Mercredi 10 mai 2006

- Audition de MM. Pierre GUINOT-DELÉRY, secrétaire général de la Ville de Paris, et Thierry LE LAY, directeur de la protection et de la prévention à la Ville de Paris

(Compte rendu de la réunion du mercredi 10 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Pierre Door, Rapporteur

M. le Rapporteur : Le Président Jean-Marie Le Guen m'a demandé de l'excuser auprès de vous et d'assurer la présidence de cette réunion.

Après avoir consacré ses premiers travaux aux moyens médicaux disponibles en cas de pandémie, puis s'être intéressée à l'épizootie de grippe aviaire, la mission procède actuellement à l'évaluation du « plan Pandémie » du Gouvernement. Dans ce cadre, nous souhaiitons savoir comment les collectivités locales se préparaient au risque pandémique. Après avoir reçu des représentants d'une ville moyenne, nous voulions savoir où en était la ville de Paris, surtout depuis qu'elle est dotée d'un « plan Pandémie » municipal.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : A la demande du maire, nous avons créé, début 2002, une structure de gestion de crise. C'est dans le cadre de cette organisation centralisée, qui n'existait pas en tant que telle auparavant, que nous nous préparons à l'éventuelle pandémie de grippe aviaire, la direction de la protection et de la prévention que dirige M. Thierry Le Lay étant le pilote clairement identifié du dispositif. D'autre part, nous avons engagé un important cycle de formation à la gestion de crise. En 2005, il a concerné quelque 350 cadres des services de la Ville, à charge pour eux de répercuter ce qu'ils avaient appris dans leurs services respectifs. En 2006, ce cycle de formation bénéficiera à une cinquantaine d'élus, conseillers de Paris ou conseillers d'arrondissement. A notre demande, les formateurs ont inclus dans ces sessions un module spécifiquement consacré à la grippe aviaire.

Bien entendu, nous travaillons en étroite collaboration avec la préfecture de police, et plus particulièrement avec la préfète responsable de la zone de défense - qui couvre dix millions d'habitants. Des réunions hebdomadaires, le mardi, sont organisées à son initiative. Je n'y participe qu'exceptionnellement, mais des membres du secrétariat général ou du cabinet du maire y sont dépêchés. La préfète choisit les interlocuteurs, et les représentants des secteurs considérés peuvent être entendus. Chaque mardi, des sujets très divers sont abordés, comme, par exemple, la continuité des approvisionnements, la permanence du fonctionnement des services médico-sociaux ou encore l'intervention et la protection des professionnels de santé. Ces habitudes de travail ont été prises il y a maintenant un moment et nous les avons appliquées par exemple lors de la canicule de l'été 2003.

Voilà pour le cadre général. S'agissant de la préparation à la pandémie, nous avons mis au point une organisation qui tient compte des deux phases distinguées par les autorités de l'État, celle de dix jours environ pendant lesquels les services seraient maintenus mais sur un mode quelque peu dégradé, et celle qui suivra, d'installation dans la pandémie.

Nous avons déterminé les services municipaux dont le fonctionnement devrait absolument être maintenu au cours de la première phase. Ainsi, il est apparu que, pour ne pas aggraver une situation sanitaire qui sera déjà délicate, il était essentiel d'assurer la permanence du service municipal de collecte des ordures ménagères, qui devra fonctionner, non pas même en mode dégradé, mais normalement.

Dans le domaine social, nous recourrons au fichier CHALEX que nous avons constitué, après la canicule de 2003, avec la bénédiction de la CNIL et à partir des signalements faits volontairement des personnes isolées. En cas de pandémie, nous leur prêterions une attention particulière, en s'assurant qu'elles disposent de l'approvisionnement nécessaire et qu'elles n'ont pas de problèmes de santé. En cas de besoin, les agents des services sociaux polyvalents de la Ville pourraient leur rendre visite à domicile.

Enfin, nous devons nous assurer que, pendant cette période de crise profonde, certaines fonctions logistiques essentielles continueront d'être exercées, qu'il s'agisse de la fourniture des services informatiques, du traitement des payes ou des transports automobiles municipaux destinés à acheminer personnes et matériels.

Une fois ces missions capitales identifiées, chacune des vingt-deux directions de la Ville a déterminé, en consultant le fichier du personnel, ceux de ses agents, parce qu'ils habitent loin de leur lieu d'affectation, auraient du mal à venir travailler si les transports en commun devaient fonctionner en mode dégradé. Elles ont aussi évalué le nombre de fonctionnaires parents d'enfants de moins de 12 ans, qui éprouveront sans doute des difficultés pour les faire garder, les consignes gouvernementales étant qu'écoles et crèches seront fermées en cas de crise. Tous calculs faits, il est apparu que l'on pourrait trouver les 8 500 agents - sur l'effectif de 46 000 personnes qui est celui de la Ville - dont la présence serait nécessaire pour faire fonctionner les services définis comme indispensables, au maximum de leur capacité.

Toutefois, des éléments d'incertitude demeurent. Non seulement on ne sait pas quelle proportion de ces 8 500 fonctionnaires sera atteinte par le virus, mais il peut se produire à Paris le phénomène d'« évaporation » constaté ailleurs en temps de crise. Que l'on se rappelle ce qui s'est passé lorsque le cyclone a frappé la Nouvelle-Orléans : certains n'ont rien eu à faire de plus pressé que de monter dans leur voiture pour aller se mettre à l'abri. Les agents de la Ville de Paris ont beau avoir le sens du service public, on ne peut pas exclure qu'ils aient des réflexes inattendus et pas toujours très glorieux. La réserve communale - avec des personnes qui ne sont pas dans les effectifs de la Ville - pourrait permettre de suppléer pour partie les défaillances éventuelles, et l'on peut aussi solliciter les agents dont la présence n'a pas été jugée indispensable dans un premier temps ; il reste que l'on ne pourra pas demander aux jardiniers de procéder à la collecte des ordures ménagères. Mais l'idée est désormais admise qu'une situation exceptionnelle emporte des obligations exceptionnelles. Je pense donc que, dans le vivier de notre effectif total, nous parviendrons à compenser les défaillances pour assurer la permanence des missions prioritaires. J'en veux pour preuve qu'à l'été 2003, des agents se sont portés volontaires pour aider leurs collègues des services funéraires, acceptant ainsi d'assumer des tâches particulièrement éprouvantes sur les plans psychologique et physique.

Dans le même temps, nous avons commencé d'acheter du matériel de protection pour les agents auxquels nous demanderons de se déplacer au risque d'être contaminés. Déjà, 3,5 millions de masques sont stockés, et nous avons prévu et budgété l'achat de 1,5 million de masques cette année. Nous avons par ailleurs informé les organisations syndicales du dispositif prévu. Le professeur Gilles Brücker, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire, est venu exposer au Comité d'hygiène et de sécurité central de la Ville de Paris central l'état des connaissances sur la grippe aviaire. Le dispositif doit maintenant être décliné dans chaque direction, au sein de son comité d'hygiène et de sécurité. J'ai ainsi réuni le comité hygiène et sécurité du secrétariat général pour expliquer comment notre instance serait organisée en cas de pandémie.

Les agents de la Ville seront donc informés par les leurs organisations syndicales mais aussi par notre site intranet, qui comprend une rubrique « grippe aviaire » régulièrement mise à jour. 20 000 de nos 46 000 agents sont reliés à un terminal dans l'exercice de leurs fonctions, et il y a des terminaux en accès libre dans les ateliers. Nous avons par ailleurs renforcé la communication sur support papier.

Vous savez sans doute qu'une expérimentation a eu lieu, il y a quelques semaines, dans le 20e arrondissement. Pendant cinq jours, les éboueurs ont collecté les ordures ménagères en portant la tenue recommandée en cas de pandémie : masque, gants et combinaison. La population et la presse avaient été prévenues, il n'y a eu aucune panique et les riverains se sont félicités que la municipalité se prépare très en amont à une crise éventuelle. Selon moi, en matière de gestion de crise, rien n'est pire que de minorer les risques ou de taire les dispositions que l'on prend. L'expérimentation a mis au jour le besoin d'impliquer les bailleurs sociaux dans le dispositif, puisqu'il leur reviendra d'informer les gardiens d'immeubles des précautions à prendre dans la manipulation de déchets dont certains seraient, en cas de pandémie, potentiellement contaminés. Je les réunirai à cette fin. Nous avons aussi constaté que les masques dont nous avons fait l'acquisition sont sans doute adaptés aux besoins du personnel administratif mais que, pour les agents chargés de tâches physiques, cet équipement n'est manifestement pas confortable. Il est donc probable que nos prochaines acquisitions porteront sur un modèle différent. Les participants à l'exercice nous ont également signalé des difficultés s'agissant des bottes : nous regardons le problème.

M. le Rapporteur : Votre stock actuel est-il constitué de masques FPP2 ?

M. Thierry LE LAY : Oui.

M. le Rapporteur : Ces masques sont plutôt destinés aux personnels hospitaliers.

M. Thierry LE LAY : Nous envisageons d'acheter des masques avec valve pour les éboueurs.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Si nous nous sommes équipés comme nous l'avons fait, c'est que les travailleurs sociaux qui seront appelés à se rendre au domicile de personnes en péril courront un risque de contamination pendant leurs déplacements et lors de leurs visites. Mais nous allons adapter nos prochains achats, en fonction des enseignements tirés de l'exercice.

Je vais à présent rencontrer les maires d'arrondissement et les directeurs des services des mairies d'arrondissement, car non seulement les services de l'état-civil devront rester ouverts, mais les mairies d'arrondissements participeront au dispositif. En effet, dès que l'épidémie aura été officiellement déclarée, la cellule de crise centrale, dont la composition est déjà connue, pourra être réunie en une heure à l'Hôtel de ville, dans une salle prévue à cet effet et équipée des moyens de communication nécessaires. Mais cette cellule de crise devra avoir des relais dans les arrondissements, aussi bien pour faire passer informations et consignes à la population que pour faire remonter les lacunes éventuelles du dispositif à combler d'urgence. Ce relais devrait être assuré, dans chaque mairie d'arrondissement, par un groupe réuni autour du maire et rassemblant quelques élus et quelques collaborateurs ainsi que le personnel de l'état civil. C'est ce que nous expliquerons au cours des réunions qui se tiendront fin mai ou début juin.

S'agissant de l'information de la population parisienne, nous avons créé une rubrique « grippe aviaire » sur le site officiel de la Ville, Paris.fr, et nous avons prévu de faire paraître dans le prochain numéro de notre revue municipale, « A Paris », un encart spécial reprenant les informations fournies par le ministère de la santé.

Nous avons aussi eu à régler, au cours de l'hiver, le ramassage des oiseaux morts. Il en mourrait bien entendu tous les jours, mais ce qui passait inaperçu est devenu un sujet d'inquiétude pour tous... Dans un premier temps, une société privée a été chargée du ramassage, sur signalements au 3975, numéro de téléphone unique voulu par le maire et non surtaxé, à la différence de celui de l'ancien « Paris Info Service ». Ensuite, toutes garanties de protection leur ayant été données, les agents de la direction des parcs, jardins et espaces verts ont accepté d'assurer le ramassage, comme ils le faisaient auparavant. Les choses sont un peu plus compliquées à la direction de la protection de l'environnement - chargée notamment de la collecte des ordures ménagères et du nettoiement de la voie publique - où de plus grandes réticences s'expriment, mais je ne doute pas que les discussions aboutiront et que les agents de cette direction ramasseront, eux aussi, les oiseaux morts.

M. François GUILLAUME : En dehors de la question de la collecte des ordures ménagères, quelles sont les mesures prévues pour les autres secteurs de la vie quotidienne à Paris ? Qu'en sera-t-il des transports ? Les salles de spectacle et les restaurants seront-ils fermés ? Les manifestations sportives et culturelles seront-elles annulées ? Quels contacts existent entre la Ville et les hôpitaux ? Comment l'afflux vers les établissements hospitaliers sera-t-il organisé et comment gèrera-t-on le maintien à domicile des malades ? Chacun sait-il ce qu'il doit faire pour que, le jour venu, les décisions nécessaires soient prises et appliquées dans les délais les plus brefs ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Il faut savoir que la Ville de Paris n'est pas encore une collectivité locale de plein exercice comme les autres : certaines décisions ne relèvent pas du maire mais du préfet de police. Nous travaillons naturellement en liaison étroite avec la préfecture de police et, si une crise devait se déclencher, un représentant du préfet de police siègera dans notre cellule de crise centrale et l'un de nos représentants siègera à la cellule de crise de la préfecture de police.

M. François GUILLAUME : On se rend compte, au fil des auditions, que tout le monde attend tout de l'État : décisions, idées, moyens... Pourtant, chaque collectivité devrait mettre en place un dispositif propre et, pour cela, y réfléchir dès maintenant avec tous les opérateurs afin que rien ne soit négligé, qu'il s'agisse d'organisation, d'approvisionnement, de transferts vers les hôpitaux, de maintien à domicile ou de répartition des médecins sur le territoire. En fait, il faut en venir à un type d'organisation presque militaire.

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : J'ai passé onze années dans le corps préfectoral et j'ai notamment été préfet délégué à la sécurité à Lyon. Mon expérience des situations de crise me fait dire qu'il y a effectivement des analogies avec l'organisation militaire, mais qu'il est surtout primordial qu'une autorité et une seule soit responsable du déclenchement des initiatives et de leur application. Or, s'agissant des transports, par exemple, la RATP n'est pas sous l'autorité de la Ville : elle dépend du STIF, le syndicat des transports d'Ile-de-France, présidé par le président du conseil régional, et le maire n'a aucun moyen de dire à la présidente de la RATP qu'il veut qu'un autobus passe à tel endroit ou à tel autre.

L'organisation à mettre en place au moment du déclenchement de l'épidémie résulte d'un dispositif qui s'élabore sous l'autorité du préfet de police et de sa collaboratrice directe, la préfète responsable de la zone de défense. La Ville est allée un peu au-delà de ce qui serait strictement nécessaire sur le plan juridique. Nous avons ainsi prévu de pouvoir, le cas échéant, acheminer nos fonctionnaires par nos propres moyens sur leur lieu de travail, et aussi de les héberger dans des gymnases et des écoles pour limiter les allées et venues et, avec elles, les risques de contamination. La logistique est donc déjà prévue mais nous continuons à en discuter chaque semaine avec la préfecture de police.

S'agissant des hôpitaux, le maire de Paris est certes, es qualité, président du conseil d'administration de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, l'AP-HP. Mais si vous le croisez, demandez donc à M. Delanoë dans quelles conditions il a été prévenu du dernier changement de directeur général de cette institution... Et lorsque la Ville a versé une subvention supplémentaire aux services d'urgences de l'AP-HP, sa répartition a été faite par le ministère de la santé bien davantage que par la municipalité...

C'est la préfecture de police et non la Ville qui mène les discussions avec la grande distribution pour voir comment assurer la permanence de l'approvisionnement.

En résumé, nous ne sommes pas démunis, mais nous sommes insérés dans un environnement administratif et juridique particulier. Nous assumons toutes nos responsabilités, en allant même, parfois, au-delà. Par exemple, personne ne nous avait spécialement demandé d'informer la population. Pourtant, vous avez sans doute remarqué les affichettes quelque peu provocatrices - « Si vous aimez les oiseaux, ne les nourrissez pas » - que nous venons d'apposer à l'entrée des parcs et jardins de Paris, par lesquelles nous rappelons une interdiction ancienne, et bien oubliée, de nourrir les pigeons.

Nous sommes prêts à nous mettre à la disposition de l'État, mais les initiatives doivent provenir de la préfecture de police, qu'il s'agisse de définir quand le plan doit être déclenché, quelles sont les priorités ou quels sont les besoins à satisfaire en complément des moyens que l'État peut mobiliser. La Ville a une organisation municipale crédible, qui tient compte des singularités parisiennes, mais les textes veulent que la coordination des secours relève de l'autorité préfectorale. Certes, aucune tête ne doit dépasser, mais le premier du rang est le préfet de police, derrière lequel chacun fait ce qu'il a à faire.

M. le Rapporteur : S'il y a pandémie, les hôpitaux ne pourront pas accueillir toutes les personnes touchées par le virus, et l'on demandera donc à de nombreuses personnes malades de rester chez elles. Si, comme certaines projections le laissent penser, 20 % de la population parisienne est contaminée, comment prendra-t-on en charge 400 000 malades, pour la plupart restés à domicile ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Nous avons largement prévu cette organisation, qui sera du ressort des services sociaux polyvalents. Les signalements par le 3975 et l'utilisation des fichiers déjà constitués permettront aux travailleurs sociaux, qui figurent au nombre des 8 500 agents dont nous avons estimé la présence indispensable, en cas de pandémie, de rendre visite et de porter secours à ceux qui en ont besoin. Par le biais des centres d'action sociale et par le fichier des allocataires, nous avons déjà une assez bonne connaissance des personnes qui pourraient se retrouver en difficulté et nous les contacterons, au moins par téléphone. Si elles ne répondent pas ou si elles disent avoir besoin d'un appui, nous irons chez elles et, le cas échéant, le relais sera passé aux équipes médicales, car les travailleurs sociaux ne sont pas des soignants. Enfin, les centres de santé pourraient être des lieux de vaccination. Le maillage existe donc déjà et, même si une part d'inconnu demeure, l'articulation entre préfecture de police, services sociaux et professionnels de santé devrait permettre la prise en charge des plus vulnérables.

M. le Rapporteur : Plutôt que de maintenir ouverts au public les services de l'état-civil, ne pourrait-on imaginer des déclarations par voie électronique ?

M. Pierre GUINOT-DELÉRY : Indépendamment de l'hypothèse d'une pandémie de grippe aviaire, nous avons entrepris de numériser l'état-civil, si bien que, dans certains arrondissements, on peut désormais télécharger des documents, au lieu de se déplacer. Mais dans les cas que vous évoquez, il me semble juridiquement improbable que l'on puisse accepter une déclaration de naissance ou de décès sur la foi d'un appel téléphonique ou d'un message électronique.

M. le Rapporteur : Messieurs, je vous remercie.


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