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Actes du colloque

« Cinq ans après la loi : parité... mais presque »

Lundi 6 juin 2005

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présidé par

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

députée,

rapporteure générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes,

présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes


S O M M A I R E

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Pages

Mme Marie-Jo Zimmermann, députée, rapporteure générale de l'Observatoire de la parité et présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 5

Allocution d'ouverture de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité7

Premier débat :
« La révolution paritaire »
« Avancées et obstacles : les recommandations de l'Observatoire de la parité »

animé par Mme Maïtena Biraben

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, députée

Intervenants :

Mme Roselyne Bachelot, députée européenne, ancienne rapporteure générale de l'Observatoire de la parité 12

Mme Gisèle Halimi, avocate, ancienne présidente de la commission politique de l'Observatoire de la parité 14

Mme Dominique Gillot, avocate, ancienne rapporteure générale de l'Observatoire de la parité 16

Mme Marie-Cécile Moreau, juriste, membre de l'Observatoire de la parité 19

M. Bernard Roman, député, rapporteur du projet de loi sur la parité 20

Mme Réjane Sénac, ancienne secrétaire générale de l'Observatoire de la parité 22

Mme Marie-Jo Zimmermann, députée, rapporteure générale de l'Observatoire de la parité et présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 24


Débat avec la salle 27



Deuxième débat :
« De la parité en politique à la culture paritaire au quotidien »

animé par Mme Maïtena Biraben

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, députée

Projection d'un film :

Interventions de Mmes Janine Mossuz-Lavau, Christine Fauré, Cristina Lunghi, M. Dominique Thierry et Mme Catherine Lamour, membres de l'Observatoire de la parité 44

Intervenants :

Mme Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité 48

Mme Gisèle Gautier, sénatrice, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat 49

M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université de Paris X-Nanterre 52

Mme Catherine Génisson, députée, ancienne rapporteure générale de l'Observatoire de la parité 57

Mme Marie-Jo Zimmermann, députée, rapporteure générale de l'Observatoire de la parité et présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 58

Mme Martine Lignières-Cassou, députée, ancienne présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 61




Allocution de clôture de Mme Marie-Jo Zimmermann, députée, rapporteure générale de l'Observatoire de la parité et présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale 65

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

rapporteure générale

de l'Observatoire de la parité et
présidente de la Délégation

aux droits des femmes de l'Assemblée nationale

Madame la Ministre,

Mesdames les Présidentes,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je remercie Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, d'avoir répondu si promptement à notre invitation. Elle a accepté avec plaisir d'ouvrir ce colloque, alors que les aléas politiques de la semaine passée ont conduit à l'annulation de la participation annoncée du Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, et de la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, Mme Nicole Ameline.

Le fait que Catherine Vautrin ait pris ses fonctions jeudi soir et qu'elle soit présente parmi nous dès lundi après-midi marque sa volonté d'exprimer son engagement à l'égard du travail que les unes et les autres - en particulier, Roselyne Bachelot, Gisèle Halimi, Dominique Gillot, Catherine Génisson, Martine Lignières-Cassou et les secrétaires générales de l'Observatoire de la parité, Claire Bernard, Réjane Sénac et Emmanuelle Latour - ont accompli depuis de nombreuses années.

En 1995, était créé l'Observatoire de la parité, et, en 1999, la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Nous avons été nombreuses à être actives dans ces instances pour faire évoluer la cause des femmes.

Le fait d'avoir intitulé le colloque « 5 ans après la loi, parité... mais presque » montre que les parlementaires et l'ensemble des personnes qui se sont investies dans ce combat ont besoin de toutes les bonnes volontés pour poursuivre les efforts et donner un nouvel élan à cet enjeu.

Je cède maintenant la parole à Catherine Vautrin pour qu'elle ouvre officiellement ce colloque, nous transmette un message de conviction et nous indique ce que nous pouvons attendre dans les années qui viennent.

Allocution d'ouverture

Mme Catherine VAUTRIN,
ministre déléguée à la cohésion sociale et
à la parité

Chère Marie-Jo Zimmermann,

Mesdames et Messieurs les parlementaires français et européens,

Mesdames et Messieurs,

Je souhaiterais tout d'abord vous dire combien je suis heureuse de vous retrouver, au moment où je prends mes fonctions. Je participe cet après-midi à ma première manifestation publique. J'ai la chance qu'elle porte sur un sujet qui m'intéresse profondément puisque j'ai vécu moi-même les difficultés liées au fait d'être femme, en entreprise comme en politique. Je sais notamment ce que représente le fait de se présenter sans investiture, lorsque son parti prétend avoir un candidat masculin beaucoup plus compétent à présenter aux législatives. Je souhaite que ce vécu personnel alimente les travaux que nous aurons l'occasion de conduire ensemble.

J'en profite pour saluer celles et ceux qui se mobilisent depuis tant d'années autour de ces enjeux, qu'il s'agisse de Roselyne Bachelot, Gisèle Halimi, Catherine Génisson ou Martine Lignières-Cassou, qui ont, selon l'expression utilisée par Roselyne Bachelot il y a une dizaine d'années, lors d'une réunion de soutien à Annette Laurent à Châlons-en-Champagne, accepté de « tendre la main, le jour où elles ont passé la porte de l'Arc de Triomphe, au lieu de la fermer ». Cette démarche nous pousse à réfléchir à la manière dont nous pouvons progresser ensemble sur le sujet.

Bien que n'ayant que quarante-huit heures de recul, je souhaite évidemment rendre hommage à Nicole Ameline et au travail qu'elle a accompli. Je suis certaine qu'elle aurait eu à cœur d'être présente aujourd'hui à ce colloque, qui commémore trois anniversaires essentiels :

- les soixante ans du premier vote des femmes - il paraît inimaginable aux femmes de ma génération qu'un jour, dans notre pays, des femmes aient pu ne pas avoir ce droit ;

- les dix ans de la création de l'Observatoire de la parité ;

- les cinq ans de l'adoption de la loi sur la parité du 6 juin 2000.

Je ne parlerai pas d'avancées, mais d'actions menées. Que d'actions ont été menées et que d'énergie dépensée jusque-là, notamment par les représentants de la société civile ! Je les remercie et les félicite pour le rôle déterminant qu'ils ont joué dans les progrès que nous pouvons aujourd'hui, malgré tout, constater. Il est évident que l'Observatoire de la parité est également l'un des outils essentiels avec lequel j'aurai à cœur de travailler pour continuer à avancer sur la voie du progrès.

Ma présence aujourd'hui parmi vous, quelques heures après mon entrée en fonctions, est en effet plus qu'un symbole, c'est un engagement, celui de travailler avec vous pour poursuivre les efforts, tant la route est longue. Si depuis les lois de 2000 et de 2003, la parité en politique a enregistré quelques avancées, nous savons qu'il faut aller plus loin. Nous nous situons clairement, désormais, dans une exigence de résultat, qui se mesurera à la présence effective de femmes dans les instances élues. Alors que la loi du 6 juin 2000 avait suscité de nombreuses controverses, personne n'oserait plus aujourd'hui la mettre en question, tant la parité est devenue pour tous une évidence et a acquis sa pleine légitimité. Nous savons pourtant que l'Assemblée nationale compte toujours moins de 13 % de femmes, ce qui montre le chemin qu'il reste à parcourir. On ne saurait prétendre s'occuper d'un pays en oubliant la majeure partie de ses membres - les femmes étant quantitativement plus nombreuses que les hommes. C'est dire s'il est nécessaire de mettre fin à l'exclusion des femmes et de donner ainsi un nouvel élan à la modernité. L'acte de légiférer et d'administrer exige l'approche complémentaire des hommes et des femmes.

Si la problématique est également européenne et mondiale, la place des femmes en France, en particulier, en termes de nombre d'élues, est particulièrement défavorable. Le chemin est donc encore long.

La loi du 6 juin 2000 a permis d'obtenir quelques avancées sur le terrain des collectivités locales. En province, comme dans les départements d'outre-mer, on voit de plus en plus de femmes dans les instances délibératives. Si nombreuses sont celles qui y sont arrivées en se demandant ce qu'elles venaient y faire, elles se sont toutes impliquées et jouent aujourd'hui, avec modestie mais efficacité, un rôle incontestable. La loi du 18 décembre 2003 a également permis, grâce à des listes aux élections européennes et régionales respectant une alternance stricte entre les femmes et les hommes, de faire élire 43 % de femmes au Parlement européen et de faire passer la part des élues dans les conseils régionaux de 27 % à 47 %. La réforme sénatoriale, enfin, a engendré une augmentation de la présence de nouvelles élues au Sénat à hauteur de 24 %.

Il faut cependant aller plus loin. Les rapports réalisés par l'Observatoire de la parité proposent des pistes que je suis prête à étudier. Au-delà des sanctions financières infligées aux partis politiques ne respectant pas la parité sur leurs listes, nous devons avancer de nouvelles idées. Il pourrait, par exemple, être envisagé d'imposer la mixité entre le candidat titulaire et le candidat suppléant lors des scrutins uninominaux, en évitant, évidemment, que le suppléant soit systématiquement une femme. Nous devons également réfléchir à la présence renforcée des femmes dans les exécutifs municipaux, où elles sont encore peu représentées, comparativement à leur nombre dans les assemblées. Nous devons enfin nous pencher sur le nouvel espace de décision que constituent les structures intercommunales.

La loi a tracé le cadre. A nous, hommes et femmes politiques notamment, de lui donner une substance, en nous appuyant sur nos expériences personnelles.

Il nous faut également approfondir la notion de « nouvelle citoyenneté », en améliorant la place des femmes dans la société, en particulier au sein de l'entreprise. La diversité des origines sociales, comme la parité entre les hommes et les femmes, sont des facteurs essentiels de renouvellement, qui permettront sans aucun doute d'élargir la gamme des expériences, des sensibilités et des profils.

Ce sont autant de sujets auxquels j'ai l'intention de m'atteler avec détermination. Le Président de la République a déclaré à plusieurs reprises que le degré de civilisation d'une société se mesurait à la place qui est accordée aux femmes. La règle doit être la mixité car elle rassemble et place tous les individus sur un pied d'égalité. Si nous voulons vivre dans une société civilisée, il est donc grand temps de nous mobiliser. Portant un grand intérêt à vos travaux, j'ai l'intention d'organiser très prochainement une session de travail avec vous pour que cette ambition devienne réalité.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Ce discours permet de nous rassurer, car il indique à la Délégation aux droits des femmes et à l'Observatoire de la parité qu'ils bénéficieront d'une écoute attentive au sein du nouveau Gouvernement. Les membres de nos deux organismes prennent l'engagement de travailler, chacun dans leur domaine, pour progresser dans cette voie, mais également pour conserver les acquis.

Lors des discussions sur la modification du mode de scrutin aux élections sénatoriales, l'Observatoire et la Délégation avaient tenté, avec le soutien de Louis Giscard d'Estaing notamment, de contrer l'amendement qui opérait un retour en arrière manifeste, mais sans succès. Je crains que lors du renouvellement, dans neuf ans, des sénateurs élus en 2001, nous constations une baisse du nombre de sénatrices.

Nous avons la chance aujourd'hui de pouvoir discuter de ces sujets avec une femme qui nous écoute et qui a l'avantage d'être une femme de terrain ayant dû se battre pour être élue députée. Le combat que des femmes ont mené pour devenir parlementaires l'a été, au-delà de leur propre personne, pour les générations futures.

Je vous remercie de la confiance que vous accordez à l'Observatoire de la parité ainsi qu'à la Délégation aux droits des femmes car nous ne sommes pas là uniquement pour protester, mais pour constituer une force de propositions. Des moments privilégiés de rencontre seront les bienvenus car il est essentiel de prendre en compte les 52 % de la population que sont les femmes. Il est de notre devoir, une fois que nous sommes devenues parlementaires, de nous en préoccuper.

Je vous remercie une nouvelle fois du temps précieux que vous avez bien voulu nous consacrer. Les rendez-vous sont pris. Les membres de l'Observatoire de la parité seront présents, avec la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, ainsi que Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, et Françoise Vilain, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social, pour travailler à vos côtés et faire avancer la cause des femmes.

Premier débat :

« 
La révolution paritaire »

« Avancées et obstacles : les recommandations de l'Observatoire de la parité »


animé par Mme Maïtena Biraben

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, députée,

Madame Maïtena BIRABEN

Le sujet est d'actualité, puisque sur trente-trois ministres, le nouveau Gouvernement compte six femmes. Je souhaite donc bonne chance à Mme Catherine Vautrin, qui a beaucoup de travail devant elle.

Si la grande histoire est la somme des petites, l'histoire de la parité n'en manque pas. Celles et ceux qui ont élaboré la loi sur la parité et celles et ceux qui tentent de la faire appliquer sont présents à la tribune aujourd'hui. Ils et elles ont pensé, légiféré, étudié et mené le combat paritaire. Il et elles sont donc les mieux placés pour nous raconter les résistances auxquels ils ont été confrontés, le climat dans lequel ils ont travaillé, les mesquineries et les coups bas qu'ils ont essuyés
- qui ne manquent pas, mais, quoi de plus normal, puisque la parité est un combat, un combat pour l'équité. Peut-être la parité ne progresse-t-elle pas mieux parce que les hommes politiques pensent qu'il s'agit d'un combat pour le pouvoir - pouvoir qu'ils souhaitent à tout prix se réserver. Nous devrions donc désormais considérer la parité, non plus comme un gadget ou un argument de campagne, mais nous intéresser aux stratégies, aux faux-semblants et aux résistances qui se font jour depuis dix ans.

Nous vous proposons de scinder le débat en deux parties : tout d'abord, les résistances face aux réflexions paritaires et à l'élaboration de la loi, puis les résistances opposées à celles et ceux qui tentent de la faire appliquer.

Je vous propose de passer la parole, en premier lieu, à celles et à celui qui ont œuvré dans les coulisses de la loi. L'emploi du mot parité appliqué pour la première fois en 1989 aux rapports hommes-femmes est attribué à Claudette Apprill qui travaillait alors au Conseil de l'Europe. Trois ans plus tard, la France est stigmatisée par la Communauté européenne. En effet, les premières statistiques sexuées montraient que la France était la lanterne rouge de l'Europe. En 1995 a eu lieu la Conférence internationale de Pékin, au cours de laquelle les Etats se sont engagés à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes à la gouvernance. La création de l'Observatoire de la parité, qui a également eu lieu en 1995, a été la réponse de la France à la Conférence de Pékin. Jacques Chirac était alors Président de la République et Alain Juppé, Premier ministre. C'est au bureau de ce dernier que l'Observatoire de la parité fut rattaché. Roselyne Bachelot fut nommée rapporteure et seize membres furent nommés, parmi lesquels, Gisèle Halimi. Elles étaient, et sont encore, toutes bénévoles.

J'aimerais que Roselyne Bachelot nous explique la demande qui lui a été adressée lorsqu'elle a été nommée rapporteure.

Madame Roselyne BACHELOT

En préambule, je souhaiterais d'abord exprimer ma fureur d'être là aujourd'hui, au moment où il n'y a plus que six femmes au Gouvernement, dont quatre sont ministres déléguées, où le ministère de la parité fait l'objet d'une véritable rétrogradation et où Nicole Ameline est renvoyée comme une employée qui a volé l'argenterie. Je voudrais affirmer de manière solennelle que la parité n'est pas une question subsidiaire, dont on ne s'occupe que quand on n'a pas mieux à faire. C'est une question centrale, c'est un projet de société. Il faut certes s'occuper de l'emploi, mais la plus grande partie des chômeurs et des travailleurs précaires sont des femmes. Traiter la question du chômage, c'est donc aussi traiter l'enjeu de la parité. En la matière, nous ne nous contenterons pas de mots creux, de formules éculées, de solutions qui s'apparentent à des pourboires.

Pour répondre à votre question, je préciserai d'abord que l'Observatoire de la parité ne découle pas de la Conférence de Pékin, mais lui est concomitante. J'égrènerai quelques souvenirs personnels de cette période.

En 1992, lorsque j'étais déléguée aux femmes au sein du RPR, j'ai constaté que la question des femmes n'apparaissait absolument pas dans la presse féminine. Or, si 8 % des femmes lisent un quotidien, elles sont très sensibles aux magazines qui leur sont destinés. Avec l'accord et le soutien financier d'Alain Juppé, j'ai décidé de rencontrer, accompagnée de Laure Darcos, les directrices de ces journaux. Celles-ci m'ont alors déclaré que la question de l'égalité entre hommes et femmes n'intéressait pas les femmes. La seule exception fut Marie-Françoise Colombani, la directrice de Elle, qui, à la suite de notre rencontre, rédigea un éditorial consacré au « scandale de l'inégalité ». Celui-ci a déclenché en retour une avalanche de courriers, provenant de femmes qui se déclaraient fortement interpellées par cet enjeu. Les autres magazines féminins ont alors fait volte-face et ont publié une longue série d'articles sur la question.

En 1993, lorsque j'ai inscrit cette question dans la plate-forme politique de mon parti, j'utilisais le terme d'égalité, mais pas celui de parité. Cette notion m'a été présentée par Gisèle Halimi, Sabine Haudepin et quelques autres femmes, qui sont venues me trouver à l'Assemblée nationale. Je maîtrisais mal ce concept, mais j'ai pris conscience qu'il était la solution que je cherchais depuis dix ans. J'ai donc commencé à militer avec Gisèle Halimi. Fortes de nos compétences complémentaires, nous avons entamé ce combat qui nous unit encore aujourd'hui.

Madame Maïtena BIRABEN

Lorsque vous avez découvert ce concept, êtes-vous allée trouver Alain Juppé ?

Madame Roselyne BACHELOT

Nous sommes allées voir ceux que nous considérions comme les détenteurs potentiels du pouvoir après les élections présidentielles de 1995. Edouard Balladur nous a reçues avec Simone Veil et s'est déclaré favorable à l'établissement d'un quota de 30 % pour les femmes. Nous avons salué son esprit d'ouverture, même si son idée ne correspondait pas à notre philosophie de la parité. Nous avons également rencontré Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui se sont tous deux montrés ouverts à l'approfondissement de l'idée. Ils ont confirmé publiquement leur volonté devant le Conseil national des femmes françaises, en prenant, peu avant les élections, un certain nombre d'engagements forts en faveur de la parité. Ils se sont notamment déclarés favorables à la création d'un Observatoire, qui constituerait une source de propositions auprès des instances délibérantes pour faire progresser la parité. C'est finalement Jacques Chirac qui a été élu et il a, dès les premiers mois de son mandat, créé l'Observatoire de la parité. Il m'a désignée en qualité de rapporteure générale et a nommé quelques membres, qui ont immédiatement commencé à travailler.

Madame Maïtena BIRABEN

Le Président vous a encouragées, mais il ne vous a donné ni bureau, ni moyens...

Madame Roselyne BACHELOT

Permettez-moi de mettre à profit ce colloque pour saluer l'Assemblée nationale, car, n'ayant en effet été dotés d'aucun moyen pour travailler, c'est dans une salle de l'Assemblée que nous avons pu mener nos séances de travail. Alors que nous étions rattachés au bureau du Premier ministre, ce sont les fonctionnaires de l'Assemblée nationale qui nous ont fourni un magnétophone et les huissiers qui nous ont apporté leur aide pour organiser nos réunions. Gisèle Halimi a dû ensuite, dans son cabinet, retranscrire entièrement le verbatim des auditions. Notre travail s'est donc effectué dans la plus complète improvisation, sans moyens financiers. J'en garde malgré tout un très bon souvenir, car c'est souvent dans les plus grandes difficultés que surgit l'énergie.

Madame Maïtena BIRABEN

Vos propositions ont-elles été accueillies avec autant d'enthousiasme que l'idée de la création de l'Observatoire de la parité ?

Madame Roselyne BACHELOT

La remise de notre rapport a été catastrophique, car elle a été concomitante avec l'éviction des huit femmes du Gouvernement d'Alain Juppé, y compris celle de la ministre avec laquelle nous étions en rapport direct, Colette Codaccioni. L'effet en termes d'image a été terrible. Je dirais toutefois, avec le recul, que d'un mal est peut-être né un bien, car cette injure flagrante faite aux femmes nous a finalement aidées, en générant un sentiment fort de culpabilité chez les hommes politiques.

Nous avons malgré tout continué à travailler avec efficacité. Le débat de 1997 s'est bien déroulé et a donné lieu à des interventions remarquables... jusqu'à la dissolution. Celle-ci est intervenue juste au moment où nous étions sur le point d'entrer dans la phase opérationnelle et m'a obligée à repartir en campagne électorale.

Je garde malgré tout un merveilleux souvenir de ce travail avec Gisèle Halimi, à qui j'avais confié la présidence de la commission politique et qui nous a permis d'assister à des auditions remarquables.

Madame Gisèle HALIMI

Nous nous ressemblons beaucoup, Roselyne et moi, et depuis cette époque, nous nous sommes toujours retrouvées sur les mêmes diagnostics et les mêmes revendications. Je partage d'ailleurs sa fureur aujourd'hui, tant est forte l'impression de mépris à l'égard des femmes. Le sort qui a été réservé à Nicole Ameline est inacceptable. Alors qu'étant devenue ministre de la parité, celle-ci avait coutume de déclarer que son ambition était qu'un jour son ministère disparaisse, elle a malheureusement trop bien réussi, car celui-ci a été purement et simplement supprimé, sans aucune justification. Il est également inacceptable que l'ensemble des médias aient donné la liste des ministres remerciés, sans même mentionner Nicole Ameline. C'est un signe de dédain à l'égard, non pas de sa personne, mais de ce qu'elle représentait. Elle était pourtant en charge de la dignité des femmes dans ce pays, c'est-à-dire de la dignité de la moitié de la population. Les journalistes ont pensé que le sujet était de peu d'importance, alors qu'il aurait été essentiel d'expliquer comment et pourquoi elle a été dessaisie de ses fonctions et remplacée.

Nous sommes aujourd'hui prêtes à travailler avec Mme Catherine Vautrin, sans a priori. Je lui reconnais, au passage, le mérite de venir nous rencontrer, à peine nommée, et de prendre le risque d'être confrontée à nos doléances. Il faut cependant souligner que non seulement elle n'est que ministre déléguée, mais qu'elle a en outre la charge de la cohésion sociale, alors qu'un autre ministre s'est aussi vu confier cette mission. Tout cela mérite, de la part de nos gouvernants, à la fois quelques explications et des excuses. S'occuper des droits des femmes, ce n'est pas seulement s'occuper des femmes, mais c'est s'occuper de la société dans son ensemble. Il n'y a en effet pas d'exemple de droit consacré aux femmes qui n'ait entraîné une mutation profonde de la société toute entière.

Lorsque j'ai rencontré pour la première fois Roselyne Bachelot dans son bureau de l'Assemblée nationale, avec la délégation de « Choisir la cause des femmes », j'ai été enchantée de sa volonté de lutter, même si elle a immédiatement souligné qu'elle était seule dans son parti. « Choisir » n'avait pas l'intention de s'engager auprès d'un parti politique, mais souhaitait interroger les candidats à la présidentielle sur les avancées qu'ils entendaient consentir en faveur des femmes. Juste avant notre rencontre avec Jacques Chirac, nous avons eu l'idée de proposer la création d'un Observatoire de la parité, idée qui nous venait du Canada - ce que nous avons finalement obtenu.

Nous avons travaillé avec très peu de moyens. Nous n'avions ni local, ni secrétaire générale, mais nous avions la foi, ainsi que la chance extraordinaire de pouvoir participer de manière active aux auditions des experts, qui nous ont énormément enrichies. Nous avons reçu aussi bien des philosophes et des autorités religieuses, que des personnalités politiques - en particulier Edith Cresson qui nous a raconté comment elle avait été traitée.

Notre objectif au sein de l'Observatoire de la parité était, qu'une fois pour toutes, chacun comprenne qu'une véritable démocratie ne peut se contenter d'une démocratie formelle, qui se traduit, depuis la Révolution française, par la quasi-exclusion des femmes, mais doit instituer une égalité réelle, c'est-à-dire un partage égalitaire du pouvoir.

La parité n'est pas exactement l'égalité. C'est à la fois plus et moins. C'est un concept philosophique, qui nous a valu les foudres de tous ceux qui s'accrochaient à leur pouvoir, mais aussi de quelques féministes, car il renverse la définition de l'universalisme républicain. Celui-ci avait dressé l'image d'un citoyen fondée sur une maquette égalitaire, qui était, en théorie, sans sexe, couleur ou religion, mais qui correspondait, en réalité, à la maquette de l'homme blanc et riche, selon le principe du suffrage censitaire. Notre objectif était donc que l'universalisme se définisse à partir de l'existence reconnue des deux sexes. Dans ce sens-là, nous ne sommes pas essentialistes, car cet autre universalisme est, selon nous, encore plus républicain et encore plus démocratique.

Nous avons réussi en partie. Nous sommes parvenues à faire modifier la Constitution et à y faire entrer en majesté la notion de parité - sans toutefois que le mot lui-même n'apparaisse. La loi du 6 juin 2000 n'a, quant à elle, pas tout à fait appliqué les travaux de l'Observatoire de la parité. Tout d'abord, elle n'a prévu aucune mesure d'accompagnement (statut de l'élue, non-cumul des mandats et limite d'âge). Ensuite, elle n'a instauré que des sanctions financières, si bien que les deux grands partis de France ont pu utiliser leurs ressources pour ne pas l'appliquer, en préférant payer l'amende, ce qui n'était pas à la mesure de la dignité des femmes.

Aujourd'hui, il convient de s'atteler à l'élaboration de mesures d'accompagnement qui permettront d'accélérer l'application de la loi, de modifier la loi électorale, en instituant une part plus grande de scrutin proportionnel, et de faire en sorte qu'une liste ou un candidat qui ne respecterait pas les règles de la parité soit invalidé.

Madame Maïtena BIRABEN

Marie-Jo Zimmermann précisera ultérieurement les recommandations de l'Observatoire de la parité en la matière.

Après la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, Lionel Jospin est arrivé au pouvoir et a nommé Dominique Gillot à la tête de l'Observatoire de la parité. Celle-ci a obtenu des bureaux et un poste de secrétaire générale qui a été confié à Claire Bernard.

Le nouveau Premier ministre a finalement tranché en faveur d'une loi plutôt que des quotas. Dominique Gillot a été chargée de la révision de la Constitution, qui était indispensable pour faire adopter la loi. Le vote sur le projet de loi constitutionnelle a été unanime à l'Assemblée nationale. Le 8 juillet 1999, la Constitution a été révisée. On a pourtant du mal à croire que cette révolution ait été si facile à faire accepter.

Madame Dominique GILLOT

Je précise tout d'abord que, avertie par le rapport de l'Observatoire de la parité et par les confidences de Roselyne Bachelot, j'avais prévenu Lionel Jospin qu'il n'était pas question que j'accepte les fonctions de rapporteure de l'Observatoire sans bénéficier de moyens.

Madame Maïtena BIRABEN

Avez-vous eu du mal à les obtenir ?

Madame Dominique GILLOT

Oui, car ils n'étaient pas prévus dans le budget. Je me suis d'abord adressée au ministère de l'emploi et de la solidarité, sous la responsabilité duquel se trouvaient les droits des femmes, mais il avait d'autres urgences. Matignon m'a indiqué ne pas avoir de locaux disponibles. Nous en avons finalement trouvés nous-mêmes. Cela a donné lieu à un véritable parcours du combattant, mais j'estime que la lutte est nécessaire pour parvenir à se faire respecter. J'ai donc, en fin de compte, disposé des moyens nécessaires pour remplir la responsabilité qui m'était confiée.

Il a fallu ensuite nommer les nouveaux membres de l'Observatoire, puisque le mandat des précédents était arrivé à échéance. Cela a donné lieu à une discussion serrée entre les différents tenants du pouvoir, mais nous avons finalement abouti à une représentation équilibrée, permettant de mettre en œuvre les objectifs que s'étaient fixés, tant le Président de la République que le Premier ministre, en 1995. Nous nous sommes appuyés sur l'expérience de l'équipe précédente pour avancer dans nos travaux, en engageant une étude plus juridique et administrative sur la mise en œuvre de cet objectif politique majeur qu'est l'égalité dans la mixité. Nous avons procédé à de nombreuses auditions qui ont donné lieu à des transcriptions.

Parallèlement, le débat se poursuivait à l'Assemblée nationale, où pointaient des exigences et des impatiences, qui se traduisaient par des débats contradictoires. La question de la révision de la Constitution a donné lieu à un débat à l'Assemblée nationale, mais aussi dans la société civile, où des féministes de grande renommée ont pris des positions opposées aux orientations que nous nous apprêtions à inscrire dans la Constitution. Celles-ci jugeaient insultant que la loi réserve des places aux femmes, estimant que leur talent suffisait pour qu'elles soient reconnues. De tels débats avaient déjà eu lieu dans les années 70, où des féministes s'étaient déclarées hostiles à la mise en place de quotas. Quant à moi, je pensais déjà que la situation était sans issue si nous n'avions pas recours à une obligation forte, assortie de sanctions. Les femmes doivent en effet d'abord accéder à des postes à responsabilité pour pouvoir faire la preuve de leurs compétences, dans la durée, sans se laisser émouvoir par des pressions ou des intimidations, qui sont monnaie courante.

Personnellement, je n'ai jamais eu le sentiment d'être soumise à de telles pressions, mais peut-être suis-je naïve ou ai-je été particulièrement protégée. Durant mon parcours politique, j'ai dû lutter parce que j'avais des opposants et des convictions à défendre, mais pas parce que j'étais une femme. Peut-être les hommes ne se sont-ils pas montrés aussi loyaux dans la réalité, mais ce sentiment m'a préservé de subir des humiliations, qui m'auraient peut-être privé de l'énergie que j'ai engagée dans mes combats.

C'est donc dans cet état d'esprit que j'ai préparé le rapport sur la parité et que nous avons soutenu la révision constitutionnelle. En septembre 1999, j'ai rendu mon rapport au Premier ministre, assorti d'un certain nombre de propositions. Marie-Jo Zimmermann en a pris la suite, en les situant par rapport aux difficultés présentes - qui se sont récemment traduites par la désinvolture avec laquelle le nouveau Gouvernement a été constitué. Je pense que la loi devrait éviter les aléas de cette nature. Nous avions proposé un certain nombre d'avancées « butoirs » en deçà desquelles il ne devait pas être possible de revenir. A ceux qui les jugeaient trop progressistes, Lionel Jospin avait répondu qu'il considérait que la parité devait se traduire par un partage à 50/50.

C'est le principe qui a été appliqué aux scrutins de liste, mais non pas aux scrutins uninominaux et aux élections au deuxième degré. Il a permis d'enregistrer de réels progrès pour les femmes dans les conseils régionaux et les conseils municipaux, ainsi qu'aux élections européennes et sénatoriales. Il reste encore un certain chemin à parcourir s'agissant des députés, des maires, des conseillers généraux et des présidents de syndicats intercommunaux, car ces scrutins n'ayant pas été soumis à la loi sur la parité, la tendance naturelle a repris le dessus et les hommes se sont attribués les principaux postes de commande.

Madame Maïtena BIRABEN

Si Jacques Chirac, Lionel Jospin et Edouard Balladur étaient convaincus par la parité, ils n'ont pas pour autant convaincu facilement leurs collègues. Les faits montrent en effet que la parité n'a pas atteint partout son but. Comment avez-vous été reçue à Versailles, lors de la révision constitutionnelle ?

Madame Dominique GILLOT

Je m'y suis rendue comme une députée parmi d'autres et j'ai voté la révision comme les autres.

Madame Roselyne BACHELOT

Pour ma part, lorsque je suis allée à Versailles, je portais ce dossier depuis plusieurs années. Tout me désignait donc pour être l'orateur de mon groupe. On m'a cependant expliqué que quelqu'un d'autre avait été choisi car j'étais « si engagée » que cela aurait pu « inciter » certains députés à voter contre la révision constitutionnelle. C'est donc Marie-Jo Zimmermann qui a soutenu la révision au nom de l'UMP.

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Je tiens à préciser qu'il n'a pas été facile à Lionel Jospin de convaincre sa majorité et les membres de son Gouvernement - en particulier Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'Intérieur, qui y était franchement hostile - et qu'il a dû leur imposer de voter en faveur de la parité.

Madame Maïtena BIRABEN

Dorénavant, la Constitution stipule, à l'article 3, que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » et, à l'article 4, que « les partis contribuent à la mise en oeuvre de ce principe dans les conditions déterminées par la loi ». Marie-Cécile Moreau, qui est juriste, va nous dire ce que cela introduit de nouveau en termes de droit.

Madame Marie-Cécile MOREAU

A la différence des précédents intervenants, je ne suis pas une responsable politique, mais une citoyenne. Pour répondre à votre question, je dois revenir sur la décennie qui s'étend de 1989, date de l'apparition du mot parité dans le domaine de l'égalité des sexes, qui jouera comme un mot fétiche dans les débats qui suivront, jusqu'à 1999, date de la révision de la Constitution.

Les participants au débat ont été aussi bien des femmes, que des responsables politiques et des juristes. Il était alors question du retard des femmes en France quant à l'accès aux responsabilités politiques et de direction, mais aussi d'universalisme, de quotas et d'autres termes rattachés à la notion de parité - sans jamais s'attarder, d'ailleurs, sur son contenu exact. Le Conseil constitutionnel avait condamné le système des quotas par un arrêt de 1982 et avait maintenu fermement sa jurisprudence, notamment par un arrêt de janvier 1999 qui intervenait à un moment où le débat sur la révision constitutionnelle était déjà engagé. Il était aussi question de discriminations et d'actions positives, qui étaient, quant à elles, autorisées par la Constitution. Ainsi, l'article 141 du Traité d'Amsterdam qui les prévoyait, n'avait pas été censuré par le Conseil constitutionnel. Le débat portait par ailleurs sur la nécessité ou non d'attendre que, « naturellement », l'Assemblée nationale devienne égalitaire. En 1996, un député avait ainsi enjoint à Roselyne Bachelot de se montrer « patiente », ce à quoi celle-ci avait répondu que si elle l'était, la parité serait atteinte en 2633 !

Tous ces débats, qui n'avaient pas échappé aux hommes politiques, d'autant que certains avaient eux-mêmes fait quelques promesses de campagne, ont conduit au dépôt d'un projet de révision constitutionnelle en 1998 et à la révision de la Constitution en 1999. Celle-ci s'est traduite par l'ajout de deux alinéas, dont l'un modifie l'article 3 du chapitre sur la souveraineté : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». Cette réforme - et non la loi du 6 juin 2000 - constitue la véritable matrice de la parité.

La réponse à la question « Qu'est-ce que la parité ? » est nécessairement évolutive, car elle dépend des circonstances sociétales. J'en apporterai donc une hic et nunc.

En premier lieu, la parité n'est pas le synonyme de l'égalité dans le monde politique. C'est une erreur de le penser. La loi du 6 juin 2000 est une loi d'application de la parité, telle que l'a instituée la Constitution modifiée, qui prévoit que l'égalité doit être favorisée dans tous les domaines (politique, économique, social, etc.), qui sont, par ailleurs, tous interdépendants.

Par son étymologie (paritas), la parité signifie l'égalité, mais il s'agit ici d'une égalité revisitée par le regard qui est porté sur ses origines et sur son but. Si nul ne conteste que l'humanité est constituée de femmes et d'hommes, cette vérité est ignorée par notre Constitution, pour laquelle l'universalisme est abstrait. C'est donc une véritable révolution que le pouvoir constituant a introduit dans la Constitution en ajoutant, par un alinéa, que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes. Le pouvoir correspond désormais à un universalisme sexué et est - enfin - conforme au texte même de la Constitution, selon lequel le pouvoir est démocratique. La moitié de la population ne doit par conséquent pas être écartée des affaires. Le pouvoir répond également au préambule de la Constitution, qui déclare que les droits de l'Homme doivent être respectés, c'est-à-dire aussi bien les droits de la femme que de l'homme.

Madame Maïtena BIRABEN

En tant que rapporteur de la loi sur la parité devant l'Assemblée nationale, Bernard Roman peut peut-être nous en dire quelques mots.

Monsieur Bernard ROMAN

Entre la révision constitutionnelle de 1999 et la loi de juin 2000, les débats ont été invraisemblables au Gouvernement et à la direction du parti socialiste. Certains ministres et certains responsables du PS défendaient l'idée que « l'égal accès » signifiait de commencer par concéder 20 % des sièges, puis 30 %, etc. Nous étions minoritaires à défendre le fait que la parité devait se traduire par un partage à 50/50. Il en est résulté un arbitrage de Lionel Jospin, à la rentrée des journées parlementaires, en septembre 2000, qui a déclaré que la parité était bien un partage à 50/50.

Il a cependant approuvé un texte de loi qui, s'il avait été voté tel quel, n'aurait rien changé à la représentation des femmes, car la parité s'y mesurait au nombre total de candidates féminines sur les listes. Il aurait donc été possible de constituer des listes avec 10 % de femmes dans la première moitié qui est susceptible d'être élue, puis avec 90 % dans la deuxième, qui a peu de chances de l'être. Ce sont les travaux parlementaires qui ont permis d'avancer, en instituant des groupes de six et des listes alternées pour les élections sénatoriales, européennes et régionales.

Les réticences culturelles étaient extrêmement fortes. Elles ont été identiques à celles rencontrées lors des discussions de la loi sur le cumul. La culture du rapport au pouvoir dans le monde politique français, la culture de la concentration du pouvoir qu'ont les élus, c'est-à-dire les hommes qui détiennent ce pouvoir à 90 % depuis des siècles, constitue un frein particulièrement fort à la reconnaissance de la parité. La philosophie et les grands principes sont souvent invoqués pour retarder les évolutions nécessaires.

Il en va ainsi également dans le domaine de la famille. Or, si l'on s'inspirait du modèle des pays nordiques pour la politique familiale comme pour l'emploi, il n'y aurait plus de congé parental qui ne soit partagé par le père comme par la mère, ce qui générerait de grands changements.

Madame Maïtena BIRABEN

Pourquoi avez-vous accepté d'être le rapporteur de la loi sur la parité, une loi si « partisane ». Etes-vous féministe ?

Monsieur Bernard ROMAN

La véritable question est : pourquoi et qui me l'a proposé. La réponse traduit en effet le climat dans lequel ce texte a émergé. Ce sont des femmes, députées du groupe socialiste, qui travaillaient sur ce texte et qui sont venues me demander de le défendre. Je pensais que cette tâche aurait dû revenir à l'une des figures de proue du mouvement féministe membre du groupe socialiste, comme Yvette Roudy.

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Cette demande s'expliquait par le rapport de force qui prévalait au sein du groupe socialiste.

Monsieur Bernard ROMAN

C'est vrai. Elle traduisait aussi le fait que les femmes avaient beaucoup de difficultés à faire entendre cette revendication, qui aurait dû pourtant être partagé par l'ensemble du groupe. Il apparaît en outre que je travaillais depuis deux ans sur le texte relatif à la limitation du cumul des mandats et que les points communs avec l'argumentaire de la loi sur la parité étaient nombreux. Les deux idées étaient en effet fortement liées à la manière de considérer la représentation politique.

Madame Maïtena BIRABEN

Pour mémoire, trois parlementaires ont voté contre le projet de loi sur la parité (Mme Christine Boutin, M. Philippe de Villiers et M. Laurent Dominati) et un certain nombre se sont abstenus. Les stratégies de contournement des partis politiques se sont ensuite rapidement mises en place. Réjane Sénac, qui fut la deuxième secrétaire générale de l'Observatoire de la parité, les a étudiées à l'occasion des élections municipales et législatives suivantes.

Madame Réjane SÉNAC

L'Observatoire de la parité a en effet analysé l'application de la loi - ou de l'esprit de la loi, lorsque celle-ci ne s'appliquait pas de manière obligatoire -, lors des élections municipales, législatives et régionales. Les résultats ont montré l'impérieuse nécessité d'imposer une contrainte pour faire appliquer un principe, qui, quoique de nature purement démocratique, est loin d'aller de soi au « pays des droits de l'homme ». Ceux qui n'étaient pas encore convaincus de la nécessité qu'il y avait eu à voter la loi sur la parité, l'ont été par les stratégies qui ont été mises en œuvre par les partis pour éviter de l'appliquer.

Pour les scrutins de listes, qui étaient encadrés par la loi, les listes qui ne présentaient pas une parité entre candidats hommes et femmes n'étaient pas enregistrées à la préfecture.

Contrairement aux craintes qu'avaient formulées les partis, ceux-ci n'ont pas eu de mal à trouver des femmes en nombre suffisant, même s'ils les ont plutôt choisies parmi les moins militantes et les moins encartées. Il est en effet notable qu'aux municipales de 2001, à la différence des hommes élus, les femmes ne sont pas principalement issues des rangs des partis qui les ont promues, puisque 75 % des conseillères municipales ne sont pas inscrites dans un parti. Dans les communes de 3 500 habitants et plus, qui sont les seules où la loi s'applique de manière contraignante, la parité est presque atteinte, puisque les femmes obtiennent en moyenne 48 % des sièges. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, la loi a engendré un réel effet d'entraînement, avec une proportion de femmes conseillères municipales de 30 %. Exceptionnellement, il n'y a pas eu, dans ce cas, contournement de la loi, mais, au contraire, application au-delà des prescriptions de la loi.

Aux élections régionales, le résultat obtenu est de 47 %, tandis qu'il est de près de 43 % aux élections européennes. On observe d'ailleurs que le statut de député européen a progressivement acquis une plus grande légitimité, si bien que, sans la loi, il est probable que le nombre de femmes sur les listes européennes aurait fortement diminué.

S'agissant des élections cantonales et, plus généralement, des scrutins uninominaux, pour lesquels la loi ne s'applique pas, il apparaît que le rapport au pouvoir n'évolue pas, puisque la proportion de femmes élues stagne autour de 10 %.

L'application de la révision constitutionnelle pose également problème en ce qui concerne les exécutifs des assemblées territoriales. Contrairement à la Constitution, qui stipule que l'accès des femmes aux fonctions électives doit également être renforcé, la loi ne dit mot sur le sujet. Leur accession à ces postes continue donc à relever du choix du prince. Il en résulte un véritable hiatus entre le principe paritaire et son application concrète.

Je terminerai par une anecdote. Lorsque je suis arrivée à l'Observatoire, je rédigeais une thèse sur le genre et la politique, dirigée par Janine Mossuz-Lavau. Avec l'entrée massive des femmes dans les conseils municipaux, j'ai voulu savoir si un changement était apparu dans le rapport à la politique. Je n'étais pas essentialiste, mais, disposant déjà d'une approche quantitative de la question
- même s'il avait été très difficile d'accéder à des données sexuées au ministère de l'Intérieur -, j'ai souhaité compléter ma vision par des données plus qualitatives sur la présence des femmes dans les exécutifs municipaux. Après avoir sélectionné un échantillon de communes par strates démographiques, j'ai envoyé un questionnaire - sans doute assez naïf - portant sur d'éventuels changements dans l'organisation du conseil municipal, les thèmes abordés, etc. Je n'ai reçu quasiment aucune réponse, malgré de nombreuses relances téléphoniques. Les seuls qui m'ont répondu inscrivaient « RAS » (rien à signaler) sur le questionnaire. J'ai finalement obtenu une réponse qui m'a éclairé sur la situation : un maire m'a expliqué que les femmes qu'il avait choisies sur sa liste et ensuite pour participer à l'exécutif l'avaient été parce qu'elles étaient « disponibles ». Si la loi était nécessaire et a apporté de grands progrès, cette réponse, qui est sans doute représentative de la pensée dominante, montre que la révolution démocratique qu'a représentée la révision constitutionnelle est loin d'être achevée et continue à se heurter parfois au « fait du prince ».

Madame Gisèle HALIMI

Tous les scores obtenus par les femmes aux élections ne devraient pas être placés sur le même plan. Si le score réalisé aux élections européennes est certes important, le Parlement européen n'a pas l'initiative des lois. De même, s'il faut se réjouir des progrès enregistrés aux élections municipales et régionales, il ne faut pas perdre de vue que le fondement symbolique de la République et du pouvoir législatif reste l'Assemblée nationale. Or, c'est dans cette enceinte que les femmes ne parviennent pas à prendre leur place et continuent à rester sous la barre des 13 %.

Si j'avais pu choisir le titre du colloque, je l'aurais intitulé : « 5 ans après la loi : la parité... trahie ? », car c'est une réalité à droite (19,7 % de candidates aux législatives à l'UMP), comme à gauche (35 % au PS). Aucun parti ne s'est efforcé de respecter la loi que la République avait pourtant votée. Une avancée symbolique ne sera réellement accomplie que lorsque les femmes auront atteint une proportion au moins égale à 40 %, qui introduira une véritable modification dans l'équilibre de l'Assemblée.

Les recherches doivent donc désormais porter sur la manière de parvenir à augmenter le nombre de sièges pour les femmes à l'Assemblée nationale. L'un des problèmes essentiels tient aux mentalités, tant le patriarcat politique est encore ancré en France et s'exerce surtout au niveau de l'Assemblée nationale. En effet, les hommes veulent bien céder un peu de pouvoir dans les communes ou au Parlement européen, car ce n'est pas là que s'élaborent les lois. Il n'est pas surprenant, à cet égard, que les femmes aient été très nombreuses à avoir été envoyées par leur parti au Parlement européen, avant que celui-ci n'acquiert de plus grandes responsabilités. L'Assemblée nationale reste la chasse gardée des hommes. Jusqu'à présent, malgré le vote de la loi et la révision de la Constitution et malgré tous nos combats, ceux-ci semblent l'emporter.




Madame Maïtena BIRABEN

Marie-Jo Zimmermann va maintenant nous présenter les recommandations de l'Observatoire de la parité.

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN

Je commencerai par remercier Roselyne Bachelot, Gisèle Halimi, Marie-Cécile Moreau, Dominique Gillot et Bernard Roman, car sans eux, le combat pour la parité n'aurait pas eu les mêmes résultats. Lorsque l'on m'a demandé d'être rapporteure de la loi de révision constitutionnelle au nom de l'UMP, j'estimais bien entendu que Roselyne Bachelot devait assumer ce rôle, mais Jean-Louis Debré, le président de mon groupe, souhaitait me confier cette responsabilité. J'ai donc hérité du travail de Roselyne. Je n'ai cependant jamais oublié, lors de chacune de mes déclarations, mais surtout à Versailles, de rendre hommage à toutes celles, en particulier Roselyne Bachelot, Gisèle Halimi et Dominique Gillot, qui ont œuvré, bien avant moi, en faveur de la place des femmes en politique. Il est tout à fait symbolique qu'à l'occasion de cet anniversaire, soient réunies à la tribune, à la fois celles qui ont initié et mené le combat et celles (Réjane Sénac et Emmanuelle Latour) qui nous aident aujourd'hui à faire progresser cette cause.

Une fois la loi votée en juin 2000, l'Observatoire a entrepris un important travail d'analyse et de synthèse des résultats des élections qui ont suivi :

- en 2001, les municipales, les cantonales et les sénatoriales ;

- en 2002, les législatives - qui constituent, comme le soulignait Gisèle Halimi, un problème essentiel à résoudre ;

- en 2004, les régionales, puis les cantonales - où la proportion de femmes atteint 10,9 %, alors qu'il s'agit d'un mandat par nature de proximité -, les européennes, et enfin les sénatoriales.

La loi de 2003 ayant modifié dans un sens contraire à la parité le mode de scrutin des sénatoriales, l'Observatoire de la parité devra lutter pour revenir au mode de scrutin qui avait été inscrit dans la loi du 10 juillet 2000.

Les recommandations de l'Observatoire de la parité sont simples.

Elles concernent d'abord les scrutins de liste, pour lesquels nous devons exiger la parité stricte : une femme/un homme - et non, comme aux élections municipales, la parité par groupe de six. S'agissant des sénatoriales, il convient de revenir au mode de scrutin prévu par la loi du 10 juillet 2000. L'Observatoire de la parité estime également que la présence des femmes doit être renforcée, au-delà de leur nombre grandissant dans les conseils municipaux, régionaux et au Parlement européen, par une place plus importante dans les exécutifs. Là encore, il faut légiférer pour obtenir une alternance stricte. Chacun sait en effet que c'est au niveau des adjoints et des vices-présidents d'assemblée que s'élaborent les politiques.

L'Observatoire de la parité émet également des recommandations sur les scrutins uninominaux, qui concernent les élections législatives et cantonales. Il souhaite tout d'abord que le ticket paritaire soit institué pour les législatives et qu'une réflexion soit engagée sur le sujet au niveau des cantonales. Il pourrait ainsi être envisagé de prévoir un candidat suppléant au conseil général. Il s'agit, enfin, de mieux prendre en compte les changements actuels du paysage administratif français en se penchant sur la problématique de l'intercommunalité. Dans les cantons ruraux, comme dans les cantons urbains, ces structures se composent souvent de peu de femmes. Nous souhaitons donc que, dès 2008, les femmes y soient présentes à parité et que les listes électorales respectent l'alternance de candidats hommes et femmes.

Au-delà du large chantier de réflexion sur les scrutins de liste et les scrutins uninominaux, l'Observatoire de la parité réfléchit à la nécessité de renforcer les pénalités financières. Lorsque la loi du 6 juin 2000 a été votée, certaines se sont déclarées gênées par ce système, considérant qu'une femme ne devait pas pouvoir « se vendre » ou « s'acheter ». Il a cependant été courant, au moment des élections législatives, que les partis préfèrent placer les femmes dans les circonscriptions les moins faciles à gagner. A cet égard, je tiens à rendre hommage à Dominique Gillot qui, lorsqu'elle a été confrontée à cette situation au PS, en 1997, a néanmoins réussi à se faire élire. Il est vrai qu'aucune circonscription n'est jamais impossible à remporter, mais nous souhaiterions tout de même que la parité constitue non seulement une obligation en termes de candidats, mais aussi en termes d'élus, c'est-à-dire que les femmes reçoivent également l'investiture de leur parti dans des circonscriptions où leur parti est bien placé.

Sur ces sujets, l'Observatoire de la parité devra travailler avec les différents partis politiques. Un certain nombre d'auditions ont déjà été conduites par Réjane Sénac, Emmanuelle Latour et d'autres membres de l'Observatoire. A cette occasion, les principaux représentants des partis ont fait des promesses. Elles n'ont malheureusement pas toujours été tenues. Il est donc du devoir de l'Observatoire de la parité de les leur rappeler.

Je souhaiterais qu'avant 2007, les anciennes rapporteures de l'Observatoire de la parité et les anciennes déléguées de la Délégation aux droits des femmes à l'Assemblée nationale et au Sénat s'unissent pour faire avancer ce combat et préparer les prochaines échéances électorales législatives et municipales. Nos démarches auprès des représentants des partis et du Premier Ministre doivent être communes et nos interventions publiques, solidaires sur ce sujet. J'espère que nous pourrons rapidement rencontrer M. Dominique de Villepin pour lui remettre à nouveau les recommandations de l'Observatoire de la parité et de la Délégation aux droits des femmes. Nous devrons alors souligner le fait que les travaux que l'Observatoire et la Délégation mènent depuis 1995 s'inscrivent dans la continuité et sont le fruit de convictions fortes. Leurs résultats doivent par conséquent être pris en considération.

Je souhaite vivement que Gisèle Halimi et Roselyne Bachelot, dont les prises de position en début de colloque ont été particulièrement bienvenues, nous accompagnent lors de cet entretien et fassent preuve de leur force de conviction naturelle pour affirmer que, parmi les chômeurs dont le Premier ministre promet de s'occuper, les femmes sont au premier rang.

Gisèle Halimi et Roselyne Bachelot acceptent de prendre cet engagement.

Débat avec la salle

Madame Maïtena BIRABEN

Pour alimenter l'entretien qui aura lieu avec M. Dominique de Villepin, je propose aux élues qui sont dans la salle de nous faire part de leurs expériences et de leur parcours.

Madame Claudine BECQ-VINCI

Je suis vice-présidente du conseil général de la Meuse. Je suis également élue municipale depuis 1989. J'ai été deuxième, puis première adjointe. Ayant récemment été élue conseillère générale, le maire n'a pas voulu que je cumule les mandats, si bien que je ne suis plus adjointe, mais simple conseillère municipale. En réalité, lui-même cumule plusieurs mandats. Sa véritable motivation était de m'écarter d'une trop grande exposition avant les élections législatives, car, du fait de la loi sur la parité, il était persuadé que j'obtiendrais l'investiture de mon parti et m'a donc traitée comme une concurrente potentielle.

Je me suis ainsi présentée à tous les scrutins uninominaux sans investiture. L'expérience des législatives fut cependant un tel parcours du combattant que je ne recommencerai plus jamais. Je me suis ensuite présentée aux élections sénatoriales. Pour contourner la loi, les sénateurs ont, dans certains départements, constitué leur propre liste, en se plaçant en tête. Dans la Meuse, il n'y avait pas de listes paritaires, car il n'y avait que deux sénateurs à élire au scrutin majoritaire. Mon score a finalement été honorable. Je regrette de m'être désistée au second tour, comme on me l'avait demandé pour éviter d'handicaper l'autre candidat de mon parti, car cela ne l'a pas empêché de perdre.

Je suis par ailleurs féministe militante. J'ai été déléguée départementale à l'action féminine au RPR. Je suis présidente de l'association des élues meusiennes. J'avais créé cette association pour essayer de constituer un réseau, mais il s'est avéré que les femmes n'étaient pas toujours disponibles pour participer aux réunions. Le statut de l'élu devra prendre en compte la nécessité d'aider les responsables politiques à concilier famille, travail et vie politique, qu'il s'agisse des hommes ou des femmes. J'ai également été vice-présidente et fondatrice du CEDIFF (le Centre de documentation et d'information pour les femmes et les familles). Je suis, enfin, gynécologue.

Je suis totalement en faveur de la parité. Même si je considère cette solution comme peu satisfaisante sur le plan intellectuel, je constate, que sans elle, les difficultés seraient beaucoup plus grandes sur le terrain. Les stratégies de contournement n'en demeurent pas moins fréquentes. Par exemple, lorsqu'en 2002, j'ai été candidate à la candidature aux élections législatives, après avoir gagné aux élections cantonales dans un canton de gauche, j'ai été rejetée... au profit d'un ami du président de région, qui n'était pas un élu de terrain et s'était fait battre récemment dans le département.

Je souhaiterais maintenant exposer mes craintes. J'ai déjà dit comment la loi avait été contournée aux sénatoriales. Aux élections régionales, alors qu'il s'agit d'un scrutin de liste, j'ai toujours été évincée, tandis qu'aux élections législatives, tous les candidats m'ont demandé d'être leur suppléante. L'avant-dernière fois, on m'a proposé la cinquième place sur la liste régionale, mais je l'ai refusée. La dernière fois, alors que la parité avait été instituée, je n'ai pas été considérée comme la femme la plus légitime dans mon département. On m'a proposé l'avant-dernière place. J'ai dû, cette fois-ci, accepter, à cause de la parité, tout en sachant que je ne serais pas élue. En effet, si j'avais refusé, c'est une autre femme qui aurait été prise à ma place.

Même si les scrutins proportionnels sont censés favoriser l'accès des femmes aux responsabilités politiques, ils ne seront pas d'une grande aide dans mon cas, car je serai une fois de plus écartée, les hommes ne supportant pas que je dise ce que je pense et que j'aille au bout de mes convictions. Lors des dernières élections cantonales, des sanctions ont été annoncées à mon encontre, car je me présentais sans investiture. Le système le plus démocratique serait, selon moi, que le candidat se présente sans l'appui d'aucun parti politique et que le peuple décide. S'agissant du scrutin proportionnel, je ne saurais toutefois avancer de solution, dans la mesure où, dans tous les cas, ce sont des hommes qui choisissent quelles candidates ils souhaitent inscrire sur les listes.

Quelle que soit la formule retenue, il est essentiel d'aider les femmes à accéder à des postes de haute responsabilité politique, en particulier à l'Assemblée nationale, et de ne pas négliger l'importance du statut de l'élue.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je me suis peut-être mal exprimée : il n'est pas question d'instituer un mode de scrutin proportionnel aux élections cantonales. Je propose seulement d'y introduire une dose de proportionnelle pour améliorer la place du conseil général dans le monde urbain, où le conseiller général est souvent confondu avec d'autres élus. Dans le monde rural, la proportionnelle est moins envisageable, car la relation de proximité entre l'élu et l'administré doit être maintenue.

Monsieur Bernard ROMAN

Je souhaiterais intervenir sur la problématique des élections cantonales. Lors de la rédaction du texte de loi, nous avons été confrontés, pour ces élections, à la difficulté quasi-insoluble d'imposer le plus grand nombre possible de candidates. En effet, les cantonales sont les élections qui comptent le nombre le plus élevé d'élus non inscrits et se présentant en dehors de toute investiture. Dans ce contexte, aucune loi ne peut donc intervenir. Le seul moyen d'imposer une égalité de candidatures, voire d'élus, entre hommes et femmes est de pouvoir peser sur les organisations, car il n'est pas possible d'influencer chaque individu dans chaque canton. L'idée selon laquelle tout candidat devrait se présenter sans investiture et laisser le peuple trancher ne paraît pas plus efficace, car elle implique de renoncer à réglementer les élections en amont pour assurer la parité.

J'ajoute que la loi est ce que les partis en font, comme le prévoit d'ailleurs la Constitution. Or tous les partis sans exception ont dévoyé l'objectif de la loi sur la parité. J'estime que si, lors des élections législatives, les partis ne se voient pas imposer une contrainte qui rende invalide, à un niveau qui reste à définir, tout dépôt de candidature ne respectant pas la loi, la parité ne sera jamais une réalité, car elle n'arrivera jamais à compenser le poids de la tradition patriarcale et de la culture machiste qui sévit dans tous les partis politiques. Il ne fait pas de doute que les partis préféreront toujours la sanction à l'application de la parité.

Je propose d'envisager qu'au niveau départemental (soit dix circonscriptions), les partis soient dans l'obligation de présenter autant de femmes que d'hommes parmi les candidats, à défaut de quoi, leurs listes seraient invalidées. Il faudrait ensuite imaginer une autre forme de contrainte qui oblige les partis à ne pas placer les cinq femmes du département dans les circonscriptions les plus difficiles à emporter. Le recours à une loi restera incontournable tant que les partis continueront à considérer l'appel aux femmes comme une obligation désagréable, et non comme une chance.

Madame Dominique GILLOT

Je suis très attachée au scrutin uninominal car il permet de créer un lien direct et fort avec l'électorat. On ne peut pas toujours fonder les réformes uniquement sur des expériences personnelles. Il me paraît, en revanche, essentiel de passer par des contraintes fortes.

Je suis personnellement très heureuse de mon parcours politique. Je suis conseillère générale depuis 1979. Je connaissais suffisamment de femmes de talent pour constituer une liste de trente-trois candidates aux élections municipales. J'ai dû en sacrifier quelques-unes pour respecter la parité. La parité ne portant pas encore sur l'exécutif, mon équipe compte plus de femmes que d'hommes. J'ai par ailleurs envoyé quatre femmes sur six conseillers communautaires à la communauté d'agglomération, dont je suis la première vice-présidente. J'ai renouvelé récemment l'ensemble des cadres administratifs qui m'entourent : ils sont, au final, quatre hommes et six femmes. Je les ai choisis naturellement parce qu'ils avaient les compétences requises. Cette démarche est possible dans une agglomération comme la mienne, parce que j'ai des convictions et que je suis entourée de femmes avec lesquelles nous avons mis en place une organisation du travail collectif, qui permet d'aménager des temps pour la vie personnelle et la vie professionnelle. Le principal est donc d'enclencher la machine et, surtout, d'empêcher les partis politiques de revenir sur les acquis.

Le parti socialiste comptait 30 % de candidatures féminines en 1997, et encore 30 % en 2002. La constitution des listes génère encore beaucoup de grincements de dents. Dans ma circonscription, certains estiment que je devrais laisser la place à d'autres, alors que je n'ai pas démérité et alors que de nombreux hommes occupent le même mandat depuis des décennies. Lorsque j'envisage de choisir une femme comme suppléante, j'entends que je devrais choisir un homme, alors que l'on ne demande jamais aux hommes de choisir une femme comme suppléante. La contrainte de la loi apparaît donc nécessaire pour parvenir à un universalisme sexué et faire en sorte que les gouvernants, à tous les niveaux de la société, soient véritablement à l'image de la population.

Madame Maïtena BIRABEN

Je vous rappelle le slogan à la mode : « une femme en plus, c'est un homme en moins ».

Madame Christine MAME

On dit en effet qu'une femme élue, c'est un homme qui perd sa place. De fait, le nombre d'élus sortants est beaucoup plus élevé que le nombre d'élues.

Je suis maire adjoint et conseiller régional. J'ai obtenu mes premiers mandats électifs aux niveaux municipal et régional en dissidence, ce qui n'était pas évident, puisque je me suis présentée en Ile-de-France en 1998.

Je partage l'analyse de Bernard Roman. Je suis même allée plus loin dans les propositions que j'ai émises dans le cadre de l'association que j'ai créée, Femmes pour la France. Dès le départ, j'ai été favorable à la loi sur la parité car elle a été d'une grande aide pour les femmes. Elle m'a notamment permis d'être élue, par la suite, dans des conditions normales, c'est-à-dire sur une liste de l'UMP.

Les élections législatives étant aujourd'hui notre principale préoccupation, je propose qu'un parti présentant moins de femmes que d'hommes voie l'ensemble de ses candidatures annulées. Une version plus souple de cette proposition, qui tiendrait compte des différences de contexte local, pourrait être que la parité ne doive pas être atteinte strictement dans chaque département, mais en moyenne, au niveau national. Au-delà des candidates, pour contribuer à régler le problème du nombre de femmes élues, on peut considérer que, ce système s'appliquant à tous les partis, il est probable que des femmes de différents partis se retrouvent face-à-face au niveau d'une circonscription et que le nombre de femmes élues s'en trouve mécaniquement plus élevé. Il me semble que cette piste mérite d'être approfondie, car celle consistant à demander une parité entre le titulaire et le suppléant se traduira immanquablement par des hommes titulaires et des femmes suppléantes et n'augmentera donc pas le nombre de députées. Lors des prochaines élections législatives, les députés sortants seront à 87 % des hommes. Il y a donc besoin d'inverser la tendance par une loi contraignante. Celle-ci pourrait toutefois n'être applicable qu'une seule fois, car dès lors que le nombre de sortantes sera plus important, la situation sera de facto différente.

S'agissant des élections cantonales, il me semble important de conserver le scrutin uninominal, afin de conserver le lien avec l'électorat. Il serait également utile d'instaurer un suppléant et d'invalider toute liste qui, au niveau départemental, ne respecterait pas la parité. Si le risque d'émergence de candidatures dissidentes existe, il n'est peut-être pas si négatif, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, car ce scrutin correspond à une élection de proximité.

Enfin, Marie-Jo Zimmermann devrait également intervenir sur la composition des bureaux nationaux et des commissions d'investiture des partis, qui comptent essentiellement des hommes. C'est le cas notamment dans mon parti, l'UMP.

Madame Marie-Cécile MOREAU

La parité revisitée dans ses fondements et dans ses buts doit créer une culture paritaire nouvelle. Nous pourrions ajouter des lois aux lois, sans que cet aspect essentiel du problème ne change. Il convient donc aujourd'hui de mettre l'accent sur l'évolution de la culture paritaire. Tous scrutins confondus, si l'on additionne l'ensemble des élus, il faut se rendre à l'évidence : il n'y aura jamais, dans l'état actuel du droit électoral, plus de 250 000 élues.

Madame Anne LEGAL

C'est déjà ça !

Madame Marie-Cécile MOREAU

Oui, mais ce chiffre doit être rapporté à la population française. C'est sur le terrain de la culture de la parité que nous devons agir et ne pas tomber dans un travers trop français qui consisterait à avoir recours à de nouvelles lois.

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

Je partage cet avis : nous sommes effectivement arrivés au bout de l'exercice. Cette situation nous oblige à nous interroger sur le modèle politique français, dans lequel le pouvoir politique est placé au sommet de la pyramide et domine l'ensemble de la société, ce qui engendre une concentration des pouvoirs. La situation des femmes illustre l'ensemble des relations du pouvoir politique avec la société civile. Nous sommes aujourd'hui dans une impasse, qui nous impose de revisiter l'héritage de 1789. Ce modèle politique n'en finit pas de mourir. La crise actuelle des institutions est d'abord la crise de ce modèle. Aux yeux des révolutionnaires, il n'était pas concevable que les femmes soient des citoyennes, des sujets politiques, car certains d'entre eux s'inquiétaient des évolutions démocratiques que ce pouvoir pourrait engendrer dans les familles. Or, la répartition des tâches à l'heure actuelle tendrait à prouver que la situation n'a pas fondamentalement changé depuis deux siècles. Si les femmes ont obtenu l'égalité civile à la fin des années 60, elles sont toujours les seules à endosser les tâches ménagères et l'éducation des enfants. La démocratie dans les familles et la démocratie dans la société sont, à mes yeux, intimement liées.

Les faits montrent que cette évolution n'est pas naturelle. Ils exigent donc que nous réfléchissions au message que nous, en tant que participantes engagées dans les mouvements féministes des années 70, avons transmis à nos enfants. Les jeunes générations de féministes donnent parfois le sentiment d'instrumentaliser la cause des femmes.

Je reviendrai sur ces sujets dans la dernière partie du colloque, mais je suis en colère, car nous sommes en train de nous acharner sur des moyens qui ont déjà fait la preuve de leurs limites.

Madame Jacqueline MARTIN

J'appartiens à l'Université de Toulouse-le-Mirail, où je travaille dans l'équipe de Simone Sagesse.

Je suis très reconnaissante à Roselyne Bachelot et à Gisèle Halimi pour toutes leurs actions, mais je regrette qu'il n'ait, à aucun moment, été question du mouvement associatif qui s'est battu pour la parité sur le terrain. Aujourd'hui encore, il ne faut pas attendre des partis qu'ils règlent seuls l'enjeu de la culture partiaire.

Madame Maïtena BIRABEN

Nous le verrons dans la deuxième partie du colloque.

Madame Sylvie BILLAN

J'interviens en tant que simple citoyenne. Je me demande si vous avez étudié les raisons qui expliquent la réticence si forte des hommes et des partis politiques à l'égard des candidatures de femmes. Il me semble qu'au-delà des propositions de lois, cette analyse devrait être effectuée, afin d'approfondir l'enjeu de la culture paritaire. Il conviendrait peut-être de présenter les femmes candidates comme un « plus » pour les partis.

Madame Maïtena BIRABEN

Je propose de laisser le seul homme présent à la tribune répondre.

Monsieur Bernard ROMAN

Sans prétendre détenir la vérité, je peux donner mon avis sur la question. Comme Martine Lignières-Cassou vient de le dire, ce phénomène n'est pas propre à la politique. Je vais vous raconter mon expérience. Lorsque mon fils est né en 1975, nous avons choisi, ma femme et moi, que je serai père au foyer et qu'elle travaillerait. La réaction de notre entourage et de notre famille a été de nous montrer du doigt, de me traiter de fainéant et de me reprocher de me faire entretenir. Ceci traduit bien le fait que les tâches qui sont traditionnellement dévolues aux femmes (l'entretien de la maison, l'éducation des enfants) sont considérées comme étant de peu d'utilité. Les places de la femme et de l'homme dans la famille ne sont pas perçues de la même manière. Or, ce phénomène est reflété et amplifié en politique, du fait de la dimension du rapport au pouvoir et de l'histoire de la Ve République qui a accentué la concentration du pouvoir... dans les mains des hommes. La parité est absolument incompatible avec la culture dominante du monde politique français.

J'estime cependant que nous n'avons pas encore usé de toutes les possibilités offertes par la loi, car, par essence, celle-ci est l'instrument de la défense des faibles, en l'occurrence des femmes. Si, au nom de l'universalisme et des grandes valeurs françaises, nous refusons de légiférer, nous constaterons dans quinze ans que la proportion de femmes dans les assemblées délibérantes sera encore de 10 %.

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

J'observe tout de même que nous avons été jusqu'à réviser la Constitution et que la place des femmes à l'Assemblée nationale est passée de 11 à 12 % ! C'est pourquoi j'en déduis que nous avons atteint les limites des qualités protectrices de la loi.

Madame Catherine TROENDLE

J'ai 44 ans et je suis sénateur.

Une partie de la salle manifeste bruyamment pour revendiquer l'utilisation du terme « sénatrice ».

Madame Catherine TROENDLE

A mes yeux, l'utilisation des termes « sénatrice » ou « sénateur » n'a que peu d'importance. Seules comptent les compétences et non le fait d'être une femme ou un homme. Je n'ai pas accédé au Sénat parce que j'étais une femme, mais parce que mes compétences ont été reconnues par mes pairs. Je suis convaincue que si nous parvenons à nous faire reconnaître sur ce plan-là, nous serons regardées différemment.

Je remercie tout d'abord celles qui se sont battues pour la parité, car, sans la loi, je n'aurais cependant pas pu accéder à ces fonctions à mon âge. Je suis élue locale en milieu rural depuis 1989. J'ai donc réussi une grande partie de mon parcours sans l'appui de la loi. J'avais la volonté de m'engager et j'ai beaucoup travaillé sur le terrain, où j'ai acquis des compétences et où j'ai été reconnue. J'ai été élue maire, puis vice-président de communauté parce que je le voulais et que je me suis battue pour cela. Vient cependant un moment, où la volonté seule ne suffit plus. Je n'ai pu être élue au conseil régional que grâce à la parité qui était imposée sur les listes. Ayant été reconnue comme conseillère régionale, le parcours a été nettement plus facile pour être placée sur la liste des élections sénatoriales. Mon département étant passé au scrutin de liste à la proportionnelle, j'ai crains un temps que les trois sortants partent en ordre dispersé et qu'une chance ne me soit pas donnée, malgré la reconnaissance que j'avais acquise sur le terrain. Je l'ai finalement été et j'ai été élue. Pour cela, Mesdames, je vous remercie.

Je souhaiterais également souligner qu'au niveau local, les femmes élues sont en ordre de marche. Le nombre de mairesses en France est encore peu élevé, mais de plus en plus de femmes accèdent au poste d'adjointe. Je les rencontre régulièrement et je puis vous assurer qu'en 2008, elles seront beaucoup plus nombreuses. C'est en renforçant leur expérience au niveau local qu'elles prendront suffisamment confiance en elles pour réussir progressivement à atteindre les postes les plus haut placés.

S'agissant de l'éducation de nos enfants, je tiens enfin à dire que mes deux filles sont mes meilleurs porte-parole auprès de leurs camarades. Au niveau local, chacun sait maintenant qu'il est tout à fait possible pour une femme d'accéder aux fonctions politiques, même au niveau national.

Madame Dominique GILLOT

A travers ces différentes interventions, j'entends la confirmation des conclusions tirées par l'Observatoire quant à la nécessité de créer un vivier d'élues, qui permette de contrer l'argument le plus fréquemment employé par les responsables politiques concernant le manque de femmes véritablement disponibles, qui ne doutent pas trop d'elles ou qui soient plus compétentes. Cet arsenal d'explications était censé justifier le fait de ne pas choisir de femmes. En réalité, celles-ci sont généralement tout aussi compétentes que les hommes... quand elles ont l'occasion de le montrer. Elles ne le sont d'ailleurs pas toujours, mais en cela, elles ne se différencient pas non plus des hommes.

Je suis donc convaincue que ce vivier, qui est né de la loi sur la parité, c'est-à-dire de l'introduction de l'universalisme sexué dans la Constitution, peut porter ses fruits. Ce vivier n'a cependant une chance de montrer toutes ses richesses que si des contraintes paritaires sont imposées aux commissions d'investiture des partis politiques. Beaucoup de leurs membres considèrent en effet encore qu'« une femme élue est un homme élu en moins ». Il reste, à leurs yeux, de tradition que ce sont les hommes qui exercent le pouvoir, parce qu'ils en ont le temps et qu'ils ont souvent la chance d'être soutenus par une « épouse dévouée ». A l'inverse, il est rarement valorisant pour un homme d'aider son épouse dans des fonctions de pouvoir. Ce problème est donc culturel et ne pourra se régler que par des contraintes, notamment en changeant le regard que nous portons sur l'éducation de nos enfants et sur la manière que nous avons de leur confier des responsabilités.

Je souhaiterais présenter un exemple concret de ce problème. Dans ma commune, un service a souhaité valoriser les actions des jeunes de 10 à 12 ans en leur offrant la possibilité de créer des junior associations. Cinq ont été créées et m'ont récemment été présentées. Les garçons avaient plutôt créé des associations leur permettant d'organiser un spectacle ou un loto pour gagner un peu d'argent et partir en vacances, tandis que les filles se sont orientées vers des actions humanitaires et l'aide aux personnes âgées. Les filles étaient souvent nombreuses, alors que les garçons n'étaient pas plus de quatre par association : un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier. A 12 ans, leur schéma sexué est donc déjà très orienté. Les personnes chargées de les encadrer n'ont cependant pas perçu l'anormalité de ces comportements. Au lieu de les féliciter, je leur ai donc fait passer un certain nombre de messages. Un travail permanent s'avère ainsi nécessaire pour changer les mentalités.

Madame Anne LEGAL

Face à tant de difficultés pour faire accepter la loi sur la parité, nous devrions façonner une loi qui nous permette d'obtenir un résultat immédiat. Nous devons en effet réclamer ce qui est notre droit et, j'ajouterai, notre responsabilité, c'est-à-dire d'obtenir des assemblées délibératives qui soient composées à égalité d'hommes et de femmes. C'est la seule manière pour que les partis s'inclinent. De même que Simone Veil déclarait à l'Assemblée nationale que le Conseil constitutionnel devrait s'incliner, j'estime que les partis doivent s'incliner devant les lois de la République. C'est un scandale qu'ils ne le fassent pas aujourd'hui et c'est même un discrédit de la démocratie qui se paie durement par ailleurs.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle les lois ne seraient plus nécessaires car le problème actuel relèverait des mentalités. La loi est précisément une novation majeure de notre civilisation, qui permet de supplanter la coutume, c'est-à-dire le rapport de force qu'elle représente et qui se transmet de génération en génération. Les femmes doivent par conséquent soutenir la loi afin de contrer le résidu coutumier, qui emprunte à la violence et qui se perpétue.

Pour être efficace, la loi doit être simple : elle doit imposer autant de femmes que d'hommes élus, et ce, non pas dans un but de partage du pouvoir, mais pour permettre aux femmes d'assumer les responsabilités qui sont les leurs à l'égard de la gestion du pays. Grâce à la présence des femmes au Parlement européen, l'Europe est devenue leur affaire. Il faut que cela soit également le cas au niveau des institutions les plus décisionnaires de notre pays. Les femmes doivent gérer avec les hommes, de même que les hommes doivent gérer avec les femmes.

Il n'est pas utile, à mon avis, de peser sur les commissions d'investiture, qui représentent une véritable rente de situation pour les partis. L'enjeu ne réside pas dans les candidatures, mais dans les élus. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que les partis s'organisent pour obtenir le plus grand nombre d'élus sous leur bannière. Il est, en revanche, insupportable que les hommes gardent encore la main sur le système politique et conservent la totalité du pouvoir pour eux. Je suis persuadée que les jeunes finiront par s'habituer à notre présence et seront bientôt étonnés qu'il nous ait fallu autant de temps pour en arriver à la solution la plus simple.

Madame Maïtena BIRABEN

C'est Gisèle Gautier, qui est sénatrice et présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, qui va vous répondre.

Madame Gisèle GAUTIER

J'apporterai un petit bémol à vos propos car la situation n'est, en réalité, pas aussi simple. Je ne suis sénatrice que depuis trois ans. J'ai accédé à ce poste sans l'investiture de mon parti.

Au passage, j'ai choisi d'utiliser le mot sénatrice car j'estime qu'en tant que présidente de la Délégation aux droits des femmes, je devais participer à la promotion des femmes sénateurs. Je respecte cependant tout à fait le choix qu'a fait ma consœur.

Même si cela dépasse quelque peu le cadre des débats de ce colloque, je souhaite dire que la Ve République est arrivée à bout de souffle et qu'il est temps de redonner le pouvoir aux parlementaires. Je suis profondément déçue par notre travail actuel, par le fait que nous empilions les lois sans veiller à la possibilité de les appliquer sur le terrain. Le pouvoir est actuellement entre les mains de l'exécutif, tandis que la discipline de parti conduit très souvent les parlementaires à voter les projets de loi conformément à la volonté du Gouvernement et à admettre que leurs amendements ne soient pas pris en considération. La Ve République ayant ainsi atteint ses limites, j'estime que le fait qu'il y ait, à l'avenir, davantage de femmes au Parlement n'a pas tant d'intérêt que cela, dans la mesure où elles n'en détiendront pas plus de pouvoir. Les femmes doivent s'interroger sur cette question fondamentale au plus vite.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je vous remercie, Anne Legal, pour votre intervention. Je comprends également la parité de la manière dont vous l'avez exprimé et je considère que toutes les femmes devraient afficher la même volonté pour faire progresser la situation. Comme vous, j'observe que nos filles ne comprennent pas toujours pourquoi nous mettons autant de temps pour obtenir nos droits. Il nous faut donc être encore plus déterminées.

Madame Géraldine POIRAULT-GAUVIN

Je suis adjointe au maire du XVe arrondissement de Paris. Je remercie toutes les femmes de la tribune, qui ont permis aux plus jeunes d'entre nous d'arriver en politique avec plus de facilité. J'ai 29 ans et j'ai été élue à 25 ans. Mon arrondissement respecte la parité, puisque sur les vingt adjoints, onze sont des femmes. Je dois en rendre hommage à Edouard Balladur, qui m'a par ailleurs aidée à m'engager.

Le problème actuel réside dans l'application de la loi. Il ne faut pas tout attendre des partis, notamment des bureaux nationaux. La conquête des femmes doit se faire sur le terrain. Elles doivent être présentes partout. J'ai moi-même collé des affiches, servi le café durant les réunions, rédigé des notes pour les candidats et réalisé des programmes. Le fait d'être visible sur le terrain, que les électeurs et les associations vous connaissent peu à peu, induit qu'une décision venant d'en haut qui serait en contradiction avec la réalité ne serait pas acceptée. Il faut avoir davantage confiance dans le suffrage universel. Mon principal message est que les femmes doivent non seulement être compétentes sur les dossiers, mais également être présentes sur le terrain, occuper le maximum de place.

J'ai en outre la chance que mon mari me soutienne. C'est sans doute une question de génération, ma mère m'ayant beaucoup motivé. Il est ainsi très important que les femmes expliquent à leurs filles que tout est possible si elles travaillent. En conclusion, pour réussir en politique, une femme doit avant tout travailler pour faire ses preuves et ne rien attendre des responsables nationaux.

Madame Maïtena BIRABEN

Il ne me semble pas inutile de faire passer le même message à vos fils.

Madame Sandra FREY

Je suis chargée de mission sur la parité au ministère de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Le niveau de l'agglomération pose un véritable problème, car il représente un pouvoir croissant sur les plans économique, politique et financier. Cette question avait émergée l'année dernière lors d'un colloque sur « l'odyssée paritaire » organisé par l'Observatoire et les membres de l'équipe Simone Sagesse (Université de Toulouse le Mirail). Pour l'heure, l'agglomération constitue une véritable nébuleuse. Compte tenu du poids croissant qu'elle représente, il me paraît important de réfléchir à la manière de l'intégrer dans la loi sur la parité.

Paradoxalement, je suis nettement moins inquiète à l'égard des communautés de communes. Etant auteure d'une thèse sur la dimension du genre dans l'engagement politique local (sous la direction de Janine Mossuz-Lavau), j'ai remarqué que les femmes avaient beaucoup moins de difficulté à se faire élire à des postes importants dans les communes rurales. Bien avant la loi sur la parité, les communes de moins de 3 500 habitants présentaient le meilleur taux de féminisation parmi les conseillers municipaux. De fait, les structures intercommunales s'occupent principalement d'institutions comme les maisons de retraite, ce qui profite aux femmes, à qui l'on confie à la fois un rôle traditionnel et une fonction de comptable, qui est fréquemment leur profession par ailleurs.

Madame Aline SAINTE-ROSE

Je suis citoyenne et j'appartiens à l'association Elles Aussi.

Je suis d'accord avec la nécessité de légiférer. Depuis toujours, je suis outrée par le fait que certains hommes entrent en politique à 20 ans et qu'à 80 ans, ils y soient toujours. Je suis persuadée que les femmes n'entrent pas en politique par appétit de pouvoir, mais pour se mettre au service de la communauté. Le jour où la loi sur le cumul et la limite d'âge des mandats sera réellement appliquée, il est probable qu'un turn over normal permette à la nouvelle génération de renouveler nos dirigeants.

Madame Josette CHEVAL

Je suis adjointe au maire de Rouen depuis 2001 et adjointe au maire d'une petite ville depuis 1983. J'ai également été déléguée à l'action féminine du RPR. J'ai quitté l'UMP il y a deux ans, car je n'appréciais plus la manière dont ce parti était conduit. Je n'en reste pas moins gaulliste.

Je souhaite tout d'abord remercier les femmes qui sont présentes, qui ont toutes, de droite comme de gauche, participé à la promotion de la femme sans jamais montrer d'animosité - ce qui devrait servir d'exemple aux hommes.

J'ai rencontré les parlementaires de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances du Sénat. Or, son vice-président, qui est par ailleurs sénateur de Seine-Maritime, a, pour être élu, fait évincer une sénatrice, qui n'avait pourtant pas démérité, puis a conclu une alliance entre l'UDF et l'UMP pour pouvoir garder sa place.

Madame Maïtena BIRABEN

Ne vous privez pas de dire son nom !

Madame Josette CHEVAL

Il suffit de regarder la liste des sénateurs : il n'y en a qu'un en Seine-Maritime. Si cet homme fait partie des personnes qui défendent les femmes, je trouve cela bien désolant !

Madame Marie-Claude RIPERT

Je suis ancienne conseillère municipale d'un petit village du Vexin.

J'ai écouté avec attention les propos qui ont été tenus jusqu'à présent. Toutes les conférencières ont été unanimes pour estimer qu'au niveau des scrutins de liste, la loi sur la parité avait apporté de nettes améliorations, mais qu'au niveau des scrutins uninominaux, elle était sans effet. Pour ma part, je propose à Marie-Jo Zimmermann d'envisager que, lors des élections législatives, les partis doivent, par groupe de deux circonscriptions, présenter à la fois un candidat et une candidate. Ce système permettrait de ne pas modifier le nombre de députés, tout en garantissant une réelle parité. Il me semble que cette piste est à la fois intéressante et facile à mettre en œuvre pour parvenir à un véritable scrutin paritaire lors des élections à l'Assemblée nationale.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je souhaiterais que les spécialistes qui participent ou ont participé à l'Observatoire de la parité répondent à cette question, en particulier Janine Mossuz-Lavau, qui a déjà réfléchi à une telle solution.

Madame Janine MOSSUZ-LAVAU

L'idée qu'aux élections législatives, les partis ne présentent pas un homme ou une femme, mais un tandem, comprenant à chaque fois un homme et une femme, n'est pas nouvelle. Elle me permet au passage de rendre hommage à Françoise Gaspard, qui, avec Anne Legal et Claude Servan-Schreiber, a lancé le combat pour la parité en France, en 1992, avec leur livre Au pouvoir, citoyennes. Liberté, égalité parité. L'historique qui a été présenté en début de séance par les premières rapporteures a fait l'impasse sur cet épisode important.

Pour garantir que les assemblées élues soient composées d'autant d'hommes que de femmes, elles proposaient un tandem dans chaque circonscription. Cela supposait cependant de diviser par deux le nombre de circonscriptions, dans la mesure où il n'est pas possible de multiplier par deux le nombre de députés. Cette solution est donc difficile à faire accepter, car l'idée d'opérer un nouveau découpage effraie au plus haut point les élus. Elle paraît donc idéale, mais est irréalisable en pratique, car je doute fort qu'une majorité à l'Assemblée nationale décide un jour de l'appliquer.

Madame Dominique GILLOT

Je voudrais apporter un commentaire sur l'émergence des femmes dans les collectivités locales. Nous avons vu qu'un vivier de femmes élues était en train de se constituer et que, dans les communes rurales, de plus en plus de femmes prenaient des responsabilités de maire. Je témoigne en outre que dans de nombreux départements, notamment dans le mien, lorsque le maire doit, pour une raison ou une autre, quitter ses fonctions en cours de mandat, c'est souvent une femme qui est élue car elle a gagné la confiance de l'équipe et a fait la preuve de ses capacités de rassemblement et de régulation. Elle l'est cependant aussi parce qu'il est devenu difficile d'être le maire d'une petite commune aujourd'hui, tant la charge de travail est lourde, le besoin d'être toujours disponible est grand et les responsabilités juridiques sont croissantes. Ainsi, de nombreuses femmes s'engagent car cette fonction correspond à une responsabilité et non à un pouvoir. Elle représente un dévouement à la collectivité et aux électeurs qui implique de ne pas se défausser en cours de mandat. Cet élément doit être pris en considération, car s'il est peut-être plus difficile pour une femme d'accéder à des responsabilités politiques par le biais d'un scrutin uninominal, une fois élue, elle est dans une situation plus confortable.

Le fait que le rôle d'élu local, notamment de maire, soit de plus en plus difficile à assumer et que ce poste soit occupé de manière croissante par des femmes, conduit à s'interroger sur une situation où les métiers qui se féminisent sont ceux qui sont à la fois les plus pénibles, qui engagent une responsabilité parfois personnelle et qui sont aussi les moins rémunérés et en voie de dévalorisation, tels que la magistrature, le Barreau, l'hôpital, l'éducation, etc. Une conclusion encore plus inquiétante serait d'en déduire que ces métiers se dévalorisent peut-être justement parce qu'ils se féminisent. Il me semble important que les sociologues et les ethnologues approfondissent cette question et nous fassent part de leurs commentaires.

Il conviendrait en effet d'éviter que, progressivement, les femmes accèdent uniquement aux fonctions politiques les plus difficiles et gèrent les écoles, les maisons de retraite, l'assainissement, etc., tandis que les hommes monopolisent les sièges de député, de sénateur, de président de communauté d'agglomération ou de syndicat intercommunal. Si ces tâches sont exaltantes, il n'est pas normal qu'elles ne soient assumées que par des femmes courageuses.


Madame Maïtena BIRABEN

Nous parlerons, après la pause, du statut de l'élue, de l'égalité professionnelle et de l'égalité salariale.

Je précise que le nom du sénateur UMP de Seine-Maritime, dont il a précédemment été question, est Patrice Gélard.

Deuxième débat :

« De la parité en politique à la culture
paritaire au quotidien »

animé par Mme Maïtena BIRABEN

Présidence de Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, députée

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

En préambule de ce débat, je tiens à remercier Guy Carcassonne de nous avoir rejointes. A l'Observatoire de la parité, comme à la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, il apporte depuis longtemps son expertise précieuse des lois. Je suis heureuse de sa présence, car il est important, pour nous qui votons les lois, mais également pour les citoyens, d'entendre le point de vue de l'expert face aux multiples idées que nous avançons et que nous souhaiterions parfois faire adopter par le biais d'une loi. Si elles ne passent pas le cap du Conseil constitutionnel, notre action sera en effet inefficace.

J'accueille par ailleurs avec beaucoup de respect Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale. A l'instar du Président de l'Assemblée nationale, il a toujours soutenu la place des femmes dans tous les mandats. Au sein de la commission d'investiture, notamment, il a souvent défendu les femmes. Je souhaite donc lui rendre hommage, car s'il y a toujours, comme on l'entend à mots couverts, « une bonne raison de placer un homme », Bernard Accoyer a toujours rappelé qu'une femme était autant capable d'être parlementaire qu'un homme. A l'Assemblée nationale, il veille toujours à leur confier des rapports et à les considérer de la même manière que leurs collègues masculins. Sa présence est un honneur car le fait qu'il participe à ce colloque en tant que président de groupe signifie que le groupe de l'UMP à l'Assemblée nationale soutient la problématique de la parité.

Madame Maïtena BIRABEN

Comme chacun l'aura compris, la parité est une affaire de volonté - pas forcément la nôtre, ni forcément la leur, mais une volonté commune -, qui a du mal à avancer dans les différents secteurs de la société. Nous nous sommes demandés si la politique n'était pas la partie émergée de l'iceberg et si elle ne devait pas conduire plus largement à la mise en œuvre d'une culture paritaire dans la société. Pour y répondre, quelques membres de l'Observatoire de la parité s'adressent à vous, à travers un film.

Retranscription du film vidéo

Madame Janine MOSSUZ-LAVAU

Je suis membre de l'Observatoire de la parité depuis 1999 et j'ai été nommée vraisemblablement en raison des travaux que j'effectue depuis plus de vingt ans maintenant sur les femmes et la politique, sur les femmes dans la société française, et, pour le dire de façon plus moderne, sur le genre - que ce soit dans le champ politique, économique, social ou culturel en France.

Madame Christine FAURÉ

C'est en 1969, à Londres, que j'ai rejoint les groupes féministes. En d'autres termes, je suis chercheure au CNRS, j'ai travaillé sur les femmes - même si ce n'était pas mon unique champ d'étude - et j'étais membre de groupes féministes. Et, il y a quelque temps, l'Observatoire de la parité a jugé bon d'intégrer quelques féministes à ses équipes.

Madame Cristina LUNGHI

Je suis membre de l'Observatoire de la parité au titre des compétences acquises depuis dix ans en qualité de fondatrice de l'association Arborus. Cette association milite activement pour la promotion des femmes dans la prise de décision. Depuis dix ans, elle œuvre à trois niveaux :

- au premier plan, nous sommes un véritable laboratoire d'idées duquel ont émergé plusieurs concepts nouveaux comme le management au féminin ou les valeurs féminines dans l'entreprise, mais aussi hors de l'entreprise. L'un des derniers travaux importants que nous ayons mené portait sur le label « Egalité professionnelle ».

- notre association travaille également sur le champ de l'entreprenariat au féminin.

- enfin, notre troisième champ d'action porte sur l'accompagnement des entreprises en matière d'égalité professionnelle.

Monsieur Dominique THIERRY

Je me suis intéressé à la question de l'égalité professionnelle dans le cadre de mon ancienne fonction. En qualité de délégué général de développement et emploi, j'ai travaillé sur un programme intitulé « L'emploi au féminin ». Il s'agissait de sensibiliser les entreprises à l'égalité professionnelle, à la mixité des emplois, etc. Aujourd'hui, je suis vice-président de France Bénévolat. Je découvre donc que les problèmes d'inégalité dans le monde associatif sont très peu différents de ceux que l'on peut observer dans le monde de l'entreprise.

Madame Catherine LAMOUR

En ce qui me concerne, c'est ma spécialité dans le monde des médias
- j'ai été en effet journaliste puis directrice des documentaires pour la chaîne Canal Plus pendant vingt ans - qui m'a value d'être nommée membre de l'Observatoire de la parité. J'exerce actuellement mon troisième mandat au sein de l'Observatoire.

En tant que journaliste, je me suis réjouie de ce que la loi de 2000 ait institué la parité pour les élections municipales. Quel meilleur sujet en effet que d'aller enquêter dans de petites communes pour comprendre comment les listes respectant ce principe pourraient être constituées. En revanche, mes collègues masculins, de Canal Plus ou d'autres chaînes de télévision, ne faisaient pas preuve du même enthousiasme et de la même excitation. Manifestement, ils ne percevaient pas toute la portée de ce sujet. Il a fallu attendre que la parité soit appliquée aux élections législatives et sénatoriales pour que l'opinion prenne enfin conscience de l'importance de ce qui s'était produit.

Madame Janine MOSSUZ-LAVAU

La loi sur la parité a été votée en juin 2000 et appliquée à plusieurs reprises. Le bilan est toutefois mitigé. En effet, pour les élections à la proportionnelle, c'est-à-dire pour les municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants, les régionales, les européennes et les sénatoriales, la parité est vrai succès. En effet, les partis n'avaient pas le choix puisque toute liste non paritaire présentée n'était pas enregistrée. En revanche, le bilan est extrêmement négatif s'agissant des élections législatives puisque aucune contrainte n'avait été fixée ; les partis pouvaient choisir entre deux options : percevoir moins d'argent de l'Etat ou féminiser leur représentation. Les deux principaux partis qui ont fait élire des députés à l'Assemblée nationale ont opté pour la première solution. Ainsi, l'UMP a-t-elle présenté un peu moins de 20 % de candidates, ce qui s'est traduit par un manque à gagner annuel, d'un peu plus de 4 millions d'euros sur les cinq ans que durent la législature. Le PS, quant à lui, a présenté 36 % de candidates et devra renoncer chaque année à percevoir un peu plus d'un million d'euros. En définitive, aujourd'hui, l'Assemblée Nationale compte 12,6 % de femmes, un chiffre qui nous place toujours dans le peloton de queue de l'Union européenne.

Madame Christine FAURÉ

A mes yeux, la loi sur la parité est une réussite même si nous nous accordons toutes à critiquer les scrutins uninominaux. C'est une réussite qui s'inscrit dans la continuité des mouvements féministes des années 70, même si les acteurs ne le ressentent pas aussi clairement. Selon moi, s'il n'y avait pas eu les mouvements féministes, la technicité électorale de la parité n'aurait jamais pu émerger.

Madame Cristina LUNGHI

La culture paritaire est un véritable enjeu de société ; c'est une valeur que nous devrons porter encore plus fortement, qui devrait nous permettre de devenir de véritables citoyens et citoyennes, à égalité. Elle sous-tend la notion européenne de l'égalité des chances. Cela signifie que nous ne contraindrons pas tous les hommes et toutes les femmes à être au même niveau au même moment ; mais nous aurons cette possibilité d'être libres, d'aller là où nous voulons au moment où nous le voulons, indépendamment des contraintes familiales ou personnelles.

Madame Catherine LAMOUR

Je faisais partie des cadres dirigeants de la maison Canal Plus, mais des cadres dirigeants qui sont des exécutants. Canal Plus, comme les autres chaînes de télévision privées ou publiques d'ailleurs, n'a pas de dirigeant majeur qui siège au conseil d'administration et qui soit une femme. Or, l'arrivée des femmes dans des postes de pouvoir doit être jugée par les organismes de direction généraux. Dès que l'on passe l'étape de la direction générale, du conseil d'administration et du conseil de surveillance, l'on dénombre rarement plus d'une femme ou deux - et encore sont-elles les cautions de l'absence de femmes ! Il m'est arrivé de participer à des réunions où j'étais la seule femme et que l'on me demande de servir le café ! C'est un état d'esprit qui appartient au vingtième siècle. Je ne nourris aucune amertume à cet égard : je pose juste le constat.

Monsieur Dominique THIERRY

On pourrait résumer ainsi la situation : « les femmes font et les hommes dirigent ». Cela n'est fort heureusement pas vrai pour tous les organismes puisqu'il existe des associations de femmes ou créées par des femmes et dirigées par elles. On peut néanmoins regretter que le monde associatif qui devrait enregistrer une certaine avance fonctionne comme les autres cellules de la société, qu'il s'agisse de l'entreprise ou du monde politique - mauvais élève de la classe s'il en est. Il est très choquant de constater que cette inégalité subsiste dans notre monde associatif. Mais aujourd'hui, nous devons faire face à de nombreuses difficultés s'agissant du renouvellement de nos dirigeants. Ceux-ci sont majoritairement des hommes, plutôt âgés. En d'autres termes, nous sommes face à un double risque : celui de la gérontocratie et celui de la phallocratie, ce qui est beaucoup pour le seul monde associatif !

Madame Christine FAURÉ

Je me suis intéressée plus particulièrement à mon secteur, celui de la recherche. La situation y est relativement pitoyable. En effet, tous les organismes internationaux véhiculent l'idée selon laquelle, en France, la recherche et l'enseignement supérieur comptent quelque 30 % de femmes. Ce n'est pas vrai : il y a effectivement 30 % de femmes mais tous grades confondus. En revanche, les premières classes et les classes dites exceptionnelles ne comptent pas plus de 8 à 10 % de femmes. Il y a là un vrai travail à mener dans toutes les branches. Cela ne saurait se faire sans une vraie volonté politique : les privilégiés n'ont jamais abandonné leurs privilèges facilement. Pareille situation ne s'est jamais vue.

Madame Cristina LUNGHI

La mixité apporte à tous les niveaux hiérarchiques - du plus bas au plus haut - un certain nombre d'aménagements du temps de travail, de la compétence, de l'ambiance, de l'ergonomie, de l'adaptabilité. Tout ce qui va dans le sens de la mixité, de l'amélioration de la place des femmes va dans le sens de l'amélioration de la place des hommes, des conditions de travail. Cette notion de parité qui est le fil directeur de cette démarche d'égalité professionnelle s'inscrit pleinement dans une stratégie gagnant/gagnant.

Monsieur Dominique THIERRY

Pourquoi penser que les hommes devraient s'intéresser davantage à la question de l'égalité ? Tout d'abord, parce que je regrette que les hommes à s'y intéresser soient aussi peu nombreux. Je me sens un peu seul parfois. Pourquoi suis-je, moi-même, motivé par ce sujet ? Je vais répondre de manière humoristique plutôt que sociologique : le monde est géré depuis plusieurs millénaires par des hommes et force est de constater que le résultat est assez moyen. On ne pourra pas faire plus mal en donnant davantage de pouvoir aux femmes !

Fin de la retranscription du film et poursuite du débat

Madame Maïtena BIRABEN

Si je résume le contenu du propos : à défaut de faire mieux que les hommes, les femmes ne feront pas moins bien. C'est une première bonne nouvelle !

Avant d'envisager l'égalité (notamment salariale et professionnelle) dans les différents domaines de la société civile, je vous propose de faire un point sur la place des femmes en politique, avant d'aborder plus directement le statut de l'élue.

Madame Emmanuelle LATOUR

Je parlerai des situations concrètes auxquelles les femmes sont confrontées dans les mairies. L'Observatoire de la parité s'apprête à lancer, à la demande de Marie-Jo Zimmermann, deux grands chantiers : l'un sur le statut de l'élue, l'autre sur une approche plus qualitative de la place des femmes au niveau municipal.

L'Observatoire de la parité a réalisé un grand nombre de statistiques sexuées, qui mettent bien en évidence le déficit de femmes dans les scrutins uninominaux. S'agissant des mandats municipaux, nous avons décidé de mettre en place un programme, que nous avons intitulé : « 2001 : l'odyssée paritaire ». Les élections municipales sont les premières, en 2001, à avoir suivi le vote de la loi sur la parité. Cette odyssée paritaire vise à rencontrer les élues dans leur ville et à créer des partenariats au niveau local afin de favoriser une démarche de recherche-action. Le fait de nouer des liens entre les associations locales, les mairies, les conseils municipaux, les délégations aux droits des femmes régionales, etc. doit permettre de recueillir les expériences du terrain et de contribuer à créer une émulation locale.

La parité ayant quasiment été atteinte aux élections municipales et régionales, nous sommes préoccupées par le fait de savoir si les femmes élues ont l'intention de briguer un nouveau mandat. A défaut, un taux élevé de turn over empêcherait une accumulation des expériences et des compétences politiques, qui sont pourtant essentielles pour accéder ensuite à des scrutins uninominaux.

L'odyssée paritaire traversera un certain nombre de villes, de septembre 2005 à fin 2006. Nous serons ainsi en mesure de vous apporter, dès l'année prochaine, des éléments plus précis sur ce que les élues locales vivent au quotidien, ce qu'est leur vision de la politique, les obstacles qu'elles rencontrent, leur volonté éventuelle de poursuivre leur parcours politique et leurs propositions pour adapter les conditions de travail politiques.

Madame Maïtena BIRABEN

Je passe maintenant la parole à Gisèle Gautier, présidente de la Délégation aux droits des femmes du Sénat. Les femmes engagées en politique sont parfois mères, épouses ou salariées - parfois les trois. Pour qu'elles persistent en politique avec une double ou une triple journée de travail, ne faudrait-il pas changer les règles professionnelles de la vie politique ? Je fais par exemple référence aux réunions qui commencent à 21 heures. Avez-vous des propositions qui pourraient améliorer le statut de l'élue ?

Madame Gisèle GAUTIER

En préambule, permettez-moi de remercier Bernard Accoyer pour sa présence parmi nous. Je sais, par Marie-Jo Zimmermann, que vous êtes un ardent défenseur de la cause des femmes à l'Assemblée nationale. Nous en avons heureusement aussi quelques-uns au Sénat. J'en profite pour dire à nouveau ce qui a été déclaré en votre absence précédemment. Comme vous le savez, les présidents de Délégation et de commission auront l'occasion, demain, pendant une heure, de rencontrer M. Dominique de Villepin, notre nouveau Premier ministre. Je souhaiterais que vous soyez le porte-parole de la colère que nous exprimons unanimement vis-à-vis de la dilution du ministère de la parité, qui est perçue comme un déni à l'égard des femmes. Nous avons l'intention de demander au Premier ministre quelle part de sa mission Mme Catherine Vautrin pourra consacrer à la parité. Pour le moment, sa mission n'est absolument pas lisible, d'autant que la présence d'un autre ministère chargé de la cohésion sociale crée la confusion. Si nous rendons hommage au travail effectué précédemment par Nicole Ameline, nous nous demandons en outre si Mme Catherine Vautrin aura le temps de mener à son terme les différentes réformes qui ont été engagées. Pour l'heure, nous considérons que la décision prise constitue une régression, tout en gardant espoir que des améliorations puissent advenir.

De surcroît, le fait que le Gouvernement soit passé de dix à six femmes, sur trente-deux ministres, ressemble, à nos yeux, fortement à une récidive par rapport au précédent des « Juppettes » - même si nous n'aimons pas employer ce terme. Cette succession d'éléments suscite nos plus vives inquiétudes. Nous les évoquerons lors de notre entretien avec le Premier ministre.

Nous parlerons également des grands chantiers qui s'ouvrent devant nous, tels que la loi sur l'égalité salariale, qui a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale et devrait prochainement l'être par le Sénat, même si le texte est perfectible. Une loi devra également porter sur la présence des femmes dans les exécutifs des assemblées territoriales, en particulier dans les mairies, qui représentent la base même de la démocratie et de la citoyenneté, mais aussi dans les régions, les départements et les structures intercommunales, où les transferts de compétences ont été nombreux. Tant que des efforts ne seront pas faits pour aider les femmes à accéder à ces postes, celles-ci n'auront pas toute la place qui leur revient. La réforme des scrutins constitue également un grand chantier à ouvrir, de même que les commissions d'investiture et le statut de l'élue.

Pour me présenter rapidement, je souhaiterais indiquer que le fait d'être parlementaire n'est pas donné à tous, car cela exige pugnacité et détermination. J'ai été sollicitée pour être conseillère municipale en 1982 car j'avais créé en 1981 une association de femmes (Femmes Liberté), qui a duré dix ans. A cette époque, cependant, j'avais décliné l'offre, parce que j'avais une vie professionnelle active dans mon cabinet d'études et que je ne me sentais pas capable d'exercer des fonctions politiques. Après réflexion, j'ai cependant considéré que je devais faire preuve de courage et j'ai accepté. Ma liste ne l'a pas emportée, mais j'ai été conseillère municipale d'opposition pendant six ans - ce qui constitue un très bon stage de formation. En 1989, j'ai été élue maire d'une ville industrielle, qui compte 17 000 habitants et 650 entreprises. Je me suis représentée en 1995, où j'ai obtenu un bon score, puis en 2001. J'ai mis un terme à mes fonctions récemment pour des raisons de santé.

Parallèlement, j'ai été vice-présidente du conseil régional, sous le mandat de M. Olivier Guichard. Lors de la législature suivante, j'ai constitué, pour des raisons personnelles liées à la composition de la liste officielle, une liste qui a été qualifiée de dissidente. Alors que tout le monde me déconseillait cet acte, qualifié par certains de « suicidaire », j'ai emprunté 800 000 francs à la banque, tout en sachant que je courais le risque - que m'a bien souligné mon banquier - de ne pas franchir la barre des 5 % de voix me permettant d'être remboursée. J'ai persévéré, malgré les difficultés, et j'ai finalement obtenu 11 % de voix. J'ai contribué à l'élection de François Fillon et j'ai donc été nommée vice-présidente du conseil régional.

Lors des élections sénatoriales, j'avais été placée à la deuxième place sur la liste, mais, pour des raisons d'arrangement, j'ai été exclue, sans même avoir été avertie. Je suis allée voir des maires pour composer une liste et j'ai eu la chance d'être élue, alors que la fonction de sénatrice ne faisait absolument pas partie de mon plan de carrière.

Mon parcours est atypique. Je le dois à mes convictions fortes, mais aussi à mes nombreux amis et alliés, qui m'ont permis d'être aujourd'hui parlementaire. J'en suis fière, même si ce n'était pas au départ le but que je m'étais fixé.

J'en viens maintenant au statut de l'élue. Le 7 mars 2004, le Président du Sénat, Christian Poncelet, a organisé un colloque sur la démocratie locale. Je lui avais proposé deux ans auparavant l'idée de faire venir des femmes. Il s'était montré au départ sceptique, puis a accepté. Nous avons en effet la grande chance, au Sénat, d'avoir un Président qui nous écoute. Le 7 mars, s'est donc tenu un colloque, intitulé : « La condition féminine à l'épreuve des responsabilités électives municipales ». A notre grande surprise, près de 1 700 femmes maires ont répondu à l'invitation. Un questionnaire leur avait été adressé sur leurs attentes, les freins qu'elles rencontraient et les possibilités d'amélioration qu'elles voyaient pour exercer leur mandat. Les femmes sont le mieux représentées dans le monde rural, puisque 88 % des femmes élues sont maires de communes de moins de 1 500 habitants. Elles ont exprimé leurs grandes difficultés, notamment pour concilier leur vie personnelle, leur vie professionnelle, leur vie politique, leur vie familiale, mais aussi leur vie sociale, c'est-à-dire les loisirs, auxquels les femmes ont droit, mais qui sont rarement évoqués.

Alors qu'en 2001, Jean-Paul Delevoye avait rédigé un très bon rapport sur le statut de l'élu, il me semble que nous devons aujourd'hui nous pencher sur le statut de l'élue. La distinction entre le statut de l'homme élu et celui de la femme élue me paraît importante pour plusieurs raisons.

La première tient à la différence de formation. Les femmes n'étant pas fréquemment présentes dans les instances de pouvoir et les lieux de décision, elles éprouvent souvent des difficultés à prendre la parole en public. Lorsque j'ai été élue maire et que j'ai dû pour la première fois remettre un trophée à une association sportive, je tremblais et je n'ai pu prononcer qu'une seule phrase. Je me suis sentie incompétente et me suis promis que, la fois suivante, je ferai l'effort de prononcer deux phrases, jusqu'à ce que je parvienne à bien m'exprimer en public. L'école du terrain est cependant difficile, tandis que les formations spécialisées sont rares, chères et demandent d'avoir du temps à leur consacrer. Seuls quelques partis politiques forment leurs candidats, mais la plupart ne leur apportent aucune aide. Il y a là un manque important, car, quel que soit le contexte, c'est celui qui prend la parole, qui est capable de défendre son point de vue, de dénoncer, d'exprimer ses accords et ses désaccords, qui prend le pouvoir. Il est donc essentiel d'apprendre aux femmes maires, des petites comme des grandes communes, à exprimer leur pensée, de la manière synthétique et pragmatique dont elles font preuve en général.

Les femmes manquent également généralement de culture politique. Les hommes en ont peut-être par essence...

Une partie de la salle manifeste son désaccord.

C'était mon cas, mais aussi celui de nombre de mes adjointes et conseillères municipales, car nous n'appartenions pas à un parti. Cette culture peut s'acquérir rapidement, mais elle est nécessaire. Alors que la loi du 6 juin 2000 commence tout juste à être appliquée, nous devons éviter le risque que certains nous reprochent de ne pas être à la hauteur, car nous ne sommes pas suffisamment formées. Nous devons rattraper notre retard, en nous formant. C'est pourquoi je pense que le droit à la formation devrait être inscrit dans le statut de l'élue.

Une formation devrait également être prévue à la gestion d'une collectivité. Même si la structure administrative est déjà bien organisée, il n'est pas évident de savoir la gérer. Cela s'apprend.

Madame Maïtena BIRABEN

Pour savoir ce qu'il est possible d'envisager sur le plan juridique pour faire avancer le statut de l'élue, Guy Carcassonne, qui est Professeur de droit public à l'Université Paris X-Nanterre, va nous dire si la solution consiste tout simplement en une refonte du droit français.

Monsieur Guy CARCASSONNE

Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'aller jusque-là.

Je vous prie tout d'abord de m'excuser pour mon retard, qui est dû au fait que j'assiste à des soutenances de thèses à Bordeaux. Je suis ravi d'être là, comme je l'ai toujours été de participer aux réunions consacrées à la parité, étant un défenseur de longue date de cette cause.

De la parité à la culture paritaire au quotidien, on peut dire, pour une fois, que la politique est exemplaire. Aucun autre secteur de la société n'a accompli un effort comparable au monde politique, qui a été jusqu'à modifier la Constitution et imposer la parité sur les listes électorales. Il n'en va pas de même dans le monde des associations, dans l'entreprise ou dans la fonction publique. Un vibrant hommage doit donc lui être rendu, même s'il est vrai que les personnes qui participent à ce colloque l'y ont beaucoup aidé. Aujourd'hui, les résultats sont tangibles. Si, en règle générale, les responsables politiques ne justifient pas toujours d'être félicités et les politiques qu'ils conduisent encore moins, il faut reconnaître que la loi sur la parité a produit les effets qui avaient été annoncés. La moitié des conseils municipaux et des conseils régionaux est désormais composée de femmes, tandis que celles-ci constituent une forte délégation au Parlement européen. Pour une fois, nous ne devons donc pas bouder notre plaisir. Il y a quelques années, lorsque certaines d'entre vous se sont engagées sur cette voie difficile, la plupart n'auraient pas parié sur une issue aussi rapide et aussi favorable.

Il est également évident que des progrès restent encore à faire. Sur ce sujet, le consensus est facile à obtenir, en tout cas dans cette enceinte. Je pense qu'ils finiront par aboutir. Il faut cependant accepter qu'un minimum de temps s'écoule pour que les mécanismes mis en place portent leurs fruits. Après tout, depuis que la Constitution a été révisée et la loi adoptée, il n'y a eu qu'une seule élection des conseils municipaux, des conseils régionaux et du Parlement européen. Lors des prochaines échéances, il est évident que, le principe de parité étant entré dans les mœurs, les mécanismes s'enclencheront de la manière la plus naturelle. Dans les autres domaines, où des progrès restent à accomplir, je pense qu'ils verront le jour progressivement.

S'agissant plus précisément des élections législatives, je propose depuis plusieurs années une formule pour parvenir à la parité. Je suis d'ailleurs persuadé que cette proposition verra le jour tôt ou tard. J'ai déjà attendu vingt ans pour voir l'adoption du quinquennat, quinze ans pour la parité, je peux attendre quelques années encore pour que cette solution soit reconnue.

La méthode est simple : plutôt que de se contenter de pénaliser les partis qui ne présentent pas suffisamment de candidates, il faudrait que les économies réalisées par ce biais profitent aux partis qui ont fait l'effort de respecter la parité. Jusqu'à présent, tous les partis font un arbitrage entre les pénalités et l'inscription de femmes sur leurs listes et en déduisent qu'il est préférable de choisir moins de candidates car il est plus facile de calibrer un budget en fonction de l'argent que l'on compte obtenir (même si la somme est finalement moins élevée) que de « calibrer » des élues. Tant qu'il ne s'agit que de renoncer à de l'argent, l'arbitrage reste tolérable pour la plupart des formations politiques. Si, en revanche, il était décidé que cet argent serait donné aux partis concurrents, l'arbitrage antérieur deviendrait intolérable. La solution idéale consiste donc à miser sur la compétition. L'UMP et le PS peuvent faire le sacrifice de quelques millions d'euros par an. En revanche, si les deux grands partis français apprennent qu'ils iront au Front National ou aux petites formations de gauche et de droite, leur décision sera toute autre.

Madame Maïtena BIRABEN

Cela ne pose-t-il pas problème de récompenser ceux qui appliquent la loi ?

Monsieur Guy CARCASSONNE

Non, cela ne me paraît pas gênant, dans la mesure où cela permet de pénaliser des « multirécidivistes ». Plutôt que de constater, en se lamentant, que les partis continuent à enfreindre la loi, il me semble préférable d'y remédier.

Une participante

Cette solution ne porte-elle pas en germe un risque d'entente ou de trust entre les partis ?

Monsieur Guy CARCASSONNE

Si ce risque existe, il me paraît plus utile de ne pas en tenir compte, si le résultat en est une meilleure application de la loi. J'ai, de surcroît, du mal à imaginer que la plupart des formations politiques prennent part à des ententes ou à des trusts. Encore une fois, si les deux principaux partis que sont l'UMP et le PS, en ne procédant pas de la manière dont la loi les invite, subissent de lourdes pénalités et que le produit est distribué à tous les petits et moyens partis, il est certain que, souffrant déjà beaucoup de la concurrence de ces derniers, ils ne poursuivront pas longtemps sur cette voie.

Si quelqu'un avance une meilleure proposition, je suis preneur, mais, jusqu'à ce jour, je n'ai pas entendu parler d'une solution qui m'ait parue susceptible d'être aussi opérationnelle. Je rappelle donc celle-ci, dont je suis certain qu'elle sera adoptée tôt ou tard. Autant faire en sorte que ce soit tôt plutôt que tard.

Je suis, comme vous, sensible à la diminution du nombre de femmes au Gouvernement, mais tant que le moyen d'accroître la participation des femmes aux assemblées parlementaires n'aura pas été trouvé, le problème continuera de s'accentuer au niveau du Gouvernement. Notre système conserve en effet des traditions de démocratie parlementaire, qui induisent que les assemblées constituent le vivier naturel de recrutement des membres du Gouvernement. Pour qu'il y ait plus de femmes au Gouvernement, il faut donc commencer par leur permettre d'accéder en nombre au Parlement. Je suis convaincu que nous n'y parviendrons pas réellement tant que nous n'aurons pas mis au point un dispositif tel que celui que j'évoquais.

Celui-ci mériterait en outre d'être assorti d'une disposition - qui aura par ailleurs l'avantage de dissiper les états d'âme que l'on peut avoir à l'idée de donner une prime à ceux qui respectent la loi -, qui prévoie que le produit des pénalités soit réparti, non pas en fonction du nombre de candidates présentées, mais en fonction du nombre de députées élues. En clair, ceux qui respectent la loi sont éligibles à la prime, qui est, après les élections, divisée au prorata des femmes effectivement élues. Cette idée étant à la fois simple et, je le crois, efficace, je vous invite à la soutenir.

Madame Maïtena BIRABEN

Je vous remercie. Le prochain domaine que nous allons aborder est celui de l'égalité professionnelle. Catherine Génisson, auteure d'un rapport sur l'égalité entre les hommes et les femmes et de la proposition de loi sur l'égalité professionnelle, devenue la loi du 9 mai 2001, va nous présenter un point d'étape de son application.

Madame Catherine GÉNISSON

Je souhaiterais tout d'abord réagir à la proposition de Guy Carcassonne. Je suis choquée par le fait d'associer les femmes à une logique de prime, plutôt qu'à une logique de pénalisation. Dans le dernier dossier que nous avons étudié sur l'égalité salariale, il était également prévu une prime aux entreprises dont les salariées partaient en congé maternité. Ce système de prime - « à la femme qui accouche », par exemple - me gêne beaucoup. Je pense en outre que l'effet de cette proposition sera nul. En effet, dans la mesure où ce dispositif récompenserait des partis dont le but n'est en réalité pas d'envoyer des femmes, ou même des hommes, au Parlement, je ne vois pas comment il pourrait être efficace.

Monsieur Guy CARCASSONNE

Il revient tout simplement à récompenser la vertu avec l'argent prélevé sur le vice.

Madame Catherine GÉNISSON

Je suis d'accord, mais il est de notoriété publique que la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière, par exemple, ne sont pas dans une logique qui les conduise à vouloir gouverner. Ils ne présentent des listes paritaires que parce que la loi les y pousse et qu'ils ne peuvent pas se permettre financièrement de payer des pénalités. Ce dispositif ne jouera donc qu'à la marge.

Madame Dominique GILLOT

La mesure proposée par Guy Carcassonne vise seulement à récompenser les partis en fonction du nombre de femmes élues. Par conséquent, les petits partis qui ne présentent des candidates que pour la forme ne récupéreront pas la manne. En revanche, la menace qui pèse sur les partis qui ne respectent pas la loi est évidente. Ce mouvement mérite donc d'être amorcé, sans qu'il ne présente de risque par rapport aux petits partis qui ne s'engagent pas pour prendre des responsabilités ou être au Gouvernement. Cette prime aux élues et non aux candidates correspond parfaitement aux propos qui ont été tenus précédemment sur la nécessité d'instaurer une contrainte pour obtenir une parité de femmes élues et non de femmes candidates. Ce système pénalise les partis qui ne présentent pas suffisamment de candidates et récompensent ceux qui ont fait élire des femmes.

Madame Maïtena BIRABEN

Nous allons maintenant engager un débat sur le statut de l'élue.

Madame Mariette SINEAU

Il me semble qu'il y aurait une autre façon de repenser le mode d'imputation des pénalités. Le financement dévolu aux partis politiques au moment des élections est de deux ordres. Or les pénalités ne pèsent que sur le premier volet, c'est-à-dire sur le nombre de voix obtenues au premier tour et non sur le second, qui correspond au nombre d'élus. Sur cette base, le calcul cynique que font les partis consiste à parier sur le plus grand groupe parlementaire possible, en ne présentant que les sortants et des notables (le maire de la plus grande ville de la circonscription, le président du conseil général, etc.) et en écartant les femmes. Le montant de leur financement est ainsi nettement plus élevé. La solution pour contourner ce biais consisterait ainsi à imputer les pénalités sur l'ensemble du financement public des partis.

Monsieur Guy CARCASSONNE

Cette idée est complémentaire de la mienne. J'espère cependant qu'un jour, le cumul des mandats sera totalement interdit aux députés. J'écarte a priori les sénateurs de cette interdiction car, étant les représentants des collectivités locales de la République, il n'est pas malséant qu'ils cumulent des fonctions locales et nationales. De plus, lorsque le cumul existe à l'étranger, il ne l'est jamais dans la première chambre, car ce serait une aberration.

Force est de constater qu'en France, le cumul des mandats génère de nombreux effets pervers, parmi lesquels le blocage de candidatures féminines plus nombreuses. Si la loi sur le non-cumul des mandats pour les députés était adoptée, je suis convaincu que l'image traditionnelle du président de conseil général qui se présente pour maximiser les chances de succès de son camp disparaîtrait aussitôt. Il n'en demeure pas moins qu'entre la proposition que vous formulez et la mienne, il n'y a aucune incompatibilité. Au contraire, elles se renforcent mutuellement.

Madame Béatrice NOËLLEC

J'exerce les fonctions d'assistante parlementaire.

Je souhaite vous faire part de quelques réflexions plus générales sur les freins psychologiques des femmes.

On entend souvent dire qu'il est difficile de trouver des femmes disponibles, que ce soit en politique ou dans d'autres domaines. Hormis le fait qu'un homme politique qui ne serait pas capable de mobiliser ce qui constitue 52 % de son électorat devrait se remettre en question, je considère que de tels propos participent également d'un processus plus général de culpabilisation des femmes, qui est malheureusement souvent efficace. Je citerai trois exemples de cet effet pervers :

- le refus des femmes de féminiser les titres, les mandats et les fonctions, alors que, comme chacun le sait, le langage structure la pensée, et donc, l'action ;

- le fait de nier que les femmes souhaitent conquérir le pouvoir, alors qu'il n'y a rien de mal à cela, tant que cette démarche s'accompagne d'une éthique ;

- le déterminisme culturel qu'induisent souvent les choix d'orientation scolaire des filles, qui conduit souvent celles-ci à limiter elles-mêmes leur horizon professionnel.

Ce sont là autant de freins psychologiques qu'il s'agit de vaincre, pour empêcher que les femmes soient parfois les pires ennemies de leur propre cause. Les actions doivent notamment être menées auprès des petites filles et des jeunes filles. Celles-ci pensent en effet trop souvent que ce combat est dépassé, alors que rien n'est jamais acquis, comme l'a démontré le sommet de Johannesburg, au cours duquel le lobby conservateur a montré qu'il était prêt à toutes les régressions à l'égard des femmes. Les jeunes générations doivent prendre conscience que le combat n'est jamais achevé et que tout s'acquiert de haute lutte.

Madame Maïtena BIRABEN

Selon vous, ces actions relèvent-elles du domaine de la décision politique ?

Madame Béatrice NOËLLEC

Oui, cette problématique est sans aucun doute du ressort du politique.

Madame Maïtena BIRABEN

Notre nouvelle ministre a donc beaucoup de travail devant elle.

Je souhaiterais que Catherine Génisson nous dise maintenant quelques mots de l'égalité professionnelle, sujet ô combien important.

Madame Catherine GÉNISSON

Le monde du travail est marqué par une forte inégalité entre les hommes et les femmes. En effet, alors que la majeure partie d'entre elles travaillent, celles-ci ne rencontrent pas le même traitement que les hommes, en particulier sur le plan salarial. Sans être le principal critère, les différences salariales sont particulièrement éloquentes - et faciles à mesurer. Ainsi, plus les femmes avancent dans leur carrière, plus l'inégalité salariale augmente. Celle-ci est de 25 % à 30 % pour les postes les plus élevés.

L'inégalité professionnelle se mesure également à l'aune des métiers qui sont exercés par les femmes. On les retrouve essentiellement dans les professions intermédiaires et les services (où elles représentent 75 % des effectifs), mais très peu chez les cadres (elles sont près d'un tiers, mais seulement 7 % à exercer des fonctions de dirigeant et à être chef d'entreprise). Elles sont également peu présentes dans les fonctions à valeur ajoutée, y compris parmi les cadres, où elles sont plus souvent directrice des ressources humaines que directeur financier.

L'inégalité se renouvelle, de même, au niveau de l'accès aux formations. Ceci est plus particulièrement vrai dans les petites et moyennes entreprises où les femmes travaillent majoritairement. Là, à âge et qualification équivalents, elles ont deux fois moins de chance que les hommes d'accéder à la formation professionnelle tout au long de la vie. Ce phénomène est accentué par le fait que, alors que ce sont généralement les plus formés qui prétendent le plus facilement à une formation et qu'au niveau de la formation initiale, les filles sont plus nombreuses et réussissent mieux aux examens, elles suivent fréquemment les filières littéraires et socio-économiques plutôt que scientifiques, ce qui les restreint dans leur choix d'études supérieures et de carrière.

Même si des mesures doivent être prises, au niveau de l'entreprise, pour contribuer à réduire cette inégalité, ce n'est pas uniquement comme cela qu'elle sera résolue. L'orientation des filles et des garçons au moment de la formation initiale est un sujet majeur, qui rejoint la nécessité de changer les schémas culturels. Là encore, ce n'est pas seulement à l'école que cette question pourra progresser. Il est essentiel que les parents, en particulier les mères, se mobilisent.

Il convient, enfin, de trouver de meilleures possibilités d'articuler les temps de vie. Comme cela a été indiqué précédemment, l'un des obstacles auxquels se heurtent les femmes qui souhaitent faire de la politique tient à leur manque de disponibilité. A cet égard, il ne s'agit cependant pas uniquement d'améliorer les contraintes des femmes par rapport à leur vie familiale et privée, mais de prendre en compte les temps de vie des hommes, comme des femmes. De ce point de vue, il s'agit plus généralement de se situer dans une logique, non pas de réparation ou de protection, mais de promotion de l'égalité. C'est l'objectif qui doit nous guider dans les réformes que nous souhaitons instaurer. A mes yeux, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes passe aujourd'hui moins par une loi, qui ne peut être améliorée qu'à la marge, que par la manière de conduire autrement les politiques en général.

Par ailleurs, l'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes se traduit dans le recours au temps partiel subi, qui représente un véritable fléau qui touche essentiellement les femmes. Sur 3,5 millions de salariés à temps partiel, 80 % sont des femmes, parmi lesquelles un grand nombre deviennent des travailleuses pauvres. Il s'agit donc d'un enjeu important, qui ne doit pas être occulté par celui, plus général, de l'inégalité entre les hommes et les femmes.

Madame Maïtena BIRABEN

Nous allons maintenant aborder avec Mme Zimmermann la question de l'inégalité salariale, en rappelant que le temps partiel pèse lourdement dans le calcul des écarts de salaire.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Depuis 2002, mon combat a consisté à faire appliquer la loi du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle. Le nouveau projet de loi relatif à l'égalité salariale, qui a été adoptée par l'Assemblée nationale ne représentera un réel complément que s'il est amendé. Je souhaite vivement que les amendements qui ont été adoptés par l'Assemblée nationale soient repris par le Sénat.

Dans l'entreprise, le pouvoir se situe surtout aux niveaux des membres du conseil d'administration, du comité d'entreprise et des délégués syndicaux. C'est dans ces instances que les efforts doivent être faits pour faire progresser l'égalité salariale. Catherine Génisson a par ailleurs tout à fait raison de mettre en avant le travail à temps partiel. La Délégation aux doits des femmes à l'Assemblée nationale l'a particulièrement pointé l'année dernière.

Lorsque l'Assemblée nationale a engagé le débat sur l'égalité salariale il y a trois semaines, c'est également un des sujets majeurs qui a été évoqué. Nous devons particulièrement insister sur le temps partiel dans nos actions de promotion de l'égalité salariale, car le salaire découle du parcours professionnel ; or, celui-ci est biaisé lorsque le temps partiel est subi. Comme Nicole Ameline, je pense qu'il n'est pas souhaitable d'inclure la problématique du temps partiel dans le nouveau projet de loi. En revanche, je souhaite qu'elle soit pleinement prise en compte par le législateur. C'est l'un des points que je compte aborder lors de mon prochain entretien avec le Premier ministre, car la question de l'emploi englobe celle de la grande précarité à laquelle les femmes sont le plus souvent soumises du fait du travail à temps partiel. Celui-ci fait donc partie des problèmes liés à l'emploi, que les parlementaires doivent contribuer à résoudre par la loi.

Il est d'autant plus important, à cet égard, que les assemblées comptent davantage de femmes. Si la loi sur la parité a permis quelques progrès, le nombre de représentantes élues à l'Assemblée nationale est toujours insuffisant, alors que c'est dans cette instance que les problèmes des femmes doivent être pris en considération et débattus.

Quant à la proposition formulée par Guy Carcassonne, j'y adhère, pour ma part, et j'entends que l'Observatoire de la parité soit plus combatif pour promouvoir de telles solutions. Comme aux autres rapporteures, je demande à Guy Carcassonne de se joindre à nos efforts pour faire avancer ces combats.

Madame Anne LEGAL

Je suis étonnée que M. Carcassonne estime qu'il faille saluer le monde politique pour s'être interrogé sur la place des femmes avant les autres secteurs de la société, car il s'est certes remis en question, mais très tardivement, en particulier en comparaison avec les autres pays européens, par rapport auxquels la France continue d'être dans le peloton de queue.

M. Carcassonne considère par ailleurs qu'il faut laisser passer du temps avant que la loi entre dans les mœurs et qu'elle soit pleinement appliquée. J'ai toujours entendu ce discours sur la nécessité d'être patiente. L'expérience a pourtant montré que le temps n'y faisait rien. De plus, le contexte actuel montre qu'il est devenu dangereux d'attendre, car un risque fort de contestation pèse sur la démocratie.

Il a par ailleurs été question des compétences. Je pense, comme Gisèle Gautier, que de nombreuses élues manquent effectivement de certaines compétences. En particulier, elles devraient mieux maîtriser les tâches essentielles de gestion (les finalités, le fonctionnement, les personnes concernées, la durée, le langage, etc.), qui sont aussi importantes, si ce n'est plus, que la connaissance des lois et règlements.

Je ne partage donc ni l'optimisme de M. Carcassonne, ni son commentaire sur l'esprit plus inventif du monde politique. Je considère que la loi sur la parité est arrivée bien tard et que la guerre n'est pas encore gagnée.

Monsieur Guy CARCASSONNE

Il est évident que cette loi est venue tardivement, c'est d'ailleurs pourquoi j'ai fait partie des rares militants de ma corporation à m'être battu pour qu'elle advienne.

Par ailleurs, pour comparer la situation en France avec celle qui prévaut dans d'autres Etats européens, il faut utiliser des critères pertinents. La plupart de ces pays élisent leurs représentants uniquement au scrutin proportionnel, ce qui pose moins de problème. Je suis convaincu que si la France avait, elle aussi, organisé l'ensemble de ses élections sur ce mode, la parité aurait été acceptée beaucoup plus précocement. On constate d'ailleurs que le Royaume-Uni enregistre un retard similaire à celui de la France, car il s'agit justement du seul autre pays de l'Union européenne où les élections sont organisées au scrutin majoritaire uninominal. La relation de cause à effet est, selon moi, absolument évidente. D'ailleurs, lorsque la France a décidé de s'attaquer au problème, elle n'a accepté de n'imposer le principe de la parité qu'aux élections à la proportionnelle et non à celles respectant un scrutin uninominal. Ma démonstration ne vise pas à dédouaner notre pays et les hommes politiques de leurs responsabilités, mais à ramener à leur juste mesure les efforts que les autres Etats européens ont pu accomplir.

Quant à la formation des femmes, je ne suis pas tout à fait d'accord avec les propos tenus par Gisèle Gautier. Je pense que de nombreuses élues peuvent effectivement avoir besoin de certains compléments de formation pour assurer leurs tâches, mais ce manque de compétences est une réalité autant chez les hommes que chez les femmes.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Je vous remercie de nous avoir fait part de vos réflexions et je compte sur votre intervention future à l'Observatoire de la parité pour les soutenir encore davantage.

Madame Maïtena BIRABEN

À Martine Lignières-Cassou, qui est députée de Pau et était présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale avant Marie-Jo Zimmermann, je souhaiterais adresser une question simple : où se situe, selon vous, la priorité aujourd'hui ?

Madame Martine LIGNIÈRES-CASSOU

La question de la parité représente un véritable projet de société, quel que soit le secteur. Le monde politique n'est pas le seul avoir du retard. Tous les secteurs sont concernés. Or la difficulté des Français à admettre que des femmes puissent être des citoyennes à part entière est liée à la répartition des rôles dans la sphère privée, où, force est de le constater, il n'y a pas eu d'évolution. Alors que nous sommes capables de nous révolter contre l'inégalité flagrante qui marque le monde politique et l'entreprise, nous ne disons mot des inégalités à l'intérieur de la famille - qui est pourtant le support des deux premiers.

Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, il n'est pas possible de légiférer sur la sphère privée, qu'il s'agisse du partage des tâches ou des rôles. Nous pensons cependant à tort que le Parlement, seul, est en mesure de porter le débat public, alors que la société civile a son rôle à jouer, notamment à travers les associations, pour favoriser cette éducation populaire. De ce point de vue, nous nous privons d'un outil important.

En deuxième lieu, les mouvements féministes sont en France à la fois peu nombreux et divisés, si bien qu'ils n'alimentent pas le débat public, qui reste atone, autant dans les associations que dans les médias. De surcroît, il est probable que les militantes elles-mêmes n'ont pas su transmettre l'enjeu de la parité à leurs enfants. Cela s'explique sans doute par la gêne à aborder des questions intimes. Il n'en demeure pas moins que ce problème non réglé suscite des blocages à tous les niveaux. Qu'il s'agisse de la prise de responsabilités dans le monde politique ou associatif, de l'égalité salariale ou professionnelle, la question de fond à laquelle les femmes se heurtent est celle de la répartition des rôles entre l'homme et la femme et de la possibilité pour chacun d'entre eux d'être sujet.

L'effet pervers de cette approche réside dans le fait de traiter les problèmes de biais. Par exemple, en matière d'égalité professionnelle, la voie de contournement consiste à faciliter la vie des femmes qui travaillent en développant les services à la personne. Or, cette solution ne fait qu'accentuer les inégalités entre les femmes elles-mêmes. En effet, les femmes qui auront suffisamment de moyens financiers salarieront d'autres femmes pour s'occuper de ces tâches, à temps partiel et dans des conditions précaires, tandis que ces dernières n'auront non seulement pas la possibilité de faire faire leurs propres tâches ménagères par quelqu'un d'autre, mais elles n'auront pas non plus, en général, un conjoint qui acceptera de les prendre en charge (au moins en partie) à leur place.

La parité en tant que véritable projet de société exige non seulement que l'entreprise accepte que les pères prennent leur part dans la vie de la famille, mais également que les hommes eux-mêmes acceptent d'endosser ce rôle. Nous avons donc tout intérêt à remettre cette question au centre des débats, si nous voulons améliorer la condition des femmes à tous les niveaux. Je rappelle qu'en vingt ans, les hommes n'ont endossé que douze minutes de travail domestique supplémentaires...

En conclusion, il convient de ne pas réduire cet enjeu à une question d'éducation, c'est-à-dire à la sphère privée, mais de le replacer au cœur des questions à débattre avec les organisations syndicales, les médias, les associations, c'est-à-dire au sein de l'espace public.

Madame Jacqueline MARTIN

La représentation des rôles sociaux féminin et masculin est un chantier qui court depuis vingt ans. Ainsi, la volonté manifestée par le premier Gouvernement de François Mitterrand de réformer les manuels scolaires ne s'est toujours pas traduite dans les faits. Avec François Simon, je me suis présentée aux dernières élections municipales de Toulouse avec un projet de cet ordre. N'ayant pas été élue, je lance un appel à tous les élus présents aujourd'hui.

Dans la mesure où les conseils municipaux financent les manuels scolaires, mais où l'édition est un marché libre, les femmes nouvellement élues en nombre dans ces conseils pourraient engager une politique incitative à l'attention des éditions scolaires et des enseignants, afin d'aborder enfin ce problème de fond. Il s'agit non seulement de faire évoluer le partage des tâches, mais également de permettre aux filles de ne plus se sentir dévalorisées face aux garçons, en particulier lorsque les efforts accomplis en matière d'orientation les amènent à être deux sur quarante dans certains BTS. L'enjeu des représentations dans les manuels scolaires est par conséquent fondamental. L'Education nationale n'a jamais voulu prendre en compte ce problème, qui est pourtant essentiel et devient aujourd'hui urgent.

L'Observatoire de la parité pourrait par ailleurs interpeller l'Education nationale au sujet de la formation des maîtres, car les enquêtes montrent que, dans les IUFM, les étudiants n'ont aucune conscience d'avoir des comportements sexués à l'égard des enfants.

Madame Catherine GÉNISSON

De tels modules existent déjà au niveau de la formation initiale, comme de la formation continue. Il faut toutefois reconnaître que, n'étant pas obligatoires, ces enseignements sont rarement choisis par les étudiants.

Le problème est le même s'agissant des manuels scolaires. En 2000, une charte a été signée entre le secrétariat d'Etat aux droits des femmes et les ministères de l'Education nationale et de l'agriculture (concerné par l'enseignement agricole) indiquant la nécessité de prendre des mesures, en particulier en matière de manuels scolaires. Comme le notait Martine Lignières-Cassou, lorsque toutes les mesures réglementaires possibles ont été prises et qu'elles ne modifient pas la réalité, il devient difficile de savoir comment agir. C'est cette question que nous devons nous poser. Faudra-t-il pénaliser les instituteurs ?

Madame Réjane SÉNAC

J'ai été secrétaire générale de l'Observatoire de la parité et je suis maintenant enseignante. L'intervention de Martine Lignières-Cassou sur la politisation de la sphère privée fait clairement le lien avec les précédentes tables rondes, qui avaient permis de parler de la sexualisation du monde politique. Il est en effet important de souligner que la raison pour laquelle la France a accusé longtemps un net retard par rapport aux autres sociétés européennes est directement liée au cantonnement traditionnel des femmes dans la sphère privée. Comme l'a indiqué Bernard Roman, les pays nordiques peuvent, en la matière, nous servir d'exemple. Ils prouvent que même dans des pays où le féminisme est fort, il est indispensable d'avoir recours aux contraintes légales. Ces pays ont ainsi instauré un congé parental qui est obligatoirement partagé entre les parents. A défaut d'un tel engagement collectif, les femmes de notre génération risquent de devoir se soumettre au mythe de la « super woman », capable de concilier seule tous les temps de vie. Or, j'estime que cette position est loin de constituer un idéal pour les femmes, celles-ci ayant la générosité de partager ces obligations avec les hommes. La mise en place de contraintes partagées permet de porter un projet de société égalitaire et non d'aider les femmes à tout concilier.

Madame Claude AZEMA

Je fais partie de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre hommes et femmes au Conseil économique et social. Nous avons étudié le sujet des manuels scolaires. En particulier, Mme Wieviorka a travaillé sur la représentation des femmes dans les livres d'histoire. Le fait que les événements soient centrés sur les « grands hommes » tend à surdéterminer l'inégalité que nous constatons. Si le ministère de l'Education nationale est capable d'en appeler à une refonte des livres scolaires, non seulement les maisons d'édition n'agissent pas, car elles n'ont pas de commande précise, mais les inspecteurs académiques n'appliquent pas non plus ces recommandations, en particulier parce qu'ils comptent peu de femmes. Il n'y a, par exemple, aucune femme inspecteur général en histoire. La situation est donc bloquée et frôle l'illégalité. Or, il y a une responsabilité collective à ne pas pénaliser les inspecteurs, alors que les manuels déterminent pour partie le destin scolaire des filles.

Madame Emmanuelle LATOUR

Le Conseil économique et social a en effet conduit des travaux sur le sujet, de même que Christine Bard à Angers. Une stagiaire de l'Observatoire de la parité a par ailleurs recensé et analysé la récurrence des femmes dans les livres scolaires. Il apparaît ainsi que la femme la plus souvent évoquée dans les manuels de première économique et sociale est Margaret Thatcher...

Si l'une des missions de l'Observatoire de la parité est de faire office de relais, il devrait, non pas seulement énoncer les mesures à prendre, mais plutôt répertorier celles qui sont suggérées par différents acteurs (chercheurs, associations, élus) et contribuer à l'articulation de ces chaînons pour permettre une optimisation des initiatives locales et nationales et éviter que les mêmes débats se répètent indéfiniment, sans efficacité.

Je laisse la parole à Mme Zimmermann pour la clôture de cette journée, en vous remerciant pour votre présence.

Allocution de clôture

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN,

rapporteure générale

de l'Observatoire de la parité et
présidente de la Délégation

aux droits des femmes de l'Assemblée nationale


Je remercie Roselyne Bachelot, Gisèle Halimi, Martine Lignières-Cassou, Dominique Gillot, Catherine Génisson et l'ensemble des membres actuels de l'Observatoire de la parité. Je voudrais que vous soyez certaines que nous travaillons et que nous avons besoin de vos apports pour continuer à faire évoluer la place des femmes dans la société et dans l'économie.

Nous avons souhaité, avec Françoise Vilain et Gisèle Gautier, mettre en commun nos travaux car, comme l'a souligné Emmanuelle Latour, la réussite de notre combat passe nécessairement par la réalisation d'une symbiose entre la société et le monde politique. Les succès passés reposent sur la mobilisation des unes et des autres.

Je remercie également Claire Bernard, qui travaille à Bordeaux, Réjane Sénac et Emmanuelle Latour, car leur travail d'équipe nous permet d'être une force de propositions. A cet égard, le message que nous a transmis Catherine Vautrin est rassurant, car il indique qu'il n'est pas d'actualité de supprimer notre organisme et que celle-ci nous aidera sans aucun doute à faire passer nos messages.

Je compte par ailleurs sur vous, que vous soyez parlementaires ou élues locales mais peut-être futures parlementaires, pour qu'à chaque débat législatif, nous soyons unies pour mettre en avant le message des femmes.

Madame Maïtena BIRABEN

Nous vous souhaitons bon courage pour votre rencontre, demain, avec notre nouveau Premier ministre.

Madame Marie-Jo ZIMMERMANN

Le Premier ministre a en effet souhaité rencontrer les présidents de commissions et de Délégations. Avec Gisèle Gautier, nous avons la ferme intention de transmettre les réflexions que nous avons eues aujourd'hui avec vous. La présence de Bernard Accoyer durant notre colloque me fait penser qu'elles doivent l'être également au niveau des groupes parlementaires.

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Actes du colloque « Cinq ans après la loi : parité... mais presque » (présidé par Mme Marie-Jo Zimmermann)


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