Mercredi 12 avril 2006

- Audition de M. Gilles de ROBIEN, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, MM. Bernard NEMITZ et Dominique ANTOINE

(Compte rendu de la réunion du mercredi 29 mars 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Monsieur le ministre, notre mission procède actuellement à une évaluation du plan gouvernemental de lutte contre la pandémie grippale. Se posent des problèmes d'organisation du système de santé et, plus généralement, de la société. En cas de pandémie, il est prévu de fermer les écoles, lieux propices à la propagation des virus, quels qu'ils soient.

Nous aimerions connaître les mesures que vous avez d'ores et déjà prises, mais aussi difficultés que vous rencontrez, le cas échéant.

M. Gilles de ROBIEN : Dans le cadre du plan gouvernemental, chaque ministre doit élaborer un document présentant toutes les mesures indispensables d'anticipation et d'organisation de ses propres services en cas de crise.

Le plan de continuité de mon ministère porte sur l'administration centrale, sur les services déconcentrés et les établissements placés sous tutelle : plus de 8,5 millions d'élèves et d'étudiants, 1,2 million de personnels, soit plus de 20 % de la population globale de notre pays.

Ce plan prévoit la préservation du patrimoine et des personnes qui doivent assurer les fonctions techniques et administratives vitales pour le ministère. Il intègre les grands principes retenus au niveau gouvernemental : la limitation des déplacements, l'interdiction des regroupements et, d'une manière plus générale, l'interruption d'activités non essentielles au maintien des fonctions vitales de la Nation. Il est essentiellement tourné vers la phase de pandémie, mais prévoit un certain nombre de mesures à prendre dans les phases préalables.

En amont d'une éventuelle crise, une première action concerne l'éducation à la santé : une information, appuyée sur des documents de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé, sera prochainement diffusée à tous les enseignants du primaire et du secondaire ainsi qu'à tous les personnels de santé. Elle portera sur le mode de transmission du virus et sur les mesures d'hygiène standard à mettre en œuvre en cas de déclaration de maladies contagieuses comme le lavage des mains, l'aération des pièces, l'isolement des malades, etc. Les heures de vie de classe et d'éducation à la santé seront mises à profit pour sensibiliser les élèves à ces mesures, qui peuvent trouver dès maintenant une application utile au quotidien.

S'agissant de l'information des milieux éducatifs, une circulaire à destination de la communauté scolaire, datée du 22 février, signée par le directeur de cabinet des ministres chargés de l'éducation nationale et de la santé, précise la conduite à tenir en cas de découverte d'un oiseau mort. Elle interdit la manipulation, par les enseignants, d'oiseaux et de produits dérivés et recommande d'éviter toute activité externe aux établissements scolaires de nature à mettre les élèves en contact direct avec des oiseaux sauvages. Une fiche interministérielle relative aux activités humaines, en cours de finalisation, reprend ce dernier point et précise que toute sortie Nature est interdite dans les zones contaminées, pour éviter la diffusion du virus par l'intermédiaire des vêtements, des chaussures, des cheveux, les sorties Nature restant possibles sur tout le reste du territoire sous réserve qu'elles n'exposent pas les participants à un contact physique direct avec des oiseaux sauvages.

Pour ce qui est de l'information des professionnels de santé, les 1 385 médecins et 7 008 infirmières en fonction à l'éducation nationale vont recevoir une information technique sur l'évolution du virus H5N1 et la pandémie grippale en relation avec le virus. Cette information leur sera donnée dans le cadre d'une formation commune à l'ensemble des personnels de santé libéraux, hospitaliers et salariés, organisée par les directions régionales des affaires sanitaires et sociales à partir d'avril 2006. Une culture médicale commune sur ce sujet est apparue nécessaire, d'autant qu'il pourrait être fait appel à ces personnels de santé de l'éducation nationale pour renforcer la médecine de ville et les plates-formes de régulation des cellules Centre 15.

Passons au recensement des personnels nécessaires au fonctionnement du service en mode réduit. Ceux-ci sont répartis en trois catégories : les personnels indispensables, qui devront rester présents sur le site ; les personnels mobilisables, qui devront rester disponibles en permanence à leur domicile pour apporter, le cas échéant, un renfort ponctuel ou assurer le remplacement de personnes indispensables ; les personnels qui resteront en réserve, à leur domicile. Chaque établissement a été prié d'établir le recensement des personnels entrant dans chacune de ces trois catégories, ainsi que des locaux dont l'utilisation pourrait s'avérer indispensable pendant la phase de pandémie.

Quelles seront les mesures à prendre en phase de pandémie ?

D'abord, la fermeture des établissements. Les décisions de fermeture des établissements d'enseignement et de formation et de restriction des transports collectifs seront prises par le ministre de la santé ou par les préfets. La fermeture des établissements concernera alors tous les lieux de formation et installations sportives annexées, de la maternelle à l'enseignement supérieur, sans distinction des niveaux d'enseignement.

Un problème d'occupation des enfants va évidemment se poser si, au regard de la dangerosité de la maladie, ils sont amenés à rester confinés dans un appartement, même si la continuité pédagogique viendra, pour les plus grands, atténuer l'impression d'enfermement. Dans ces conditions, pour la garde des jeunes enfants, il sera nécessaire de faire appel à la solidarité familiale - frères et sœur plus âgés, grands-parents, etc. - et à la solidarité de voisinage.

En phase pandémique, tout établissement d'enseignement est susceptible d'être réquisitionné par le préfet pour un autre usage : centre de regroupement pour la vaccination en masse, centre d'hébergement de personnes isolées, lieu de distribution des équipements de soin ou de protection, etc.

S'agissant de la continuité du fonctionnement des services, la fermeture des établissements d'enseignement primaire, secondaire et supérieur ne signifie pas l'abandon des bâtiments et l'absence totale des personnels. La permanence sera assurée par un nombre restreint de personnels, dont le volume résultera d'un compromis entre la nécessaire continuité du service public et le principe de précaution. Le télétravail pourra se substituer au travail sur site.

Les fonctions assurées pendant la crise seront les suivantes : direction et communication ; maintenance, logistique pour garantir la sécurité des biens et des personnes : gardiennage, chauffage, etc. ; maintenance des réseaux de communication informatique et de téléphonie ; fonction financière, parce qu'il faut rémunérer le personnel et payer les factures.

L'organisation de permanences concernera au premier chef les personnels logés sur place, ensuite ceux habitant à proximité de leur lieu de travail dès lors que leur fonction est identifiée comme devant être maintenue. Le volontariat sera privilégié.

Les présidents d'université, les directeurs d'organismes de recherche, pourront décider de la poursuite d'activités de certains laboratoires de recherche. Les laboratoires qui ne pourront pas interrompre leurs activités, parce qu'elles sont liées à la pandémie, ou parce que ce serait dangereux devront mettre en œuvre des mesures supplémentaires de protection. Un dispositif de protection respiratoire individuel et jetable sera attribué au personnel indispensable à la continuité du service. Je peux vous indiquer d'ores et déjà que l'éducation nationale a commandé 17 millions de masques de type FFP2, qui seront livrés entre mai et juillet 2006 dans tous les rectorats.

Le site web du ministère de l'éducation nationale donnera des informations utiles sur la conduite des actions ministérielles et proposera des liens avec des sites spécialisés. Un forum de questions sera ouvert pour répondre aux interrogations des divers usagers du système scolaire.

Venons-en à la continuité pédagogique. Dans l'enseignement primaire et secondaire, en cas de fermeture des écoles et des lycées, un lien pédagogique sera maintenu entre les enseignants et les élèves. Il sera destiné à maintenir chez les élèves les connaissances déjà acquises, le goût des études, une certaine envie de savoir et d'apprendre. Il évitera également l'ennui pendant les longues journées passées à la maison. Il sera organisé au niveau national et au niveau local.

Au niveau national, il est prévu de diffuser par voie hertzienne des émissions de radio et de télévision de nature pédagogique. Ce choix permettra d'atteindre le plus grand nombre possible de familles puisque toutes, quasiment, sont équipées de téléviseurs. Les médias retenus sont France 5 et France Culture. Une première programmation a déjà été élaborée. Les modules sont ciblés pour un public déterminé. Ils pourront également bénéficier à des élèves d'un niveau voisin. Enfin, d'autres publics que les élèves en formation initiale pourront être intéressés par ces émissions : stagiaires, apprentis, stagiaires de la formation continue, par exemple.

Au niveau local, les rectorats, les inspections d'académie et les établissements d'enseignement seront invités à mettre en œuvre toute action permettant de compléter l'offre nationale, de favoriser le maintien des échanges informatiques et téléphoniques entre les enseignants et leurs élèves.

Dans l'enseignement secondaire, pour favoriser ce lien pédagogique, en accord avec les personnels et les élèves, les établissements recenseront, outre le numéro de téléphone, les adresses électroniques des familles. Les sites web académiques et les sites des établissements pourront compléter ce dispositif.

Dans le supérieur, d'ici à la fin du mois d'avril 2006, une circulaire demandera aux établissements de prévoir le maintien d'un lien pédagogique et scientifique avec les étudiants. Les établissements sont invités à prévoir une possibilité de contacts entre les équipes pédagogiques et les étudiants, pour permettre à ces derniers de réaliser des travaux personnels sous le contrôle des professeurs, en ayant recours aux différentes modalités d'enseignement à distance. Dans cette perspective, il est demandé aux établissements de recenser dès maintenant toutes les ressources pédagogiques disponibles -notamment en ligne-, de faire connaître les ressources des universités, de préparer un document d'information à l'attention des étudiants, des étudiants chercheurs et d'autres personnels, précisant les modalités d'accès à toutes les ressources documentaires consultables via le système d'information ou le portail de l'établissement. Les équipes pédagogiques de chaque formation de diplôme seront responsables de la diffusion de ces informations à leurs étudiants. Elles leur indiqueront la part que prendra la formation à distance dans le contrôle des connaissances. Pour mettre en œuvre cette continuité pédagogique et scientifique, on a également demandé aux établissements de recenser les adresses électroniques personnelles des étudiants et de demander ces adresses dans les documents d'inscription de la prochaine rentrée universitaire.

Passons à la sortie de crise et à la réouverture des établissements. La décision de réouverture et de reprise d'un fonctionnement normal sera prise par les autorités compétentes : ministre de la santé ou préfet.

Pour les examens professionnels, l'évaluation devra se dérouler sous la forme d'une épreuve ponctuelle terminale. Pour le brevet des collèges, on envisage de délivrer le diplôme uniquement à partir du livret scolaire. Pour le baccalauréat, la solution retenue sera variable et fonction du moment de la déclaration de la pandémie ; quoi qu'il en soit, la procédure d'élaboration et de choix des sujets ne sera jamais interrompue, les réunions de choix de sujets étant remplacées par des échanges par Internet. Une banque de sujets sera d'ailleurs disponible au niveau national pour pallier les difficultés des académies et pour permettre d'accéder à des sujets de cours d'une partie du programme. S'agissant des épreuves, plusieurs hypothèses ont été envisagées : une seule session en septembre, une session allégée en juin avec rattrapage en septembre, voire un diplôme délivré à partir des seules épreuves écrites ou des seules épreuves orales. La décision sera toujours prise par l'échelon central du ministère. Pour les examens universitaires, si le début de la pandémie se situe en début de semestre, on envisagera des modalités de contrôle des connaissances pouvant se substituer à l'examen final, avec un travail personnel réalisé par chaque étudiant, ou encore des épreuves via Internet, dont il faudra étudier la faisabilité. Si le début de la pandémie survient en fin de semestre, alors que 70 à 80 % des cours auront été assurés, les notes déjà acquises par l'étudiant pourront servir de base à la délivrance des crédits ECTS - European Credit Transfer System - et du diplôme. Une session de rattrapage pourra être organisée en sortie de crise.

Comment seront organisés les concours de recrutement des enseignants ?

Les concours du second degré intéressent environ 150 000 candidats pour les épreuves écrites de janvier à avril, et ceux du premier degré 60 000 candidats en mai. Les épreuves d'admission du second degré commencent vers la mi-mars pour se terminer fin juillet pour environ 25 000 admissibles, celles du premier degré se déroulent entre juin et mi-juillet pour 23 000 admissibles. Près de 20 000 membres de jury sont mobilisés pendant cette période, 500 personnels administratifs le sont pour l'organisation et un millier pour la surveillance. Sur le plan géographique, les candidats se répartissent sur tout le territoire et rejoignent, pour les épreuves, les chefs lieux d'académie des départements. Le nombre de personnes concernées et les déplacements induits conduiront, en cas de pandémie, à interrompre le processus. En cas d'interruption pendant quelques mois et quel que soit le moment, les opérations pourront toujours être décalées. Les admissions seraient ainsi prononcées à l'automne plutôt qu'avant l'été dans le calendrier normal, ce qui réduirait d'autant la formation initiale. Celle-ci pourrait être aménagée, et prolongée par de la formation continue la première année d'exercice. S'il était impossible de terminer le processus, des solutions plus radicales seraient envisagées, qui pourraient concerner tous les recrutements de la fonction publique : des concours très simplifiés, consistant en deux épreuves, l'une écrite et l'autre orale, en une seule phase, couplée à une formation initiale réduite ; un doublement des recrutements l'année suivante, en veillant à ce que la moitié des recrutés prennent leurs fonctions après une formation adaptée pour remplacer les départs à la retraite de l'année ; le maintien, à titre exceptionnel, de professeurs en exercice qui devaient partir à la retraite pour compenser des non recrutements.

Dans l'enseignement supérieur, la qualification par les sections du Conseil national des universités et le recrutement par l'établissement seront adaptés aux circonstances.

Le calendrier de recrutement des grandes écoles s'étend sur plusieurs mois, en combinant les épreuves écrites d'admissibilité et les épreuves orales d'admission. Une réflexion est en cours, selon deux axes : regroupement des écoles dans des concours communs, ce qui est déjà le cas pour nombre d'entre elles ; allègement du nombre d'épreuves, à court terme.

Si la pandémie grippale se déclarait, d'autres types de solutions pourraient être envisagés, notamment en décalant de quelques semaines l'accès en première année dans les grandes écoles, avec un concours normal s'étendant sur une période plus longue. L'enseignement perdu en début d'année pourrait être réintroduit sur les trois années de formation.

Le ministère organise par ailleurs de nombreux concours pour les cadres administratifs et techniques. Certains sont déconcentrés, d'autres pilotés par le niveau national. Le seul vrai problème qui peut se poser est celui de l'examen professionnel du principalat dans le corps des attachés d'administration centrale. Pour le ministère de l'éducation nationale, il est très allégé parce qu'il ne comporte qu'une épreuve orale, et cela concerne plusieurs centaines de candidats. Le ministère s'alignera sur la doctrine qui sera retenue par le ministère de la fonction publique ; il pourrait s'agir d'un report de quelques mois de cet examen professionnel.

Telles sont, mesdames et messieurs les parlementaires, les grandes lignes du plan d'action du ministère destiné à faire face à cet éventuel fléau sanitaire.

M. le Rapporteur : Monsieur le ministre, comment envisagez-vous la garde des enfants dont les écoles seraient fermées et dont les parents travailleraient ?

Par ailleurs, vous avez parlé d'interdire les sorties scolaires en raison des risques de contact avec les oiseaux. N'allez-vous pas un peu trop loin ?

En ce qui concerne les cantines scolaires, certains élus avaient parlé de supprimer le poulet des menus, ce qui n'avait pas de sens. Ne doit-on pas plutôt inciter à la consommation de poulet ?

Vous avez indiqué que vous alliez faire parvenir aux élèves des prospectus d'information de l'INPES. Ne faut-il pas aller plus loin et offrir une information plus poussée en matière d'épidémiologie ou de risques infectieux, à l'occasion des cours, pendant les quelques années à venir ?

Venons-en aux normes d'hygiène dans les écoles, les collèges et les lycées, notamment en matière de lavage des mains. Sans empiéter sur les responsabilités des collectivités territoriales, votre ministère juge-t-il les équipements suffisants ? Ne faudrait-il par établir des normes en la matière ?

Enfin, les médecins et infirmières travaillant en milieu scolaire ne pourraient-ils pas être appelés, voire réquisitionnés, pour participer à la lutte contre cette pandémie ?

Mme Catherine GÉNISSON : Quel est le degré d'appropriation, par l'ensemble des acteurs de la communauté éducative, du plan que vous nous avez présenté, et qui va dans le détail sur beaucoup de sujets ? J'ai été particulièrement attentive aux dispositions concernant l'accès aux examens.

Si l'apprentissage de l'épidémiologie et de certains aspects un peu sophistiqués est certes important, il me semble que l'apprentissage des règles élémentaires d'hygiène devrait être obligatoire. À l'occasion d'une éventuelle pandémie de grippe aviaire, on pourrait rappeler quelques règles fondamentales en milieu scolaire, dès la maternelle.

Enfin, je n'ai pas très bien compris la façon dont vous « catégorisez » les personnels. J'aurais plutôt pensé qu'on procéderait par rotation des personnels. Pouvez me dire comment vous envisagez de mobiliser ces personnels, et de les protéger ?

M. Michel LEJEUNE : Je voudrais revenir sur la circulaire qui a été envoyée à tous les enseignants concernant les sorties scolaires. J'ai l'impression qu'elle est interprétée sur le terrain de manière un peu exagérée. Ainsi, dans mon département, on a interdit toute sortie scolaire, quel que soit son objet.

M. Gérard BAPT : Je voudrais, moi aussi, revenir sur la circulaire concernant les sorties découverte en forêt ou dans la nature. Elle nous a un peu choqués, car elle alimente, selon nous, l'inquiétude générale. C'est particulièrement mal venu de la part de l'éducation nationale.

M. Gilles de ROBIEN : Sur la garde des enfants, il convient d'être très clair : il n'est pas prévu de garde dans les établissements d'enseignement dès lors qu'ils seront fermés, car il s'agit de respecter le principe de précaution qui repose sur la plus grande limitation possible des groupements. Mais il est prévu de faire jouer au maximum ce que j'appelle le principe de solidarité, pour assurer la prise en charge de la garde des plus jeunes enfants. Il faudra faire appel à la solidarité familiale - frères et sœurs aînés, grands-parents - à la solidarité de voisinage et à celle des amis. Je pense que la mobilisation permettra de trouver la ressource humaine suffisante dans un moment aussi exceptionnel. On peut penser aussi qu'une partie des enfants pourront être gardés par les agents de la fonction publique qui resteront à domicile. 85 à 90 % des agents de la fonction publique de l'État devraient en effet rester à domicile en cas de pandémie.

S'agissant des activités scolaires en contact avec la faune, il est vrai qu'après le signalement des premiers cas d'oiseaux sauvages contaminés, un communiqué des directeurs de cabinet des ministres chargés de la santé et de l'éducation nationale a été adressé le 22 février 2006 aux recteurs d'académie et publié le 2 mars. L'une de ses phrases peut effectivement prêter à interprétation. Les trois premiers points de la note portent sur les règles d'hygiène et de comportement qui sont à respecter. Le quatrième point recommande d'« éviter toute activité externe aux établissements scolaires de nature à mettre les élèves en contact direct avec des oiseaux sauvages ». Des présidents d'associations, des directeurs de parc zoologique, nous ont écrit pour signaler les conséquences économiques de ces dispositions sur leur exploitation. Ils ont demandé que des précisions soient apportées pour qu'à l'exclusion des zones mises en quarantaine, les activités de découverte de la nature puissent se poursuivre normalement, sous réserve d'une bonne information de tous et du respect des mesures de précaution. À l'issue de la troisième réunion interministérielle consacrée, précisément, aux activités de nature et à la faune sauvage, le 7 avril, les positions retenues pour l'éducation nationale, en l'état actuel des choses, sont les suivantes : pas de contact physique avec des oiseaux sur tout le territoire national ; pas de sorties scolaires dans les zones réglementées, par exemple actuellement dans la Dombes ; a contrario, les sorties culturelles dans la nature sont possibles sur tout le reste du territoire national.

M. le Rapporteur : On avait l'impression que l'interdiction était générale. Il y a donc eu une mauvaise interprétation.

M. le Président : Ce type de circulaire arrive-t-elle directement à l'enseignant ou au directeur de l'école, ou bien passe-t-elle par le filtre d'une relecture par le recteur ou l'inspecteur d'académie ?

M. Gilles de ROBIEN : Nous l'envoyons aux recteurs, et les recteurs l'envoient aux inspecteurs d'académie et aux chefs d'établissements.

M. le Président : Il semble qu'à chaque échelon territorial, il y ait eu des ajouts à vos instructions. Si des gens qui croient bien faire en rajoutent, il faut en conclure que la déconcentration peut créer des problèmes.

M. Gilles de ROBIEN : Il faut que la circulaire arrive jusqu'au bon niveau. Il faut en outre qu'elle soit lue et bien interprétée. En l'occurrence, dans la phrase évoquée, qu'est-ce que le « contact direct avec les oiseaux sauvages » ?

M. Door a évoqué la réquisition éventuelle des médecins et infirmières scolaires. C'est un sujet interministériel et je ne puis lui répondre aujourd'hui.

Si vous me le permettez, je vais passer la parole au professeur Bernard Nemitz concernant les cours d'épidémiologie et l'hygiène, puis à M. le directeur Dominique Antoine pour les autres sujets qui ont été abordés.

M. Bernard NEMITZ : Nous mettons au point, avec le ministère de la santé et la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire, un ensemble de documents pédagogiques. Les enseignants de sciences de la vie et de la terre (SVT) seront évidemment sollicités. Il s'agit de fournir une information la plus précise possible à l'ensemble des élèves sur l'épizootie actuelle et sur la pandémie que l'on craint. Un kit pédagogique est en cours de finalisation. Il vise à dire ce qu'est la grippe aviaire et quelles peuvent en être les conséquences.

S'agissant de l'hygiène, toujours avec le ministère de la santé, nous tiendrons dès cet après-midi une réunion pour finaliser les documents qui devront être diffusés. Nous enverrons, dans l'ensemble des établissements scolaires, des notes très simples visant à promouvoir des règles élémentaires d'hygiène mais trop souvent oubliées. La préparation du pays à une éventuelle pandémie peut être une opportunité pour faire adopter aux enfants de meilleures pratiques dans le milieu éducatif. Ces outils pédagogiques seront utilisés dans cet objectif.

Dans les hôpitaux, nous avons également travaillé avec le ministère de la santé à la diffusion de ce type d'informations, par exemple dans les halls d'accueil des services d'urgence. On y indique, entre autres, que lorsqu'on est enrhumé, on évite d'éternuer sur son voisin et de serrer des mains, ces contacts constituant autant de vecteurs de contamination.

Mme Catherine GÉNISSON : Je pense, en effet, qu'il faut « profiter » de cet événement éventuellement malheureux pour rappeler des règles de base en matière d'hygiène. Mais s'il est bon que les enseignants soient formés, il conviendrait d'imaginer aussi des guides à l'usage des enfants, guides qui pourraient accompagner le travail des enseignants. Et j'insiste sur le fait que c'est dès la maternelle qu'il faut enseigner certains gestes élémentaires. L'éducation de l'hygiène s'apprend à la maison, mais aussi à l'école. Une telle mobilisation, une telle sensibilisation est fondamentale sur le plan de la prévention.

M. Bernard NEMITZ : C'est bien ce que nous allons faire.

M. Dominique ANTOINE : Je voudrais intervenir à propos du degré d'appropriation du plan par le système éducatif et du choix des personnels susceptibles d'être mobilisés.

S'agissant de l'appropriation du plan, vous avez tout à fait raison : un travail de communication s'impose. Le plan qui vous a été présenté par M. le Ministre nous a été demandé pour la fin du mois de mars. Il a donné lieu à une circulaire aux recteurs qui est partie le 7 avril. Un travail très important a été fait avec les secrétaires généraux et les inspecteurs d'académie, ainsi qu'avec les organisations syndicales, fédérations de fonctionnaires et syndicats spécialisés - médecins, infirmières, chefs d'établissements, intendants. Maintenant, un travail de popularisation reste à faire.

S'agissant des personnes susceptibles d'être mobilisées, nous avons déterminé trois groupes de fonctionnaires ; ceux qui seraient susceptibles d'être mobilisés de façon intense ; ceux qui seraient en réserve, disponibles ; d'autres qui seraient chez eux. On peut envisager une rotation entre les personnels. Mais cela s'oppose à la spécialisation des fonctions, dont nous devons assurer obligatoirement la continuité : communication, gardiennage des bâtiments, maintenance des réseaux, fonction financière.

M. le Président : Pour se laver les mains, il faut qu'on en ait la possibilité dans des conditions de propreté correctes. Or, on a le sentiment que cela n'est pas toujours le cas dans les bâtiments actuels, notamment dans l'enseignement secondaire. Si les enfants ont perdu les réflexes de l'hygiène, c'est aussi parce que les pouvoirs publics n'ont pas prévu les moyens appropriés. Ne pensez-vous pas que les normes devraient évoluer en ce domaine ? On pourrait envisager un plan d'équipement sur cinq ou dix ans.

Vous avez déclaré que, le moment venu, on verrait comment maintenir des programmes ou des dispositifs de soutien scolaire. Ne pourrait-on pas aller plus loin et faire obligation aux enseignants qui resteront chez eux d'entretenir avec tous les enfants avec lesquels c'est possible un contact pédagogique via le téléphone ou Internet ? On passerait de l'incitation à la norme.

De telles mesures augmenteraient en tout cas les besoins de crédits de communication. Si je suis enseignant et qu'on me dit que je dois passer six ou sept heures à appeler de mon téléphone portable l'ensemble des enfants de ma classe, je considèrerais légitime une aide de l'éducation nationale pour mon forfait téléphonique. Est-ce envisageable ?

M. Gilles de ROBIEN : C'est possible, et je suis sûr que, même sur la base de l'incitation, du volontariat, les professeurs se mobiliseront comme ils savent le faire dans des circonstances exceptionnelles pour continuer à assurer les cours, en complément des programmes diffusés par voie herzienne. Se poseront peut-être des questions matérielles relatives aux forfaits téléphoniques, notamment. On peut imaginer qu'ils ne soient pas pénalisés. Mais je vous indique que, pendant ces périodes-là, ils seront rémunérés.

M. le Président : Que penseriez-vous d'une recommandation de la mission pour une participation obligatoire des enseignants ?

M. Gilles de ROBIEN : Libre à vous de la demander. Mais la base du volontariat a si bien réussi pour le remplacement des professeurs absents sur une courte durée que j'ai tendance à faire confiance aux personnels de l'éducation nationale.

M. le Président : Si, en période de crise, on ne compte que sur le volontariat, que devient le service public ? Cette question se posera aussi pour les personnels médicaux et paramédicaux hospitaliers.

M. Gilles de ROBIEN : Il n'est pas interdit de penser qu'il y aura 100 % de volontaires. Si tel n'était pas le cas, nous pourrions adopter une solution de rattrapage, basée sur l'obligation.

C'est ce qui s'est passé pour le remplacement. Nous avons commencé sur la base du volontariat, étant entendu que j'avais dit qu'au 1er janvier 2006, là où le volontariat ne marchait pas, nous passerions à la désignation.

Je suis très ouvert sur la méthode. Mais je suis sûr du résultat.

M. Alain CLAEYS : Reconnaissez que le problème des remplacements n'était pas tout à fait de la même nature...

M. Gilles de ROBIEN : Bien sûr que non, mais a fortiori, en cas de drame national ou international comme celui-là, je n'imagine pas que des personnels puissent ne pas répondre à l'appel. Mais s'il y en avait, on abandonnerait la démarche basée sur l'invitation et l'incitation.

M. le Président : Pensez-vous que, dans une période de crise, il y a aura beaucoup de fonctionnaires capables d'évaluer le fonctionnement du système et d'en tirer les conclusions ? Pensez-vous qu'en pleine crise, il vous suffirait de rappeler à la télévision qu'on va passer du volontariat à l'obligation ? Je ne sais pas si c'est la bonne démarche.

M. Gilles de ROBIEN : Je suis ouvert à toutes les démarches et j'attends avec grand intérêt votre rapport !

M. le Rapporteur : Les personnels hospitaliers nous ont indiqué que, disposant d'un droit de retrait, ils pourraient en user si on leur disait qu'il y avait 50 % de létalité en cas de pandémie. Qu'en sera-t-il à l'Education nationale ?

M. Gilles de ROBIEN : On peut toujours avoir recours à la réquisition. Mais effectivement, monsieur le Président, il ne faut pas perdre de temps.

Mme Catherine GÉNISSON : C'est une réquisition à domicile.

M. Gilles de ROBIEN : On parle en effet d'une réquisition de mission, pas d'une réquisition de lieu.

Venons-en aux installations sanitaires. Il faut savoir que les situations sont très contrastées d'un lieu à l'autre, d'une école, d'un collège, d'un lycée à l'autre. Il s'agit par ailleurs plutôt d'une compétence des collectivités territoriales. Mais il n'est pas interdit, évidemment, que le ministère de l'éducation nationale émette une recommandation pour améliorer les installations qui ne seraient pas aux normes ou pourraient être des lieux de contamination. L'impulsion peut être donnée par le ministère dont j'ai la charge. C'est une idée que je retiens.

Mme Catherine GÉNISSON : Nous ne pouvons que cautionner cette proposition. Néanmoins, il faut être vigilant, en particulier dans les zones rurales. Certaines écoles, dans les petites communes, subsistent grâce aux efforts de la commune, mais ont des budgets assez serrés. Il faut agir avec discernement. Je remarque, au demeurant, que les écoles rurales sont souvent mieux équipées que les écoles urbaines.

M. Gilles de ROBIEN : Vous avez raison. Il faut par ailleurs être attentif à la couverture téléphonique du territoire, notamment celle des zones blanches, ainsi qu'à sa couverture pour le haut débit. En matière de télévision aussi, il y a des zones où la chaîne France 5 ne peut pas être captée.

M. le Président : Il est clair que la politique de santé ne vise pas seulement à protéger les enseignants, mais que l'intérêt collectif interdit les rassemblements massifs, notamment de populations jeunes. Or on voit mal comment expliquer aux élèves qu'il faut garder une certaine distance sociale de deux mètres quand ils jouent dans la cour de récréation.

En matière de recherche, la problématique est différente. Les recommandations n'ont pas à être comparables. Il s'agit plutôt de continuer à travailler, même si c'est par télétravail. N'auriez-vous donc pas intérêt à dissocier l'enseignement de la recherche : si on comprend bien que le risque de contagion dans les écoles imposera de fermer celles-ci, on comprend moins bien pourquoi il faudrait interrompre le fonctionnement des organismes de recherche, qui pourraient continuer à fonctionner en mode dégradé.

M. Gilles de ROBIEN : Vous avez parfaitement raison. La problématique n'est pas du tout la même. Même à l'intérieur du secteur de la recherche, les situations sont très disparates entre les grands organismes de recherche - 30 000 personnes pour le Centre national de la recherche scientifique, 10 000 pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale - et les petits laboratoires, qui sont relativement isolés. En général, ces organismes sont très disséminés sur le territoire, avec une structure nationale de pilotage, des structures intermédiaires de coordination et des laboratoires plus locaux.

Une instruction a été diffusée pour sensibiliser les directeurs des laboratoires de recherche de ces organismes pour qu'ils complètent leur plan de continuité et qu'ils élaborent des fiches de procédure pour chaque laboratoire. Compte tenu de la nécessité d'assurer la sécurité de certaines installations sensibles ou dangereuses, ce qui passe parfois par le maintien de l'activité, des mesures de quarantaine doivent être prévues pour les équipes de relève avant l'accès aux installations. Pour sécuriser le dispositif, il faudrait, en théorie, que chaque personne reste isolée de toute source de contamination pendant une durée au moins égale à la période d'incubation et jusqu'à l'apparition éventuelle des symptômes. Cette durée dépendra des caractéristiques du virus. Dans les réflexions en cours, la durée prise en compte est de l'ordre de dix jours. S'agissant des protections respiratoires individuelles, il a été demandé à chaque organisme de recherche de prélever sur ses moyens propres le budget nécessaire à l'achat de masques.

M. le Président : Vous avez parlé de France 5 et de France-Culture. Mais qui va émettre ? Qui élaborera les programmes éducatifs émis ?

M. Gilles de ROBIEN : Ce sont France 5 et France-Culture qui émettront elles-mêmes et intégreront les programmes éducatifs dans leurs programmes quotidiens.

S'agissant de l'élaboration des programmes, il existe des établissements spécialisés : le CNDP et le CNED notamment.

Une première programmation a été élaborée selon certains paramètres. Elle se situe globalement dans le cadre d'un troisième trimestre, sur quatre semaines initiales. Cette première programmation permettra d'en préparer une seconde, et ainsi de suite, par mois glissant. Pour faire face à une déclaration de pandémie à tout moment de l'année, la même programmation sera faite pour le 1er septembre dans l'optique du premier trimestre et pour le 1er janvier dans l'optique du second trimestre.

Elle correspond à une durée quotidienne totale de cinq heures et demie pour France 5, de six heures pour France-Culture. Cela correspond à un total hebdomadaire de près de 60 heures d'émission, entre 8 heures et 12 heures et entre 14 heures et 17 heures 50.

Elle prend appui sur les ressources existantes, organisées en modules qui proviennent des fonds des grands opérateurs comme le CNDP et le CNED.

Pour certaines disciplines, faute de ressources suffisantes, la production de ressources nouvelles a été lancée. Chaque module porte sur une durée d'environ trente minutes, par référence aux productions existantes et s'ordonne selon des priorités pédagogiques bien définies à cette fin par l'Inspection générale de l'éducation nationale.

La répartition du temps entre l'école, le collège et le lycée a été faite sur la base de trois tiers, avec, à chaque niveau, la répartition suivante : pour l'école, parité entre les cycles 2 et 3 ; pour le collège, un quart de mathématiques, sciences et technologie, un quart de français, un quart d'histoire-géographie, arts et éducation civique, et un quart de langues vivantes - anglais, allemand, espagnol ; pour le lycée, un cinquième de maths, un cinquième de français et philo, un cinquième de SVT, physique et chimie, un cinquième d'histoire-géographie, arts, économie et gestion, et un cinquième de langues. Ce sont des modules ciblés, pour les élèves d'un niveau déterminé et qui peuvent bénéficier à des élèves d'un niveau voisin.

Mme Catherine GÉNISSON : Dans le cadre de relations plus humanisées entre les élèves et les enseignants, peut-on envisager une régionalisation de ces propositions d'enseignement, avec la mobilisation des enseignants volontaires et la mobilisation de France 3, qui est tout de même la chaîne nationale régionalisée ? Est-ce réaliste ?

M. Dominique ANTOINE : Les programmes restent nationaux et c'est dans le cadre national qu'a été conçue cette offre à distance. Elle doit cependant être relayée à l'échelon local. On a ainsi pensé à FR3 surtout pour faire connaître les programmes prévus sur les deux grandes chaînes, France 5 et France-Culture.

M. le Président : Avez-vous pensé au fait que, dans le même temps, certaines grandes chaînes, publiques et privées, produiront des émissions pour enfants comme elles le font tous les jours ? Il faudra prendre une position politique sur le sujet. On ne peut pas demander à des enfants qui resteront chez eux des journées entières de regarder des émissions pédagogiques alors qu'il y aura, sur d'autres chaînes, des dessins animés. Le contrôle parental ne se fera que si les parents sont là.

Merci Monsieur le Ministre, merci Messieurs.


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