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N° 1610

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 mai 2004.

PROPOSITION DE LOI

visant à modifier certaines dispositions du code électoral
relatives à l'
élection des conseillers généraux et des députés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Yves JEGO, Alain JOYANDET, François VANNSON, Jacques-Alain BÉNISTI, Marc BERNIER, Mme Françoise BRANGET, MM. Jacques BRIAT, Mme Geneviève COLOT,
MM. Edouard COURTIAL, Paul-Henri CUGNENC, Jean-Pierre DECOOL, Jacques DOMERGUE, Jean-Pierre DOOR, Jean-Michel FOURGOUS, Alain GEST, Bruno GILLES, Louis GUÉDON, Gérard HAMEL, Christian JEANJEAN, Mme Maryse JOISSAINS-MASINI, MM. Jacques KOSSOWSKI, Lionnel LUCA, Alain MADELIN, Thierry MARIANI, Philippe-Armand MARTIN, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Damien MESLOT, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Mme Juliana RIMANE, MM. Bernard SCHREINER, Yves SIMON, Daniel SPAGNOU, Guy TEISSIER, Léon VACHET, Philippe VITEL, Gérard VOISIN et Michel VOISIN

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis bientôt vingt ans le comportement électoral des Français s'est modifié en profondeur. Ces mutations ont eu pour conséquences de morceler le paysage politique français, de favoriser l'abstention et de fragiliser nos institutions en ne permettant pas aux majorités en place de gouverner avec la plénitude des pouvoirs que leur confère la Constitution de la Ve République.

Le mode de scrutin, tel qu'il existe aujourd'hui favorise ces fragilisations permanentes de nos structures politiques et, notamment, la possibilité d'organiser des triangulaires fait souvent le jeu de partis extrêmes qui, en brouillant le message politique, réduisent l'assise démocratique des candidats élus qui le sont avec moins de la majorité absolue des suffrages exprimés.

Si un tel phénomène est néfaste pour la lisibilité de l'action politique, il en est de même pour la crédibilité de nos institutions. Le vote contestataire devient un vote de sanction systématique et les partis politiques extrémistes mesurent davantage leur poids électoral à leur capacité de nuire qu'à leurs réelles chances de participation au pouvoir. Les candidats ou listes élues ne le sont pas toujours par la majorité des électeurs.

Parallèlement, excepté les élections législatives de 1986 pour lesquelles la représentation proportionnelle avait permis l'entrée à l'Assemblée nationale des députés issus des rangs du parti Front national ainsi que des députés écologistes, les autres élections législatives n'ont jamais permis aux partis minoritaires en France d'être présents au second tour.

Les électeurs ont donc le sentiment que leur voix du premier tour, du fait de l'élimination du second tour, est une voie perdue. Le premier tour est donc à la fois l'objet de vote fantaisiste et d'abstention importante.

Plusieurs propositions de loi se sont proposé de pallier ces dérives de notre système de vote en proposant, par exemple, la prise en compte des votes blancs et nuls, le vote obligatoire, le vote électronique, l'inscription automatique des jeunes de 18 ans sur les listes électorales.

Ces propositions, essentiellement techniques, dont l'objectif est louable, remobilisation du corps électoral, prise en compte de la contestation, ne répondent cependant pas aux deux écueils majeurs de notre système électoral qui sont d'une part la fragilisation du vote du second tour - certains candidats élus ne le sont que par défaut - et l'absence de prise en compte des voix du premier tour qui conduit l'électorat français à rester chez lui sachant que quel que soit son vote il n'a pas les moyens d'être représenté.

Enfin, le code électoral prévoit un redécoupage régulier des circonscriptions afin que la représentation nationale soit représentative de la population française sur l'ensemble du territoire. Or, depuis 1986, aucun gouvernement ne s'est risqué à un nouveau redécoupage en raison de la complexité et de la sensibilité de l'exercice. Or, si la règle de un parlementaire pour cent mille habitants était respectée, il faudrait rajouter une trentaine de députés sur l'ensemble du territoire de la République.

La proposition de loi qui vous est présentée vise à pallier ces deux écueils de notre système électoral.

En premier lieu, elle prévoit que lors des élections au scrutin majoritaire uninominal à deux tours seuls les deux candidats arrivés en tête peuvent accéder au second tour. Cette disposition, simple et efficace a le mérite d'éviter le vote par défaut : le candidat élu est certain de l'être avec la majorité absolue des voix. Cette modification est inspirée du fondement même de nos institutions puisqu'elle reprend exactement les termes de l'article 7 de la Constitution relatif à l'élection du Président de la République. Il semble donc cohérent de proposer que dans toutes les élections régies par le même mode de scrutin, les mêmes règles s'appliquent. Une telle règle correspond au principe constitutionnel qui régit l'élection présidentielle : « au premier tour on choisit, au second tour on élimine ».

La possibilité d'appliquer cette règle à l'ensemble des scrutins, y compris les scrutins de liste, aurait représenté une évolution intéressante de notre système électoral. Il ne semble cependant pas possible de pouvoir procéder ainsi pour les scrutins de liste, le conseil constitutionnel ayant, à plusieurs reprises, sanctionné des dispositions pouvant porter atteinte à la représentativité du suffrage comme ce fut le cas lors du projet de loi visant à modifier le mode de désignation des conseillers régionaux dans laquelle le seuil de 10 % des inscrits avait été prévu pour permettre à une liste de se maintenir au second tour. Le conseil constitutionnel avait censuré cette disposition ce qui conduit à penser qu'une disposition prévoyant que seules les deux listes arrivées en tête aient la capacité de se maintenir au second tour risquerait, elle aussi, la censure du Conseil Constitutionnel.

En second lieu, afin de compenser l'éviction des candidats au second tour prévue par le titre premier de cette proposition de loi, il vous est proposé d'introduire une dose de représentation proportionnelle dans l'élection législative afin de permettre aux voix du premier tour d'avoir l'assurance d'être représentées au niveau national.

Cette modification du mode de scrutin ne porterait que sur l'élection des députés et ce pour deux raisons, la première tient au fait que cette disposition a pour vocation essentielle de lutter contre l'abstentionnisme du premier tour et que les élections cantonales restent des élections dans lesquelles le taux de participation est encore important. La seconde tient au fait que ce qui est possible et a un sens au niveau national, l'est moins au niveau départemental. Le nombre de députés est important - 570 sur le territoire métropolitain - le fait de rajouter un certain nombre de députés élus à la représentation proportionnelle dans le cadre d'un scrutin de liste ne perturbera pas l'équilibre des majorités au sein de l'Assemblée nationale et permettra la représentation au niveau national de sensibilités qui ne sont pas aujourd'hui représentées sans pour autant favoriser le morcellement de la représentation nationale.

Les 577 députés de France métropolitaine et de l'outre-mer resteraient élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans le cadre des circonscriptions départementales, ce qui fait l'objet d'une proposition de loi organique déposée simultanément au texte qui vous est présenté. A ce nombre, seraient ajoutés 20 nouveaux députés qui seraient élus, à l'issue du premier tour, en tenant compte des résultats obtenus par chaque parti, représenté par un candidat, lors du premier tour.

Afin de simplifier l'opération de vote, le candidat devra exprimer sur sa profession de foi et sur son bulletin de vote son parti de rattachement et une mention spécifique devra être inscrite précisant que la voix apportée à ce candidat profite également au parti sur le plan national. Cette précision sera d'autant plus importante qu'elle permettra de clarifier la situation des candidatures d'union qui pourront continuer à exister dans le cadre de la circonscription départementale mais pour lesquelles les candidats devront exprimer leur rattachement sur le plan national. Elle ne devrait pas être source d'une multiplication des candidatures séparées dans la mesure où l'élimination des candidats du second tour prévue dans le titre premier de la présente proposition de loi devrait inciter les formations politiques à l'efficacité afin de pouvoir espérer être présents au second tour.

La « deuxième voix » de l'électeur sera davantage un enjeu pour les petits partis que pour les grands, telle est la portée de la présente proposition de loi.

Efficacité compensée par la représentation, tels sont les objectifs de la proposition de loi qui vous est présentée. Elle met en place un dispositif équilibré, cohérent et juste qui permet d'allier à la fois efficacité du mode de scrutin et justice électorale. Inspirée par le modèle de vote allemand dans sa conception mais pas dans son exécution, elle devrait pouvoir permettre aux Français de faire entendre leur voix.

Elle permet de pallier les défauts de notre mode de scrutin actuel qui ne permet souvent plus d'avoir des élus soutenus par une majorité absolue de voix et qui ne permet pas, non plus, à ceux qui ne sont pas élus mais qui pèsent électoralement, de pouvoir être représentés.

PROPOSITION DE LOI

TITRE Ier

DE LA PARTICIPATION AU SECOND TOUR
DES CANDIDATS AUX ÉLECTIONS
LÉGISLATIVES ET CANTONALES

Article 1er

L'article L. 162 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 162. - Seuls sont autorisés à se présenter au second tour de scrutin les deux candidats arrivés en tête qui, le cas échéant après un retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.

« Les déclarations de candidatures doivent être déposées en Préfecture avant le mardi minuit qui suit le premier tour.

« Un candidat ne peut présenter au second tour un remplaçant autre que celui qu'il avait désigné dans sa déclaration de candidature du premier tour.

« Les dispositions de l'article L. 159 sont applicables aux déclarations de candidatures pour le second tour de scrutin. Dans ce cas le tribunal administratif statue dans un délai de vingt-quatre heures. »

Article 2

Les trois derniers alinéas de l'article L. 210 du même code sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Seuls sont autorisés à se présenter au second tour de scrutin les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour.

« Les déclarations de candidatures doivent être déposées en Préfecture avant le mardi minuit qui suit le premier tour. »

TITRE II

DE L'INTRODUCTION
D'UN SCRUTIN PROPORTIONNEL
DANS L'ÉLECTION DES DÉPUTÉS

Article 3

Le Chapitre III du Titre II du Livre Ier du même code est ainsi modifié :

I. - Après l'article L. 126, est insérée une section 2 intitulée : « Mode de scrutin des députés élus dans le cadre de la circonscription nationale », et comprenant trois articles L. 126-1 à L. 126-3 ainsi rédigés :

« Art. L. 126-1. - Les députés de la circonscription nationale sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un tour suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.

« Les sièges sont attribués aux candidats d'après l'ordre de présentation sur chaque liste.

« Art. L. 126-2. - Le territoire de la République forme une circonscription unique.

« Art. L. 126-3. - A l'issue du premier tour, les voix obtenues par les partis politiques représentés par les candidats qui se sont présentés dans le cadre de l'élection prévue par la section I du présent chapitre sont réparties sur le plan national dans les conditions de l'article L. 127. »

II. - En conséquence, avant l'article L. 123 est insérée une Section I intitulée « Mode de scrutin des députés élus dans le cadre des départements ».

III. - L'avant-dernier alinéa de l'article L. 126 est supprimé.

Article 4

Le Chapitre V du Titre II du Livre Ier du même code est ainsi modifié :

I. - Après l'article L. 163, est insérée une Section 2 intitulée « Déclaration de candidatures des députés élus dans le cadre de la circonscription nationale », et comprenant huit articles L. 163-1 à L. 163-8 ainsi rédigés :

« Art. L. 163-1. - Nul ne peut être candidat sur plus d'une liste ni simultanément dans le cadre d'une circonscription dans le cadre de l'élection prévue par le premier alinéa de l'article L.O. 119.

« Art. L. 163-2. - Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque liste de candidats.

« Art. L. 163-3. - La déclaration de candidature résulte du dépôt au ministère de l'intérieur d'une liste comprenant autant de candidats qu'il y a de sièges à pourvoir.

« Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre de candidat de chaque sexe ne peut être supérieur à un.

« Chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.

« La déclaration de candidature est faite collectivement pour chaque liste par le candidat tête de liste ou par le mandataire désigné par lui.

« Elle comporte la signature de chaque candidat et indique expressément :

« 1o L'appartenance à un parti politique de la liste ;

« 2o les noms, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, domicile et profession de chacun des candidats.

« Art. L. 163-4. - Les déclarations de candidatures doivent être déposées au plus tard vingt-et-un jours avant celui de l'ouverture du scrutin.

« Art. L. 163-5. - Un mandataire de chaque liste doit verser à la caisse des dépôts et consignations un cautionnement de 15 000 euros. Le cautionnement est remboursé aux listes qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.

« Sont prescrits et acquis au Trésor public les cautionnements non réclamés dans le délai d'un an à dater de leur dépôt.

« Art. L. 163-6. - Si une déclaration de candidature ne remplit pas les conditions prévues aux articles L. 162-0-1 et suivants, le ministre de l'intérieur saisit dans les vingt-quatre heures le Conseil Constitutionnel, qui statue dans les trois jours.

« Si, en application de cette disposition, une liste n'est plus complète, elle dispose d'un délai de quarante-huit heures pour se compléter.

« Art. L. 163-7. - Un récépissé définitif est délivré dans les quatre jours du dépôt de la déclaration de candidature sur présentation du récépissé de versement du cautionnement.

« Art. L. 163-8. - Aucun retrait de candidat n'est accepté après le dépôt de la liste.

« Le retrait de listes complètes qui interviennent avant l'expiration des délais prévus pour le dépôt des candidatures sont enregistrés ; ils comportent la signature de la majorité des candidats de la liste.

« Il n'est pas pourvu au remplacement d'un candidat décédé après le dépôt de la liste des candidats.

« II. - En conséquence, avant l'article L. 154 est insérée une Section I intitulée « Déclaration de candidatures des députés élus dans le cadre des départements ».

« II. - Le dernier alinéa de l'article L. 154 est complété par les mots : « ainsi que, le cas échéant, la liste nationale de candidats à laquelle ils souhaitent rattacher leurs voix ».

« IV. - Après le premier alinéa de l'article L. 155, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Cette déclaration doit également être accompagnée de l'acceptation écrite du mandataire de la liste à laquelle se rattache le candidat ».

« V. - L'article L. 156 est ainsi rédigé :

« Art. L. 156. - Nul ne peut être candidat dans plus d'une circonscription ni simultanément au titre de la liste présentée par les partis politiques pour l'élection des députés élus au scrutin de liste tels que prévus par l'article L.O. 119.

« Si le candidat a fait, contrairement aux prescriptions du présent article acte de candidature dans plusieurs circonscriptions ou sur plusieurs élections du même type, sa candidature n'est pas enregistrée. »

Article 5

Avant le dernier alinéa de l'article L. 165 du même code, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Une mention spécifique doit apparaître sur le bulletin de vote, de manière lisible et intelligible pour l'électeur, l'informant de la liste à laquelle le candidat souhaite se rattacher. Au verso du bulletin de vote doit figurer la liste des candidats à laquelle le candidat se rattache.

« Un décret pris en Conseil d'Etat détermine les modalités de cette mention spécifique. »

Article 6

Les articles L. 174 et L. 175 du même code sont remplacés par les cinq articles L. 174, L. 174-1, L. 175, L. 175-1 et L. 175-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 174. - Les voies obtenues par le candidat qui a fait acte de candidature dans plusieurs circonscriptions ou qui s'est présenté simultanément à l'élection dans le cadre départemental et à l'élection dans le cadre national sont considérées comme nulles et le candidat ne peut être élu dans aucune circonscription.

« Les voix obtenues par lui sont défalquées du résultat final obtenu par la liste à laquelle il figure simultanément.

« Art. L. 174-1. - Les voix obtenues par un candidat n'ayant souhaité aucun rattachement à une liste nationale ne sont pas comptabilisées dans le recensement des votes effectué pour la répartition des sièges des députés élus dans le cadre de la circonscription nationale.

« Art. L. 175. - Le recensement général des votes est effectué, pour toute circonscription électorale, au chef lieu du département, le lundi qui suit le scrutin, en présence des représentants des candidats par une commission dont la composition et le fonctionnement sont précisés par un décret en Conseil d'Etat.

« Le préfet transmet ensuite les résultats obtenus par chaque candidat, d'une part et par les listes auxquelles ils ont déclaré être rattachés, d'autre part.

« Les voix des candidats qui ont déclaré n'être rattachés à aucun.

« Art. L. 175-1. - Le ministère de l'Intérieur procède aux vérifications d'usage et au comptage des voix et annonce les résultats obtenus par les listes au plan national.

« Art. L. 175-2. - Le Conseil Constitutionnel confirme les résultats du premier tour ainsi que la répartition des sièges qui en ressort pour l'élection des députés à la représentation proportionnelle. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118371-7
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1610 - Proposition de loi visant à modifier certaines dispositions du code électoral relatives à l'élection des conseillers généraux et des députés (M. Yves Jégo)


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