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No 718

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 mars 2003.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à rendre incompatible l'appartenance
à la
fonction publique pour les députés et pour les sénateurs.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Hervé NOVELLI, Manuel AESCHLIMANN, Jean AUCLAIR, Marc BERNIER, Gabriel BIANCHERI, Étienne BLANC, Gilles BOURDOULEIX, Ghislain BRAY, Philippe BRIAND, Bernard BROCHAND, Bernard CARAYON, Richard CAZENAVE, Roland CHASSAIN, Dino CINIERI, Édouard COURTIAL, Bernard DEFLESSELLES, Yves DENIAUD, Jean-Jacques DESCAMPS, Jean-Pierre DOOR, Gérard DUBRAC, Daniel FIDELIN, Jean-Claude FLORY, Jean-Michel FOURGOUS, René GALY-DEJEAN, Franck GILARD, Alain GINESTA, Jean-Pierre GORGES, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Jean-Claude GUIBAL, François GUILLAUME, Gérard HAMEL, Pierre HÉRIAUD, Philippe HOUILLON, Édouard JACQUE, Aimé KERGUERIS, Jacques KOSSOWSKI, Marc LAFFINEUR, Robert LAMY, Édouard LANDRAIN, Jean-Pierre LE RIDANT, Jean-Louis LÉONARD, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Richard MALLIÉ, Philippe-Armand MARTIN, Jacques MASDEU-ARUS, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Philippe PEMEZEC, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Marc REYMANN, JérÔme RIVIÈRE, Jean ROATTA, Jean-Marie ROLLAND, Philippe ROUAULT, Michel ROUMEGOUX, Guy TEISSIER, André THIEN AH KOON, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Léon VACHET, Michel VOISIN et Michel ZUMKELLER,

Additions de signatures :
M. Pierre Lequiller

Députés.

Elections et référendums.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France, depuis 1958, est devenue la république des énarques et plus globalement celle des fonctionnaires. L'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing et de Pascal Arrighi en 1956 au Palais-Bourbon marque une rupture profonde dans la vie publique française. Depuis, l'interpénétration de la fonction publique, de la fonction élective et de la fonction exécutive s'est fortement accrue.

I. - UNE RÉPUBLIQUE FONCTIONNARISÉE

L'émergence des énarques et plus globalement des fonctionnaires dans la vie politique française est intimement liée aux institutions de la Ve République et à l'apparition d'une démocratie qualifiable de démocratie d'exécutif ou de démocratie fonctionnarisée.

Cette imbrication s'effectue par le double biais des cabinets ministériels, qui se sont développés ces quarante dernières années jusqu'à constituer un nouveau niveau hiérarchique au sein de l'administration, et par le passage par la voie élective.

La voie du pouvoir, pour le fonctionnaire, ressemble à une autoroute bien balisée, ce qui est loin d'être le cas pour le salarié de droit privé. Le fonctionnaire bénéficie d'une garantie d'emploi qui constitue en cas d'échec une véritable assurance tout risque. Par ailleurs, le statut de la fonction publique lui offre de nombreuses possibilités pour préparer une éventuelle élection, avantages qui ne sont pas proposés aux salariés.

Depuis plusieurs législatures, près de la moitié des membres de l'Assemblée nationale sont issus de la fonction publique. Le taux était de 41 % pour la précédente législature, 30 % pour l'actuelle législature dont 7 % de hauts fonctionnaires. La fonction publique est surreprésentée au sein de l'Assemblée par rapport à son poids réel dans la population active, poids pourtant non négligeable.

Face à cette prééminence de la fonction publique au Parlement, il convient de rétablir une plus grande égalité de traitement en s'inspirant du modèle allemand : après son élection, le fonctionnaire devra choisir entre son mandat et sa fonction.

II. - LA SITUATION ACTUELLE

Le cas d'un salarié de droit privé

La loi accorde aux salariés du privé une autorisation d'absence pour exercer certaines fonctions publiques, et en particulier des mandats politiques. Durant ces absences, le contrat de travail des intéressés est suspendu.

Tout candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat peut s'absenter vingt jours ouvrables pendant la campagne électorale, sous réserve que chaque absence soit au moins égale à une demi-journée et que l'employeur en soit averti au moins vingt-quatre heures auparavant. Ces absences sont considérées comme du travail effectif par le droit du travail. Le contrat de travail du salarié élu à l'Assemblée ou au Sénat est suspendu jusqu'à l'expiration de son mandat s'il justifie d'une ancienneté supérieure à un an. Il en est de même en cas de renouvellement d'un mandat inférieur à cinq ans. La suspension prend effet quinze jours après notification à l'employeur.

A la fin du premier mandat ou du deuxième si la durée du premier a été inférieure à cinq ans, l'élu salarié de droit privé peut être réintégré dans ses fonctions antérieures. La demande doit être envoyée à l'employeur par lettre recommandée dans les deux mois suivant l'expiration du mandat. Il est automatiquement réintégré dans son précédent emploi ou dans un emploi similaire avec une rémunération équivalente et bénéficie des avantages acquis durant son absence par les salariés de sa catégorie.

Lorsque le mandat est renouvelé (sauf si le premier mandat a duré moins de cinq ans) ou si le salarié élu passe d'une assemblée à une autre, le contrat de travail est rompu. Il bénéficie simplement d'une priorité de réembauche pendant une durée d'un an.

Le cas d'un fonctionnaire

En cas d'élection à un mandat parlementaire, un décret du 16 septembre 1985 prévoit que ce fonctionnaire est mis, de droit, en détachement. L'article 45 de la loi du 11 juillet 1984 portant statut général de la fonction publique définit le détachement comme la position d'un fonctionnaire placé hors de son corps d'origine mais qui continue de bénéficier, dans ce corps, de ses droit à l'avancement et à la retraite. Sa rémunération est prise en charge par son nouvel employeur. Il peut surtout réintégrer son corps d'origine à tout moment, quelle que soit la durée de son mandat.

On constate une véritable inégalité entre le statut du salarié et celui du fonctionnaire. En outre, dans les faits, la protection juridique du salarié est difficile à mettre en œuvre, particulièrement dans les PME, ce qui rend quasi impossible l'accès d'un salarié à un mandat législatif.III. - MODIFICATION DU RÉGIME D'INCOMPATIBILITÉ

L'incompatibilité se définit comme « l'impossibilité légale de cumuler certaines fonctions ou occupations » avec le mandat parlementaire. A la différence de l'inéligibilité, elle n'empêche pas a priori l'élection, mais elle impose a posteriori un choix à l'élu.

A l'origine, le système français des incompatibilités repose sur la volonté de protéger les parlementaires contre les pressions de l'exécutif pour assurer une séparation effective des pouvoirs. Dès 1840, la soumission des députés-fonctionnaires au Gouvernement, maître de leur carrière et de leur rémunération, compromet le prestige de la Chambre et pousse l'opposition à réclamer la « réforme parlementaire », c'est-à-dire l'institution d'une incompatibilité entre le mandat parlementaire et l'exercice de fonctions publiques. Le statut de la fonction publique et la pratique sous la Ve République ont affaibli ce principe de stricte séparation. La présente proposition de loi organique veut rétablir cette séparation, gage de l'équilibre républicain.

Dans son article 25, la Constitution de 1958 prévoit qu'il appartient à la loi organique de fixer le régime des incompatibilités parlementaires. Cette compétence exclusive de la loi organique a été réaffirmée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.

La présente proposition de loi ne vise pas à instituer un régime à l'anglaise qui obligerait tout fonctionnaire candidat à l'Assemblée nationale ou au Sénat de démissionner avant même le résultat de l'élection. Elle s'inspire de l'exemple allemand et propose de rendre incompatible le mandat de député ou de sénateur et l'appartenance à la fonction publique. Ainsi, tout fonctionnaire élu député ou sénateur devrait choisir entre son mandat et son appartenance à la fonction publique dans l'année suivant l'élection.

Telles sont les considérations pour lesquelles je vous demande de bien vouloir adopter la présente proposition de loi organique.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article unique

Rédiger ainsi l'article L.O. 142 du code électoral :

« Art. L.O.142. - Le mandat de député et de sénateur est incompatible avec l'appartenance à un des statuts de la fonction publique.

« Le député ou le sénateur qui, lors de son élection, se trouve dans le cas d'incompatibilité mentionné ci-dessus doit, dans l'année suivant l'élection, choisir entre son mandat législatif et son appartenance à la fonction publique.

« A défaut d'option dans le délai imparti, le député ou le sénateur est réputé démissionnaire d'office. »

N° 0718 - Proposition de loi organique rendant incompatible l'appartenance à la fonction publique pour les députés et pour les sénateurs (M. Hervé Novelli)


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