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N° 1459

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 février 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur la
progression du nombre d'internements psychiatriques
en France,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Georges HAGE

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que depuis 1970, la mise en place de la politique de secteur et la généralisation de l'hospitalisation libre avait permis de faire chuter considérablement le nombre des internements sous contrainte en psychiatrie, la tendance s'est fortement inversée depuis 1992. Les chiffres officiels concernant le nombre des internements montrent sans contestation possible une très forte augmentation de la contrainte à partir de cette date, en particulier des hospitalisations à la demande d'un tiers.

En 1992, le nombre des internements (37 688) demeurait pratiquement identique (à quelques dizaines près), à celui de 1988, mais, dès 1993, ce nombre devait atteindre 42 762 puis 48 922 l'année suivante. Nous approchons aujourd'hui les 60 000 admissions annuelles sous contrainte en rejoignant ainsi, bientôt, les chiffres antérieurs à 1970.

Entre 1980 et 1994, soit en quatorze ans, les admissions à la demande d'un tiers ont doublé. Elles ont connu une nouvelle et importante progression, mais cette fois en moins de dix ans, entre 1995 et 2002.

Alors que les hospitalisations sous contrainte représentaient 11 % de l'ensemble des hospitalisations psychiatriques en 1990, elles représentent aujourd'hui près de 14 %. Dans plusieurs départements, les internements ont quadruplé tandis que l'augmentation demeure modérée dans certains autres, sans qu'aucun critère démographique, épidémiologique ou socio-économique ne puisse rendre compte de telles disparités.

En 2002, la Société des psychiatres des hôpitaux de secteur de Paris (Somepsy) révélait qu'à Paris, « entre 1989 et 2000, le taux des H.O. passe de 10 à 20 % des patients hospitalisés, ce qui est un chiffre absolument énorme par rapport aux autres départements français (de l'ordre de 1 à 3 %) ».

L'étude des rapports établis par les Commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), créées par la loi du 27 juin 1990 révèle de nombreuses irrégularités en matière d'internement et de contraintes en psychiatrie. Certains problèmes apparaissent notamment récurrents et posent de sérieuses questions au regard du nécessaire respect de la liberté individuelle. Dans certains départements, il est ainsi noté « une augmentation du nombre d'hospitalisations sur demande d'un tiers (HDT) en urgence, alors que cette mesure devrait rester exceptionnelle. Pour les CDHP, il s'agit d'une banalisation abusive ». Ce recours à la procédure d'urgence permet en effet de se dispenser de recueillir l'avis d'un médecin extérieur à l'hôpital, garantie fondamentale qu'avait posée le vieille loi du 30 juin 1838 pour éviter tout abus et arbitraire en ce domaine. Dans une trentaine de départements, les admissions en urgence sont ainsi devenues majoritaires au regard de l'ensemble des admissions à la demande d'un tiers, alors qu'elles demeuraient marginales avant 1990 et que la loi de 1990 stipule qu'elles doivent être exceptionnelles.

Autre exemple, « les sorties d'essai utilisées comme obligation de soins » en ambulatoire sans qu'aucun cadre légal ne garantisse les droits de la personne ainsi traitée, contre son gré, au centre médico-psychologique de son secteur, voire à son domicile. Les CDHP demandent d'ailleurs « une réglementation pour les sorties d'essai prolongées, notamment au regard du respect des libertés individuelles », certaines de ces « sorties d'essai » se prolongeant parfois sur plusieurs années.

Enfin, dernier exemple probablement le plus inquiétant pour l'avenir de la Nation : les CDHP notent que « des difficultés comportementales et sociales des mineurs sont trop souvent transformées en hospitalisation sous contrainte alors que d'autres solutions devraient exister ».

Dans son rapport pour l'année 2000, la Cour des comptes s'interrogeait, en ces termes, sur cette évolution : « le nombre des hospitalisations sans consentement a connu une augmentation spectaculaire qui pose avec acuité la question de l'indispensable conciliation entre des impératifs de sécurité et le respect des droits des malades ». La Cour appelle à des « investigations approfondies » afin de vérifier notamment si le système prévu par la loi « ne permet pas des dérives préjudiciables aux droits des personnels ».

Ces dernières années, les Cours d'appel de Paris et de Douai ont été amenées à condamner l'Etat à verser des indemnités de plus de 45 000 à 190 000 euros aux victimes d'internements abusifs d'une dizaine de jours à plusieurs mois. Par une Résolution DH (97) 394 du 17 septembre 1997, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe devait constater la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans le cadre d'un internement arbitraire d'un an et condamnait le Gouvernement français à verser 230 000 F à la victime.

La représentation parlementaire se trouve ainsi manifestement aujourd'hui face à une situation de menace pour les droits de l'homme, sans avoir la moindre explication de ce phénomène par l'administration et sans se voir proposée de véritables solutions par le gouvernement pour inverser cette tendance et pallier le risque d'arbitraire.

L'Assemblée Nationale ne peut rester insensible à cette évolution alarmante, alors qu'en juin dernier, les Etats Généraux de la Psychiatrie, rassemblant à Montpellier plus d'un millier de professionnels, ont attiré l'attention de l'opinion publique sur la situation dramatique de certains services et sur les conditions d'exercice de la profession.

Bien que le Ministère de la Santé ait demandé plusieurs rapports sur l'organisation de la psychiatrie ou sur ces difficultés, ceux-ci n'ont jamais abordé la question de l'augmentation inquiétante de la contrainte qui se traduit par une régression de la qualité des soins. Les associations de patients et leurs familles sont évidemment particulièrement attentives à cet aspect de la prise en charge psychiatrique. Le rapport établi en 1997 par le Groupe National d'Evaluation de la loi du 27 juin 1990, piloté par la Direction Générale de la Santé et l'Inspection Générale de l'Action Sociale, a été réalisé à partir des chiffres de 1995 qui ne permettaient pas de mesurer, à l'époque, l'ampleur du phénomène. Ce rapport n'a d'ailleurs jamais été soumis à l'Assemblée Nationale comme cela était pourtant originellement prévu, et la Cour des comptes a estimé que le besoin d'investigation restait entier au vu des évolutions récentes. La Direction Générale de la Santé n'est quant à elle toujours pas en mesure de fournir les chiffres statistiques détaillés pour l'année 2000, n'ayant pu traiter, jusqu'alors, que ceux de 1999. Le retard pris dans le traitement de l'information atteint ainsi désormais 4 ans alors que la sauvegarde de la liberté individuelle est en cause. Il semble qu'il y ait une volonté d'occulter un aspect très inquiétant de la psychiatrie actuelle.

Une telle évaluation relève d'ailleurs de divers départements ministériels puisque l'hopitalisation psychiatrique sous contrainte ou sans le consentement des intéressés concerne aussi bien la santé que la sécurité publique et la justice. Seule la représentation nationale peut prendre en compte l'ensemble de ces différents aspects avec le recul nécessaire et la vision générale qui s'impose pour dégager les choix politiques utiles, respectueux de la liberté individuelle de tous et de la qualité de soins due aux malades. Cette évaluation parlementaire est d'ailleurs une obligation de la Loi puisque l'article 4 de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation a fixé :

Une évaluation des dispositions prévues par la présente loi devra être réalisée dans les cinq années qui suivent sa promulgation. Cette évaluation sera établie sur la base des rapports des commissions départementales prévues par l'article L. 332-3 du code de la santé publique ; elle sera soumise au Parlement après avis de la commission des maladies mentales.

Si l'évaluation administrative eut lieu en 1997 avec trois ans de retard, le Parlement n'a jamais été mis en mesure de respecter l'exigence qu'il s'était fixée. Cette évaluation apparaît aujourd'hui d'autant plus indispensable que l'ensemble de la profession s'inquiète des évolutions en cours. Toutefois, avant d'évaluer la loi du 27 juin 1990 sur la base des rapports des CDHP, il apparaît nécessaire de prendre en considération l'ensemble des problèmes posés par l'hospitalisation sans consentement et la réalité des pratiques liées à la contrainte en psychiatrie, en recueillant également l'avis des associations de patients et de leurs familles, tout en tenant compte de l'évolution du contentieux judiciaire qui s'est développé, ces dix dernières années, tant devant les juridictions nationales que devant les organes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'hospitalisation psychiatrique en France.

C'est pourquoi il vous est demandé de bien vouloir adopter l'article unique de cette proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé une commission d'enquête parlementaire de trente membres afin de déterminer les causes de l'augmentation excessive du nombre des hospitalisations sous contrainte en psychiatrie, depuis 1992.

Son rapport devra explorer les pistes pour la mise en place d'un système de santé mentale garantissant qualité des soins, sûreté publique et liberté individuelle.

Il devra être rendu avant le 31 mai 2004.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118289-3
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1459 - Proposition de résolution - création d'une commission d'enquête sur la progression des internements psychiatriques (M. Georges Hage)


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