Mardi 30 mai 2006

- Audition de Mme Nelly OLIN, Ministre de l'écologie et du développement durable

(Compte rendu de la réunion du mardi 30 mai 2006)

Présidence de M. Pierre Hellier

M. Pierre HELLIER, Président : Madame la ministre, nous vous remercions d'être venue devant notre mission, pour faire le point sur différents sujets concernant la grippe aviaire en France, alors que la situation semble aujourd'hui stabilisée et que les mesures de confinement des élevages ont été levées.

Mme Nelly OLIN, ministre de l'écologie et du développement durable : Je tenais d'abord à vous dire que les décisions prises dès août 2005, sous l'autorité du Premier ministre, avaient fait l'objet d'échanges interministériels soutenus, dans la mesure où plusieurs ministères, et principalement ceux de la santé, de l'agriculture et de l'écologie et du développement durable, étaient directement concernés par la grippe aviaire. Au demeurant, le Gouvernement dans son entier a fait preuve d'une parfaite solidarité face à la menace à laquelle nous étions confrontés.

Le caractère très interministériel de la gestion de cette crise ne saurait pour autant masquer une répartition des compétences à nos yeux parfaitement claire. Le ministère de l'écologie et du développement durable est, pour sa part, compétent pour tout ce qui touche à la connaissance des espèces sauvages - en l'occurrence, des voies migratoires des oiseaux - à la surveillance de l'état sanitaire de la faune sauvage, notamment avicole, à la protection des oiseaux sauvages face aux risques de grippe aviaire, et, bien entendu, à la police de la chasse. En revanche, les questions de police sanitaire sont du ressort du ministre de l'agriculture et de la pêche pour ce qui concerne les animaux, et de celui de la santé pour ce qui concerne la protection des personnes.

Je veux insister sur l'importance du dispositif de surveillance qui préexistait à la crise et qui a prouvé son efficacité : c'est lui qui a permis de détecter les cas de la Dombes et de l'étang de Berre.

La surveillance se présente en deux volets. Premièrement, la surveillance passive consiste à observer les mortalités et à effectuer des investigations sur des oiseaux trouvés morts. Un réseau de surveillance, dit SAGIR, a été mis en place à cet effet, coordonné par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, et la Fédération nationale des chasseurs. Il fait appel au concours des chasseurs et de toute personne amenée à être présente dans le milieu naturel. Je veux insister sur la participation civique des chasseurs durant l'automne et l'hiver derniers, à tous égards exemplaire. Les investigations sont menées par les laboratoires vétérinaires départementaux, qui effectuent autopsies et analyses en relation avec les directions départementales des services vétérinaires, et par les laboratoires nationaux de référence pour les analyses de confirmation.

Deuxièmement, la surveillance dite active consiste à effectuer des prélèvements sur des oiseaux vivants capturés, des appelants ou des oiseaux fraîchement abattus par action de chasse. Le plan de surveillance active est coordonné par l'ONCFS. Les prélèvements sont réalisés par les agents de cet établissement. Parallèlement, la politique de baguage et de suivi des oiseaux mise en place par les naturalistes, les chasseurs et l'ONCFS s'est révélée particulièrement précieuse pour connaître les itinéraires de migration. Elle illustre parfaitement l'intérêt de politiques préventives poursuivies dans la durée et qui bénéficient de l'expérience et de la compétence de l'ONCFS.

Des mesures de surveillance ont été également mises en place au niveau international en Afrique, en Asie et dans les pays de l'Est, coordonnées par la FAO et l'OIE, afin de mettre en évidence les foyers de grippe aviaire dans les populations sauvages. Par ailleurs, le Gouvernement a souhaité compléter le plan « pandémie grippale » par une clarification des mesures à prendre dans les zones de protection et de surveillance. J'ai tenu, à cette occasion, à ce qu'une logique d'ensemble apparaisse et que la chasse notamment ne soit pas plus spécialement mise en accusation que les autres activités humaines. Les mesures de restriction de circulation et d'activité dans chaque zone, résumées dans la fiche B3 annexée au plan gouvernemental, ont pour objectif premier d'éviter la dispersion du virus dans la faune sauvage comme son transport par des déplacements non nécessaires des hommes et de leurs animaux. Précisons que si la chasse aux oiseaux est interdite dans ces zones, la chasse aux autres espèces ne l'est pas nécessairement, quand bien même elle peut rester soumise à un encadrement strict pour éviter la dispersion virale. La chasse aux grands ongulés notamment reste possible, ne serait-ce que pour éviter les surdensités de chevreuils et de sangliers dont les conséquences économiques et sanitaires peuvent être très lourdes. Dans chaque cas, une analyse épidémiologique conduite localement permettra aux préfets de prendre les mesures les plus appropriées.

M. Jean-Pierre DOOR, Rapporteur : Nous souhaitions vous entendre, Madame la ministre, avant d'achever nos travaux, pour voir avec vous les réponses qu'il est possible d'apporter aujourd'hui aux interrogations que les chasseurs s'étaient posées devant nous, lors de leur audition au mois de février, et alors que nous sommes en sortie de crise et que la menace semble provisoirement s'éloigner, les migrations étant maintenant terminées.

Ma première question concerne l'interdiction des appelants. Les chasseurs de gibier d'eau ne sont évidemment pas satisfaits, l'un d'entre eux étant même allé jusqu'à nous dire qu'aller à la chasse aux canards sans appelants, c'était comme aller au bal sans sa femme... Il est bien entendu que le principe de précaution doit s'appliquer dans cette affaire, ne serait-ce que pour des raisons virologiques, du fait du risque de contamination des eaux. Mais la concertation est-elle satisfaisante entre le ministère et les chasseurs ? Les migrations sont à présent terminées, mais la chasse rouvrira en septembre, c'est-à-dire juste avant ou au moment des prochaines migrations : qu'en sera-t-il à ce moment-là ?

Mme la ministre : J'ai moi-même reçu des délégations de chasseurs fort mécontents de l'interdiction des appelants. Certains soutenaient que nous avions pris des mesures trop draconiennes ; les mêmes n'auraient pas manqué, s'il s'était produit une crise grave, de reprocher au Gouvernement de ne pas les avoir prises... Explications faites, tout le monde a compris, à défaut d'avoir tout accepté.

Dès janvier dernier, j'ai créé un groupe de travail réunissant les services de mon ministère, mais également ceux de l'agriculture et de la pêche ainsi que la fédération nationale des chasseurs et l'association nationale des chasseurs de gibier d'eau. Ce groupe est parvenu à la rédaction d'un document décrivant précisément les pratiques de chasse aux appelants en France - pratiquement le seul pays réellement concerné par ce mode de chasse - et notamment les relations entre les pratiques de chasse et les risques sanitaires. Le but était de permettre une appropriation de ce sujet délicat par la direction générale de l'alimentation - la DGAL - du ministère de l'agriculture, qui représente notre pays au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale ; dès début mai, la DGAL a été invitée à prendre des contacts informels avec la Commission sur la base de ce document et des propositions que les deux ministères en avaient tirées. Nos propositions ont, depuis, été officiellement transmises et nous avons souhaité que ce sujet soit mis à l'ordre du jour du prochain comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale. De son côté, l'AFSSA devrait, dans les jours qui viennent, rendre son avis sur ce document et sur nos propositions.

Sans pouvoir encore vous les détailler, je peux d'ores et déjà vous en exposer le principe. Elles distinguent, en premier lieu, des mesures d'identification des détenteurs d'appelants comme des oiseaux, ainsi que des mesures de surveillance sanitaire collective garantissant une réaction rapide et proportionnée sitôt détecté un cas d'infection au H5N1. Sont ensuite proposées des mesures visant à limiter les contacts directs ou indirects entre appelants, milieux naturels et oiseaux sauvages ou d'élevage, en prévoyant une stricte séparation entre appelants et oiseaux domestiques, des mesures de désinfection des véhicules et des matériels, une limitation du déplacement des oiseaux, des dispositifs d'emploi des appelants visant à réduire leurs contacts directs ou indirects avec l'eau. J'espère que la Commission acceptera de revenir sur l'interdiction générale des appelants en zone sensible, qu'elle avait exigée, pour retenir les mêmes règles de subsidiarité qui président aux décisions concernant les élevages. Les États membres pourraient ainsi moduler les mesures applicables aux appelants, depuis l'interdiction totale jusqu'à des dispositions minimales. Le sujet est complexe, mais nous ne pouvons nous permettre de déroger aux règles sanitaires et de précaution établies alors que tout laisse craindre une possible pandémie pour l'avenir. Les systèmes sont régulièrement évalués et peuvent bien évidemment être améliorés et modifiés.

Mme Geneviève GAILLARD : Je suis de ceux qui pensent que, dans un contexte d'épizootie, la chasse aux appelants n'est pas une nécessité absolue et qu'elle appelle, de surcroît, un contrôle très strict dans tous les domaines - domaine financier, utilisation, nombre d'oiseaux, etc.- afin d'être beaucoup mieux réglementée.

Vous avez indiqué, à juste raison, que la surveillance active était assurée par les naturalistes, les chasseurs et l'ONCFS. Je regrette que le petit journal édité par le ministère de l'écologie, et qui consacre un encart au rôle des chasseurs - pas négligeable, il est vrai, dans cette affaire  - oublie totalement les associations de protection de l'environnement et des animaux, qui jouent un rôle tout aussi fondamental. Les naturalistes, qui font partie de ces associations, auraient bien aimé voir leur rôle reconnu : il n'y a pas que les chasseurs...

J'aimerais savoir comment vous travaillez avec les autres ministères. J'ai été particulièrement surprise par la décision du ministre de l'éducation nationale d'interdire les sorties « nature » ; je suis du reste persuadée qu'elle a contribué à amplifier la psychose autour de la grippe aviaire. Comme si les oiseaux allaient vous faire leurs besoins sur la tête, ou les gens se mettre à toucher des aigles ou des vautours et immédiatement  se contaminer! J'ai trouvé cette mesure tout à la fois excessive et préjudiciable à la gestion de la crise. Votre ministère a-t-il son mot à dire lorsque vos collègues prennent de telles initiatives ? Il faut savoir raison garder...

Enfin, je voudrais vous interroger sur l'interdiction des expositions d'oiseaux de volière, qui a lourdement pénalisé les éleveurs producteurs. Envisagez-vous de lever cette interdiction, d'autant plus inutile que ces oiseaux ne sortent jamais de leurs volières ?

M. Michel LEJEUNE : Les chasseurs s'inquiètent pour la prochaine ouverture de la chasse en septembre : que va-t-il se passer pour les gibiers à plumes ? Par ailleurs, quelle est votre position sur les gibiers dits de repeuplement, c'est-à-dire des animaux produits en élevages et relâchés dans la nature ? Peut-on imaginer qu'ils présentent un risque ?

Mme la ministre : La chasse aux appelants, je l'ai dit, sera contrôlée. Si j'ai rendu par écrit hommage aux chasseurs, j'ai également rencontré les membres de la LPO en Vendée, où ils observaient aux côtés de l'ONCFS, l'arrivée des oiseaux migrateurs. J'ai eu le plaisir de saluer leur travail réalisé, du reste, dans le cadre d'un partenariat très efficace. Au final, aucun oiseau infecté n'a été découvert, ce qui est un peu rassurant.

À propos des sorties scolaires, j'ai omis de vous rappeler que tous les oiseaux des zoos avaient été vaccinés au prix d'un travail gigantesque, dont j'ai pu me rendre compte au zoo de la Palmyre ; sa responsable m'avait, elle aussi, interpellée sur la suppression des visites scolaires. Renseignements pris auprès de mon collègue Gilles de Robien, celui-ci a interdit non pas les sorties, mais les contacts directs avec les oiseaux. Il appartient maintenant aux chefs d'établissement de prendre leurs décisions en évitant toute interprétation exagérée.

M. le Rapporteur : On a vu passer des circulaires pour le moins regrettables.

Mme la Ministre : Mais le ministère avait seulement interdit le contact avec les oiseaux, ce que l'on peut comprendre.

Je ne saurais vous répondre sur les oiseaux de volières, madame Gaillard : ils relèvent de la compétence de mon collègue Bussereau.

Mme Geneviève GAILLARD : Y compris les perruches et autres ?

Mme la ministre : Oui. Ma compétence se limite à la faune sauvage.

M. le Rapporteur : Et le recensement des oiseaux par les maires ? Cette demande vient-elle de vous ou du ministre de l'agriculture ?

Mme la ministre : Du ministère de l'agriculture. Cela dit, il n'y a eu aucune fausse note entre nous : tout cela a fait l'objet de discussions interministérielles.

S'agissant du gibier de repeuplement destiné à la chasse, l'AFSSA vient de rendre un avis préconisant une protection et un confinement des élevages, suivi d'un vide sanitaire, et le baguage au moment des lâchers.

Pour la chasse à proprement parler, si j'ai publié l'arrêté fixant les dates de chasse - d'abord pour éviter un contentieux avec Bruxelles, ensuite pour laisser au Conseil d'État le temps de juger sur le fond, ce qu'il n'a pas fait l'année dernière -, je suis pour l'instant incapable de vous dire ce que sera l'avenir ; nous nous efforçons d'agir de manière sereine et efficace et c'est seulement au moment où nous aurons toutes les analyses et les examens - peut-être verrons-nous le ciel s'éclaircir - que nous pourrons arrêter nos décisions. Je comprends l'inquiétude des chasseurs, mais nous continuerons à travailler avec les fédérations : l'important est de faire passer les messages et d'expliquer. Certains pensaient que nous exagérions volontairement dans le but d'interdire purement et simplement la chasse aux appelants : nous n'en sommes pas là.

M. le Rapporteur : Nous avons été interrogés sur la régulation des oiseaux sauvages, des cygnes en particulier.

Mme la ministre : Sur les cygnes, nous avons donné une autorisation de tir à titre sanitaire dans la Dombes. Sur les cormorans, j'ai pris l'attache du ministère de l'agriculture afin d'examiner ensemble, avant la prochaine saison de tir, les conditions dans lesquelles le tir de ces oiseaux pourrait être maintenu dans les zones de protection ou de surveillance.

M. Michel LEJEUNE : Et même étendu... Les cormorans ne manquent pas !

Mme Geneviève GAILLARD : Ne soyons pas hypocrites. Disons clairement qu'on les tire également pour limiter leur prolifération : c'est ce que tout le monde demande. Mais ce n'est pas en tirant sur les oiseaux sauvages qu'on limitera l'infestation par le virus de la grippe aviaire...

Mme la ministre : Absolument.

Mme Geneviève GAILLARD : ...d'autant que des canards peuvent être infectés sans que personne ne s'en aperçoive. Je suis totalement opposée à l'idée de tirer sur tout ce qui bouge...

Mme la ministre : Je ne crois pas non plus qu'il faille faire cela...

Mme Geneviève GAILLARD : C'est pourtant ce que l'on fait avec l'autorisation de tir des cygnes.

Mme la ministre : La lutte contre la grippe aviaire ne passe pas par des destructions d'oiseaux sauvages.

Mme Geneviève GAILLARD : Mais c'est bien ce que voulait M. Voisin en demandant l'autorisation de tir des cygnes, qui ne changera absolument rien. Il y aura toujours des cygnes, et ils seront toujours infectés.

Mme la ministre : La Dombes est un cas particulier et c'est uniquement dans un but sanitaire que nous avons donné cette autorisation de tir.

Mme Geneviève GAILLARD : Auquel cas, il faut empêcher les oiseaux de venir ; or, on n'y parviendra pas en tirant dessus, car l'eau sera toujours contaminée et les animaux également. Peut-être même cette zone restera-t-elle infectée de façon endémique pendant un certain temps. En tirant sur les cygnes, on en fait venir d'autres, car la nature a horreur du vide, et qui s'infecteront au contact de l'eau contaminée ; autrement dit, on entretient un cycle ! Il y a d'autres mesures sanitaires à prendre, probablement plus efficaces. M. Voisin voulait que l'on détruise les cygnes. Si vous répondez favorablement à sa demande, ce sera ridicule.

Mme la ministre : À défaut de pouvoir faire des analyses sur des cygnes vivants, il faut bien faire des tirs de prélèvement pour vérifier qu'ils ne sont pas infectés, dans l'espoir de lever les mesures prises dans la Dombes.

Mme Geneviève GAILLARD : Il faut voir comment c'est fait...

M. le Rapporteur : Il faut également comprendre la terrible pression dont notre collègue Voisin était l'objet. Il était lui-même très attristé par cette affaire.

Mme Geneviève GAILLARD : Il ne faut surtout pas laisser certains s'engouffrer dans ce qu'ils pourraient croire être une brèche. Tuer un cygne ou deux à fins d'analyse, je veux bien ; mais au-delà d'un certain nombre, cela s'appelle de la destruction. Soyons très vigilants.

Mme la ministre : Je suis moi-même très choquée lorsque j'entends que la panique fait regarder le moindre oiseau de travers et que certains seraient prêts à tuer des espèces protégées et même à abandonner leurs animaux familiers.

M. le Président : Les migrations se sont bien passées et aucun oiseau contaminé n'a été découvert...

Mme la ministre : En effet, et il faut saluer le travail réalisé par tous les intervenants.

M. le Président : ...mais la vigilance reste de mise pour les prochaines migrations. Avez-vous prévu de maintenir le même dispositif, notamment pour la surveillance en amont, en Afrique ?

Mme la ministre : Tout à fait. Rappelons que le partenariat entre la LPO et l'ONCFS en Vendée existe depuis de nombreuses années, même si la grippe aviaire a évidemment conduit à renforcer les moyens de surveillance : on a toujours surveillé les oiseaux migrateurs, mais nous sommes d'autant plus fondés aujourd'hui à maintenir le dispositif.

Rappelons, enfin, que c'est une question de solidarité nationale, compte tenu des enjeux économiques et sociaux de cette affaire. La grippe aviaire était par ailleurs une maladie finalement mal connue ; nous avons un peu avancé depuis. Nos mesures de précaution et de prévention visent essentiellement à préparer l'avenir.

M. le Président : Madame la ministre, nous vous remercions.


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