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N° 2221

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les activités de la
Coface pour le compte de l'Etat
et leur lien avec l'évolution
de l'
aide publique au développement,

(Renvoyée à la commission des finances de l'économie générale et du plan,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Jean-Paul BACQUET, Mme Paulette
GUINCHARD-KUNSTLER, M. Jean-Claude VIOLLET

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

12

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Créée en 1946, la Compagnie Française pour l'Assurance du Commerce Extérieur (Coface) s'est vue assignée par l'Etat la mission d'assurer les activités des entreprises françaises à l'exportation. Malgré sa privatisation en 1994, elle continue, outre son activité privée, à gérer pour le compte de l'Etat l'ensemble des garanties publiques à moyen et long terme de grands contrats civils et militaires d'exportation, engageant ainsi plusieurs milliards d'euros d'argent public chaque année.

Dans le cadre de la gestion pour le compte de l'Etat, les décisions concernant la souscription des risques sont prises par l'Etat, via la Commission des Garanties et du Crédit au Commerce Extérieur, sur la base d'un dossier préparé par la Coface. Si des sinistres se produisent dans les projets « cofacés » et que le montant des indemnisations versées par la Coface est supérieur au montant des primes d'assurances perçues, la Coface puise légalement dans le budget public.

Généralement, l'Etat français se tourne alors vers l'Etat du pays vers lequel ont eu lieu les exportations afin d'être remboursé. En effet, dans la plupart des contrats de garanties signés, l'Etat français demande à l'Etat importateur une contre-garantie souveraine, c'est-à-dire l'assurance d'être remboursé des sommes versées à l'exportateur français en cas de sinistre. Pour autant, l'Etat français peut décider souverainement d'annuler cette contre-garantie, en d'autres termes procéder à une annulation de dette.

Assurance, contre-garantie, annulation de dette : alors que ces projets ont de prime abord été assurés avec de l'argent public, il est impossible pour le législateur, garant de la gestion des deniers publics, d'obtenir une information publique précise ni sur les dettes ainsi générées (au nom de la « confidentialité commerciale »), ni sur les annulations de créances Coface opérées par l'Etat. D'incertitude financière, cette quasi absence d'informations dévie vers une incertitude politique : l'annulation par l'Etat de dettes cofacées sert-elle de couverture à une diminution de l'APD ?

1. Un manque de cohérence des données disponibles sur les activités de la Coface pour le compte de l'Etat.

Dans son rapport d'activités pour 2003, la Direction des Relations Economiques Extérieures (DREE) annonce en effet que l'encours total des contrats garantis par la Coface pour le compte de l'Etat s'élevait au 31 décembre 2003 à 58,3 milliards d'euros. Dans le même temps, la Cour des Comptes indique dans le Rapport sur l'exécution des lois de finances en vue du règlement du budget de l'exercice 2003, qu'« au 31 décembre 2003, les encours garantis étaient de 40,4 milliards d'euros au titre de l'assurance-crédit (...) ». De son côté, la Coface, qui publie la liste des contrats à l'exportation supérieurs à 20 millions d'euros garantis pour le compte de l'Etat, avance le chiffre pour 2003 de 20,89 milliards d'euros.

Selon la source utilisée, pour une même période, la différence peut donc atteindre respectivement 17,9 milliards ou 3,51 milliards d'euros. Alors que le croisement des sources d'information devrait aboutir à un juste tableau de l'activité de la Coface pour le compte de l'Etat, on observe à l'inverse un imbroglio statistique des plus déroutants.

Part non négligeable dans l'ensemble des garanties accordées pour le compte de l'Etat, les contrats militaires ne font pas plus l'objet d'une publication régulière ; si en 2002, la DREE avançait que ces contrats représentaient 1,9 milliard d'euros, plus rien n'est indiqué pour 2003. Dès lors, même si elle n'explique qu'en partie le décalage global constaté, l'absence d'information relative aux exportations de matériel militaire renforce l'incertitude sur l'objet et le devenir des crédits accordés.

L'absence de cohérence des données relatives à la Coface n'est cependant pas uniquement le fruit d'une simple observation des chiffres publiés ou même d'une réflexion intuitive, puisqu'elle est directement pointée du doigt par la Cour des comptes qui ne ménage pas sa critique envers l'Etat pour son manque de transparence dans ses relations avec la Coface.

En effet, si les frais de gestion des procédures publiques gérées par la Coface et la rémunération versée par l'Etat à la Coface (62 millions d'euros en 2003) sont inscrits dans les comptes de la Coface, les primes payées par les entreprises assurées, les sinistres indemnisés et les récupérations au titre de ces garanties font l'objet d'un enregistrement distinct dans un patrimoine d'affectation sans personnalité juridique (un « compte d'Etat »), dont les comptes sont contrôlés par un Commissaire aux comptes (Article 29 de la loi de finances rectificative pour 1997).

Pourtant, la Cour des Comptes indiquait en 2002 dans son Rapport sur l'exécution des Lois de Finances en vue du règlement du budget de l'exercice 2002 : « (...) le commissaire aux comptes désigné ne s'est pas déclaré en mesure de certifier les comptes produits, dans l'attente d'un renforcement des procédures de supervision et de la production automatique des données comptables qui devrait être effective en 2003. Les dispositions votées par le Parlement en 1997 n'ont donc toujours pas trouvé de traduction complète ».

Plus loin, dans ce même rapport, la Cour des Comptes commente : « Le prélèvement demandé, en période complémentaire de l'exercice 2002, sur le compte Etat de la Coface, a été de 0,9 Md€, dont 0,4 Md€ versés le 10 janvier 2003 et 0,5 Md€, le 23 janvier 2003. Certes, contrairement à ce qui s'est produit pour le compte de l'Etat chez NATEXIS, ce montant de 0,9 Md€ rentrait dans le total des prélèvements prévus pour l'exercice, en loi de finances initiale, puis en loi de finances rectificative, sur la trésorerie de la Coface. On observe toutefois que, de 2000 à 2002, le solde de trésorerie a diminué de 29 %, et que, dans le même temps, le prélèvement annuel au profit du budget de l'Etat a augmenté de 230 %. (...) Le fait que la décision fixant le montant final du prélèvement intervienne en période complémentaire et de façon discrétionnaire, quant au montant et à l'exercice d'imputation, c'est-à-dire sans qu'aucune procédure d'encadrement ne garantisse au Parlement la neutralité des appréciations, nuit à la transparence des décisions. »

En 2004, le Commissaire aux Comptes a refusé, pour la troisième année consécutive, de certifier les comptes d'Etat de la Coface pour manque de transparence et vice de forme. Ce dernier a mis en évidence que « les hypothèses retenues pour le provisionnement des sinistres restaient à étayer par un suivi technique par exercice de souscription et que les ajustements liés aux modifications apportées aux systèmes d'information ont été enregistrés dans le compte de résultat sans avoir été isolés dans un poste comptable spécifique ».

2. L'opacité de la gestion des crédits publics par la Coface : instrumentalisation des annulations de créance ?

Lorsque l'Etat reprend à son compte les créances contractées par la Coface, il peut en effet procéder à une annulation de ces dernières. Là encore, l'opacité est de règle et le Parlement n'est pas en mesure d'exercer réellement son contrôle car ces annulations sont, par définition, imputées sur des chapitres non budgétaires.

Cette impossibilité de contrôle laisse dès lors légitimement s'interroger sur leur utilisation possible comme outil indirect de diminution de l'aide public au développement.

Ces annulations devraient en effet atteindre en 2005 1,08 milliard d'euros, soit 50 % du coût prévisionnel des allégements de dettes et 15 % de l'APD (hors TOM) annoncés pour la même année.

Si l'on s'en tient aux données officielles, l'APD française (hors TOM) passe, entre 2002 et 2003, de 0,38 % du PIB à 0,41 % du PIB. D'après le projet de loi de finances 2004, l'APD a, en effet, augmenté de 675 millions d'euros en un an. Or les annulations et consolidations de dette bilatérale se sont accrues de 763 millions d'euros sur la même période.

On peut donc en conclure que l'APD hors allégements de dette a diminué de 88 millions d'euros entre 2002 et 2003. De la même manière, l'APD hors allégements de dette a baissé de 53 millions d'euros entre 2003 et 2004 et devrait baisser de 62 millions d'euros entre 2004 et 2005.

Il est pourtant ici utile, de rappeler qu'en mars 2002, lors de la Conférence internationale de Monterrey (Mexique) sur le financement du développement, la France a promis, avec la communauté internationale, de « prendre des mesures pour garantir que les ressources dégagées pour alléger la dette ne portent pas atteinte aux ressources d'APD ». Cet engagement à respecter le principe d'additionnalité a été réaffirmé par la France lors du Comité interministériel de la Coopération Internationale et du Développement (CICID) du 14 février 2002 et jamais démenti par le nouveau Gouvernement.

Dès lors, parce que les politiques publiques de promotion des exportations françaises, d'une part, et de coopération au développement, d'autre part, répondent à deux logiques distinctes, il serait pour le moins surprenant, voire cynique, de comptabiliser les dettes « cofacées », résultant d'une politique de promotion des exportations, au titre de l'APD.

L'opacité constatée dans la gestion des garanties Coface pour le compte de l'Etat empêche de pouvoir conclure à l'existence ou non d'un lien entre annulation des créances Coface et gestion de la politique d'aide au développement de notre pays.

Dans la mesure où le besoin de clarté sur les relations financières entre l'Etat et la Coface repose non seulement sur la nécessité d'assurance d'une gestion sincère de l'argent public, mais met en doute notre participation active au développement économique et social, à la stabilisation politique des pays émergents, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé en application de l'article 140 du Règlement de l'Assemblée Nationale une Commission d'Enquête composée de 30 membres ayant pour objet d'évaluer les activités de la Coface pour le compte de l'Etat et leur lien à l'évolution de l'aide publique au développement.

_______________

N° 2221 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les activités de la Coface pour le compte de l'Etat et leur lien avec l'évolution de l'aide publique au développement (M. Jean-Paul Bacquet)

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119094-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit,
MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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