Mercredi 10 mai 2006

- Audition de M. Francis TRINCARETTO, conseiller municipal de la ville de Maubeuge, et de Mme Gaëlle COURANT, directrice du service de santé publique de la ville de Maubeuge

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN, Président

M. le Président : Notre mission a, dans un premier temps, travaillé sur la question des moyens médicaux disponibles en cas de pandémie. Puis, elle s'est penchée sur l'épizootie de grippe aviaire. Aujourd'hui, elle se consacre à l'évaluation du plan gouvernemental de préparation à une pandémie.

Dans ce cadre, nous voulions faire le point sur l'état d'avancement des préparatifs dans les collectivités locales. Nous avons proposé au maire de Maubeuge de venir nous parler de ce qui se passe dans sa ville. Il n'a pu se déplacer mais M. Trincaretto, ici présent, le représente. Merci, Monsieur, d'être venu.

M. Francis TRINCARETTO : Je suis conseiller municipal de la ville de Maubeuge, délégué à la santé publique, et par ailleurs chirurgien au centre hospitalier de Maubeuge, ce qui me permet d'être un peu familier de la grippe aviaire, et d'entretenir des liens privilégiés avec le centre hospitalier - car les mesures que la ville pourrait prendre ne sauront efficaces que s'il existe une bonne coopération entre les services municipaux et le centre hospitalier. Je suis venu accompagné de Mme Gaëlle Courant, directrice du service de santé publique de la ville.

S'agissant du risque de pandémie de grippe aviaire, nous tenons essentiellement nos informations de la préfecture, qui nous a expliqué les différentes phases de la pandémie et les dispositions à prendre en fonction de ces phases.

Nous avons tout d'abord dû traiter la phase dite « inter-pandémique », en vue de prévenir la dissémination de l'épizootie sur le territoire. Les mesures préconisées ont été prises très vite : information du public, via « La lettre du maire », sur une éventuelle mesure de confinement et sur la nécessité d'améliorer les conditions d'élevage de la volaille ; recensement des volailles et des oiseaux, grâce à des fiches mises à la disposition du public.

141 fiches ont déjà été soumises à la signature du maire, avant d'être envoyées à la direction départementale des services vétérinaires. Permettez-moi de vous faire remarquer que le fait de n'être soumis à aucune date butoir pour l'envoi de ces fiches pose un problème. Je note cependant que ce travail a eu des effets secondaires positifs et inattendus, les propriétaires de volailles en ayant profité pour améliorer les conditions d'élevage et, parfois, régler quelques conflits de voisinage.

Globalement, tout se passe bien, malgré l'absence de date butoir. Vous savez, ce problème risque fort de se poser pendant des années, et nous devrons répéter le dispositif, mettre en place des fichiers, et les suivre de près.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu des mouvements de mauvaise humeur ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, car les gens ont compris qu'il s'agissait de mesures de prévention. Malgré les conséquences économiques, tout se passe assez bien. La première phase de migration est passée, mais nous attendons la prochaine. La préfecture nous a donné des informations très précises et nous a expliqué les dispositifs que nous devions mettre en place en fonction des différentes phases.

En termes d'organisation communale, nous avons désigné un correspondant de pandémie grippale - en l'occurrence, moi-même. Cela étant, je pense qu'il conviendrait de nommer plusieurs correspondants, au cas où l'un d'eux tomberait malade.

Ce correspondant doit-il nécessairement être un élu ? Un élu municipal ? Peut-être, au surplus, serait-il intéressant de passer à l'échelle intercommunale, pour tenir compte de l'implantation des structures d'hospitalisation, et mieux coordonner nos actions.

Il est par ailleurs demandé de mettre en place une cellule de veille. Il existait déjà, à Maubeuge, une cellule de crise communale.

Je remarque, à cet égard, que nous sommes de plus en plus sollicités sur des questions de santé publique - canicule, risque climatique, risque nucléaire - qui vont au-delà de nos compétences classiques d'élus locaux. Et aujourd'hui, on nous demande de gérer ce risque de pandémie, à grand renfort de courriers répétitifs auxquels la préfecture nous invite à répondre vite. Nous avons la chance de disposer de techniciens formés, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas de toutes les villes de 35 000 habitants : c'est un vrai problème.

M. le Rapporteur : Comment est composée la cellule de veille ?

M. Francis TRINCARETTO: Elle comprend des habitants de la ville, mais aussi des personnels du centre hospitalier.

Mme Gaëlle COURANT : Cette cellule de veille communale est composée de personnels des différents services susceptibles d'intervenir en cas de crise - service communication, pour la diffusion des informations à la population ; service santé publique ; CCAS ; agents de la police municipale, qui pourraient être amenés à gérer la circulation publique ; et d'autres services, en fonction du type de crise.

M. le Président : Vous réunissez-vous ponctuellement, en cas de besoin, ou régulièrement ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous nous réunissons chaque fois qu'il le faut, les crises ne se gérant pas de la même manière, même s'il y a quelques éléments communs et invariables. Nous avons pour objectif d'élaborer d'ici la fin de l'année des procédures écrites pour chaque type de risque et de mettre en place un système nous permettant de contacter très vite les personnes chargées de gérer ces risques.

Des réunions de coordination sont déjà organisées. Si l'on s'en tient à la cellule de veille de Maubeuge, il va de soi qu'elle se concentre sur l'organisation municipale de la gestion de la crise elle-même, mais également sur la coordination avec d'autres structures, notamment l'hôpital de Maubeuge, qui compte lui aussi une cellule de crise.

M. le Rapporteur : Combien y a-t-il d'habitants à Maubeuge ?

M. Francis TRINCARETTO : 35 000.

M. le Président : Et au niveau intercommunal ?

M. Francis TRINCARETTO : 150 000.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu une formation des personnels hospitaliers au risque de pandémie ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous avons mis en place un dispositif de formation continue - une séance de formation a déjà eu lieu avec les médecins de ville, qui auront la plus grosse charge de travail.

M. le Président : Mais qu'en est-il pour les personnels hospitaliers ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous avons organisé un exercice de simulation dans un service, dont nous avons tiré certaines conclusions. Nous en organiserons d'autres pour améliorer encore le dispositif.

Nous avons par ailleurs évalué le travail de la cellule de veille.

Nous avons également évalué, dans l'hôpital, le degré d'acceptation par les visiteurs et les malades du port du masque, par exemple, ce qui a donné de bons résultats en général, sauf pour les adolescents, mais nous pouvons espérer qu'ils changeront d'attitude en cas de pandémie.

Le centre hospitalier de Maubeuge a l'avantage de bénéficier d'un département de santé publique, dont le directeur est très compétent.

M. le Rapporteur : Nous avons vraiment envie, avec le Président, de vous décerner un label trois étoiles pour la qualité des relations que vous entretenez avec le centre hospitalier, ce qui n'est pas le cas de toutes les villes, au vu des auditions que nous avons déjà menées.

M. Francis TRINCARETTO : Le fait que je sois praticien hospitalier a certainement facilité les choses.

M. le Président : En cas de maintien des malades à domicile, avez-vous prévu des mesures de surveillance médicale des personnes chez elles ? Avez-vous cerné les problèmes qui pourraient se poser et avez-vous pu y répondre ? Etes-vous aidés par les services de l'Etat ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous recevons régulièrement des directives de la préfecture, qui, de surcroît, a organisé plusieurs réunions au niveau de la sous-préfecture, au cours desquelles nous avons pu poser des questions, mais sans obtenir, cependant, de réponses précises et claires.

Et donc, plutôt que d'attendre les réponses, nous agissons, avec nos propres moyens.

S'agissant du maintien à domicile des malades, nous devrons nous occuper plus particulièrement des personnes âgées, des personnes handicapées, et de celles, plus difficiles à repérer, atteintes de maladies respiratoires, qui sont plus nombreuses dans le Nord de la France que dans le Sud.

Notre service s'appelle « Santé publique, handicap et personnes âgées ». Depuis la canicule de 2003, nous avons mis en place un système de repérage des personnes âgées, en lien avec le CCAS, et nous avons évalué leurs besoins, notamment en termes de santé. Nous avons mené des enquêtes, établi des statistiques sur les personnes âgées de plus de 65 ans. Nous sommes en train de dépouiller environ 900 questionnaires d'une cinquantaine d'items.

M. le Président : Avez-vous établi un fichier téléphonique ? Avez-vous les moyens d'envoyer des messages, d'en recevoir, d'assurer une sorte de veille sanitaire minimale ?

M. Francis TRINCARETTO : Chaque année, nous envoyons un courrier personnalisé à toutes les personnes concernées, ne serait-ce que pour les informer de la conduite à tenir en cas de canicule.

Mme Courant a contacté la préfecture pour savoir s'il y avait du nouveau en matière de gestion du risque canicule, mais elle n'a toujours pas obtenu de réponse, alors que nous sommes à la veille de l'été ! Nous craignons que la préfecture ne nous réponde pas davantage si nous l'interrogeons à propos de la grippe aviaire !

M. le Président : Nous sommes bien conscients de ce problème... Les personnes âgées acceptent-elles facilement de donner leur numéro de téléphone ?

Mme Gaëlle COURANT : Chaque année, nous envoyons une lettre expliquant aux personnes âgées les raisons du recensement dans le cadre du risque canicule, avec un petit dépliant d'information et de recommandations, ainsi qu'un coupon-réponse à nous renvoyer au cas où ces personnes accepteraient d'être listées dans nos fichiers des personnes vulnérables. Ce fichier est informatisé - à chaque ligne, nous trouvons les coordonnées de la personne, son état de santé, le nom de son médecin référent, celui de son infirmier etc. En cas de déclenchement de l'alerte canicule par la préfecture, il nous est demandé d'appeler, durant dix jours, les personnes âgées recensées dans ce listing, et de poser un certain nombre de questions pour détecter, par téléphone, une éventuelle détresse. A la suite de cette conversation, il arrive que nous envoyions quelqu'un sur place.

Nous rencontrons un problème lorsque la personne ne répond pas au téléphone. Faut-il intervenir, et comment, quand nous ignorons si la personne est tombée ou si elle est simplement partie en vacances ?

M. le Rapporteur : Avez-vous mis à la disposition de la population un numéro de téléphone gratuit ?

M. Francis TRINCARETTO : Oui, et la permanence est assurée 24 heures sur 24.

M. Jean-Claude FLORY : Sur les 35 000 habitants, combien sont vulnérables ?

M. Francis TRINCARETTO : Nous considérons que toutes les personnes de plus de 65 ans sont vulnérables, soit environ 4 000 personnes.

Mme Gaëlle COURANT : Entre 160 et 170 personnes ont renvoyé le coupon et se sont déclarées vulnérables. 4 000 personnes environ ont plus de 65 ans à Maubeuge, et 6 000 personnes ont plus de 60 ans, sur 35 000 habitants.

M. le Président : Votre ville est jeune ! Votre stratégie consiste, si je comprends bien, à créer un lien entre la mairie et les personnes concernées, plutôt qu'à mettre en place un encadrement par quartier.

M. Francis TRINCARETTO : Non, pas vraiment, ces deux actions ne sont pas exclusives.

M. le Président : De nombreux médecins libéraux se plaignent de ne pas avoir reçu de formation. Vous semblez avoir pris des initiatives. Comment se sont-elles passées ?

M. Francis TRINCARETTO : Les médecins généralistes auront en charge la gestion des flux vers l'hôpital et la gestion des malades restés à domicile.

M. le Président : Pardonnez-moi de vous interrompre : l'hôpital est-il à Maubeuge même ?

M. Francis TRINCARETTO : Oui, et il y a aussi des structures hospitalières dans la proche banlieue de Maubeuge, à une dizaine de kilomètres.

S'agissant des médecins généralistes, j'ai pris l'initiative de rencontrer l'animateur principal de la médecine libérale à Maubeuge, et je l'ai interrogé sur la façon dont les généralistes envisageaient la crise de la grippe aviaire. Il m'a répondu que ses confrères avaient bien eu des informations, mais qu'ils se posaient encore beaucoup de questions sur la gestion de la crise, en période de pandémie. Par exemple, comment soigner tous les malades alors que nombre de médecins seront eux-mêmes malades ? Les médecins vont-ils continuer à s'occuper de leur clientèle ou seront-ils affectés à des territoires ? Nous n'avons pas de réponse.

Le centre hospitalier avait proposé de travailler par quartier, supposant que probablement, un médecin sur deux sera malade et ne pourra pas travailler.

Un autre problème tient à féminisation du monde médical - sans parler des infirmières ! Les femmes médecins devront s'occuper de leurs enfants puisque les crèches seront fermées. Comment faire ?

En termes d'organisation, les médecins ne sont pas encore très mobilisés. Nous allons revoir la question avec l'hôpital, à moins que le Gouvernement n'impose un modèle. Je pense qu'il faudra être très directif en cas de pandémie.

M. le Président : Vos propos confirment totalement notre vision. En cas de pandémie, les personnes devront rester chez elles. Avez-vous été sensibilisés par la préfecture aux divers problèmes qui pourraient se poser, ou y avez-vous réfléchi par vous-même ? Avez-vous rencontré des gérants de supermarché, par exemple ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, nous ne les avons pas rencontrés, mais il aurait été intéressant de le faire, ne serait-ce que dans le cadre du risque canicule.

M. le Président : Selon les plans de préparation, il serait demandé à la population de constituer des réserves. Le préfet a-t-il abordé cette question avec vous ?

M. Francis TRINCARETTO : Non, et nous n'avons pas davantage de réponse sur la manière dont nous allons gérer le social et l'économique.

M. le Président : Y a-t-il eu une réflexion sur l'organisation des pompes funèbres ?

M. Francis TRINCARETTO : Selon les statistiques, une pandémie causerait, au plan national, la mort de 250 000 à 300 000 personnes, soit, pour Maubeuge, entre 130 et 150 morts. Selon une première évaluation, il semble qu'il y ait assez de sociétés de pompes funèbres pour gérer la situation. Cela étant, elles ne s'occupent que d'une partie de la chaîne. Restent les problèmes liés aux capacités des cimetières etc. Nous ne nous sommes pas encore occupés de cette question, qui figure en dernier dans les directives préfectorales.

M. le Rapporteur : J'aurai une dernière question : avez-vous noué des contacts, au sein du département, avec les autres communes ou les autres maires ? Le préfet a-t-il réuni tous les maires du département ?

M. Francis TRINCARETTO : La seule réunion à laquelle je me suis rendu était organisée à la sous-préfecture, et rassemblait une soixantaine de maires ou de leurs représentants. Le directeur des services vétérinaires du Nord-Pas-de-Calais ainsi que des représentants de la DRASS étaient présents.

Au travers des questions posées, j'ai eu le sentiment que les élus n'étaient pas encore prêts. A Maubeuge, outre le fait que je sois médecin, nous avons aussi la chance de travailler avec des personnes vraiment compétentes et de disposer d'un service de santé publique. C'est vrai que nous sommes dans une région agricole, ce qui explique que la filière avicole soit davantage au cœur des préoccupations que la pandémie. Peut-être aussi la pandémie apparaît-elle comme un risque encore trop lointain pour s'avérer véritablement inquiétant. Cependant, je pense qu'il est grand temps de sensibiliser les petites villes ! Il reste que les communes se trouvent confrontées à deux problèmes : d'une part, elles n'ont pas de compétences particulières en matière de santé publique, d'autre part, et surtout, la mise en place de dispositifs de gestion des risques a des incidences financières non négligeables qu'il faut intégrer.

Au sein de la communauté d'agglomérations, certaines villes coopèrent car elles ont bien compris l'intérêt d'harmoniser nos pratiques.

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de nous avoir livré votre témoignage. A l'évidence, vous êtes bien avancés par rapport à d'autres collectivités sur la préparation de votre ville au risque de pandémie. Vous avez su prendre d'heureuses initiatives, ce qui est encourageant. Votre expérience témoigne aussi de la richesse du lien qui peut se nouer entre la municipalité et l'hôpital. Votre témoignage est très intéressant, même si, malheureusement, je ne pense pas qu'il reflète la situation réelle du pays.


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