Version PDF
Retour vers le dossier législatif

 

N° 1493

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 mars 2004.

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer un service public de l'eau,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Georges HAGE

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'eau est une ressource essentielle à la vie. Elle constitue un enjeu de société.

Aujourd'hui, sur notre planète, plus d'un milliard d'individus n'ont pas accès à une eau potable et près de deux milliards sont privés d'assainissement. Chaque année, plusieurs millions d'êtres humains meurent victimes de maladies causées par la mauvaise qualité de l'eau.

Pourtant patrimoine de toute l'humanité, son partage est facteur de tensions, de conflits, voire de guerres. Elle est devenue un objet de convoitise et de profit dans les pays capitalistes à l'heure de la mondialisation.

Elle devrait être considérée comme un bien public nécessaire à la santé, au développement des économies et de la civilisation. Elle est, à ce jour, une marchandise soumise aux lois du marché.

La France a la chance de posséder des réserves d'eau confortables, même si elles sont inégalement réparties sur le territoire. La nécessité d'une gestion économe, rigoureuse et transparente doit s'imposer.

L'eau est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. L'actualité nous en apporte la preuve régulièrement, lorsque surviennent des inondations ou des sécheresses, des accidents polluant nos rivières ou nos sources destinées à la consommation humaine. Ces faits nous font prendre conscience, par intermittence, du caractère fragile et limité de cette ressource vitale.

Chaque citoyen devrait pouvoir avoir accès à l'eau dans des conditions identiques. Or, les inégalités dans notre pays ne cessent de s'accentuer, en même temps que les inquiétudes s'aiguisent sur la qualité et le prix de l'eau.

L'essentiel de notre dispositif législatif, en ce domaine, repose sur la loi du 16 décembre 1964, qui a créé les comités de bassin, les six agences de bassin et a inspiré le contenu de la Directive européenne 2000/60/CE établissant un cadre pour la politique communautaire.

Cette loi a été complétée par celle du 3 janvier 1992, qui a institué les Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) et renforcé les dispositions relatives aux devoirs des concessionnaires et à l'information des usagers.

Enfin, est intervenue la loi du 2 février 1995, qui a renforcé la protection de l'environnement, en créant une Commission nationale du débat public, des Conseils départementaux de l'environnement et des Comités régionaux de l'environnement, en instituant un Fonds de prévention des risques naturels majeurs et des Plans de prévention des risques naturels prévisibles.

Toutes ces dispositions ont été utiles. Néanmoins, il convient de constater que l'actuelle gestion de l'eau est de plus en plus chère pour les usagers. Les inégalités s'accentuent et l'opacité de cette gestion est manifeste.

Nous pourrions certes envisager une nouvelle loi sur l'eau, comme s'y était engagé le précédent gouvernement. Ce projet n'a fait l'objet que d'une première lecture à l'Assemblée Nationale en raison de la proximité des élections législatives.

En réalité, l'épreuve des faits tend à prouver qu'il serait, à présent, urgent de changer les règles et de nous acheminer vers un véritable service public de l'eau et de l'assainissement.

A l'évidence, le système de gestion actuelle est gangrené par la course au profit engagée par les sociétés géantes, qui ont jeté leur dévolu sur l'exploitation de l'eau.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Notre organisation des services publics aux usagers domestiques a pris jusqu'à ce jour deux formes :

- Les sociétés nationalisées pour l'électricité, le gaz, les transports ferroviaires et les services postaux. Elles ont fait la preuve de leur efficacité. Elles garantissent à chaque citoyen, où qu'il se trouve, une égalité d'accès au service rendu.

- La gestion décentralisée, directe ou déléguée à des concessionnaires privés par les communes pour ce qui concerne la collecte et le traitement des déchets, les transports urbains, et la distribution de l'eau, ainsi que son assainissement.

Très longtemps, les communes ont pratiqué la gestion directe de l'eau par la constitution de régies.

Mais l'évolution des exigences environnementales, les normes européennes, la complexité des problèmes techniques et comptables, l'augmentation des coûts et les risques d'endettement ont conduit les collectivités à confier ce service à des sociétés privées, faute de pouvoir assumer seules leurs obligations légales.

Ces entreprises, qui opèrent dans ce secteur, en France et maintenant dans le monde entier, ont profité de cette situation pour s'assurer la mainmise sur le marché de l'eau, à tel point que nous ne sommes plus aujourd'hui dans le cadre d'une délégation de service public, mais dans une logique entièrement marchande et commerciale.

Trois grands groupes se partagent la production et la distribution de l'eau dans leur presque totalité (80 %).

- La Lyonnaise des Eaux, filiale de Suez,

- Veolia Water, filiale de Veolia Environnement, anciennement Vivendi Environnement,

- La SAUR, filiale de Bouygues.

Et la part des services d'assainissement confiée aux entreprises privées ne cesse de s'accroître au fil des ans.

Ces groupes réalisent ainsi des marges colossales, dont le réinvestissement n'a que peu de rapport avec l'eau. Il n'est que d'observer la diversité d'activités de ces géants industriels.

L'« affaire Messier » au sein du groupe Vivendi Universal a légitimement indigné l'opinion publique : Un empire colossal avec 58,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2001, dont 29,1 milliards d'euros pour la filiale Vivendi Environnement, des traitements comptables irréguliers, des pressions sur les auditeurs, des investissements hasardeux, un niveau de vie de grand luxe garanti à M. Jean-Marie Messier aux frais du groupe et donc des usagers.

Face à la puissance de ces entités, il apparaît de plus en plus que les élus des collectivités sont dépossédés des instruments de décision et de la mise en œuvre d'une politique de l'eau au juste coût et au mieux des intérêts de leurs administrés.

La situation de monopole de ces multinationales sur le marché de l'eau leur permet d'imposer aux communes les investissements et la gestion les mieux adaptés à leurs intérêts stratégiques. Leur force est d'autant plus grande qu'ils ont des activités de services très diversifiées et utilisent l'eau comme un produit d'appel pour conclure ensuite des contrats de bureaux d'études, de collectes de déchets ou de travaux publics.

Ainsi, selon les informations de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le prix du m3 a crû en moyenne de 66 % en France depuis 1992, soit quatre fois plus vite que l'inflation, et jusqu'à 103 % en certains endroits.

En moyenne, le m3 d'eau se facture à 2,65 euros, soit une note annuelle de 318 euros par foyer.

Les différences de tarifs, selon les régions, connaissent une amplitude de 1 à 7 au m3. Le prix le plus bas enregistré dans notre pays s'élève à 0,2563 euro le m3, tandis que le tarif le plus élevé se monte à 6,4716 euros.

Les rapports des compagnies sont à tel point opaques que nul ne peut estimer leur marge réelle, ni en contrôler la véracité. La vérité des prix n'existe pas.

Les adeptes du libéralisme se plaisent à répéter que la concurrence permet de baisser les tarifs pratiqués. En l'occurrence, Suez, Veolia et Bouygues règnent sur le marché. Pour empêcher la diminution de leurs prix, ils passent des alliances, se répartissent le territoire et verrouillent les appels d'offres.

Le lobbying des sociétés alourdit encore la note : les usagers retrouvent dans leurs quittances les versements de « droits d'entrée » aux communes, qui permettent aux dites sociétés de s'attirer les bonnes grâces de certains élus, sans compter les largesses diverses sous forme de chèques, d'invitations dans des hôtels de grand luxe ou à des séjours dans les pays exotiques.

Il convient de mettre un terme à cette situation. L'eau n'est pas une marchandise mais un bien universel. C'est un patrimoine naturel collectif qu'il faut protéger, valoriser et mettre à la disposition de tous les usagers, en toute égalité et au meilleur prix.

Seul, un grand service public national est capable de s'acquitter d'une telle mission. Il aura vocation à définir, avec les élus, une politique de l'eau, qui mette en avant la prévention et permette l'évaluation des besoins, la recherche de nouvelles ressources, la lutte contre les gaspillages et les pollutions.

L'évaluation des besoins doit être prise dans ces trois dimensions, usages domestique, industriel et agricole. Elle procédera d'une démarche regroupant tous les acteurs (élus, syndicats, usagers et mouvements associatifs).

Ce service public favorisera la mise en commun des compétences dans ce domaine hautement pluridisciplinaire. Il mettra ainsi à la disposition des élus et des collectivités territoriales un conseil technique, qualifié et désintéressé, qui leur permettra de prendre des décisions en toute indépendance. Ce service pourra également intervenir dans tous les problèmes de gestion, de péréquation des prix, de juridiction dans le respect d'une véritable décentralisation, tenant compte de la diversité des situations locales. Il pourra aussi jouer un rôle d'arbitrage dans les confrontations dues à la multiplicité des usages de l'eau.

Cela nécessite la nationalisation des trois grands groupes privés actuels. Celle-ci aura un contenu véritablement démocratique répondant aux intérêts des usagers et des salariés de ces entreprises. Ainsi conçue, elle placera la France en situation d'indépendance, de compétitivité et donnera aux Français un accès juste et égal au service de l'eau et de son assainissement.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La production, la distribution de l'eau potable, ainsi que le traitement des eaux usées, sont soumis à des règles de service public pour tendre à l'égalité des usagers sur l'ensemble du territoire et garantir l'intérêt des collectivités locales.

Article 2

Sont nationalisées, d'une part, les activités liées à la production et à la distribution de l'eau, d'autre part, les activités d'assainissement des entreprises suivantes :

- La Lyonnaise des Eaux,

- Veolia Water,

- La Société d'Aménagement Urbain et Rural (Saur).

Article 3

La politique nationale de l'eau doit atteindre les objectifs suivants :

- dresser l'inventaire permanent des ressources en quantité et en qualité,

- organiser une planification concertée des équipements hydrauliques permettant de répondre aux besoins,

- définir des normes permettant de préserver le milieu et favoriser la prévention des pollutions,

- associer la recherche au service des objectifs,

- assurer la distribution de l'eau au meilleur prix pour tous les usagers sur tout le territoire national, ainsi que le traitement des eaux usées.

Article 4

Il est créé une Agence de l'eau chargée d'assurer le service public national de l'eau et qui a pour mission de contribuer à la mise en œuvre de la politique nationale de l'eau en matière de gestion, de recherche, d'évaluation quantitative et qualitative des besoins.

Article 5

Les collectivités territoriales concernées peuvent passer des contrats avec l'Agence nationale de l'eau afin de réaliser des études et/ou des travaux visant à l'amélioration du service de l'eau localement. Ces contrats précisent notamment les conditions financières de réalisation des travaux visés.

Nonobstant l'alinéa précédent, tous travaux réalisés par l'Agence nationale de l'eau ou pour son compte sont soumis pour avis aux organes délibérants des collectivités locales concernées.

Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article.

Article 6

Les charges pour le budget de l'Etat sont compensées à due concurrence par le relèvement de l'impôt sur les sociétés.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118270-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

---------

N° 1493 - Proposition de loi tendant à créer un service public de l'eau (M. Georges Hage)


© Assemblée nationale