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N° 802

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 avril 2003.

PROPOSITION DE LOI

visant à proscrire les licenciements boursiers et à créer une restitution sociale pour les actionnaires des entreprises prospères qui licencient.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Jacques DESALLANGRE, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GÉRIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Huguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1),

Députés.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Emploi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Que notre économie soit florissante et nos entreprises prospères ou que la conjoncture flirte avec la récession, les plans sociaux et suppressions d'emplois se succèdent indifféremment. En période de croissance, les entreprises licencient pour augmenter leurs profits, créer de la valeur boursière et réorganiser leur production avec comme seule variable d'ajustement l'emploi. En période de stagnation, elles prétendent anticiper la baisse de production et se réorganiser pour assurer leur survie.

Depuis le début de l'année et l'assouplissement du droit du travail, l'annonce de plans sociaux se succède à une vitesse effrénée. Après Metaleurop, c'est au tour d'Air lib, d'EADS, de Thales, de Matra, du GIAT d'annoncer des dizaines de milliers de suppressions d'emplois en moins d'un trimestre.

Quelle que soit la situation économique, il n'y a pas de répit pour les salariés qui sont dorénavant dans une insécurité perpétuelle où rien ne peut plus les assurer des conditions pérennes de leur survie. Insécurité prônée par certains économistes qui y voient un moteur de progression individuel, un facteur qui pousse chaque personne à relancer les défis et dépasser ses limites. Ces théoriciens de l'insécurité ne perçoivent pas les conséquences dévastatrices pour l'individu et destructrices pour notre société de cette insécurité sociale.

Notre édifice social repose aujourd'hui encore sur le travail; c'est avec l'école le facteur principal d'intégration. Les ravages psychologiques et sociaux qu'engendre l'absence de travail confirment, si besoin en était, son caractère primordial. Comment demander à ces femmes et hommes humiliés par un licenciement injuste d'adhérer au projet de vie en société?

Comment demander à ces jeunes, à ces femmes dont les emplois ont été précarisés (CDD, intérim, temps partiel, ...) de se projeter dans l'avenir, de construire leur vie? La construction sociale est directement remise en cause si les citoyens n'ont plus confiance en la réalisation d'un plus grand bien-être pour chacun. Sans la sûreté apportée à tous, d'obtenir les moyens de sa subsistance et de son épanouissement, alors rien n'empêchera les individus de préférer l'état de nature décrit par Hobbes.

Les rédacteurs de notre constitution avaient, dès 1945, perçu le rôle déterminant du travail dans la construction individuelle et l'édifice social. Ils inscrivirent ces principes dans notre constitution en proclamant que :

«La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement» et «chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.»

Malheureusement, le patronat français ne l'entend pas ainsi et considère globalement que le facteur travail est la variable sur laquelle il lui est le plus facile de jouer pour adapter la production. Quel que soit le problème posé au chef d'entreprise, il trouve sa réponse dans l'ajustement du facteur travail.

C'est cette situation de fait dans les grandes entreprises que la proposition de loi vise à juguler en proscrivant les dérapages les plus notoires. Ces pratiques inacceptables furent dévoilées aux yeux du public par l'affaire Michelin.

Alors que les entreprises licenciaient jusqu'à présent parce qu'elles rencontraient des difficultés, «l'Affaire» Michelin - Wolber a permis de révéler à un plus grand public que désormais des entreprises pouvaient licencier tout en étant prospères. De surcroît, l'annonce simultanée par la direction de cette société de bénéfices semestriels en augmentation de 20 % et de 7 500 suppressions d'emplois étalées sur trois ans, suivie, dès le lendemain, d'une progression de 12 % du cours de Bourse, a suscité un émoi considérable dans le pays.

C'est ainsi que de nombreux commentateurs, lors de l'Affaire Michelin, ont reproché à la direction de cette entreprise d'avoir commis une «erreur de communication» en annonçant simultanément des profits et des licenciements. Or, c'est précisément en faisant ces annonces conjointes, et en leur donnant une publicité maximale, qu'il est possible de faire remonter le cours boursier des entreprises concernées.

Ces phénomènes relèvent de la «création de valeur» pouvant être assimilée à un enrichissement sans cause. Cette technique devient peu à peu le mode de gestion dominant des entreprises cotées en Bourse. Mais lorsque l'expression «créer de la valeur» est utilisée, il s'agit en réalité de «créer de la valeur» pour l'actionnaire. Cet objectif, en soi, n'aurait rien de condamnable s'il n'était trompeur et dangereux.

Jamais expression n'aura en effet été aussi trompeuse. Les activités financières, il convient de le rappeler, ne créent pas de valeur en elles-mêmes mais se contentent simplement de capter, par anticipation, de la valeur qui sera éventuellement créée dans le futur. Lorsque l'opération de communication de Michelin permet au cours de Bourse de monter de 12 %, aucune valeur n'a été créée, aucun pneu supplémentaire n'a été produit ni vendu. Les actionnaires qui, ce jour-là, ont vendu leurs titres en réalisant une plus-value de 12 % n'ont rien créé. Le prix des actions a seulement reflété une anticipation de l'amélioration du volume de production, de la productivité, de la baisse des effectifs et de l'annonce d'une augmentation du montant du dividende de cette entreprise.

La notion de «création de valeur» est également dangereuse car elle laisse croire que des richesses pourraient apparaître spontanément, du seul fait des marchés financiers. C'est un non-sens dont les conséquences psychologiques, sociales et économiques - considérables - ont entraîné, par exemple, le mépris du travail humain et justifié le maintien d'un chômage de masse. La «réelle création de valeur» n'est possible que par le travail humain; l'éclatement de la bulle financière spéculative l'a démontré.

Il est en effet déraisonnable d'exiger un rendement de 10 ou 15 % sur les actions alors que l'économie progresse de 1 à 2 % dans un contexte sans inflation car ces rendements élevés ne peuvent être obtenus qu'au moyen d'une pression accrue sur les salaires et l'emploi.

La présente proposition de loi a, en conséquence, pour objet de redéfinir la notion de licenciement économique en n'autorisant l'entreprise à y recourir que lorsque c'est une nécessité pour sa survie. A contrario, une entreprise prospère, c'est-à-dire qui réalise des bénéfices, constitue des réserves ou distribue des dividendes ne pourrait recourir à un licenciement économique. Contrairement à ce qu'affirment les ministres des affaires sociales successifs, l'employeur ne peut être le seul juge de l'opportunité des licenciements. Ce pouvoir parfois exorbitant doit être encadré et contrôlé.

Mais la seule interdiction faite aux entreprises prospères de procéder à des licenciements économiques ne saurait suffire car l'activité des juridictions nous révèle que les mesures protectrices sont régulièrement transgressées.

Nous proposons donc un dispositif complémentaire de dissuasion. Dans l'hypothèse où l'entreprise contreviendrait à cette interdiction de licencier, elle devrait, en raison de sa faute, supporter l'intégralité du préjudice qu'elle cause aux salariés et à la collectivité. L'importance du coût de cette réparation modifierait de façon préventive l'équilibre du bilan coût/avantage lors des arbitrages préalables aux licenciements. Peut-être les entreprises seraient-elles alors moins enclines à considérer, le travail des salariés comme la variable d'ajustement et comme une contrainte négligeable lors des prises de décisions. Nous arriverions ainsi à la pleine effectivité de ces normes protectrices, car tout comportement non conforme serait sanctionné lourdement et de façon certaine.

L'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose au législateur d'établir les limites dans lesquelles la liberté peut s'exprimer, d'en fixer les bornes. Et c'est précisément ce cadre réglementaire qui permet à tous les membres de la société de jouir des mêmes droits. Ainsi, nos concitoyens peuvent exercer leur liberté dans la mesure où cela «ne nuit pas à autrui» et le code civil leur fait obligation de réparer les préjudices dont ils sont l'auteur.

Il est grand temps d'appliquer ces préceptes aux entreprises car nous accepterions sinon qu'elles soient les seules personnes juridiques dont la liberté n'est pas encadrée ou soumise au principe de responsabilité. Elles pourraient alors tout entreprendre pour augmenter leur bénéfice, au plus grand profit de leurs actionnaires, sans se soucier des préjudices qu'elles causeraient et des restrictions de liberté qu'elles imposeraient aux citoyens en les privant du droit de travail, droit pourtant reconnu dans le préambule de la Constitution.

Les entreprises seraient-elles plus libres et moins responsables que nos concitoyens pour lesquels, aux droits qu'ils ont acquis, répondent les devoirs qu'ils doivent remplir?

Dans ce même esprit, nous proposons qu'aux droits des actionnaires répondent les devoirs et, plus précisément, l'obligation d'assumer financièrement tous les coûts qu'ils font peser sur la société. C'est ainsi que nous suggérons d'instituer une restitution sociale reposant sur les dividendes des actionnaires d'entreprises prospères qui licencient. Il faut responsabiliser les actionnaires et non sanctionner les entreprises. C'est la raison pour laquelle la restitution sociale envisagée porterait sur les dividendes et non sur les comptes de l'entreprise.

La restitution sociale serait égale au montant des salaires toutes charges comprises des personnels licenciés jusqu'à l'âge de la retraite. Le montant de cette restitution serait imputé sur le bénéfice distribuable aux actionnaires; l'entreprise faisant l'avance de cette somme. Les actionnaires seront donc privés de dividendes pendant un nombre d'années proportionnel aux coûts générés par ces licenciements illégaux. Ainsi, l'adoption de cette proposition de loi permettrait de lutter contre la cause des licenciements abusivement appelés économiques : l'appétit démesuré de certains actionnaires.

Cette proposition de loi ne prétend pas empêcher tous les licenciements; ceux-ci restent justifiés lorsqu'il existe une faute lourde du salarié ou lorsque l'entreprise est en grande difficulté économique pouvant conduire à la faillite. En revanche, les licenciements boursiers par les entreprises prospères doivent dorénavant être proscrits et les actionnaires qui enfreindront cette règle doivent désormais assumer leur responsabilité et le coût des dommages sur leurs propres deniers.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article L. 321-1 du code du travail est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

«Le licenciement collectif économique est l'ultime acte d'une entreprise en difficulté. Il appartient à l'employeur d'en établir la nécessité.

«Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement collectif économique effectué alors que la société a réalisé des profits ou constitué des réserves au cours des derniers exercices de distribution des dividendes.

«L'entreprise qui reçoit une aide publique ne peut procéder dans l'année qui suit à des licenciements collectifs.»

Article 2

L'article L.351-3-1 du code du travail est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :

«Est réputée prospère l'entreprise qui verse régulièrement des dividendes à ses actionnaires ou constitue des réserves.

«Les actionnaires des entreprises prospères, cotées ou non en Bourse, qui procèdent à des licenciements font l'objet d'une restitution sociale. Son montant, calculé dans des conditions déterminées par décret, prend en considération le montant du salaire et des charges sociales de chaque travailleur licencié et le nombre d'années restant avant l'âge légal de la retraite de chaque travailleur licencié.

«Pour payer la restitution sociale, l'entreprise avance la somme et la verse, en une seule fois, un mois au plus après l'annonce des licenciements, à un fonds géré par la Caisse des dépôts dénommé Fonds de gestion de la restitution sociale défini par décret. Pour honorer son paiement, l'entreprise peut faire appel à ses fonds propres, procéder à une émission obligatoire ou contracter un emprunt bancaire.

«Afin de rembourser l'entreprise, les actionnaires ne touchent aucun dividende pendant une période dont la durée est calculée dans des conditions déterminées par décret qui prend en considération le montant de la pénalité et le total des bénéfices distribuables aux actionnaires.

«Le salarié licencié, dans les conditions des alinéas précédents, qui crée son entreprise ou une activité dans le secteur non-marchand, bénéficie de tout ou partie de son ancien salaire pendant une durée de cinq ans au plus.»

N° 0802 - Proposition de loi visant à proscrire les licenciements boursiers et à créer une restitution sociale pour les actionnaires des entreprises prospères qui licencient (M. Jacques Desallangre)


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