Mercredi 15 mars 2006

- Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne MOSNIER et de M. Jean-Marie COHEN, coordinateurs du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG)

(Compte rendu de la réunion du mercredi 15 mars 2006)

Présidence de Mme Bérangère POLETTI, Vice-présidente,

puis de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

Mme la Présidente : Les Groupes régionaux d'observation de la grippe, les GROG, constituent un réseau de médecins libéraux très utile dans l'analyse du phénomène de la grippe ; ils interviennent aussi dans d'autres domaines de la santé publique relevant plus de la médecine libérale que de la médecine hospitalière. Aussi est-il intéressant pour la mission de vous entendre sur le fonctionnement de ce réseau. Comment appréhendez-vous la menace de pandémie de grippe aviaire en termes d'alerte ?

M. Jean-Marie COHEN : Anne Mosnier et moi-même sommes médecins généralistes de formation et avons une fonction très précise : nous coordonnons l'ensemble des GROG, ce réseau de réseaux, la lettre « R » correspondant aux régions INSEE.

Je voudrais, en vous décrivant ce réseau, vous convaincre que les soignants des premières lignes de soin, notamment les médecins de ville ou ruraux et les pharmaciens, jouent un rôle essentiel dans la surveillance et le traitement de la grippe. C'est un réseau créé par les acteurs des premières lignes de soins, et pour eux. Les GROG ont été créés en 1984 par le professeur Claude Hannoun, en liaison avec l'Institut Pasteur, afin de constituer un réseau d'alerte et de surveillance de la grippe, maladie qui doit être surveillée, car elle est épidémique et surtout imprévisible. Il est actuellement beaucoup question de grippe aviaire mais rien ne prouve que celle-ci sera responsable de la prochaine pandémie grippale : il faut se montrer vigilants face à tous les virus grippaux émergents, y compris les plus discrets, et aussi trouver une autre appellation pour la grippe pandémique humaine, l'usage de l'expression « grippe aviaire » entraînant une confusion avec la maladie animale. La grippe est imprévisible, mais elle est cependant bien connue des soignants de première ligne, car c'est une maladie virale communautaire, qui amène les patients à consulter les pharmaciens et les médecins de ville dans un premier temps ; la proportion des grippés hospitalisés, pendant les épidémies saisonnières, est, en effet, inférieure à 0,5 %. Ceux qui ont l'expertise de la grippe saisonnière, ce sont les médecins de ville et les pharmaciens

L'organisation des GROG, au départ, était originale. D'abord, nous nous sommes appuyés sur une infrastructure régionale, ce qui, à l'époque, était inédit. Ensuite, le principe fondateur était de créer un circuit direct entre les soignants de première ligne et les virologues les plus pointus d'Europe. Le professeur Claude Hannoun était « Monsieur grippe ». Notre réseau est pluridisciplinaire : il associe des généralistes, des pédiatres, des médecins militaires, des pharmaciens d'officines, des grossistes répartiteurs, des entreprises vigies... Ce maillage extrêmement diversifié nous permet de savoir ce qui se passe, quelle que soit l'ampleur du phénomène. Les vigies sont réparties dans toute la France avec une coordination région par région ou une coordination transversale à la fois pour l'armée, avec le Système militaire d'observation de la grippe, le SMOG, et pour les grossistes répartiteurs qui sont organisés nationalement.

M. Jean-Marie LE GUEN : À partir de quels éléments les grossistes répartiteurs peuvent-ils participer à l'alerte ?

M. Jean-Marie COHEN : Ils ne font pas de prélèvements biologiques mais ils surveillent un panel de médicaments dit « médicaments vigie » sélectionnés, comme le paracétamol et quelques antibiotiques, comme le Clamoxyl® injectable, peu utilisé en dehors des épidémies de grippe.

Mme Anne MOSNIER : Ces médicaments constituent davantage des indicateurs d'impact en cas de phénomène épidémique émergent que d' alerte.

M. Jean-Marie COHEN : Ce réseau, outre la surveillance des gens grippés, a pour particularité d'effectuer des prélèvements rhinopharyngés, qui sont envoyés aux centres de référence pour la grippe, à savoir l'Institut Pasteur à Paris et les Hospices civils à Lyon. L'efficacité du réseau repose sur cette double compétence : mesures d'impact et du nombre de cas et prélèvements.

Depuis vingt-deux ans, les vigies des GROG apportent une importante contribution à la connaissance des épidémies virales respiratoires et d'autres maladies. C'est une expertise qui fonctionne, comme les petites rivières font les grands fleuves : les petites connaissances, accumulées jour après jour, finissent par aboutir à une grande expertise. Le modèle GROG est devenu le standard européen puisque son principe a inspiré le réseau European Influenza Surveillance Scheme, EISS. Les GROG représentent la France au sein de EISS, de VIRGIL, réseau chargé de l'étude de la résistance aux antiviraux, et d'EUROGROG, réseau qui draine l'information sur la grippe au-delà de l'Oural, c'est-à-dire y compris sur toute la zone russe.

M. Jean-Marie LE GUEN : Au plan épidémiologique, existe-t-il un effet « frontières » ou vous attachez-vous à fonctionner en réseau européen ?

M. Jean-Marie COHEN : La grippe, à l'instar du nuage de Tchernobyl, ne s'arrête pas aux frontières. L'effet « frontières » perturbe en revanche considérablement l'observation de la grippe, qui dépend de l'organisation du système de soins. Dans certains pays européens, les médecins inscrivent obligatoirement leurs patients sur une liste, et l'on peut donc calculer le nombre de patients par médecin. En France, cela deviendra théoriquement possible avec l'institution du médecin traitant. Afin d'échapper aux particularités sanitaires nationales, nous préparons actuellement un système de calcul avec une cartographie pour toute l'Europe.

Je voudrais vous faire passer un deuxième message, qui est que les GROG sont un outil éminemment adaptable. Nos médecins et pharmaciens vigies sont habitués à la réactivité parce qu'ils sont très curieux et qu'ils posent donc les vraies questions et parce qu'ils observent et alertent spontanément. C'est ainsi que les médecins du GROG ont participé à la lutte contre le SRAS et se retrouvent souvent dans la gestion des situations d'alerte, même quand celles-ci n'ont rien à voir avec la grippe, comme la lutte contre le dopage ou des situations d'alerte infectieuse. Les membres des GROG ont également une capacité de relais et de renfort de l'information publique : cela a été très net dans les campagnes visant à un usage plus raisonnable des antibiotiques. Le rôle des GROG a été dans cette affaire très utile car les messages télévisés laissent toujours subsister des doutes dans l'opinion publique ; quand le médecin de ville les relaie, il les crédibilise et les personnalise.

L'outil des GROG est aussi évolutif : en cas de crise, il est en mesure de se renforcer sur une zone donnée. Encourager les médecins généralistes et les soignants de ville à participer à des réseaux de ce type est essentiel pour accompagner les autorités de santé sur le terrain.

M. Jean-Marie LE GUEN : Avez-vous des services d'urgences dans vos réseaux ?

M. Jean-Marie COHEN : Toutes les associations SOS-Médecins et quelques autres associations de médecins d'urgence participent aux GROG depuis qu'ils existent, mais les services d'urgences hospitalières y participent peu.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Comment s'articule le travail des médecins libéraux et des médecins hospitaliers ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Comment recrutez-vous ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous constituons, région par région, un échantillon représentatif de médecins généralistes et de pédiatres en fonction de l'âge, du sexe et du département, avec un panachage entre ville et campagne. Nous associons systématiquement tous les laboratoires de virologie hospitalière et nous avons donc connaissance des souches prélevées à l'hôpital. Le réseau de services hospitaliers d'urgence est directement coordonné par l'Institut de veille sanitaire, l'InVS, avec lequel les GROG sont conventionnés. En revanche, les médecins urgentistes de ville sont coordonnés directement par les GROG.

Mme la Présidente : Contactez-vous les médecins pour leur demander de se porter volontaires ?

M. Jean-Marie COHEN : Tout à fait.

Mme la Présidente : Et comment réagissent-ils ?

M. Jean-Marie COHEN : Les GROG sont désormais réputés auprès des médecins de ville. La clef de notre organisation est de faire en sorte que chaque volontaire participe pleinement à notre travail. Les volontaires sont appelés au téléphone chaque lundi, à une heure qui leur convient et qu'ils ont fixée eux-mêmes, de façon à ce que nous soyons sûrs de récupérer les chiffres.

Mme la Présidente : Cette fonction est-elle bénévole ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, presque partout, et c'est probablement dommage. Il est arrivé que, grâce au fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV), nous parvenions à rémunérer transitoirement quelques médecins et pharmaciens mais ce n'est pratiquement plus le cas nulle part. C'est un vrai problème. Certains professionnels s'investissent depuis vingt-deux ans et la fonction vigie devrait être reconnue officiellement et honorée, non seulement par une rémunération mais par des actes officiels, des points de formation ou une décoration.

M. le Rapporteur : Quelles difficultés le système rencontre-t-il ? Constatez-vous des défaillances dans la remontée des informations ?

M. Jean-Marie COHEN : Les remontées d'informations sont excellentes, la participation, hors vacances, est supérieure à 95 % et le turn-over est proche de zéro.

Mme la Présidente : Les médecins peuvent-ils assumer partout cette charge, et efficacement, même dans les régions où la démographie médicale est inquiétante et où ils sont surchargés ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, parce que nous faisons tout pour que cela leur prenne le moins de temps possible. Mais nous sommes confrontés à deux menaces graves. Premièrement, le bénévolat et le militantisme peuvent rapidement se retourner contre nous : si une autorité régionale ou nationale, préfet ou ministre, traite ces professionnels avec un certain mépris, ils peuvent arrêter du jour au lendemain, ce qui tuerait instantanément le réseau. Le deuxième problème est, effectivement, un problème démographique : le nombre de zones désertifiées où les médecins généralistes sont au bord de la crise augmente. Les médecins n'auront plus le temps.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc partisan d'une rémunération des acteurs de terrain participant à votre schéma de surveillance.

M. Jean-Marie COHEN : Oui. Les GROG, dont l'assise institutionnelle est maintenant solide grâce à la convention avec l'InVS, restent assez fragiles et doivent être pérennisés. Ils dépendent, en effet, d'une bonne volonté des vigies et nous sommes à la merci d'une révolte des professionnels ou d'un constat d'impuissance de leur part, face à l'ampleur des tâches qui leur incombent par ailleurs. En outre, notre financement est toujours limite. Il va donc falloir pérenniser cette organisation.

Les GROG peuvent être utiles, et je pense qu'ils seront indispensables en cas d'apparition de foyers de grippe aviaire, afin de désamorcer la panique et d'apporter de l'information, mais aussi en matière de risque NBC ou de catastrophe industrielle. L'existence d'un réseau de professionnels formés, compétents et capables d'effectuer des gestes techniques variés constitue un atout précieux pour un pays en cas de crise, quelle qu'elle soit.

M. le Rapporteur : Vous vous situez en amont, et vous contribuez ainsi à accélérer l'élaboration des vaccins. Des financements privés peuvent-ils être envisagés, notamment de la part des laboratoires pharmaceutiques ?

M. Jean-Marie COHEN : Le financement est actuellement assuré pour un tiers par l'InVS, pour un tiers par des fonds parapublics (Sécurité sociale, URML, FAQSV), et pour un tiers par des firmes pharmaceutiques. Les fonds privés sont à la fois utiles - même indispensables - et dangereux. Les fonds publics sont difficiles à obtenir et parviennent quelquefois avec retard, ce qui crée des problèmes de trésorerie ingérables. Mais comme les GROG sont chargés d'annoncer l'arrivée des épidémies de grippe, il ne faudrait pas que le réseau soit suspecté de subir l'influence des firmes pharmaceutiques, car l'information qu'ils diffusent risquerait de perdre en crédibilité. Il faut rester indépendants. Les fonds privés doivent donc être parfaitement transparents et rester très minoritaires.

M. le Rapporteur : La répartition en trois tiers vous paraît-elle bonne ?

M. Jean-Marie COHEN : Si les vigies étaient indemnisées, cela représenterait une forte augmentation de budget. Il faudrait le faire sur fonds publics, et non sur fonds privés. Notre budget passerait de 200 000 à 1,5 million d'euros par an, cela ne pourrait plus se répartir en trois tiers. Ce ne serait plus du tout la même échelle.

M. le Rapporteur : Le système de veille des GROG est-il opérationnel concernant la menace de pandémie de grippe aviaire ?

M. Jean-Marie COHEN : Oui, nous l'avons vérifié, sur une petite échelle, avec le SRAS. La décision d'utiliser les GROG comme « bras armé de terrain » de la direction générale de la santé, la DGS, et de l'InVS a été prise en vingt minutes, avec notre accord. Ce sont des médecins des GROG qui sont allés effectuer les prélèvements et ont suivi toutes les personnes déclarées suspectes. En matière de grippe aviaire - je précise bien qu'il s'agit d'épizootie - si un foyer se déclare, comme dans la Bresse, nous pouvons mobiliser un médecin pour faire un prélèvement. Mais, en principe, c'est le SAMU qui en est chargé, et les GROG n'interviennent que si le SAMU ne le peut pas. Je vous rappelle que la France est un pays « hospitalocentré », et c'est l'hôpital qui intervient d'abord. C'est probablement une erreur grave.

M. le Rapporteur : Si le SAMU est chargé de ces problèmes, il ne peut plus s'occuper des urgences classiques. Or, les SAMU ne sont pas si nombreux.

M. Jean-Marie COHEN : Absolument. C'est du gâchis que le SAMU fasse des prélèvements. Je pense que si un SAMU était sollicité sur deux sites le même jour, il serait incapable de suivre. Mais il est difficile, en France, de combattre et d'abattre le dogme de la primauté de l'hôpital. Le message à faire passer en cas de survenue d'une pandémie - et il sera difficile à faire passer - sera d'aller le moins possible à l'hôpital. Mais en disant cela, on heurte de front un discours dominant.

M. le Rapporteur : Vous préconisez donc de mettre les GROG en première position, ou alors d'instituer un véritable partenariat.

M. Jean-Marie COHEN : Le partenariat s'impose : si la ferme contaminée est située dans une grande préfecture, le SAMU aura les moyens d'y aller ; mais ce n'est généralement pas le cas des établissements aviaires. Il est extrêmement irritant, pour un médecin généraliste rural, d'entendre à la télévision des représentants du SAMU déclarer qu'ils font tout alors que c'est à lui qu'incombera le travail, en cas de besoin.

M. le Rapporteur : Il serait important de préciser le rôle des GROG.

Mme Anne MOSNIER : Il n'y a pas des SAMU partout mais c'est également le cas des GROG, même si notre maillage est relativement fin. Aussi, j'opterais plus pour un partenariat. Si un médecin GROG est en mesure d'intervenir dans une zone, cela soulagerait le SAMU, mais encore faudrait-il le préciser dès maintenant en amont pour que le médecin GROG n'ait pas l'impression d'être considéré comme un pis-aller. La première version du plan grippe désignait clairement les médecins de GROG comme préleveurs en période pré-pandémique ; la deuxième est, à mon sens, beaucoup plus ambiguë. De temps en temps, le mot « GROG » apparaît dans les fiches techniques comme un support possible mais nous ne sommes plus perçus comme un partenariat ou un relais de premier recours. En tant que coordinateurs, nous avons été impliqués pour notre expertise dans les groupes de travail nationaux, et beaucoup de médecins des GROG sont également sollicités par le ministère pour apporter leur expérience de terrain. Il est d'autant plus incompréhensible de voir que notre mission, dans le plan, devienne de plus en plus discrète.

M. le Rapporteur : Vos médecins sont-ils en possession de kits de prélèvement ?

Mme Anne MOSNIER : Les médecins, qui prélèvent dans le cadre de la grippe saisonnière, sont équipés de kits de prélèvement mais nous n'avons pas obtenu, partout, des masques et autres matériels de protection, malgré nos demandes aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales. Dans certaines régions, il semble exister un manque de volonté des autorités. C'est dommage et injustifié car il ne serait pas si difficile d'équiper 700 à 800 médecins. En attendant, les médecins des GROG ne pourraient pas intervenir car les masques sont prépositionnés dans les hôpitaux. Il faut dire que tous les médecins libéraux demandent des masques et que les services hospitaliers craignent de « mettre le feu aux poudres » en en délivrant une petite quantité à une catégorie de professionnel donnée.

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. Jean-Marie COHEN : La grippe est, en fait, un bon révélateur des dysfonctionnements de la société française. Les régions où cela marche bien, où il n'y a pas de problèmes de masques, sont celles où les responsables administratifs anticipent les crises, comprennent les problèmes ; ailleurs, nous perdons un temps considérable et nous nous épuisons. C'est dommage car nous avons beaucoup à faire.

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué que votre système est réactif. Si, demain, le passage du virus H5N1 de l'homme à l'homme se confirmait, vraisemblablement à l'étranger, quel serait votre temps de réaction ?

M. Jean-Marie COHEN : Une heure.

M. le Rapporteur : Vous augmenteriez alors le nombre de vigies ? Comment procéderiez-vous avec les médecins libéraux ? Auriez-vous un rôle à jouer vis-à-vis des médecins hospitaliers ?

M. Jean-Marie COHEN : Tout est en train de se jouer actuellement au ministère de la santé. Nous avons fait une enquête téléphonique auprès des médecins généralistes franciliens, qui révèle que 90 à 95 % d'entre eux ne savent pas ce qu'ils auraient à faire en cas de pandémie. Il convient, par conséquent, de mettre sur pied un plan de formation du soignant de base - médecin, pharmacien, kinésithérapeute ou dentiste. Le ministère s'y emploie, mais il peine un peu car les médecins libéraux sont assez divisés, les syndicats se trouvant actuellement en compétition dans la perspective des prochaines élections dans les unions ! Techniquement, c'est possible car on sait à peu près ce qu'il conviendrait de faire. Le dispositif de formation continue a fonctionné pour la campagne antibiotiques  et les médecins ont été formés à l'usage du « test streptocoque ».

Il serait bien, par ailleurs, que les GROG développent un réseau dormant, un peu comme une armée suisse, pouvant être réveillée pendant la durée de la pandémie ou n'importe quelle autre situation de crise : un médecin généraliste sur quinze devrait y adhérer et se soumettre à un exercice par an, juste pour que nous vérifiions qu'il est équipé en informatique, qu'il a un mail, lit ses messages et peut intervenir sous une heure. Cela reste à mettre en place, et j'espère que Xavier Bertrand arrivera à résoudre les conflits entre les organisations professionnelles.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà formulé ces propositions ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous sommes en train de les formaliser afin de les transmettre au ministère de la santé. Je considère personnellement qu'un réseau de GROG élargi, interface très riche, véritable « Réseau de surveillance du territoire sanitaire », devrait rendre compte périodiquement à l'Assemblée nationale. Nous pouvons faire beaucoup de choses, surtout si nous sommes correctement articulés avec l'InVS et les fonctionnaires de la Défense pour tout ce qui est risque NRBC.

M. le Rapporteur : Comment le partenariat entre les SAMU et les GROG pourrait-il s'articuler afin de dépasser l'« hospitalocentrisme » dont vous parliez ? Entretenez-vous des relations mutuelles ?

M. Jean-Marie COHEN : Nous nous connaissons personnellement, ce qui est important. Quand un exercice sanitaire sur la grippe aviaire a été organisé près d'Angers, le SAMU nous a prévenus une demi-heure après le début des opérations mais nous avons travaillé ensemble sans problème.

Mme Anne MOSNIER : Ce qui a été fait pour mettre les SAMU au centre du plan a été bousculé par tout ce qui tourne autour de la permanence des soins. Ce serait bien que les choses se passent partout de façon aussi conviviale ; cela dépend des endroits. Si les petits SAMU et les petits centres 15 savent où se trouve leur GROG, en ce qui concerne les SAMU des grosses villes et au niveau central, je suis moins optimiste : certains nous perçoivent comme des « électrons libres ». C'est vrai que le plan indique qu'en phase pandémique, les SAMU seront obligés de se tourner vers la médecine de ville.

M. Jean-Marie COHEN : Il est, en fait, délicat de faire comprendre à un grand professeur de médecine, chef d'un SAMU, notabilité dans sa région, qu'il devrait parler d'égal à égal avec des pharmaciens et des médecins généralistes de ville car ce n'est pas dans l'ordre hiérarchique universitaire.

Mme Anne MOSNIER : Je pense que c'est davantage un problème de méconnaissance que de mauvaise volonté. De notre côté, dans la mesure où nous sommes un réseau de ville, nous n'avons jamais fait l'effort de travailler avec eux. Eux-mêmes nous connaissent mal, mais si on fait l'effort de leur expliquer, les liens se créent.

M. le Rapporteur : Alors qu'une menace de pandémie existe, le souci de partenariat et de coordination sur le terrain devrait s'intensifier. Or ce n'est pas le cas. Le SAMU aura d'autres missions à remplir.

M. Jean-Marie COHEN : En cas de pandémie, le risque de mortalité majeur concernera des personnes qui attendront un geste d'urgence n'ayant rien à voir avec la grippe maligne - une appendicite, par exemple - et qui ne pourront pas être prises à temps du fait de l'encombrement des hôpitaux. Il faut s'efforcer de faire passer ce message. Il faut donc que les hôpitaux s'occupent des malades dont ils doivent s'occuper et que le dispositif extra-hospitalier gère les autres malades. Mais ce ne sera pas facile.

M. le Président : On voit bien les grandes différences culturelles entre le monde hospitalier et la médecine de ville ; les méfiances réciproques sont très puissantes et cette brèche doit être colmatée le plus rapidement possible par la communication. On entend maintenant pas des personnes préconiser, si la grippe atteint un certain niveau, l'ouverture de lieux intermédiaires dédiés à une surveillance médicale un peu plus intense qu'en ambulatoire, afin de faciliter l'intervention du corps médical et de désengorger les hôpitaux. Que pensez-vous de cette construction stratégique ?

Mme Anne MOSNIER : Nous avons vu ce qui s'est passé lors de la canicule, surtout pour les personnes seules. L'idée est donc très intéressante, mais il faut une concertation pou préparer l'opération en amont, déterminer ses modalités et désigner les structures responsables. Sans rien reprocher au plan du Gouvernement sa rédaction fait que les praticiens hospitaliers estiment que les soignants de ville, dans la phase pré-pandémique, ne doivent représenter qu'un pis-aller. C'est la même chose pour les SAMU et les GROG. Il faut recadrer le discours et indiquer que le plan a été conçu pour limiter la diffusion du virus dans la première phase et gérer au mieux la crise dans la deuxième.

Mme Catherine GÉNISSON : S'agissant de l'organisation hospitalière, le plan attribue à peu près les mêmes fonctions à l'hôpital public et à l'hôpital privé. Ne serait-il pas intéressant que l'hôpital public se spécialise dans l'accueil des personnes touchées par la grippe aviaire et que l'hôpital privé prenne en charge d'autres pathologies, pour lesquelles il est tout à fait compétent ? Certes, la mise en place de ce dispositif soulèverait bien des difficultés, et la FHP, la Fédération hospitalière de France, y est sans doute opposée, mais il serait sans doute plus efficace. Or, ce n'est pas inscrit dans le plan.

M. Jean-Marie COHEN : Ce n'est pas notre domaine de compétence. Mais j'ai l'impression que les hôpitaux privés ont été assez peu impliqués dans la rédaction du plan ; c'est probablement une erreur.

M. le Président : Madame, Monsieur, je vous remercie.


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