Il en va évidemment de même pour d'autres sujets : les orientations sont données au fur et à mesure. La prochaine réunion avec l'ensemble des directeurs adjoints en charge de ces problèmes est prévue fin mars pour savoir où ils en sont et éventuellement les relancer. La référence reste bien entendu le plan blanc, le principe étant d'assurer l'exceptionnel dans les locaux de tous les jours.

Des questions particulières se posent, par exemple autour de la réanimation. Tout dépendra de l'ampleur et de la virulence de la pandémie. Nous avons pour l'instant retenu un schéma pivot dans lequel la proportion de lits pris par des patients grippés pourrait être, au plus fort de la première vague, de l'ordre de celle actuellement occupée par les urgences - qu'il faudrait continuer à assurer -, soit en gros 3 000 lits.

M. le Président : Quelles sont vos prévisions face à un premier pic ? Combien d'hospitalisations, combien de réanimations, et combien, en particulier, en infantile-pédiatrique ?

M. Jean-Marc BOULANGER : J'insiste sur le fait qu'il s'agit, en matière d'hospitalisation, d'un raisonnement pivot : ce peut être plus ou moins...

M. le Président : Nous avons bien compris. Si vous pouviez donner tous les chiffres, il faudrait vous élever une statue !

M. Jean-Marc BOULANGER : En pointe, le nombre de personnes simultanément hospitalisées en raison de la grippe serait, en gros, de l'ordre de 3 000...

M. le Président : Alors que votre zone d'impact correspond à toute l'Île-de-France !

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous ne représentons pas toute l'offre de soins en Île-de-France.

M. Patrick CAMPHIN : Environ 30 %.

M. le Président : En comptant la MCO, les cliniques d'accouchement ?

M. Patrick CAMPHIN : En comptant la MCO.

M. Jean-Marc BOULANGER : Ce chiffre de 3 000 correspond au nombre de lits mobilisés à l'instant T, au pic de la première phase. Il y aura évidemment beaucoup plus d'hospitalisations durant ces dix semaines. Encore ne s'agit-il que d'une hypothèse, ni la pire, ni la plus favorable.

M. le Président : Et en réanimation ? De combien de lits disposez-vous aujourd'hui ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Un millier. En prenant une hypothèse élevée, on peut estimer que neuf cents malades, plus ou moins, auront besoin d'une ventilation continue, toujours au moment du pic.

M. Pierre HELLIER : À partir du moment où la plupart des grippés resteront chez eux, ceux qui viendront chez vous seront proches de la détresse respiratoire... Vous êtes obligés de retenir l'hypothèse élevée.

M. le Président : Avez-vous travaillé sur la dégradation de service ? Envisagez-vous des transferts de la réanimation en chirurgie vers la réanimation médicale, et ainsi de suite ?

M. François BRICAIRE : C'est effectivement un de nos gros problèmes : prendre en charge un grand nombre de patients à ventiler, tout en maintenant la qualité des soins par des personnels compétents, rompus aux manœuvres de réanimation, et du matériel ad hoc... La restructuration ne peut guère porter que sur les locaux, en profitant de la déprogrammation pour récupérer des salles de réveil et réutiliser tous les secteurs de réanimation laissés libres du fait de la réduction de certaines activités chirurgicales. Pour la Pitié-Salpêtrière, les premiers services de réanimation à monter graduellement en puissance seront évidemment la réanimation pneumologique, puis la réanimation d'hépato-gastro-entérologie, etc. Chaque structure, chaque établissement devra élaborer un plan de montée en puissance de l'utilisation de ses lits - lits standard et lits de soins « intensifs ».

M. le Président : Et pour la pédiatrie ?

M. Patrick CAMPHIN : L'AP-HP dispose de 80 lits de réanimation pédiatrique, hors lits de réanimation néonatale. Le sujet est par nature très complexe. La question que nous nous posons avec les pédiatres est de savoir jusqu'où doit aller la prise en charge des enfants dans un service de pédiatrie et à partir de quel niveau est possible d'envisager une prise en charge par un service adultes notamment en réanimation.

M. Pierre HELLIER : Ce qui ne résout rien dans la mesure où l'on manque déjà de lits en réanimation adulte...

M. le Président : Cela relève également de choix éthiques... Cela dit, pour un enfant de quatorze ans, cela peut se concevoir, mais pour les autres plus jeunes, le problème ne se pose pas seulement en termes d'affectation de lits : le matériel n'est pas le même. J'imagine qu'intuber et ventiler un enfant de trois ans, ce n'est pas la même chose que pour un adulte de quarante-cinq ans...

M. Philippe HROUDA : Cela pose effectivement un problème éthique dans la mesure où la décision individuelle, dont nous avons l'habitude, cède le pas à la décision collective, caractéristique de la médecine de catastrophe. Une étude est en cours dans le milieu des anesthésistes-réanimateurs - aussi bien pédiatriques que pour adultes - pour déterminer aussi sereinement que possible l'ajustement du curseur par rapport à l'âge des enfants.

M. le Président : Expliquez-nous cela...

M. Philippe HROUDA : Classiquement, un enfant est considéré comme tel jusqu'à quatorze ou quinze ans. Mais si, entre zéro et quatre ou cinq ans, les méthodes de ventilation exigent l'intervention de réanimateurs très spécialisés, un réanimateur adulte peut prendre en charge la ventilation d'un enfant à partir de cinq-six ans dans des configurations plus classiques.

M. le Président : Autrement dit, le problème se pose moins en termes de matériel qu'en termes de personnels.

M. Philippe HROUDA : Les deux sont liés, mais en tout état de cause il faudra prévoir un abaissement de l'âge de prise en charge en réanimation des enfants.

M. Jean-Marc BOULANGER : Et pouvoir affecter à des activités de ventilation des espaces qui, jusqu'à aujourd'hui, n'étaient pas dédiés à cette activité.

M. François BRICAIRE : M. le Président, vous touchez du doigt l'un des problèmes essentiels. Nous avons entendu les inquiétudes de nos collègues du Nord. Le problème se pose dans des termes rigoureusement identiques en Île-de-France : nous souffrons d'une insuffisance potentielle de lits de réanimation pédiatrique, et basculer autant que faire se peut vers la réanimation adulte, déjà potentiellement encombrée, ne fait que déplacer le problème, qui est réel. Or celui-ci devra d'autant plus être résolu que l'on sait les enfants très sensibles aux épidémies de grippe, particulièrement dans les phases pandémiques où le nourrisson paie souvent un lourd tribut.

M. Pierre HELLIER : Mais le problème est-il matériel ou humain ?

M. le Président : C'est exactement la question que j'allais poser ! L'un et l'autre devraient pouvoir se résoudre. N'est-il pas possible de former des gens à la réanimation pédiatrique, en s'y prenant dès maintenant ?

M. François BRICAIRE : Je répondrais que les deux problèmes se posent.

Mme Jacqueline FRAYSSE : On ne parle pas des respirateurs. En a-t-on seulement un nombre suffisant ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous en avons 1 900 au total.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Si vous ouvrez des salles de réanimation, vous devrez prévoir le personnel, mais aussi les respirateurs. Faut-il en acheter d'autres ?

M. le Président : Si je me souviens de l'équation d'un excellent livre sur la pandémie, le taux d'hospitalisation, « en stock », devrait s'établir à 10 %...

M. François BRICAIRE : Entre 10 et 15 %.

M. le Président : Soit, pour une phase pandémique de dix semaines et une durée moyenne d'hospitalisation de l'ordre d'une semaine, un flux théorique égal à 1 % de la population. Quelle hypothèse avez-vous retenu au début du pic ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Le schéma retient 5 % de patients hospitalisés par rapport au nombre total des malades, dont 15 % de cas graves, conformément à l'hypothèse de l'Institut de veille sanitaire.

M. le Président : Autrement dit, 15 % de 5 % pouvant justifier une réanimation.

M. Patrick CAMPHIN : Nécessitant d'être pris en charge en réanimation ou en soins continus.

M. le Président : Soit 0,75 % de 12 millions de patients... Vous affirmez ne représenter que le tiers de l'offre de soins de l'Île-de-France ; je serais étonné que vous soyez en dessous de 50 % pour la spécialité de réanimation.

M. Jean-Marc BOULANGER : Les chiffres sont toujours discutables, mais c'est la raison pour laquelle notre poids en réanimation est plus élevé : 900 lits pour 3 000 hospitalisations en pointe.

Mme Jacqueline FRAYSSE : Il faudrait stocker des respirateurs, et pas seulement du Tamiflu...

M. le Président : En retenant un stock de 0,75 % de patients à risque sur 12 millions d'habitants, à diviser par dix semaines, et à supposer que l'AP-HP n'en prenne en charge que la moitié, cela nous donne quelque chose comme 3 600 personnes en réanimation...

Mme Jacqueline FRAYSSE : Sans compter le secteur pédiatrique à prendre en charge...

M. le Président : En effet.

M. François BRICAIRE : Un des soucis du corps médical, exprimé notamment par les pneumologues, est d'avoir un personnel médical re-formé à l'intubation et à la ventilation. Sur dix internes en médecine - et a fortiori au-dessus -, je vous mets au défi d'en trouver un capable de ventiler...

M. le Président : Nous sommes bien d'accord là-dessus !

M. Pierre HELLIER : Il faut commencer tout de suite.

M. François BRICAIRE : En effet, je pense qu'il faut proposer une formation dans ce domaine et les pneumologues, en région parisienne à tout le moins, sont prêts à le faire.

M. le Président : Il faudra aussi acheter du matériel. Et faire la même chose en pédiatrie...

M. Pierre HELLIER : Plus encore !

M. le Président : Avez-vous directement la gestion du centre 15 ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Nous avons quatre SAMU intégrés à l'AP-HP.

M. le Président : Est-ce vous qui engagez et payez les régulateurs ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Oui.

M. Philippe HROUDA : Nous avons quatre SAMU, autonomes par rapport à la régulation globale, de niveau régional un pour chaque département de Paris et de la petite couronne, en lien permanent avec leur DDASS et leur préfet, leur hiérarchie hospitalière et avec la permanence de soins au niveau des collectivités locales, et le conseil de l'Ordre.

M. le Président : Ça, c'est un peu sur le papier...

M. Philippe HROUDA : La situation n'étant pas la même dans les quatre départements, chaque SAMU a développé des façons de faire qui lui sont propres. À la différence de ce qui est prévu dans le cadre du plan national, l'AP-HP entend maintenir l'autonomie de ces SAMU en raison de l'importance de la population des départements concernés, plutôt que de tomber dans le piège qui consisterait à tout centraliser à Paris, chef lieu de la zone de défense.

M. le Président : Cela me paraît une bonne chose.

M. Philippe HROUDA : Le SAMU 75 n'aurait plus la capacité de gérer la traçabilité de tout ce qui se passe sur Paris et les trois départements de la petite couronne.

Se pose en revanche la question de la capacité de chacun de ces quatre SAMU à faire face à un accroissement relativement soudain du nombre d'appels, même si les courbes sont croissantes sur plusieurs semaines. Un audit est en cours sur les capacités de traitement du centre 15 de Paris, où nous pressentons des limites.

M. le Président : Et sur le reste ?

M. Philippe HROUDA : Le reste est inclus dans un programme de renforcement systématique de nos centres 15, dit CARMEN (Centre d'Appel et de Régulation Médicale Nominale) engagé depuis deux ans et qui dépasse l'épure de la préparation à la pandémie. La question est de savoir comment nous pourrions accélérer le programme CARMEN dans les trois SAMU de la petite couronne et tirer les conclusions de l'audit mené sur le cas spécifique du SAMU 75 dans le cadre plus général de ses attributions en tant que SAMU de la zone de défense.

M. le Président : Où, géographiquement, est situé notre centre 15 ?

M. Philippe HROUDA : À l'hôpital Necker, dans un bâtiment dédié au SAMU.

M. le Président : Avez-vous la possibilité d'augmenter les capacités des centres 15, de pousser les murs, de tirer des câbles, de renvoyer des lignes ? Vos collègues du Nord remarquaient, avec raison, qu'ils avaient une tradition communautaire beaucoup plus forte que la région parisienne. Je suis persuadé que les gens commenceront par appeler le 15, et à juste titre. Imaginez le nombre d'appels ! L'AP-HP doit faire remonter ce problème si elle n'a pas les moyens de le gérer. Ce ne sera pas 50 % de plus... Sans parler de la complexité liée au fait qu'une partie des appels est traitée par la préfecture de police et les pompiers. Ils seront immédiatement débordés.

M. Jean-Marc BOULANGER : Il faudra, à coup sûr, doubler notre capacité d'accueil et de réaction - ce qui pose un problème technique et un problème de personnels.

Mme Jacqueline FRAYSSE : On travaille beaucoup sur le plan, mais il faudrait également songer aux goulots d'étranglement. Ce n'est pas la peine de faire tous ces efforts si, au bout du compte, on ne peut pas prendre en charge médicalement les cas les plus graves par manque de respirateurs. Après cette audition et celle qui l'a précédée, je suis très préoccupée par la question de la réanimation, et particulièrement la réanimation pédiatrique dont la situation est dramatique : seize lits à Lille et il y a dix-huit patients en ce moment même ! Il ne faudrait pas qu'il y ait deux cas de grippe aviaire... Peut-être le cas de l'Île-de-France est-il un peu moins préoccupant que celui de Nord - Pas-de-Calais, mais il n'en est pas moins très inquiétant. Il est du rôle de notre mission d'appeler l'attention sur la nécessité de prendre des mesures dans ce domaine. Pour les autres patients, on les mettra dans les couloirs, on devrait pouvoir se débrouiller ; mais en réanimation, si quelqu'un a besoin d'un respirateur et qu'on ne l'a pas, il va mourir ! La question est de savoir ce qu'il faut faire concrètement pour accroître considérablement, et à bref délai, nos capacités de réanimation adulte et pédiatrique. On peut évidemment faire passer les enfants les plus âgés en réanimation adulte, mais elle risque d'être déjà saturée... Cela dépasse évidemment le cadre strict des responsabilités de l'AP-HP : vous ferez avec ce que vous aurez... Mais il nous appartient de pointer ce problème, à l'évidence le plus préoccupant.

M. Jean-Marc BOULANGER : La déprogrammation permettra de libérer une partie des capacités existantes. Il faut ensuite installer des systèmes de ventilation en plus de ceux des salles de réveil disponibles aujourd'hui. Il reste évidemment un goulot d'étranglement qui tient au fait que nous n'avons que 1 900 respirateurs au total.

M. le Président : Lits de réanimation inclus ? Cela nous fait 1 900 pour 3 600 patients, d'après notre calcul à la louche de tout à l'heure...

M. Jean-Marc BOULANGER : Tous les cas n'appellent pas forcément une ventilation.

M. le Président : Je parle bien des 15 % des cas les plus graves des 5 % hospitalisés... Autrement dit, il manquerait, au jour J, 1 500 respirateurs sur Paris ! Et cela ne se fabrique pas en quinze jours... Sans parler de leur prix.

Notre mission a vocation à engager le dialogue sur les sujets qui posent problème, et nous ne sommes pas l'Inspection générale des affaires sociales. Nous pourrions aborder d'autres problèmes, comme les problèmes d'éthique, mais en une heure, cela semble difficile.

Voyez-vous d'autres sujets sur lesquels vous butez ou vous vous interrogez ?

M. Jean-Marc BOULANGER : L'hôpital n'est pas un îlot isolé du reste de la société. L'attitude des personnels dépendra de la façon dont le problème de la pandémie sera abordé lorsqu'il se produira, et des phobies auxquelles il donnera lieu ou pas. Au-delà, la fermeture des écoles et les dysfonctionnements des transports joueront également un rôle déterminant dans notre capacité de réponse : nous ferons comme tout le monde... Cela dit, il est essentiel d'insister sur l'importance des mesures-barrières, port du masque, etc. et sur le fait qu'elles garantissent une protection plus efficace que le chacun chez soi : l'hôpital ne peut pas fonctionner très longtemps si tout le monde reste enfermé chez soi... L'idée qu'il faudra bien, à un moment donné, vivre avec la grippe aviaire, et correctement pour peu que l'on se protège avec des moyens adaptés, n'a rien d'inacceptable : c'est une vraie réaction professionnelle que nous devons nous attacher à promouvoir. Il faut des respirateurs et des installations, mais il faut que le personnel soit au travail pour les faire fonctionner... De même la distinction entre zones de haute et de basse densité virale peut paraître évidente, mais encore faut-il la mettre en oeuvre en identifiant ce qui peut être dédié à l'une ou à l'autre, hôpital par hôpital, et cela prend du temps. C'est tout le sens de la démarche de déploiement progressif que nous avons initiée en partant de l'exemple de la Pitié-Salpêtrière, et que nous devrons ajuster à une réalité qui ne sera évidemment pas celle que nous avons prévue.

M. le Président : Certes, mais le but est d'avoir un ordre d'idée : quand le Nord - Pas-de-Calais nous dit ne disposer que de seize lits, on peut trouver que ce n'est pas beaucoup... Votre total est plus impressionnant, mais il faut le mettre en rapport avec les besoins. Quant à la séparation des services, nous l'avons vue mise en œuvre à l'hôpital de Chartres...

M. Jean-Marc BOULANGER : Le programmé en urgence sera concentré dans les zones de basse densité, ce qui sera « grippe » en zone de haute densité. Et il faudra identifier tout ce qui pourra être mis à l'arrêt.

Mme Jacqueline FRAYSSE : J'aimerais connaître l'opinion du professeur Bricaire sur le Tamiflu. On entend dire beaucoup de choses à ce sujet...

M. François BRICAIRE : On entend effectivement dire beaucoup de choses sur le Tamiflu et d'abord qu'il serait inefficace - auquel cas, il serait inutile d'en stocker des quantités industrielles pour un bénéfice qui risque d'être des plus modérés.

Les travaux scientifiques, c'est-à-dire publiés dans la littérature médicale, à partir d'essais sérieux et validés, ont montré que le Tamiflu était efficace, en tout cas à un coefficient suffisamment élevé pour être pris en considération - plus de 70 % -, à une condition fondamentale et très difficile à réaliser : être pris très précocement à partir du premier symptôme. Administré dans les six premières heures suivant les premiers symptômes, il fait gagner plus de trois jours dans la durée des symptômes - sur une maladie qui en fait cinq, c'est important. S'il est administré dans les douze heures, la perte d'efficacité atteint une journée. À quarante-huit heures, il ne sert plus à rien. Il ne faut pas être surpris qu'il ait donné si peu de résultats en Asie : on l'a utilisé, et c'est normal, mais cela l'a été souvent trop tard.

Ce qui amène à la question de savoir s'il ne faudrait pas aller un peu plus loin et utiliser le Tamiflu en prévention ou plus exactement en prophylaxie rapprochée, à la suite d'un contact avec un grippé. Les études scientifiques, qui sont au demeurant peu nombreuses, ont montré une efficacité de 90 %. Le problème est qu'une utilisation de ce type amène à définir des gens que l'on voudrait ainsi protéger, décision très difficile,...

M. le Président : Très difficile politiquement !

Mme Jacqueline FRAYSSE : Et scientifiquement.

M. François BRICAIRE : ...et exigera des quantités phénoménales de produit, avec tout ce que cela sous-entend de conséquences en termes de durée, de tolérance, qui est sans doute bonne mais qu'il faudra bien étudier, etc. Comment peut-on avancer pour savoir qui et comment on peut protéger ?

M. le Président : Ce sera un des dossiers majeurs sur lesquels il nous faudra travailler. Pour l'instant, pris par l'urgence, nous aussi stockons... Une fois le terrain déblayé, il nous faudra attaquer ces sujets extrêmement délicats.

M. François BRICAIRE : Qui et comment ? À chaque fois que nous essayons d'approcher une solution, nous soulevons dix autres problèmes qui aboutissent finalement à une contradiction dans la décision primaire...

M. Jean-Marc BOULANGER : C'est le type même de question à laquelle il faut éviter de répondre trop vite : c'est un problème de doctrine d'emploi et il faut qu'elle soit crédible...

M. le Président : Ce n'est du reste pas à vous de l'établir, mais aux pouvoirs publics.

M. Jean-Marc BOULANGER : Effectivement. Et comme dans notre propre processus de déploiement, cette question a tendance à venir très vite, au point de venir avant les autres alors qu'elle devrait venir après, nous devons rester extrêmement prudents.

M. le Président : Êtes-vous déjà saisis d'une demande des organisations syndicales ? Que demandent-elles ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Bien sûr, elles demandent si les gens auront du Tamiflu et s'il faut utiliser le Tamiflu.

M. le Président : Ont-elles une doctrine d'emploi ?

M. Jean-Marc BOULANGER : Elles ont plutôt tendance à dire oui...

M. Philippe HROUDA : Je suis intervenu deux fois devant le CHSCT central de l'Assistance publique : par deux fois, il a été évoqué la possibilité de donner à l'ensemble du personnel des hôpitaux un traitement prophylactique individuel.

M. le Président : C'est une poutre-maîtresse du plan et une question stratégique, qui dépasse le cadre de la problématique hospitalière. Le professeur Bricaire se trouve-t-il confronté à d'autres difficultés ?

M. François BRICAIRE : Celle que posera le maintien, dans la durée, du personnel médical et paramédical. Une phrase dans la nouvelle version du plan laisse même entendre que l'on pourra consigner des personnels sur place. Pour ma part, je veux bien y passer quelque temps, mais si cela doit durer six semaines ou davantage, j'aimerais bien rentrer chez moi...

Un élément important doit également être pris en compte dans les réflexions, mais on n'en parle jamais : c'est que les personnels auront la grippe précocement mais probablement sous une forme bénigne parce qu'on leur aura immédiatement et gratuitement distribué du Tamiflu, selon les données du plan. Ces gens-là devront automatiquement entrer dans le circuit pendant le reste de l'épidémie et travailler efficacement - du moins faut-il l'espérer. Il faut savoir positiver sur certains aspects...

M. le Président : Songeriez-vous à inciter à une sorte de séro-conversion préventive ?

M. François BRICAIRE : Presque... Au début de ma réflexion sur le Tamiflu, j'étais partisan de protéger le personnel médical, paramédical, les sapeurs-pompiers, etc. Mais devant la difficulté que cela pose - on n'a pas de Tamiflu autant qu'on veut, cela coûte cher, c'est difficile à distribuer, son efficacité est parfois contestée, on a du mal à repérer les symptômes d'une grippe, etc. -, je me suis dit que l'idée défendue par les autorités de tutelle de ne le donner qu'aux malades n'était finalement pas si mauvaise : après tout, cela donne des formes de grippe assez atténuées, cela réduit la durée des symptômes et cela permet une montée d'anticorps assurant une protection, ce dont on est moins sûr avec un traitement prophylactique. On n'est pas certain que si l'on donne un traitement prophylactique, même à ceux en contact avec des sujets grippés, la personne développe des anticorps. Autrement dit, si on est malade, à la limite, tant mieux...

M. le Président : Monsieur le professeur, nous devrons reprendre cette conversation, car c'est effectivement un sujet majeur, une question centrale qu'il faut prendre le temps de traiter au fond et dans tous ses aspects, y compris celui de la demande des personnels. Encore faut-il commencer par lever l'hypothèque de la pénurie : il ne sert à rien de discuter des solutions si l'on n'en a pas les moyens. Le problème n'est pas d'acheter ni de stocker du Tamiflu, mais de savoir que l'on en aura autant que de besoin pour être en mesure d'affronter la crise. Sinon, que répondre demain aux personnels de santé ? Leur réflexe de demander du Tamiflu est peut-être bon, peut-être mauvais, nous n'en savons encore rien aujourd'hui. Mais si nous leur répondons que nous n'en avons pas assez, que nous n'avons pas eu le temps, etc., cela va mal se terminer !

M. Jean-Marc BOULANGER : Il faut une doctrine d'emploi tout à la fois raisonnable et raisonnée - avant, ou juste après, ou tout de suite - et qui, une fois posée, ne fasse l'objet d'aucune polémique.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions.

1 Agence générale des Equipements et Produits de Santé


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