Version PDF
Retour vers le dossier législatif

 

N° 2659

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 novembre 2005.

PROPOSITION DE LOI

portant suppression du juge d'instruction
et
instituant le juge de l'enquête,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Georges FENECH, Jean-Paul ANCIAUX, Jean AUCLAIR, Mme Martine AURILLAC, M. Patrick BALKANY, Mme Brigitte BARÈGES, Patrick BEAUDOUIN, Jacques-Alain BÉNISTI, Marc BERNIER, André BERTHOL, Jean-Michel BERTRAND, Roland BLUM, Loïc BOUVARD, Pierre CARDO, Richard CAZENAVE, Roland CHASSAIN, Philippe COCHET, Alain CORTADE, Louis COSYNS, Jean-Michel COUVE, Charles COVA, Olivier DASSAULT, Bernard DEBRÉ, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Francis DELATTRE, Stéphane DEMILLY, Léonce DEPREZ, Michel DIEFENBACHER, Dominique DORD, André FLAJOLET, Marc FRANCINA, Pierre FROGIER, Daniel GARD, Franck GILARD, Jean-Pierre GIRAN, François GROSDIDIER, François GUILLAUME, Gérard HAMEL, Joël HART, Laurent HÉNART, Édouard JACQUE,
Mme Maryse JOISSAINS-MASINI, MM. Didier JULIA, Patrick LABAUNE, Mme Marguerite LAMOUR, MM. Marc LE FUR, Michel LEJEUNE, Jean LEMIÈRE, Jean-Pierre LE RIDANT, Mme Geneviève LEVY, MM. Lionnel LUCA, Daniel MACH, Richard MALLIÉ, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Jean MARSAUDON, Philippe-Armand MARTIN, Pierre MICAUX, Mme Nadine MORANO, MM. Étienne MOURRUT, Alain MOYNE-BRESSAND, Jean-Pierre NICOLAS, Robert PANDRAUD, Jacques PÉLISSARD, Mme Josette PONS,
MM. Daniel POULOU, Daniel PRÉVOST, Michel RAISON, Marc REYMANN, Mme Juliana RIMANE, MM. Jean-Marc ROUBAUD, Michel ROUMEGOUX, Francis SAINT-LÉGER, Rodolphe THOMAS, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Christian VANNESTE, Alain VENOT, Gérard VOISIN, Mme Marie-Jo ZIMMERMANN et M. Michel ZUMKELLER

Additions de signatures :
MM. Jean-Yves Hugon, Arnaud Lepercq, Jacques Lafleur, Xavier de Roux, Alain Suguenot et Dominique Tian

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Parmi les sujets qui alimentent le débat sur la justice, l'un des plus anciens et des plus récurrents est celui du remplacement de notre procédure pénale inquisitoire, dont la figure emblématique est le juge d'instruction, par une procédure de type accusatoire dans laquelle la recherche des preuves incombe aux services de police ou au parquet et se trouve soumise à l'arbitrage d'une autorité judiciaire indépendante.

Dès la Libération, la mission de réforme de l'instruction préparatoire conduite par Henri Donnedieu de Vabres avait proposé de confier la responsabilité des enquêtes pénales au ministère public sous le contrôle d'un « juge de l'instruction ». Plus récemment, en juin 1990, la commission « Justice pénale et Droits de l'Homme », présidée par le Professeur Mireille Delmas-Marty déposait un rapport sur la « Mise en état des affaires pénales » dont la principale préconisation était d'instituer une claire séparation des fonctions d'investigations et des fonctions juridictionnelles, ce qui conduisait la commission à opter pour la suppression du juge d'instruction.

Pourtant, malgré les nombreuses modifications dont les textes sur l'instruction préparatoire ont été l'objet - une quarantaine depuis 1970 - qui manifestent, au-delà des alternances politiques, la difficulté du législateur à trouver des modalités de fonctionnement satisfaisantes, le juge d'instruction demeure le personnage central de notre procédure. Non par le nombre de dossiers qui lui sont confiés, puisqu'il n'a été saisi, en 2003, que de 7 % des affaires donnant lieu à poursuites, mais par leur importance, dès lors qu'il a connaître de tous les crimes et des procédures délictuelles les plus complexes.

Après bien d'autres affaires que chacun conserve dans sa mémoire, qui ont illustré les dérives de la « justice-spectacle », la question du maintien du juge d'instruction dans notre système pénal a été, une nouvelle fois, douloureusement posée par le scandale de l'affaire dite « d'Outreau » au cours de laquelle sept personnes perdirent honneur et liberté avant de voir leur innocence reconnue par une cour d'assises, grâce aux vertus d'un débat oral, public et contradictoire.

La commission chargée, sous la direction du procureur général Viout, de tirer les enseignements du traitement judiciaire de cette affaire ne disposait pas - comme elle l'a rappelé dans son rapport - d'un mandat l'autorisant à se pencher sur la question d'une éventuelle suppression du juge d'instruction. Avant que l'actualité judiciaire ne nous fournisse d'autres preuves des dangers de la procédure actuelle, il est du devoir du Parlement de se saisir de ce sujet qui influe considérablement sur la confiance que nos concitoyens peuvent avoir en leur justice.

L'analyse sereine des conditions de fonctionnement de l'instruction préparatoire montre en effet que celles-ci heurtent les principes fondamentaux du droit, qu'il s'agisse de l'impartialité du juge, du respect du délai raisonnable ou de la présomption d'innocence ; qu'en outre, ses modalités sont inadaptées aux besoins de notre temps aussi bien dans ses aspects techniques, pour la recherche et l'évaluation des preuves, qu'en termes de coopération judiciaire avec les autres Etats, notamment au sein de l'Union Européenne, en matière de lutte contre les formes nouvelles de criminalité.

Le juge d'instruction : une institution qui porte atteinte aux principes de l'impartialité du juge, du délai raisonnable et de la présomption d'innocence.

Le rapport de la commission Delmas-Marty avait souligné l'incompatibilité entre les fonctions juridictionnelles et les fonctions d'investigations :

- sur le plan juridique parce que « le juge, dans ses fonctions juridictionnelles, doit jouer le rôle d'arbitre neutre et "paraître tel aux yeux de tous" », selon les termes utilisés par la Cour européenne des Droits de l'Homme, alors que « la logique même des investigations lui impose de bâtir des hypothèses sur la culpabilité des uns et des autres » ;

- sur le plan matériel, parce que « sa double tâche est extrêmement lourde », le juge d'instruction étant « amené à sacrifier tantôt ses fonctions d'investigation par un abus des commissions rogatoires, tantôt ses fonctions juridictionnelles... ».

A la fois Maigret et Salomon, selon le mot d'un ancien Garde des Sceaux, le juge d'instruction a en outre une troisième fonction, la fonction d'accusation qui se manifeste au moment de la mise en examen, non motivée, puis du renvoi d'une personne devant la juridiction de jugement que le magistrat instructeur ou la chambre de l'instruction peuvent prononcer alors même que le ministère public, pourtant en charge des poursuites, aurait une position contraire.

Juge non impartial en raison de ces tâches multiples et contradictoires, le juge d'instruction n'est, de surcroît, pas en mesure de faire aboutir les investigations qui lui sont confiées dans un délai raisonnable.

Le rapport Delmas-Marty relevait que la durée moyenne de l'instruction était passée de 1 à 9 mois entre 1810 et 1980. Depuis lors, la durée moyenne de l'instruction n'a cessé de croître, s'établissant à 18,2 mois en 2003 alors même que le nombre d'ouvertures d'information baissait sensiblement (- 11 % entre 1999 et 2003). Ceci vaut à la France d'être parmi les Etats les plus condamnés par la Cour européenne des Droits de l'Homme pour non-respect du délai raisonnable (33 arrêts rendus en 2004, juste derrière la Pologne comme en 2003).

Plus grave, l'augmentation de la durée moyenne des instructions a pour corollaire une augmentation de la durée moyenne des détentions provisoires. L'intervention du juge des libertés et de la détention, dont les décisions sont largement tributaires de la durée des investigations, n'a pas inversé cette tendance, la durée moyenne de la détention passant ainsi de 6,6 mois en 1999 à 7,1 mois en 2003. Il est particulièrement préoccupant de constater que sur 3 902 personnes ayant bénéficié d'une ordonnance de non-lieu en 2003, 552 avaient été placées préalablement en détention provisoire pour une durée moyenne de 4,7 mois.

Notre justice bafoue ainsi en permanence un troisième principe, celui de la présomption d'innocence.

La qualité, l'investissement personnel des magistrats instructeurs ne sont pas en cause. Outre les défauts inhérents à une procédure inquisitoire, qui viennent d'être évoqués, il faut chercher les raisons de la longueur des informations judiciaires dans les conditions de fonctionnement d'un cabinet d'instruction. Formé du seul couple juge-greffier, il se trouve confronté à l'obligation d'assurer la progression simultanée d'une centaine de dossiers, quelle que soit l'importance de telle ou telle affaire, ainsi que la gestion de parfois plusieurs dizaines de détenus.

Or, le renforcement continu des règles de procédure destinées à protéger les droits de la défense - renforcements qui ne sont souvent, dans un système inquisitoire, que des trompe-l'œil - a, malgré ces effets très limités, considérablement alourdi la tâche des magistrats et fonctionnaires chargés de l'instruction dont l'essentiel de l'énergie est désormais consacré aux formalités juridictionnelles.

Une institution inadaptée

L'aveu n'est plus la reine des preuves. Les constatations matérielles, les surveillances, les écoutes téléphoniques, le recours aux vérifications techniques et scientifiques mais aussi le recueil des témoignages donnent une place essentielle au travail de la police judiciaire et des experts.

C'est pourquoi la plus-value que peut apporter le juge d'instruction est généralement réduite au travail de synthèse que ce magistrat est supposé effectuer en prévision des interrogatoires. Quant à la synthèse finale du dossier, elle est, dans la majorité des cas, le fait du parquet dont le juge d'instruction reprend les réquisitions définitives dans l'ordonnance de règlement.

Mais dans ce travail de réflexion qu'il a le devoir de conduire, le juge d'instruction reste un homme - ou une femme - seul. Sauf contacts informels avec d'autres juges d'instruction, qui ne connaissent pas le dossier, il ne peut bénéficier des échanges fructueux qu'apporte le travail collectif. Dans de rares cas, il peut être associé à un voire deux collègues dans le cadre d'une co-saisine. Le rapport Viout a néanmoins mis en lumière les limites de cette co-saisine qui parfois « ne correspond à aucune réalité » quant à la conduite commune des investigations.

Très fréquentes sont par contre les relations que le juge d'instruction entretient avec les magistrats du Parquet. Toutefois, ces contacts officieux, qui ont surtout lieu à l'occasion des réquisitions que le ministère public est amené à prendre dans un dossier, bien que considérés comme naturels pour la plupart des magistrats, sont, au regard des droits de la défense, difficilement compatibles avec le respect du contradictoire sinon avec les exigences du procès équitable.

S'agissant du contrôle exercé par la chambre de l'instruction et particulièrement son président, il ne paraît pas davantage en mesure d'apporter un réel remède à la solitude du juge d'instruction. Le groupe de travail présidé par le procureur général Viout, après avoir procédé à de nombreuses auditions, a fait le constat de « l'impossibilité pour un grand nombre de présidents de chambre de l'instruction d'assurer pleinement leur mission de contrôle en profondeur du bon fonctionnement des cabinets d'instruction, y compris dans les domaines énumérés par l'article 220. Leur plan de charge ne leur permet pas davantage de déléguer cette mission à l'un des conseillers. »

Seul, le magistrat instructeur l'est également à l'égard des pressions médiatiques qui s'exercent dans certains dossiers. Empêché de communiquer - car la communication d'une juridiction sur une affaire en cours est un exercice périlleux - il voit, en application de l'article 11 alinéa 3 du code de procédure pénale, sa communication gérée, avec ou sans son accord, par le procureur de la République qui a pourtant la qualité de partie à la procédure.

Le juge d'instruction retrouve ce singulier positionnement à l'égard du juge des libertés et de la détention en matière de placement en détention provisoire. La procédure actuelle fait intervenir successivement comme demandeurs potentiels de la mesure de sûreté, deux autorités différentes, le procureur de la République et le juge d'instruction, ce dernier étant donc à son tour dans la position de partie requérante, dépourvue cependant de droit d'appel. Le point de vue de ces deux autorités requérantes n'est d'ailleurs pas forcément concordant.

S'y ajoute le fait que le circuit parquet - juge d'instruction - juge des libertés et de la détention se révèle excessivement long. Toute ouverture d'information accompagnée du défèrement de plus de deux personnes et de débats sur la détention mobilise durant au moins une journée entière magistrats, avocats, greffe, escorte et personnel éducatif.

L'existence du juge d'instruction dans notre ordonnancement juridique ne présente pas que des inconvénients techniques. Elle écarte aussi la France d'un mouvement général vers le renforcement du rôle des parquets, notamment dans le domaine de la criminalité organisée et transfrontalière avec, en perspective, la création d'un parquet européen.

L'Allemagne et l'Italie ont renoncé depuis plusieurs années à leur juge d'instruction. Les règlements de procédure adoptés pour le Tribunal Pénal International et la Cour Pénale Internationale montrent que le schéma dominant de la procédure pénale, celui à partir duquel devra un jour se construire une procédure européenne unifiée, est celui d'un parquet ou d'une police chargés de rassembler les preuves, un débat contradictoire étant organisé entre le ministère public et la défense autour de ces preuves, débat arbitré par un juge non impliqué dans l'enquête qui s'assure de la qualité et de la loyauté des preuves avant de décider d'un renvoi de l'accusé devant la juridiction de jugement.

L'évolution de notre procédure vers un tel schéma est inexorable. Du reste, elle a été préparée par l'insertion, dans des textes récents, de dispositions offrant au procureur de la République une alternative à l'ouverture d'information pour la réalisation d'investigations complexes. Ces textes prévoient que, ponctuellement, sur requête du Parquet, un magistrat du siège autorise un acte portant atteinte à une liberté individuelle. Il peut s'agir soit du juge des libertés et de la détention - ainsi pour les perquisitions sans consentement dans l'enquête préliminaire, la conservation forcée des données téléphoniques, les écoutes téléphoniques ou la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 h en matière de criminalité organisée, soit du président du tribunal de grande instance - par exemple pour les perquisitions fiscales ou certaines infractions au code des marchés publics.

*

* *

Les règles énoncées dans la présente proposition de loi ne font que prolonger et achever cette évolution. Encore faudra-t-il ultérieurement se pencher sur l'audience pénale qui a vocation à bénéficier également d'une procédure accusatoire.

Dans le schéma proposé, les cadres actuels de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire sont sauvegardés mais :

- les pouvoirs de la police judiciaire sont complétés pour permettre à celle-ci de disposer, avec l'autorisation d'un juge de l'enquête, de l'ensemble des moyens d'investigation nécessaires à la manifestation de la vérité ;

- la présence d'indices graves et concordants, de nature aujourd'hui à motiver une mise en examen, ouvre, au seul profit de la personne concernée, et le cas échéant de la victime, le droit à une enquête contradictoire.

Ainsi est assurée une parfaite continuité de l'enquête qui tranche avec la césure qu'impose le droit actuel, l'ouverture d'information impliquant que le juge d'instruction prenne connaissance du dossier avant de délivrer éventuellement une commission rogatoire aux services de police ou de gendarmerie lesquels, dans l'attente d'une nouvelle saisine, ont l'obligation de clôturer leur procédure.

Sur un double plan, l'enquête contradictoire présente des effets relatifs. D'une part, elle ne vise qu'à conférer des droits nouveaux à une personne contre laquelle ont été réunies des présomptions graves et concordantes. D'autre part, elle ne confère ces droits nouveaux qu'au regard d'une infraction déterminée.

Alors qu'aujourd'hui, sauf en matière criminelle ou de constitution de partie civile, l'ouverture d'une information dépend d'une décision du parquet qui est ainsi maître de conférer ou non à une personne, en fonction de sa politique pénale, le bénéfice d'une procédure contradictoire, l'ouverture de l'enquête contradictoire s'impose au procureur de la République quand les conditions objectives prévues à l'article 79 nouveau du code de procédure pénale sont réunies.

*

* *

Cette proposition de loi n'a pas pour ambition de définir l'ensemble des dispositions légales nécessaires au bon fonctionnement de la nouvelle procédure mais d'énoncer les dispositions essentielles qui permettent d'en dessiner l'architecture. C'est pourquoi, il est demandé au Gouvernement de présenter un rapport permettant d'évaluer l'ensemble des modifications législatives qu'impliquera l'adoption du dispositif.

Le rôle exclusif ainsi conféré au Parquet dans la direction des investigations judiciaires rend souhaitable l'engagement d'un autre chantier, celui de la construction d'un parquet rénové dont le statut de ses magistrats, l'organisation et le fonctionnement permettront de répondre efficacement et dans le respect des principes fondamentaux à cette responsabilité accrue.

*

* *

L'article premier institue un juge de l'enquête dont le positionnement hiérarchique retenu est celui du juge des libertés et de la détention. Il est permis de penser que son intervention plus fréquente dans le cours de la procédure lui permettra d'acquérir une connaissance réelle des dossiers et d'échapper ainsi aux difficultés que rencontrent aujourd'hui les juges des libertés et de la détention en raison de leurs interventions trop ponctuelles. Les textes prévoyant l'intervention du juge des libertés et de la détention ne sont pas tous abrogés, un examen au cas par cas devant être effectué pour répartir ses fonctions actuelles entre le juge de l'enquête et le président du tribunal de grande instance.

L'article 2 institue une chambre nouvelle au sein de la cour d'appel, la chambre de l'enquête, qui doit se substituer à la chambre de l'instruction. Son existence est simplement énoncée, non l'ensemble de ses règles de fonctionnement. Le caractère public de ses audiences est cependant affirmé, alors que l'actuel article 199 du code de procédure pénale pose le principe inverse du secret des débats, sauf demande du mis en examen ou de son avocat.

L'article 3 insère dix-neuf nouveaux articles dans le code de procédure pénale qui dressent les contours du dispositif légal.

L'article 79 nouveau du code de procédure pénale définit les cas d'ouverture de l'enquête contradictoire. En matière de crime, l'ouverture d'une enquête contradictoire, comme aujourd'hui pour l'instruction préparatoire, est obligatoire à la condition, bien entendu, que des présomptions graves et concordantes soient réunies contre une personne, et sauf obstacle juridique aux poursuites.

En matière de délit, en présence des mêmes présomptions graves et concordantes, l'ouverture d'une enquête contradictoire est exigée, à défaut de classement sans suite, de procédure alternative aux poursuites ou de renvoi immédiat de l'intéressé devant le tribunal correctionnel lorsque d'autres investigations sont nécessaires autour de la même infraction, par exemple pour l'identification de ses coauteurs.

L'article 80 prévoit que l'enquête s'ouvre formellement par la notification par le procureur de la République d'une accusation. La procédure de notification est reprise des dispositions de l'actuel article 116. En matière criminelle, l'assistance obligatoire d'un avocat est toutefois envisagée dès l'ouverture de l'enquête contradictoire.

L'article 81 reprend partiellement l'actuel article 80-3. L'absence de formalisme des relations entre le parquet et la police judiciaire autorise cependant que, sur instructions du procureur de la République, certaines tâches incombant à celui-ci puissent être exécutées également par la police judiciaire.

Il résulte des articles 82 et 83 que l'ouverture d'une enquête contradictoire a pour principal effet sur les pouvoirs des enquêteurs de leur interdire l'audition de la personne contre laquelle ont été rassemblées des charges propres à justifier une accusation, du moins avant la notification de l'accusation par un magistrat du parquet. Cette notification pourra d'ailleurs être le seul acte pratiqué par un magistrat, le deuxième alinéa de l'article 83 autorisant l'interrogatoire ultérieur de l'accusé par la police judiciaire si l'accusé donne son accord en présence de son avocat. Cet interrogatoire devra se dérouler dans des conditions ordinaires et ne durer que le temps nécessaire à l'audition.

Les articles 84 et 85 reprennent en substance les dispositions de l'actuel article 114. Il en ressort que la police judiciaire peut librement entendre la partie civile si son avocat a été dûment convoqué.

L'article 86 traite du second effet de l'enquête contradictoire sur les investigations, en l'espèce, l'obligation de principe de faire appel à un expert inscrit sur les listes des cours d'appel. Les actuels articles 60 et 77-1 sur la notification des examens techniques et scientifiques au cours de l'enquête initiale ainsi que les dispositions prévues pour l'instruction préparatoire servent de base au nouveau texte. Le conflit éventuel sur l'opportunité d'une nouvelle expertise est tranché par le juge de l'enquête.

Comme l'article précédent, l'article 87 tend à assurer une enquête réellement contradictoire. Les règles proposées donnent aux parties la possibilité de faire arbitrer par un juge toutes les demandes d'actes utiles à la manifestation de la vérité. Il s'agit ici de rééquilibrer les moyens nécessairement inégaux dont disposent le parquet d'une part, l'accusé et la partie civile d'autre part. Par ailleurs, les parties sont en droit d'inclure dans la procédure le résultat de leurs propres investigations. Enfin, l'accusé et la partie civile peuvent soumettre au juge de l'enquête la question de la régularité des actes de procédure.

Compte tenu des prérogatives importantes conférées à la partie civile, l'article 88 permet de trancher dès le stade de l'enquête la question de la recevabilité de sa constitution, du moins lorsque le juge dispose déjà des éléments utiles à son appréciation.

Les articles 89 à 94 sont relatifs au placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire.

Alors que l'accusation est portée par le ministère public, ce qui ouvre la procédure accusatoire, le juge n'intervient plus, aux termes de l'article 89, qu'ultérieurement pour statuer, le cas échéant, sur la demande de placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire. Ceci permet de séparer plus nettement qu'aujourd'hui le débat sur les charges pesant sur l'accusé et le débat sur la mesure de sûreté à laquelle ce dernier peut être soumis. Si le juge de l'enquête doit nécessairement vérifier le sérieux de ces charges, cette vérification n'a pas le même sens qu'une accusation directement portée par celui-ci.

L'article 90 I institue les règles du débat communes au placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire. Compte tenu des importantes restrictions à la liberté individuelle qui peuvent résulter du contrôle judiciaire, un débat contradictoire devient donc systématique avant son prononcé.

Lorsque la publicité des débats n'est pas de nature à faire obstacle au bon déroulement des investigations ou à la protection des personnes, il n'existe aucune raison de ne pas prévoir qu'elle sera de droit. Le contrôle des citoyens sur les conditions dans lesquelles une personne, présumée innocente, peut néanmoins être incarcérée est au moins aussi fondamental que celui qui peut être exercé à l'égard d'une juridiction de jugement. C'est le sens du II de l'article 90.

Le débat différé est repris des dispositions actuelles. Toutefois, il est prévu, conformément à l'une des préconisations du rapport Viout, que le report du débat pourra être ordonné d'office par le juge, ceci afin que d'éventuels éléments complémentaires sur la personnalité du mis en examen, ici de l'accusé, puissent être recueillis.

Au I de l'article 91, sont énoncées les conditions communes au placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire. Les importantes restrictions à la liberté individuelle qui peuvent désormais résulter du contrôle judiciaire justifient, eu égard au principe de la présomption d'innocence, que le prononcé de cette mesure ne soit plus exclusivement subordonné à la peine encourue.

Dans le même esprit, un pas est fait dans le sens d'une restriction de l'usage du critère du trouble à l'ordre public. Il est proposé de limiter son utilisation aux accusations de nature criminelle. En revanche, la formulation est plus en adéquation avec les situations rencontrées dans la pratique et abandonne la terminologie en vigueur du trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public dont le sens a été largement dévoyé. Les autres motifs sont repris à droit constant sous cette réserve que le risque de renouvellement de l'infraction est remplacé par le risque de commission d'autres crimes ou délits, formule plus en rapport, là également, avec la réalité judiciaire.

Au II, une condition de proportionnalité entre la mesure de détention et la peine susceptible d'être prononcée est introduite sur le modèle du code de procédure pénale allemand qui énonce que la détention provisoire ne peut pas être ordonnée lorsqu'elle serait « hors de proportion avec l'importance de l'affaire et avec la peine ou la mesure de rééducation et de sûreté qui pourrait être prononcée ». Les dispositions de l'actuel article 144-1 sur la durée raisonnable de la détention provisoire ne concernent que la durée de la détention et non le placement en détention. En outre, elles prennent pour critère « la gravité des faits reprochés », ce qui ne fait pas suffisamment obstacle aux détentions provisoires excessives. Il convient, par le texte proposé, de prendre le contre-pied d'une pratique malheureusement observée consistant, devant la juridiction de jugement, à aligner la peine prononcée sur la détention provisoire déjà subie.

L'article 92 reprend, en les simplifiant, les différents types d'obligations pouvant résulter du contrôle judiciaire, le juge de l'enquête ayant toute liberté pour en fixer, dans ce cadre, les modalités précises. Le dernier alinéa envisage les conséquences du non-respect de ces obligations.

L'article 93 précise les conditions dans lesquelles intervient le renouvellement de la détention provisoire et les durées maxima de détention provisoire en fonction de l'importance ou de la nature de la peine encourue. Contrairement au droit positif, aucune prolongation exceptionnelle n'est envisagée, notamment parce que la suppression du juge d'instruction permet d'escompter une réduction de la durée de mise en état des affaires pénales.

L'article 94 se rapporte aux demandes de liberté, sans modification notable par rapport au droit positif.

Les articles 95 et 96 organisent la clôture de l'enquête. L'avis donné par le procureur de la République s'apparente à celui aujourd'hui donné par le juge d'instruction en application de l'article 175 du code de procédure pénale. Le même effet de purge des nullités de la procédure lui est accordé.

L'enquête contradictoire étant, en définitive, une enquête de flagrance ou plus généralement, une enquête préliminaire enrichie de contradictoire, elle peut s'achever, si le parquet l'estime opportun, par un classement sans suite ou une procédure alternative aux poursuites.

Lorsque la traduction de l'auteur d'une infraction devant une juridiction de jugement est requise, il revient au juge de l'enquête, saisi par le parquet, d'apprécier l'existence de charges suffisantes pour faire droit ou non à cette demande de renvoi pour la qualification retenue. Il n'appartient pas au juge de l'enquête de rédiger une ordonnance de règlement au sens du droit actuel. S'il lui apparaît que la qualification envisagée est inadaptée, le juge n'a pas vocation a en substituer une autre. Le ministère public devra donc proposer, si nécessaire, des qualifications subsidiaires.

La célérité de la procédure conduit, à l'article 97, à limiter le droit d'appel contre les décisions du juge de l'enquête. Seules l'ordonnance clôturant l'enquête, celle statuant sur la régularité d'un acte de procédure ainsi que, pour l'accusé, celles portant sur la détention provisoire et le contrôle judiciaire ou, pour la partie civile, celles relatives à la recevabilité de sa constitution, sont susceptibles d'appel.

L'article 4 de la proposition de loi complète l'article 14 du code de procédure pénale. En effet, les services enquêteurs ne procèdent pas actuellement, sans demande expresse du Parquet ou surtout du juge d'instruction, à des investigations portant sur la personnalité de l'auteur de l'infraction ou le préjudice de la victime. En outre, la suppression du juge d'instruction rend opportun de préciser que la police judiciaire, également, enquête à charge et à décharge.

Les dispositions prévues à l'article 5 sont destinées à se substituer aux articles 80 et suivants relatifs à la plainte avec constitution de partie civile. La possibilité pour la victime de contraindre le procureur de la République à mettre en mouvement l'action publique prend la forme d'un recours contre la décision de classement sans suite de ce magistrat. Ce dispositif rejoint les propositions, notamment du Président Magendie dans son rapport sur la célérité et la qualité de la justice, tendant à subordonner la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile à une décision préalable de classement du parquet. Le recours devant le procureur général, désormais superfétatoire, est supprimé.

Les articles 6 et 7 complètent les textes actuels et donnent au juge de l'enquête le pouvoir d'autoriser certaines mesures d'investigation. L'article 6 étend à toutes les infractions une disposition applicable pour les écoutes téléphoniques en matière de criminalité organisée mais retient la durée d'autorisation prévue dans les textes applicables à l'instruction. L'article 7 assouplit les dispositions en vigueur pour les perquisitions sans consentement réalisées pendant l'enquête préliminaire.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est institué un juge de l'enquête.

Le juge de l'enquête est un magistrat du siège désigné par le président du tribunal de grande instance parmi les magistrats ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président. En cas d'empêchement de ces magistrats, le juge de l'enquête est remplacé par le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus élevé, désigné par le président du tribunal de grande instance.

Lorsqu'il statue à l'issue d'un débat contradictoire, il est assisté d'un greffier.

A peine de nullité, il ne peut participer au jugement des affaires pénales dont il a connu.

Article 2

Il est institué, au sein de la cour d'appel, une chambre de l'enquête composée d'un président de chambre et de deux conseillers.

La chambre de l'enquête a compétence pour statuer sur les recours formés contre les décisions du juge de l'enquête.

Les débats se déroulent et l'arrêt est rendu en audience publique. Toutefois, sur demande du procureur de la République, des parties ou d'office, le président de la chambre de l'enquête peut décider, lorsque la publicité serait de nature à porter atteinte au bon déroulement de l'enquête, à la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers, que les débats se dérouleront et que l'arrêt sera rendu en chambre du conseil.

Article 3

Le titre II du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre 4

« De l'enquête contradictoire

« Section 1

« Ouverture de l'enquête contradictoire

« Art. 79. - Lorsque l'enquête a permis de réunir à l'encontre d'une personne des indices graves et concordants d'avoir participé à une infraction, le procureur de la République doit, à l'égard de cette personne, ouvrir une enquête contradictoire dans les cas suivants :

« - En matière de crime, sauf si un obstacle juridique s'oppose à l'exercice de poursuites ;

« - En matière de délit, lorsqu'il estime nécessaire la poursuite des investigations relatives à cette infraction.

« Art. 80. - L'enquête contradictoire s'ouvre par la notification à une personne de l'accusation portée contre elle par le ministère public.

« La notification est effectuée par le procureur de la République territorialement compétent ou, sur délégation de celui-ci, par tout autre procureur de la République.

« Le procureur de la République avise la personne de son droit de choisir un avocat ou de demander qu'il lui en soit désigné un d'office. En matière de crime, si l'accusé ne choisit pas son avocat, le bâtonnier, saisi par le procureur de la République, lui en désigne un d'office. L'avocat choisi, ou dans le cas d'une commission d'office, le bâtonnier en est informé par tout moyen et sans délai. Si l'avocat choisi ne peut être contacté ou ne peut se déplacer, la personne est avisée de son droit de demander qu'un avocat commis d'office l'assiste lors de la notification de l'accusation.

« L'avocat peut consulter sur le champ le dossier et communiquer librement avec la personne.

« La notification précise les faits retenus à l'encontre de la personne, leur qualification juridique, les textes de loi applicables et les pièces de procédure sur lesquelles repose l'accusation. Le procureur de la République avertit ensuite l'accusé qu'il a le choix de se taire, de faire des déclarations ou, à condition qu'un avocat soit présent, d'être interrogé.

« Jusqu'à la clôture de l'enquête contradictoire, le procureur de la République peut, en suivant les mêmes formes, compléter ou modifier l'accusation ou encore notifier à l'accusé qu'il renonce à toute accusation.

« Art. 81. - La victime de l'infraction est informée par le procureur de la République ou, sur instructions de celui-ci, par un officier ou un agent de police judiciaire de l'ouverture d'une enquête contradictoire, de son droit de se constituer partie civile et des conditions d'accès à l'aide juridictionnelle.

« Section 2

« Déroulement de l'enquête contradictoire

« Art. 82. - Selon que les conditions prévues à l'article 53 sont ou non réunies, les règles de procédure applicables à l'enquête contradictoire sont celles de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire, sous réserve des dispositions de la présente section.

« Art. 83. - L'interrogatoire de l'accusé est conduit par le procureur de la République territorialement compétent ou, sur délégation de celui-ci, par tout autre procureur de la République.

« Avec l'accord de l'accusé donné en présence de son avocat, l'interrogatoire peut également être conduit par un officier de police judiciaire. L'accusé ne peut être placé en garde à vue.

« Au cours de l'interrogatoire, l'avocat peut poser des questions ou présenter de brèves observations.

« Art. 84. - Les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leur avocat ou ce dernier dûment appelé.

« L'avocat est convoqué au plus tard cinq jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition de la partie qu'il assiste par lettre recommandée avec accusé de réception, par télécopie avec récépissé ou verbalement avec émargement au dossier de la procédure.

« Art. 85. - La procédure est mise à la disposition des avocats des parties durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du parquet.

« Art. 86. - Lorsque le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire souhaite faire procéder à une expertise scientifique ou technique, il doit, sauf motif précisé dans la désignation, choisir le ou les experts parmi les personnes figurant sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d'appel.

« Les conclusions du rapport d'expertise sont notifiées aux parties et à leur conseil soit verbalement par émargement au dossier, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit, lorsque la personne est détenue, par les soins du chef d'établissement.

« L'acte de notification informe chaque partie de son droit de demander un complément d'expertise ou une contre-expertise. En cas de refus du procureur de la République de faire droit à une telle demande, ou en l'absence de réponse à cette demande dans le délai de 20 jours, la partie concernée peut saisir le juge de l'enquête qui statue par une ordonnance non susceptible de recours.

« Art. 87. - Les parties peuvent à tout moment :

« 1° Présenter au procureur de la République une demande écrite et motivée de procéder à un acte qui leur paraît utile à la manifestation de la vérité. La demande doit être effectuée par déclaration au parquet ou par lettre recommandée avec accusé de réception.

« En cas de refus du procureur de la République ou en l'absence de réponse à cette demande dans le délai de 20 jours, la partie concernée peut saisir le juge de l'enquête qui statue par une ordonnance non susceptible de recours.

« 2° Verser au dossier d'enquête par déclaration au parquet ou par lettre recommandée avec accusé de réception les témoignages, constatations, expertises et de manière générale toute pièce qui leur paraissent utiles à la manifestation de la vérité.

« 3° Saisir le juge de l'enquête d'une requête en nullité d'un acte de procédure.

« Art. 88. - Le procureur de la République et les parties peuvent contester devant le juge de l'enquête la recevabilité d'une constitution de partie civile.

« Section 3

« Contrôle judiciaire et détention provisoire

« Art. 89. - Après la notification de l'accusation, le procureur de la République peut, à tout moment, saisir le juge de l'enquête de réquisitions de placement de l'accusé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.

« Art. 90. - I. - Le juge de l'enquête statue par ordonnance motivée à l'issue d'un débat contradictoire après avoir entendu les réquisitions du ministère public, les observations de l'accusé et, le cas échéant, de son avocat.

« II. - Lorsque le juge de l'enquête est saisi de réquisitions de placement en détention provisoire, les débats se déroulent et l'ordonnance est rendue en audience publique. Toutefois, sur demande du procureur de la République, de l'accusé ou de son avocat ou d'office, le juge de l'enquête peut décider, avant l'ouverture des débats, que ceux-ci se dérouleront et que l'ordonnance sera rendue en chambre du conseil lorsque la publicité est de nature à porter atteinte au bon déroulement de l'enquête, à la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers.

« Sur demande de l'accusé ou de son avocat ou d'office, le juge peut, pour permettre à l'accusé de préparer sa défense, reporter le débat pour une durée maximum de quatre jours ouvrables. L'accusé est, durant ce délai, provisoirement incarcéré.

« Art. 91. - I. - Le juge de l'enquête ne peut placer ou maintenir un accusé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire qu'après avoir vérifié que l'accusation est fondée sur des indices graves et concordants et constaté que cette mesure est nécessaire :

« 1° Soit à la conservation des preuves ou des indices matériels ou pour empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ou encore une concertation frauduleuse entre les auteurs de l'infraction ou les complices ;

« 2° Soit pour garantir le maintien de l'accusé à la disposition de la justice, pour mettre fin à l'infraction ou limiter ses conséquences ou encore pour prévenir la commission d'un autre crime ou délit.

« Dans le cas où l'accusation porte sur un crime, le placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire peut également être ordonné lorsqu'il est évident que l'absence de toute mesure provoquerait un trouble grave à l'ordre public.

« II. - La détention provisoire ne peut, en outre, être ordonnée ou maintenue que sous les conditions suivantes :

« 1° L'accusé doit encourir une peine criminelle ou une peine correctionnelle d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement ;

« 2° La mesure ne doit pas être disproportionnée au regard de la peine susceptible d'être prononcée à l'encontre de l'accusé.

« Art. 92. - Les obligations du contrôle judiciaire sont définies par le juge de l'enquête.

« La ou les mesures prononcées peuvent :

« 1° Restreindre la liberté d'aller et venir de l'accusé ;

« 2° Contraindre l'accusé à informer ou rencontrer une autorité dans des cas ou selon un rythme précisés par le juge ;

« 3° Interdire à l'accusé tout contact avec certaines personnes ou certaines catégories de personnes ;

« 4° Contraindre l'accusé à remettre certains documents ou certaines choses, ou encore, à titre de consignation, une somme d'argent ;

« 5° Interdire à l'accusé certaines activités ou certains actes, à l'exclusion de ceux qui découlent d'un mandat électif ou de responsabilités syndicales ;

« 6° Obliger l'accusé à exercer une activité, à suivre un enseignement ou à se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins ou encore, à des mesures d'assistance.

« L'accusé peut, avec son accord, être placé sous le régime du placement sous surveillance électronique.

« Si l'accusé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, le procureur de la République peut saisir le juge de l'enquête de réquisitions de révocation du contrôle judiciaire. Le débat sur la révocation est organisé dans les conditions prévues à l'article 90.

« Art. 93. - La détention provisoire est ordonnée pour une durée maximum de quatre mois.

« Avant l'expiration du mandat de dépôt, le juge de l'enquête peut être saisi, sur requête du procureur de la République, de réquisitions de prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de quatre mois. Le juge statue par ordonnance motivée à l'issue d'un débat organisé dans les conditions prévues à l'article 90.

« La durée totale de la détention provisoire jusqu'au renvoi de l'accusé devant une juridiction de jugement ne peut excéder six mois en matière correctionnelle lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans d'emprisonnement, un an lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement, deux ans en matière criminelle.

« Art. 94. - A tout moment de la procédure, l'accusé ou son avocat peut demander sa mise en liberté ou la mainlevée de son contrôle judiciaire.

« La demande est adressée au juge de l'enquête qui la communique immédiatement au procureur de la République.

« Le juge statue par ordonnance motivée, sans débat, dans un délai de cinq jours ouvrables suivant la communication au procureur de la République. S'il ordonne la mise en liberté, celle-ci peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire.

« Section 4

« Clôture de l'enquête contradictoire

« Art. 95. - Aussitôt que l'enquête lui paraît terminée, le procureur de la République en avise les parties et leurs avocats, soit verbalement par émargement au dossier, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit, lorsque la personne est détenue, par les soins du chef d'établissement.

« A l'expiration d'un délai de vingt jours à compter de l'envoi de l'avis prévu à l'alinéa précédent, les parties ne sont plus recevables à présenter une demande ou à verser des pièces au dossier d'enquête sur le fondement de l'article 86 et des 1° et 2° de l'article 87. Les parties peuvent déclarer renoncer, en présence de leur avocat ou celui-ci dûment convoqué, à invoquer ce délai. En cas de refus d'une demande ou en l'absence de réponse dans le délai de 20 jours, la partie concernée peut saisir le juge de l'enquête qui statue par une ordonnance non susceptible de recours.

« S'il fait diligenter des actes d'enquête complémentaires, le procureur de la République procède de nouveau ainsi qu'il est dit au premier alinéa.

« A l'expiration du délai prévu au deuxième alinéa, les parties ne sont également plus recevables à saisir le juge de l'enquête d'une requête présentée en application du 3° de l'article 87.

« Art. 96. - A l'issue de l'enquête, le procureur de la République, soit ordonne le classement sans suite de l'affaire ou met en œuvre une procédure alternative aux poursuites, soit transmet le dossier au juge de l'enquête accompagné de réquisitions de renvoi de tout ou partie des accusés devant la juridiction répressive compétente.

« S'il ordonne le classement sans suite de l'affaire ou s'il abandonne les poursuites contre un accusé, le procureur de la République doit, lorsque cette décision s'applique à un accusé placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, aviser sans délai le juge de l'enquête qui met immédiatement fin à cette mesure.

« S'il requiert le renvoi en jugement d'une personne objet d'un mandat de recherche, le procureur de la République demande au juge de l'enquête la transformation de ce mandat en mandat d'arrêt portant mise en accusation de la personne concernée.

« Le procureur de la République avise les parties par lettre recommandée avec accusé de réception de la transmission du dossier et les informe qu'elles disposent d'un délai de 20 jours pour faire parvenir leurs observations au juge de l'enquête.

« Le juge de l'enquête statue sans débat sur le renvoi du ou des accusés devant la juridiction de jugement et se prononce, le cas échéant, sur leur maintien sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire jusqu'à leur comparution devant cette juridiction.

« Section 5

« Appel des ordonnances du juge de l'enquête

« Art. 97. - Les ordonnances du juge de l'enquête rendues en application du 3° de l'article 87 et de l'article 88 et du cinquième alinéa de l'article 96 sont susceptibles d'appel par le procureur de la République et les parties dans les cinq jours qui suivent leur notification.

« Les ordonnances du juge de l'enquête statuant en matière de contrôle judiciaire ou de détention provisoire sont, dans le même délai, susceptibles d'appel par le procureur de la République et l'accusé concerné. La partie civile peut néanmoins faire parvenir ses observations à la chambre de l'enquête. »

Article 4

L'article 14 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« La police judiciaire est chargée, suivant les distinctions établies au présent titre, de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs.

« Elle conduit les enquêtes à charge et à décharge.

« La police judiciaire a en outre pour tâche de recueillir les éléments permettant d'éclairer la personnalité de l'auteur de l'infraction et de préciser le préjudice de la victime. »

Article 5

I. - L'article 40-2 du code de procédure pénale est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :

« La victime d'un crime ou d'un délit peut former un recours auprès du juge de l'enquête contre la décision de classement sans suite.

« Le juge de l'enquête donne connaissance du recours au procureur de la République qui peut présenter toutes observations.

« Si le juge de l'enquête estime que, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ou si, à les supposer démontrés, ces faits ne peuvent admettre une qualification pénale, ce magistrat rend une ordonnance confirmant le classement sans suite.

« Dans le cas contraire, le juge de l'enquête fixe le montant de la consignation que la victime devra, si elle n'a obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel ce dépôt devra être fait sous peine d'irrecevabilité du recours.

« Dès le versement de cette consignation, le juge de l'enquête constate la qualité de partie civile de la victime et ordonne l'ouverture ou la réouverture de l'enquête. »

II. - L'article 40-3 du même code est abrogé.

Article 6

Après l'article 57-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 57-2 ainsi rédigé :

« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement et si les nécessités de l'enquête l'exigent, le juge de l'enquête peut, à la requête du procureur de la République, autoriser pour une durée maximum de quatre mois renouvelable l'interception, l'enregistrement ou la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications.

« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le procureur de la République.

« Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le procureur de la République.

« Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un magistrat ou de son domicile sans que le premier président de la juridiction ou il réside ou le procureur général en soit informé.

« Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »

Article 7

Le quatrième alinéa de l'article 76 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Si les nécessités de l'enquête relative à un crime ou un délit l'exigent, le juge de l'enquête peut, à la requête du procureur de la République, autoriser par une décision écrite que les opérations prévues au présent article soient effectuées sans l'assentiment de la personne chez qui elles doivent avoir lieu.

« La requête du procureur de la République peut viser plusieurs lieux de perquisition. Dans ce cas, elle doit être adressée à l'un des juges de l'enquête territorialement compétents.

« A peine de nullité, la décision du juge de l'enquête précise la qualification de la ou des infractions dont la preuve est recherchée ainsi que les éléments permettant de localiser, le plus précisément possible, le ou les lieux ou encore les catégories de lieux dans lesquels ces perquisitions pourront être effectuées.

« Si les opérations révèlent une autre infraction que celles visées dans l'autorisation de perquisition, les enquêteurs établissent une procédure incidente. »

Article 8

I. - Le chapitre III du titre I du livre Ier du code de procédure pénale est abrogé.

II. - Le titre III du livre Ier du même code est abrogé.

Article 9

Le Gouvernement présentera dans le délai de quatre mois suivant la promulgation de la présente loi un rapport sur les mesures législatives complémentaires nécessitées par l'entrée en vigueur de ce texte.

Article 10

Les dispositions des articles 1 à 8 entrent en vigueur six mois à compter de la promulgation de la présente loi.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119542-1
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

-------------

N° 2659 - Proposition de loi portant suppression du juge d'instruction et instituant le juge de l'enquête (M. Georges Fenech)


© Assemblée nationale
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.