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N° 3049

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 avril 2006.

PROPOSITION DE LOI

réformant la loi du 30 décembre 1996
relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur
de la
zone dite des cinquante pas géométriques
dans les départements d'outre-mer,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Alfred ALMONT

Addition de signature :
M. Jacques Remiller

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des « cinquante pas géométriques » dans les départements d'outre-mer aura bientôt dix ans. Le bilan de son application peut d'ores et déjà être dressé.

Le législateur de 1996 avait clairement exprimé sa volonté de trouver une solution définitive au problème de l'occupation de la zone des cinquante pas géométriques aux Antilles et en Guyane, après l'échec patent des précédentes mesures décidées en 1955 (décret n° 55-885 du 30 juin 1955). L'insécurité juridique qu'avait engendrée l'absence de réponse juridique satisfaisante aux besoins d'ordre social, économique et environnemental, mettait en situation difficile les populations souvent modestes installées sur ces parties des îles antillaises, et créait un climat peu propice à la réalisation d'opérations d'aménagement à des fins d'utilité publique, au développement économique des zones littorales et à la préservation des espaces naturels.

Pour régler « définitivement » la question de l'occupation de la zone des cinquante pas par des personnes privées, la loi du 30 décembre 1996 avait mis en place deux procédures : une procédure de validation des titres antérieurs à 1955 pour les occupants qui étaient détenteurs de titres, et une procédure de déclassement aux fins de cessions à titre onéreux aux occupants sans titre.

Si certaines des mesures envisagées par le législateur de 1996 ont donné satisfaction (cessions de terrains aux communes, remise des espaces naturels au Conservatoire de l'espace littoral, acquisitions à titre onéreux), il n'en va pas de même pour les procédures de vérification des titres (art. L. 89-2 du code du domaine de l'État). Certes, contrairement à ce qui s'était produit en 1955, la publicité organisée pour la création des Commissions départementales de vérification des titres a suscité le dépôt de plusieurs centaines de requêtes et permis la validation de plusieurs dizaines de titres. Cependant les décisions des Commissions ont engendré un contentieux important devant les Cours d'appel de Fort-de-France et de Basse-Terre, et devant la Cour de cassation (cf. notamment Cass. Civ. 3, 16 novembre 2005, 6 arrêts). Il est à craindre qu'une part non négligeable de ce contentieux soit portée devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Il faut bien reconnaître en effet que l'objectif défini par le législateur de 1996 n'a pu être atteint en raison de l'interprétation très restrictive qui a été faite du texte de loi par les Commissions et qui a été aggravée par les cours d'appel, ainsi que par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation. Ces juridictions ont refusé de valider l'effet de la prescription acquisitive sur des terrains pourtant déclassés par les décrets de 1882 et de 1887 pour la Guadeloupe et pour la Martinique, refusé d'admettre les transmissions de propriété autres qu'entre parents du sang en ligne directe, exigé la démonstration que le titre d'origine émanait de l'État, refusé de reconnaître la possession du propriétaire sur les parcelles laissées en l'état naturel,... De plus les solutions judiciaires ont varié ce qui a pu créer des inégalités entre justiciables.

Pour mettre fin à cette insécurité juridique et permettre le démarrage économique, aussi bien que pour assurer l'équilibre environnemental de cette zone, il est proposé de modifier l'article L. 89-2 du code du domaine de l'État. Ainsi pourra-t-on enfin libérer la Guadeloupe et la Martinique de ce vestige de droit colonial, la zone des cinquante pas du Roy, qui entrave leur développement social et économique.

Explication des articles

Article premier :

Ce texte propose un retour au droit commun du code civil pour les modes d'acquisition de la propriété.

Il est, en effet, à la fois inutile et inéquitable, de déroger au droit commun dans la mesure où, contrairement à un préjugé fort répandu, la zone territoriale concernée a cessé d'appartenir au domaine public de l'État depuis longtemps.

En effet, le rattachement de la zone des cinquante pas au domaine public remonte de manière incontestable à l'ordonnance du 9 février 1827. Il a été exprimé dans les termes suivants (art. 34 § 2) : « Aucune portion des cinquante pas géométriques réservés sur le littoral ne peut être échangée ni aliénée. ».

Le décret du 21 mars 1882 a très clairement mis fin à ce statut. Reprenant l'expression employée en 1827, il énonce (art. 1er) : « Sont modifiées ainsi qu'il suit les dispositions aux termes desquelles à la Guadeloupe et dépendances, aucune portion des cinquante pas géométriques réservés sur le littoral ne peut être échangée ni aliénée ». Ce texte ouvrait par ailleurs la voie à la reconnaissance de titres de propriété pour les occupants de la zone.

Un décret du 4 juin 1887 rendait « applicable à la Martinique le décret du 21 mars 1882 qui a supprimé l'inaliénabilité des 50 pas géométriques à la Guadeloupe ». Il était complété par un arrêté du Gouverneur du 31 juillet 1887 « relatif à l'aliénabilité des terrains situés dans la zone autrefois réservée des 50 pas géométriques du littoral ».

Ce n'est que bien plus tard, le 13 janvier 1922, qu'un décret ayant le même objet fut adopté à la Réunion. Selon son exposé des motifs : « Il a été jugé opportun d'étendre à la Réunion une mesure déjà appliquée dans nos colonies des Antilles et de la Guyane, en vue de supprimer dans des cas déterminés et sur certaines conditions, l'inaliénabilité de la zone des pas géométriques. ». Le décret réunionnais apparaissait clairement comme un prolongement des textes antillais et guyanais.

Sur le fondement de ce texte, la Cour de cassation (Cass. Civ. 3, 12 janv. 1982, D. 82, 577, C. Audouart) a admis qu'à la Réunion, « dès 1922, la zone des cinquante pas géométriques pouvait être aliénée, donc était devenu prescriptible. ». À la suite de cette décision la situation a été définitivement réglée pour ce département. En revanche, le caractère prescriptible de la zone n'a pas été reconnu pour les Antilles par la jurisprudence.

Cette différence n'est en rien justifiée et il convient d'y mettre fin en soumettant le littoral martiniquais et guadeloupéen aux mêmes règles qui ont profité au bord de mer réunionnais. Il convient pour cela de reconnaître la prescriptibilité de la zone entre 1882 ou 1887 et 1986 (date du versement d'une partie de la zone dans le domaine public).

Il s'en suit que des droits ont pu être acquis par des particuliers pendant cette période. L'origine de propriété peut donc être prouvée non seulement par un titre délivré par l'État, mais aussi par un titre privé ou par l'usucapion.

Il est proposé de mettre fin à la jurisprudence contestable qui a exigé que les détenteurs de titres fassent la preuve d'un lien de sang en ligne directe avec leur auteur. Outre que cette preuve n'a été imposée que pour les mutations postérieures à 1955, il a été ajouté de manière arbitraire au texte de l'article L. 89-2 qui ne vise en aucune sorte les parents en ligne directe.

Article 2 :

La présente proposition de loi constituant une cause nouvelle sur laquelle pourra être fondée une action en revendication portant sur une parcelle de la zone des cinquante pas, il convient de préciser pour éviter toute ambiguïté que l'autorité de la chose jugée ne pourra être invoquée à l'encontre d'une nouvelle action.

Article 3 :

Le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 a rattaché la zone des 50 pas au domaine privé de l'État (qui est aliénable et prescriptible). Il prévoyait dans son article 5 que les prescriptions ne pourraient commencer à courir qu'à partir de la date de clôture des opérations de délimitation de la réserve fixée par arrêté ministériel. Cet arrêté ministériel n'a jamais vu le jour du fait de l'impéritie ou de la volonté des services de l'État. Cette carence est de nature à engendrer une responsabilité de l'État car elle a empêché de nombreuses personnes qui en remplissaient les conditions, de revendiquer l'usucapion des terres concernées. Le texte proposé tend à effacer les conséquences dommageables de la carence de l'État.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L'article L. 89-2 du code du domaine de l'État est ainsi rédigé :

« Art. L. 89-2. - Dans chacun des départements de la Guadeloupe et de la Martinique, le tribunal de grande instance est compétent pour statuer sur les demandes émanant de personnes privées revendiquant un droit de propriété, réel ou de jouissance sur un bien immobilier précédemment situé sur la zone des cinquante pas géométriques qui leur a été transmis entre parents ou non parents, conformément à l'article 711 du code civil, ou qu'elles ont acquis par l'effet de la prescription des articles 2262 et 2265 du même code après l'entrée en vigueur du décret des 21 mars et 7 avril 1882 en ce qui concerne la Guadeloupe et du 4 juin 1887 en ce qui concerne la Martinique et avant l'entrée en vigueur de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, conformément à l'article L. 87 du présent code.

« Tout titre ou moyen de preuve établissant selon le droit commun, des droits de propriété, réels ou de jouissance sur un bien immobilier de la zone peut être examiné dans le cadre de la procédure prévue au premier alinéa, qu'il émane de l'État ou de personnes privées, nonobstant toute stipulation réservant les droits de l'État, dans ce titre ou dans les actes subséquents. »

Article 2

Les décisions d'irrecevabilité ou de rejet rendues sur le fondement de l'inaliénabilité ou de l'imprescriptibilité de la zone des cinquante pas avant l'entrée en vigueur du décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ou rendu en application de l'article L. 89-2 du code du domaine de l'État dans sa rédaction antérieure à la présente loi et du décret n° 98-836 du 14 septembre 1998, ne font pas obstacle à la saisine du tribunal sur le fondement de l'article L. 89-2 du code du domaine de l'État dans sa version issue de l'article 1er de la présente loi.

Article 3

Les personnes privées qui, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, ont occupé à titre de possesseur, au sens de l'article 2229 du code civil, un terrain précédemment situé sur le domaine de la zone des cinquante pas géométriques ne peuvent se voir opposer, pour l'application des articles 2262 et 2265 du même code, les dispositions de l'article 5 du décret n° 55-885 du 30 juin 1955.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121204-0
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 3049 - Proposition de loi réformant la loi du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer (M. Alfred Almont)


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