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N° 300
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2002.

PROPOSITION DE LOI

tendant à renforcer la lutte contre le révisionnisme et à permettre les poursuites à l'encontre des négateurs des génocides reconnus par la France ou une organisation internationale dont la France est membre.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Roland BLUM,
Député.

Droits de l'Homme et libertés publiques.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Inventé par le Professeur Lemkin en 1943, le concept de génocide étend à des groupes entiers d'humains l'homicide d'un individu isolé.
Ce crime a été défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et concerne la mise en exécution d'un programme d'extermination d'un groupe humain par un Etat souverain.
Ainsi avant 1945, la qualification pénale de génocide n'existait pas, ce qui a sans doute accru les difficultés de reconnaissance de ce type de crime dont notamment le génocide arménien de 1915.
De même, le terme de génocide ne figure pas dans l'article 6c de la charte du Tribunal militaire international dite statut de Nuremberg, annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, qui énumère les crimes contre l'humanité.
La notion de génocide est employée pour la première fois le 18 octobre 1945 dans l'acte d'accusation contre les grands criminels de guerre allemands traduits devant le tribunal de Nuremberg.
Le terme est ensuite juridiquement repris par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l'unanimité par l'assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948.
Selon cette convention, le génocide est un acte «commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux».
Il importe peu que les actes soient commis en temps de paix ou de guerre et l'Etat sur le territoire duquel a été commis le génocide doit punir ses auteurs et réparer les préjudices qui en résultent.
Enfin la communauté internationale a volontairement affiché sa volonté de réprimer ces crimes contre l'humanité et le génocide par l'adoption le 26 novembre 1968 de la convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Qu'en est-il en droit positif français?
La loi française distingue quatre infractions : le génocide, les crimes contre l'humanité innommés, les crimes de guerre aggravés, l'entente en vue de commettre ces crimes.
Selon l'article 211-1 du code pénal, le génocide est caractérisé par l'accomplissement d'un ou plusieurs actes énumérés par le texte : atteinte volontaire à la vie, atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique, soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe, mesures visant à entraver les naissances, cette énumération reprend d'ailleurs celle figurant à l'article 2 de la convention de 1948.
Une seconde caractéristique propre au génocide réside dans les objectifs du plan concerté que de tels actes exécutent.
Enfin, la nature du groupe victime constitue une troisième caractéristique de l'incrimination. Il peut s'agir d'un «groupe nation, ethnique, racial ou religieux» ou d'un groupe «déterminé à partir de tout autre critère arbitraire».
Ainsi, le législateur français a eu le soin de définir le génocide sur la base de données objectives en écartant toute référence à l'idéologie ayant inspiré ses auteurs. L'exigence d'un plan concerté d'extermination établit le caractère prémédité du crime.
Sur la base des définitions ci-dessus exposées, la communauté internationale a reconnu le génocide juif perpétré durant la Seconde Guerre mondiale.
Malgré cela, quelques théoriciens ont cru devoir élaborer des thèses révisionnistes contestant la réalité des horreurs accomplies.
En outre, d'autres génocides, pourtant incontestables au regard de l'histoire et des faits accomplis, sont niés par certains historiens.
Il en est ainsi du génocide arménien de 1915, pourtant reconnu le 16 avril 1984 par le tribunal permanent des peuples puis par la commission des droits de l'Homme de l'ONU le 19 août 1985, par le Parlement européen le 18 juin 1987, par une déclaration écrite de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 14 avril 1998 et enfin par l'Assemblée nationale à l'unanimité le 29 mai 1998.
En outre, le Parlement français a reconnu publiquement le génocide arménien de 1915 dans un article unique «La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915» le 18 janvier 2001. Cette loi a été promulguée par M. le Président de la République le 29 janvier 2001, n° 2001-70.
Mais quelle que soit la reconnaissance d'un génocide, elle est insuffisante à en assurer le souvenir de façon impérissable.
En effet, l'attitude de certains historiens doit être combattue car elle consiste à nier l'évidence en semant le trouble dans les esprits et à terme, c'est la mémoire même du peuple martyr qui est menacée.
De ce point de vue, la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 constitue un incontestable progrès dans la lutte contre les thèses révisionnistes en permettant la poursuite de leurs auteurs devant la juridiction pénale.
Ainsi ceux qui contestent publiquement et par quelque moyen que ce soit, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut de Nuremberg, annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 peuvent être poursuivis pénalement.
Mais à l'évidence, cette loi a une portée trop restrictive puisqu'elle se limite aux actes accomplis durant la Seconde Guerre mondiale.
La démonstration en a été faite lorsque l'historien Bernard Lewis qualifiant le génocide arménien de 1915 de «version arménienne de cette histoire» avait été cité devant la juridiction pénale en même temps que le journal Le Monde par le comité de défense de la cause arménienne et par trois survivants de ce génocide sur le fondement des articles 24 bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 13 juillet 1990.
Le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 14 octobre 1994 a déclaré cette action irrecevable en raison du caractère limitatif de l'incrimination. En effet, seule la négation du génocide juif peut être sanctionnée.
Cette position législative et jurisprudentielle pose donc problème. Ce qu'il en est aujourd'hui avec cette décision de la juridiction pénale sur le génocide arménien, pourrait demain se reproduire encore pour ce même génocide ou pour ceux commis au Rwanda, en Bosnie et sans doute, demain, en Tchétchénie.
Il ne peut y avoir deux catégories de génocide et tous doivent être condamnés et leur négation doit être combattue de la même manière.
C'est dans cet esprit que la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 devra être modifiée en complétant le nouveau dispositif qu'elle introduisait avec l'adjonction d'un article 24 bis à la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
Il sera ainsi proposé de compléter ce dispositif en se référant à tout autre génocide.
De même, il sera proposé de permettre aux victimes et aux associations qui les représentent d'assurer la défense de tout génocide et cela en complétant l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1991.
La France, patrie des droits de l'Homme, s'honorerait en renforçant sa lutte contre le révisionnisme car la négation d'un génocide constitue un assassinat de la mémoire des peuples martyrisés.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 relative à la presse est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«Seront punis des mêmes peines ceux qui auront contesté, dans les mêmes conditions, tout autre génocide au sens de l'article 211-1 du code pénal, dès lors que celui-ci aura été reconnu par la France ou une organisation internationale dont la France est membre ou une décision rendue par les tribunaux internationaux engageant la France.»
Article 2
L'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 est ainsi rédigé :
«Toute association régulièrement déclarée depuis au moins trois ans à la date des faits qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux, la mémoire des victimes de crimes contre l'humanité, de l'honneur de la résistance ou des déportés ou toutes autres victimes et notamment de génocide au sens de l'article 211-1 du code pénal, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis.»

N° 0300 - Proposition de loi sur la lutte contre le révisionnisme (M. Roland Blum)


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