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N° 167
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er août 2002.
PROPOSITION DE LOI
relative à la distillation en franchise des droits d'une partie de la production des récoltants-producteurs d'eau-de-vie naturelle.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE

par MM. Jean-Luc REITZER, François VANNSON, René ANDRÉ, Jean AUCLAIR, Mme Sylvia BASSOT, MM. Jean-Claude BEAULIEU, Jacques-Alain BENISTI, André BERTHOL, JérÔme BIGNON, Jean-Marie BINETRUY, Claude BIRRAUX, Étienne BLANC, Émile BLESSIG, Roland BLUM, LoÏc BOUVARD, Michel BOUVARD, Mme Maryvonne BRIOT, MM. Jean CHARROPPIN, Roland CHASSAIN, Gérard CHERPION, Jean-François CHOSSY, Jean-Louis CHRIST, Georges COLOMBIER, Louis COSYNS, Alain COUSIN, Olivier DASSAULT, Lucien DEGAUCHY, Jean-Marie DEMANGE, Yves DENIAUD, Dominique DORD, Philippe DUBOURG, Yannick FAVENNEC, Alain FERRY, Philippe FOLLIOT, Claude GATIGNOL, François GOULARD, François GROSDIDIER, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Lucien GUICHON, François GUILLAUME, Michel HEINRICH, Francis HILLMEYER, Michel HUNAULT, Sébastien HUYGHE, Denis JACQUAT, Édouard JACQUE, Christian JEANJEAN, Aimé KERGUERIS, Patrick LABAUNE, Pierre LANG, Jean-Marc LEFRANC, Jean-Claude LEMOINE, Jacques LE NAY, Jean-Claude LENOIR, Gérard LÉONARD, Jean-Louis LÉONARD, Arnaud LEPERCQ, Maurice LEROY, Daniel MACH, Patrice MARTIN-LALANDE, Alain MARTY, Jacques MASDEU-ARUS, Jean-Claude MATHIS, Christian MENARD, Gilbert MEYER, Pierre MICAUX, Hervé MORIN, Yves NICOLIN, Jean-Marc NUDANT, Mme Béatrice PAVY, MM. Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Daniel PRÉVOST, Christophe PRIOU, Jean PRORIOL, Michel RAISON, Jean-François RÉGÈRE, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Serge ROQUES, François ROCHEBLOINE, Frédéric de SAINT-SERNIN, François SAUVADET, Bernard SCHREINER, Jean-Marie SERMIER, Michel SORDI, Frédéric SOULIER, Daniel SPAGNOU, Alain SUGUENOT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Mme IrÈne THARIN, MM. André THIEN AH KOON, Dominique TIAN, Jean UEBERSCHLAG, Léon VACHET, Michel VOISIN, Gérard WEBER et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

Additions de signatures :
M. Céleste Lett

Députés.

Impôts et taxes.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les bouilleurs de cru perpétuent une tradition rurale et familiale séculaire, à savoir la distillation, au moyen d'un alambic, de vins, cidres, poirés, marcs, lies ou fruits provenant exclusivement de leur propre récolte. Le produit de cette récolte ainsi distillé, à savoir l'eau-de-vie, n'est en aucun cas vendu et sert exclusivement à leur propre consommation et à celle des membres de leur famille.
Le droit de bouilleur de cru exercé librement sous l'Ancien Régime a connu des fortunes diverses jusqu'à son abolition en 1960.
Ainsi, du 12 janvier 1633, date à laquelle sont apparus les premiers droits, jusqu'au 27 février 1906, en passant par la Révolution qui a aboli ce « privilège », quarante et une lois et décrets ont réglementé d'une manière restrictive les producteurs-récoltants d'eau-de-vie. En effet, le 27 février 1906, le Parlement avait voté une foi abolissant ce passé et affranchissant de déclarations et de droits les propriétaires distillant leur propre récolte.
A partir du 30 juin 1916, ce régime de bouilleurs de cru a connu de nouvelles modifications avec l'institution d'une franchise de 10 litres étendue successivement, notamment par la loi du 28 février 1923, à tous les récoltants. Le décret-loi du 25 juin 1935 a introduit le régime du forfait départemental facultatif, réparti entre les communes par le conseil général et, dans chaque commune, entre les bouilleurs de cru par la commission des répartiteurs.
Le forfait et la liberté de distiller à domicile ont été supprimés sous le régime de Vichy par l'acte dit loi du 20 juillet 1940. L'ordonnance du 31 mars 1945 a établi un contrôle sévère pour encadrer la production d'alcool. La loi du 11 juillet 1953 et les décrets du 13 novembre 1954 ont, tout en préservant les droits acquis, limité le régime des bouilleurs de cru aux seuls exploitants agricoles à titre principal.
Enfin, l'ordonnance du 30 août 1960 a définitivement. modifié le statut en supprimant le droit des bouilleurs de cru sans, cependant, porter atteinte aux droits acquis.
Le bénéfice de l'allocation en franchise n'est désormais accordé qu'aux exploitants, agricoles à titre principal établis au plus tard au cours de la campagne 1959-1960 et aux non-exploitants ayant bénéficié du régime des bouilleurs de cru au moins une fois entre le 1er septembre 1949 et le 13 juillet 1953. Elle n'est accordée qu'aux personnes physiques qui pouvaient y prétendre pendant la campagne 1959-1960. Cette allocation est personnalisée, transmissible uniquement en faveur du conjoint survivant attachée à l'exploitation, et annuelle. L'allocation en franchise accordée correspond à 10 litres d'alcool pur à 1000° sur la période allant du 1er septembre au 31 août. Au-delà de ces 10 litres d'alcool pur, les intéressés versent, comme les autres bouilleurs, les droits afférents.
Tel est l'état de la législation applicable depuis plus de quarante ans et qui a conduit à la disparition progressive des bouilleurs de cru et en parallèle, celle de nos vergers.
La combat pour le rétablissement du droit des bouilleurs de cru a été engagé et mené pendant près de trente-cinq ans par François Grussenmeyer.
Député du Bas-Rhin de 1958 à 1993, conseiller général et maire de Reichshoffen, il s'est fait durant toute sa vie parlementaire l'ardent défenseur et le porte-parole des bouilleurs de cru à l'Assemblée nationale. Depuis son dernier amendement du 22 octobre 1992, dans le cadre du projet de loi de finances pour 1993, d'autres députés ont repris le flambeau. Avec persévérance et obstination, ils ont continué à militer durant les deux dernières législatures, non pour rétablir un privilège, mais pour rétablir une justice et rendre à notre pays, et notamment au monde rural, une tradition séculaire.
Quelques avancées annexes ont été obtenues pour la prise en compte de l'arboriculture et la préservation des vergers dans le cadre du Fonds de gestion de l'espace rural créé par l'article 38 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995.
Ce fonds, outil au service des agriculteurs et de la politique de développement local, avait pour vocation de mener des actions d'entretien et de réhabilitation de l'espace rural. Le FGER avait également permis de mener des actions en faveur de la préservation des vergers et de l'arboriculture familiale. Malheureusement, la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 a remis en cause ce dispositif. En effet, le financement des contrats territoriaux d'exploitation a été assuré par le redéploiement de différents fonds de financement de l'agriculture, notamment le FGER. Or, en vertu de l'article 2 de la loi d'orientation agricole, seules les personnes physiques ou morales exerçant une activité agricole avaient vocation à souscrire un CTE. Bien que concourant également à la préservation et à la réhabilitation de l'espace rural, les arboriculteurs et leurs associations ne peuvent plus bénéficier de l'aide publique.
Au seuil de cette nouvelle législature, il convient de réaffirmer une légitime revendication.
Le rétablissement du droit de bouilleurs de cru est le droit de tout récoltant-producteur de disposer librement de sa propre récolte. Taxer à partir du premier litre constitue une atteinte à la liberté et à la propriété, sur un produit qui, en tout état de cause, n'est pas commercialisé.
La lutte contre l'alcoolisme a été l'argument essentiel du gouvernement de l'époque pour mettre un terme à ce droit et des gouvernants actuels pour refuser l'octroi de la franchise à l'ensemble des bouilleurs de cru. La lutte contre l'alcoolisme est fort légitime mais ne peut, décemment plus, aujourd'hui, servir d'alibi car cette production est marginale et ne peut être vendue.
C'est ce caractère marginal qui a conduit, au niveau européen, dans le cadre de la directive 92/83/CCE du 19 octobre 1992 sur l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques, à accepter que les Etats membres qui, traditionnellement, exonèrent la production par des particuliers de faible quantités d'alcool destinées à leur propre consommation, de pouvoir continuer à appliquer ces exonérations. De plus, l'article 22 de la directive permet aussi aux Etats membres ddes taux d'accises réduits à la production des petites distilleries. C'est ainsi qu'en Grèce, en Espagne et au Portugal les bouilleurs de cru ne sont pas taxés, et en Italie cette taxation est insignifiante. En Allemagne, qui compte 600 000 bouilleurs de cru, leur régime est beaucoup plus favorable, puisqu'ils bénéficient d'un rabais de 21,5 % sur les taxes officielles avec un maximum de 300 litres pour les propriétaires d'alambics et de 50 litres pour les propriétaires de matières. La France qui apparaît comme un parent pauvre dans ce domaine pourrait rétablir le droit des bouilleurs dans une perspective d'harmonisation européenne.
Cette mesure se justifie également dans le cadre de la préservation de l'environnement et de l'espace rural. En effet, pendant des années, le développement d'une agriculture intensive et l'urbanisation croissante, ont conduit à la suppression de centaines de vergers et de milliers d'arbres fruitiers, qui représentaient un patrimoine naturel non négligeable. Cette suppression a conduit à la disparition d'espèces et variétés arboricoles que chacun s'efforce aujourd'hui de protéger pour préserver la diversité génétique. Les vergers sont en effet des éléments de la beauté de nos paysages ruraux et l'habitat naturel de nombreuses espèces d'oiseaux et d'autres animaux.
Elle s'inscrit aussi dans une perspective de développement touristique et de promotion du tourisme vert. Le nombre de manifestations, de visites et d'animations autour des savoir-faire traditionnels, des produits du terroir, du retour à la nature et à la terre en sont la preuve.
Le rétablissement du droit des bouilleurs de cru contribue ainsi à la sauvegarde de l'arboriculture fruitière. La taxation actuelle au premier litre ne conduit qu'à pousser les propriétaires de vergers à abandonner l'entretien de leurs arbres fruitiers et à délaisser la cueillette des fruits qui pourrissent à l'arbre. Or, la production arboricole et son utilisation permettront un entretien régulier des arbres fruitiers ainsi que des expérimentations et des recherches pour le développement de la qualité arboricole et fruitière.
L'extinction progressive des bouilleurs de cru est devenue une réalité. Sur les 3 159 667 bouilleurs de cru recensés pour la campagne 1959-1960, ils n'étaient plus que 1 419 333 en 1989-1990 pour chuter à 357 954 en 1996-1997. Cette diminution a, de plus, une incidence sur le savoir-faire artisanal rural par la disparition des bouilleurs ambulants, de la cuvellerie pour les tonneaux et de la chaudronnerie pour les alambics.
La suppression et l'extinction du droit des bouilleurs de cru ne conduit pas à accroître les ressources de l'Etat mais entraîne la disparition des vergers. Cette disparition conduit les collectivités locales à devoir subventionner les associations, voire les propriétaires, pour favoriser la reconstitution des vergers traditionnels à haute tige qui font partie intégrante de notre patrimoine.
Les associations d'arboriculteurs _uvrent d'une façon remarquable dans ce domaine pour faire connaître et maintenir un savoir-faire traditionnel, notamment au travers des vergers-écoles. Si les aides et subventions publiques permettent de préserver certains vergers, rien ne vaut le plaisir de s'occuper de l'entretien de son verger, de cueillir et de consommer ses propres fruits et d'en tirer aussi la satisfaction de les distiller pour en faire une eau-de-vie.
Tous ces éléments militent pour le rétablissement du droit des bouilleurs de cru et la reprise du combat parlementaire au point où nous l'avions laissé le 19 novembre 2001 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2002.

C'est pourquoi je vous prie de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Sont considérés comme récoltants de fruits producteurs d'eau-de-vie naturelle les personnes physiques, récoltants de fruits, propriétaires ou ayant la jouissance d'arbres fruitiers ou de vignes, qui exploitent en personne pour leurs besoins et qui distillent ou font distiller dans les conditions prévues par les règlements en vigueur.
Tout récoltant familial de fruits, bouilleur de cru au sens de l'article 315 du code général des impôts, non titulaire de l'allocation mentionnée à l'article 317 du code susmentionné, bénéficie d'une réduction de 50 % du droit de consommation sur 10 litres d'alcool pur.
Cette allocation en réduction de taxe sur 1 000° ou donc une franchise sur 500° d'alcool pur n'est en aucun cas commercialisable.
Par dérogation aux dispositions qui précèdent, l'allocation en franchise de 5 litres d'alcool pur par an, non commercialisable, est maintenue, gratuitement, pour toutes les personnes qui ont droit d'en bénéficier actuellement et, en cas de décès, pour leur conjoint survivant.
L'allocation en franchise ou en réduction de taxes ne peut être accordée qu'à un seul membre d'une famille qui vit ensemble ou qui forme un ménage. Ce droit ne peut être maintenu qu'au profit du conjoint survivant.

Article 2

Les pertes de recettes pour l'Etat sont compensées, à due concurrence, par une majoration des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

N° 0167 - Proposition de loi  sur la distillation en franchise de droits de producteurs d'eau-de-vie naturelle (M. Jean-Luc Reitzer)


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