Mercredi 8 mars 2006

- Table ronde sur la question de la vaccination des oiseaux contre la grippe aviaire avec M. Bernard VALLAT, Directeur général de l'organisation internationale des épizooties (OIE), M. Philippe VANNIER, directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), MM. Louis EGRON et Pascal PAULET, représentants de la société INTERVET S.A

(Compte rendu de la réunion du mercredi 8 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Messieurs, je vous remercie d'être venus participer à ce débat sur les problèmes posés par la vaccination animale. Mais auparavant, je voudrais vous faire part des impressions des députés de la mission qui ont effectué un déplacement au Sénégal et au Mali il y a quelques jours.

Tout d'abord, nous avons noté qu'en dépit de la gravité de la situation en Afrique, et dans l'état actuel des choses, aucune alerte précise n'a été relevée dans ces deux pays. Nous avons trouvé des autorités politiques, administratives et scientifiques très motivées et conscientes du risque, des programmes d'action sérieux et de très bonne qualité, qui méritaient tout à fait le soutien et l'approbation des autorités scientifiques nationales et internationales - OIE, CIRAD, IRD, etc. Or, malgré les initiatives prises par les pays d'Afrique de l'Ouest, qui ont créé un forum d'actions contre la grippe aviaire et ouvert à cet effet un compte commun à la Banque africaine du développement, ces pays n'ont reçu aucun soutien financier international. La FAO, agence internationale de l'ONU elle-même, si l'on en croit son directeur, M. Diouf, n'a vu arriver, en tout et pour tout, à cette heure, que la somme dérisoire de 16 millions d'euros !

Une première conférence internationale s'était réunie début novembre à Genève, à l'initiative de la France et de l'Union européenne, où l'on avait sonné la mobilisation et fait taire les divergences d'approche entre l'OMS et l'OIE ; une deuxième conférence a eu lieu à Pékin à la mi-janvier, à laquelle notre rapporteur et moi-même avons assisté, où l'on a pu célébrer la mobilisation internationale, la Banque mondiale déclarant avoir reçu - pour partie sous forme de promesses, certes - 1,9 milliard de dollars. Et aujourd'hui, alors que les systèmes d'alerte et de surveillance doivent être financés de toute urgence - c'est une question de jours - on nous a raconté qu'au Mali, alors que les procédures et le savoir-faire sont là, ils n'ont pas d'argent pour payer l'essence de la mobylette du technicien vétérinaire chargé d'inspecter les élevages, qui se trouvent à 30 ou 40 kilomètres de la capitale ! Nous sommes stupéfaits, alors que ces sommes ont été mobilisées depuis un mois et demi, de découvrir que la Banque mondiale, d'ordinaire assez portée à donner des leçons de bonne gouvernance au reste la planète, est incapable de mettre un minimum d'argent à la disposition des pays les plus concernés qui, de leur côté, ont fait tous les efforts possibles et imaginables. Ce faisant, non seulement on les décourage, mais on décrédibilise la politique internationale.

J'appelle, par ce cri de colère et de mobilisation, les organismes internationaux payeurs à passer à l'action : il n'y a absolument aucune raison d'attendre des semaines pour débloquer les premières sommes, au demeurant très modestes au regard des enjeux économiques, sociaux et humains. Nous demandons solennellement à la communauté internationale, et le Gouvernement français aura certainement à cœur de relayer cet appel auprès de l'Union européenne, des organismes internationaux et notamment de la Banque mondiale, de libérer les financements au plus vite. Et s'il advenait que des promesses n'étaient pas concrétisées, il nous appartiendrait de clamer notre colère face à l'opinion publique mondiale et de dénoncer l'inconscience d'une communauté internationale, incapable de prendre ses responsabilités face à des pays particulièrement défavorisés et pourtant totalement conscients et mobilisés.

Mais peut-être M. Bernard Vallat, en tant que représentant d'une de ces organisations internationales, pourrait-il nous apporter des informations, voire nous rassurer pour partie...

M. Bernard VALLAT : La Banque mondiale travaille d'arrache-pied pour mettre en place des programmes nationaux au profit des pays qui en ont le plus besoin, et notamment des pays d'Afrique. Son conseil d'administration vient de décider l'affectation de 500 millions de dollars destinés à couvrir les engagements pris à Pékin, mais il s'agit très majoritairement de procédures de prêts. Or, de nombreux pays, compte tenu de leur situation, répugnent à s'endetter davantage. Le fonds fiduciaire, destiné à recevoir les dons de l'Union européenne et de bailleurs de fonds bilatéraux, n'a vu arriver à ce jour que 50 millions de dollars sur le milliard promis... Autrement dit, cette situation n'est pas le fait la Banque mondiale, mais bien des bailleurs de fonds bilatéraux ou régionaux, comme l'Union européenne, qui n'ont pas tenu leurs engagements.

M. le Président et M. le Rapporteur : Qui n'ont pas tenu leurs engagements ?

M. Bernard VALLAT : Parfaitement, et le plus mauvais élève est l'Union européenne, qui n'a toujours pas décidé de quelles manières seraient affectés les financements promis à Pékin. Les directions générales impliquées - santé et protection des consommateurs, développement, relations extérieures - sont toujours en discussion, d'autant que la mobilisation du financement passe par l'agence AIDCO.

M. le Rapporteur : Rappelez-nous les montants...

M. Bernard VALLAT : Sont attendus pour l'Afrique 30 millions d'euros. Mais ils ne sont toujours pas affectés et le mécanisme n'est toujours pas décidé. Il y a vraiment là, pour un pays membre, matière à interpeller la Commission.

Se pose également le problème, déjà relevé à Pékin, de la gouvernance en Afrique, où les fonctions publiques ont été démembrées et déstabilisées par des ajustements structurels. Si, ainsi que vous avez pu le constater, les pays se sont effectivement mobilisés et ont pris en compte nos messages techniques, leurs services vétérinaires sont incapables de mettre en œuvre une législation, aussi bonne soit-elle. Il y a vraiment un problème d'amélioration de la gouvernance ; mais nous avons eu la satisfaction de voir que la Banque mondiale, après avoir contribué à déstabiliser les fonctions publiques en Afrique, voudrait maintenant revenir en arrière et nous aider à y améliorer la gouvernance ; malheureusement, cela suppose une action de fond qui prendra des années.

Notre sentiment est que l'Afrique s'installe dans l'endémicité comme cela avait été le cas pour l'Asie où, trois ans après le début de l'épizootie, de nouveaux foyers animaux, et même humains, continuent d'apparaître, y compris en Chine. Nous avons toutefois la satisfaction de remarquer que la Thaïlande et le Vietnam n'ont plus de foyers depuis plusieurs mois. Il sera très intéressant de comparer l'effet des stratégies, très différentes, suivies par ces deux pays ; quoi qu'il en soit, le fait est que les mesures structurelles prises début 2004 commencent à y produire leurs effets. Il est donc important de débloquer des fonds d'urgence ; mais surtout, finançons en parallèle des améliorations structurelles pour lutter contre ces maladies animales. Faute de quoi, les fonds d'urgence seront rapidement dilapidés et il faudra s'attendre à d'autres crises dans les mois qui viennent.

M. Denis JACQUAT : Monsieur le président, je propose à la mission de rédiger une motion interpellant l'Union européenne. Cette situation n'est absolument pas normale et doit nous mobiliser. J'ai également sursauté en découvrant qu'il ne s'agissait pas de subventions, mais de prêts : autant dire que cela ne marchera jamais. Il est de notre devoir d'interpeller l'Union européenne sur ses défaillances.

M. le Président : J'approuve totalement votre demande. Cela dit, les prêts de la Banque mondiale ne représentent que 500 millions de dollars sur 1,9 milliard ; il y a également des contributions directes des États-Unis, du Japon, de l'Union européenne et de bailleurs bilatéraux - ainsi la France, qui contribue dans le cadre européen, mais qui intervient aussi directement à hauteur de 11 millions d'euros, sans compter les actions dans le cadre de la coopération ou par le biais d'organismes comme le CIRAD et l'IRD, etc. Reste que les manquements de l'Union européenne témoignent non seulement d'une absence de solidarité invraisemblable, mais également d'une imbécillité grave dans la mesure où la situation en Afrique nous touche très directement.

On a beau jeu, monsieur le directeur général, de critiquer le défaut de gouvernance de l'Afrique : celui de l'Europe en la matière est gravissime. De surcroît, nous avons eu le sentiment que les États africains avaient fait un effort tout à fait particulier, notamment sur la traçabilité des fonds, en ouvrant un seul compte à la BAD pour des programmes d'urgence. Sans doute pourrait-on faire mieux, mais je ne voudrais pas qu'à force d'exiger des critères de gouvernance et de transparence absolue, l'argent n'arrive jamais sur le terrain.

D'un autre côté, vous ouvrez un débat, que je trouve pour ma part tout à fait légitime, sur les politiques du FMI et de la Banque mondiale qui ont abouti, depuis une vingtaine d'années, à démolir toutes les politiques publiques d'éducation et de santé animale et humaine. Je trouve intéressant de vous voir pointer ainsi du doigt les graves déficits qui ont découlé du consensus de Washington. Malheureusement, nous sommes contraints par l'urgence, et si nous ne donnons pas le sentiment d'une mobilisation solidaire et immédiate vis-à-vis de ces gouvernements et administrations impliqués dans la lutte contre la grippe aviaire, non seulement nous n'arrêterons pas la progression de l'endémie, mais, à un moment ou à un autre, tous ces pays seront parfaitement fondés à nous reprocher d'être largement responsables de la situation dont ils souffriront et nous demain. On aurait tort de sous-estimer les lourdes conséquences d'un retard et d'un manquement de notre part dans le déblocage des aides d'urgence, non seulement en termes de santé, mais également en termes de crédibilité de nos politiques sur la scène internationale.

M. Gabriel BIANCHERI : En tant que parlementaires nationaux, nous ferions aussi bien de faire passer cet appel à notre interlocuteur naturel, autrement dit le Gouvernement de la France, à charge pour lui d'actionner les instances européennes. Il me semble que cela serait le circuit le plus normal.

Nous avons constaté deux choses lors de notre déplacement : premièrement, l'Afrique concentre toutes les conditions de l'apparition de foyers de plus en plus nombreux pour atteindre l'état endémique. Aux facteurs déjà connus ailleurs - concentrations aviaires, techniques d'élevage, activité commerciale intense et très différente de nos propres pratiques -, s'ajoute le va-et-vient des migrateurs, dont le rôle, bien qu'encore mal expliqué, est indéniable, qui font la jonction entre l'Afrique et l'Europe, et tout particulièrement la France... Autrement dit, nous avons tout intérêt, pour notre propre prévention, à lutter autant que faire se peut contre l'apparition de foyers dans ces pays. Ou alors, c'est qu'on n'a pas compris grand-chose...

Deuxièmement, les responsables que nous avons rencontrés au Sénégal et au Mali ont pris réellement conscience de la situation. Non seulement nous avons une action de prévention à conduire, mais nous avons affaire à des gens qui y sont disposés... Nous passerions à côté si nous ne leur donnions pas les moyens de le faire, ce qui, du coup, nous aidera à nous prémunir contre l'apparition de foyers supplémentaires d'infection.

M. le Président : Je suis parfaitement d'accord. La France et l'Europe jouent tout simplement leur crédibilité dans cette affaire. Si l'argent n'arrive pas rapidement sur le terrain - d'autant qu'une dizaine de millions d'euros suffirait largement pour commencer -, indépendamment de ce qui se passera sur le plan sanitaire, nous serons totalement décrédibilisés sur le plan politique et ce sera très grave pour l'avenir. Si l'endémie venait à s'installer de façon permanente dans certaines régions au monde, on ne manquera pas de rappeler que la France et l'Europe n'ont pas fait ce qu'il fallait en temps réel, tantôt à cause de procédures bureaucratiques, tantôt en raison d'égoïsmes nationaux, tantôt pour avoir fait la fine bouche sur leurs partenaires en Afrique... Nous porterons une responsabilité considérable. Il faut dénoncer les insuffisances de l'Union européenne et demander au Gouvernement français de se mobiliser dans ce sens.

M. le Rapporteur : Cela correspond à ce que nous avions constaté en Turquie voilà quinze jours : chacun, dans cette affaire, a tendance à « jouer perso ». Le gouvernement turc considère qu'il n'a pas de conseils à recevoir de l'extérieur, l'Allemagne également et j'apprends ce matin même le décès d'une fillette de neuf ans dans la province de Chine où je me trouvais il y a trois jours et dont le secrétaire général m'assurait n'avoir aucun cas humain à signaler...

Notre réunion de ce matin avait surtout pour but d'obtenir de la part de nos invités des informations précises sur les moyens de protection contre la propagation de la grippe aviaire, et notamment sur l'intérêt de la vaccination des animaux ; d'où la présence de MM. Égron et Paulet, représentants d'un laboratoire retenu par le Gouvernement pour la fourniture de vaccins animaux contre la grippe aviaire, de M. Vallat, directeur général de l'OIE, et de M. Vannier, directeur de la santé animale à l'AFSSA. Nous regrettons que l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort ne nous ait envoyé aucun représentant alors que nous l'avons sollicitée depuis quinze jours, et que l'AFP rapporte ce matin une interview assez surprenante d'une de ses professeures, qui mélange maladie animale et maladie humaine.

M. le Président : En tant que député de l'opposition, mon travail premier n'est pas de défendre systématiquement les positions du Gouvernement ! Cela dit, nous sommes tous des décideurs politiques amenés à prendre des décisions. Il y a trois mois, cette professeure dont parle le Rapporteur et avec laquelle je débattais sur une chaîne de télévision, même si elle exprimait des réticences, conseillait au Gouvernement de préparer un plan de pandémie ! On ne peut accepter de voir des responsables scientifiques se couvrir un jour en disant que le Gouvernement fait bien ce qu'il faut et expliquer le lendemain qu'il vaudrait mieux parler d'autre chose ! Cet opportunisme dans le discours n'est pas acceptable.

M. le Rapporteur : M. Vallat, vous avez déjà soulevé la question de la vaccination, qui avait donné lieu à certaines polémiques : faut-il vacciner ou pas ? Certains pays vaccinent d'emblée, d'autres, comme le nôtre, seulement lorsque les défenses sont enfoncées, selon vos propres termes. Commençons par l'aspect scientifique et virologique avant d'en venir aux aspects économiques, qu'il s'agisse du coût de l'opération ou des conséquences sur le plan commercial.

M. Bernard VALLAT : L'OIE est l'organisation mondiale de référence ; ses préconisations n'entrent pas dans le détail des politiques choisies par chaque État.

La question de l'opportunité de se préparer à une pandémie ne nous dérange pas et nous sommes très à l'aise dans ce débat. Nous avons crié haut et fort que les financements affectés au contrôle du virus chez l'animal étaient globalement insuffisants par rapport au total des ressources débloquées depuis 2004, alors même que c'est la lutte contre la grippe aviaire chez l'animal qui est l'action la plus efficace pour éviter l'apparition d'une pandémie. Pour autant, nous n'avons jamais critiqué le principe de la préparation à cette pandémie. Mais nous continuerons à réclamer davantage de ressources pour lutter contre la maladie animale, désormais présente sur trois continents. L'Australie, dont je reviens, s'y prépare : d'après leurs analyses, la probabilité d'apparition de cette souche H5N1 chez leurs oiseaux sauvages est très élevée. Le Canada et les États-Unis s'attendent également à la voir apparaître très prochainement.

M. le Rapporteur : D'où proviendrait-elle ?

M. Bernard VALLAT : Pour les Australiens, d'Indonésie ; pour les Américains, par le Nord. Les résultats de leurs analyses, assez sophistiquées, les rendent pessimistes. La probabilité est forte de voir les cinq continents bientôt infectés.

M. le Président : Personne n'est plus à l'abri.

M. Bernard VALLAT : Nous pensons que la circulation du virus chez les oiseaux sauvages ne sera que temporaire, comme cela s'est toujours produit avec les autres souches d'influenza aviaire depuis des siècles : les oiseaux sauvages finissent par s'adapter et s'en débarrasser. On ne sait pas combien de temps cela va durer, mais on sait qu'il s'agit d'un phénomène cyclique.

Sachant qu'il n'est pas possible de contrôler directement le virus sur les oiseaux sauvages, notre stratégie consiste à agir sur les oiseaux d'élevage en préconisant des stratégies de prévention et de contrôle sur les animaux élevés pour la consommation. Nous préconisons, lorsque les pays en ont les moyens, une politique de police sanitaire stricte, ce qui suppose d'avoir tous les dispositifs appropriés de détection précoce - les heures comptent lorsque le virus apparaît dans un élevage - s'appuyant sur des réseaux d'éleveurs bien formés, des vétérinaires de proximité et sur un service public fort et capable de faire appliquer les législations. Cette stratégie, incontestablement la plus efficace, doit, bien entendu, être privilégiée dans tous les pays développés.

Malheureusement, sur 167 pays membres de l'OIE, 140 sont incapables d'appliquer une telle politique... Nous sommes donc obligés d'avoir des préconisations plus nuancées à l'égard de ces pays en développement et en transition, parmi lesquels on trouvera des pays relativement riches comme la Chine ou le Brésil, mais dont le PNB par habitant reste nettement plus faible que celui des vingt-cinq pays capables de conduire une politique de police sanitaire rigoureuse, stricte et efficace. Aussi leur recommandons-nous, sitôt que leurs lignes de défense sont enfoncées - ce qui a été le cas dans tous les pays d'Asie, à l'exception de la Malaisie, du Japon et de la Corée du Sud, qui ont su arrêter la maladie avec les mesures classiques - de procéder à des vaccinations en anneau. Si, malheureusement, les anneaux eux-mêmes sont enfoncés, la seule solution devient la vaccination globale de couverture, telle que la Chine essaie de la mettre en œuvre et que le Vietnam applique très sérieusement.

Cette préconisation ne vaut évidemment qu'à titre provisoire, le but de cette politique étant de laisser au pays le temps de prendre les mesures structurelles qui lui permettront de revenir aux méthodes de police sanitaire habituellement préconisées. Ainsi le Vietnam, qui a commencé à vacciner en 2004, sera, d'ici à quelques mois, prêt à arrêter la vaccination, car il aura entre-temps pu bénéficier des ressources internationales, améliorer ses réseaux et modifier sa législation et la politique de décentralisation qu'il avait jusqu'alors appliquées. Un des grands problèmes de ces pays - le Nigeria fait figure de cas d'école - tient à l'absence de chaîne de commandement nationale : chaque province appliquant une politique différente, aucun contrôle d'ensemble efficace n'est possible dans une situation d'épizootie. Aussi nos préconisations visent-elles avant tout à permettre à ces pays de se doter des moyens d'appliquer la politique la plus efficace, c'est-à-dire l'élimination du virus par la destruction des oiseaux malades ou susceptibles d'être infectés. C'est à cela que le monde devrait arriver à échéance de quelques années si l'aide internationale est efficacement mobilisée. Et malgré les retards constatés, nous n'avons aucune raison de penser que la grosse machine de la Banque mondiale et des autres donateurs ne se mettra pas en marche.

M. le Président : Méfiez-vous de l'utilisation des doubles négations dans notre langue si subtile...

M. Bernard VALLAT : Je veux dire que le résultat final devrait être satisfaisant, en dépit des retards constatés. Ainsi, la Banque mondiale a-t-elle décidé de combiner ses fonds propres, mobilisés sous forme de prêts, avec les fonds apportés par les donateurs bilatéraux, dans des actions d'appui à des programmes nationaux, financés pour partie par des prêts, pour partie par des dons. Elle nous a chargés d'effectuer un diagnostic structurel de tous les services vétérinaires des pays bénéficiaires de façon à engager des programmes structurels de moyen terme visant à améliorer la gouvernance, qui aideront à liquider la grippe aviaire, mais également à prévenir des crises similaires à l'avenir.

M. le Président : Vous venez d'introduire la question dans sa dimension politique globale. Il nous faudra également aborder les aspects plus scientifiques, puis économiques : le coût et les conséquences. Mais peut-être conviendrait-il que M. Vannier nous fasse part sans attendre d'éléments d'ordre virologique et vaccinologique, objet de bon nombre d'interrogations de nos collègues.

M. Pierre HELLIER : Je ne voudrais surtout pas me perdre dans une double négation pour arriver à une conclusion optimiste... La détection précoce que vous appelez de vos vœux, monsieur Vallat, nécessite, d'abord et avant tout, des gants, un peu d'essence et des kits de prélèvements : c'est tout ce que nous demandons pour le Sénégal et le Mali. Les frontières entre Sénégal, Niger et Nigeria sont totalement ouvertes. Pour optimiste qu'il soit, votre discours montre qu'il y a une série d'étapes dont la complexité est très préoccupante. Franchement, nous n'avons pas le temps d'attendre.

M. le Président : Je partage ce sentiment. Il nous faudra revenir sur ce débat entre l'urgence et le moyen terme. Mais avant d'en venir à l'orientation politique, je suggère que M. Vannier nous expose rapidement l'état de la science en matière de vaccin et de vaccinologie - animale, s'entend.

M. Philippe VANNIER : Je vais essayer d'être assez pragmatique par rapport aux enjeux. Il faut d'abord comprendre que le but d'une éventuelle vaccination, à supposer qu'elle doive être mise en place, n'est pas, dans notre contexte précis européen de lutte contre l'influenza aviaire, de protéger cliniquement les animaux, mais de limiter au maximum, voire d'empêcher toute excrétion virale chez les animaux vaccinés et ensuite infectés. Là est la clé de tout, sachant que la vaccination peut poser un problème, car, la protection induite masquant les symptômes cliniques, il peut en résulter un retard dans la détection précoce et, par le fait, dans la mise en œuvre rapide des mesures de police sanitaire. L'exemple de Versailleux, où quatre cents dindes sont mortes du jour au lendemain alors que le vétérinaire n'avait remarqué aucun signe clinique le soir précédent, prouve à quel point cette souche H5N1 est hautement pathogène. Or, cette sévérité de la souche hautement pathogène est en quelque sorte un avantage, dans la mesure où la gravité des symptômes permet une détection très précoce - l'inconvénient étant la très haute contagiosité. Dès lors, un vaccin doit impérativement limiter, voire empêcher l'excrétion virale des animaux vaccinés puis infectés ; or, tous les vaccins n'ont pas d'égales propriétés dans ce domaine.

Un deuxième problème tient au grand nombre d'espèces concernées sur lesquelles un même vaccin entraînera des réactions très diverses sur le plan de l'induction d'immunité. De surcroît, l'actuel vaccin nécessite deux injections à trois ou quatre semaines d'intervalle ; et si les canards peuvent être vaccinés plus précocement que les poules et les dindes, l'immunité à peu près « solide » n'apparaît vraisemblablement que six semaines après la première injection. C'est là un sérieux inconvénient lorsque l'on intervient dans des conditions d'urgence où l'on souhaite évidemment une induction d'immunité la plus rapide possible.

Des travaux réalisés par les industriels et validés par les centres de recherche montrent que les vaccins actuels, notamment chez les canards, peuvent induire une bonne immunité, y compris au regard de l'excrétion virale. C'est là un atout, mais qui n'élimine pas pour autant les inconvénients ci-dessus mentionnés. Par ailleurs, si vaccination il doit y avoir, il faudra impérativement pouvoir distinguer les anticorps induits par le vaccin et ceux induits par le virus « sauvage ». Un grand nombre de vaccins le permettent, au niveau notamment des anticorps spécifiques de la neuraminidase : il suffit d'utiliser contre le H5N1 des vaccins H5N2 ou H5N3, dont un sérotype de neuraminidase différent permet la différenciation des anticorps induits par le vaccin ou la souche sauvage. Reste toutefois un petit problème, du fait que la technique ELISA1 pour la neuraminidase n'ayant pas été validée chez le canard, la fiabilité du test différentiel n'est pas absolue et oblige de prévoir d'autres indicateurs dans le plan de surveillance.

M. le Président : Pour parler plus simplement, un vaccin H5N2 permet normalement de faire la distinction avec les anticorps du H5N1, mais vous nous dites que ce n'est pas aussi évident pour le canard...

Pardonnez-moi de rester un peu trivial dans mes explications, mais on vaccine contre la polio avec l'espoir de faire totalement disparaître la maladie du monde des hommes. Pourquoi ne pas en faire autant contre l'influenza aviaire ? A priori, si l'on vaccine, il n'y a plus de maladie... Pourquoi la vaccination ne ferait-elle pas disparaître la maladie dans les élevages ? A-t-elle des inconvénients, en dehors du prix et des conséquences commerciales ? Autant de questions simples auxquelles il faut répondre. On vaccine déjà les poulets contre des quantités de maladies, nous disait-on il y a quinze jours, sans que le consommateur ne s'en soucie outre mesure. Pourquoi n'en fait-on pas de même pour le H5N1 ?

M. Philippe VANNIER : La réponse est dans votre question : parce que la maladie n'a aucune importance... On sait se protéger contre elle. Le problème, c'est la circulation du virus sauvage qui continuerait à être excrété, certes en plus petites quantités, par les animaux vaccinés. On sait d'ores et déjà empêcher l'excrétion virale, mais en conditions expérimentales, sur quelques volailles correctement vaccinées. Mais dès lors que l'on se met à vacciner les volailles par millions, on n'est plus du tout certain de parvenir au même niveau d'efficacité au regard de l'excrétion virale. Or, le problème n'est pas clinique, mais épidémiologique. Ce n'est pas la maladie, mais le virus qu'il faut faire disparaître.

M. le Président : Pour résumer, le vaccin n'élimine pas totalement le virus de l'animal ; parfois même, il le laisse subsister en quantités importantes dans les excrétions, problème d'autant plus sérieux qu'un canard vivant en moyenne trois mois, il ne sera pas protégé durant six semaines. Et si le virus n'arrête pas de tourner dans les élevages, il y aura toujours beaucoup de canards tués et de dégâts économiques... Est-ce ainsi, schématiquement, qu'il faut vous comprendre ?

M. Philippe VANNIER : Le problème n'est même pas celui du nombre de canards tués et des conséquences économiques, en tout cas pas dans un premier temps, mais celui de la rapidité de détection et de mise en œuvre des mesures de police sanitaire dont parlait M. Vallat. Lorsque le virus sauvage arrive dans une population d'oiseaux domestique, il faut pouvoir détecter au plus vite les premiers foyers et mettre en œuvre les mesures d'abattage. Or ce sont précisément les symptômes cliniques qui alertent en premier lieu. Si vous ne détectez pas immédiatement « l'élevage index » par ces symptômes, le premier atteint, le virus va se mettre à circuler à bas bruit, sournoisement, jusqu'au moment où l'on constatera une très forte mortalité dans quinze élevages à la fois. On s'apercevra que le virus est là ; le problème est qu'il était ailleurs, depuis bien longtemps, et qu'il s'est diffusé subrepticement. Le temps de repérer tous les élevages infectés et de procéder aux abattages, le risque de voir les défenses enfoncées se sera considérablement accru. Voilà pourquoi l'AFSSA n'a recommandé la vaccination que dans certains cas très particuliers. C'est assez difficile à expliquer, mais la situation est elle-même très complexe et la problématique ne saurait se résumer à la vaccination, particulièrement dans la Dombes et dans certains types d'élevage où bien d'autres facteurs entrent en ligne de compte : il ne faut pas oublier les spécificités de l'élevage français pour certaines espèces. Tous ces éléments sont liés et doivent être intégrés dans une stratégie à court et à long terme, ce qui nécessite un certain recul.

M. le Rapporteur : Quelles sont actuellement les préconisations de l'AFSSA en matière de vaccination ? Vous estimiez, il fut un temps, qu'elle n'était pas nécessaire, avant de revenir sur cette position.

M. le Président : La vaccination n'empêchera pas le H5N1 de circuler, mais où est le problème si tous les poulets sont vaccinés, vous dira-t-on ? C'est vraisemblablement, et vous allez nous le confirmer, que vous ne voulez pas voir la France devenir une zone d'endémie.

M. François GUILLAUME : Le problème est que cette affaire est dominée par la crainte d'une pandémie humaine, ce qui n'était pas le cas avec des épizooties comme la fièvre aphteuse, elle aussi due à un virus très contagieux, et qui a fait des dégâts considérables, mais totalement intransmissible à l'homme. Si ce risque n'existait pas, il est parfaitement clair qu'il ne faudrait pas vacciner et en rester aux classiques méthodes d'abattage - la preuve en est que c'est ce que nous avons fait pour la fièvre aphteuse, alors que la vaccination est d'autant plus intéressante que les animaux qui en étaient frappés vivent dix, voire quinze ans, alors que les volailles ont une durée de vie beaucoup plus courte, et elles ont donc une période de fragilité proportionnellement très importante. Cela est compter sans les conséquences économiques. Mon hésitation est d'autant plus grande que, comme vous le faites remarquer, à juste titre, la vaccination n'empêche pas forcément une diffusion sournoise du virus dans les élevages - d'où un risque supplémentaire pour les animaux et, pis encore, pour l'homme compte tenu des mutations possibles et redoutées chez ce virus dormant.

M. Pierre HELLIER : Je veux être sûr d'avoir bien compris. Quand on vaccine une volaille malade, on n'empêche pas l'excrétion du virus, mais lorsque l'on vaccine une volaille non malade, empêche-t-on l'apparition, et donc l'excrétion, du virus ? Si l'on vaccine un être humain, parfaitement sain, contre la grippe, il n'exprimera pas le virus...

M. Philippe VANNIER : Ce n'est pas sûr.

M. Pierre HELLIER : Autrement dit, si l'on vaccine, on empêche la maladie, mais pas forcément l'excrétion du virus ?

M. Gabriel BIANCHERI : Quelle est l'explication la plus rationnelle à ce jour à la contamination de Versailleux ? Un vétérinaire avait relevé peu de temps auparavant un épisode diarrhéique dans cet élevage. A-t-on déjà relevé des signes avant-coureurs à la mort systématique quelques heures après l'arrivée du virus ? Le H5N1 n'était-il pas présent depuis plusieurs années dans l'avifaune qui s'y serait déjà adaptée ?

M. Jérôme BIGNON : Je suis l'objet de sollicitations précises et assez pressantes des chasseurs sur la vaccination des appelants. J'aimerais avoir une réponse scientifique à leur transmettre.

M. Gérard BAPT : En masquant la maladie, la vaccination n'accroît-elle finalement pas le risque de la voir se diffuser, voir de se transmettre à l'homme ? La durée de vie de la volaille étant très brève et l'effet du vaccin retardé, ne serait-il pas intéressant de chercher à transmettre l'immunité à l'œuf ou au poussin ?

Mme Catherine GENISSON : Si j'ai bien compris, on vaccine avec du H5N2 pour différencier les anticorps vaccinaux des anticorps « maladie ». N'y a-t-il pas moyen de différencier ces différents types d'anticorps tout en vaccinant avec le virus directement intéressé ?

M. Philippe VANNIER : Il est bien entendu que je ne parle que de la panzootie - je préfère utiliser ce terme pour éviter tout amalgame malheureux - et non de la pandémie humaine, totalement hypothétique pour la bonne raison que le virus n'existe pas encore.

Faut-il vacciner ? La grippe humaine est un bon exemple. Dans le cas d'une maladie dite systémique, avec une virémie entrant dans le système sanguin, la vaccination par voie parentérale, intramusculaire, induit souvent des anticorps de nature sérique qui, la plupart du temps, bloqueront totalement la réplication au niveau du sang. Le problème est que les virus de la grippe saisonnière humaine comme de l'influenza aviaire se développent au niveau du poumon, et qu'il est très difficile d'induire par une injection parentérale une immunité locale, qui bloquera au niveau local la réplication du virus chez un patient infecté après avoir été vacciné. Celui-ci pourra continuer de ce fait à excréter de petites quantités de virus, même si elles sont diminuées.

Pour ce qui est des volailles, la question est de savoir si l'on se place au niveau de l'individu ou de la population animale, deux notions essentielles en médecine vétérinaire comme en épidémiologie. Lorsque l'on vaccine des volailles dans de bonnes conditions avec de bons vaccins, Intervet ou Fort Dodge, par exemple, les tests réalisés font état d'excellents résultats, en termes d'induction, de protection clinique et également d'excrétion virale. Malheureusement, cela doit s'entendre en conditions expérimentales ; lorsqu'il s'agit de vacciner une population animale, tout dépendra de la façon dont aura été effectuée la vaccination, souvent en urgence. Vous ne pouvez pas être certain que chaque animal sera vacciné dans les mêmes conditions, ni même que vous trouverez des opérateurs capables d'effectuer correctement l'opération : il faut compter deux journées et demie pour vacciner, individu par individu, un élevage de quelques milliers de poules. Il faut compter avec des vaccinateurs passant d'élevage en élevage, qui n'auront pas nécessairement un niveau de formation très élevé, et seront de plus exposés à des problèmes de biosécurité. Par conséquent, vous ne pouvez être assuré, lorsque vous vaccinez une population, que celle-ci aura atteint un niveau d'immunité suffisant pour bloquer totalement la diffusion du virus au sein d'un même élevage ; or c'est un élément capital au regard de la nécessité d'une détection précoce. Tous ces éléments doivent être intégrés à la stratégie de vaccination, et voilà pourquoi la réponse à la question « faut-il vacciner ou non ? » n'est pas si simple. J'y reviendrai.

Les épisodes diarrhéiques ont-ils un lien avec la grippe aviaire dans le cas de Versailleux ? Pour les poules et les dindes en tout cas - je serai plus nuancé sur les canards et j'expliquerai tout à l'heure pourquoi l'AFSSA a recommandé, dans des conditions bien précises, la vaccination des oies et des canards -, la sévérité et le haut pouvoir pathogène de cette souche - et c'est en quelque sorte un avantage - amène une expression clinique peu ambiguë et immédiatement reconnaissable par un vétérinaire ou un éleveur un peu expérimenté.

A Versailleux, le vétérinaire, au seul vu des lésions et des mortalités, a détecté une très forte probabilité de peste aviaire et prévenu sans délai les autorités sanitaires qui, sans même attendre les résultats des laboratoires, ont décidé l'abattage préventif immédiat - et à juste raison, puisqu'aucun foyer secondaire n'a été détecté pour l'instant, alors que la période d'incubation dangereuse est passée. Ce qui prouve que les décisions prises, la détection précoce et les mesures appropriées de police sanitaire ont pleinement joué.

Le H5N1 existait-il auparavant dans l'avifaune sauvage française ? Soyons clairs : le H5N1 hautement pathogène n'existait certainement pas jusqu'à ce qu'il arrive en suivant les courants migratoires. L'avis de l'AFSSA a basculé le 14 février 2006, une semaine avant que le cas de la Dombes soit détecté, au moment où l'on a appris la mort de cygnes atteints de H5N1 en Grèce et en Italie, puis l'épisode du Nigeria, même s'il est probablement sans rapport direct. Les experts ont alors estimé que la situation était passée d'un risque non aggravé à un risque aggravé - et nous ne nous sommes pas trompés de moment, puisque le premier canard porteur a été retrouvé dans la Dombes une semaine plus tard.

En revanche, on sait depuis plusieurs années que la faune sauvage est porteuse du virus H5N1 - et d'autres - non pathogène. Nous l'avons trouvé dans les plans d'épidémiosurveillance avec une prévalence assez faible de quelques pour cent - rarement plus de 3 % des échantillonnages. Le rôle des oiseaux sauvages dans le portage du H5N1, dont on doutait encore jusqu'en octobre, ne fait désormais plus aucun doute : c'est une évidence, ce qui doit nous conduire à envisager plusieurs scénarios possibles pour l'avenir, et notamment dans la région de la Dombes.

S'agissant des appelants, l'AFSSA a toujours estimé qu'ils représentaient un niveau de risque d'autant plus important qu'ils sont incontestablement au contact de la faune sauvage et que l'on n'a aucune certitude sur ce qu'ils deviennent lorsqu'ils retournent chez leurs propriétaires. Les vacciner ? Certainement pas. Je ne pourrais que conseiller d'éviter de les utiliser sous peine de cumuler les facteurs de risque dans ces zones humides.

M. le Rapporteur : À ce propos, l'eau contaminée par le virus est à l'évidence dangereuse pour les animaux. À partir de quelle concentration virale est-elle dangereuse et pendant combien de temps ? Quelle peut y être la durée de vie du virus ?

M. le Président : Présente-t-elle un risque de contamination entre espèces - chien, chat, renard, etc. ?

M. Gabriel BIANCHERI : Le H5N1 peu pathogène peut-il induire dans l'avifaune une protection contre la souche hautement pathogène ?

M. le Président : Autrement dit, serait-il vaccinant ?

M. Philippe VANNIER : Je vous apporterai les réponses - lorsque j'en ai, mais il y a beaucoup d'incertitudes - après en avoir fini avec les premières questions.

La vaccination peut-elle, en masquant le virus, favoriser une mutation qui le rendrait transmissible à l'homme ? À l'évidence non, ne serait-ce que par le fait que des vaccins efficaces entraînent une diminution, voire la suppression de l'expression virale chez les animaux vaccinés. L'homme n'a jamais été que le révélateur d'une infection enzootique du virus dans un pays, caractérisée par une énorme proportion de volailles fortement infectées. Pour que l'homme s'infecte et en meure, il faut une exposition forte et efficace, c'est-à-dire des contacts étroits et prolongés avec des volailles en nombre important excrétant de grandes quantités de virus. Si on les vaccine, l'homme en sera d'autant protégé, quand bien même le virus sauvage continuerait de circuler à bas bruit. Au demeurant, il est d'autres moyens de protection plus efficaces, à commencer par le port d'un masque quand on sait que les volailles sont infectées.

Existe-t-il d'autres techniques permettant de distinguer les anticorps post-vaccinaux des anticorps post-infectieux ? Un moyen simple, que nous avons proposé dans nos recommandations, consiste à utiliser des sentinelles pour détecter la circulation du virus sauvage plutôt que la technique sérologique, non encore totalement validée chez le canard.

Pour ce qui est de l'eau, je n'ai pas toutes les réponses. Des études scientifiques ont montré que le virus peut y persister entre plusieurs jours et plusieurs semaines, en fonction de la température - jusqu'à 105 jours à 4°...

M. le Rapporteur : Plus de trois mois...

M. Philippe VANNIER : Plus la température s'élève, plus l'inactivation est rapide ; l'ensoleillement joue également. L'eau peut donc être considérée comme dangereuse pour les animaux ; sans doute a-t-elle joué un rôle épidémiologique dans la Dombes. Cela dit, la concentration virale est-elle suffisamment forte pour contaminer pendant longtemps des oiseaux ? Je l'ignore. Canards ou chats ? Je n'en sais rien. En tout cas, tant que la situation sanitaire de la faune sauvage dans la Dombes n'est pas éclaircie, je préconiserais qu'on ne s'y baigne pas.

M. le Rapporteur : Cela ne serait-il pas une réponse possible aux chasseurs, qui présentent parfois leurs appelants comme de possibles sentinelles ? Si l'eau est infectée pendant plusieurs mois, ce n'est plus l'appelant qui est un risque, c'est l'eau.

M. Philippe VANNIER : L'appelant n'est pas une bonne sentinelle. Les anatidés sont les espèces les plus résistantes à l'infection - même si cela ne permet pas de dire qu'elles sont totalement résistantes -  par un virus sauvage, précisément de celles qui peuvent être infectées sans pour autant l'exprimer précocement par des signes cliniques suffisamment visibles.

M. Bernard VALLAT : On ne vaccine que des animaux dont on est certain qu'ils n'ont jamais été au contact du foyer primaire, jamais un animal infecté ou en incubation : c'est une règle d'or. Dans tous les pays du monde, les animaux infectés ou soupçonnés d'être en incubation sont systématiquement abattus.

Nous avons eu de longs débats avec l'OMS, à l'origine totalement opposée à toute vaccination chez l'animal au motif qu'en atténuant l'expression de la maladie, celle-ci favoriserait la diffusion de virus, candidats potentiels à la mutation ou au réassortiment et futurs vecteurs de la pandémie. Nous l'avons rapidement convaincue que lesdits candidats à la mutation se trouvaient finalement dans des pays infectés, et qu'ils seraient beaucoup plus nombreux si l'on n'y vaccinait pas... Cette position a finalement prévalu pour le Vietnam, qui a été le premier à décider une vaccination de masse. Le débat sur la dangerosité de la circulation du virus chez les animaux vaccinés a donc eu lieu.

La différenciation entre les animaux vaccinés et les animaux qui auraient survécu à l'infection par un virus sauvage est un problème essentiel, sur le plan du commerce international, pour les pays qui ont décidé de vacciner. Le canard posant effectivement des problèmes de différenciation sérologique, il a été recommandé d'utiliser des sentinelles, c'est-à-dire des oiseaux non vaccinés, marqués, bagués et maintenus dans le troupeau, et qui meurent si le virus circule.

Le problème s'est posé notamment pour les parcs zoologiques où il était hors de question d'abattre massivement des oiseaux rares et des espèces parfois en voie de disparition. Aussi, avons-nous créé, pour ce genre de situation, la notion de « compartiments », définie au niveau international, un compartiment vacciné étant réservé aux espèces rares, oiseaux d'ornements, volières particulières, etc. : il est extrêmement difficile d'aller abattre en zone infectée les oiseaux d'ornements des particuliers... On peut donc dans certains cas imaginer des politiques vaccinales, en maintenant toujours des oiseaux sentinelles non vaccinés pour détecter une éventuelle circulation du virus.

Autre point délicat à gérer dans la vaccination : le délai de consommation de l'oiseau vacciné. Outre le fait que l'animal a une durée de vie économique relativement brève, la plupart des vaccins comportent un excipient huileux réputé toxique. Or, le point d'injection intramusculaire est souvent le bréchet, autrement dit la partie de l'oiseau qui a la plus grande valeur. Il faut attendre quelquefois quatre semaines pour que l'huile se résorbe au point d'injection et nous ne saurions donc recommander la mise en consommation immédiate des oiseaux vaccinés. Tant et si bien qu'entre le délai de l'apparition de l'immunité et celui de mise en consommation, il s'écoule un grand nombre de semaines, ce qui rend la vaccination peu compatible avec l'usage économique de certaines espèces, particulièrement le poulet.

M. le Rapporteur : Cette règle du délai de consommation est-elle partout respectée, y compris en Asie ?

M. Bernard VALLAT : Le Vietnam l'avait décrétée et avait même effectué des contrôles sur les marchés ; mais on sait qu'elle n'a guère été respectée, malgré la volonté des autorités.

M. le Président : Nous avons cru comprendre que l'immunité vaccinale ne pouvait se transmettre via l'œuf et le poussin.

M. Bernard VALLAT : Non, la vaccination ne se transmet pas.

M. le Président : Ce qui répond à la question de M. Bapt.

Mme Catherine GENISSON : Pourquoi ne développez-vous pas davantage la surveillance par des oiseaux sentinelles ?

M. Philippe VANNIER : Elle est systématiquement appliquée à chaque fois que l'on vaccine. Les Landes, par exemple, ont un plan de surveillance basé sur les oiseaux sentinelles, avec prélèvements virologiques, surveillance clinique, etc.

M. le Président : M. Egron, comment les représentants du laboratoire Intervet SA voient-ils leur produit et son insertion dans le dispositif vaccinal ?

M. Louis EGRON : Je me présente : je suis Vétérinaire Responsable du laboratoire Intervet ; Pascal Paulet, également vétérinaire, est davantage homme de terrain et connaît particulièrement l'aviculture.

Nous partageons totalement l'analyse de M. Vannier. L'utilisation de nos vaccins s'inscrit dans cette démarche. J'aimerais également briser un mythe qui revient fréquemment dans des questions naïves à propos de la vaccination : celui de l'injection miracle. Cette image d'Épinal mériterait d'être oubliée. Ce n'est pas aussi facile que cela. Tout dépend du contexte économique ou encore de la promiscuité des animaux. La stratégie vaccinale ne sera pas la même en Asie du Sud-Est et en France. La science nous oblige à un peu de modestie en la matière et nous vous expliquerons dans quel cadre nous avons positionné notre produit.

En tant que laboratoire fabricant, nous n'avons clairement aucun pouvoir de décision en matière de stratégie de vaccination. Nous ne pouvons qu'apporter notre savoir-faire, dans la stratégie qui pourrait être envisagée, en fonction des caractéristiques particulières de nos produits. En revanche, nous avons été depuis quelques mois amenés à fournir et à assumer une responsabilité de moyens. Nous avons tout d'abord été contactés en novembre dernier par les autorités pour, dans un premier temps, fournir des dossiers sur les vaccins que nous commercialisons communément de par le monde et qui, jusqu'à ce jour, n'étaient pas autorisés en Europe. Ces dossiers ont été examinés par la commission d'autorisation de mise sur le marché en décembre et, par la suite, nous avons obtenu une ATVAP, c'est-à-dire une autorisation temporaire de vente aux professionnels.

Il est à noter que la vaccination contre l'influenza aviaire s'effectue dans un cadre bien précis. Notre société n'a pas le droit de vendre directement ce produit aux vétérinaires : nous devons l'adresser aux directions des services vétérinaires, uniquement à leur demande et dans certaines circonstances. Nous avons donc cette responsabilité d'approvisionnement des services vétérinaires. Nous avons également été saisis d'une demande pour la vaccination des zoos, ainsi que M. Vallat vous en a parlé - j'y reviendrai.

Est ensuite intervenue la phase d'appel d'offres où différents critères, économiques et techniques, ont été pris en compte. L'expérience de notre société, première du monde dans le domaine du vaccin aviaire, nous a permis de présenter un vaccin appelé Nobilis Influenza, avec cinq valences possibles - sachant que la seule valence retenue aujourd'hui pour la vaccination en France est la souche H5N2, pour les raisons évoquées précédemment - la proximité antigénique du H5N1 permettant une immunité croisée et la différenciation entre un animal vacciné et un animal contaminé par le H5N1. Cette phase d'appel d'offres a été finalisée le 10 février.

Nous avons été en mesure de mettre très rapidement à disposition des autorités un stock, conformément aux clauses de l'appel d'offres - ce qui n'était pas sans poser des difficultés, sachant qu'il faut compter quatre mois entre la décision de lancer la mise en production d'un lot et son arrivée sur le terrain. Il faut d'abord, en effet, produire les antigènes et les contrôler, et dans un second temps, fabriquer le produit fini et en contrôler l'efficacité. Ceci explique que les autorités françaises aient souhaité constituer un stock de sécurité, aujourd'hui en voie de constitution : dès le 21 février, l'équivalent de trois millions de doses-poule (0,5 ml par volaille) était mis à disposition.

Concomitamment a été décidée la vaccination des canards non confinés dans certaines zones humides de trois départements français. Dès réception des vaccins arrivant de notre usine de production, nous les avons expédiés, après les contrôles d'usage, pratiquement le jour même, dans trois centres de grossistes répartiteurs situés à proximité des sites d'utilisation, en l'occurrence les Landes, la Loire-Atlantique et la Vendée.

Nous avons également gardé un stock pour la vaccination des oiseaux de zoos, rendue obligatoire il y a une semaine : l'opération a déjà été initiée dans 53 zoos sur les soixante répertoriés, ce qui représente un nombre de doses évidemment très faible par comparaison avec les besoins des élevages de consommation : l'équivalent de 150 flacons, alors que nous en avons réceptionné 5 000 et que le stock de précaution prêt à l'emploi devrait normalement atteindre 30 millions de doses d'ici à la fin mars, selon l'appel d'offres.

M. le Rapporteur : L'avenir ne serait-il pas dans la production d'un vaccin buvable, qui simplifierait considérablement la tâche ?

M. Louis EGRON : Nous connaissons évidemment les limites de l'utilisation des vaccins traditionnels. Une nouvelle société du groupe a été créée en 2003 aux Pays-Bas, Nobilon, spécialisée dans la mise au point de nouvelles technologies vaccinales mixtes à usage tant humain que vétérinaire. Mais là, vous imaginez bien que nous ne raisonnons plus en mois, pour la production d'un vaccin dont le procédé est connu, mais sur plusieurs années, à un horizon que l'on peut fixer vers 2008-2010.

Une précision encore à propos des zoos : la société Intervet International a décidé de donner gratuitement ses vaccins aux zoos européens ; les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse et la France en ont déjà bénéficié.

M. François GUILLAUME : Quelles difficultés pose la mise au point d'un vaccin buvable ?

M. Pascal PAULET : On utilise fréquemment en aviculture les vaccins buvables ou respiratoires, que l'on pulvérise sur les animaux : c'est le cas notamment pour la maladie de Newcastle ou la bronchite infectieuse. Mais il s'agit de virus relativement stables, que l'on parvient à atténuer par des méthodes de culture afin d'obtenir une souche vaccinale qui ne produira plus de symptômes sur les animaux. Malheureusement, la chose est impossible avec les souches de virus influenza, par nature peu stables. Nous sommes obligés de passer par des vaccins dits classiques, où le virus est cultivé sur œuf puis tué avant d'être injecté sur les animaux, ou éventuellement par des vaccins vecteurs, qui utiliseront un autre virus comportant de petits morceaux du virus influenza. Or, ni les uns ni les autres ne peuvent être administrés autrement que par injection. Nous ne parvenons pas à trouver un virus ou une bactérie potentiellement vecteur stable et surtout efficace.

M. Pierre HELLIER : Si le virus de l'influenza aviaire est détruit par l'acidité gastrique, le vaccin le sera tout autant...

M. Pascal PAULET : On ne parviendra jamais à atténuer un virus influenza classique. Il faudra passer par un virus ou une bactérie vecteur, autrement dit un OGM, pour parler clair, éventuellement des plantes, qui exprimeront certains éléments du virus H5N1 et que l'on administrera, par ingestion ou par pulvérisation, aux animaux. Il est hors de question, en l'état des connaissances actuelles, d'atténuer le virus de base pour l'administrer à l'animal qui multiplierait le virus vaccinal au risque de le voir redevenir potentiellement dangereux. On peut faire inhaler un vaccin par l'animal, au moyen d'un simple pulvérisateur de jardin : c'est une technique classiquement utilisée pour vacciner les poulets contre la bronchite infectieuse ou la maladie de Newcastle.

M. le Président : Monsieur Vannier, introduisez le débat sur la politique vaccinale française.

M. Philippe VANNIER : Je rappellerai, d'abord, que l'AFSSA n'a qu'un rôle d'analyse du risque ; la décision relève du gestionnaire. Je ne voudrais pas outrepasser la mission de l'AFSSA et mon rôle particulier. Je peux en revanche planter le décor, sachant qu'interviennent des enjeux de type économique qui ne relèvent pas de l'analyse du risque, mais qui n'en devront pas moins être pris en compte par le gestionnaire dans la décision politique. Cela dit, quelle que soit la stratégie présente ou à venir, la France devra, à mon sens, préserver son statut indemne d'influenza aviaire, quand bien même il est clair que certaines zones pourront être infectées notamment par la faune sauvage.

Des experts se sont réunis hier et se retrouveront encore vendredi pour formuler un avis sur ce problème très compliqué de la vaccination.

M. le Président : À quel niveau ?

M. Philippe VANNIER : Celui de l'AFSSA : le ministre de l'agriculture nous a demandé une analyse du risque dans la perspective d'une évolution possible des mesures incluant une stratégie limitée de vaccination. Je ne peux évidemment anticiper sur nos conclusions.

Il m'est toutefois possible de m'appuyer dans mes explications sur deux situations précises, celle des Landes et celle, beaucoup plus préoccupante, de la Dombes. On peut malheureusement craindre que la situation épidémiologique ne se complique davantage au cours des semaines à venir et que le virus soit identifié dans d'autres régions de France et d'Europe, comme cela vient d'être le cas dans les Bouches-du-Rhône. Même si l'on ne peut pas savoir où, il faut garder à l'esprit que la probabilité est en tout cas assez élevée.

M. le Président : Et la probabilité, au vu de l'affaire de la Dombes, de voir un élevage français à nouveau touché ?

M. Philippe VANNIER : Les services vétérinaires français sont bien structurés : le cas de Versailleux montre bien que la situation n'a rien à voir avec la situation en Asie du Sud-Est et en Afrique. C'est un élément très positif. Notre système d'alerte et de vigilance et nos laboratoires sont parfaitement opérationnels ; nous avons tout lieu d'avoir confiance dans notre dispositif de police sanitaire. En revanche, nous aurons beaucoup à apprendre, presque au jour le jour, au fur et à mesure des événements épidémiologiques, notamment dans la faune sauvage. Nous ne savons pas tout, nous ne pouvons pas tout deviner et, surtout, nous devrons nous adapter à la complexité de la situation épidémiologique, dans la Dombes et ailleurs.

Pour ce qui est de la Dombes, nous sommes surtout face à l'incertitude. M. Vallat a parlé de l'élimination du virus pathogène dans la faune sauvage ; j'aimerais être aussi optimiste que lui... Peut-être a-t-il raison, mais deux situations totalement différentes doivent être prises en compte.

On sait, dans le cas d'autres espèces animales, et lorsque la faune sauvage est stable, que lorsqu'une souche est très pathogène, ou bien elle tue, ou bien elle immunise : dans un cas comme dans l'autre, elle se stérilise progressivement. De nombreux exemples montrent que, de ce point de vue, son pouvoir hautement pathogène est plutôt un atout qu'un inconvénient.

Il en va tout autrement lorsque la faune sauvage n'est pas stable, c'est-à-dire lorsqu'il y a des intrants et des sortants. La chose est beaucoup plus compliquée, car il suffit que le réservoir demeure pendant quelques semaines à quelques mois pour que les intrants se recontaminent et regénèrent par leurs excrétions une source nouvelle de virus. La dynamique des populations et leurs interactions compliquent extraordinairement la relation hôte-virus, au point que je suis incapable de dire ce qui va se passer dans la Dombes : les semaines à venir nous diront, de l'optimiste ou du pessimiste, quel scénario prévaudra. Cela a une implication forte. J'ai ici une carte de la Dombes, assez révélatrice en termes à la fois de densité d'élevages et de densité de zones humides. Dans le cas du scénario optimiste, celui d'une stabilisation d'ici à quelques mois dans cette région, nous aurons tout de même à passer une phase très critique, due au fait que les éleveurs de la Bresse, un peu plus au Sud, ne pourront pas confiner leurs volailles ad vitam aeternam, sauf à arrêter la production de poulets de Bresse. De deux choses l'une : ou l'on arrête la production, ou l'on confine.

M. Pierre HELLIER : Ou l'on vaccine...

M. Philippe VANNIER : Si l'on n'arrête pas la production, les éleveurs seront obligés de sortir leurs volailles dès avril-mai, parce qu'elles auront pris du poids : là encore, deux scénarios sont possibles.

Ou bien l'on prend délibérément le risque, en les exposant à des contacts avec la faune sauvage, de voir apparaître, de temps en temps, des foyers étalés dans le temps. On peut prendre ce risque, mais on s'en remet alors au hasard. Cette option politique, au demeurant parfaitement envisageable, peut toutefois être lourde de conséquences commerciales pour tout le pays : vues du Japon ou des États-Unis, la Dombes et la France, c'est pareil, et l'on aura tôt fait d'assimiler un produit sortant de France à un produit infecté. Cela est naturellement faux, et les efforts de l'OIE sur la compartimentation ou de l'Union européenne sur la régionalisation, s'ils sont très utiles pour l'avenir, ne sont pas forcément bien assimilés au niveau des transactions commerciales.

Ou alors, on refuse de s'en remettre au hasard au moment de la sortie, inéluctable, des volailles de leur confinement et l'on décide de vacciner pour essayer de maîtriser, durant une période limitée et sur une population elle aussi limitée, la circulation du virus. Mais cette option elle aussi a un prix : le risque de passer à côté d'une détection précoce, malgré le plan de surveillance et les sentinelles, de se retrouver avec plus d'un élevage infecté et contraint de subir des mesures de police sanitaire beaucoup plus drastiques -  et sur une zone bien plus étendue. Cela pèsera d'autant plus lourdement sur la commercialisation des volailles.

Je ne peux vous en dire davantage, car tout dépendra des conditions de vaccination et d'anticipation. Si les politiques décident de ne pas vacciner et que la situation échappe à toute maîtrise, on aura beau jeu de leur reprocher de n'avoir pas anticipé. Les semaines à venir seront capitales du point de vue de la compréhension de ce qui se passera dans la faune sauvage, notamment la période du 15 mars au 15 mai, qui verra le retour des passereaux, dont plusieurs publications chinoises ont montré que certaines espèces pourraient être porteuses du H5N1 hautement pathogène... Nous aurons beaucoup à apprendre de l'avenir afin de nous adapter, mais jusqu'où doit aller le degré d'anticipation ? Différents risques doivent être pris en compte, auxquels correspondent plusieurs scénarios, des plus pessimistes aux plus optimistes. La réponse n'est pas facile à donner et je regrette de ne pas pouvoir être plus péremptoire.

M. le Président : Ce que vous venez de dire pour la Dombes pourrait donc se produire dans d'autres zones humides françaises, qu'il serait utile de localiser.

M. Philippe VANNIER : Pas forcément. La Dombes a quelque chose de très spécifique : outre son statut d'AOC...

M. le Président : Mais le poulet de Saint-Sever dans les Landes doit être à peu près dans ce cas ! Sans parler des élevages de canards. La Loire-Atlantique également doit faire du canard, puisque je me suis laissé dire que la Bretagne produisait désormais du foie gras ! Les scénarios ne sont potentiellement pas très éloignés...

M. Philippe VANNIER. Vous avez raison, à ceci près que les structures de bâtiments en Loire-Atlantique et en Vendée autorisent davantage le confinement que dans les Landes où la chose est impossible. Il faudra, du reste, en tirer des leçons en termes d'évolution de la structuration. Je ne veux pas dire qu'il faille développer certains types d'élevage par rapport à d'autres, mais seulement que les structures d'élevage devront évoluer en fonction de ce risque qui, ne nous leurrons pas, va devenir permanent.

M. le Président : Je suis d'accord avec vous. Mais ne peut-on pas inventer un semi-confinement à l'aide de filets par exemple ?

M. Philippe VANNIER : On doit pouvoir inventer des systèmes qui permettent de remédier, pendant un laps de temps assez court, à un certain nombre de risques.

M. le Rapporteur : La décision de confinement avait été assortie d'une date, fixée au 31 mai 2006. Est-ce toujours d'actualité ?

M. Philippe VANNIER : Là encore, tout dépendra de la situation épidémiologique et de la pérennisation du virus dans les zones actuellement infectées - Dombes, Bouches-du-Rhône et dans d'autres zones possibles. D'où ce que je disais de la nécessité absolue de s'adapter et, en fonction de la situation, de mettre fin aux mesures ou, à l'inverse, de les prolonger. Mais pour l'instant, je suis incapable de me prononcer.

M. le Président. Monsieur Vallat, vous sembliez, dans une interview donnée voilà une dizaine de jours, prendre une certaine distance vis-à-vis de la position française. Pouvez-vous nous dire où vous en êtes sur ces questions ? Nous avons bien compris le schéma général défendu par l'OIE. S'agissait-il, en l'occurrence, d'un rappel à l'ordre que vous étiez plus ou moins tenu de faire en tant que responsable d'une organisation qui a des préoccupations à l'échalon mondial, ou avez-vous des appréhensions précises vis-à-vis de la situation française ?

M. Bernard VALLAT : Nous sommes face à un problème extrêmement complexe et j'appuie totalement les positions prises par Philippe Vannier. La circulation du virus dans la faune sauvage est cyclique, ai-je dit tout à l'heure ; mais nul ne sait si ce cycle sera de plusieurs mois ou de plusieurs années - je pencherais pour plusieurs années...

M. le Président : Moi aussi...

M. Bernard VALLAT : Les mesures dont nous discuterons maintenant resteront pertinentes pendant bon nombre de mois, si ce n'est bon nombre d'années. Je ne vous livre pas une position personnelle mais celle de notre organisation, assise sur les appréciations de notre réseau mondial d'experts : pour eux, un pays qui vaccine n'a pas confiance dans ses services vétérinaires. Il envoie de ce fait un signal de non-préparation. C'est pourquoi nous recommandons à tous les pays du monde de se constituer un stock stratégique de vaccins pour le cas où cela tournerait mal ; mais nous ne préconisons pas aux pays disposant de services vétérinaires comme ceux de la France de vacciner. C'est là, effectivement, une position de fond...

M. le Président : De doctrine...

M. Bernard VALLAT : ...dont je ne peux, en tant que représentant de l'OIE, me départir en approuvant la demande d'un pays, dont je m'efforce par ailleurs de promouvoir le modèle au niveau mondial, de déroger en matière de vaccination. Du reste, deux pays seulement sur les vingt-cinq de l'Union ont proposé des plans de vaccination ; les autres sont restés sur une position beaucoup plus attentiste, de crainte d'envoyer un signal négatif s'ils avaient présenté une demande. L'attitude des Pays-Bas s'explique par l'énorme traumatisme de 2003 - pratiquement trente millions de poulets avaient dû être abattus - qu'ils ne veulent revivre à aucun prix.

Les méthodes alternatives de confinement, filets et autres, que vous avez évoquées ont un coût certain. Il faut d'abord trouver les formules, puis conduire une analyse de risques en calculant le coût-bénéfice de certains investissements. Je suis persuadé que, tant que cette épée de Damoclès restera au-dessus de nos têtes, la solution sera à chercher du côté de ce type de structures, et non dans la vaccination. Il ne faut pas non plus oublier les conséquences sur notre politique d'exportations, notamment au sein de l'Union européenne, qu'il faudra soigneusement analyser. Plus nous vaccinerons, plus nous aliènerons notre potentiel à l'exportation. Une certaine méfiance s'installera vis-à-vis de la France, alors que la confiance est précisément un facteur essentiel dans les décisions d'importation. Certes, les normes de l'OIE sont intégralement reprises dans les directives européennes ; une région qui recourt à la vaccination peut théoriquement continuer à exporter, mais à la condition de démontrer qu'elle dispose d'un système de surveillance capable de garantir l'absence totale de circulation du virus dans la population vaccinée. Mais une fois cela écrit, les pays font ce qu'ils veulent : ils sont parfaitement en droit d'envoyer une mission pour aller vérifier si le système de surveillance est efficace. Il n'est pas bien difficile de trouver une faille dans un système de surveillance et les fraudes sont difficiles à maîtriser. Les précédents ne manquent pas : on s'est rapidement aperçu dans certains pays que la bague d'un oiseau sentinelle mort avait tôt fait de se retrouver à la patte d'un remplaçant ! D'où la grande prudence de mon organisation vis-à-vis de la vaccination dans des pays où les cas de contamination se retrouvent seulement dans la faune sauvage, et pratiquement pas dans les élevages domestiques. Même la Roumanie, où l'on retrouve dans la vallée du Danube un système comparable à la Dombes, ne s'est pas encore résolue, officiellement du moins, à appliquer la vaccination alors que l'on y compte des dizaines de foyers d'infection.

M. le Rapporteur : La question peut également se poser pour la Turquie, où l'on compte tout de même plus d'une centaine de foyers : les Turcs font du confinement, ou tout au moins le prétendent-ils, mais refusent de passer à la vaccination au motif qu'ils attendent une décision de votre part...

M. Bernard Vallat : Pour la Turquie, nous avons clairement et expressément préconisé la vaccination dès que la maladie a commencé à flamber dans tout le pays. Le ministre a demandé un sursis de deux mois, le temps de maîtriser la situation ; apparemment, cela va mieux et ils ont décidé de ne pas vacciner. Mais la situation avait été suffisamment grave pour que nous préconisions la vaccination en anneau dans les régions où les foyers étaient localisés mais assez concentrés, et la vaccination par provinces entières à partir du moment où un certain nombre de foyers étaient recensés dans une même province.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de cette publication de l'Académie des sciences des États-Unis, reprise par le South China Morning Post ? Une vingtaine de chercheurs chinois et américains se sont penchés sur la vie et l'histoire du H5N1 - dont on apprend au passage qu'il sévit de manière endémique en Chine depuis une dizaine d'années sans que nous en ayons été particulièrement informés, et vous pas davantage, ce qui nous ramène à la question, majeure, de l'ingérence sanitaire... Ils auraient également mis en évidence l'apparition de sous-branches de virus H5N1, de sorte que les vaccins seraient souvent totalement inopérants et masqueraient les phénomènes de mutation virale, ce qui expliquerait l'apparition d'une souche hautement pathogène au lac Qinhai, à l'origine de la migration sibéro-européenne de l'épizootie. Cette étude, réalisée par des équipes installées à Hong Kong, est non seulement extrêmement critique à l'égard de la politique menée par la Chine, sur le plan historique et pratique, mais elle laisse planer un doute profond sur l'efficacité des vaccins. En avez-vous eu connaissance ? Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard VALLAT : On sait qu'une souche assez proche de l'actuel H5N1 a effectivement circulé à bas bruit à partir de 1997 et l'on comprend mal pourquoi elle n'a explosé qu'à la fin 2003. Plusieurs hypothèses sont possibles : on sait que ce virus comporte huit gènes pouvant induire des comportements très différents. Certains H5N1 sont faiblement pathogènes : ce n'est donc pas dans le H ni dans le N que leurs caractéristiques pathogènes s'expriment, mais dans d'autres composantes de leur patrimoine génétique.

On peut aussi imaginer que la faune sauvage s'infecte à partir de la faune domestique, dans laquelle le virus avait jusqu'alors circulé à bas bruit, et serve de vecteur efficace dans certaines conditions. N'oublions pas pour autant que la transmission du virus par les facteurs dits commerciaux, mouvements d'animaux vivants et de produits, est autrement plus efficace que par le biais des oiseaux sauvages... D'où un schéma complexe de contagions croisées.

Si nous donnons la priorité à l'éradication du virus chez les oiseaux domestiques, c'est que nous faisons le pari que le phénomène chez les oiseaux sauvages sera cyclique - à ceci près que nous ne connaissons pas la longueur du cycle, qui pourrait durer plusieurs années. Au moins sommes-nous sûrs, en l'éradiquant chez l'oiseau d'élevage, d'arrêter tôt ou tard le problème. La vaccination est un outil extrêmement utile dans certaines situations, mais un outil provisoire.

M. le Président : Mais cette étude semble remettre en cause son utilisation, y compris en terrain endémique - et s'il en est un, c'est bien la Chine, contrairement à ce qu'ils disent... Or non seulement le vaccin sur ce terrain n'éteindrait pas l'incendie, mais il « travaillerait la bête » pour la faire évoluer !

M. Bernard VALLAT : Lorsqu'un pays compte des centaines, voire des milliers de foyers, le seul moyen d'éteindre l'incendie est de faire une vaccination de couverture, à condition de l'arrêter le plus vite possible et de revenir aux bonnes vieilles méthodes. La qualité des vaccins est évidemment essentielle : on sait que certaines productions de vaccins n'étaient pas sous le contrôle du gouvernement chinois, ce qui a probablement posé des problèmes non seulement en Chine, mais dans certains pays voisins. Cela dit, la Chine fait, depuis deux ans, de gros efforts de transparence et de contrôle des vaccins, mettant un terme à une période noire très préjudiciable.

M. le Président : Vous n'êtes pas que vétérinaire : vous êtes aussi légèrement diplomate !

M. le Rapporteur : Tout est dans le « légèrement » !

M. Pascal PAULET : Hong Kong, qui vaccine depuis 2003 à titre systématique avec des vaccins Intervet, est resté indemne. C'est donc que ces gens connaissent bien les différences de qualité entre différents vaccins et ce que l'on peut en attendre lorsqu'ils sont correctement produits. Quelques-uns de nos chercheurs ont réussi à recultiver des souches influenza à partir de vaccins a priori inactivés qu'ils avaient achetés en Chine... D'où le risque, évoqué par M. Vallat, d'une dissémination du virus par des vaccins mal inactivés.

M. le Président : Autrement dit, par des virus mal tués.

M. le Rapporteur : Un de ces chercheurs m'a confié à Hong-Kong : « Nous allons publier dans quelques jours quelque chose qui fera du bruit dans notre pays... ». C'était cet article.

M. Louis EGRON : Je me dois d'apporter quelques corrections à propos du site d'injection et du délai d'attente, ainsi que vous le verrez dans le RCP2 entériné par l'administration française, sachant que nos développeurs apportent jour après jour des éléments complémentaires. Globalement, le temps d'attente est de zéro jour, car il n'y a aucun risque à vacciner un animal. Quelle que soit la pathologie, il faut dire haut et fort à l'adresse du grand public, qui parfois se pose des questions surprenantes, que la vaccination est une bonne chose. Nous avons le privilège d'avoir lancé un vaccin contre la salmonellose, autre enzootie potentielle, qui contribue grandement à assainir la situation dans les élevages avicoles...

M. le Président : Nous sommes tous ici conscient de l'utilité des vaccins sur le plan sanitaire. Mais votre exemple de la salmonellose me fait immédiatement revenir au réflexe suivant : pourquoi ne vaccine-t-on pas tout le monde tout de suite et tout le temps ? Or ce n'est pas ce que vous proposez car, vous-même l'avez dit, c'est un peu plus compliqué que cela... Je ne veux pas donner de leçons de communication - nous avons tous à apprendre dans ce domaine -, mais faisons attention à nos comparaisons. La problématique de la vaccination n'est pas la même selon qu'il s'agit du H5N1 ou de la salmonellose.

M. Louis EGRON : Tout à fait. Reste que nous sommes face à un grave problème de communication, du fait de la non-information, de la désinformation ou de l'excès d'information dans le but de faire du catastrophisme. C'est regrettable.

S'agissant de l'administration proprement dite du produit, le RCP mentionne la présence d'un excipient qui laisse localement des traces, à tel point qu'il est fait état des précautions d'utilisation à prendre par les manipulateurs amenés à vacciner des milliers de volailles. En tant que responsable de pharmacovigilance, j'ai dix cas par an de vaccinateurs chevronnés qui se piquent malencontreusement au doigt, au pouce ou à la main... Le produit peut certes être administré par voie intramusculaire au niveau du bréchet, mais nous préconisons plutôt la voie sous-cutanée qui n'entraîne pas les mêmes réactions locales. Compte tenu du délai de mise en place de l'immunité, ce produit est plutôt destiné à des animaux à durée de vie un peu plus longue, reproducteurs ou pondeuses, par exemple. L'immunité acquise en deux injections donnera une protection pour pratiquement un an, ce qui laisse une marge de sécurité confortable. Pour ce qui est enfin de l'impact sur les œufs, nous travaillons à apporter des compléments d'information afin d'obtenir une AMM complète. On connaît les conditions d'obtention d'une AMM en Europe, particulièrement sévères au regard de celles d'autres pays. Chaque jour, nous apportons des éléments supplémentaires, ce qui explique que nous n'ayons pour l'instant qu'une autorisation temporaire.

M. Gérard BAPT : Nous sommes confrontés à un problème de gestion de l'information, c'est-à-dire de prévention de la panique. J'ai appris, en regardant la télévision, que les refuges SPA étaient surchargés de chats... M. Vallat assurait dans son interview que les oiseaux terrestres n'étaient pas concernés, alors que M. Vannier a parlé d'études chinoises montrant que les passereaux pourraient l'être... Chacun sait comment nos étourneaux se répandent dans les villes, colonisent les arbres, salissent les voitures : une attention particulière s'impose dans les déclarations si l'on veut gérer l'information et prévenir la panique !

M. le Président : Dites-nous en davantage sur les pigeons... En tant que député de Paris, je sais que le pigeon y est assez présent, à défaut d'être utile. Lorsque je réponds au maire de Paris que le pigeon n'est pas touché, j'aimerais en être sûr, surtout lorsqu'on apprend quinze jours plus tard que des pigeons sont infectés en Turquie ! Il risque d'y avoir un problème de crédibilité. Je crois à la transparence, premièrement parce que nous sommes en démocratie, deuxièmement parce nous avons tendance à croire que nos concitoyens sont des gens responsables, d'autant que nous avons été élus par eux...

M. Philippe VANNIER : L'AFSSA a rendu un avis sur les pigeons, qu'ils soient de ville ou ruraux. Jusqu'à présent, le pigeon était considéré comme hautement résistant au virus de l'influenza aviaire ; des infections expérimentales l'ont démontré. Toutefois, les mortalités observées dans certains pays montrent qu'il est sensible à cette souche H5N1, mais avec un degré de résistance nettement supérieur à celui des dindes, des poules et autres espèces.

M. le Président : Il ne développe peut-être pas les symptômes cliniques, mais est-il excréteur ? Si j'ai bien suivi votre logique, l'excrétion est plus dangereuse que l'expression... et l'excrétion est une caractéristique bien connue du pigeon parisien !

M. Philippe VANNIER : Tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Les expérimentations ont montré que des pigeons inoculés n'étaient pas excréteurs. Cependant, à partir du moment où ils en meurent, ils en sont vraisemblablement excréteurs. Plus généralement, qu'entend-on par résistance ? Si vous inoculez cent poules avec le H5N1 hautement pathogène, vous les tuerez toutes très vite. Si vous inoculez cent canards, soixante-quinze mourront, mais vingt-cinq survivront et deviendront excréteurs pendant plusieurs semaines, ce qui sera dangereux. Si vous inoculez cent pigeons, les essais laissent à penser que quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pourraient non seulement ne pas exprimer de signes cliniques, mais également ne pas excréter, ce qui, en termes épidémiologiques, est important. Mais une petite proportion pourra mourir...

M. le Président : Et excréter.

M. Philippe VANNIER : Compte tenu du caractère hautement pathogène du virus, on peut penser qu'ils ne seront pas dangereux : mourant rapidement, ils n'excrèteront que pendant un temps très bref. Or, c'est l'excrétion longue qui est importante sur le plan épidémiologique. Ce n'est évidemment qu'une image et il n'y a pas de réponse absolue : le pigeon avait toujours été considéré comme très résistant, y compris en termes d'excrétion, mais on s'est aperçu, à la lumière des événements récents, qu'il pouvait mourir du H5N1.

M. le Président : Qu'est-ce qui change dans notre analyse ? Est-ce le virus qui bouge ou notre connaissance qui s'approfondit ? Quel est le degré d'incertitude ?

M. Philippe VANNIER : Le virus a certes connu quelques phases de petite mutation. depuis 1996, le génotype Z de Quinhai est devenu prédominant, avec une rupture probablement vers 2002-2003. Depuis, il semble relativement stable, mais des génotypes prennent le pas sur d'autres. En revanche, nos connaissances sur cette souche hautement pathogène s'accroissent tous les jours, et nous en apprendrons encore beaucoup. Une part d'incertitude demeure : nous ne savons pas tout, notamment sur l'évolution de la situation épidémiologique, qu'il s'agisse de la faune sauvage, des mouvements d'animaux et surtout de la globalisation récente d'un phénomène jusqu'alors relativement localisé, certes dans une large zone, en Asie du Sud-Est. Mais ce virus peut aussi évoluer dans les mois ou les années à venir.

M. le Président : Monsieur Vallat, l'Australie et les États-Unis craignent-ils de devenir des zones endémiques, ou simplement des zones touchées ?

M. Bernard VALLAT : Ils craignent pour leur faune sauvage ; ils ont déjà prévu de confiner leurs élevages à risque et de constituer des stocks stratégiques de vaccins, comme cela est partout préconisé.

Les faits expérimentaux qualifiaient effectivement le pigeon d'animal très résistant à la grippe aviaire. La position que j'ai prise est seulement basée sur des faits épidémiologiques : alors que nous avons connu une infection massive en Asie, particulièrement dans les villes au niveau des petits élevages intra- et périurbains, le nombre de cas d'infection de pigeons a été minime. Ce qui m'amène à dire qu'il faut être moins pessimiste sur la gestion de la maladie sur le pigeon que sur d'autres espèces, et sur le risque pour les urbains amenés à côtoyer les pigeons des villes. On a, certes, relevé quelques cas, mais force est de constater que cette population n'est pas massivement sensible au virus ; c'est plutôt rassurant. Les recommandations déconseillant le nourrissage me semblent suffisantes pour protéger les populations, compte tenu, de surcroît, de la très faible capacité de cette souche virale à infecter les humains.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

1 Le test ELISA (acronyme de Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay - essai d'un immunosorbent lié aux enzymes) est un test immunologique destiné à détecter et/ou doser une protéine dans un liquide biologique.

2 Résumé des Caractéristiques du Produit.


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