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N° 2778

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 2005.

PROPOSITION DE LOI

tendant à l'incrimination pénale de la contestation publique
des
crimes contre l'Humanité afin de mieux combattre
toute forme de
négationnisme,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Frédéric DUTOIT, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET,
MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE,
MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE,
Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députée.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les génocides, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, sont définis et sanctionnés par plusieurs textes de droit international ou national. Notamment par le statut du tribunal international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, la Convention des Nations Unies du 9 septembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, les Conventions de Genève de 1949 et la loi du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité commis par des personnes « agissant pour le compte des pays européens de l'Axe ». Ou plus récemment, la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 instaurant la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien de 1915, dont la portée symbolique est évidente mais qui n'a malheureusement aucune incidence juridique, aucune conséquence répressive.

Enfin, depuis le 1er mars 1994, les crimes contre l'Humanité figurent en tête du Livre deuxième du nouveau code pénal français (des crimes et délits contre les personnes) dont ils constituent le titre premier.

Ainsi, les articles 211-1 et suivants du nouveau code pénal, qui distinguent le génocide et les « autres crimes contre l'Humanité », retiennent pour définition que ces faits ne sont plus limités à la Seconde guerre mondiale et qu'ils peuvent avoir été accomplis à l'instigation d'un groupement non étatique.

Si ce changement ainsi opéré est fondamental, sa portée est pour le moins relative. En effet, selon un principe fondamental du droit pénal, l'incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur, soit avant le 1er mars 1994.

Néanmoins, cette évolution du code pénal amène à un premier constat : puisque le code pénal incrimine successivement par l'article 211-1 le génocide et par les articles 212-1 à 3 les autres crimes contre l'humanité, comme les actes de persécution et les crimes de guerre aggravés, il devient nécessaire d'appliquer prioritairement le droit national.

Le droit national a d'ailleurs comblé certaines lacunes du droit international, notamment l'aspect limitatif de la référence à la Seconde guerre mondiale ou encore le critère selon lequel le crime contre l'Humanité nié doit faire l'objet d'une condamnation par un tribunal afin de « garantir la conformité de l'incrimination avec la convention européenne des Droits de l'Homme ».

Tel est le premier objectif de l'article 1 de la présente proposition de loi.

Par ailleurs, est posée l'exigence que les auteurs aient agi « en application d'un plan concerté » donc de façon préméditée et systématique.

En outre, il faut que les actes en cause aient été commis contre les membres d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, et ce en raison de l'appartenance à ce groupe.

Si le crime contre l'humanité, reconnu en tant que violation, constitue un progrès incontestable à l'égard d'un peuple martyr, pour autant cette reconnaissance est imparfaite tant que ce crime reste impunément contestable ou démenti. Dès lors, la logique voudrait que le Droit s'intéresse dorénavant à la sanction de la négation du crime contre l'Humanité.

En effet, l'incrimination pénale de la contestation de crime contre l'Humanité est imparfaitement couverte par notre législation, développant et/ou entretenant des divisions entre les victimes lorsqu'elles devraient être solidaires dans cette même cause.

Pour l'heure, si incriminer pénalement la contestation publique de crimes contre l'Humanité ne soulève pas de difficultés juridiques lorsque la réalité des crimes en cause est attestée et sanctionnée par une décision de justice, il n'en va pas de même dans les autres cas. Même lorsqu'on est en présence d'une vérité historique, incontestable au regard de l'histoire et de faits accomplis, très généralement reconnue, mais néanmoins non attestée par une juridiction.

Actuellement, seule la contestation du génocide juif perpétré durant la Seconde guerre mondiale constitue un délit, de sorte que les victimes rescapées de crimes contre l'Humanité se trouvent inégalement protégées alors que leur souffrance est identique.

Comment comprendre que des propos diffamatoires concernant la mémoire de la Shoah peuvent faire l'objet de poursuites au titre de contestation de crime contre l'humanité quand la négation du génocide arménien par exemple - mais d'autres peuples et/ou communautés qui ont été également persécutés tout au long du XXe siècle - ne tombe pas sous le coup de la loi pénale ? Cette dichotomie est contraire au principe selon lequel la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

D'autant qu'on ne saurait estimer qu'un génocide est plus important ou douloureux pour les victimes et leurs descendants qu'un autre, pas plus qu'on ne saurait distinguer parmi les génocides lesquels méritent d'être protégés ou non, qu'il s'agisse des crimes contre l'Humanité commis tout au long du XXe siècle ou de ceux qui pourraient malheureusement advenir dans les années à venir.

Les « actes inhumains et les persécutions qui, au nom d'un État pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, non seulement contre les personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de leur opposition » doivent tous être répressibles au même titre que la négation de ces actes. Dans le cas contraire, cela sous-entendrait une hiérarchie de valeurs en matière de crimes contre l'Humanité, à savoir que certaines vies n'ont pas la même valeur que d'autres.

Le développement préoccupant de thèses révisionnistes niant l'existence du génocide perpétré contre les Juifs durant la Seconde guerre mondiale a suscité la loi dite « Gayssot » du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

Cette loi a inséré un nouvel article, l'article 24 bis, à la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, disposition sanctionnant pénalement l'expression publique de thèses contestant l'existence des crimes contre l'Humanité commis par l'Allemagne hitlérienne pendant la Seconde guerre mondiale et définis en annexe de l'accord de Londres du 8 août 1945.

Cette contestation est punie de 5 ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende conformément aux dispositions de la loi de 1881, chapitre IV portant sur les crimes et délits commis par la voie de presse ou de tout autre moyen de publication.

Quand bien même la liberté d'expression est une valeur suprême, elle ne peut être utilisée à des fins autodestructrices, pas plus qu'on ne peut abuser de ce droit. D'ailleurs, la Cour européenne des Droits de l'Homme a clairement affirmé la compatibilité de la loi Gayssot avec l'article 10 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble par l'ordre public établi par la loi ».

Mais si la loi Gaysot sanctionne pénalement l'expression de l'idéologie négationniste en créant un délit de contestation des crimes contre l'Humanité, son champ est strictement lié à la Seconde guerre mondiale ; elle n'a pas de portée universelle. D'où la nécessité d'étendre maintenant cette loi.

On ne saurait en effet en rester là. D'où l'épineuse question de l'extension du délit négationnisme au génocide arménien qui a échappé de façon définitive à toute sanction juridictionnelle.

Le travail du législateur doit se poursuivre pour parvenir à plus d'équité et combler certains vides juridiques. Le génocide arménien illustre parfaitement ce vide juridique.

Non contente de nier la réalité de ce génocide, la Turquie justifie sa position en précisant qu'il ne peut y avoir de génocide contre un peuple qui n'existe pas, effaçant ainsi le crime et son objet, pour atteindre pleinement l'objectif génocidaire : ce peuple ne doit plus exister... Ce peuple n'existe pas... Ce peuple n'a jamais existé. Le révisionnisme achève le crime ; il en constitue la seconde phase en effaçant un groupe ethnique de l'histoire de l'humanité.

Par souci d'équité il est nécessaire de conférer plus de portée à la reconnaissance du génocide arménien en autorisant à son propos l'invocation du délit de négationnisme.

Tel est l'objectif de l'article 2 de la présente proposition de loi.

Il devient légitime de renforcer notre législation concernant la sanction de la contestation des génocides, en visant, outre le génocide juif perpétré pendant la Seconde guerre mondiale, les crimes contre l'Humanité commis tout au long du XXe siècle et ceux qui pourraient malheureusement advenir. Et ce, pour criminaliser, et par ce biais contrer, toute forme de négationnisme quand bien même le négationnisme n'a pas les mêmes finalités, ne sert pas les mêmes causes et ne connaît pas les mêmes retombées médiatiques selon les génocides concernés.

Tel est le sens de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le premier alinéa de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Seront punis des mêmes peines ceux qui auront contesté tout autre crime contre l'Humanité sanctionné par l'application des articles 211-1 à 212-3 du code pénal ou par un tribunal international ou reconnu comme tel par une organisation intergouvernementale, quelle que soit la date à laquelle le crime a été commis. »

Article 2

Après l'article unique de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, il est inséré un article 2 ainsi rédigé :

« Art. 2. - Seront punis comme indiqué à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23 de cette loi, l'existence du génocide arménien de 1915. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119638-X
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2778 - Proposition de loi tendant à l'incrimination pénale de la contestation publique des crimes contre l'Humanité afin de mieux combattre toute forme de négationnisme (M. Frédéric Dutoit)


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