N° 2280 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mai 2005. PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d'enquête (Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, PRÉSENTÉE par MM. Jean-Marie LE GUEN, Jean-Marc AYRAULT, et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2). Députés. EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, Depuis quelques mois, plusieurs événements de très grande importance ont affecté l'industrie pharmaceutique avec pour conséquence d'entamer la confiance des usagers de médicaments notamment en raison de doutes sur la qualité et l'impartialité des informations transmises par l'industrie pharmaceutique. Citons par ordre chronologique : - Certaines molécules anticholestérol : · la cerivastine (laboratoire BAYER) commercialisée en France sous les noms de « Staltor » et de « Cholstat », retirée du marché en 2001 après le décès de 52 patients ; · le crestor (laboratoire ASTRAZENIKA) mis en cause pour les mêmes effets indésirables. - Certains anti-inflammatoires : · le Vioxx, produit phare du laboratoire MERCK, retiré du marché le 30 septembre 2004 parce que rendu responsable, selon une étude américaine, du doublement du risque cardiaque après 18 mois de traitement en prévention du cancer colique ; · Le Bextra de Pfizer, qui vient d'être retiré de la vente aux Etats-Unis alors même qu'il bénéficie en France d'une AMM, le Celebrex de ce même laboratoire lui-même soumis à une interrogation et à un contrôle renforcé. - Certains antidépresseurs, en raison d'un risque aggravé de comportement violent et suicidaire, notamment chez l'enfant et l'adolescent : après le Deroxat de GLAXOSMITHKLINE, mis judiciairement en cause en 2004, c'est au tour du Prozac, produit leader des laboratoires ELI LILLY, d'être sur la sellette. - Les mises en cause ne s'arrêtent pas là : certains médicaments contre l'hypertension artérielle (Tenormine), contre l'asthme (Serevent), contre l'obésité (le Meridia de ABOTT - Sibutral en France) ou l'acné (Accutane des laboratoires ROC) sont accusés soit d'être inefficaces, soit de produire des effets secondaires particulièrement graves. Et la liste n'est malheureusement pas close. Alors qu'un expert américain a affirmé avoir subi des pressions visant à cacher les dangers liés à plusieurs médicaments, il semble que certains laboratoires aient eu la volonté de dissimuler des études négatives sur certains médicaments incriminés. Par exemple, la firme Bayer, selon un rapport d'expertise effectué à la demande d'un juge du pôle santé du TGI de Paris, aurait délibérément voulu tromper les autorités sanitaires en minimisant les dangers constatés dès 1991 de la cerivastine, soit dix ans avant son retrait. De même, il semble que Pfizer ait longtemps dissimulé des résultats sur l'efficacité et la tolérance du Célebrex. La revue « Le Débat » dans son numéro 134, rapporte : « selon les termes d'un numéro récent de Daedalus, le journal de l'Académie américaine des arts et des sciences, "l'intégralité de la recherche clinique est compromise". Daedalus rapporte en particulier le fait (mais d'autres cas sont maintenant connus) que, après avoir essayé d'arrêter la publication d'un rapport, "une compagnie a exigé de 7 à 10 millions de dollars de dommages (de la part du groupe qui avait organisé l'étude clinique et publié le rapport) au motif que la publication avait entamé les perspectives financières de la compagnie" ; si l'on ajoute qu'il est devenu courant de ne plus communiquer les molécules nouvelles aux universitaires sans engagement de leur part à ne rien publier qui puisse être dommageable pour la compagnie, on peut penser que ce mouvement de rétrécissement des possibilités de travail de la science ouverte mérite une analyse approfondie - et certainement la mise en place de contre feux ». A plusieurs reprises, des parlementaires américains se sont interrogés sur l'indépendance de l'expertise et plus généralement, des décisions de la FDA. En France, un rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'en est ému en soulignant le danger des conflits d'intérêt parmi les experts. Il s'est aussi interrogé sur le financement de l'AFSAPPS trop largement dépendant de l'industrie pharmaceutique. Au plan européen, on peut par ailleurs s'inquiéter d'une forme de concurrence entre pays et agences de régulation pour attirer les essais thérapeutiques. En France, les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments se font sur la base d'études scientifiques encore insuffisamment transparentes. Elles sont délivrées par le directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) après avis de la commission d'AMM. La décision est fondée sur l'évaluation de l'efficacité, de l'innocuité et de la qualité du médicament. Mais notre collègue, le Professeur Debré, estime dans Le Monde du 21 décembre 2004 que beaucoup d'essais sont « mal conçus, biaisés voire falsifiés ». Le Professeur Begaud, pharmacologue et Président de l'université de Bordeaux II regrette que manquent des études post AMM. Il faut noter par ailleurs, que l'AMM n'est pratiquement jamais remise en cause par l'AFSSAPS lors de son renouvellement qui est pourtant obligatoire tous les 5 ans. Il est préoccupant d'apprendre dans ce registre que l'industrie s'est engagée au cours des années et des négociations d'autorisations de mise sur le marché à mettre en œuvre 1 200 études cliniques pour approfondir la connaissance sur l'efficacité et la sécurité d'emploi. Sur ces 1 200 études, aucune n'est terminée et 70 % d'entre elles n'ont même pas débuté (Nature, 31 mars 2005 page 545). La question de la nécessité de mettre en place des études post-AMM afin d'évaluer les effets réels des médicaments sur la population se pose ainsi. En effet, l'objectif d'un médicament ne doit pas seulement être l'efficacité lors d'un essai thérapeutique, mais bien d'avoir un impact sur la santé des personnes malades. La commission de la transparence - c'est-à-dire de l'appréciation de l'amélioration du service médical rendu pour les nouveaux médicaments - a rendu 712 avis de transparence, mais seulement 11 avis sur des fiches d'informations thérapeutiques, deux recommandations de bonnes pratiques et une fiche de transparence ! La Cour des Comptes, en septembre 2004, a ainsi regretté la mise en œuvre très lente de la réforme de la commission de la transparence (décret du 26 septembre 2003). Elle s'est, par ailleurs, interrogée sur la nature même d'une réforme qui intègre dans la commission le LEEM « les Entreprises du Médicament », dont la présence « contrevient au principe d'indépendance qui devrait s'appliquer à cette instance d'évaluation, alors même que, de façon générale, la présence de telles organisations a été progressivement supprimée dans les autres instances scientifiques ». Depuis la loi du 13 août 2004, celle-ci est désormais rattachée à la Haute autorité de santé, sans que son fonctionnement et sa composition n'aient été modifiés. On peut regretter que ces commissions ne soient pas publiques comme c'est le cas aux Etats-Unis, ce qui serait la garantie d'une plus grande transparence. La Cour des Comptes a également dénoncé à cette occasion les lacunes de la mission d'information de l'AFSSAPS. Les résultats d'une enquête de la Direction générale de la santé effectuée en janvier 2002 confirment un besoin considérable de la part des médecins généralistes d'une information indépendante. Si l'information est abondante, les médecins la jugent peu synthétique, peu claire et peu adaptée aux exigences de leur pratique. Six praticiens sur dix indiquent ainsi éprouver le besoin d'une meilleure information sur le médicament. La Cour soulignait alors que si l'AFFSAPS remplit bien sa mission en matière d'alerte sanitaire et de pharmacovigilance, il n'en est pas de même pour l'information quotidienne des prescripteurs. L'information indépendante existe, mais elle est limitée, dispersée et sous-utilisée. Notre collègue, le Professeur Debré, s'exprime lui-même à ce propos dans le n° 2 de la revue Prescription santé de novembre 2004 en les termes suivants : « la visite médicale n'est pas un moyen d'information des médecins, c'est juste un moyen de promotion publicitaire des médicaments. [...] La presse médicale, mis à part un ou deux titres, est financièrement dépendante de l'industrie pharmaceutique. Est-ce que l'on peut appeler cela de l'information ? ». Le rapport de la Cour préconisait une véritable stratégie d'information publique. Il semble que cette stratégie d'information soit fondamentale pour assurer la pharmacovigilance, informer les prescripteurs des problèmes de santé publique susceptibles d'apparaître et favoriser la qualité de la prescription. Or, il y a tout lieu de s'inquiéter du rôle de plus en plus manifeste de la pression commerciale exercée par l'industrie de la prescription sur l'information. On est par exemple malheureusement obligé de dire que l'on ne sait pas aujourd'hui si la plupart des nouveaux médicaments qui sont mis sur le marché sont supérieurs aux anciens en terme d'efficacité et de tolérance, alors qu'ils peuvent être de 10 à 35 fois plus cher. En conclusion, il convient d'évaluer les règles de transparence de l'information fournie à l'occasion de l'introduction, de l'évaluation et de la prescription des produits pharmaceutiques. Il convient également de garantir l'indépendance de l'expertise. Les mesures de « bon usage » de médicaments sont essentielles, aussi bien en termes de santé publique que de maîtrise des dépenses de santé. Ce débat a lieu aujourd'hui au plan mondial. Les Etats-Unis, premiers producteurs et premiers consommateurs de médicaments, notamment au travers de la logique judiciaire, se saisissent de ces questions. La Food and Drug Administration publie l'ensemble de ses comptes-rendus d'AMM, qui font aussi l'objet d'audiences publiques. Lors des débats sur les lois de santé publique et d'assurance maladie, le groupe socialiste avait demandé au gouvernement d'agir en ce domaine. Rien n'a été fait. Le gouvernement apparaît singulièrement silencieux devant ce qui constitue d'ores et déjà une crise sanitaire majeure. La suppression au 1er janvier 2005 du Fonds pour la promotion de l'information médicale et médico-économique (Fopim) et son inactivation depuis mars 2002 illustre le manque de volonté des pouvoirs publics de fournir des données indépendantes aux médecins. Le renvoi de la réforme des visiteurs médicaux à une convention telle qu'adoptée dans la loi relative à l'assurance maladie n'est pas non plus un élément positif pour assainir la situation. En tout état de cause, la Haute autorité de santé, sur ce sujet comme sur les autres dont le Ministre l'a d'ores et déjà chargée, n'a jusqu'à présent, fourni aucun avis ni aucun calendrier de ses travaux. Alors que l'industrie pharmaceutique s'est engagé récemment à publier l'ensemble de ses études, une commission d'enquête permettrait de faire le point sur les conditions de délivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments, sur la formation pharmacologique, le rôle des visiteurs médicaux et d'apporter à nos concitoyens les garanties de santé publique et l'efficacité économique auxquels ils aspirent. Il convient de se pencher sur la capacité des autorités sanitaires à exercer un contrôle réel, efficace et véritablement indépendant. A cet égard il serait important d'explorer, à l'instar des autorités sanitaires du Royaume-Uni l'utilisation des bases de données constituées ou à constituer à partir du très grand nombre d'observation médicales recueillies. C'est cet exemple britannique qui sert de modèle à la FDA pour organiser plus efficacement l'utilisation des données liées à la prise de médicaments et détenues par les sociétés d'assurance maladie. Au regard de la place des Etats-Unis dans une industrie aussi mondialisée que le médicament et alors que le Congrès américain et l'opinion publique américaine se sont saisis de ces questions et s'apprêtent à faire évoluer la loi et les pratiques de la FDA, il est primordial que le Parlement français à son tour soit en mesure de participer au débat sur la définition de nouvelles normes. C'est pourquoi une commission d'enquête parlementaire doit être créée afin d'examiner dans quelles conditions des réponses nouvelles peuvent être apportées par le législateur quant à l'information en matière pharmaceutique et de faire des propositions pour améliorer la sécurité sanitaire dans notre pays. Pour toutes ces raisons, nous vous prions de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution. PROPOSITION DE RÉSOLUTION Article unique En application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, est créée une commission d'enquête de trente membres sur la nature et la qualité des informations fournies par l'industrie pharmaceutique sur les médicaments et dispositifs médicaux aux pouvoirs publics, aux professionnels de santé et aux citoyens. Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE Prix de vente : 0,75 € En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale ------------- N° 2280 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la nature et la qualité des informations fournies par l'industrie pharmaceutique sur les médicaments et dispositifs médicaux aux pouvoirs publics,aux professionnels de santé et aux citoyens (M. Jean-Marie Le Guen) 1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, 2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira. © Assemblée nationale |