Mardi 30 mai 2006

- Audition de M. Francis DELON, Secrétaire général de la défense nationale, et de M. Didier HOUSSIN, Directeur général de la santé, Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire

(Compte rendu de la réunion du mardi 30 mai 2006)

Présidence de M. Jean-Marie LE GUEN

M. le Président : L'objet premier de cette audition des deux plus hauts responsables de la préparation du plan « pandémie » est de faire le bilan de l'exercice national « pandémie grippale » qui s'est déroulé les 24 et 25 avril derniers, exercice auquel, disons-le franchement, notre mission d'information aurait apprécié d'être plus directement associée : le contrôle parlementaire devrait pouvoir s'exercer également à ce niveau.

M. Francis DELON : Ce deuxième exercice majeur - le premier avait eu lieu en juin 2005 - s'est déroulé sur deux demi-journées. Il s'agissait d'un exercice dit d'état-major visant à tester le processus de décision au niveau gouvernemental dans une phase critique de la pandémie, c'est-à-dire en situation 5 et 6. Le but était également de vérifier comment la transition pouvait s'opérer entre la gestion de la crise en phase 5 et celle de la phase 6, puisqu'il est admis que le Premier ministre en confie, en principe, au ministre de la santé, en phase 5 et plutôt au ministre de l'intérieur en phase 6, c'est-à-dire en situation de pandémie avérée ; nous voulions voir comment se passait le témoin entre les deux ministres. Élément nouveau par rapport aux précédents exercices : des organisations internationales avaient été conviées à participer et plusieurs pays ont envoyé des représentants à Paris pour suivre en temps réel les événements « injectés » dans le cadre du scénario.

Le cadre général était celui de l'arrivée de la pandémie en France, avec l'apparition de cas humains groupés à l'étranger, puis en France, évoluant ensuite en situation 6. À noter que pour la première fois, l'exercice ne s'est pas déroulé au SGDN, mais sur place, dans les ministères : la première demi-journée s'est jouée au ministère de la santé, la seconde au ministère de l'intérieur. Le but était d'entraîner les autorités gouvernementales et les services de l'État appelés à intervenir dans la gestion de la crise, mais également de tester les aspects de communication publique et d'évaluer les mesures du plan gouvernemental, déjà révisé par rapport à la première mouture, et de chercher naturellement à l'améliorer.

Les « joueurs » : le ministre de la santé lui-même, pendant toute la durée de l'exercice, y compris durant la phase qui s'est déroulée au ministère de l'intérieur, les cabinets ministériels et les hauts fonctionnaires responsables des questions liées à la pandémie grippale. Étaient également invités des représentants de la société civile à travers deux panels « opinion publique » installés au ministère de l'intérieur et à celui de la santé, et quatre groupes professionnels - gestionnaires territoriaux de crise, professions de santé, entreprises et services à la population, monde agricole et filière agroalimentaire - appelés à réagir en temps réel aux décisions prises, afin d'en mesurer l'impact et d'éclairer les décideurs. Du côté des partenaires étrangers, ont participé l'OMS, la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne, l'Organisation mondiale de la santé animale, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et des observateurs des États-Unis, de l'Allemagne, de l'Australie, du Luxembourg et du Maroc.

Parmi les enseignements à tirer de cet exercice, il faut d'abord souligner le niveau élevé de participation et d'implication des ministères : ce n'est pas toujours le cas, même lors d'exercices dits majeurs. Si les médias semblent désormais se désintéresser de la menace de pandémie grippale, cet état d'esprit ne se retrouve pas chez les responsables, pleinement conscients de la gravité du risque et de la nécessité d'un traitement attentif.

Il est également apparu que le plan gouvernemental était bien connu des participants dans tous les ministères et que ses grandes lignes comme les mesures proposées étaient pertinentes. Des améliorations peuvent bien sûr être apportées, mais grosso modo, le plan fonctionne. Quelques développements s'imposent, notamment sur les mesures à appliquer dans la situation charnière 5B, entre la phase 5 et la phase 6 ; les aspects européens et internationaux n'ont, à l'évidence, pas encore été assez approfondis ; il conviendra également de travailler sur les plans de continuité des opérateurs d'importance vitale - administrations, collectivités territoriales, entreprises - afin d'éviter toute interruption des services essentiels.

Bon nombre de joueurs pensaient que toutes les mesures prévues dans le plan devaient être appliquées, alors que celui-ci doit être considéré comme une boîte à outils où les mesures doivent être sélectionnées en fonction des paramètres du moment. Cette dimension de choix des mesures ne semble pas avoir été totalement prise en compte.

Dans le domaine de la communication, un progrès considérable a été accompli depuis l'exercice de juin 2005, qui témoigne d'une réelle volonté de transparence. Chacun est bien conscient du fait que, pour être efficace, la parole publique doit être crédible et crue. Cette nécessité est désormais parfaitement intégrée.

M. Didier HOUSSIN : Un exercice de ce genre, pour tous ceux qui sont engagés dans sa pratique, apparaît tout à la fois comme une rupture, presque un moment de détente, mais aussi comme un aiguillon face à une situation certes simulée mais - l'actualité en Indonésie le montre - qui semble proche de la réalité. C'est donc un événement particulièrement utile et mobilisateur.

Son premier mérite est de nous faire sortir de la dimension un peu théorique du plan gouvernemental en le confrontant à des questions pratiques. Les panels ont, à cet égard, été d'une grande utilité en permettant d'avoir à chaque instant le « retour », les réactions des collectivités comme du grand public à certaines situations ou décisions.

Il aura également montré à quel point certaines décisions sont difficiles, à plus forte raison lorsqu'elles doivent être prises dans un cadre temporel très contraint. C'est particulièrement le cas des décisions pour lesquelles le regard national est trop limité, celles qui touchent aux frontières, à la concertation européenne et à la transmission des instructions au niveau international, ou encore aux Français à l'étranger. Autre catégorie de questions difficiles, celles qui, au contraire, concernent des échelons très fins de la société : ainsi en est-il de ce qui se passe au sein des entreprises, ou encore des prisons, en situation de pandémie.

Du côté du ministère de la santé, l'exercice aura été l'occasion d'un véritable bond en avant dans sa capacité à gérer une crise de cette nature. Des progrès restent évidemment à faire, notamment dans les procédures de fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, mais pour la première fois, il a été possible de travailler dans des locaux de gestion de crise dignes de ce nom et de voir le ministre de la santé engagé personnellement et durant de longues heures dans une action de coordination interministérielle.

Le scénario nous a confrontés à des points appelant à être affinés : la préparation à la pandémie grippale dans les TOM - Polynésie et Nouvelle-Calédonie en particulier - le problème des prisons, déjà mentionné, l'accès du public au numéraire et aux minima sociaux, notamment, appelleront un traitement spécifique. L'exercice aura été à cet égard l'occasion de se pencher sur une série de sujets susceptibles de devenir cruciaux en situation de pandémie.

Il aura également permis de réfléchir au rôle de la délégation interministérielle en situation de crise. Durant les derniers mois celle ci a eu un rôle de « prémâchage » de certaines décisions ou orientations techniques, et un rôle de mobilisation et de suivi . Au moment de l'exercice, elle a eu un rôle d'appui au ministre de la santé puis au ministre de l'intérieur en charge de l'action interministérielle, particulièrement au moment du passage de témoin, où la Délégation a été un élément de continuité.

Pour ce qui est des améliorations à apporter au plan, sans doute faudra-t-il s'inspirer aussi de celles qui viennent d'être apportées au plan américain en précisant clairement les tâches dévolues à certains ministères. Si l'actuel plan précise les catégories d'actions, celles-ci ne sont pas clairement affectées à un ministère précis. Nous aurons à travailler sur cette affectation, afin que chaque département ministériel sache exactement quelle est sa responsabilité dans une action donnée.

Nous aurons également à nous pencher sur les délais de préparation de certaines actions. L'exercice a montré à quel point l'équilibre était difficile à trouver entre la nécessité d'attendre l'instruction officielle, au risque de retarder la mise en œuvre de la décision, et celle d'anticiper, au risque de provoquer un emballement du processus. C'est la raison pour laquelle le délai de préparation de chaque tâche devra être précisément connu : par exemple, si l'on parle de pré-positionner les antiviraux à tel endroit, encore faut-il savoir exactement quel délai prendra l'opération de pré-positionnement, afin d'avoir une idée de la nécessaire anticipation.

Au total, je retire de cet exercice une double leçon : premièrement, le regard national sur certains secteurs est, à l'évidence, beaucoup trop limité et nous devons être très attentifs à la dimension internationale ou mondiale, qu'il s'agisse des communications, des grandes entreprises, des frontières, des vols internationaux ou encore de la transmission des instructions de l'OMS. Deuxièmement, le regard national reste, par ailleurs, quelque peu grossier et nous devrons voir s'affiner et se généraliser la préparation, notamment, des collectivités territoriales, des établissements de santé, des entreprises et s'organiser également des exercices à tous ces niveaux.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Il était utile que vous veniez nous faire part des résultats du dernier exercice car bon nombre de questions se posent encore, dont certaines assez critiques.

Notre première interrogation, au sein de la mission, portait sur la gestion globale de la crise, apparemment quelque peu difficile dans la mesure où plusieurs ministères sont concernés. Comment la rendre véritablement opérationnelle ? Certains n'ont pas hésité à parler d'un défaut de l'État dans la gestion de la crise.

Il conviendrait également de répondre au plus vite aux inquiétudes des personnels médicaux, dans les hôpitaux comme dans la médecine ambulatoire, que nous ont rapportées tant les syndicats que les cadres hospitaliers, que nous avons rencontrés. Les personnels de La Pitié-Salpêtrière m'ont fait part de leurs craintes à propos des locaux, à leur avis trop exigus, du nombre de respirateurs et des matériels dont disposeraient les services de réanimation ou de pédiatrie au cas où surviendrait la pandémie. Les agents se demandent également si une assurance est prévue face aux risques encourus, y compris pour leurs propres familles.

La question m'a également été posée, voilà seulement quelques jours, des modalités de distribution des médicaments, Tamiflu, masques et autres. Passera-t-elle par les hôpitaux ou par le réseau des distributeurs et des pharmacies ?

Enfin, si la vie sociale doit continuer, les interrogations demeurent quant au fonctionnement des écoles, des transports, du commerce et de la distribution. Y a-t-on répondu ?

M. le Président : Toutes ces questions ont effectivement été posées au cours de nos auditions ; mais il serait bon, dans un premier temps, d'en rester à celles qui ont trait à l'exercice proprement dit.

M. Gérard BAPT : J'aimerais connaître les réactions des panels représentant les groupes socioprofessionnels aux décisions prises par l'autorité centrale.

M. Didier HOUSSIN : La fluidité de la transmission des informations entre les différentes structures de la cellule interministérielle de crise et les panels a montré ses limites, à tel point que ces derniers ont parfois été amenés à réagir sans avoir nécessairement d'informations précises sur la décision prise ou sur l'évolution de la situation au niveau de la cellule de crise. Les retours portaient davantage sur la manière dont fonctionnait le dispositif d'exercice que sur des questions de fond. Les positions prises, malgré tout, par les panels, ont été instructives. Je me suis remémoré les réactions du panel « grand public », lors de l'exercice pandémie 05, à propos des Français à l'étranger : dans un premier temps, il tenait à faire revenir au plus vite ces Français au pays, jusqu'à ce que la question se pose du risque de contagion... Ce qui montre à quel point les réactions peuvent aussi rapidement évoluer !

Quant aux réactions du panel « gestionnaires territoriaux », particulièrement le deuxième jour, elles mettaient, pour l'essentiel, l'accent sur des aspects pratiques - accès aux minima sociaux, poursuite ou non de l'activité de l'entreprise, chômage partiel ou non, etc. -, autrement dit sur la façon dont la société continuera à fonctionner.

M. Francis DELON : Lors du premier exercice de juin 2005, c'était l'incrédulité qui dominait dans les réactions de l'opinion publique : elle n'était pas du tout préparée à entendre et à voir le scénario que nous lui soumettions. L'idée d'avoir affaire à une telle pandémie leur paraissait totalement incroyable ; l'exercice leur paraissait n'avoir aucune relation avec la réalité. Un an plus tard, alors que le scénario est tout aussi catastrophique, les réactions sont totalement différentes. Les médias ont fait leur travail : l'idée qu'une telle catastrophe peut arriver est désormais ancrée.

Mme Catherine GÉNISSON : Qui est le chef de la cellule interministérielle de crise ? Il s'est toujours agi pour l'instant d'exercices-cadres. Quand passerons-nous aux exercices opérationnels ? S'agissant, enfin, des respirateurs, au-delà de la question de la quantité se pose celle de la qualité des matériels.

M. le Président : J'avoue ne pas avoir encore compris ce qui justifie le passage du relais au ministère de l'intérieur au moment de la phase 6, hormis la persistance d'habitudes hiérarchiques au sein du Gouvernement - quel qu'il soit. Je pourrais, à la limite, comprendre que le relais soit pris par Matignon, mais pourquoi la place Beauvau ?

À ce propos, vous avez indiqué que le ministre de la santé avait participé en personne à l'exercice. Mais qui avait la responsabilité de l'exercice au ministère de l'intérieur ?

M. Francis DELON : Votre question rejoint l'interrogation du rapporteur sur la gestion de crise. Une situation de pandémie ne peut être l'apanage d'aucun ministère en tant que tel : une crise aussi importante met fatalement en cause nombre de responsables et de structures. On ne peut affirmer que tel ou tel ministre en serait « naturellement » le responsable ; au demeurant, le plan ne dit pas que la responsabilité de la crise en phase 6 revient au ministre de l'intérieur. Si j'ai indiqué tout à l'heure qu'il était admis comme naturel que le Premier ministre la lui confie, celui-ci peut parfaitement en décider autrement, tout comme il peut ne pas confier la gestion de la phase 5 au ministre de la santé. Autrement dit, la décision appartient au seul Premier ministre dans la mesure où une crise de ce genre ne se limite pas à un problème de santé et pas davantage à un problème de maintien de l'ordre : elle touche également l'activité économique, les transports, l'éducation nationale, la vie de tous les Français.

M. le Président : Si le choix du responsable politique appartient au Premier ministre, le plan prévoit tout de même un transfert qui n'est pas sans conséquences sur le plan géographique et, par le fait, sur le plan humain. Selon que l'on sera place Beauvau ou ailleurs, l'environnement humain comme les experts à qui l'on aura affaire ne seront pas nécessairement les mêmes et l'on n'y traitera pas les problèmes de santé publique de la même façon. Ce qui pose la question, et elle n'est pas neutre, des lieux et des équipes mobilisables dans les différentes phases. J'entends bien qu'une crise de ce genre ne se limite pas à l'aspect santé publique ; il reste que donner la priorité à autre chose qu'à la culture « santé publique » n'est pas, à mon avis, sans poser problème.

M. Pierre HELLIER : Je ne partage pas cette analyse. Les maires et les préfets, en première ligne sur le terrain, sont des relais naturels du ministère de l'intérieur. Il faut naturellement une cellule « santé », mais tous les ministères sont concernés face à une pandémie.

M. Delon a laissé entendre que la population avait désormais pris conscience du risque pandémique... Je n'en ai pas du tout l'impression sur le terrain !

M. le Président : Ce n'est pas contradictoire : cela signifie simplement que, mis en situation, les gens ne sont plus étonnés comme ils l'étaient voilà un an. Sur le terrain, on ne peut qu'être d'accord avec M. Hellier ; mais une fois mis en situation, les gens réagissent et se remémorent ce qu'ils ont entendu sur le sujet.

M. Didier HOUSSIN : rappelle que le transfert géographique du portage de la cellule interministèrielle n'entraîne aucune modification au niveau des personnes présentes dans la cellule interministérielle.

Le pilotage au ministère de l'intérieur était assuré par un membre du cabinet du ministre, qui était l'animateur de la cellule. N'oublions pas enfin que, parallèlement à cet exercice d'état-major, des exercices de terrain ont été organisés - l'exercice « épizootie » à Kergloff, en Bretagne, l'exercice « arrivée d'une suspicion de cas » à Lyon, un exercice hospitalier dans un établissement d'Île-de-France -, qu'il faudra continuer à marier avec les exercices d'état-major. Il faut souhaiter que de plus en plus d'exercices à des niveaux fins soient organisées au sein d'entreprises, de collectivités locales, d'établissements de santé et dans la prise en charge de malades à domicile.

M. le Rapporteur : La DILGA vous paraît-elle suffisamment étoffée ?

M. Didier HOUSSIN : L'exercice a montré que le DILGA et son équipe pouvaient venir utilement en appui au ministre responsable et faire profiter de leur expérience interministérielle, à tel point que l'on pourrait utilement officialiser sa participation à la gestion de crise. L'effectif de la DILGA aurait effectivement besoin d'être un peu renforcé, notamment dans les domaines de l'appui logistique et de l'appui à la DHOS pour tout ce qui touche à l'animation du secteur des établissements et professionnels de santé ainsi, que sur les questions de documentation et de communication. Le ministre de la santé est au courant de cette demande.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous du système COBRA, qui semblerait donner satisfaction en Grande-Bretagne ?

M. Francis DELON : La Grande-Bretagne s'est effectivement dotée d'un lieu unique de décision située dans les locaux du Cabinet Office à Downing Street, sous la forme d'une salle de situation équipée en permanence et qui permet au Premier ministre de réunir tous les responsables concernés, lorsque la situation l'exige. Nous n'avons pas un tel système à Matignon : outre le fait que la géographie des lieux ne s'y prête pas aisément, d'autres considérations entrent en ligne de compte. Nous n'avons pas fait le choix d'un lieu de gestion unique de la crise ; plusieurs lieux sont possibles, dont le ministère de l'intérieur - ce qui explique que le ministre de l'intérieur soit considéré comme un gestionnaire « naturel » dans la mesure où il dispose d'équipements permanents pour ce faire ; le ministère de la défense a une salle de situation de ce genre, évidemment. La question est posée de savoir si le ministère de la santé ne devrait pas en être doté.

M. Didier HOUSSIN : Je réponds aux autres remarques de votre Rapporteur. La France a la chance de disposer d'une organisation d'État structurée au niveau territorial autour des préfets, ce qui lui donne une capacité interministérielle et de lien entre le niveau national et le niveau territorial qui fait parfois défaut dans d'autres pays où la transmission du niveau fédéral au niveau de l'état, par exemple, est plus délicate.

L'inquiétude des professionnels de santé, tant libéraux qu'hospitaliers, est tout à la fois réelle et compréhensible dans la mesure où ils seront les premiers exposés. Elle se manifeste sous plusieurs modes : les professionnels ont commencé par se déclarer insuffisamment informés. Le ministre de la santé a répondu à cette préoccupation en lançant une campagne de formation des libéraux et des hospitaliers, en plein développement, et qui se poursuivra tout au long de l'année 2006et une campagne nationale d'information à destination, certes, du grand public, mais également des professionnels de santé.

Leur deuxième inquiétude porte sur la manière dont les choses vont s'organiser au niveau le plus fin - le rôle des CODAMUPS, par exemple, dans l'organisation de la permanence des soins en situation pandémique, l'articulation ville-hôpital, la mise en place de structures intermédiaires de prise en charge. C'est vrai qu'il reste des choses à préciser à ce niveau. Il sera évidemment souhaitable d'y associer les professionnels de santé afin qu'ils apportent leur contribution, d'autant que cette organisation sera largement fonction du contexte.

Quant à la question de leur sécurité, leur troisième crainte, elle doit être envisagée sous deux aspects. Pour ce qui est de leur sécurité physique, le maximum est fait. L'État a acquis d'importantes quantités de médicaments antiviraux, qui seront à leur disposition pour usage sitôt qu'ils auront le sentiment d'avoir été exposés ; des stocks importants de masques FFP 2 à haute capacité de filtration ont été constitués dans les établissements de santé et sont en cours de constitution au niveau zonal afin d'être distribués aux professionnels de santé. Des moyens complémentaires de protection leur seront également attribués ; un kit de première protection est en cours de constitution.

Au-delà de la capacité physique à se protéger du virus pandémique se posent des questions de sécurité plus générales concernant les professionnels et leurs familles, et sous plusieurs angles : assurance, maladie, assurance décès, perte de rémunération en cas d'arrêt de travail, protection de l'entourage. Une réunion de travail s'est tenue ce matin même avec des responsables des assurances pour connaître le degré de mobilisation de ces organismes. Certains ont, d'ores et déjà, enclenché des processus de réassurance afin de pouvoir faire face à des dépenses plus importantes en cas de pandémie, mais un travail reste à faire pour informer les professionnels de santé que leurs assureurs sont précisément en train de se préparer à cette éventualité.

La logistique prévue pour la distribution des masques chirurgicaux et des antiviraux va des stocks de l'Etat aux stocks dépositaires puis aux grossistes répartiteurs, enfin aux pharmacies d'officine ou aux PUI des établissements de santé. Des conventions sont en cours de négociation entre les différents opérateurs. Un dispositif de secours est en préparation pour le cas où il ne serait pas possible de passer par les pharmacies d'officine en raison d'agressions de pharmaciens, par exemple.

L'objectif que la vie continue au mieux en situation de pandémie mène à un nombre considérable de questions. Il est alors important de définir précisément les éléments de certitudes sur lesquels s'appuyer. En situation de pandémie, les établissements d'enseignement seront fermés, ce qui bouleversera, à n'en pas douter, la vie quotidienne des parents contraints de garder leurs enfants à la maison. En revanche, tout sera fait pour que les transports, y compris les transports en commun dans les grandes agglomérations, continuent à fonctionner ; le port du masque y sera sans doute obligatoire et les horaires seront aménagés compte tenu du degré d'absentéisme des agents des transports. Pour ce qui est de l'approvisionnement alimentaire, des contacts ont été pris avec les responsables de la grande distribution : les problèmes ne se posent pas tant au niveau de la production ou du transport des denrées qu'au niveau de la distribution. La préparation à la pandémie est relativement facile dans les grandes entreprises ou collectivités territoriales, beaucoup moins dans les petites : elles devront informer leurs employés, acquérir les masques de protection nécessaires et adopter une organisation garantissant un niveau d'absentéisme le plus bas possible. La question se pose également de la distribution du numéraire, du ramassage des déchets, etc.,

M. le Rapporteur : Ont-elles reçu des informations suffisantes ?

M. Didier HOUSSIN : Le MEDEF a mis en place un site d'information, opérationnel depuis plusieurs mois. Des contacts ont été pris à plusieurs reprises par la Délégation avec les différents secteurs - grande distribution, restauration, assurances, eau et énergie, etc. Des réunions d'information ont été organisées avec les responsables sécurité des entreprises, regroupés dans diverses associations. De son côté, le MINEFI entretient des contacts étroits avec les grands opérateurs. Au total, le travail de préparation est encore cependant inégal : si certaines entreprises sont d'ores et déjà bien préparés - le plan de Sanofi-Aventis, par exemple, est à l'évidence déjà élaboré -, d'autres le sont moins.

M. le Président : Mon sentiment est que notre état de préparation est très inégal, parfois très avancé - la présence de « militants de la cause pandémique » y fait beaucoup, jusque dans certaines petites villes du Nord, en créant une sorte de cercle vertueux -, parfois beaucoup moins, y compris dans certains hôpitaux ou chez certains professionnels de santé. Nous avons eu à cet égard, avec les syndicats, une table ronde assez préoccupante, même si nous savons faire la part des exagérations syndicales... La question est de savoir si cette situation est liée à des retards de communication, à des initiatives non prises ou à des causes de nature plus théorique. Sans doute faut-il prendre en compte la lassitude d'une opinion publique qui ne voulait plus entendre parler de grippe aviaire, mais il doit certainement exister des causes plus profondes auxquelles nous devons réfléchir.

Je ne suis toujours pas convaincu de la nécessité de cette prééminence donnée au ministère de l'intérieur ; je reconnais volontiers le rôle des préfets, mais ceux-ci représentent d'abord l'État et non le ministre de l'intérieur. Vous-même, Monsieur le délégué interministériel, êtes la preuve d'une volonté d'action interministérielle, mais celle-ci ne nous paraît pas aussi palpable sur le terrain. Nous connaissons suffisamment l'administration pour craindre, au plus fort de la crise, une marginalisation du ministère de la santé - dont nul ici n'ignore la faiblesse institutionnelle - d'autres questions d'ordre public prenant alors le dessus. Ce problème se pose dans tous les pays, jusqu'aux États-Unis où l'on a débattu pour savoir si la gestion de la crise devait revenir au Homeland Security ou au ministère de la santé. Qu'on le veuille ou non, les réflexes ne sont pas les mêmes dans les différentes administrations, cela n'est pas sans conséquences sur la gestion du système. Je n'entends pas, pour ma part, écarter cette affaire du passage de la phase 5 à la phase 6 : je reste un militant de la cause interministérielle ; mais quel est rapport de forces politique qui existe à un moment donné dans la cellule de crise ? Il me paraît légitime d'y réfléchir et j'entends qu'une part importante de la gestion relève du ministère de la santé, avec son administration, ses réflexes, sa culture, que les autres ministères n'ont pas. On ne saurait se retrancher derrière des raisons d'ordre administratif pour justifier le passage d'un ministère à un autre. D'accord sur l'interministérialité ; encore faut-il savoir de quelle culture procédera la gestion de crise.

M. Francis DELON : Je me réjouis de vos propos sur la nécessité d'une gestion interministérielle, que l'Union européenne elle-même considère comme l'un des points forts du dispositif de préparation de la France. Dans certains États, cette gestion relève du seul ministère de la santé, mais celui-ci peut éprouver des difficultés à mobiliser les autres ministères. Chez nous, c'est le Premier ministre qui a la main sur les opérations ; il peut les mener seul ou par le biais d'un ministre, à travers les procédures que nous avons évoquées.

Cela dit, le ministère de la santé devra, à l'évidence, être présent à tous les stades. Le choix de confier le poste de délégué interministériel au directeur général de la santé n'a rien d'innocent : il traduit précisément cette préoccupation.

M. Pierre HELLIER : Il n'est évidemment pas question d'écarter le ministère de la santé, mais le moment viendra, fatalement, où il n'y aura pas que des décisions médicales à prendre : ce n'est pas le ministère de la santé qui pourra les prendre.

M. le Président : Il faut mener une réflexion sur la manière dont l'État agit et s'adresse soit à ses fonctionnaires, soit aux citoyens. Nous conservons une vision beaucoup trop hiérarchisée et descendante de la mobilisation de l'État sur ces questions. Dans notre culture française, l'État apparaît toujours en surplomb par rapport à la société, ce qui ne me paraît pas totalement adapté à la situation. Il s'agit là de questions éminemment politiques ; or, depuis le début, nous faisons l'impasse dessus. Elles sont pourtant fondamentales et expliquent pour partie les difficultés rencontrées sur le terrain.

Messieurs, nous vous remercions.


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