Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 906

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(2ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
Début des auditions

Mercredi 2 avril 2003 

- MM. Jean-Claude Jouffroy et Dominique David, directeur de cabinet et conseil spécial du Secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer

Mardi 8 avril :

- MM. Jean-Baptiste Massignon et Philippe Leroy, secrétaire général et secrétaire général adjoint du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)

- M. Marc Rochet, ancien président-directeur général d'Air Liberté

- M. Michel Wachenheim, directeur général de l'aviation civile et Mme Danièle Bénadon, directrice des transports aériens

Suite des auditions

Audition de M. Jean-Claude Jouffroy,
directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer
et de M. Dominique David,
conseiller spécial du secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer

Procès-verbal de la séance du mercredi 2 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président,
puis de M. Xavier de Roux, vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur le directeur, il serait opportun que vous puissiez nous exposer la gestion du dossier Air Lib par le ministère des Transports, depuis votre entrée en fonction, avant que nous en venions aux questions

M. Jean-Claude JOUFFROY : Comme vous m'y invitez, monsieur le Président, je vais vous présenter l'action du gouvernement depuis le mois de mai 2002 jusqu'au mois de février 2003, date à laquelle nous avons retiré la licence d'exploitation de la compagnie Air Lib. Je ferai un rappel plutôt chronologique qui vous permettra d'avoir une assez bonne vue, me semble t-il, du dossier.

Au préalable, je dois vous dire que toute l'affaire Air Lib a été extrêmement préoccupante pour Dominique Bussereau, son secrétariat d'Etat aux Transports et à la Mer et les collaborateurs qui s'en occupaient. Elle a beaucoup mobilisé nos énergies depuis pratiquement début juin jusqu'au mois de février. Le gouvernement a été animé par deux préoccupations et pas davantage.

Notre première préoccupation était de tout tenter pour assurer la survie d'Air Lib parce que, grosso modo, 3 000 emplois étaient en cause. Telle a été notre préoccupation constante depuis que nous sommes saisis du dossier.

Notre deuxième préoccupation était celle d'une bonne gestion des deniers publics.

Ces deux préoccupations parallèles étaient un peu divergentes et c'est ce qui a guidé précisément toutes les décisions que nous avons prises. Le gouvernement, dans toutes ses composantes, outre le secrétariat d'Etat aux Transports bien sûr, a poursuivi uniquement et strictement ces deux objectifs.

En étant assez synthétique mais aussi relativement précis sur des dates - les dates et les faits ont leur importance - je scinderai mon propos en plusieurs parties.

Premièrement, la société telle que nous l'avons trouvée à notre arrivée.

Deuxièmement, les décisions du gouvernement avant l'été.

Troisièmement, les décisions du gouvernement à l'automne.

Quatrièmement, les décisions du gouvernement après l'arrivée du seul investisseur potentiel, IMCA.

Cinquièmement, le final.

Qu'avons-nous trouvé à notre arrivée ?

Le gouvernement s'est constitué le 7 mai 2002 et, très rapidement, fin mai-début juin, nous avons été saisis du dossier Air Lib. Nous avons constaté ce que tout le monde sait, mais je le rappelle. Le jugement du tribunal de commerce du 27 juillet 2001 avait décidé la reprise d'Air Lib par Jean-Charles Corbet, mais aussi, je le rappelle car ce point avait été quelque peu oublié, le tribunal avait nommé un mandataire ad hoc pendant la période d'observation, Me Hubert Lafont.

Le tribunal de commerce était d'accord pour que la holding Holco - holding Corbet - participe majoritairement au capital de la société Air Lib avec un certain nombre de filiales. Je n'insiste pas sur ce point car les documents que vous avez le font certainement apparaître.

Nous avons trouvé une entreprise avec les caractéristiques suivantes : 2 576 personnes exactement au 31 de l'année 2001. Il est vrai que les chiffres ont été toujours assez difficiles à obtenir chez Air Lib, moins d'ailleurs sur les personnes que sur les aspects financiers. Disons que le groupe employait aux alentours de 3 200 personnes, mais notre préoccupation était la société Air Lib, de notre compétence directe. Il y avait 33 appareils, tous relativement âgés, affectés à trois domaines : les liaisons avec les DOM, les lignes intérieures et l'Algérie.

M. le Président : Les 33 appareils étaient la propriété d'Air Lib ou la propriété d'autres sociétés ?

M. Dominique DAVID : En fait, certains appareils étaient loués. Il y avait une répartition de ces appareils entre plusieurs propriétaires.

M. le Président : Combien appartenaient à Air Lib ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous le dire exactement mais nous pourrons vous communiquer ce chiffre.

Le chiffre d'affaires était de l'ordre de 600 millions d'euros. Je dis bien « de l'ordre de » car nous n'avons jamais eu aucun chiffre précis de qui que ce soit, que ce soit de l'entreprise ou des audits qui ont été faits.

Il y avait aussi un résultat négatif également « de l'ordre de ... » car nous n'avons strictement jamais eu aucun chiffre fiable : une perte de l'ordre de 50 millions d'euros pour un an. Il faut dire en plus que je n'ai jamais très bien su quelles étaient les références du début et de la fin de l'année.

M. le Président : Vous voulez dire que vous les avez demandés et qu'on ne vous les a pas communiqués ou qu'il y a eu une impossibilité.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, on nous a beaucoup communiqué de chiffres, mais je dirai qu'on nous a surtout « noyés ». En fait, ce n'étaient jamais les bons chiffres.

Pourtant, un chiffre d'affaires ou un résultat d'exploitation est facile à calculer en partant du 1er janvier au 31 décembre. Je n'ai jamais vu en ce qui me concerne de tels chiffres.

M. le Président : Lorsque vous avez pris le dossier en charge, se posait le problème du prêt FDES. Je n'imagine pas qu'un gouvernement puisse engager des actions vis-à-vis d'un prêt aussi important sans avoir un dossier complet. Dans le dossier que vous avez trouvé, il n'y avait ni le chiffre d'affaires, ni les pièces comptables qui établissaient la situation réelle de l'entreprise ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Au niveau du cabinet, on n'a bien sûr retrouvé strictement aucun dossier sur Air Lib, mais c'est la coutume ...

Je ne sais pas quel dossier avait exactement la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) sur Air Lib, mais elle était très profondément ignorante de la réalité d'Air Lib en tout cas. Quand on posait des questions très précises et simples, par exemple sur le chiffre d'affaires et sur les pertes, la DGAC ne pouvait pas non plus nous répondre.

M. Charles de COURSON, Rapporteur : Avez-vous vu des comptes ? L'exercice finissait en mars 2002. Trois mois après, à la fin juin, des comptes devaient être déposés, comme pour toute société, au greffe du tribunal de commerce du lieu du siège.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je n'en ai jamais vu. J'ai vu beaucoup de chiffres, beaucoup de rapports, mais je n'ai jamais vu de comptes et jamais de la manière dont vous le dites.

Cette entreprise avait une licence d'exploitation provisoire, puisqu'elle était en situation délicate, jusqu'au 31 octobre 2002. C'est ce que nous avons constaté à notre arrivée.

Enfin, nous avons constaté nous aussi ce que Swissair devait à Air Lib. Je l'ai su plutôt par la presse que par d'autres sources. Swissair a effectué un versement à Air Lib de l'ordre de 160 millions d'euros, mais aurait dû encore verser de l'ordre de 60 millions d'euros.

Telle était la situation que nous avons trouvée, en ce qui concerne l'entreprise.

M. le Président : A votre connaissance, ces 160 millions ont été versés à Air Lib en tant que société ? A qui ont-ils été versés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas répondre précisément car je ne le sais pas exactement.

M. Alain GOURIOU : Est-ce que vous aviez connaissance de l'ensemble des filiales que recouvrait le groupe ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! Mais pas dès le début.

M. Alain GOURIOU : A quel moment avez-vous eu la connaissance de l'ensemble des filiales ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons commandé deux audits : un audit au Cabinet KPMG et un audit au Cabinet Mazars. L'audit Mazars a été rendu le 16 juillet. La composition des filiales y figurait.

M. le Président : Vous l'avez donc découverte au moment où on vous a donné l'audit et pas avant ?

M. Alain GOURIOU : Y compris la filiale irlandaise et la filiale hollandaise ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais plus si la filiale irlandaise y était. Nous avons eu une vue très complète des filiales dans le rapport du cabinet Mazars, en juillet.

M. le Rapporteur : Je vous rappelle, chers collègues, que vous avez tous reçu une lettre de M. Corbet qui affirme : « Holco a rationalisé l'activité en l'organisant autour de onze filiales directes et transparentes... ».

Nous en avons découvert encore une ce matin. Elle porte le nom de Air Lib Finances et elle n'est pas sur l'organigramme. Actuellement il y en a 6 et d'après M. Corbet il y en aurait 11. Il en manque 5. C'est donc l'une des questions que nous poserons à M. Corbet.

Quant à vous, monsieur le directeur, vous connaissiez l'existence de six filiales.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connais celles citées par le rapport Mazars !

Je veux également dire ce que nous avons trouvé à notre arrivée, concernant ce qui avait été fait par l'Etat. C'est évidemment extrêmement important pour nous.

Nous avons constaté deux choses.

Première constatation : le gouvernement précédent avait accordé à Air Lib - je ne sais pas exactement à quelle date - un prêt du FDES de 30,5 millions d'euros. Sur le plan juridique, c'était une « aide au sauvetage », selon la terminologie. C'était une aide temporaire. Ensuite, il fallait passer à une aide à la restructuration, point sur lequel nous reviendrons.

M. le Président : Temporaire pour six mois ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Renouvelable une fois ! Au-delà, on était obligé de passer à l'aide à la restructuration.

Nous avons donc constaté qu'il y avait un prêt à cette entreprise. Il devait être remboursable en deux fois. Le premier remboursement venait à échéance le 9 juillet 2002.

Deuxième constatation : un moratoire relatif aux dettes publiques avait été accordé également par l'ancien gouvernement. Un accord d'étalement des charges publiques, dont nous n'avons pas le détail, portait sur le dernier trimestre 2001 et le premier trimestre 2002.

Je n'ai pas cet accord d'étalement, mais le CIRI pourra vous donner plus de précisions sur cet accord.

M. le Rapporteur : A votre connaissance, y a-t-il eu un document écrit sur ce premier moratoire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais pas.

M. le Président : Dans les dossiers du ministère, vous n'avez pas trouvé de document écrit ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non. Je n'en ai jamais vu. La DGAC ne nous a jamais rien transmis. Il y en avait peut-être !

M. le Président : Un moratoire est un acte officiel, une décision qui fait l'objet d'un document écrit. Il y a un deuxième moratoire pour lequel vous avez un document écrit.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, c'est le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui a ce document.

M. le Président : Vous pourrez nous le communiquer ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous parlons du moratoire qui a été confirmé au 1er août par le CIRI. Nous vous l'enverrons, monsieur le Président.

M. Jean-Louis IDIART : Tout le monde nous dit qu'il n'y a pas de documents ! Mais je suppose que le cabinet du ministre, lorsqu'il a travaillé sur le dossier, a cherché à avoir tous ces éléments-là !

M. le Président : M. Jouffroy dit qu'il n'a pas trouvé le document.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Dans tout gouvernement, il faut distinguer les cabinets et l'administration. En ce qui concerne le cabinet, à notre arrivée, nous n'avons trouvé aucun dossier, mais c'est normal. Par contre, ce qui m'a beaucoup plus surpris, c'est que les dossiers étaient à peu près inexistants à la direction générale de l'aviation civile.

M. le Rapporteur : Mes chers collègues, puisque monsieur le directeur nous dit qu'il n'a rien trouvé, il nous restera à éclaircir le champ du moratoire, le point de savoir qui en a pris la responsabilité et si l'autorité qui en a pris la responsabilité avait le pouvoir de le faire.

Il semble qu'il y ait des problèmes fiscaux et des problèmes de cotisations sociales ; ce sont autant de points qui restent à éclaircir.

M. le Président : Le champ d'application du moratoire porte sur les URSSAF, semble t-il, avec les ASSEDIC ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour ce qui concerne l'ancien gouvernement, je ne le sais pas exactement...

M. le Président : Je parle du premier moratoire. Je crois qu'il portait aussi sur la TVA ; à cet égard, qui a le pouvoir d'accorder un moratoire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Vous me posez une « colle » !

M. le Rapporteur : D'après ce que vous savez, qui a le pouvoir d'accorder un moratoire sur la TVA ? Ce n'est pas le ministre des Transports ! Une procédure existe en la matière, en fonction des montants.

M. Jean-Claude JOUFFROY : D'après les notes que j'ai lues, cela m'étonnerait beaucoup qu'il n'y ait pas un acte écrit du CIRI. Mais tout est possible.

M. Jean-Louis IDIART : Il est un point que je ne comprends toujours pas. Pendant cette période durant laquelle le ministère des Transports a travaillé, il a bien été amené à se poser des questions sur les conditions dans lesquelles Air Lib avait traité avec le gouvernement précédent ou avec l'administration. Au moment de prendre les décisions, lorsque le gouvernement décidait de tel ou tel choix, ce dernier savait très bien quel devait être le moratoire sur la dette publique. Il devait avoir tous ces éléments. Je ne comprends pas que le ministère des Transports ne les ait pas.

M. Jean-Claude JOUFFROY : J'ai parfaitement le montant, mais je ne sais pas si il y avait eu des traces écrites.

M. le Président : Je pose donc une question précise : « Y a t-il un document écrit accordant ce moratoire ? ». La réponse est claire : c'est non.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne l'ai pas vu.

M. le Président : Nous demanderons à Monsieur Massignon, Secrétaire général du CIRI s'il a un document.

M. Jean-Louis IDIART : Avant de prendre une décision, il a bien fallu savoir s'il y avait un document.

M. le Président : Ce n'est pas Monsieur Bussereau qui a pris la décision. C'est un cabinet - celui de Monsieur Gayssot - qui n'existe plus au moment où les ministres prennent leurs fonctions.

M. Jean-Louis IDIART : Certes, mais ensuite, dans l'élaboration de la décision, on est bien amené à connaître tous les éléments de ce qui s'est passé antérieurement.

M. le Président : Nous avons les sommes sur lesquelles portait le moratoire !

M. Jean-Louis IDIART : Je parle pour ce qui est de l'Etat, pas du reste.

M. le Président : Nous avons connaissance des sommes sur lesquelles portent les décisions. Or nous souhaitons avoir le document qui fait état de la décision gouvernementale accordant ce moratoire.

J'ai posé une question claire. Vous n'avez pas de document ? La réponse est claire : c'est non.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, vous aviez le montant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connaissais le montant exact, ce qui m'intéressait davantage que ce qui s'était passé avant.

M. le Rapporteur : Il était de combien ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La dette relative aux charges publiques était de 31,3 millions d'euros au 1er juin 2002. Elle se répartissait ainsi : 17 millions d'euros pour l'URSSAF et les ASSEDIC ; 5 millions d'euros pour Aéroports de Paris (ADP) et 9,3 millions d'euros pour la DGAC.

M. le Rapporteur : Je fais simplement une réflexion de méthode, monsieur le directeur : ce sont des sommes de nature différente. Pour ADP ce sont les taxes aéroportuaires ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, ce sont les redevances aéroportuaires et pas les taxes. Pour la DGAC, ce sont les taxes aéroportuaires, les redevances.

M. le Rapporteur : Mais chacun de ces trois blocs relevait d'autorités différentes. Nous examinerons s'il y eu des décisions et des actes officiels sur ce plan.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je crois comprendre à travers les papiers qu'Air Lib avait obtenu un report de toutes ces échéances. C'est ce que l'on appelle le moratoire, précisément.

Mais je veux surtout dire qu'Air Lib, depuis le mois d'avril 2002, avait arrêté tout simplement le paiement de ces dettes qui avaient été échelonnées.

M. le Rapporteur : En plus du moratoire.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons donc constaté cette situation : prêt d'Etat de 30,5 millions d'euros et dettes d'Air Lib de 31,3 millions d'euros.

Nous avons constaté une troisième chose. L'Etat avait donné un agrément pour le GIE fiscal. Là encore je ne sais pas à quelle date, mais la Direction générale des impôts ou le ministère des Finances pourrait vous le dire. Cette question du GIE fiscal a été largement répandue dans la presse par Air Lib et des choses très inexactes ont été dites.

Je n'ai jamais beaucoup compris dans tous les détails juridiques ce qu'était exactement ce GIE fiscal. Grosso modo, il consistait à permettre avec l'aide d'investisseurs.....

M. le Président : Quels investisseurs ? Avez-vous des noms ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non ! C'est ce que j'allais vous dire. Le GIE n'a jamais été constitué.

M. le Président : Nous avons posé des questions aux syndicats. Dans le cadre du comité d'entreprise, ils auraient pu avoir des informations. Or, jusqu'à présent personne n'a pu nous citer le nom d'un seul investisseur depuis la reprise de 2001.

Si vous avez des noms, cela nous intéresse de les avoir aussi.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il faut vraiment être bon juriste pour connaître toutes les modalités juridiques du GIE. Le principe est par contre relativement simple. Un GIE permet une certaine défiscalisation, ce qui présente des intérêts pour les uns et pour les autres.

Au travers de ce GIE fiscal, Air Lib avait envisagé l'achat de deux avions, deux Airbus A340. Nous avions un long courrier de 300-350 places qui était destiné à l'époque à la desserte de La Réunion, nous avait dit Jean-Charles Corbet.

Ce GIE fiscal avait surtout pour objet, au travers des procédures que je connais mal, d'apporter 40 ou 45 millions d'euros de trésorerie à l'entreprise. En fait, là encore je n'ai jamais eu les chiffres exacts.

Pour que ce GIE fiscal puisse se réaliser, il fallait réunir plusieurs conditions. La première condition était que l'Etat soit d'accord sur ce GIE fiscal qui était dérogatoire. Là non plus je ne peux pas trop vous dire exactement pourquoi il fallait qu'il soit dérogatoire au droit commun des GIE fiscaux. Cette question a dû faire l'objet d'une discussion assez difficile avant que nous arrivions. Mais quand nous sommes arrivés ou peu de temps après, plutôt fin mai-début juin, la direction générale des impôts (DGI) avait donné son accord pour que l'agrément de l'Etat soit donné à ce type de GIE.

Le seul rôle de l'Etat en la matière était de donner son agrément pour que, juridiquement, ce GIE fiscal puisse être réalisé. Cela a dû être fait fin mai ou début juin : il n'y avait plus de problème de ce côté-là.

M. le Président : M. Corbet dit que le GIE n'avait pas pu être créé parce que l'Etat avait mis des obstacles.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je pense qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies.

M. le Président : L'Etat avait donné son agrément au GIE. Pourquoi n'a-t-il donc pas été créé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : J'ai parlé de la première condition.

La deuxième condition était de trouver des investisseurs.

C'est là où je réponds, très partiellement, monsieur le Président, à votre question. Le Président d'Air Lib a eu beaucoup de difficultés à trouver des investisseurs. Nous l'avons interrogé mille et une fois entre le mois de juin et le mois de juillet. Moi-même j'ai fait des réunions pour savoir exactement où on en était.

M. Corbet était conseillé par la banque ARJIL. A une de ces réunions, au mois de juillet me semble-t-il, j'avais demandé à la banque de venir parce que je préférais m'adresser directement à la banque pour savoir exactement les choses.

La banque ARJIL m'a confirmé à l'époque - courant juillet - que les investisseurs n'étaient pas tous trouvés mais qu'il y avait grosso modo 25 % du financement assuré par Crédit Agricole -Indosuez. Je n'ai pas de papier sur ce point, mais c'est ce que l'on m'a dit. Cela ne représentait qu'une partie du financement. Mais je n'ai aucune preuve et je n'en sais pas plus.

En tout cas, il n'a pas pu se faire parce qu'il n'y a pas eu les investisseurs nécessaires.

J'en viens à la troisième raison.

Ce GIE fiscal était en gestation depuis très longtemps, depuis le début de l'année. Il avait pour objet, en dehors du fait de donner de la trésorerie à Air Lib de l'ordre de 45 millions d'euros - c'était bien l'objectif majeur -, de permettre aussi d'acheter des avions à Airbus, deux Airbus 340.

Fin juillet, Airbus constatait que les choses tardaient et n'en finissaient pas. Il n'y avait pas d'investisseurs ! D'après ARJIL, je le répète, on n'avait peut-être trouvé que 25 % de financement auprès du Crédit Agricole-Indosuez ! Airbus a donc vendu ses avions fin août à Air Tahiti Nui. Air Tahiti Nui versait tout de suite l'acompte pour les avions qu'il achetait donc, ce qu'Air Lib n'a jamais pu faire bien sûr.

Airbus m'a dit téléphoniquement que depuis plusieurs mois le président d'Air Lib n'arrivait pas à conclure avec eux et n'avait pas d'investisseurs pour créer un GIE fiscal. Air Lib ne pouvait donc pas acheter les avions. Air Tahiti Nui étant demandeur de ces deux avions et donnant les acomptes en cash, Airbus m'a dit qu'ils ont arrêté les discussions avec Air Lib et ont vendu les deux avions à Air Tahiti.

Voilà exactement ce que je sais sur ce sujet.

Mme Odile SAUGUES : J'ai cru comprendre au travers de la presse qu'Airbus devait vendre à tempérament deux A340 à Air Lib, appareils réservés et prépayés à hauteur de 27 millions de dollars chacun, à titre de dépôt de garantie, par la société Flightlease, filiale de la Swissair. Cela devait se faire dans le cadre de l'opération de crédit-bail qui avait été prévue par la société Air Liberté-AOM. Ce montage était-il bien exact ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas répondre très exactement à votre question. Le sujet est en effet assez compliqué.

Ce que je peux dire, c'est qu'Airbus affirme de la manière la plus expresse qu'il n'y a en ce qui le concerne aucun lien de quelque type que ce soit, aucun engagement de vendre des avions à la nouvelle compagnie Air Lib. Je peux vous donner la fiche correspondante.

M. le Président : Vous nous donnerez la fiche et, de toute manière, nous inviterons le directeur d'Airbus à venir nous expliquer les choses.

Mme Odile SAUGUES : Les appareils sont-ils bien devenus la propriété de Air Tahiti Nui ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! Maintenant ils sont payés.

Mme Odile SAUGUES : Ils ont été payés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, je le pense, mais je ne m'en suis pas préoccupé ensuite.

M. le Rapporteur : D'après ce que vous savez, monsieur le directeur, est-ce que la garantie avait été versée par l'ancienne société ?

En tant que rapporteur sur le transport aérien, je suis allé à Toulouse discuter du problème du plan de charges et de planning. Je crois me souvenir que le président d'Airbus, Noël Forgeard, m'avait parlé de plusieurs affaires : des compagnies avaient versé des dépôts de garantie, mais elles n'étaient pas allées plus loin. Dans cette hypothèse, le contrat prévoit qu'Airbus conserve le dépôt de garantie, mais doit retrouver un autre acquéreur. Parfois, il leur faut réinvestir parce qu'il faut adapter l'avion en fonction des besoins de l'autre compagnie. Mais dans cette hypothèse, par exemple, si le prix était 100 et qu'il y avait déjà eu 25 de versés, Airbus garde les 25.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je crois que c'est exactement de que vous venez de dire, mais je connais mal les procédures.

M. le Rapporteur : Il faudra que nous vérifions s'il y avait déjà eu un dépôt de garantie. Dès lors, Air Tahiti Nui aurait acheté ces appareils moins chers, mais c'est un point à vérifier. Autrement dit, ils ont bénéficié d'un dépôt de garantie de l'ancienne société d'exploitation et non pas d'Air Lib. Ce qui n'est pas la même chose, contrairement à ce que tout le monde croit. Juridiquement, ce n'est pas le même « être » juridique.

Mme Odile SAUGUES : J'avais parlé d'une somme de 27 millions de dollars par avion qui avait été avancée par la société Fligthlease, organisme financier, filiale de Swissair, dans le cadre d'une opération de crédit-bail prévue avec la société Air Liberté - AOM. Il y avait donc déjà eu un prépaiement.

M. le Rapporteur : Absolument et je crois qu'il a été conservé par Airbus qui, ensuite, a trouvé un autre acheteur.

M. le Président : Nous n'allons pas discuter de ce point maintenant et nous poserons la question au Président d'Airbus.

Madame Saugues, si vous avez des éléments à nous donner, ils sont les bienvenus.

Mme Odile SAUGUES : Je ne prétends pas apporter d'éléments. Je pose des questions à un représentant du gouvernement, directeur de cabinet de M. le Ministre, afin de vérifier si les assertions qui ont pu être avancées ici ou là sont exactes. Je ne prétends pas posséder la vérité, surtout pas dans cette affaire.

M. le Président : Si vous avez des articles de presse ou autres que nous n'avons pas, donnez-nous les ! Nous sommes preneurs.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le sujet est un peu compliqué. Mais une fois que vous aurez la fiche technique, Madame, vous serez complètement éclairée sur cette affaire-là.

Il faut savoir que le gouvernement s'interdit totalement d'intervenir dans les affaires d'Airbus. Juridiquement ce serait d'ailleurs contestable. En outre, n'oublions pas qu'Air Lib est une société privée et non pas une société d'Etat. Nous n'intervenons strictement pas et nous n'en avons d'ailleurs pas la possibilité juridique. D'ailleurs, Airbus est une société à capitaux français minoritaires et à capitaux étrangers majoritaires. Nous n'intervenons pas entre Airbus et ses clients.

D'ailleurs je dois dire que cela est également vrai même quand il s'agit d'Air France, même si c'est encore aujourd'hui une société à capitaux publics.

M. le Président : Contentons-nous d'apprendre ce que vous avez appris vous-même au ministère et la manière dont les choses se sont passées ensuite, notamment pour les fonds publics.

M. Marcel BONNOT : Je souhaite poser une simple question pour faciliter un peu le caractère rebelle de ma compréhension.

J'ai bien noté que l'Etat avait donné un agrément sur le GIE fiscal, mais qu'ensuite ce dernier n'avait pu se faire faute d'investisseurs. Or il est un point qui m'échappe dans la logique des procédures. Généralement, lorsqu'on obtient un agrément fiscal, on donne en amont la liste des investisseurs et le dossier est d'ailleurs imposant voire monumental pour obtenir un agrément. Or le fait qu'on puisse donner un agrément sans connaître en amont la liste des investisseurs ou les membres du GIE est de nature à m'interpeller.

M. le Rapporteur : L'agrément a-t-il été donné sous l'ancien ou le nouveau gouvernement ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : J'ai un petit doute. Etait-ce avant le 7 mai ou durant la deuxième quinzaine de mai ? J'avoue que je ne sais plus très bien.

En tout cas, même si cela a été fait dans la deuxième quinzaine de mai, ce qui n'est pas impossible, s'agissant d'une instruction très lourde et très longue, toute l'instruction a été faite avant. Je ne peux pas répondre à la question que vous posez parce que ce n'est pas de notre ressort.

Voilà en tout cas ce que nous avons constaté en ce qui concerne le prêt FDES, les dettes publiques et le GIE fiscal.

Nous avons constaté aussi des perspectives et une réalité très sombres puisque j'ai indiqué que le résultat d'exploitation était négatif de 50 millions d'euros.

Si l'on écoutait le Président d'Air Lib, les perspectives étaient radieuses bien sûr. Ils étaient bénéficiaires à partir de l'année 2003 ! Mais pour ceux qui connaissaient un peu le transport aérien, les quelques personnes qui géraient le dossier étaient beaucoup moins encourageantes.

On nous annonçait un bénéfice sur le réseau moyen courrier, ce qui avait de quoi laisser quelque peu interrogatif. Il est vrai que sur l'Algérie les prix sont relativement élevés, mais nous n'avons jamais eu les instruments de mesure adaptés.

Surtout Air Lib Express n'était pas « un bas coût », en revanche, c'était un « bas tarif ». Il faut dire que le président d'Air Lib reconnaissait au mois de juin qu'Air Lib Express était déficitaire. Dans nos perspectives, quand on essayait de faire des évaluations, nous pensions que l'exploitation resterait déficitaire et serait même de plus en plus déficitaire. Telle n'était pas du tout l'opinion de Jean-Charles Corbet. Au contraire, il pensait que l'année suivante l'exploitation serait bénéficiaire.

Quant à l'exploitation des lignes sur les DOM, des contraintes extrêmement fortes pesaient sur Air Lib. Je ne parle même pas de ce qui a été envisagé avec des prix de 90 ou 99 euros l'aller, tarifs quand même assez surréalistes.

Les tarifs qui étaient proposés à cette époque-là correspondaient à une recette moyenne pas très élevée, comme d'ailleurs les autres recettes moyennes sur les DOM. Il faut tenir compte aussi du fait qu'à l'époque Air Lib avait deux exploitations différentes, une à Orly, une à Roissy. Quelle compagnie peut se payer le luxe d'avoir deux exploitations différentes ?

En outre, les frais de commercialisation étaient extrêmement élevés puisqu'Internet représentait une faible partie de l'exploitation.

Nous avons constaté très rapidement que les choses allaient être extrêmement difficiles.

C'est dans ces conditions que nous avons eu officiellement un premier contact avec Jean-Charles Corbet. C'était la première entrevue entre Dominique Bussereau et Jean-Charles Corbet le mercredi 5 juin. Le président d'Air Lib est venu nous expliquer ce à quoi nous nous attendions, c'est-à-dire que la situation était extrêmement difficile.

Il demandait, sans le demander tout en le demandant... Il n'était pas nécessairement évident de comprendre ce qu'il voulait ! En tout cas, un élément paraissait clair : le GIE fiscal et un moratoire, sans employer le mot, du moins une prolongation du moratoire sur les dettes publiques.

Voilà à peu près la situation telle qu'on l'a constatée.

M. le Président : Un deuxième moratoire ou la poursuite du premier ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La poursuite ou le non paiement !

M. Odile SAUGUES : Monsieur le directeur de cabinet, est-ce vous assistiez à cette rencontre ? La phrase mise dans la bouche de Dominique Bussereau et reprise par un certain nombre de journaux - « Le père Noël, c'est fini » est-elle exacte ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux vous dire que je n'ai pas entendu cette phrase. C'est sûr et certain en ce qui me concerne ! Nous étions cinq ou six à ces réunions. La réunion précitée a été un peu forte, mais je n'ai pas entendu cette phrase.

Telle était donc la situation au début du mois de juin.

Compte tenu de cette situation, compte tenu de la demande du président d'Air Lib - GIE fiscal plus moratoire ou non-paiement - il fallait faire quelque chose en matière de dettes publiques. Le gouvernement ne s'y retrouvait pas vraiment dans toutes ces affaires. C'est là qu'avec le cabinet du ministère des Finances, avec l'approbation de Matignon, j'ai été d'accord pour lancer deux audits qui nous ont quand même un peu mieux informés sur l'entreprise : un audit de trésorerie, dont on a beaucoup entendu parler, et un audit de stratégie d'entreprise.

Pour nous, la question était relativement simple dans son énoncé : cette entreprise avait-elle malgré tout un potentiel de développement bénéficiaire ?

Il fallait se poser cette question, en dépit de ce que je viens de vous dire et ce que moi-même et ceux qui s'activaient autour du dossier pensaient. Il y avait quand même beaucoup d'interrogations sur les chances d'une entreprise comme Air Lib de pouvoir se développer.

Air Lib avait-il un potentiel de développement bénéficiaire ? Tel était le sujet de l'audit que nous avons confié au cabinet KPMG.

Deuxièmement, quelle était la situation réelle de trésorerie de l'entreprise ? C'est le cabinet Mazars qui a fait cet audit, cabinet dont j'ai compris qu'il était relativement habitué à travailler avec le CIRI.

Ces audits très complets ont été réalisés très rapidement. Pour ma part, je les ai trouvés extrêmement intéressants. L'audit KPMG nous a été rendu le 12 juillet et l'audit Mazars le 16 juillet.

A ma grande surprise, du moins dans une certaine mesure, la conclusion de l'audit KPMG était qu'Air Lib, à condition de faire un certain nombre de réformes de structures, avait un potentiel de développement !

M. le Président : Autrement dit, à condition de faire un plan de restructuration ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui. Il citait 350 licenciements, sur Air Lib Express en particulier ! A condition de faire cette restructuration, il disait qu'il y avait certainement un potentiel ! A condition également d'ailleurs de faire d'autres restructurations sur les DOM, de supprimer les deux escales Orly - Roissy - ce que le président d'Air Lib a fait par la suite - et d'adopter des tarifs qui se tiennent à peu près.

Telles étaient, résumées, les conclusions de l'audit de stratégie.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : KPMG et Mazars avaient déjà travaillé un an avant sur le sujet. En effet, je lis dans un papier de M. Corbet : « Dès le mois de décembre 2001, l'Etat français, conforté par des audits réalisés à sa demande par les cabinets Mazars et KPMG, a décidé d'apporter son concours financier sans réserve au projet industriel mis en œuvre par Air Lib. »

Qui a raison ?

Si Mazars et KPMG avaient déjà travaillé dès le mois de décembre 2001 sur le sujet...

M. Jean-Claude JOUFFROY : Cela m'étonne beaucoup. A quelle date ?

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Dès le mois de décembre 2001 ! Je lis le papier de Corbet-Holco : « Intervention de l'Etat dans le cadre du plan de restructuration : dès le mois de décembre, l'Etat français, conforté par des audits réalisés à sa demande par les cabinets Mazars et KPMG, a décidé d'apporter son concours financier sans réserve au projet industriel ... »

Nous lisons ensuite : « Les audits ont validé la viabilité économique du projet industriel ... »

Je ne comprends pas très bien ! Ou alors M. Corbet se trompe complètement sur la date.

M. le Rapporteur : Je vais poser la question autrement.

Monsieur le directeur, est-ce que vous avez eu une influence au ministère des Transports sur le choix de ces deux cabinets ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je vais vous répondre aussi précisément.

En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes pas occupés de l'audit financier. C'est comme cela qu'on fonctionne, comme vous le savez, dans le gouvernement. C'est le ministère des Finances qui a choisi Mazars. Ce n'est pas nous ! J'ai compris après que Mazars était conseiller du CIRI et il faut demander cela à M. Massignon du CIRI.

En ce qui concerne KPMG, c'est la DGAC qui l'a choisi. Le cabinet ne s'en est pas occupé et je suis incapable de vous dire comment elle l'a choisi.

M. le Président : M. Bussereau indiquait, le 18 mars 2003, lors du débat sur la proposition de résolution tendant à la création de notre commission d'enquête : « Pour des raisons d'objectivité et afin de disposer des mêmes bases de données, le gouvernement a choisi les mêmes cabinets d'audit que ceux qui avaient été retenus par le gouvernement précédent. »

M. le Président : Qu'avez-vous décidé à ce moment-là, alors que vous aviez les audits ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : KPMG nous dit que malgré tous les problèmes et, pour simplifier, avec un bon plan de restructuration, cette entreprise a un certain avenir.

L'audit Mazars, lui, nous a dit - et il ne s'est vraiment pas trompé - que sur le plan de la trésorerie, avec le prêt FDES, avec le non-paiement des dettes publiques, malgré tout cela, Air Lib aura un problème de trésorerie majeur à la fin de l'année. C'est exactement ce qui s'est passé, fin 2002.

A partir de là, qu'avons-nous décidé ? Ce fut la première décision du gouvernement.

M. le Président : Est-ce qu'à ce moment-là vous avez été informé des propos tenus par M. Corbet au cours du comité d'entreprise des 18 et 28 décembre 2001 ? Il avait déjà informé son comité d'entreprise de l'éventualité d'un dépôt de bilan. Est-ce que le gouvernement était informé de cela ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je dois vous dire que les lettres de Jean-Charles Corbet sont toujours un peu sibyllines. Vous aurez sans doute l'occasion de les voir. Il n'écrit pas nécessairement : « Je vais déposer le bilan si vous ne faites pas ceci ou cela... », mais il faut lire entre les lignes !

Je pense en particulier à une lettre qui était adressée à Gilles de Robien du 12 juillet et qui voulait dire cela.

M. le Président : Vous pourrez nous la donner ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, nous vous la donnerons.

Elle voulait bien dire cela. J'ai relu la lettre et j'ai lu ses déclarations le 12 juillet. Il faut les interpréter, mais en tout cas il nous l'a dit oralement, même s'il ne le pas écrit.

Son problème, c'était essentiellement d'abord le GIE fiscal. Les dettes publiques ? C'était intéressant puisqu'il ne les payait pas ! Mais le GIE fiscal lui apportait 45 millions d'euros de trésorerie !

« Si je n'ai pas en particulier le GIE fiscal, je dépose le bilan le 31 juillet. » Il nous l'a dit, même s'il ne l'a pas écrit très clairement.

M. le Président : Il vous l'a dit ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. le Président : L'Etat a donné son accord, c'est-à-dire pour ce qui le concerne, l'autorisation de la DGI. Vous le confirmez bien ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! C'était clair !

M. le Président : Ainsi pour l'Etat, que ce soit votre gouvernement ou le précédent, la décision était prise favorablement.

M. Jean-Claude JOUFFROY : En effet.

M. le Président : Alors pourquoi M. Corbet n'a t-il pas fait son GIE fiscal ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : A mon sens, parce qu'il n'a pas trouvé d'investisseur et que les avions étaient vendus.

Il faut bien voir qu'avec Jean-Charles Corbet nous avons un interlocuteur qui n'est pas facile. Comme je l'ai dit au début de mon propos, nous avions quand même deux objectifs. Le premier était la survie et les emplois.

Encore une fois, le problème n'était pas celui de l'Etat. Dans sa compétence, l'Etat avait fait son travail et il n'avait plus rien à faire sur le GIE fiscal.

Mais quand même, quand j'ai vu que les choses ne marchaient pas, nous avons essayé de faire en sorte que cela marche. Ce n'était pas tout à fait notre rôle, mais au niveau de l'information j'ai quand même essayé de voir avec Airbus ce qui se passait et ce qui n'allait pas.

A ce moment-là, j'ai compris qu'il était extrêmement difficile de discuter avec Corbet sur ces sujets. Il était très « remonté » sur l'affaire de Air Tahiti. A un moment donné, je ne sais plus si c'est en juillet ou si c'est après, il a complètement changé ! Son argument pour obtenir le GIE fiscal était la trésorerie, certes, mais aussi qu'il lui fallait absolument deux avions long courrier pour développer son entreprise. Tout d'un coup il a complètement changé : ce n'était plus du tout des longs courriers mais cinq A319 ou A320 qu'il lui fallait.

Je veux dire par là que le GIE fiscal ne tenait quand même à pas grand chose, en dehors de ces questions de financement. Pour moi, cela a été la preuve que c'était uniquement un instrument qui lui permettait d'avoir de la trésorerie.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le directeur, vous pouvez donc me confirmer que le secrétaire d'Etat n'a en aucun cas empêché la constitution de ce GIE. L'impossibilité à mettre en place ce GIE ne vient ni d'une mauvaise volonté, ni d'une mauvaise organisation, ni de décisions qui auraient été prises par le secrétaire d'Etat aux Transports ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je confirme ce que j'ai dit de la manière la plus ferme qui soit. C'était le contraire ! Ce qui était de la compétence de l'Etat a été fait, mais en plus nous avons mis de la bonne volonté.

Dominique David était là et constituait un lien assez précieux entre Air Lib et nous. Il faut dire qu'un certain nombre de personnes exercent leur activité dans les mêmes professions ; elles ont eu les mêmes carrières. Nous avons de bonnes relations les uns avec les autres et nous avons donc fait vraiment plus que ce qui était nécessaire sur le plan humain et au plan des bonnes relations entre les uns et les autres.

M. le Président : Nous en étions à juillet 2002 et je vous demandais quelle décision le ministre a prise à ce moment là.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Au fur et à mesure des jours, le GIE fiscal n'était plus notre problème puisque nous avions fait ce qu'il fallait. Le problème de l'entreprise était de trouver des financiers.

Quelles décisions avons-nous prises ? C'est une décision interministérielle, avec un compte rendu de Matignon du 24 juillet...

M. le Président : Pourrons-nous avoir le bleu de Matignon ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui. Ce bleu de Matignon est très précis.

Premièrement, le gouvernement a reconduit pour une période de quatre mois le prêt FDES de 30,5 millions d'euros dans le cadre de l'aide au sauvetage. Comme vous l'avez dit, monsieur le Président, il était possible de la reconduire pour six mois au maximum.

Pourquoi quatre mois ? La réponse est simple : la licence d'exploitation des entreprises venait à expiration le 31 octobre. Nous avons fait en sorte, y compris pour avoir des comptes ronds, que les deux choses coïncident à peu près. La reconduction pour quatre mois nous menait au 9 novembre. Nous n'étions pas loin du 31 octobre.

Nous avons donc reconduit le prêt FDES pour quatre mois, du 9 juillet au 9 novembre. Comme vous le voyez, nous étions déjà un peu en retard puisque nous avions laissé passer l'échéance du 9 juillet.

Deuxièmement, nous avons décidé de prolonger le moratoire, c'est-à-dire le non-paiement purement et simplement des dettes publiques de l'entreprise. C'était celles de l'entreprise jusqu'au 1er août 2002 et je suis très précis sur point car il faut l'être.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : C'était donc davantage que le premier moratoire. On avait une période plus importante et des dettes également plus importantes ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Exactement ! J'en viens à mon troisièmement, en rappelant qu'il fallait quand même gérer d'une manière raisonnable les finances publiques. Nous avions donc exigé la reprise des paiements de ces dettes publiques au 1er août.

Je me résume ! Nous reconduisons le prêt FDES de 30,5 millions d'euros jusqu'au 9 novembre et nous accordons à l'entreprise un non-paiement de ses dettes publiques qui prévalaient jusqu'au 1er août. Par contre, nous lui demandions la reprise des paiements courants.

Je rappelle ce que sont pour nous les dettes publiques : l'URSSAF, les ASSEDIC, Aéroports de Paris et la DGAC.

M. le Président : Il n'y a pas de plan de restructuration là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le quatrième point, c'était la demande d'un plan de restructuration et cela a été la première décision précise que le gouvernement a prise. C'était avant l'été.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaite avoir une précision. L'aide au sauvetage devait être transformée en une aide à la restructuration. C'est le gouvernement qui a pris des engagements pour instruire un dossier. Est-ce que ce dossier a été transmis à la Commission européenne ? Comment cela s'est-il passé ? Jusqu'où est-on allé ?

M. Dominique DAVID : En fait, l'aide au sauvetage qui a été accordée à Air Lib devait être remboursée au bout de six mois. Le seul moyen d'échapper à ce remboursement, c'était de présenter un plan de restructuration approuvé par la Commission européenne puis que, sur la base de ce plan de restructuration, cette dette soit consolidée et étalée dans le temps, remboursable sur une période plus longue à définir dans le cadre de ce plan de restructuration.

C'est la raison pour laquelle ce plan a été demandé à l'entreprise à la fin du mois de juillet. Air Lib a commencé à travailler sur ce plan de restructuration mais il fallait pour qu'il soit recevable que ce plan soit financé. C'est ce qui a constitué une difficulté.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous allons y venir.

Mme Odile SAUGUES : De quelle manière le gouvernement a-t-il servi d'intermédiaire ?

M. le Président - La Commission européenne a-t-elle été saisie officiellement ?

Mme Odile SAUGUES : Est-ce que le gouvernement a joué son rôle d'intermédiaire entre Air Lib et Bruxelles ?

M. le Président : La question est claire. Le gouvernement a-t-il pris contact d'une manière ou d'une autre avec la Commission pour l'informer qu'il y avait une possibilité de transformer l'aide au sauvetage en prêt de restructuration ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'est automatique !

M. Dominique DAVID : A partir du moment où il y a un prêt au sauvetage, il peut être consolidé.

M. le Président : La transformation en prêt à la restructuration est automatique dès lors qu'il y a un plan de restructuration approuvé par la Commission. Vous avez donc demandé un plan de restructuration à Air Lib et vous l'attendez toujours ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! D'une manière plus précise, l'aide au sauvetage qui correspondant au prêt du FDES de 30,5 millions d'euros a été notifiée à la Commission. Mais ensuite, cette aide au sauvetage doit être suivie d'un plan de restructuration. Au mois de juillet, nous n'avions pas à transmettre quoi que soit à la Commission.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je reviens aux deux audits.

Premièrement, l'audit de trésorerie de Mazars, avez-vous dit, faisait ressortir que même avec le GIE fiscal et même avec une prorogation du prêt du FDES, ce ne serait pas suffisant. On était en cessation de paiement en fin d'année.

Deuxièmement, l'audit KPMG faisait ressortir que, sur le plan stratégique, il était possible de sauver l'entreprise. Dans ces conditions, si j'ai bien compris, le plan de restructuration devait être implicitement conforme à l'audit stratégique de KPMG et le plan financier, stratégiquement aussi, devait être conforme à l'audit de Mazars.

Or, ce que je ne comprends pas bien, c'est que l'on savait d'ores et déjà que l'audit de Mazars était alarmiste alors que s'agissant du plan de restructuration, c'est vous qui étiez plutôt sceptiques. J'ai du mal à comprendre !

Quand a-t-on eu les résultats de ces audits par rapport à ces décisions du mois de juillet 2002 ? J'ai un peu de mal à m'y retrouver.

M. le Président : Les 12 et 16 juillet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je me suis peut-être mal exprimé.

Pour simplifier, disons que nous avons eu les audits le 15 juillet. Nous nous sommes rendus compte de ce que vous venez de dire, c'est-à-dire que l'entreprise avait un certain avenir à condition qu'il y ait un plan de restructuration extrêmement fort.

C'était bien notre problème à l'époque. Nous ne voulions pas prendre les mesures financières vis-à-vis d'une entreprise si celle-là n'avait aucun avenir. Si KPMG nous avait dit : « Air Lib est condamné », il était fort probable qu'on aurait fait le nécessaire, encore que je ne sache pas ce que le gouvernement aurait fait.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Tout tenait au GIE fiscal, entre Air Lib et un investisseur. Mais il n'y avait pas d'investisseur...

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non ! 

M. Jean-Jacques DESCAMPS : ... et donc il ne pouvait pas y avoir de plan de restructuration sans GIE fiscal.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n'est pas tout à fait cela !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C'est ce que je ne comprends pas bien.

M. le Président : Monsieur Descamps, on s'est rendu compte depuis nos auditions que les investisseurs prévus lors de la reprise au tribunal de Créteil ne sont pas arrivés et que par la suite les autres investisseurs prévus pour prendre le relais - la CIBC avait fait quelques promesses, moyennant 9 millions d'euros d'honoraires sans trouver qui que ce soit - ne sont pas venus.

On s'aperçoit qu'au moment du GIE on promet toujours des investisseurs, mais ces promesses ne sont jamais satisfaites. Il n'y a jamais eu d'investisseur.

M. Jean-Claude JOUFFROY : L'histoire d'Air Lib a toujours été celle-là, jusqu'à la fin.

M. le Président : C'est bien ce que je dis à M. Descamps.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : En juillet 2002, on savait qu'au niveau de la trésorerie, les choses n'allaient pas marcher, que le plan de restructuration devait être « musclé » et qu'il fallait un investisseur, mais on ne l'avait pas.

M. Xavier de ROUX : Il faut être très précis sur ce point parce que sinon on s'y perd.

Nous sommes d'abord fin juin ou début juillet lorsque le gouvernement, si j'ai bien compris, accorde un moratoire sur les dettes publiques jusqu'au 1er août et prolonge le prêt FDES jusqu'au mois de novembre. Nous sommes bien là fin juin-début juillet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous sommes le 24 juillet, après les audits.

Pour répondre plus précisément à votre question, monsieur Descamps, autant l'audit Mazars est précis sur les dates que j'ai dites, autant il est assez imprécis sur le point de savoir, quand il prévoit la crise de trésorerie en fin d'année, s'il inclut le GIE fiscal ou pas. C'était toujours une inconnue et cela demeure d'ailleurs toujours une inconnue pour moi.

En tout cas, je pense que nous n'aurions pas pris les mêmes décisions si l'audit KPMG ne nous avait pas dit que cette entreprise « avait un certain avenir... » - je pèse mes mots - à condition qu'elle ait un plan de restructuration extrêmement ferme. C'est en fonction de cela que nous avons pris les décisions que je viens de dire.

M. Xavier de ROUX : Continuons à être précis !

A quelle date Swissair va verser son 1,3 milliard par rapport à la décision que vous avez prise. Avant ou après ?

M. le Président : Tout cela est déjà fait et déjà consommé.

La contribution de Swissair arrive entre juillet et octobre 2001 ! On se rend d'ailleurs compte que tout l'argent de Swissair n'est pas arrivé à la société Air Lib à laquelle il était dû.

Nous sommes en droit de nous poser la question de savoir pourquoi cet argent dû à Air Lib est parti vers une société distincte d'elle. Nous poserons la question aux responsables lorsqu'ils seront auditionnés.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous étions donc le 24 juillet. Voilà les décisions que nous avons prises.

L'été passe. Nous avions demandé un plan de restructuration au président d'Air Lib avec bien sûr le financement qui convenait.

Or, lors d'une réunion du 18 septembre avec le CIRI et la DGAC, Air Lib annonce qu'il cessera ses paiements courants le 20. Il nous met devant le fait accompli. Cela veut dire qu'il n'honore plus les décisions que nous avons prises à son égard.

Air Lib nous dit cela sans annoncer de plan de restructuration.

Telle est la situation le 20 septembre et, malgré nos discussions au niveau technique, malgré nos rappels, les choses durent ainsi jusqu'au 21 octobre. Le plan de restructuration ne nous arrive que le 21 octobre.

Il arrive le 21 octobre parce qu'Air Lib sait très bien que le 31 octobre sa licence d'exploitation expire et que le gouvernement prendra de toute façon une décision majeure concernant son avenir à cette date.

Le 29 octobre, après que nous ayons étudié ce plan, Gilles de Robien et Dominique Bussereau rencontrent personnellement Jean-Charles Corbet. Ils lui disent un certain nombre de choses, en constatant que les dettes augmentent. En effet, chaque mois qui passait augmentait les dettes d'Air Lib vis-à-vis de l'Etat d'environ 8 à 9 millions d'euros, selon les mois.

Les ministres indiquent à Jean-Charles Corbet que son plan présente un certain nombre de lacunes ou du moins soulève des interrogations relatives à la rentabilité des nouvelles lignes. Il est en effet facile de faire des plans avec des prévisions de rentabilité aléatoires ; tout le monde peut le faire.

Ces interrogations portent aussi sur les nouveaux produits envisagés et je crois que dans ce plan-là il commençait à parler d'Air Lib Express Antilles. Il a d'ailleurs mis en vente ensuite des allers-simples à 90 ou 99 euros. Nous étions quand même très interrogatifs sur ce plan.

Surtout, il n'y avait aucune proposition de financement de ce plan.

M. le Président : Et toujours pas d'investisseur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non ! On n'en était pas encore à IMCA. Ce sera pour bientôt, dans les jours à venir.

M. le Président : Comment peut-on présenter un plan et restructurer sans qu'il n'y ait d'investisseur ? Quelle a été votre réaction à ce moment-là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Jusqu'à l'été, les quelques personnes qui s'intéressaient à ce dossier considéraient Air Lib comme une compagnie sérieuse. Progressivement on a commencé à avoir des interrogations sur les documents qu'on nous donnait, sur la manière dont on nous les donnait, sur la compréhension que l'on pouvait en avoir.

Pour tout vous dire, je n'avais pas beaucoup vu de plans de restructuration de ce type : beaucoup de fouillis incompréhensible et très peu de choses qu'on arrivait à comprendre.

M. le Rapporteur : Lors de la décision du 24 juillet, à combien s'élevaient les dettes publiques d'Air Lib ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je n'ai pas le chiffre à fin juillet. Au 1er juin, la dette publique d'Air Lib s'élevait à 61,8 millions d'euros. Au 9 janvier 2003, ces 61,8 étaient devenus 122 millions d'euros.

Cette dette se décomposait en 30,5 millions d'euros de prêt FDES - 32 millions d'euros avec les intérêts - et un moratoire de 90 millions d'euros sur les charges. On est donc passé en l'espace de sept mois de 62 à 122 millions d'euros au 9 janvier.

Pour répondre exactement à votre question, on devait être autour de 80 millions d'euros au 31 juillet.

Le temps de toutes nos discussions avec Air Lib, vous comprenez que les dettes de l'Etat sont passées de 60 à 120 millions d'euros.

M. le Président : C'était une spirale sans fin.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le mardi 29 octobre, voilà donc ce que nous disons à M. Corbet.

Je vous rappelle que toute entreprise aérienne en Europe doit avoir, aux termes de la réglementation européenne, deux documents pour pouvoir voler.

Le premier document est de caractère technique : c'est le certificat de transport aérien qui certifie que techniquement les avions peuvent voler. Le second, de caractère plus économique, est une licence d'exploitation qui fixe un certain nombre de règles financières en particulier pour que puisse être délivrée une telle licence à une entreprise ou que l'on puisse continuer à la renouveler.

M. le Président : Que lui dites-vous donc le 29 octobre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous lui disons : « Revenez avec un plan de restructuration valable... ».

M. le Rapporteur : Il n'a plus que deux jours.

M. le Président : Et donc vous poursuivez ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Si on n'avait rien fait, le 31 octobre, il s'arrêtait. Mais il ne s'est pas arrêté parce que j'ai prolongé la licence de huit jours. Nous avons la possibilité juridique de le faire sur de très courtes durées. J'ai prolongé la licence de huit jours, avec l'accord de mon ministre bien sûr, c'est-à-dire jusqu'au 8 novembre. C'était donc une prolongation technique, si je puis dire, jusqu'à la réunion du Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) qui, lui, a ses propres règles de fonctionnement. Il ne pouvait pas se réunir avant le 31.

En fait, j'avais même prolongé de 15 jours, me semble-t-il, jusqu'au 15 novembre pour donner un peu de « mou », si je puis dire, pour que le CSAM puisse émettre son avis le 8 novembre.

Le 8 novembre, le CSAM rend son avis sur deux points.

Le premier point portait sur les liaisons africaines.

M. le Président : Vous pourrez nous communiquer le premier plan de restructuration, s'il vous plaît.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

Dans son plan de restructuration sont apparues progressivement les liaisons africaines, soit 11 pays qu'Air Lib a demandé à desservir. Parallèlement il a saisi le CSAM, pour avoir un avis sur ces liaisons africaines.

L'avis du CSAM sur ce point précis était : « Sursis à statuer ». Il ne donnait pas d'avis.

Sur le point qui nous importait le plus, la licence d'exploitation, le CSAM rend son avis le 8 novembre. Nous pourrons vous le remettre.

M. le Président : En effet, il sera intéressant que nous l'ayons.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le CSAM est d'accord pour prolonger la licence d'un mois, pour revoir ensuite les choses au fond. Autrement dit, il se déclare d'accord pour discuter et étudier un plan de restructuration convenable.

M. le Président : Soit un mois pour voir si c'est crédible ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'est alors qu'arrive IMCA.

A la suite d'un certain nombre bien sûr de va-et-vient et de réunions avec l'entreprise, Air Lib nous dit début novembre : « J'ai un investisseur... »

Nous proposons de le recevoir.

Je rappelle que les ministres eux-mêmes avaient reçu Air Lib le 29 octobre. Le 12 novembre, quinze jours après, ils reçoivent Jean-Charles Corbet accompagné de l'ensemble de ces conseils avec le nouvel investisseur qui se présente, c'est-à-dire Erik de Vlieger accompagné également de l'ensemble de ses conseils.

M. le Président : A quelle date ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'était le 12 novembre.

J'assistais personnellement à cette réunion où Erik de Vlieger, du groupe hollandais IMCA, était présent. Il nous explique qui il est et comment a débuté son groupe.

M. le Président : Nous avons le dossier de M. de Vlieger.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il nous semble un peu crédible parce qu'il a une petite activité en matière de transport aérien. Un petit aéroport à côté de Francfort lui appartient et il possède aussi deux petites compagnies.

C'était le 12 novembre, je le répète.

Jean-Charles Corbet semble comprendre ce que souhaite le gouvernement, c'est-à-dire un plan de restructuration avec surtout un investisseur. Pierre Graff et moi, sur instruction de nos ministres, indiquons à l'entreprise les décisions suivantes.

Premièrement, nous allons beaucoup plus loin que l'avis du CSAM qui nous propose de revoir les choses après un mois, comme je viens de vous le dire.

Nous prorogeons de notre fait la validité de la licence d'exploitation d'Air Lib jusqu'au 31 janvier 2003, soit deux mois et demi. Nous allons ainsi beaucoup plus loin que le CSAM dont je rappelle qu'il est un organisme souverain composé de nombreuses parties, notamment des compagnies aériennes et des personnalités qualifiées que, par définition, nous ne maîtrisons pas du tout.

En tout cas, nous allons beaucoup plus loin que ce nous a proposé le CSAM. C'est un point important sur lequel j'insiste un peu pour montrer que le gouvernement a manifesté une très bonne volonté, comme nous allons encore le voir.

M. Xavier de ROUX : Cela continue de coûter 10 millions d'euros par mois ? Est-ce bien cela ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, la facture augmente tous les mois.

Nous prorogeons la validité de la licence d'exploitation d'Air Lib jusqu'au 31 janvier 2003. Nous sommes d'accord pour ne pas exiger le remboursement du prêt FDES au 9 novembre. Je vous rappelle qu'il avait été prolongé du 9 juillet au 9 novembre. Nous proposons de proroger l'échéance de ce prêt jusqu'au 9 janvier. Nous allons ainsi jusqu'à l'extrême limite à laquelle on peut aller dans le cadre du plan de sauvetage, c'est-à-dire deux mois de plus.

Pourquoi n'a-t-on pas mis les mêmes dates ? On aurait pu aussi proroger la licence d'exploitation d'Air Lib jusqu'au 9 janvier, mais nous avons voulu nous donner un peu de souplesse et je crois que nous avons correctement fait.

Troisièmement, nous reportons l'échéance de tout le passif exigible, c'est-à-dire celui exigible jusqu'au 1er août à propos duquel un accord avait été donné précédemment, mais aussi tout le passif qu'Air Lib n'avait pas payé depuis le 20 septembre. A cette époque, il s'agissait de 90 à 95 millions d'euros. Nous prorogeons l'échéance de ce passif exigible jusqu'au 9 janvier 2003.

En d'autres termes, licence d'exploitation jusqu'au 31 janvier et tout ce qui est dettes de l'Etat, prêt FDES et dettes publiques, jusqu'au 9 janvier 2003.

Nous avons cru à l'investisseur, à Erik de Vlieger.

M. le Président : Vous parlez toujours de la réunion du 12 novembre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'est une lettre que Pierre Graff et moi avons écrite le 13 novembre.

M. le Président : Nous pourrons avoir la lettre aussi ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

C'est donc la deuxième décision majeure de l'Etat dans cette affaire. La première décision était celle du 24 juillet.

M. le Président : J'ai lu quelque part que M. de Vlieger a indiqué qu'il n'était pas au courant des engagements que M. Corbet aurait dit qu'il avait pris ? Est-ce exact ? Avez-vous les mêmes informations ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons eu des contacts, comme je vais vous le dire. Avec Pierre Graff, nous avons revu Erik de Vlieger sans que nous ayons pour autant des contacts aussi fréquents qu'avec Corbet.

Je ne peux pas répondre exactement à votre question.

Lors d'une des réunions qui vont suivre ces dates-là, j'ai eu fortement l'impression que le représentant du groupe IMCA - M. de Vlieger ou peut-être son avocat, je ne me souviens plus très bien - n'était pas très au courant du plan de restructuration qui avait été monté par M. Corbet. Mais c'est là un sentiment, je le souligne. Il n'était pas très au courant, m'a-t-il semblé, des engagements que ce dernier indiquait concernant IMCA dans ce plan de restructuration.

M. Xavier de ROUX : C'est important parce que la question que l'on se pose est celle de savoir si M. de Vlieger était réellement un investisseur ou si au contraire il cherchait une opportunité, connaissant la structure du groupe ?

Il est donc intéressant de savoir s'il connaissait ou pas le plan de restructuration.

Je vous lis simplement sa déclaration au Monde le 15 novembre 2002 : « Je tiens d'abord à dire que j'ai été incroyablement impressionné par la rapidité du gouvernement français dans ce dossier. Son comportement force le respect et ce qu'il a accompli serait inimaginable aux Pays-Bas. Par ailleurs, je connais les contraintes auxquelles il doit faire face. Je dis simplement que le montant de 30 millions d'euros en question est une épée de Damoclès au-dessus d'une compagnie en difficulté. Je poursuis l'examen... ».

Autrement dit, déjà le 15 novembre M. de Vlieger dit en quelque sorte : « C'est très bien mais 30 millions d'euros c'est quand même beaucoup... »

M. Dominique DAVID : Il faisait allusion au remboursement du prêt FDES.

M. Xavier de ROUX : Il le connaissait.

M. le Président : Ça n'est pas ce dont je voulais parler. Il semble que M. de Vlieger ait mis du temps à être informé de ce que M. Corbet disait que M. de Viegler lui-même allait faire. Est-ce vrai ou pas ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'est le sentiment que j'ai eu, et un certain nombre d'autres personnes aussi.

M. le Rapporteur : Le gouvernement prend le 24 juillet les quatre décisions que vous avez rappelées : puis à nouveau, le 13 novembre, on va toujours plus loin.

Etiez-vous conscient à l'époque que l'Etat français, avant même la décision du 24 juillet, était susceptible d'être poursuivi pour soutien abusif ? En effet, l'Etat avait un rapport disant qu'Air Lib ne pouvait pas passer la fin de l'année ; néanmoins il continuait à soutenir l'entreprise par le prêt du FDES puis sa prorogation de quatre mois, puis encore de deux mois et par la poursuite du non-paiement des taxes, redevances, URSSAF, etc ?

Est-ce que ce point a été, à votre connaissance, discuté au sein du cabinet de M. Bussereau ou de celui de M. de Robien ? Est-ce que cette question est remontée au cabinet du Premier ministre, voire au Premier ministre ? Ne prenait-on pas l'énorme risque que l'Etat français soit appelé en comblement de passif ?

Mme Odile SAUGUES : C'est dans cette optique que j'ai posé la question du passage de l'aide au sauvetage à l'aide à la restructuration. Je la pose à nouveau car je croyais savoir qu'il fallait que ce dossier soit transmis à l'Union européenne par le gouvernement français.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il y a deux choses complètement différentes.

La procédure que l'on appelle « aide au sauvetage » est une aide provisoire, temporaire par définition. La seule chose qu'un gouvernement a à faire quand il accorde une telle aide c'est la notification de l'aide. Ce n'était pas nous qui l'avons fait, mais le gouvernement précédent.

Si l'on veut que cette aide devienne permanente, il faut passer à un autre type d'aide qui s'appelle dans la terminologie européenne « l'aide à la restructuration », assortie, comme son nom l'indique, d'un plan de restructuration.

C'était ce dossier là, c'est-à-dire la transformation de l'aide au sauvetage en plan de restructuration, que nous devions transmettre et que nous aurions transmis à Bruxelles, si le gouvernement français avait été d'accord avec le plan proposé.

Mme Odile SAUGUES : Autrement dit, le gouvernement n'était pas d'accord. C'est la précision que je souhaitais avoir.

M. le Président : Je voudrais que vous répondiez à un point soulevé par M. Corbet dans une lettre que je viens de recevoir. J'écrivais dans mon rapport relatif à la proposition de création de notre commission d'enquête : « La licence d'exploitation permettant à la compagnie de poursuivre ses activités avait expiré le 6 février 2003 ». Est-ce bien exact ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La licence a expiré le 5 février.

M. le Président : Nous ne sommes pas à un jour près.

M. Corbet m'écrit : « Cette affirmation est inexacte. Bien au contraire, l'Etat a accordé sa licence définitive d'exploitation à Air Lib sous condition de la signature effective du protocole de conciliation lui permettant de restructurer sa dette avant le 5 février 2003 à minuit. Ce n'est qu'a contrario que l'Etat a supprimé  -je ne sais pas ce qu'il entend par « a contrario » - à cette date la licence temporaire qui permettait à Air Lib de voler. Un certain nombre de procédures ont été introduites, tant devant les juridictions administratives que devant la Commission européenne. Par ailleurs, un recours en indemnité a été déposé entre les mains de M. le ministre des Transports par Air Lib face à ce détournement de pouvoir manifeste. »

Est-ce que la licence devait expirer le 5 février, oui ou non ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La licence, monsieur le Président, pour répondre immédiatement à votre question, venait à expiration le 31 janvier. Les négociations n'arrivant pas à aboutir, nous l'avons donc prolongée à nouveau de notre propre fait jusqu'au 5 février.

M. le Président : J'aimerais bien pouvoir répondre à cette lettre. Aussi, je vais vous en saisir officiellement et je vais vous demander de répondre point par point car il est surprenant de se faire interpeller de cette manière-là.

M. le Rapporteur : La question était la suivante : les décisions qui ont été prises par le gouvernement - l'actuel mais aussi le précédent - ne peuvent-elles pas être qualifiées de soutien abusif et donc justifier un appel en comblement de passif ? Est-ce que le problème juridique a été examiné par le gouvernement avant de prendre les décisions ? Pouvez-vous répondre au moins pour le nouveau gouvernement, s'agissant de ses décisions du 24 juillet puis du 13 novembre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je vais répondre très directement à cette question : la réponse de fond est non !

On savait que cette question du soutien abusif pouvait se poser. Du moins, on s'en doutait juridiquement. Pour répondre précisément : cette question n'a jamais été discutée de manière formelle dans toutes les réunions auxquelles j'ai assisté. Et j'assistais à toutes les réunions, que ce soit à notre ministère, que ce soit aux Finances, que ce soit à Matignon. Mais « on ne sait jamais », nous disions-nous. Notre priorité, c'était la survie de l'entreprise.

Voilà la réponse que je peux donner à cette question.

A partir de l'apparition d'IMCA, les choses ont commencé lentement à évoluer.

Un événement est intervenu du côté du tribunal de commerce et cela n'est pas neutre dans l'affaire, comme vous allez le voir. Chemin faisant, le président du tribunal de commerce, je crois à la demande de Jean-Charles Corbet, a transformé le statut de Me Lafont : de mandataire ad hoc il est passé au statut de conciliateur.

Cela s'est fait à partir d'une date que je n'ai pas réussi à retrouver. Disons qu'au début du mois de novembre, Me Lafont est devenu conciliateur et qu'il va jouer un rôle important, comme vous allez le voir maintenant.

Nous étions donc le 13 novembre. Air Lib et IMCA repartent après les réunions que j'ai citées pour faire un plan de restructuration, plan appelé par Jean-Charles Corbet « Plan Mermoz », lequel nous est remis le 20 décembre très exactement de l'année dernière.

Ce plan nous a paru à nouveau très bizarre. Contrairement à ce que l'on commençait à penser d'abord, c'était une réplique du premier plan de restructuration sur lequel nous n'étions pas d'accord. Quand vous verrez les documents, vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire !

Deuxièmement, IMCA qui, soi-disant - et maintenant je peux dire « soi-disant » - était le nouvel investisseur n'était strictement pas cité. C'était quand même bizarre !

Troisièmement, c'était l'Etat qui était proposé pour financer le plan de restructuration avec deux conditions.

La première condition était un abandon total de créances de la part de l'Etat, ce qui à cette époque-là devait correspondre à 100 millions environ. D'autre part, il était prévu « un subside non remboursable » de l'Etat, expression quelque peu bizarre, de 172 millions d'euros. Nous avons compris que c'était encore l'Etat qui devait apporter ce financement.

Ainsi, alors qu'on demandait un financeur et un vrai plan de restructuration ; c'était l'Etat qui devait payer à hauteur non plus cette fois de 110 millions d'euros mais de 292 millions d'euros.

On était le 20 décembre et la première échéance était le 9 janvier.

M. Marcel BONNOT : Je souhaiterais poser une question à propos du soutien abusif, lequel obéit à des exigences qui ne me paraissent pas réunies, ce qui serait plutôt rassurant pour l'Etat.

Pendant tout ce temps où l'Etat a continué son soutien et alors qu'on attendait un plan de restructuration, Air Lib était sous quel régime ? Est-ce qu'un conciliateur avait été nommé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, depuis début novembre, il y avait un conciliateur : Me Lafont. Je n'en parlais pas encore parce qu'il a commencé à vraiment intervenir au mois de janvier, parce que c'est nous qui l'avons demandé.

Reprenons les dates. Le 20 décembre, à l'approche de Noël, beaucoup de gens n'étaient pas là. A la Commission européenne, le 20 décembre, il n'y avait plus personne.

Malgré tout, « Corbet-Air Lib » nous envoie un plan amendé le 8 janvier. Ce plan continue à ne pas beaucoup nous convenir parce que les questions restent les mêmes. Il n'y a pas de financement. J'observe que cette fois-ci on ne voit plus apparaître « subsides non remboursables » ; il a supprimé la phrase. Mais, il n'y a de toute façon pas de financement, pas de trésorerie, pas de reprise des paiements courants, bref rien de ce que nous avions demandé.

J'ajoute qu'IMCA n'apparaît toujours pas dans les affaires. A l'occasion de toutes ces relations, c'était toujours Air Lib, c'est-à-dire Jean-Charles Corbet ou ses collaborateurs. Sur les documents, sur les différentes propositions sur le financement, IMCA n'apparaissait jamais ! J'insiste bien sur ce point, malgré toutes les lettres de bonnes intentions qu'IMCA nous envoyait. Vous les verrez sans doute.

M. le Président : Vous dites qu'Air Lib vous fait des propositions et dépose un gros document dans lequel IMCA n'apparaît pas. Mais en même temps, vous restez en relation avec IMCA qui continue à vous écrire.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n'était pas une affaire facile à gérer, compte tenu de la personnalité des uns et des autres. Notre position a un peu évolué au fil des jours.

Au départ, c'est-à-dire début novembre, nous ne nous posions pas beaucoup de questions ; Corbet arrivait avec un investisseur et on discutait avec les deux. Puis, progressivement, on s'est aperçu que seul Corbet discutait avec nous. Cela nous a paru un peu bizarre.

Pierre Graff, le directeur de cabinet de Gilles de Robien, et moi-même, nous avons demandé à Corbet de nous revoir. Nous nous sommes revus une fois, peut-être deux fois, avec IMCA.

Après, nous avons compris que Corbet ne disait pas nécessairement les mêmes choses à IMCA que ce qu'il nous disait à nous. Nous avons voulu voir IMCA dans un premier temps et, au début, IMCA ne l'a pas voulu.

Les discussions devenant difficiles, nous avons pris progressivement le parti de discuter avec le conciliateur.

M. le Président : Avec Me Lafont !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà !

M. le Président : Au 20 décembre lorsque vous recevez le plan, vous n'avez pas de contact avec IMCA ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : On l'a vu une ou deux fois. Mais pour le plan, nous discutions avec Air Lib !

M. Marcel BONNOT : Quelle était la mission du conciliateur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Quand moi-même je lui ai posé cette question, il s'est fâché. (Sourires.)

M. le Président : Nous l'entendrons.

M. Marcel BONNOT : Il y avait bien une ordonnance du président du tribunal de commerce.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Absolument.

La mission du conciliateur était d'examiner les possibilités de développement, le plan de restructuration de l'entreprise et les financements.

M. le Président : Il avait combien de temps pour le faire ?

M. Dominique DAVID : En principe, il avait deux mois, délai prolongeable d'un mois.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Les deux premiers mois venaient à échéance le 14 février.

M. le Président : Après l'expiration éventuelle de la licence ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui.

Il faut dire qu'en France nous avons des procédures parallèles. Le gouvernement a ses procédures, le tribunal de commerce a les siennes et d'autres ont encore les leurs.

M. le Président : Qui demande la nomination de Me Lafont comme conciliateur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il me semble que c'est Corbet qui l'a demandé. Vous lui poserez la question mais je crois que c'est lui qui l'a demandée parce qu'il sentait...

M. le Président : ... que ça lui échappait !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà ! En tout cas, le président du tribunal de commerce l'avait nommé.

Nous sommes donc le 8 janvier et à nouveau avec un plan qui ne convient pas beaucoup.

Nous avions fixé le 9 janvier comme échéance. Disons autour du 10 janvier.

Le 14 janvier - on était un petit peu en retard par rapport à notre échéance du 9 janvier - le CIRI a demandé formellement à Me Hubert Lafont de commencer son travail de conciliation entre l'Etat, Air Lib et IMCA. Le conciliateur a fait un très bon travail : tout le monde s'est retrouvé autour de la table et un protocole de conciliation a été mis en place au fur et à mesure. Il est vrai que les choses ont quand même un peu duré parce qu'il n'était pas facile dans une telle affaire d'élaborer un projet de protocole de conciliation.

Cette mise en place s'est faite à peu près dans les dix jours qui ont suivi. En effet, le 23 janvier, IMCA nous a dit qu'il était bien d'accord pour signer. Nous en avons une trace. Mais, de toute façon, c'est ce qu'il disait depuis le début. Toutefois, il y avait encore des petites choses à régler sur lesquelles je reviendrai.

Nous sommes donc juste avant le 31 janvier. N'oublions pas que nous étions, une fois de plus, comme au 31 octobre, sous l'épée de Damoclès de notre propre décision : la fin de la licence d'exploitation venait à échéance au 31 janvier.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Le CSAM, quant à lui, ne s'était pas réuni et il n'avait pas eu à évoquer la prolongation de la licence ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non.

M. le Président : J'ai sous les yeux un communiqué d'Air Lib du 9 janvier. Il dit ceci : « Air Lib, qui compte 3 500 salariés, a amendé son plan pour tenir compte des remarques formulées par le ministère sur les documents présentés en décembre ».

Par ailleurs, Le Monde ajoute : « Jean-Charles Corbet et Erik de Vlieger ont annoncé avoir signé le 9 janvier un accord pour l'entrée d'IMCA à hauteur de 50% du capital de la compagnie ».

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, c'est vrai !

Mme Odile SAUGUES : Vous avez dit que le 8 janvier IMCA n'apparaissait toujours pas dans le plan amendé.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non.

Mme Odile SAUGUES : Le 9 janvier, ils ont annoncé leur accord, c'est-à-dire le lendemain ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. Odile SAUGUES : D'accord !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ils nous l'ont transmis. Mais il n'apparaissait pas dans le plan de restructuration que l'on a.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qu'il disait cet accord du 9 janvier ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour nous, c'était relativement annexe parce que ce n'était pas le vrai problème.

M. le Rapporteur : Que disait cet accord ? Avait-il une portée juridique ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais pas !

M. Dominique DAVID : Nous avons cet accord. Il dit simplement qu'IMCA pourrait prendre une participation dans Air Lib...

M Jean-Claude JOUFFROY : Il « pourrait » prendre une participation. Ce n'est pas un vrai accord !

M. Dominique DAVID : Tout était sous des formes conditionnelles.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Dans toute cette affaire, il faut interpréter les écrits !

M. le Rapporteur : En tout cas, ce n'était pas clairement : « Je m'engage à... »

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne pense pas. Je ne sais plus parce que ce n'était pas notre préoccupation précise.

En tout cas, IMCA nous assure de ses bonnes intentions. Il va bien sûr signer le protocole, mais je vais y revenir.

Il nous dit toutefois qu'il reste quand même deux petits problèmes à régler : l'accord avec les syndicats puisqu'il prévoyait une réduction des salaires du personnel d'Air Lib de l'ordre de 30 % et un problème de financement des avions.

Je n'en ai pas fait état depuis le début et j'aurais dû peut-être insister un peu sur ce point. En effet, une partie du plan de restructuration consistait pour sauver Air Lib à trouver un investisseur pour acheter des avions neufs. Il n'était pas possible de continuer avec les avions actuels.

IMCA nous dit : « Je n'ai pas encore fini mes discussions avec Airbus ». Or, nous avons quand même des liens téléphoniques avec Airbus et je savais que les discussions n'avaient même pas commencé.

« Je n'ai pas fini mes discussions avec Airbus - c'est ce que nous dit IMCA ...- et tant qu'il y a ces deux problèmes, nous ne pouvons pas signer le protocole ».

Le gouvernement était quand même assez allant à cause des 3 000 emplois. Nous indiquons donc à Me Lafont que lorsque le projet de protocole de conciliation sera prêt, le gouvernement est décidé à le signer aux conditions suivantes.

Nous avons écrit une lettre à Me Lafont le 27 janvier.

La première condition porte sur le remboursement des dettes antérieures au 9 janvier, c'est-à-dire antérieures à la date à laquelle on avait initialement fixé l'échéance. Nous disons donc à Me Lafont : « Le gouvernement confirme son accord pour un étalement du remboursement des dettes antérieures au 9 janvier sur une durée pouvant aller jusqu'à sept ans, la date du premier paiement de ces dettes pouvant même intervenir à une date postérieure au 1er juillet. »

Je parle bien des dettes antérieures au 9 janvier, c'est-à-dire les 90 millions de dettes publiques.

Nous étions d'accord également sur un point important que vous avez pu lire dans la presse à l'époque, à savoir de donner les droits de trafic sur l'Afrique. Corbet ne manquait pas de mobiliser la presse sur cette question alors que, pour notre part, nous n'avons jamais eu aucun problème de quelque ordre que ce soit pour donner les droits de trafic sur l'Afrique. Nous l'avons signifié par lettre également.

En compensation de ces deux avancées importantes, nous exigions, de la même manière qu'on avait exigé la reprise des paiements courants le 1er août, la reprise des paiements courants à compter du 9 janvier. Nous étions le 27 et donc un peu retard.

« Le Gouvernement note la volonté de régler les paiements courants à compter du 9 janvier... » Nous allions plus loin : nous acceptions même la proposition d'IMCA de reporter au 30 juin 2003 le paiement de la partie de la dette du 9 janvier au 14 mars.

Il nous avait expliqué qu'il s'était fixé le 14 mars, c'est-à-dire la fin de la conciliation au 14 février qui pouvait être prolongée d'un mois. Bref, il s'était mis en tête cette date du 14 mars. Nous acceptions donc même pour ce laps de temps un report de ces dettes et on considérait cela quand même malgré tout comme une reprise des paiements courants.

Il y avait d'autres conditions que vous pourrez lire dans cette lettre, mais elles sont accessoires.

Bref, nous avons fait le maximum de ce qu'il était possible de faire. C'est dans ces conditions que le 30 janvier un protocole d'accord était prêt à être signé par toutes les parties, c'est-à-dire par les trois principales parties : IMCA, Holco et nous.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaite poser une question avant que nous n'arrivions à la fin de l'histoire, si tant est que ce soit possible tant vous ménagez le suspens. (Sourires.)

Vous avez parlé des vols en direction de l'Afrique. Pour ma part, je voudrais parler un peu des DOM et vous poser des questions avec précision.

Avez-vous connaissance du rapport « Dexair Airlines - compagnie charter passagers et fret - monde entier - Roissy/Orly aéroport » ? C'est sa dénomination dans son intégralité.

Ce rapport a-t-il été remis à Dominique Bussereau ?

Etait-il vraiment ultra confidentiel, comme cela a été dit ?

Prévoyait-il la création d'une compagnie dont l'activité serait centrée sur les DOM ?

Il aurait été indiqué en toutes lettres dans ce rapport : « Cet engagement est indispensable pour le gouvernement qui ne peut engager des actions financières à l'encontre d'Air Lib que si une ou plusieurs compagnies peuvent se substituer à l'instant T au transporteur défaillant. » Autrement dit, si l'un n'avait plus les passages sur les DOM, c'est l'autre qui les avait.

M. le Président : Vous allez un peu vite ! Vous faites les questions et les réponses.

Mme Odile SAUGUES : Je le traduis à ma façon, peut-être, mais à d'autres moments j'ai entendu de telles choses. Je ne vois pas pourquoi je ne les reprendrais pas.

Je reviens en arrière par rapport au timing que vous nous avez donné dans la préparation du protocole. Comment expliquez-vous que lors d'un déplacement en Guadeloupe, l'été dernier, Mme Girardin, ministre de l'Outre-mer, ait repris, alors que ce rapport n'était pas rendu public, les propositions concrètes qu'il contenait sur la continuité territoriale et sur le passeport mobilité pour les jeunes ?

J'aimerais savoir ce qu'il en est de ce rapport. Quelles étaient ses conditions de divulgation ? Que contenait-il exactement par rapport aux compagnies qui travaillent sur les DOM ? Quid de cette allusion qui a été faite à Air Lib ?

Je vous remercie de me donner quelques éclaircissements sur ces points.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne connais pas ce rapport ; je ne l'ai jamais lu. Je ne peux donc pas vous répondre.

S'agissant de la compagnie que vous avez citée, Dexair, nous avons vu très souvent ses représentants. Cela étant, n'importe qui peut écrire n'importe quoi sur ce que fait le gouvernement et sur ce qu'il va faire !

Je veux dire un mot sur le problème important de la desserte des DOM. Pendant toute cette affaire Air Lib, beaucoup de projets émanant de beaucoup d'entreprises nous ont été soumis. Beaucoup d'entre eux, pour ne pas dire tous, étaient très souvent assez inintéressants. En fait, ce n'était même pas de vrais projets car je n'en jamais vu qui soit fini. C'était davantage des idées avancées sur les DOM.

En tout cas, nous avons reçu tous ces gens. En particulier, le représentant d'une compagnie du nom de Dexair est venu nous voir et nous revoir. Des papiers ont été remis à Dominique David.

Nous avons également beaucoup vu à l'époque M. Rabut qui avait un projet, lequel est maintenant tombé à l'eau pour la raison que je vais dire.

M. Dominique DAVID : Il n'est pas tout à fait tombé à l'eau.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce projet consistait à monter une compagnie propre aux DOM que certains ont appelé Air DOM. Jusqu'à maintenant, il n'avait pas trouvé encore le financement et je croyais qu'il était tombé à l'eau. Apparemment ce n'est pas le cas.

En effet, une des conditions de ce projet, c'était de desservir à la fois La Réunion et les Antilles. Mais, comme vous le savez, pour La Réunion, il va y avoir Air Austral.

Nous avons vu beaucoup-beaucoup de choses, y compris des projets complètement farfelus. Nous n'avons jamais refusé de voir quelque projet ou qui que ce soit, et en particulier cette compagnie.

En tout cas, je le répète, je ne connais pas ce rapport.

Je vous ai déjà indiqué quelles étaient nos deux lignes directrices dans cette affaire. Nous avions une troisième contrainte : la desserte des DOM.

M. le Président : Nous en étions au protocole.

M. Dominique DAVID : Pour répondre à la question de M. de Courson, nous avons reçu une lettre d'IMCA adressée à nos deux ministres, et signée du président de Vlieger, le 7 janvier.

Je vous en lis un paragraphe : « A ce stade de nos négociations avec l'actuel actionnaire de cette entreprise - il parle d'Air Lib - je peux vous indiquer que nous sommes prêts à nous engager à faire en sorte que l'entreprise dispose des fonds nécessaires à sa restructuration et au renouvellement de sa flotte, la contrepartie de cet engagement étant la cession d'une participation de 50%. »

« Notre entreprise est parfaitement à même d'assumer un investissement au niveau des sommes nécessaires. »

C'est un peu ce signal encourageant qui nous a amenés à provoquer la conciliation.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons vu qu'il était intéressé. Enfin, nous le croyions...

M. le Président : C'était quand même une lettre ferme.

M. Dominique DAVID : Vous aurez copie de tous ces documents.

M. Jean-Claude JOUFFROY : C'est une lettre ferme, mais elle emploie des termes comme « envisagés », etc.

Mme Arlette GROSSKOST : C'est une lettre d'intention.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le protocole de conciliation est prêt le 30 janvier.

IMCA a réglé plus ou moins certains points mais je ne sais pas comment parce que nous ne sommes pas intervenus dans l'affaire. Vous avez tous vu les allers-retours d'Erik de Vlieger en Hollande, ses contacts avec les personnels, avec des actes assez théâtraux.

Il lui restait à signer lorsqu'il nous dit : « Attendez ! Je ne peux pas signer tant que je n'ai pas obtenu satisfaction avec Airbus. »

Me Lafont nous dit : « Erik de Vlieger nous dit qu'il demande encore quelques jours en supplément... S'il a obtenu satisfaction d'Airbus, il signera... »

Bien sûr, nous suivons très attentivement tout ce qui se passe entre le 30 janvier et le 4 février. On prolonge la licence d'exploitation de quelques jours, jusqu'au 5 février. Comme le CSAM ne s'était pas réuni, on ne voulait pas être dans le vide juridique.

Le 3 février Me Lafont, voyant que les choses ne vont pas très bien, enjoint à IMCA de lui dire si véritablement il était bien toujours d'accord pour signer. Me Lafont m'a raconté au téléphone qu'il n'arrivait plus à mettre la main sur les gens d'IMCA !

Je dois vous dire que nous avions mis des conditions financières, point sur lequel je suis passé un peu rapidement.

Nous demandions un apport immédiat en trésorerie de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros et une garantie par un établissement financier sérieux, en particulier concernant le plan de restructuration et l'achat des avions. Bref, il y avait des clauses financières extrêmement strictes.

Nous étions donc le 3 février et IMCA nous dit : « Je ne signerai pas si je ne m'entends pas avec Airbus. »

C'est dans ces conditions que la licence que nous avions fixée jusqu'au 5 février expirait. L'Etat est allé vraiment très loin, vraiment au maximum maximorum de ce qu'il pouvait faire et je ne crois pas qu'il pouvait faire quelque chose de plus.

Sans intervenir et sans que nous soyons présents - j'insiste bien sur ce point parce que sur le plan juridique nous faisions extrêmement attention - le mercredi nous avons fait venir à l'Hôtel de Roquelaure les représentants d'IMCA. D'ailleurs, ce n'est pas le président qui s'est déplacé lui-même, c'est son avocat.

Je donne quelques détails car ils ont leur importance. Nous les avons fait venir dans une pièce de l'Hôtel de Roquelaure et nous les avons mis en relation téléphonique avec Airbus. L'entretien a dû commencer dans la soirée - ils étaient en retard - et ils ont discuté toute la nuit. Gilles de Robien et Dominique Bussereau étaient à côté. A quatre heures du matin, quel était le résultat ? Pas d'entente, pas de signature du protocole.

Nous avons immédiatement arrêté les vols d'Air Lib et le tribunal de commerce, le 19 février, a prononcé la liquidation.

Je voudrais dire un mot sur le pourquoi des choses. Il faut bien rétablir la vérité aussi là-dessus car un certain nombre de choses ont été dites un peu dans tous les sens.

Premièrement, le nombre d'avions a évolué au fur et à mesure de la soirée. C'était 20, 10, 12...

Un Airbus 320 vaut à peu près 50 millions d'euros. IMCA avait obtenu sur le prix des conditions assez intéressantes. Il est vrai qu'il est toujours assez difficile de savoir le prix des avions car cela fait quand même partie du secret commercial, toujours très dur à pénétrer.

D'après nos informations, ils avaient quand même obtenu des prix assez bons, pas très éloignés de ceux qu'avait obtenus EasyJet pour 120 Airbus.

M. le Rapporteur : On a parlé de 25 % de remise.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Mais le problème n'était pas celui-là. En effet, IMCA n'avait pas d'argent pour financer ses avions et surtout pour apporter les 25 millions d'euros dont j'ai parlé tout à l'heure.

Je simplifie un peu cette présentation, mais au fond c'était cela.

M. le Président : En fait, il disait à Airbus de leur avancer les fonds pour acheter les avions.

Avec un mois de plus, la plaisanterie de Vlieger a coûté combien ? 10 millions, 15 millions ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. le Rapporteur : Merci, monsieur le directeur, pour cet exposé sur ce que vous avez vécu à partir du mois de juin 2002 jusqu'à la fin, en février 2003.

Nous avons quand même quelques questions à vous poser et d'abord une question que, je le précise, nous avons posée à tous nos interlocuteurs.

A partir de quand avez-vous commencé à avoir des doutes sur la viabilité d'Air Lib et sur les qualités de gestionnaire du président d'Holco ?

Avant que vous ne répondiez, je vous mets très à l'aise. En effet, la CFTC nous a dit très clairement : « Nous n'y avons jamais cru et nous avons voté contre le plan. »

La CGT nous a dit : « Nous y avons cru mais à partir de fin 2002, nous nous sommes rendus compte qu'il ne tenait pas la route. »

Le syndicat du personnel commercial nous a dit : « Nous nous sommes rendus compte à peu près aussi dans les mêmes délais de son incapacité de gérer ! »

Les pilotes nous ont dit que très rapidement, eux, au bout de deux, trois mois, ils se sont rendus compte d'une incapacité totale à gérer.

Vous étiez à partir de juin aux affaires. A partir de quand avez-vous commencé à douter ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour répondre très clairement à votre question, j'ai commencé à douter en septembre 2002. Toutefois, j'ai eu un « sursaut », comme je vous l'ai dit tout à l'heure, avec l'arrivée de l'investisseur.

Pourquoi en septembre ? Parce qu'avant l'été, quand on est arrivé au gouvernement, nous avions vraiment comme objectif - et cela a toujours été le cas, bien sûr - la survie d'Air Lib et des emplois. C'était vraiment une priorité fondamentale. J'étais complètement dans cette ligne-là.

Progressivement, j'ai quand même vu le comportement du président d'Air Lib qui m'a paru quelquefois un peu bizarre. En discutant avec les uns ou les autres, progressivement, aux alentours de septembre, je me suis rendu compte de certaines choses.

Il y avait des interrogations fortes sur le président d'Air Lib lui-même. Surtout, j'ai commencé à me dire que les choses devenaient vraiment très problématiques car il n'y avait pas de management derrière lui.

Ce point m'a été confirmé dans des discussions à bâtons rompus avec les uns et les autres. Pourquoi ? C'était simple et c'est toujours simple à comprendre. Tout le bon management d'Air Lib, tel et tel directeur, tous sont progressivement partis. Corbet s'est retrouvé avec un management qui n'était pas, à mon sens, de bonne qualité.

Je me suis fait confirmer d'ailleurs ce point, malgré ce que j'ai dit tout à l'heure du rapport KPMG. J'ai posé la question aux représentants de ce cabinet et j'ai bien vu qu'ils étaient un peu sur ma ligne.

Comme je vous l'avais dit, dès le départ, j'étais interrogatif sur la nature de l'activité de l'entreprise et sur son réseau. Ce que m'avait dit KPMG m'avait un peu ébranlé.

Ensuite, j'ai eu de nouvelles informations sur le management et j'ai commencé à me dire que les choses allaient quand même être très difficiles.

J'ai eu un sursaut, comme d'ailleurs sans doute l'ensemble de ceux qui traitaient le dossier, avec l'arrivée d'IMCA.

En outre, fin décembre-début janvier, nous avons commencé à comprendre qu'IMCA voulait changer le management. Ensuite, nous avons continué à avoir des interrogations.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous connaissiez ou à partir de quand avez-vous commencé à connaître l'organisation juridique du groupe Holco ?

Est-ce que vous vous êtes posé des questions sur ce qu'étaient devenus les 160 millions d'euros versés par Swissair à la holding ? Je vous pose la même question s'agissant de l'argent public, c'est-à-dire les 30,5 millions d'euros du prêt du FDES et s'agissant encore des autres créances qui sont passées de 9 millions d'euros à près de 90 millions d'euros ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Que sont devenus les 160 millions d'euros versés par Swissair?

Sur une partie de ceux-ci, on pouvait avoir des interrogations. Mais en ce qui nous concernait, ce n'était pas notre problème direct pour deux raisons. D'une part, à notre arrivée, nous avons constaté les choses et nous n'avons pas traité ce qui avait été fait avant. D'autre part, Air Lib est une entreprise privée et les rapports d'une entreprise privée avec une autre entreprise privée n'étaient pas nécessairement de notre compétence.

Notre sujet, c'était la compagnie Air Lib et non pas les filiales.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous saviez combien devait verser Swissair : 198,18 millions d'euros. Ils en ont versé 160,07 millions.

Vous n'avez pas demandé l'état de la trésorerie des autres filiales ? Des trésoreries n'ont-elles pas été dissimulées ?

Vous n'étiez pas au courant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le rapport Mazars avait deux objets : premièrement la trésorerie d'Air Lib et deuxièmement le groupe Holco. Nous avions les informations du rapport Mazars !

M. le Rapporteur : Quid du document qui a été remis au comité d'entreprise, s'agissant de la répartition des 160,07 millions d'euros versés par Swissair à la holding Holco ? Vous ne vous y êtes jamais intéressé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n'est pas que nous ne nous y soyons pas intéressé...

M. le Rapporteur : Etiez-vous par exemple au courant des faits suivants sur lesquels les syndicats ont attiré notre attention.

Au 13 février 2003 les administrateurs se sont versés 16,3 millions d'euros. Le saviez-vous ? Depuis, ils se sont peut-être versés d'autres choses !

Saviez-vous que les banques d'affaires ont touché 9,1 millions d'euros ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je ne le savais pas.

M. le Rapporteur : Les avocats ont touché 4,2 millions d'euros !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Cela, je ne le savais pas.

Ce que nous savions, c'est ce qui est dans le rapport Mazars. Trois chiffres m'ont toujours surpris : le salaire du président d'Air Lib, le salaire d'un certain nombre de ses collaborateurs, les commissions versées à CIBC - 8,5 millions d'euros - les honoraires de Me Léonzi, 3 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Il y en avait quelques autres.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà ce que je sais. Je ne connais pas tous les chiffres et nous ne sommes pas allés plus loin.

M. le Rapporteur : A partir de février 2003, la question de l'argent de la Swissair est quasiment publique puisque le comité d'entreprise en est saisi, suite à des demandes qui remontent à sept mois avant, de la part des responsables du comité d'entreprise de l'époque.

Vous ne saviez pas et vous ne vous êtes pas posé la question de savoir où était passé l'argent de la Swissair ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n'était pas notre préoccupation !

M. le Rapporteur : S'agissant du prêt du FDES, c'est-à-dire des fonds d'Etat, y a-t-il eu un suivi de l'utilisation des 30,5 millions d'euros. ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous répondre exactement. Je pense qu'il ne doit pas y avoir sur ce point précis beaucoup d'obscurité, mais je pense que le CIRI pourra vous répondre.

D'ailleurs, à notre arrivée, ces 30,5 millions d'euros avaient été versés. Ils ont été versés non pas à Holco mais à Air Lib, je suppose.

M. le Rapporteur : Absolument !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Est-ce qu'ils n'ont pas servi à donner des salaires plus élevés que la norme ? C'est peut-être la question que l'on peut se poser.

M. le Rapporteur : Ou à ne pas rapatrier ce qui restait ?

Au 13 février, il y avait quand même un différentiel. Il restait encore une vingtaine de millions d'euros au sein de la holding Holco. Mais nous interrogerons M. Corbet sur ce point.

M. Jean-Claude JOUFFROY : On ne s'est pas posé la question. Le CIRI se l'est peut-être posée ? Je ne le ne pense pas.

M. le Rapporteur : Ma dernière question porte sur ce qui s'est passé entre IMCA et l'une des filiales du groupe, c'est-à-dire la filiale hollandaise dans laquelle étaient les avions. Est-ce que vous savez des choses là-dessus ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Rien ! Nous l'avons appris par la presse comme tout le monde.

M. le Rapporteur : Mais vous pouvez à tout moment demander les certificats d'immatriculation des avions qui, avant cette opération, étaient immatriculés en France. Par un simple coup de téléphone, vous pouviez savoir si les avions - on a parlé d'une dizaine d'avions - avaient changé de propriétaire. C'est ce que l'on nous a dit et nous allons le vérifier. Vous, vous n'étiez pas au courant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il faut bien voir le domaine des compétences de l'Etat dans cette affaire. J'insiste bien une fois encore sur le fait qu'Air Lib était une entreprise privée. L'Etat a un certain nombre de moyens juridiques pour intervenir dans la vie des entreprises privées. Ces moyens sont limités et il n'en a pas d'autres.

Quelles étaient les responsabilités de l'Etat, en tout cas en tant que ministère des Transports, vis-à-vis d'Air Lib ? Il s'agissait premièrement de s'assurer de l'équilibre financier de l'entreprise pour que nous puissions renouveler ou non la licence d'exploitation d'Air Lib. Voilà notre responsabilité !

Nous avons d'autres responsabilités dont celle de l'immatriculation des avions. C'est nous qui immatriculons les avions et c'est nous qui avons le registre d'immatriculation. C'est clair !

Je ne sais pas répondre à la question que vous posez sur la propriété des avions. D'après la presse, ils sont passés, ils ont dû passer ou ils sont peut-être passés de la propriété de je ne sais qui à la propriété d'IMCA. Est-ce que ces avions étaient immatriculés français ? Ce n'est pas sûr, mais je n'ai pas la réponse.

M. le Président : Je souhaite revenir de façon précise sur cette question.

Quand on accorde une licence d'exploitation à une compagnie aérienne, un dossier doit être établi et il doit avoir trait à la flotte que cette compagnie exploite. Je pense qu'un certain nombre d'informations sont demandées par l'autorité administrative sur ces avions. Il doit bien être fait état de leur immatriculation. On doit bien savoir s'ils sont la propriété de la société ou s'ils sont affrétés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous répondre précisément. D'ailleurs, je ne sais pas si on va dans ces détails dans la composition du dossier.

M. le Rapporteur : C'est une question importante pour nous.

Si vous ne pouvez pas nous répondre parce que vous n'avez pas les éléments entre les mains, pourriez-vous nous faire une note partant de juillet 2002 ?

J'ai noté ce que nous a dit votre collaborateur, M. David : il y avait 33 appareils qui étaient de natures diverses : des pleines propriétés, des locations, des leasings, etc. Pourriez-vous nous dire si initialement, au tout début, ils étaient dans la société d'exploitation ?

Une décision de justice du tribunal de commerce a autorisé à rapartir les actifs et à les mettre dans une structure « Mermoz », dite « Coopérative Mermoz », de droit hollandais. Il semble qu'après, selon ce que l'on dit, une partie aurait été vendue à IMCA.

Puisque vous avez les certificats d'immatriculation, pourriez-vous nous dire ce que vous savez de ce qui s'est passé entre juillet 2002 et le dépôt de bilan de février 2003 ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Tout à fait ! Je vais faire le point exact sur cette question.

M. le Rapporteur : Vous pourrez ensuite transmettre à la commission les éléments à la disposition des autorités publiques.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Tout à fait.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Je souhaite poser une question qui, à mon avis, est sous-jacente à l'intervention des syndicats, hier.

Au niveau du cabinet ministériel, est-ce qu'il y avait dans le règlement de la problématique d'Air Lib une contradiction avec les problèmes liés à Air France ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non !

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Est-ce qu'il y avait une contradiction ? Est-ce que, à votre connaissance, il y a eu des interventions, à la demande du personnel d'Air France, dans l'activité d'Air Lib pendant cette période-là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne comprends pas la deuxième partie de votre question.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Est-ce que des hauts cadres d'Air France ont pu éventuellement participer aux activités ou à l'orientation des activités d'Air Lib pendant ces derniers mois ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux vous répondre : non. Je n'étais au courant de rien !

M. le Président : Pour être plus clair, on nous a indiqué que l'un des administrateurs d'Air France, M. Paris, président des fonds Concorde, avait joué un rôle important soit de conseiller, soit d'associé de M. Corbet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce que je peux vous dire de la manière la plus précise c'est qu'il est clair que M. Paris et M. Corbet sont très amis. Pour ma part, je sais ce que tout le monde sait ou dit : M. Paris continuait probablement à donner des conseils. Il paraît raisonnable de dire que c'est la réalité car ils sont très liés. En tout cas, il avait des discussions avec Jean-Charles Corbet concernant Air Lib. Au-delà des relations personnelles, y avait-il des liens financiers ? Je ne suis strictement au courant de rien.

J'en viens à la première partie de la question, concernant les relations Air France et Air Lib. On ne pouvait pas empêcher Jean-Charles Corbet - ou qui que ce soit - de dire ce qu'il voulait, même quand c'était pour avancer des contrevérités. De même, on ne peut empêcher quiconque de croire quoi que ce soit et de dire ce qu'il a envie de dire.

Pour ma part, je l'affirme de la manière la plus nette et avec la plus grande fermeté possible, dans l'affaire Air Lib nous n'avons jamais mis en balance les emplois et la protection d'Air France. En d'autres termes, pour être encore plus clair, nous n'avons jamais cherché, de quelque manière que ce soit, à protéger Air France.

On nous a fait le procès de protéger Air France sur l'Afrique. Nous avons dit et redit au président d'Air Lib et au groupe IMCA que les droits sur l'Afrique seraient toujours accordés sans aucun problème. Mais notre position était toute simple et même un peu naïve. Elle était de dire - et c'était en particulier ma position - que nous ne donnerions les droits sur l'Afrique que lorsqu'on nous aurions un accord global avec eux.

Cette position me paraissait raisonnable. Or, vous savez tout ce qui a été dit dans la presse, en particulier sur cette affaire-là. A partir d'un moment, nous avons pris la décision fin décembre ou début janvier - bien que l'on n'ait pas conclu un accord global - de donner les droits sur l'Afrique.

Je peux affirmer de la manière la plus nette possible que notre préoccupation n'a pas été la protection d'Air France.

M. le Rapporteur : Quelle est la stratégie du gouvernement à l'égard de ce que certains ont appelé le deuxième pôle ?

Pensez-vous que c'était une bonne chose ? Avez-vous fait ce que vous avez pu pour essayer de le maintenir ? Ou est-ce que, a posteriori, vous pensez que tel n'est pas le cas ?

Enfin, Air France a-t-il essayé de vous influencer dans cette affaire ? Si oui, dans quel sens ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je dois dire qu'Air France ne nous a jamais influencés en quoi que ce soit sur l'affaire Air Lib. Je suis le plus net possible !

M. le Rapporteur : Vous n'avez jamais appelé M. Spinetta pour lui demander, par exemple, ce qu'il pensait de cette affaire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Jamais ! Je suis formel. Non, jamais ! Je le connais par ailleurs.

M. le Rapporteur : Jamais, ni vous, ni lui, ne serait-ce que pour demander un avis ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La question est précise. Je réponds : jamais ! Je le répète encore une fois.

M. le Président : C'est clair.

M. le Rapporteur : En effet, c'est clair.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connais bien par ailleurs Jean-Cyril Spinetta. Je l'ai au téléphone deux fois par semaine parce qu'il nous informe quand même sur la marche d'Air France. Jamais je ne l'ai appelé sur l'affaire Air Lib !

M. le Rapporteur : Ne serait-ce que pour lui demander un avis ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je n'ai jamais appelé Jean-Cyril Spinetta sur l'affaire Air Lib.

M. le Président : Merci ! C'est clair !

Mme Odile SAUGUES : Toujours sur ces voyages en direction de l'Afrique ou des Antilles et surtout sur la stratégie commerciale d'Air Lib, j'aimerais que vous éclairiez un petit peu certains jugements qui ont été portés.

Estimez-vous que la commercialisation par les sociétés Air Lib et Air Lib Express à prix très bas sur l'Italie et les Antilles a constitué des actes de concurrence déloyale ?

Les prix qui étaient pratiqués étaient-ils, à votre connaissance, inférieurs au prix de revient des billets ? Pouvions-nous les considérer comme des prix anormalement bas ?

Alors que ces offres tarifaires ont été contestées par d'autres compagnies, ces offres ont été lancées en septembre 2002, à l'occasion du salon professionnel à Deauville.

Le CSAM a donné son feu vert à Air Lib pour ouvrir de nouvelles lignes vers le Maghreb et l'Afrique. Comment expliquez-vous cette décision ? Que répondez-vous à ceux qui estiment que les pouvoirs publics ont couvert une politique de prix abusivement bas, sachant que Corsair a déposé plainte contre Air Lib pour concurrence déloyale ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux déjà vous faire une réponse nette. A partir de décembre, les tarifs qu'Air Lib proposait sur les Antilles - à 99 euros - ne correspondaient strictement pas aux coûts. C'était des prix anormalement bas. Tout le monde vous le dira. L'aller-retour faisait donc 1 300 francs. Le point mort sur les Antilles se situe plutôt à 2 300 francs.

En revanche, je serais un peu moins affirmatif sur les bas tarifs, sur Toulouse ou sur Nice. Nous n'avons jamais bien pu le vérifier. Il aurait fallu se livrer à des calculs très compliqués et mettre en cause la comptabilité analytique d'Air Lib. Tout dépend de la manière dont on répartit les coûts sur une ligne ou sur une autre. On ne l'a pas fait.

Ce que vous dites, madame Saugues, est probablement vrai.

M. le Rapporteur : L'estimation du passif que laisse Air Lib est de quel ordre ? A-t-on une idée de l'ensemble des créances. Quel en est l'ordre de grandeur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous le dire.

M. le Rapporteur : Il y a les 120 à 130 millions pour la partie publique.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il y a tous les salaires, le coût du reclassement pour lequel l'Etat paye des sommes importantes. Je vous ferai une fiche.

M. le Président : Ce serait intéressant en effet.

M. le Rapporteur : Y compris pour les créances privées.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il semble qu'il n'y en ait pas. Par définition, Air Lib n'avait pas de banquier.

M. le Rapporteur : Le banquier d'Air Lib, c'était l'Etat et c'est bien le problème. Vous augmentiez vos lignes de crédit de 9 millions d'euros par mois. Telle est la réalité, avec le risque que des créanciers privés non payés se retournent vers l'Etat en comblement de passif pour soutien abusif et pour lui demander de payer la totalité des dettes.

C'est dire que ma question n'est pas anodine.

Mme Odile SAUGUES : On a parlé de la vente des 120 Airbus A319 à moins de 25 % de leur prix, d'après une estimation. Nous n'avons pas le chiffre exact.

Avez-vous connaissance d'éventuelles compensations qui auraient été liées à cette commande ? Cette question a été beaucoup reprise par la presse.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je n'en ai pas connaissance.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Baptiste Massignon,
secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)
et de M. Philippe Leroy, secrétaire général-adjoint du CIRI.

Procès-verbal de la séance du mardi 8 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président
puis de M. Xavier de Roux, vice-président.

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur Massignon, vous êtes Secrétaire général du CIRI depuis mai 2001. Vous avez donc suivi depuis l'origine le dossier concernant le prêt accordé à Air Lib au titre du FDES.

Je vous propose que vous interveniez pendant une dizaine de minutes pour nous indiquer la position du CIRI à l'époque, s'agissant de ce prêt. Dès lors que les contacts ont été pris au plus haut niveau, de quels éléments disposiez-vous ? Quels étaient vos espoirs quant au devenir de la compagnie dans la mesure où ce prêt a été présenté comme indispensable à son redressement ? Notre souci est en effet de savoir comment a été utilisée l'aide publique accordée par le gouvernement à la compagnie Air Lib.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : En introduction, je vous préciserai trois points : le rôle et l'organisation du CIRI, la situation juridique dans laquelle nous considérons nous trouver au regard de cette audition et la nature des travaux du secrétariat général du CIRI au sujet de l'entreprise Air Liberté.

Le CIRI existe depuis 1982. Il a été créé pour traiter les difficultés des entreprises industrielles, mais les dispositions juridiques et la pratique ont étendu son champ d'intervention à l'économie, que ce soit aux services, à l'industrie, à l'agroalimentaire, au BTP ou aux entreprises de transport comme Air Liberté. Le rôle du CIRI consiste à analyser les causes des difficultés des entreprises, à préconiser des remèdes et, le cas échéant, à envisager des mesures de réindustrialisation.

L'évolution des pratiques administratives a conduit à concentrer le rôle du CIRI sur trois aspects : un rôle d'expertise, d'analyse et d'ingénierie financières face aux difficultés des entreprises ; un rôle de coordination des administrations publiques nationales ou territoriales concernées par un même dossier avec un devoir d'interface entre l'ensemble de ces administrations et l'entreprise ; enfin, un rôle de médiation entre les différents créanciers d'une entreprise et celle-ci afin de mettre en place, en tant que de possible, une consolidation financière et de conforter les droits des créanciers.

Le secrétariat général du CIRI, que nous représentons ici, est une structure légère composée d'un front office, sous l'autorité et le contrôle du secrétaire général qui a des rapporteurs à ses côtés - Philippe Leroy étant le primus interpares en tant que secrétaire général-adjoint -, et d'un back office qui gère juridiquement, comptablement et financièrement les interventions passées et présentes du CIRI.

Le secrétariat général du CIRI est assuré par la direction du Trésor et inséré au sein de celle-ci. Les notes du secrétariat général du CIRI sont donc, comme vous avez pu le constater dans le dossier que nous vous avons transmis, signées par le directeur du Trésor. La hiérarchie de la direction du Trésor y apporte son concours et son expérience.

S'agissant de la situation juridique de cette audition, je voudrais juste faire deux remarques.

Premièrement, le souhait du secrétaire général du CIRI, du directeur du Trésor, personnellement, du ministre et de son cabinet est celui de la plus parfaite transparence, comme il se doit, vis-à-vis de votre commission. Si un reproche peut nous être fait dans la transmission documentaire, c'est celui de l'exhaustivité au risque de vous embarrasser avec de nombreuses pièces.

Pour autant, il se trouve que cette commission d'enquête porte, ce qui n'est pas habituel à notre connaissance, sur une entreprise privée régie par le droit des sociétés. Au cours de l'année 2002, celle-ci a été couverte par différentes dispositions du droit des sociétés, notamment les règles relatives au règlement amiable, et, plus précisément, la procédure de conciliation qui impose aux parties le secret à la fois sur son existence et sur son déroulement. L'existence de la procédure de conciliation n'est plus un secret pour personne. En revanche, son déroulement nous semble toujours relever de la protection voulue par le législateur.

M. le Président : À partir de quelle date estimez-vous cette procédure couverte par le secret ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : L'ouverture de la conciliation relève d'une ordonnance du tribunal de commerce de Créteil du 14 novembre 2002. Je n'ai pas reçu de document en prononçant officiellement la clôture.

M. le Président : Je vous pose la question pour vous rassurer, car l'essentiel de nos questions portent sur une période antérieure.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Deuxièmement, je ne suis pas sûr que cette remarque soit purement juridique, différentes pièces, qu'elles aient été sollicitées ou non, ont été transmises à votre commission, notamment un mémorandum rédigé par le mandataire social de l'entreprise. Nous ne sommes pas ici devant une juridiction, sinon il y aurait une circulation des pièces et chacun ferait valoir ses observations. Il nous semble néanmoins que le document qui nous a été communiqué comporte des erreurs factuelles. Nous sommes à votre disposition pour les corriger en tant que de besoin.

J'en viens à la période à laquelle nous sommes intervenus sur ce dossier et à la nature des travaux que nous avons pu accomplir.

En termes calendaires, nous avons eu à connaître de ce dossier à compter des tous derniers jours de décembre 2001 jusqu'à aujourd'hui. Nous avons eu deux modes d'intervention.

En tant qu'instructeurs directs, nous sommes intervenus sur la mise en place du prêt du FDES, sa prorogation - on peut considérer que cela forme un ensemble - et les aspects financiers de la conciliation.

En tant que coordonnateurs au sein de l'État, nous sommes intervenus sur le gel et le moratoire des dettes sociales, fiscales et aéroportuaires de l'entreprise, sur les discussions relatives à la mise en place d'un GIE fiscal soumis à l'agrément de la Direction générale des impôts et droits indirects, sur la préparation d'un plan de restructuration à notifier, le cas échéant, à la Commission européenne.

Telles sont les propos liminaires que je voulais tenir pour vous décrire qui nous sommes et circonscrire le cadre de notre intervention.

M. le Président : Je vous poserai successivement plusieurs questions afin que vous puissiez y répondre globalement.

Ma première question porte sur la période qui va de décembre 2001 à janvier 2002. Au cours de deux comités d'entreprise, le 18 décembre et le 28 décembre 2001, le président de la compagnie a indiqué que l'entreprise était en situation de déposer son bilan. Des procès-verbaux l'attestent. Lorsque vous avez été saisis par le gouvernement de la possibilité de venir en aide à la compagnie Air Lib, quelle a été votre position d'expert ? Quelle a été votre analyse de la situation pour que le 9 janvier 2002 un prêt puisse être accordé ? La question s'adresse peut-être davantage au rapporteur M. Leroy.

Ma seconde question est liée. Pour quelles raisons un avenant portant le montant du prêt de 16,5 millions d'euros à 30,5 millions d'euros a-t-il été signé le 28 février ?

Je pense que c'est à ce moment-là que démarre l'intervention du CIRI dans cette opération.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Les procès-verbaux auxquels vous faites référence ne nous étaient pas connus à l'époque.

M. le Président : Entre le mois de décembre 2001 et l'obtention du prêt le 9 janvier 2002, vous ignoriez donc les propos tenus par M. Corbet devant le comité d'entreprise ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Totalement.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La genèse de l'intervention du ministère des Finances sur ce dossier est la suivante.

Comme chacun le sait, les évènements du 11 septembre 2001 ont eu des répercussions fortes sur l'ensemble des compagnies aériennes. S'agissant plus particulièrement d'AOM-Air Liberté, il y a eu un double effet lié, d'une part, aux conséquences du 11 septembre et, d'autre part, à la situation déjà fortement dégradée de Swissair, puisque le projet de reprise d'Holco SAS reposait sur un financement apporté par celle-ci. Or, dès le début du mois d'octobre 2001, Swissair a fait l'objet d'un dépôt de bilan, même si l'expression juridique suisse n'est pas équivalente à celle du droit français. Elle n'était alors plus en mesure d'honorer les engagements pris dans le cadre du protocole transactionnel. La situation d'AOM-Air Liberté s'est donc trouvée fortement compromise.

Pour des raisons qui lui appartiennent, le ministère des Transports a souhaité pérenniser l'activité de cette entreprise. Compte tenu du défaut de financement résultant de la défaillance de Swissair que l'on peut estimer de l'ordre de 60 millions d'euros, des concours ont été recherchés, notamment auprès de l'État, ce qui a conduit à une décision ministérielle de mise en place d'un prêt que le secrétariat du CIRI a été chargé d'exécuter. Il y a donc eu une décision de principe prise au niveau approprié de l'État et une instruction de mise en œuvre.

Je tiens à préciser, Philippe Leroy pourra apporter les éléments complémentaires nécessaires, que l'intervalle a été extrêmement bref entre la première saisine et la mise en place de la première tranche du prêt.

M. le Président : Pourriez-vous nous rappeler la date de la mise en place de la première tranche du prêt ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le 9 janvier 2002.

M. le Président : Et l'avenant ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : L'avenant date du 28 février 2002.

M. le Président : Je vais vous permettre de préciser votre position. À cette époque, connaissiez-vous l'organigramme d'Holco ? Aviez-vous eu connaissance, je pense que oui, de la décision de transférer, semble-t-il en septembre 2001, des actifs dans les filiales étrangères, notamment aux Pays-Bas ? Swissair aurait d'ailleurs payé une partie de sa dette directement à Mermoz UA, pourriez-vous nous le confirmer ? Dans ces conditions, quelle a été votre analyse d'expert quant à la demande d'une aide publique, d'abord de 16,5 millions d'euros, puis finalement de 30,5 millions d'euros ? Quelle a été votre réaction au vu du montage de cette opération ? Vous est-il apparu classique et acceptable ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Vos questions portent à la fois sur des éléments de fait et sur des éléments d'appréciation.

M. le Président : C'est exact !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Sur les éléments de fait, la structure juridique et financière d'AOM-Air Liberté et de sa holding de contrôle dénommée Holco SAS nous était connue à la date de mise en place de la première tranche du prêt. Le fait qu'une partie des versements effectués par Swissair ait été conservée par Holco SAS nous était également connu. Les éléments d'explication apportés par les dirigeants de l'entreprise et leurs conseils étaient les suivants.

En premier lieu, une organisation par métiers correspond plutôt à la norme dans les compagnies aériennes qui distinguent la société d'exploitation, composée des personnels navigants et commerciaux, chargée de commercialiser les vols de celle gérant la restauration ou de celle responsable de la maintenance. En second lieu, la propriété des actifs que constituent les aéronefs est rarement confondue avec l'exploitation, sauf dans les compagnies de premier rang. À ce titre, la structure organisationnelle d'Holco SAS ou d'AOM-Air Liberté n'était pas atypique.

Pourquoi l'argent versé par Swissair n'a-il pas intégralement bénéficié à AOM-Air Liberté ? Je vais vous exposer ce qui nous a été indiqué à l'époque. Je tiens à préciser, pour que ce soit clair, que la coopérative Mermoz, société de droit néerlandais, détenait une part assez faible des 31 ou 32 aéronefs exploités par l'entreprise.

M. le Président : Elle en aurait eu sept !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Figuraient en effet à l'actif de la coopérative Mermoz, cinq DC 10, un ATR 42 et un appareil en pièces détachées. Pour être plus précis encore, les dates d'immatriculation des DC 10 s'échelonnaient entre 1973 et 1980 ou 1981. Mais lors de sa constitution, elle a récupéré les charges de maintenance et de grande maintenance qui ont impacté sa situation nette qui était chiffrée, nous l'avons su ultérieurement, à 13,7 millions d'euros.

Mermoz détenait une quinzaine de millions d'euros d'actifs. Je vous cite, sous le contrôle de Philippe Leroy, les termes mêmes des dirigeants d'Holco SAS et de leurs conseils : ces sommes sont destinées à financer le contentieux à l'encontre de Swissair et à aller les chercher jusqu'au bout de la Terre.

Pour répondre de manière synthétique, nous étions conscients de cette organisation juridique et financière. Nous étions conscients que des sommes que nous estimions à l'époque de l'ordre d'une vingtaine de millions d'euros étaient restées au sein d'Holco SAS et n'avaient pas été reversées à AOM-Air Liberté.

M. le Président : Vous avez parlé de maintenance. À quoi servait Air Lib Technics dont les statuts indiquaient qu'il s'agissait d'une société de maintenance ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Air Lib Technics était la société de prestation de services chargée de la maintenance. Elle intervenait sur les aéronefs, Mermoz supportant les charges du propriétaire. Pour utiliser une image, je dirai qu'un propriétaire immobilier doit constituer une provision en cas de ravalement, puis une société d'entretien intervient.

M. le Rapporteur : Je veux vous poser une question un peu plus précise encore. Vous nous avez dit découvrir le dossier Air Lib en décembre 2001. Pourriez-vous nous préciser à quelle date et qui vous en a saisi ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La manière dont nous avons été saisis du dossier Air Lib est habituelle à certains égards, à d'autres un peu moins. Elle est habituelle s'agissant de l'activité du secrétariat général du CIRI. Nous sommes fréquemment sollicités par le réseau des services extérieurs du ministère de l'Economie et des Finances, par les préfectures ou par différents cabinets ministériels, au premier rang desquels le cabinet du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, sur la situation de telle ou telle entreprise. Au cas particulier, le cabinet du ministre, sollicité par le ministre des Transports, a appelé notre attention sur la situation de cette entreprise.

M. le Rapporteur : Par qui avez-vous été saisis, comment et à quelle date ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Par le cabinet du ministre.

M. le Rapporteur : Qui ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Comme vous le savez, il existe une voie hiérarchique. Le cabinet du ministre a fait connaître à la direction du Trésor sa préoccupation sur ce dossier et elle m'a été répercutée. Quant à la date, je me tourne vers Philippe Leroy.

M. le Rapporteur : Monsieur le Secrétaire général, je vous ai posé une question précise à laquelle vous n'avez pas répondu. Par qui avez-vous été saisis ? Jusqu'en décembre 2001, le CIRI n'avait en effet pas connaissance du dossier Air Lib.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Absolument.

M. le Rapporteur : Vous nous répondez le cabinet, mais il s'agit là d'une abstraction.

M. le Président : Existe-t-il un courrier ou une note ?

M. le Rapporteur : Par qui avez-vous été saisis, sous quelle forme et à quelle date ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vous avoue que je ne saurais vous indiquer la date au jour calendaire près. C'était aux alentours de Noël, juste après.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Vers le 27 décembre.

M. Philippe LEROY : Pour resituer un certain nombre d'évènements, le secrétariat général du CIRI a rencontré M. Corbet, pour la première fois, le samedi 5 janvier 2002. Nous n'avions pas eu de contact avant cette date avec la direction de l'entreprise. La date du samedi 5 janvier 2002 est à rapprocher de la mise en place du prêt le 9 janvier 2002.

M. le Rapporteur : J'y viens.

Vous avez rencontré M. Corbet, pour la première fois, le samedi 5 janvier. C'est inhabituel de travailler un samedi. Mais à quelle date et par qui aviez-vous été saisis préalablement ? Vous nous dites par le cabinet du ministre des Transports.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vous ai dit par le cabinet du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.

M. le Rapporteur : Qui au cabinet du ministre dont vous relevez vous a-t-il saisi ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : C'était la voie hiérarchique qui s'occupait de nos affaires, à savoir le conseiller en charge des questions d'infrastructures et de transports. Il nous a fait savoir qu'il était saisi de cette demande par ses homologues du ministère des Transports.

M. le Rapporteur : Qui était cette personne ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : M. Hervé Daudin.

M. le Rapporteur : M. Daudin vous saisit-il par écrit ou oralement ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oralement.

M. le Rapporteur : Que vous demande-t-il et à quelle date nous situons-nous ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous sommes probablement juste après Noël.

M. le Rapporteur : Donc, le 26 ou le 27 décembre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oui, dans ces eaux-là.

Il nous indique que le dossier a été soumis au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et qu'il va être ou a été, les choses ne sont pas tout à fait claires, l'objet d'une réunion de ministres sous la présidence du Premier ministre. L'intention du gouvernement, c'est là où je voulais en venir tout à l'heure sur le caractère un peu inhabituel de cette saisine, était qu'une intervention financière soit mise en place.

M. le Rapporteur : Vous apprenez donc par M.  Daudin qu'il y a eu une décision avec un bleu de Matignon. D'ailleurs, y a-t-il eu un bleu de Matignon ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il y a eu un bleu de Matignon, mais à la date à laquelle nous avons été informés du dossier, sans doute était-ce lié à la période particulière de la trêve des confiseurs, la réunion interministérielle ne s'était pas tenue. Il y avait eu une réunion de ministres qui, elle, ne fait pas l'objet d'un bleu.

M. le Rapporteur : Il n'y avait donc pas de bleu à l'époque ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : À la date à laquelle nous avons été informés du dossier, il n'y avait pas de bleu.

M. le Rapporteur : À partir de quelle date avez-vous reçu des ordres écrits pour la mise en place d'un prêt du FDES ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : À la date du 8 janvier.

M. le Rapporteur : De qui émanait la décision ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous avons reçu une instruction écrite de notre ministre qui figure d'ailleurs dans le dossier que nous vous avons transmis. C'est la note 013CD du 8 janvier 2002.

M. le Rapporteur : Est-ce le ministre en personne qui signe l'ordre vous demandant de mettre en place le prêt ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Tout à fait !

M. le Rapporteur : Vous-même ou M. le rapporteur du dossier pourriez-vous nous préciser quel a été à ce moment-là le rôle du CIRI ? Avez-vous pu procéder à une expertise entre le 26 décembre et le 9 janvier, date de la mise en place de la première tranche du prêt ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vais laisser la parole à Philippe Leroy, mais je veux apporter une précision. La décision de principe nous a été notifiée par le ministre le 5 janvier et c'est le 8 janvier qu'il nous a confirmé sa décision sur les conditions techniques du prêt.

M. le Président : J'ai une question subsidiaire. Cela fait assez longtemps que je pratique ce genre de sujet. Compte tenu de votre expérience, est-il usuel qu'une décision portant sur une somme aussi importante soit suivie d'un effet aussi rapide ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne voudrais pas vous donner l'impression de biaiser, mais s'il y a un terme que je n'emploierais pas dans la description de l'activité du secrétariat général du CIRI, c'est bien l'adjectif « usuel », car nous traitons de nombreux cas d'espèce. Il n'en demeure pas moins qu'il est fréquent que nous travaillions dans l'urgence. Je ne vous cache pas que l'on peut considérer qu'il y a un contraste fort entre les délais d'instruction et la mise de fond.

M. le Rapporteur : Je vais être encore plus précis. Entre le 26 décembre et le 8 janvier, il y a treize jours. Pouvez-vous nous citer un autre cas où, en treize jours, vous ayez eu le temps d'examiner le dossier et de donner un avis au ministre ? Le CIRI n'a-t-il pas simplement été l'exécuteur d'une décision sans avoir pu émettre une opinion ou recueillir des éléments précis ne serait-ce que pour avertir le gouvernement de tel ou tel aspect de cette affaire ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Les documents écrits que nous vous avons communiqués montrent bien que, lors de la première phase de mise en place du prêt, nous nous sommes trouvés dans la situation de mettre en œuvre, avec une célérité que vos questions relèvent, une instruction gouvernementale. Nous avons fait part de nos interrogations sur le plan des risques, mais je ne prétendrai pas qu'elles relevaient d'une analyse fondamentale du dossier. C'est la raison pour laquelle le CIRI a immédiatement sollicité le fait d'être juridiquement saisi du dossier en vue de procéder aux investigations que nous considérions alors ne pas être en mesure d'effectuer.

Je passe la parole à Philippe Leroy pour répondre de manière plus complète à la question de M. le Rapporteur au sujet des premiers éléments d'analyse tels qu'ils ressortaient avant le 9 janvier. Ensuite, non que je veuille sortir de cette période, nous pourrons vous parler de la période du 9 janvier au 28 février durant laquelle des diligences plus approfondies ont pu être mises en œuvre.

M. Philippe LEROY : Comme en témoignent les documents que nous vous avons transmis, en particulier les notes des 5 et 8 janvier, jusqu'au 5 janvier, date de notre rencontre avec M. Corbet, nous ne possédions pas d'éléments spécifiques sur la situation de l'entreprise. Les éléments à notre appréciation étaient ceux relayés par la presse.

M. le Rapporteur : Vous voulez dire par là que, jusqu'à la date d'octroi du prêt le 9 janvier, vous ne possédiez pas d'éléments financiers. Aviez-vous des comptes ?

M. Philippe LEROY : Je ne crois pas.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Non.

M. le Rapporteur : Vous vous êtes donc simplement appuyés sur des articles de presse.

M. Philippe LEROY : Pas tout à fait ! Jusqu'au 5 janvier, nous n'avions eu connaissance du dossier Air Lib que par voie de presse. À partir du 5 janvier, date de notre rencontre avec M. Corbet, nous avons eu de sa part un exposé de la situation qui est relaté dans la note en date du 8 janvier.

M. le Président : A-t-il appuyé son exposé de documents probants ?

M. Philippe LEROY : Il n'y a pas eu de remise de document le samedi 5 janvier, selon mon souvenir.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : L'argumentation du dirigeant de la société, assisté de ses conseils, pour solliciter le concours financier de l'État ne s'appuyait pas tant sur un cas d'investissement relatif à Air Lib que sur l'affirmation du défaut de paiement de Swissair.

M. le Rapporteur : Vous avez dit avoir reçu un ordre écrit. C'est donc la note du 8 janvier qui est remontée au ministre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : C'est la note 0010CD du 5 janvier.

M. le Rapporteur : C'est une note du directeur du Trésor adressée au ministre.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oui.

M. le Rapporteur : Pour la bonne information de la commission, je lis l'annotation qui figure sur la note.

« J'attire l'attention du ministre sur plusieurs points.

« Premièrement, les ressources du compte spécial du Trésor sont insuffisantes pour répondre aux demandes d'Air Lib en termes de prêt - 30,5 millions d'euros.

« Deuxièmement, nous sommes face à une entreprise qui n'a ni actionnaire, sauf M. Corbet à titre personnel, ni banquier, même pour l'exploitation courante, ni ressources, si ce n'est une créance sur Swissair qui ne sera liquidée qu'après un contentieux long.

« Troisièmement, les pertes d'exploitation s'élèvent à plus ou moins 100 millions d'euros depuis août 2001. Ces pertes sont égales aux pertes en trésorerie.

« Quatrièmement, il n'y a aucune perspective de remboursement des concours du seul créancier qu'est l'État avant mi-2002. »

La dernière phrase est coupée. Qu'y a-t-il écrit en bas ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je suis confus. J'ai également une copie tronquée.

M. le Rapporteur : Est-ce ce que vous appelez la décision, parce que, pour moi, c'est une note ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Ce qui pour nous constitue la décision, c'est l'annotation de la plume du ministre qui figure juste à côté du numéro de référence.

M. le Rapporteur : Pas dans la note du 5 janvier !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Si, dans la note du 5 janvier, vous avez une annotation.

M. le Rapporteur : Où est-elle ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Elle est sur l'en-tête.

M. le Rapporteur : Non, il y en a une dans celle du 8 janvier où il est écrit « Accord sur les conditions du prêt ». Qui a signé cela ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : C'est la signature du ministre.

Dans votre dossier, si vous ne l'avez pas sous les yeux, je suis prêt à vous la remettre, il y a une annotation de la plume du ministre dont je me fais le lecteur : « Sur instruction du Premier ministre et malgré mes réserves expresses. Prêt FDES de 16,5 millions d'euros. »

M. le Rapporteur : Où est-ce ? Sur la note du 8 janvier ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Non, c'est dans la note du 5 janvier.

M. le Rapporteur : Je n'ai rien sur celle-là. Elle est blanche. J'ai les annotations du directeur du Trésor en bas. Et vous dites qu'il y avait quelque chose d'écrit en haut ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oui, nous vous l'avons communiquée.

M. le Président : Nous ne l'avons pas. Faites en sorte de nous la communiquer.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Bien sûr !

M. le Président : C'est M. Fabius lui-même qui a écrit cette annotation ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oui !

M. le Rapporteur : Que signifiait cette annotation ? Cela veut-il dire que c'est à son corps défendant ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Si vous me le permettez, il y a des questions qu'il faut lui poser. En tout cas, pour ce qui me concerne, c'était une instruction de mettre en place le prêt du FDES de 16,5 millions d'euros.

M. le Président : C'est donc à partir de là que vous agissez ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Absolument.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il y aurait eu une décision du Premier ministre. Aviez-vous trace de cette instruction ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La bonne organisation du travail gouvernemental fait qu'il y a des ministres entre le Premier ministre et les services. J'imagine donc que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie avait reçu une instruction du Premier ministre avant de procéder à l'annotation que je viens de vous lire. Par ailleurs, ce dossier a fait l'objet d'une décision interministérielle dite « bleu » en date du 7 janvier 2002.

M. le Rapporteur : Vous l'avez reçue ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous en avons eu communication.

M. le Rapporteur : Vous nous l'avez transmise ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous ne l'avons pas transmise, puisqu'il appartient au Secrétariat général du gouvernement de diffuser ces documents.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, il faudrait la demander au Secrétariat général du gouvernement. À défaut, je serai obligé de me rendre au CIRI pour enquêter sur pièces et sur place afin d'en obtenir un exemplaire.

M. le Président : Nous ferons une demande écrite.

M. le Rapporteur : Je ne vois pas pourquoi vous ne pouvez pas la fournir directement à la commission.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Ce sont les usages qui nous ont été communiqués par le Secrétariat général du gouvernement. Nous n'avons pas cru pouvoir les enfreindre.

M. le Rapporteur : Puisque vous l'avez, qu'y a-t-il dans cette décision ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le relevé de décision retrace un certain nombre de débats et se conclut en indiquant que le Premier ministre confirme le schéma d'aide, notamment l'intervention d'un prêt du FDES à hauteur de 30,5 millions, dont 16,8 millions d'euros le mardi 8 janvier et le solde avant la fin du mois de janvier.

M. le Rapporteur : Il n'y a aucun considérant ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Deux pages retracent les débats de la réunion interministérielle.

M. le Rapporteur : Il y a donc eu des débats ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Oui.

M. le Rapporteur : Le document que nous allons obtenir indique-t-il que le ministre des Finances a fait connaître ses plus « expresses réserves » ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a fait part de son opposition à la mise en place d'un tel concours financier.

M. le Rapporteur : A-t-il été le seul ministre à faire état de son opposition ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La réunion, sauf erreur de ma part et sous le contrôle de Philippe Leroy, était assez restreinte en raison de sa date et de son objet. Elle comprenait le ministère de l'Economie et des Finances, le ministère de l'Equipement, le secrétariat d'Etat à l'Outre-mer et le secrétariat d'Etat au Budget. Compte tenu de cette configuration, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a été le seul à exprimer ses plus expresses réserves et son opposition à la mise en place d'un tel soutien financier.

M. le Rapporteur : Dans la période du 26 décembre au 8 janvier, avez-vous appelé l'attention de votre ministre sur les risques juridiques que ferait courir l'octroi d'un tel prêt ? M. le Directeur du Trésor l'informe qu'il n'existe pas de banquier. À cet égard, je suis étonné qu'il n'aille pas au bout de sa remarque en mettant en garde contre le risque considérable pour l'État d'être considéré comme le banquier de fait et, par voie de conséquence, d'être condamné en cas de contentieux pour soutien abusif et d'être appelé en complément du passif.

M. le Président : Monsieur MASSIGNON, je souhaite disposer très rapidement de ce bleu. Il y a deux solutions, soit vous demandez l'autorisation de nous le transmettre et vous nous le remettez, car j'en ai besoin pour demain après-midi, soit nous nous rendrons demain matin au CIRI, en utilisant les moyens que la loi nous accorde, pour nous procurer le document.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous nous rapprocherons du Secrétariat général du gouvernement dès l'issue de cette audition.

M. le Président : J'en ai besoin pour demain à seize heures au plus tard.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : J'en prends acte.

M. Philippe LEROY : Pour répondre à la question de M. le Rapporteur, la note datée du 5 janvier 2002 fait état de risques extrêmement élevés qu'entraînerait l'octroi d'un tel prêt à la société Air Lib. Il y est en effet question de mise en jeu de la responsabilité de l'Etat pour soutien abusif et d'autres éléments qui interviennent dans ce type de contexte : risque très élevé d'échec de l'entreprise, et donc défaut de paiement, responsabilité personnelle des ordonnateurs, non-conformité d'une telle aide par rapport à la réglementation européenne, etc.

M. le Rapporteur : Saviez-vous qu'au mois de décembre, M. le Président l'a évoqué, M. Corbet avait inscrit à l'ordre du jour de deux comités d'entreprise successifs : dépôt de bilan ...

M. le Président : Éventuel !

M. le Rapporteur : ... de la société d'exploitation ?

M. Philippe LEROY : Nous l'ignorions.

M. le Rapporteur : Entre le 26 décembre et le 8 janvier, considérez-vous avoir pu instruire ce dossier dans des conditions normales ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La réponse est clairement négative pour trois raisons. D'abord, parce que la réponse à la question que nous pouvions nous poser était donnée. Ensuite, il faut du temps pour appréhender la situation d'une entreprise. Enfin, pour m'exprimer de manière cursive, c'est à la dilection des dirigeants de l'entreprise de communiquer de l'information.

M. le Président : Vous avez donc demandé des informations précises et des documents à M. Corbet qui ne vous les a pas transmis ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il a pu y avoir un hiatus entre la direction de l'entreprise et le mode de fonctionnement habituel du CIRI. Généralement, lorsqu'une entreprise désire nous rencontrer pour traiter de sa situation financière, nous ne prenons pas systématiquement la précaution de lui demander d'apporter des comptes, des prévisions de trésorerie, des éléments financiers, tellement cette démarche nous paraît évidente. Je parle sous le contrôle de Philippe Leroy, car je n'étais pas présent lors de l'entretien du 5 janvier, les dirigeants de l'entreprise sont venus sans document de cette nature.

M. le Président : Les dirigeants, c'était M. Corbet seul ou était-il accompagné ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : M. Corbet était accompagné de son conseil, Yves Léonzi, avocat à la cour d'appel de Paris.

M. le Rapporteur : Le texte de la première tranche du prêt, qui portait sur une somme de 16,5 millions d'euros, contenait un certain nombre de clauses. Existait-il des garanties réelles ?

M. Philippe LEROY : La question a été évoquée au cours de la réunion du 5 janvier sans obtenir de réponse concluante. Par la suite, la négociation du projet de contrat de prêt s'est déroulée dans la nuit du 8 au 9 janvier, en vue d'une signature le 9 janvier et d'un versement avant la fin de la journée. La recherche de garanties substantielles n'a donc pu être faite au-delà des prises de garanties classiques, à savoir le nantissement du fonds de commerce.

M. le Rapporteur : Quelle était la valeur du fonds de commerce ?

M. Philippe LEROY : Lorsqu'une entreprise rencontre des difficultés financières, la valeur du fonds de commerce est extrêmement réduite. En l'espèce, nous ne disposions pas d'éléments pour en estimer la valeur précise.

M. le Rapporteur : Les notes adressées au directeur du Trésor faisaient-elles ressortir que ces garanties n'étaient pas réelles ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : L'annotation du directeur du Trésor, que vous avez lue à l'attention de la commission, constitue une sorte de synthèse de la note qui faisait valoir, outre la faiblesse intrinsèque de l'actionnariat, le manque de garantie forte liée aux actifs de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Venons-en à la deuxième période, celle qui commence le 9 janvier et qui se termine lors de la signature de la deuxième tranche.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous avons souhaité que le CIRI, ce qui explique notre présence devant vous, soit formellement saisi du dossier. Les membres du comité ont bien voulu l'accepter. La fiche synthétique qui a été établie est communiquée au dossier.

Cette saisine nous a donné un argument plus fort pour obtenir des informations financières de la part de l'entreprise. Nous avons pu diligenter un audit portant sur la trésorerie et la situation financière de l'entreprise à la date de fin janvier et établir un état prévisionnel. Cet audit, je tiens à le souligner, a été conçu de manière un peu originale, puisque, comme vous l'avez relevé, à la date de saisine du CIRI, le concours financier avait déjà été accordé pour une durée de six mois.

Outre un audit de la situation à un instant « T » et un état prévisionnel, l'appel d'offre lancé par le secrétariat général du CIRI demandait à l'auditeur d'intervenir tous les mois au sein de l'entreprise afin de s'assurer du bon emploi des fonds et, si j'ose dire, de la rigueur des circuits financiers. Un premier document nous a été remis le 12 février, puis un rapport définitif le 15 février. Cela nous a permis d'avoir une vision plus précise de la situation financière de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Combien de temps vous a-t-il fallu pour notifier le marché au cabinet qui a été choisi ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nos procédures sont assez rapides. Sauf erreur de ma part, l'appel d'offre a été lancé dans la dernière semaine de janvier. La réponse du pétitionnaire, elle figure dans votre dossier, date du 1er février. Le marché a été notifié le 4 février.

M. le Rapporteur : À quelle date vous remet-il un rapport ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le 12 février.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'en huit jours un cabinet soit capable de rédiger un rapport couvrant à peu près le champ des questions que vous lui aviez posées ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Autant je vous ai indiqué à une autre question que tel ou tel aspect du traitement de ce dossier avait été inhabituel, autant je ne vous ferai pas cette réponse sur ce point. Les principaux cabinets d'audit ont développé ce qu'on appelle des activités de conseil à la restructuration d'entreprise et des méthodes pour réaliser des audits de trésorerie dans des délais brefs.

Le délai a été rapide, mais il n'est pas du tout exceptionnel. D'autres audits diligentés par le CIRI au cours de l'année 2002, s'agissant juste de la situation de trésorerie, ont connu des délais identiques. Je crois savoir que des interventions de cette nature dans de grandes entreprises privées ont été réalisées dans un laps de temps comparable.

M. le Président : Si je comprends bien, c'est à la suite du rapport qui vous a été remis le 12 février qu'un avenant a été signé le 28 février ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Absolument.

M. le Président : Quelles étaient les conclusions du rapport ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Ses conclusions étaient de deux ordres. Je vais m'exprimer sur le premier point. Je demanderai à Philippe Leroy d'intervenir sur le second.

L'audit nous a appris, ce premier aspect est plutôt positif, que les chiffres communiqués par l'entreprise correspondaient à la réalité. Le secrétariat général du CIRI est malheureusement assez fréquemment confronté à des entreprises dont les systèmes d'information financière ne fonctionnent plus ou à des dirigeants ne les comprenant pas, d'où une description de la situation financière qui ne correspond pas à la réalité. L'audit nous a donc rassurés, si j'ose dire, sur le fonctionnement des systèmes d'information financière de l'entreprise.

Quant à ce que cela révélait sur la situation financière de l'entreprise, je passe la parole à Philippe Leroy.

M. le Rapporteur : Monsieur le Secrétaire général, confirmez-vous que le cabinet Mazars vous a indiqué que le système d'information financière, pour utiliser un terme huppé, était tout à fait fiable ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Qu'il était robuste.

M. le Rapporteur : Robuste... Le fait que l'entreprise n'ait toujours pas produit ses comptes ne vous inquiétait-il pas ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous sommes en février 2002. L'entreprise existe, juridiquement, depuis août 2001, ce qui veut dire qu'elle n'avait pas clos un exercice comptable, elle n'en avait d'ailleurs pas l'obligation légale. Il n'était donc pas aberrant de ne pas disposer d'un historique des comptes.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné un expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise qui nous a affirmé, sous serment, qu'il n'y avait pas de comptes.

M. le Président et Mme Arlette GROSSKOST. De comptes à jour !

M. le Rapporteur : Il nous a également affirmé qu'il y avait un décalage de sept mois.

M. le Président : Sous serment, M. Bonan nous a indiqué qu'en voulant vérifier les comptes de l'entreprise, il a constaté un retard de sept mois dans la mise à jour des comptes. En l'occurrence, nous nous situons juste à des dates qui suivent immédiatement votre décision.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il n'y a pas nécessairement contradiction avec ce que nous vous disons. Compte tenu des sujets que nous avons à traiter, nous nous intéressons à la situation de liquidité et de trésorerie et donc à ce qui relève, pour employer un terme béotien, de la comptabilité de caisse. C'est donc différent.

M. le Président : Nous sommes d'accord.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO. Bien sûr !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Mes propos portent sur l'identification des flux de trésorerie, leur suivi et leur cohérence.

M. le Rapporteur : Puis-je me permettre de vous indiquer, ayant un lourd passé dans ce domaine, que les prévisions de trésorerie découlent des prévisions comptables. La plupart des programmes informatiques de prévision de trésorerie sont d'ailleurs liés aux enregistrements comptables.

Mme Arlette GROSSKOST. Et aux créances à venir !

M. le Rapporteur : Vous nous dites : peu importe les comptes, ce qui prévaut c'est la trésorerie.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne vous ai pas dit « peu importe les comptes ». Je vous ai indiqué que nous avions demandé un audit sur la situation de trésorerie et le suivi de celle-ci et que les systèmes de suivi de la trésorerie étaient apparus fiables.

Mme Arlette GROSSKOST. Excusez-moi, mais un suivi de trésorerie sans une comptabilité fiable sur les créances échues ou à venir me paraît à tout le moins un peu particulier.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Madame la Députée, vous verrez dans les documents qui ont été transmis à M. le Rapporteur que l'auditeur a eu, dans ses prévisions de trésorerie, une vision en droits constatés et en échéances. À ce titre, l'audit de trésorerie n'a pas été myope.

M. le Rapporteur : Monsieur le Secrétaire général, nous avons la déclaration d'un expert-comptable qui, lui, a examiné les comptes pendant des semaines et non en huit jours. Au reste, vous retirez le samedi et le dimanche, cela fait six jours. Or il nous a dit exactement l'inverse.

Vous avez donc mandaté un cabinet qui, en huit jours, affirme que les prévisions de trésorerie sont valables. Il est en effet écrit dans le premier rapport du cabinet Mazars :

« Évolution des trésoreries prévisionnelles. Sur la base des hypothèses d'exploitation et de financement décrites ci-avant, la trésorerie prévisionnelle d'Air Lib apparaît assurée jusqu'à fin mars 2002. Dès début avril 2002, Air Lib ne devrait plus être en mesure de faire face à ses échéances. Toute amélioration dans le schéma de financement du GIE fiscal permettant de relever le montant de la trésorerie disponible pour Air Lib est de nature à retarder la date à laquelle Air Lib constaterait de nouvelles difficultés de trésorerie. »

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Pardon, mais en quoi cela est-il contradictoire avec la réalité ?

M. le Rapporteur : C'est un ancien spécialiste de comptabilité et de finances qui vous parle. On ne peut pas, en huit jours, certifier la validité d'un système d'information comptable ou de trésorerie. Je le répète, le système de trésorerie découle de la validité du système comptable.

Mme Arlette GROSSKOST. Totalement !

M. le Rapporteur : L'expert-comptable que nous avons entendu a passé des semaines à essayer de vérifier les comptes. Il a découvert que le grand-livre était incohérent, ce qui est tout de même grave, car pas de grand-livre, pas de comptabilité et donc pas de prévisions fiables de trésorerie. Or vous croyez un cabinet qui vous déclare en six jours de travail que le système est fiable.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le cabinet d'audit nous a dit et écrit qu'à la date de leurs travaux, disons le 10 février pour accorder un délai de confection du rapport, premièrement, la situation de trésorerie de l'entreprise est celle-ci. Deuxièmement, nous considérons que les systèmes permettent à l'entreprise et à ses dirigeants d'avoir une vision claire de leur situation de trésorerie.

M. le Président : Nous avons compris vos propos, monsieur le Secrétaire général.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne voudrais pas engager un faux débat, mais ce n'est pas contradictoire avec ce que dit M. le Rapporteur.

M. le Président : Je veux vous poser des questions qui auraient dû susciter une interrogation, du moins de la part du cabinet du ministre qui vous a visiblement donné des instructions. À cet égard, les choses sont claires. Vous êtes là pour exécuter et je le comprends très bien.

M. Bonan, le fameux expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise, demande communication des comptes. Elle lui est refusée. Il réussit néanmoins à examiner le grand-livre le 29 avril, disons le 1er mai, soit deux mois après, puisque nous nous situons fin février. Il constate alors un retard de sept mois dans la tenue du grand-livre. Et le cabinet Mazars ne s'en est pas rendu compte ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous n'en avons pas été informés.

M. le Président : En l'occurrence, nous avons la déposition sous serment d'un expert-comptable. Vous dites que vous n'en avez pas été informés, je vous crois bien volontiers.

J'en reviens à la décision prise le 13 septembre 2001 relative au transfert des actifs et à la création de filiales à l'étranger. Lorsque vous avez examiné les flux de trésorerie, vous connaissiez l'existence de Mermoz et d'Holco Lux. À ce moment-là, saviez-vous que Swissair avait directement versé 12 ou 13 millions d'euros, je ne sais plus, à Mermoz ?

Nous possédons un document qui fait état de onze avions, mais on nous dit par ailleurs qu'il y en avait sept, nous ne connaissons donc pas exactement leur nombre. Quoi qu'il en soit, comment ces avions sont-ils passés de la propriété pleine et entière d'Air Lib à Paris, pour situer la compagnie en France, à Mermoz UA aux Pays-Bas ? Étiez-vous au courant de cette transaction et sous quelle forme a-t-elle eu lieu ?

Étiez-vous au courant du fait que Mermoz, nous dit-on, car nous n'avons pas d'éléments de preuve pour l'instant, louait ces fameux avions à Air Lib entre 7 et 10 millions d'euros par an ? Je n'ai pas non plus le chiffre exact. Au moment de donner votre avis sur la deuxième partie du prêt, aviez-vous connaissance de ce que l'on pourrait qualifier une gymnastique fiscale, financière ou juridique, appelez-la comme vous voulez ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Sur le premier point, j'apprends en vous écoutant que Mermoz a reçu des versements directs de Swissair. Selon nos informations, les sommes ont été versées à Holco SAS, puis la holding les a réparties entre ses différentes filiales.

M. le Président : Vous avez raison, c'est moi qui me suis trompé. Mais le résultat est le même.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le fait que Mermoz détenait de la trésorerie, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, nous en étions conscients en février.

S'agissant des modalités de transfert des actifs et de leur répartition entre les différentes filiales d'Holco SAS, je me réfère, pour la clarté des choses, à mon propos liminaire. Tout cela s'est produit à une période où nous n'étions pas saisis du dossier. D'une manière rétrospective, je crois comprendre que, pour des raisons juridiques, les cessions de l'ensemble des composantes de la défunte AOM-Air Liberté ne se sont pas faites en un jour. L'organisation en râteau avec le catering, la maintenance et les actifs a donc eu lieu progressivement, ce qui a conduit les dirigeants d'Holco SAS, seuls cessionnaires des actifs, à demander au tribunal de commerce de Créteil la faculté de les répartir entre diverses entités juridiques. C'est le jugement du 13 septembre 2001 dont les tenants et aboutissants nous sont entièrement étrangers.

M. le Rapporteur : Après le versement de la première tranche de 16,5 millions d'euros, vous engagez le cabinet Mazars qui vous dit tout va bien, les informations et les prévisions de trésorerie sont fiables. On s'achemine donc vers la signature de l'avenant permettant de porter le montant du prêt du FDES à 30,5 millions. Quelle a été votre action entre le 12 février, moment où vous recevez le premier rapport Mazars, et la date de versement de la deuxième tranche ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il me semblait ne pas avoir répondu entièrement aux questions de M. le Président :

M. le Président : Merci de vous en souvenir. (Sourires.)

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous étions informés que les sommes détenues par Holco SAS ou ses filiales n'avaient pas été reversées à AOM-Air Liberté. Nos notes du mois de février l'indiquent clairement. Par parenthèse, sauf erreur de ma part, Holco Lux n'a été créée qu'au mois de mars ou, du moins, est apparue plus tard dans le paysage. Mais cela n'est sans doute pas l'essentiel.

En tout cas, c'est la raison pour laquelle les conditions juridiques de l'avenant ont été durcies sur deux points par rapport au contrat de janvier. D'une part, nous avons exigé, préalablement à la libération de la deuxième tranche du prêt, que la moitié de la trésorerie disponible d'Holco SAS soit versée à AOM-Air Liberté. L'entreprise nous avait déclaré que la trésorerie disponible s'élevait à 11 millions d'euros. Nous avons eu une discussion assez peu élaborée dans sa rationalité sur la moitié de cette somme, puis, finalement, cela a été 5 millions d'euros. D'autre part, l'engagement figure dans le contrat de prêt, Holco SAS devait mettre l'ensemble de sa trésorerie disponible au service de la continuité de l'exploitation d'AOM-Air Liberté.

Si vous me le permettez, monsieur le Rapporteur, je souhaite donner la parole à Philippe Leroy, car je ne crois pas que l'auditeur ait écrit « tout va bien » dans son rapport du 12 février.

M. le Rapporteur : Vous nous avez déclaré avoir lu le premier rapport Mazars comme vous garantissant la fiabilité des prévisions de trésorerie. Or, je le répète, à la même époque commence un audit du cabinet Bonan. Celui-ci constate l'absence de grand-livre. Si vous connaissez un peu la comptabilité, cela signifie qu'il n'y a pas de comptes. M. Bonan nous a également déclaré que l'on ne savait pas exactement quel était le montant des créances des clients. Sans un état de clientèle, comment voulez-vous procéder à un recouvrement ? Il nous a appris bien d'autres choses encore, mais nous y reviendrons.

M. Philippe LEROY : Le rapport Mazars qui nous a été transmis le 12 février ne portait pas sur les systèmes d'information, mais sur la situation de trésorerie de l'entreprise et son prévisionnel. Lors de notre entretien, le cabinet Mazars nous a affirmé avoir pu obtenir les informations nécessaires à la réalisation de son travail. À cet effet, l'entreprise disposait de logiciels que je ne saurais vous décrire.

M. le Rapporteur : Ce que vous dites est démenti par un expert-comptable qui, lui, a contrôlé les comptes pendant des semaines.

M. Philippe LEROY : Je n'ai jamais déclaré que l'entreprise possédait un grand-livre et avait des comptes.

M. le Rapporteur : Vous dites que les prévisions de trésorerie étaient fiables.

M. Philippe LEROY : Pour ma part, je n'ai pas dit que les prévisions de trésorerie étaient fiables.

M. le Rapporteur : Si, vous venez de le dire.

M. Philippe LEROY : J'ai dit que l'entreprise disposait de logiciels et qu'elle avait été en mesure de fournir les informations nécessaires au cabinet Mazars. En conséquence, celui-ci a pu établir un rapport sur la base, en particulier, puisque vous connaissez cette matière, du plan d'affaires de la direction de l'entreprise. Le cabinet Mazars a pu en étudier les hypothèses et y apporter un certain nombre de correctifs.

L'analyse du plan d'affaires a conduit aux conclusions suivantes. Pour redresser l'entreprise, le besoin de financement était au minimum estimé à 120 millions d'euros. Les hypothèses économiques, notamment un taux de remplissage des avions de 70 % sur l'année, étaient qualifiées d'optimistes. En janvier, le taux de remplissage était de 45 %. On peut évidemment espérer une amélioration au cours de l'année, car il y a de meilleures saisons, mais prévoir d'atteindre un taux de 70 % suscite à tout le moins un certain nombre d'interrogations.

Les conclusions de leur investigation montraient des prévisions de trésorerie en fin de mois préoccupantes pour la pérennité de l'entreprise. Les besoins de financement, calculés hors la deuxième tranche, étaient de 20 millions d'euros en février, de 30,5 millions d'euros en mars, de 43,3 millions d'euros en avril, etc. En fait, la situation financière s'aggravait d'à peu près 12 millions d'euros par mois.

M. le Rapporteur : Pour la bonne information de la commission, je vous lis l'introduction du rapport Mazars du 12 février. Elle ne correspond pas aux déclarations des membres du CIRI.

« La société n'avait pas arrêté de situation comptable au 31 décembre 2001 - six semaines plus tard. Nos travaux ont eu pour objectif de déterminer, au mieux des informations disponibles, certains des soldes comptables en vue d'appréhender les hypothèses d'évolution du besoin de fonds de roulement retenues par la société.

« Nous n'avons pas procédé à un audit des comptes de la société. Nous n'avons, en particulier, réalisé aucune des diligences normales de l'audit que sont la confirmation d'informations auprès des tiers et la réalisation d'inventaires physiques. Nous n'avons pas procédé à un audit type de procédure de la société. En conséquence, il ne nous est pas possible de garantir l'exhaustivité des données prises en compte dans le cadre des prévisions.

« Notre intervention était limitée à la seule société Air Lib. Nous n'avons procédé à aucune analyse détaillée de la situation des sociétés sœurs. Ces sociétés sœurs réalisent des prestations pour les besoins d'Air Lib. Il nous a été confirmé que la gestion de ces sociétés était effectuée quand Air Lib en a la maîtrise de façon à limiter les flux de trésorerie au strict nécessaire pour en assurer leur fonctionnement. Les relations contractuelles avec ces sociétés sont en cours de redéfinition. Notre approche a visé à nous assurer que le besoin de financement qui pouvait naître dans ces sociétés était appréhendé et pris en compte par Air Lib dans le cadre de l'élaboration de ses prévisions. »

L'introduction se termine ainsi : « Nous n'avons pas eu accès à la comptabilité de la société Holco - j'y insiste. En conséquence, nous ne sommes pas en mesure de confirmer la réciprocité des opérations entre des sociétés ni des incidences sur sa situation propre sur celle d'Air Lib. »

Nous interrogerons, bien évidemment, le cabinet Mazars, mais celui-ci n'écrit pas du tout que les informations qu'il a eues avaient une certaine fiabilité, y compris en matière de trésorerie.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je crois qu'il s'agit de malentendus. L'un d'eux est extrêmement simple à régler. Le domaine d'intervention de l'audit de trésorerie, le terme audit n'étant peut-être pas approprié, je vous le concède, portait sur AOM-Air Liberté. La clause de réserve au sujet d'Holco est donc parfaitement justifiée. Le CIRI était prêteur d'AOM-Air Liberté et non d'Holco SAS.

Monsieur le Rapporteur, ayant conscience de m'exprimer devant des hommes et des femmes de l'art, les considérations liminaires du rapport du cabinet Mazars que vous avez lues font état de limites qui sont systématiquement rappelées dans le cadre d'un travail de cette nature. De ce point de vue, cela ne révèle pas de contradiction avec ce que nous vous indiquons dans le traitement d'une situation d'urgence.

Pour parler très directement, en mandatant le cabinet Mazars début février, nous voulions savoir si la trésorerie de l'entreprise affichait moins 10, moins 20, moins 80 ou moins 200 millions d'euros. L'auditeur nous confirme que leur situation est à peu près, sous réserve d'éventuels retraitements, celle qui nous a été indiquée. C'est en ce sens que l'entreprise est fiable. Nous ne nous situons pas sur le terrain de l'exactitude comptable et, en aucun cas, je ne veux vous donner cette impression.

M. le Président : Vous avez été mandatés pour une mission. Je comprends très bien que vous ne puissiez pas aller au-delà. Cependant, il est surprenant que cet audit, appelons-le ainsi, ait disposé de si peu de temps. Dans son introduction, le rapport confirme d'ailleurs, par des mesures de précaution, que le temps n'a pas permis de réaliser une étude bien sérieuse.

Notre souci, je le répète, est de savoir où est passé l'argent public. Le fait qu'une partie de la trésorerie due à la compagnie par Swissair ait été versée à Holco SAS, qui, ensuite, l'a répartie dans ses filiales à l'étranger, est extrêmement important, car, pour sauver l'entreprise, on fait appel à des fonds publics. J'aimerais bien que l'on finisse par trouver un élément de réponse sur ce point précis. Cela me rassurerait.

M. le Rapporteur : Les organisations syndicales nous ont remis un document daté du 13 février 2003. Pleines de bon sens, elles ont cherché pendant des mois à savoir ce qu'étaient devenus les 160,07 millions d'euros versés par Swissair à Holco. Vous êtes-vous posé la question ? Connaissiez-vous, un an plus tôt, à la mi-février 2002, la répartition des 160,07 millions d'euros ?

Mme Arlette GROSSKOST. Je veux revenir sur un point. Vous nous avez indiqué l'existence d'une condition suspensive, si je puis m'exprimer ainsi, c'est-à-dire la nécessité pour Holco de mettre sa trésorerie à disposition d'Air Lib. En d'autres termes, vous demandiez la mise en place d'une convention de trésorerie entre la holding et la société d'exploitation. Avant le versement de la deuxième tranche du prêt, qui est quand même importante, vous êtes-vous assuré de l'existence d'une telle convention prouvant que la trésorerie a été mise à disposition ? En avons-nous une dans nos pièces ?

M. le Président : Nous n'en avons pas !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vais d'abord répondre à votre question avant d'aborder celle plus large de M. le Rapporteur.

Nous n'avons pas eu communication d'une convention de compte courant, mais nous avons été, si j'ose dire, plus policiers que cela. Nous avons subordonné la libération de la deuxième tranche du prêt à la production d'un état par le teneur de comptes d'AOM-Air Liberté, qui se trouvait être Natexis Banques Populaires, du versement des 5 millions d'euros par Holco SAS dans les caisses d'AOM-Air Liberté.

M. le Président : Avez-vous des informations concernant la location des avions ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je n'ai en effet pas répondu à cette question.

M. le Président : Nous ne parvenons pas à obtenir d'éléments à ce sujet. Mermoz, qui en est alors propriétaire, loue-t-il des avions à Air Liberté pour une somme d'environ 10 millions d'euros par an ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La société AOM-Air Liberté a exploité entre 30 et 32 aéronefs, car certains sont sortis du bail, d'autres, pour des raisons techniques, ont été remisés. La société d'exploitation n'était propriétaire d'aucun de ces aéronefs. Ils faisaient tous l'objet d'un contrat de location. À ce titre, il était normal et même souhaitable que les charges reflètent le prix de location des aéronefs.

M. le Président : Les sept ou onze aéronefs, je ne sais pas exactement, à qui appartenaient-ils avant de devenir la propriété de Mermoz par transfert d'actifs ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne suis pas sûr de savoir répondre à votre question, parce que ces aéronefs faisaient partie du dépôt de bilan de juin 2001 qui, vous le savez, portait sur une trentaine de sociétés. Dans cette myriade de sociétés, je ne saurais vous dire laquelle était propriétaire de ces actifs.

En revanche, nous savions qu'un contrat de location portant sur sept aéronefs avait été signé entre Mermoz et AOM-Air Liberté. D'après les informations que nous avons eues de manière plus précise en juillet 2002, ces locations ont été facturées, mais les loyers n'ont pas été versés.

J'en viens à la question de M. le Rapporteur. Je m'élève un instant au-dessus de ma condition, mais cette question est centrale. Le montage a été homologué par le tribunal de commerce de Créteil. Le contexte était un peu particulier, car l'actionnaire antérieur finançait la reprise. Que sont devenus les 160 millions d'euros ?

À notre connaissance, pour tracer les choses à grands traits, 110 millions d'euros ont fait l'objet du compte courant entre Holco SAS et AOM-Air Liberté. Une vingtaine de millions d'euros ont servi, en août 2001, aux frais de constitution et à différents débours sur lesquels vous souhaiterez peut-être revenir ultérieurement. Quant aux 30 millions d'euros restants, une quinzaine de millions d'euros a été versée à Mermoz, 5 millions d'euros à Holco Lux et 10 millions d'euros à Holco SAS.

M. le Rapporteur : À l'époque, aviez-vous un document, comme celui qui a enfin été remis au comité d'entreprise, mais un an plus tard, par M. Léonzi, concernant le devenir des 160,07 millions d'euros versés par Swissair à la maison mère ?

M. Philippe LEROY : Nous avons deux documents qui retracent les flux de Swissair. D'une part, l'audit Mazars de juillet 2002 ...

M. le Rapporteur : Je parle de février 2002.

M. Philippe LEROY : C'est pour vous indiquer que nous n'avions pas d'éléments sur l'affectation précise des flux de Swissair.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Monsieur le Rapporteur, tout à l'heure, vous avez évoqué un document de février 2003.

M. le Rapporteur : Je m'y référais pour savoir si vous aviez demandé ce type de document en février 2002, car lorsque 160 millions d'euros sont versés à la holding et que, dans le même temps, on réclame 30 millions d'euros aux contribuables français, on peut tout de même se demander ce qu'est devenue cette somme.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vous décris la situation telle qu'elle se présentait et il ne m'appartient pas de la commenter. Nous étions dans la situation d'un prêteur face à un emprunteur. Nous avons donc pu demander tout ce qu'un prêteur peut exiger d'un emprunteur.

M. le Président : C'est-à-dire des garanties ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Permettez-moi de terminer. Nous avons demandé à l'emprunteur de procéder à des déclarations. Il nous a indiqué, il l'a signé, que la trésorerie disponible dans Holco SAS et ses filiales s'élevait à 11 millions d'euros. Nous avons insisté pour qu'il prenne un engagement de principe, inspiré par la préoccupation que vous exprimez, celui de reverser au bénéfice d'AOM-Air Liberté les sommes circonscrites, ce qui, au demeurant, constituait une réitération des engagements pris dans le plan de cession.

M. le Rapporteur : Je trouve étonnant, vous me direz que cela n'a pas beaucoup d'importance, car la décision était déjà prise, que les services du ministère des Finances n'aient pas fourni de munitions à leur ministre qui, vous le saviez, était hostile à l'octroi de ce prêt. Ils auraient pu soulever la question de l'absence de localisation des 160 millions.

La libération du prêt était subordonnée au versement de 5 millions d'euros et à la mobilisation de la totalité de la trésorerie. Encore fallait-il connaître le montant de la trésorerie du groupe. La trésorerie du groupe, c'était la différence entre les 160 millions versés par Swissair et ce qui avait été utilisé jusqu'en février 2002. J'ai donc du mal à comprendre.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je suis soucieux de vous donner satisfaction en répondant à cette question qui est très importante, puisque, sans qu'il s'agisse d'une mise en cause, vous nous interrogez sur les diligences que nous avons faites.

M. le Rapporteur : Oui !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Auparavant, je tiens à apporter une précision et, à cet égard, votre réaction lorsque nous avons évoqué des coupures de presse était illustrative. Lorsque je prends la responsabilité de faire signer, par le directeur du Trésor, une note informant le ministre, je souhaite que mes écrits soient robustes.

Dans la mesure où nous n'avions pas procédé à un audit d'Holco, puisque nous étions uniquement saisis d'AOM-Air Liberté, je ne possédais pas d'éléments certains sur le montant dont disposait Holco SAS. Je pouvais faire des estimations, au vu des chiffres résultant du protocole transactionnel, des éléments qui nous avaient été donnés. C'est la raison pour laquelle nous avons écrit le 15 février au ministre que nous considérions qu'il y avait de l'ordre de 20 millions d'euros de trésorerie disponible au sein d'Holco SAS. Quelques jours plus tard, l'emprunteur signe une déclaration faisant état d'une trésorerie disponible de 11 millions d'euros.

M. le Président : Pourrions-nous avoir ce document ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il vous a été transmis. C'est dans l'avenant du 28 février.

M. le Rapporteur : Nous sommes maintenant à la fin du mois de février. La deuxième tranche du prêt vient d'être versée. Pour l'information de la commission, je me permets de faire observer que le prêt a été tronçonné, non pour des raisons d'étalement de la trésorerie, mais parce que le compte spécial du Trésor de prêt du FDES n'avait plus que 16,5 millions de disponible à la fin de 2001. La note du Trésor adressée au ministre l'atteste. Il faudra attendre l'adoption de la loi de finances pour 2002 pour mettre en place la deuxième tranche.

Peut-on maintenant passer à la troisième phase, c'est-à-dire celle qui va de fin février, date du versement de la deuxième tranche, jusqu'au second rapport Mazars.

M. le Président : Monsieur le Rapporteur, avant d'aborder cette phase, j'aimerais que M. Massignon nous précise la position du CIRI ou, éventuellement, du cabinet quant à l'opportunité de satisfaire cette deuxième tranche. Les évènements se sont-ils déroulés comme pour la première tranche, c'est-à-dire sans qu'il y ait d'avertissement, ou existe-t-il quand même des mentions du directeur de cabinet et du ministre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : La manière dont vous formulez votre question est riche et je ne peux pas y répondre par oui ou par non en dépit de mon souci de concision.

J'apporte d'abord une précision. En haut des notes, c'est généralement l'annotation retour du ministre. En bas, c'est l'annotation montante du directeur du Trésor.

Les avertissements ont été constants. Les notes du mois de février, notamment celle du 15 février, signalent au ministre notre pessimisme au sujet de la situation de l'entreprise. Mais, début janvier, nous ne l'avions pas examinée de près. Après l'avoir examinée de près, nous sommes particulièrement pessimistes et nous ne recommandons pas cette opération. Je peux d'ailleurs vous lire ce que nous avons écrit.

M. le Président : De quelle note s'agit-il ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : C'est la note du Trésor du 15 février 2002, 305 ou 306CD.

« À ce stade, je ne peux donc que recommander au ministre de ne pas procéder au versement de la deuxième tranche du prêt du FDES et d'informer le Premier ministre de l'état de la société. » On ne peut pas être plus explicite.

M. le Président : Votre réponse est claire, je vous en remercie.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Pour être exhaustif, je vous rappelle que la conclusion du relevé de la décision interministérielle du 7 janvier 2002 portait sur un montant de 30,5 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Qui avait fixé ce montant ? D'où sortait-il ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Ce n'est pas par souci de discrétion, mais je saurais davantage vous dire qui en avait fixé le montant. Il manquait à peu près 400 millions de francs, soit environ 60 millions d'euros, dans le versement de Swissair. En conséquence, je pense que les conseils de la société ont eu l'idée de monter un GIE fiscal. Le principe est astucieux, car il permettait de générer une trentaine de millions d'euros et le solde serait trouvé grâce à un prêt du FDES.

M. le Rapporteur : Nous avons la même analyse en l'état actuel de nos informations.

Mme Arlette GROSSKOST. J'ai une question complémentaire. Des indemnités à hauteur de 30,7 millions d'euros auraient également dû être versées par Swissair. Comme par hasard, le prêt correspond à peu près à ce montant. N'a-t-on pas envisagé une cession de créances ? Cela m'aurait paru le minimum.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je vous remercie de votre question d'autant que nous l'avons fait. Nous avons été déclarés cessionnaires des créances existantes et à naître au titre du contentieux avec Swissair. En fait, il s'agissait juridiquement d'un gage.

Mme Arlette GROSSKOST. Avez-vous cette cession de créances ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Nous détenons le gage. Cela n'a pas été sans mal. Nous avons obtenu dépossession et les actes de contentieux ont été transmis au gestionnaire pour le compte de l'État qu'est Natexis Banques Populaires.

M. le Rapporteur : À quelle époque ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le 28 février 2002 et nous n'avons libéré les fonds qu'à partir de la dépossession.

M. le Président : Venons-en à la troisième phase.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez fait entre fin février et le rapport plus détaillé de Mazars sur lequel j'ai des questions très précises à vous poser.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Durant cette période, il n'y avait pas d'acte de mise en place du prêt à effectuer. Il y a eu des aspects strictement de gestion courante pour régulariser le nantissement du fonds de commerce et d'autres éléments de procédure liés à la mise en place du prêt. Nous avons assuré un suivi régulier de la situation de trésorerie grâce au rapport mensuel de Mazars - je n'ose le qualifier d'audit - qui réajustait la situation de trésorerie et le prévisionnel.

Comme je l'indiquais dans ma déclaration liminaire, des débats ont eu lieu au sujet du GIE fiscal. En la matière, nous n'avions qu'un rôle de coordonnateur ou d'interface.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous parler de la suite, c'est-à-dire ce qui se passe entre fin février et juillet au moment où vous recevez le deuxième rapport Mazars ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Concrètement, il se passe peu de choses. On a un débiteur dont le prêt arrive à échéance en juillet. On a un rapport mensuel qui atteste le caractère délicat de la situation.

De manière opérationnelle, il se passe deux choses. L'une, c'est l'arrêt de la desserte de la Polynésie française sur l'initiative de la société. L'autre, ce sont les débats au sujet de la mise en place d'un GIE fiscal. Souhaitez-vous que j'en parle ?

M. le Rapporteur : S'il vous plaît !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Philippe Leroy me rappelle à juste raison qu'il se passe une autre chose importante pour l'entreprise qui est la mise en place, à partir du 28 mars, sauf erreur de ma part, de l'offre d'Air Lib Express sur cinq destinations métropolitaines. C'est son choix et elle le fait avec ses moyens.

Le GIE fiscal est un sujet extrêmement compliqué. Je veux essayer de le présenter de manière simple. Un GIE fiscal est une structure par laquelle des preneurs, comme on les qualifie, s'associent pour acheter un actif qu'ils loueront à un tiers. Sur le plan comptable, l'actif sera déprécié de manière dégressive ; sur le plan financier, il sera loué de manière linéaire. Pour simplifier, on va donc générer un déficit qui sera imputable sur la situation fiscale des preneurs, puisque le GIE est fiscalement transparent. Cela peut constituer un moyen d'optimisation fiscale pour le preneur. Je ne sais pas si l'on peut qualifier cette opération de courante, ...

Mme Arlette GROSSKOST : Cela se pratique !

M. le Rapporteur : C'est même systématique aux États-Unis !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : ... mais elle est assez fréquente et elle relève de la gestion fiscale. Elle se pratique d'autant mieux que le bien est meuble. Or un aéronef est un meuble.

Au cas particulier, Swissair, ou plus précisément Flightlease qui était la filiale détentrice des actifs qu'elle exploitait, ce qui illustre ce que je vous disais tout à l'heure à propos de l'organisation des compagnies aériennes, avait prévu d'acheter deux Airbus A 340 en vue de leur exploitation par sa filiale AOM-Air Liberté. À ce titre, elle avait versé 25 ou 27 millions de dollars d'acompte au constructeur.

L'idée, je ne saurais vous dire exactement d'où elle a germé, était que le GIE achète au prix normal les deux Airbus A 340 réservés aux spécifications d'AOM-Air Liberté et rétrocède l'acompte à cette dernière.

Ce procédé présentait deux intérêts pour AOM-Air Liberté. D'une part, cela concourrait au renouvellement de sa flotte long courrier. Je vous ai indiqué son manque d'homogénéité. Les dates d'immatriculation des DC 10 s'échelonnaient de 1973 à 1983 pour le plus récent, certains appareils n'étaient en effet pas détenus par Mermoz. D'autre part, cela permettait de générer de la trésorerie pour l'entreprise de l'ordre de 30 à 40 millions d'euros.

Cela étant, un tel dispositif suppose la réunion au même moment de plusieurs accords. Vous avez le vendeur des aéronefs qu'il faut pouvoir payer. Les preneurs, pour leur part, veulent que l'opération financière soit bonne en fonction des paramètres de prix et du risque de crédit qu'ils prennent puisqu'ils louent un actif à un tiers, au cas particulier AOM-Air Liberté. Les preneurs souhaitaient donc obtenir une sécurité sur leur locataire, mais inutile de dire, au cas particulier, qu'ils pouvaient se poser des questions sur la qualité du crédit de la société AOM-Air Liberté. Donc, il fallait trouver un locataire de substitution car AOM-Air Liberté n'était pas pérenne, il fallait qu'un tiers puisse éventuellement les utiliser. L'administration fiscale, enfin, devait valider l'opération.

M. le Président : Je me demande où sont les investisseurs. Il faut trois conditions pour constituer un GIE dont l'autorisation de l'administration, qui avait été donnée.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Cela marche en sens inverse.

M. le Président : Quel que soit le sens, il y avait l'autorisation de l'administration, des avions à acheter, mais personne pour les payer.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : En tout cas, les courriers figurent dans le dossier, des ministres successifs ont donné un accord de principe. Ils étaient prêts à agréer le dossier si celui-ci présentait plusieurs caractéristiques. Il fallait un contrat de vente entre le fabricant des avions et le GIE, des investisseurs pour financer le GIE, un bail entre le GIE et la société d'exploitation avec, le cas échéant, une clause de substitution d'un locataire tiers. Ces éléments n'ont été ni présentés ni réunis.

M. le Président : Nous sommes d'accord !

M. le Rapporteur : Quand avez-vous eu la certitude que le GIE ne serait jamais monté du fait du défaut d'investisseurs ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : A titre personnel, j'ai toujours été persuadé qu'il n'y aurait jamais d'investisseurs.

M. le Rapporteur : Le tribunal de commerce, lorsqu'il a autorisé la cession d'actifs, était conscient qu'il fallait trouver des investisseurs pour conforter les capitaux propres dudit groupe. Le président d'Holco vous avait-il informé qu'une banque canadienne était à la recherche d'investisseurs ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Les faits que vous mentionnez se sont déroulés dans le courant de l'année 2001. Nous n'étions alors ni saisis ni informés du dossier. Nous en avons été informés rétrospectivement de façon assez détaillée.

M. le Rapporteur : Quand avez-vous été informés qu'une banque canadienne recherchait des investisseurs ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne veux pas paraître pointilleux, mais nous en avons été informés, d'une part, en lisant la presse et, d'autre part, en menant, en juillet 2002, un audit assez précis sur les flux relatifs à Holco. L'information que nous avons obtenue en juillet 2002 était qu'une banque canadienne avait recherché des investisseurs entre juin et juillet 2001.

M. le Président : On n'a jamais vu apparaître d'investisseurs. Au départ, M. Corbet les avait annoncés, les rapports d'audit en font état, et, dans le cadre du GIE, des investisseurs devaient financer l'achat des deux Airbus, lesquels ont ensuite été vendus à Tahiti Nui. Dans le même temps, le ministre des Finances, par écrit, donne l'impression de n'être pas d'accord avec l'octroi du prêt. Malgré ce dossier, le Premier ministre rend une décision favorable, car l'accord sur la première partie du prêt et sur l'avenant émane, semble-t-il, de Matignon. Qui, à Matignon, a-t-il pris cette décision ? Est-ce le Premier ministre lui-même, son directeur de cabinet ou le conseiller compétent ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne suis pas en mesure de répondre à une telle question.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, je reformulerai votre question d'une façon encore plus précise. Qui a signé le document dont vous avez fait état et dont nous aurons communication par le Secrétariat général du Gouvernement ou par vous-même ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je crois que les bleus ne sont pas signés.

M. le Rapporteur : Les bleus que l'on vous transmet, mais pas celui qui est au cabinet du Premier ministre.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne suis que ce que je suis.

M. le Rapporteur : Nous avions déjà rencontré le problème lié aux bleus dans l'affaire du sang contaminé.

M. le Président : Nous étions juges ensemble, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Vous vous souvenez donc du débat sur le statut juridique du bleu.

Nous en venons au deuxième rapport Mazars. Pouvez-vous nous rappeler les conditions dans lesquelles vous l'avez demandé ? Que cherchiez-vous et qu'avez-vous retiré de ce rapport ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Le prêt arrivait à échéance le 9 juillet. Un certain nombre de questions se posaient et nous souhaitions avoir une vision un peu plus approfondie de la situation sur plusieurs aspects.

Le premier, même s'il n'a pas fait l'objet de débats publics, est important. Il s'agissait d'engager un examen approfondi de la comptabilité analytique de l'entreprise. Compte tenu de notre échange sur l'état comptable de l'entreprise, je ne suis pas sûr que le terme soit approprié. Quel était le souci ? Nous voulions savoir, entre les activités longs courriers, notamment la desserte de l'outre-mer, et les activités domestiques et moyens courriers, ce qui affectait le plus la situation financière de l'entreprise.

Le deuxième aspect consistait en un audit plus stratégique destiné à connaître l'avenir de l'entreprise. Il a été piloté plus directement par nos collègues de la Direction générale de l'aviation civile et confié à KPMG.

Le troisième aspect, c'est celui sur lequel vous souhaitez nous interroger, concernait les flux financiers entre Holco SAS et ses différentes filiales. Nous cherchions à avoir une vision à la fois instantanée et rétrospective.

M. le Rapporteur : Qu'apprenez-vous sur ces différents volets ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Les deux premiers aspects ne ciblaient peut-être pas le cœur de votre question. Cependant, je voudrais quand même apporter une précision et je crois que M. le secrétaire d'État aux Transports vous le fera de manière écrite.

Dans un mémorandum qui vous a été remis, il y a un enchaînement dans la présentation qui ne correspond pas à ce que je vous ai dit sous serment. Vous avez bien compris que le premier prêt a été mis en place avant l'audit de Mazars et que l'audit stratégique de KPMG a été réalisé postérieurement à la mise en place de l'intégralité des prêts. Ce n'est donc absolument pas au vu de ces audits que les prêts ont été mis en place.

M. Marcel BONNOT. J'ai écouté d'une oreille particulièrement attentive, sinon religieuse, tout ce qui a été dit. J'ai le sentiment, connaissant votre institution et les procédures que vous respectez habituellement, que vous avez agi pour le moins dans la précipitation. Vous avez dit tout à l'heure être dans la position d'un prêteur face à un emprunteur. On sent bien que les exigences qui sont habituellement les vôtres par rapport à une situation comptable, ce qui est tout de même une garantie importante s'agissant en plus des fonds de l'Etat ont été plus ou moins malmenées. Vous vous êtes, semble-t-il, affranchis de la rigueur de vos procédures habituelles. N'avez-vous pas tout simplement agi sur ordre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : J'ai été explicite. Nous avons mis en œuvre des instructions que nous avons reçues dans le cadre des procédures habituelles de fonctionnement de notre administration.

M. le Rapporteur : Nous en revenons au deuxième audit Mazars dans ses trois composantes. Que vous a-t-il appris et qu'avez-vous fait ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Il nous a détaillé des éléments sur lesquels nous avions des bribes d'information ou des pressentiments.

Nous avions estimé, une note du 15 février 2002 le mentionne, que la trésorerie conservée par Holco était de l'ordre d'une vingtaine de millions d'euros. L'audit a confirmé ce chiffre et il nous donné une idée assez précise de la répartition entre la société de droit néerlandais et la société luxembourgeoise. Sauf erreur de ma part, Mermoz détenait 15 millions d'euros, mais 1 million avait été reversé en compte courant à Holco SAS. Holco Lux avait reçu 4,5 millions d'euros en cash, étant entendu qu'Holco Lux, ayant vocation à être la filiale de diversification d'Holco SAS, détenait un investissement de l'ordre de 360 000 euros. Il n'y avait pas de trésorerie significative, si vous me permettez ce terme, dans les autres entités.

Par ailleurs, je me permets d'insister compte tenu du débat qui, à mon avis, ne reflétait pas une divergence quant au fond, par cet audit nous avons appris très clairement qu'un vaste désordre comptable régnait au sein d'Holco. Les diligences réalisées fin juin début juillet ont effet montré que les comptes qui devaient être clos au 31 mars ne l'étaient toujours pas. Dans une holding, il y a beaucoup de refacturations internes. Manifestement, toutes les conventions internes n'avaient pas été passées, sans doute en raison de retards.

Il y avait surtout deux débats comptables délicats afin de savoir si Holco SAS devait provisionner le compte courant d'Air Lib, qui était son principal actif, à hauteur de 110 millions d'euros. En dépit d'un processus de décision au sein d'Holco SAS qui devait être assez rapide, il n'y avait pas eu d'accord entre la direction de l'entreprise et son actionnaire ni entre ceux-ci et les commissaires aux comptes. Les comptes n'étaient donc par arrêtés au moment de la remise de l'audit en juillet 2002.

Nous avons également appris, ces informations sont maintenant largement publiques, qu'Holco SAS avait effectué divers versements au cours des tous premiers jours de son existence, en août 2001, c'est-à-dire au moment où elle a été désignée cessionnaire d'une partie des actifs d'AOM-Air Liberté. La banque canadienne que vous évoquiez a reçu, sauf erreur de ma part, 8,8 millions d'euros au titre d'une mission qui nous avait été décrite, mais sur laquelle nous ne disposions pas de pièces. Les divers honoraires juridiques et comptables ont représenté un peu moins de 3,5 millions d'euros et cinq ou six personnes, qui constituaient ses effectifs au titre de l'exercice 2001, ont perçu des rémunérations.

M. le Président : Ces informations obtenues six mois après l'obtention du prêt n'ont-elles pas suscité d'interrogations de la part des responsables ? J'en reviens toujours à la manière dont les fonds publics ont été utilisés. On peut considérer qu'il y a une sorte de pompe aspirante qui introduit des fonds publics dans la société alors que les fonds versés par Swissair, qui devaient abonder la trésorerie, ont été immobilisés dans une filiale afin d'effectuer divers versements, de payer des honoraires et, surtout, des rémunérations. Cela apparaît-il comme tout à fait logique dans un montage qui fait appel de manière aussi importante à des fonds publics ?

M. le Rapporteur : Pour préciser votre question, monsieur le Président, page 19 du rapport officiel figurent des montants agrégés et anonymes : « ventilation des honoraires par nature, banques d'affaires, avocats, etc. » Or, dans une version initiale que je tiens à disposition de la commission, figuraient non seulement les noms des bénéficiaires de ces honoraires, mais aussi le détail des sommes versées, entre le 1er août 2001 et le 31 mars 2002, à MM. Corbet, Perri, Bachelet et Bardi. Dans la vision expurgée, seule la somme globale est indiquée sans faire de distinction. Est-ce à la demande du CIRI ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Cela a été fait à la demande du CIRI et, plus particulièrement, à la mienne. Je vais vous expliquer pourquoi.

Le président de l'entreprise m'a indiqué et il l'a fait savoir à d'autres, que le comité d'entreprise souhaitait entendre l'auteur de ce rapport. Cela posait une question de principe. J'ai pensé que pour ce dossier, qui, s'il n'était pas délicat, ne nous réunirait pas aujourd'hui, il était souhaitable d'éviter les remous et de troubler le bon fonctionnement de l'entreprise. Il ne fallait donc pas opposer une fin de non-recevoir à la demande des instances représentatives du personnel.

M. le Rapporteur : Avez-vous agi de votre propre autorité ou avez-vous sollicité l'autorisation de votre directeur du Trésor qui en a référé au cabinet, voire au ministre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : J'y viens.

Nous écrivons tout le temps, particulièrement lorsque le sujet est ultrasensible. Or vous ne lirez pas de note à ce sujet, car j'ai voulu traiter les choses rapidement.

Permettez-moi d'exprimer une conviction. Ce n'est pas une position du ministère de l'Economie et des Finances.

On peut penser ce que l'on veut de ces données. Lorsque nous les avons le 15 juillet 2002, qu'est-ce que cela change ? Le fait de savoir que Jean-Charles Corbet a reçu 1 million d'euros de rémunération pour six mois de travail en 2001 ne me permet pas d'aller les rechercher et de les remettre dans l'entreprise. En revanche, le 15 juillet 2002, je sais que si son comité d'entreprise, qui, pour des raisons qui peuvent se comprendre, est assez tendu, reçoit ces chiffres exposés, on peut se trouver dans une situation de tension accrue qui n'est probablement pas favorable au bon fonctionnement de l'entreprise.

Je suis un fonctionnaire de niveau modeste. S'il y a une responsabilité personnelle que j'ai prise dans ce dossier, c'est celle de demander au cabinet Mazars que la présentation faite au comité d'entreprise soit agrégée.

M. le Président : Avez-vous agi de votre propre initiative ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : J'ai agi de ma propre initiative.

M. le Président : Sans en référer à personne ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je l'ai exposé oralement et cela n'a pas soulevé d'objections.

M. le Rapporteur : Lorsque vous obtenez ces informations le 15 juillet, avez-vous averti le directeur du Trésor, le cabinet et les ministres de vos découvertes ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Bien entendu.

M. le Rapporteur : Pour l'information de la commission, je vais lire ce qui figurait dans les deux pages qui ont été remplacées par une page agrégée.

Pour la période du 1er août 2001 au 31 mars 2002, M. Corbet a perçu 243 000 euros de salaires, plus une prime de 762 000 euros, soit 1,005 million. M. Perri a reçu 88 000 euros de salaires et 51 000 euros de prime, soit 139 000 euros. M. Bachelet, président de la société d'exploitation jusqu'à son licenciement le 15 février, a touché 122 000 euros de salaires, plus 381 000 euros de prime et 38 000 euros d'indemnité de licenciement, soit 541 000 euros. C'est la même chose pour M. Bardi qui, lui, a été licencié le 15 avril. Pour ces quatre personnes, le total, en huit ou neuf mois, s'élève à 2,270 millions d'euros. L'autre annexe agrégée faisait apparaître que la banque d'affaires CIBC avait bénéficié de 8,335 millions d'euros.

Messieurs, vous n'êtes pas tout à fait niais dans le domaine des affaires. Lorsqu'une banque d'affaires, censée rechercher des investisseurs qu'elle n'a jamais trouvés, touche 8,335 millions d'euros, quelle est votre réaction ?

Quant à Me Léonzi, avocat, dont le cabinet est créé en même temps qu'Air Lib, en juillet 2001, après la décision du tribunal de commerce, lui, a touché 3,146 millions d'euros. Vous connaissez les tarifs des avocats. Nous comptons d'ailleurs deux avocats parmi les membres de la commission. Quel est votre commentaire ? La banque ARJIL, pour sa part, reçoit 800 000 francs. La façon dont est gérée l'entreprise ne vous inquiète-t-elle pas ?

Mme Arlette GROSSKOST. Avez eu connaissance d'une lettre de mission pour la banque en question ? Ce qui serait tout à fait normal en l'espèce.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Mesdames, messieurs les députés, mes propos, que je ne voulais absolument pas provocateurs, ne doivent pas susciter d'ambiguïté. Je souhaite vous faire comprendre que notre responsabilité, modeste, consistait à traiter une situation telle qu'elle se présentait. Les chiffres qui nous parviennent en 2002 concernaient des prestations, des flux enregistrés dans les mois de juillet et août 2001.

Monsieur le Rapporteur, vous avez employé les termes « version officielle ». Je ne me permettrais pas de les commenter, mais je crois m'être montré transparent dans l'explication de l'existence de deux versions. La version présentée au cabinet du Premier ministre, pour anticiper une question que vous seriez susceptible de me poser, était évidemment parfaitement explicite. Nul n'a songé à considérer que ces montants ne méritaient pas d'être questionnés. Néanmoins, c'est autre de chose de s'interroger sur un plan déontologique ou sur un plan juridique et le fait que cela entraîne une conséquence par rapport à l'instruction que nous devions mener sur les sujets relevant de nos attributions.

M. le Rapporteur : Vous connaissez le droit des affaires. Lorsqu'une société perd 12 millions d'euros par mois, d'après les chiffres que vous nous avez indiqués, vous savez comment de telles rémunérations sont susceptibles d'être traitées devant un tribunal. Je dis bien « susceptibles d'être traitées ». Et vous ne réagissez pas ? Vous n'invitez pas d'urgence le président de ladite société pour lui demander des explications ?

M. Philippe LEROY : Comme M. le Secrétaire général vous l'a indiqué, nous nous intéressions à la situation de l'entreprise et à ses perspectives. La situation des individus n'était pas l'objet de nos préoccupations.

M. le Président : Ne pensez-vous pas que la rémunération des individus peut avoir une conséquence sur la situation de l'entreprise ?

M. Philippe LEROY : J'y viens.

Par la suite, lorsque nous avons eu à négocier sur un certain nombre de points, vous pouvez être certains que ces informations ont été prises en compte. Nous avons tenu à nous assurer, lorsque cela nous était possible, que ce type de rémunérations ne seraient plus versées.

M. le Rapporteur : Les rémunérations perçues par ces quatre personnes plus les différents honoraires représentaient un peu plus de la moitié du prêt du FDES.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Monsieur le Rapporteur, vous rapprochez deux chiffres. Je souhaiterais que l'on rapproche les éléments de calendrier. À notre connaissance, ces versements ont été les premiers actes comptables d'Holco SAS.

M. le Président : Nous avons compris, mais dans la mesure où c'est du passé, et que vous vous situez dans le présent et dans l'avenir, vous semblez considérer que vous ne pouvez plus rien y faire. Cela posait tout de même une forte interrogation sur la compétence, sur l'intégrité des personnes en cause et sur la capacité de l'entreprise à rembourser le prêt. Au mois de juillet, il y avait une première échéance. Or on attend toujours que le prêt soit remboursé, car il s'agissait bien de fonds publics. Il me semble qu'il y a là pour le moins une certaine évasion.

Cette situation mérite que l'on interroge la personne concernée, qu'on lui pose des questions brutalement et d'essayer d'obtenir plus de garanties. On ne peut pas dire, parce que c'est du passé, on ne s'interroge pas sur la manière dont les évènements se sont déroulés.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : À l'exception du terme « évasion » - je ne le conteste pas, mais je ne peux le reprendre à mon compte ne disposant d'aucun élément de preuve -, je peux souscrire à vos propos. Si vous me le permettez, je vous renvoie aux nombreuses notes du Secrétariat général du CIRI depuis début 2002 dans lesquelles les interrogations sur le montage financier et, d'une manière globale, sur le management de l'entreprise sont absolument explicites. Simplement, je me permets de ne pas souscrire à un raisonnement qui revient à rapprocher les deux chiffres.

M. le Rapporteur : Monsieur le Secrétaire général, je voudrais évoquer un sujet dont vous n'avez pas parlé. Avant le versement du prêt du FDES, il y aurait eu un premier moratoire. Nous avons trouvé des traces écrites du second moratoire. Mais le premier a-t-il existé ou est-on tout simplement face à une société qui cesse de payer ses cotisations sociales, ses impôts, ses taxes aéroportuaires, ses redevances ? Quel a été le rôle du CIRI dans cette affaire ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Je ne suis pas sûr de savoir à quelle période vous faites référence avec le premier moratoire. Si c'est ce qui s'est passé en 2001, je ne saurais vous répondre.

M. le Rapporteur : Quand on décide du deuxième moratoire, il existe déjà un montant. Il figure d'ailleurs dans la décision. Quel est ce chiffre ?

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Cela dépend de la date à laquelle nous nous situons. Disons que c'est, environ, 40 millions d'euros.

M. le Rapporteur : À peu près !

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Sur le plan de la procédure, votre description est la bonne. L'entreprise avait-elle des contacts avec telle ou telle personne ? Je n'en sais rien. En tout cas, elle a cessé unilatéralement, sans doute au lendemain des évènements du 11 septembre, d'acquitter ses diverses redevances publiques. À partir, probablement, de fin décembre 2001, l'entreprise a à nouveau versé ce qu'elle devait jusqu'à fin mars 2002. Je ne doute pas que cela vous fasse réagir, mais, au motif de la non mise en place du GIE fiscal, ce qui n'avait pas grand lien quant au fond, elle s'est à nouveau mise en situation de gel du recouvrement de ses créances publiques.

M. le Rapporteur : Il existe un deuxième moratoire qui, lui, a été explicite, puisque nous en avons des traces écrites.

M. Jean-Baptiste MASSIGNON : Tout à fait. Nous avons considéré, si j'emploie ce terme vous comprendrez que j'exprime aussi un peu un sentiment personnel, que nous devions nous y coller, parce qu'il fallait que cela soit traité de manière ordonnée.

M. le Président : Je suis forcé de respecter l'horaire. Nous avons bien compris que le CIRI s'est trouvé dans une situation d'instruction forte.

Audition de M. Marc Rochet,
ancien président-directeur général d'Air Liberté.

Procès-verbal de la séance du mardi 8 avril 2003

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président.

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Rochet, vous avez laissé un bon souvenir à AOM, celui d'un manager performant. Cependant, ce n'est pas sur cette époque heureuse que nous voulons vous entendre. Nous souhaitons vous interroger sur une période plus sombre, celle qui commence le 15 juin 2001, lorsqu'AOM-Air Liberté dépose son bilan.

À cette époque, vous faites une offre de reprise de la compagnie. Vous vous heurtez au comité d'entreprise. Nous avons entendu leurs représentants. Ils nous ont clairement dit qu'ils vous étaient alors hostiles. Par ailleurs, vous n'êtes suivi ni par le procureur de la République, ni par le tribunal de commerce de Créteil.

À l'époque, quel était votre projet ? Quelle appréciation portiez-vous sur le projet concurrent, celui de M. Corbet ?

M. Marc ROCHET : En tant que président des trois entités qui s'appelaient alors AOM, Air Liberté et Air Littoral, pour ne pas citer toutes les filiales de ce groupe quelque peu tentaculaire qu'avaient essayé de constituer les dirigeants de Swissair, j'avais décidé, avec l'équipe de direction que je représentais, de traiter séparément le cas d'Air Littoral. Cette compagnie avait été prise dans le même imbroglio stratégique monté par Swissair, mais ses spécificités - le caractère régional de son réseau autour de la Méditerranée, sa flotte, qui n'avait rien à voir avec les appareils utilisés par AOM ou Air Liberté - étaient telles qu'Air Littoral ne pouvait pas voir son sort relié à celui d'AOM et d'Air Liberté.

Pour l'information de la commission, je précise que cette entreprise n'a pas eu à subir de dépôt de bilan. Nous avons trouvé un projet de reprise que les Suisses ont d'ailleurs accepté de financer en grande partie. Air Littoral ne faisait donc plus partie de nos préoccupations immédiates.

Il restait à s'occuper d'AOM et d'Air liberté, qui représentaient la plus grosse unité du groupe basée essentiellement à Paris. Je ne pense pas qu'il soit utile de rappeler leurs grandes caractéristiques en termes d'emploi, de flotte ou de réseau, mais je répondrai bien entendu à toutes les questions.

À la mi-juin, l'échec répété de nos discussions sociales n'avait pas permis de parvenir à un accord sur le plan de restructuration. Si celles-ci avaient abouti, ce plan aurait probablement été soutenu par les actionnaires suisses. J'ai donc pris la responsabilité personnelle de déposer le bilan de la société. Cette décision protégeait l'avenir de la société et de ses personnels en empêchant toute saisie des actifs. De plus, nous avions encore du cash disponible, ce qui permettait de disposer d'une période de réflexion. Celle-ci a été menée avec les administrateurs judiciaires en vue de trouver des solutions de sortie, ce qui fut d'ailleurs le cas.

Je le précise également, parce que c'est important, le dépôt de bilan est intervenu à la suite de l'échec d'une mission de conciliation que j'avais confiée à Me Meille et à Me Valliot de Paris. Cette tentative visait à mieux coordonner l'action des actionnaires, le groupe Swissair d'un côté, le groupe Marine Wendel de l'autre, et à trouver des solutions in bonis avec les personnels.

Le dépôt de bilan s'est « plutôt bien passé », je tiens beaucoup à cette notion, dans la mesure où la compagnie n'a pas connu une heure d'arrêt d'exploitation. Tous les appareils ont continué à voler et tous les passagers ont été transportés.

Nous avons donc disposé d'une période de réflexion, sous la double tutelle du management et des administrateurs judiciaires, durant laquelle tous les efforts ont été déployés pour trouver des solutions. Elle a pu se poursuivre jusqu'au 28 juillet 2001, date du transfert officiel à Holco. Ce qui m'a amené, au nom de l'équipe de direction que je représentais, à présenter un plan, un peu tardivement d'ailleurs.

Après le dépôt de bilan, nous avons vu fleurir un nombre considérable d'offres. Le tribunal de commerce, cela figure dans son jugement, a dû en examiner une bonne douzaine. Je mets de côté certaines offres très spécifiques, très locales, portant sur une petite partie de l'activité. Elles émanaient d'ailleurs de gens assez sérieux qui estimaient que, si aucune solution n'était trouvée, ils pourraient se porter candidats à la reprise de tel ou tel morceau de l'entreprise. Deux offres étaient un peu plus solides que les autres, celle présentée par Holco, dirigée par Jean-Charles Corbet, et celle concurrente présentée par Fidei, un groupe financier un peu obscur dont je n'ai jamais bien cerné les contours, dans lequel on retrouvait M. Delepoulle et M. Lambert. À côté de ces deux offres qui émergeaient un peu du lot, il y a toute une série d'offres ridicules, sans aucun support financier ni technique, sur lesquelles le tribunal a perdu du temps et s'est posé beaucoup de questions, ce qui ne lui a pas permis de consacrer toute son énergie à l'étude des projets les plus sérieux.

C'est dans ce contexte un peu « brouillon » et devant la faiblesse des offres présentées par Holco et par Fidei que nous avons décidé de bâtir une offre de reprise. Notre but était de fournir une analyse sérieuse et objective de la situation, de proposer de vraies solutions de restructuration, de regagner la confiance de Swissair, dont le rôle était déterminant, puisqu'elle allait devoir financer le plan de reprise. Je tenais également à démontrer par écrit ce qu'il fallait faire pour sauver l'entreprise, parce que, dès ce moment-là, nous sommes à peu près fin juin 2001, j'avais la conviction que les choses allaient tourner dans un certain sens et que cette histoire se terminerait mal. Malheureusement, la suite l'a prouvé. Je voulais donc démontrer ce qu'il aurait fallu faire pour sauver cette entreprise.

Jusqu'à la mi-juillet 2001, j'ai cru avec beaucoup de conviction que l'entreprise était sauvable, pas en totalité certes, et qu'elle avait sa place sur le marché, à condition, non pas que les personnels le veuillent, parce que je pense que les personnels le voulaient, mais que les représentants syndicaux comprennent la situation. On pouvait effectivement espérer sauver et pérenniser cette entreprise.

Notre offre était très technique, mais je suis, bien entendu, à votre disposition pour répondre à toutes les questions. Son point fondamental était de démontrer la réalité des besoins de financement. Nous avions d'ailleurs trouvé, j'allais dire grâce au sérieux de notre travail, des actionnaires extérieurs prêts à investir. Je pense notamment à la MAAF qui avait confirmé par écrit son accord de principe. J'étais également convaincu que cette offre pourrait servir de référence.

Lors de la phase ultime du processus qui allait aboutir au plan de cession à la société Holco, considérant que cette offre avait été construite par le management et qu'elle n'appartenait donc à personne - c'était le travail de l'entreprise dont je faisais partie, même à titre personnel -, je l'ai communiquée aux différents repreneurs potentiels, Holco et Fidei, afin qu'ils s'en inspirent et que le travail sérieux que nous avions réalisé soit en partie intégré dans leur projet.

M. le président : Quelles étaient les grandes lignes de votre plan ?

M. Marc ROCHET : Notre offre consistait essentiellement en un plan de reprise basé sur un réseau contracté. Sur le long courrier, nous ne conservions que la desserte directe des DOM, Antilles et Réunion. Sur le moyen courrier, nous ne gardions que certaines routes, dont je n'ai pas l'inventaire précis en tête, autour d'une flotte unique de MD 83.

Ce plan supposait le départ d'environ 1 400 personnes de l'ensemble du groupe AOM-Air Liberté. Il supposait des besoins de financement qui étaient couverts par l'apport de Swissair à hauteur de 1,2 milliard de francs en cash, montant qui était accordé à tous, plus une garantie sur les billets émis non utilisés, plus des réductions potentielles sur certaines locations d'avions, ainsi que par l'implication du management qui avait décidé d'investir dans ce projet pour montrer son attachement à l'entreprise, par la MAAF et par les collectivités régionales d'outre-mer que nous avions contactées et qui, a priori, auraient pu jouer un rôle minoritaire.

M. le Président : Quelle aurait été la masse financière totale ?

M. Marc ROCHET : Nous recherchions à peu près 1,5 milliard de francs.

M. le Président : En incluant les fonds de Swissair ?

M. Marc ROCHET : Les fonds de Swissair constituaient l'essentiel de cet apport.

M. le Rapporteur : C'était une centaine de millions de francs pour la MAAF, les collectivités régionales, etc ?

M. Marc ROCHET : Un peu plus, 200 millions de francs au total.

M. le Président : Vous avez donc déposé le plan au tribunal ?

M. Marc ROCHET : Oui !

M. le Rapporteur : À votre avis, pour quelles raisons le tribunal de commerce n'a-t-il pas retenu votre projet ?

M. Marc ROCHET : La première raison a immédiatement appelé mon attention. Le procureur qui avait été approché a soulevé d'emblée un problème de recevabilité de l'offre. La loi prévoit en effet qu'un dirigeant qui dépose le bilan d'une entreprise ne puisse pas en être le repreneur. Ce texte a été conçu pour éviter que des gens déposent le bilan d'un seul coup, n'honorent pas leurs engagements financiers, puis recommencent.

Tous les contacts que j'avais eus, les administrateurs judiciaires, qui m'avaient un petit peu alerté sur ce point, et les différents conseils, convenaient que cette disposition ne s'appliquait pas à mon cas. Je précise que je n'étais pas actionnaire d'AOM-Air Liberté, je ne l'avais d'ailleurs jamais été. J'étais salarié de la société, même si j'étais son mandataire social. Il était évident que je n'avais aucune implication capitalistique dans des projets directs. L'esprit de la loi ne s'appliquait clairement pas à moi. Le cabinet conseil Archibald avait même recensé des cas de jurisprudence qui, devant des tribunaux de commerce, distinguaient l'esprit et la lettre de la loi. Lorsque le procureur a soulevé ce point, j'ai compris qu'il avait quelques idées derrière la tête pour essayer de bloquer notre proposition.

La deuxième raison est fondamentale et j'en porte l'entière responsabilité. J'avais mis comme condition suspensive à l'offre, en toute transparence, devant les personnels, les mandataires de justice, le tribunal et son président, que ce groupe d'entreprises, pour vivre et pour espérer durer, devait reconstruire le « grand squelette » de ses accords sociaux préalablement à toute reprise. Nous étions face à un enchevêtrement social absolu. De mémoire, je peux citer le chiffre de 140 accords collectifs particuliers.

Les lois sociales de notre pays, j'en parle avec d'autant plus de conviction que je me trouve ici dans le lieu où elles s'élaborent, ne permettent pas, sur le terrain, de restructurer une entreprise si l'on ne fixe pas une date butoir qui mette tout le monde devant ses responsabilités. Les dirigeants sont responsables, c'est évident. Les actionnaires le sont également. Les représentants sociaux des entreprises ont énormément de droits, je n'ai toujours pas bien compris quelle était leur responsabilité. Ils freinent les processus, ils les bloquent et rien n'avance. J'ai donc écrit noir sur blanc qu'il faudrait régler ces problèmes avant d'assurer la reprise.

Les autres repreneurs, M. Corbet en particulier, considéraient qu'il s'agissait simplement d'un problème de relation et que, ensuite, dans la joie et l'allégresse de la reprise, tous ces problèmes se régleraient. Preuve a été que rien ne s'est réglé. J'ai suivi l'histoire de la société, devenue entre-temps Air Lib. À ma connaissance, les coûts ont continué à dériver d'environ 15 % par an. Le projet n'était plus viable quoi qu'il arrive.

M. le Président : Pensez-vous que structurellement les coûts de l'entreprise étaient tels qu'une reprise en l'état n'était pas jouable ?

M. Marc ROCHET : Absolument !

M. le Rapporteur : Je pose la question sous une autre forme. Lorsque le tribunal de commerce choisit la solution Corbet, quelles étaient, selon vous, ses principales faiblesses ?

M. Marc ROCHET : Si la commission en est d'accord, je lui communiquerai une note, que j'avais adressée à tous les personnels le 18 juillet 2001, qui essayait de faire le point, d'une façon peut-être un peu brutale, malheureusement, mais en toute transparence, sur la réalité des offres.

Les principales faiblesses de l'offre d'Holco, je dis bien Holco et non M. Corbet, sont au nombre de trois.

Premièrement, il a surdimensionné de façon assez significative, sans doute dans un esprit de surenchère sociale, ses moyens matériels et humains afin que son offre soit la plus attractive possible. Dès le départ, il était évident, pour ceux qui étaient fortement impliqués dans ce dossier, qu'il gardait trop d'avions et trop de personnels.

Deuxièmement, il ne remettait absolument pas en cause, tout en les mentionnant d'ailleurs, la complexité et l'enchevêtrement des accords sociaux. Il ne prévoyait aucun dispositif programmé, avec des dates, des échéances, pour renégocier cet ensemble inextricable. On pouvait donc penser qu'il porterait le problème et qu'il ne le réglerait pas, ce qui est arrivé.

Troisièmement, compte tenu du surdimensionnement, en raison des coûts qui n'étaient pas revus à la baisse par un effet de restructuration sociale, son offre était financièrement insuffisante en termes de capitalisation. Je n'ai jamais cru un seul instant au sérieux de la CIBC dans cette affaire. J'avais rencontré la banque canadienne qui était présentée comme la banque conseil et la banque d'investissement de ce grand projet. On sentait bien que ces gens-là ne mettraient pas 1 franc. Quant au prétendu engagement d'Aurel Leven d'apporter, si ma mémoire est bonne, 80 millions de francs, lorsque l'on connaît un peu le milieu des affaires, on sait très bien que ce n'est pas le genre d'engagement que cette société peut prendre. Elle peut s'engager à rechercher des capitaux, mais certainement pas à les apporter.

M. le Président : Comment avez-vous connu la banque canadienne CIBC ?

M. Marc ROCHET : La CIBC m'a approché à deux titres.

D'abord, elle cherchait, ce qui ne me choque pas, à maximiser la contribution financière de Swissair à la reprise. J'étais le représentant recruté par Swissair pour mener ces opérations. J'ai donc été approché, parallèlement, d'ailleurs, aux gens de Swissair. Je n'ai pas en tête la date de notre rencontre, mais je pourrais la retrouver si nécessaire. En revanche, je me rappelle très bien qu'elle a eu lieu en présence de M. Martin Bissang du groupe Swissair. À l'époque, les gens de Swissair n'avaient pas acquis la conviction qu'ils devaient financer la restructuration, mais ils écoutaient toute proposition en ce sens.

Ensuite, leur démarche avait un but plus personnel. Il m'a été demandé si j'accepterais d'assister Jean-Charles Corbet dans son projet de reprise, car sentant bien que j'avais la confiance de Swissair, je pouvais sans doute être ensuite, appelez cela comme vous voudrez, ...

M. le Rapporteur : Le mentor !

M. Marc ROCHET : ... le contrôleur, la personne qui s'assurerait de la bonne utilisation des fonds. J'ai refusé de façon très claire cette proposition.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Marc ROCHET : Sur le plan éthique, je ne me sentais pas du tout en phase avec les projets de reprise. C'était vrai aussi bien pour Holco que pour Fidei.

M. le Rapporteur : Pourtant, d'après ce que l'on dit, vous avez été à un moment associé à la proposition Fidei.

M. Marc ROCHET : Je n'ai jamais été associé de près ou de loin à Fidei, je le dis après avoir prêté serment devant votre commission. Fidei s'est permis d'utiliser mon nom. J'aurais pu engager tout un tas d'actions, mais, dans ces circonstances, on pense davantage à sauver une entreprise qu'à se protéger soi-même.

Par ailleurs, Fidei a bénéficié, comme Holco, des travaux internes qui, à mes yeux, n'étaient pas la propriété de Marc Rochet ou de son équipe de management. Ils appartenaient à l'entreprise et j'ai accepté de les communiquer à tout repreneur potentiel. Pour Holco, j'ai pris la précaution de passer par Me Léonzi afin que les choses soient parfaitement transparentes. En ce qui concerne Fidei, je les ai transmis à M. Lambert.

M. le Président : À ce moment-là, connaissiez-vous Me Léonzi ?

M. Marc ROCHET : Non, je ne l'ai connu que dans le processus Holco.

M. le Rapporteur : La CIBC a bénéficié de 8,335 millions d'euros d'honoraires. Cela vous paraît-il beaucoup ?

M. Marc ROCHET : Cela me paraît totalement démesuré par rapport au travail effectué. En fait, je pense qu'elle était là simplement pour prendre une commission de montage financier, au bon sens du terme. Elle avait sans doute convenu, dans un accord avec Holco, dont je n'ai jamais eu connaissance, d'une commission en fonction des capitaux levés.

Elle n'a levé aucun capital, si ce n'est la contribution de Swissair qui, de toute façon, était offerte à tout repreneur potentiel. Le chiffre que vous citez, j'ai eu l'occasion de le lire dans la presse, correspond schématiquement à 5 % du montant levé auprès de Swissair. C'est totalement injustifié dans la mesure où les commissions dans ce milieu tournent plutôt autour de 2 %.

En tout état de cause, la contribution de Swissair devait être exclue d'une commission de montage. Si la banque avait trouvé 80 millions de francs auprès d'Aurel Leven ou d'un autre investisseur, j'aurais trouvé normal qu'elle soit rémunérée, mais pas dans ces proportions.

M. le Président : Vous dites donc une vérité que tout le monde connaît dans le monde des affaires ?

M. Marc ROCHET : Tout à fait !

M. le Rapporteur : Après que le tribunal de commerce eut retenu la proposition Holco, vous nous avez indiqué avoir suivi l'évolution de l'entreprise. Mais connaissiez-vous un peu M. Corbet ?

M. Marc ROCHET : Je l'ai rencontré au début de son travail, à sa demande et à celle de quelqu'un d'Air France.

M. le Rapporteur : Qui était cette personne ?

M. Marc ROCHET : Le président d'Air France m'avait suggéré de le rencontrer.

Mme Chantal ROBIN-RODRIGO : Le président actuel ?

M. Marc ROCHET : Il n'a pas changé.

M. le Rapporteur : Le président Spinetta ?

M. Marc ROCHET : Oui, c'était M. Spinetta.

Nous sommes au tout début du processus. La démarche de Jean-Charles Corbet, à ce moment-là, était sans doute assez généreuse, probablement utopique, même si la suite a été désastreuse et sans doute difficilement analysable. Mais c'est l'objet des travaux de votre commission.

Je l'avais rencontré dans un esprit d'ouverture pour savoir ce qu'il pouvait apporter à l'entreprise, à son état d'esprit. Je dois dire que nous rencontrions, j'en assume la responsabilité pleine et entière, de réelles difficultés avec les partenaires sociaux, en particulier avec ceux représentant les pilotes, les copilotes et les officiers mécaniciens navigants. Jean-Charles Corbet étant issu de ce milieu, j'étais tout à la fois ouvert à des propositions qu'il aurait pu nous faire et à l'écoute de ses suggestions.

J'avoue qu'au fur et à mesure de nos rencontres, le doute m'a largement envahi. Celles-ci n'ont pourtant pas été très nombreuses, il y a dû en avoir trois ou quatre. À la fin, je me sentais assez éloigné, sur le plan industriel, social, un peu aussi sur le plan moral, de la façon dont il menait son offre de reprise.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous dire par « sur le plan moral », « sur le plan financier » ?

M. Marc ROCHET : Permettez-moi de sortir un document.

M. le Rapporteur : Vous pouvez même nous le remettre.

M. Marc ROCHET : C'est la note que j'ai adressée à tout le personnel le 18 juillet 2001. Le titre était : « Comment encore sauver la compagnie. »

J'y détaille ce qui devrait figurer dans un plan de reprise pour être crédible et surtout pour garantir la pérennité de l'entreprise. J'y parle donc du business plan, du volet social incontournable, vous l'avez vous-même cité, du plan de financement et des besoins en trésorerie liés à tout projet. Le business plan de M. Corbet, représentant Holco, était, à mon avis, largement « gonflé » pour apparaître plus favorable sur le plan social. Il mélangeait les avions, il mélangeait les routes.

Comme vous pourrez le constater, j'ai écrit une phrase qui m'a ensuite été beaucoup reprochée : « Le premier point est un choix technique - on parle de la flotte. Le second m'apparaît être une manipulation. Chacun en pensera ce qu'il voudra. » Je n'avais pas utilisé ce terme au hasard. J'étais conscient de ce que j'écrivais. J'ai reconnu par la suite que cela avait sans doute choqué beaucoup de gens. Sur le plan social, j'écris plus loin : « Repousser à plus tard ces problèmes va condamner en fait, dès le départ, tout projet de reprise. » Nous sommes le 18 juillet 2001 !

Dans une certaine mesure, l'équipe que je dirigeais et moi-même avions jugé que l'offre d'Holco n'était pas du domaine du sérieux. Sur le plan moral, hormis lui transmettre les éléments d'information et les travaux que nous avions menés, ce qui a été fait par le biais de Me Léonzi, nous ne pouvions pas continuer à supporter un tel projet.

M. le Rapporteur : À votre connaissance, quelles étaient les motivations de votre concurrent, en quelque sorte, c'est-à-dire le président et unique actionnaire d'Holco ? Vous avez dit tout à l'heure qu'il était généreux.

M. Marc ROCHET : Au départ, il a probablement été entraîné par l'un des représentants syndicaux qui porte la plus lourde responsabilité dans ce qui s'est passé à Air Liberté, M. Jean Immediato, pilote, syndicaliste à Air Liberté. Nous nous sommes rarement mis d'accord, mais j'ai toujours, même si notre opposition était forte, respecté son engagement.

Jean Immediato voulait bien sûr combattre la direction, c'était presque culturel chez lui. Je suis convaincu que c'est lui qui a été le premier à aller chercher Jean-Charles Corbet. Mais sa position initiale était - j'en reviens au mot généreux - d'une certaine façon utopique. Je vais essayer de la résumer.

Les comptes de l'entreprise étaient dramatiques. Je vous rappelle que, en 2000, le groupe avait perdu environ 3 milliards de francs, ce qui était considérable. Les Suisses en sont responsables pour une très grande partie. L'analyse de Jean Immediato et de Jean-Charles Corbet était, si les comptes sont aussi dramatiquement plombés, ce n'est pas un problème de coûts, c'est un problème de recettes. Pour obtenir des recettes supplémentaires, il faut transporter plus de passagers. Si les personnels sont heureux et souriants, les passagers viendront naturellement.

C'était un peu idéaliste, c'était presque un rêve de gosse, mais je suis convaincu qu'ils y croyaient profondément. Jean-Charles Corbet est entré dans ce rêve pensant qu'en aplanissant toutes les difficultés sociales, tous les points d'aspérité, il arriverait à redresser l'entreprise avec ses partenaires syndicaux.

Ma conviction est que c'était sa détermination au départ. Mais Jean-Charles Corbet s'est ensuite entouré de gens, à l'exception d'une personne pour qui j'ai le plus grand respect, François Bachelet, qui ne m'ont pas vraiment impressionné, pour ne pas dire plus. François Bachelet était probablement tout à fait apte à réfléchir à l'avenir d'une entreprise et à contribuer fortement à sa restructuration. Mais il n'est resté que quelques mois. Je suis convaincu que le projet et son instigateur ont dérivé et qu'ils se sont laissés entraîner dans des promesses, des engagements qui se sont révélés ensuite complètement inapplicables.

M. le Rapporteur : Lorsque vous étiez le patron d'Air Liberté, vous n'étiez pas salarié, vous étiez mandataire social. Combien coûtiez-vous à la compagnie annuellement ?

M. Marc ROCHET : Les choses sont tout à fait claires et elles sont aisément vérifiables. Swissair m'a proposé un contrat de travail « Swissair » en janvier 2001 - j'ai pris mes fonctions le 14 février 2001. Je l'ai d'abord refusé considérant que je devais être solidaire de l'entreprise que l'on me demandait de redresser. J'ai donc été nommé mandataire social du groupe rémunéré en tant que président d'AOM participations qui était la société de tête. Tout compris, à l'exclusion d'une voiture et des remboursements courants de repas, j'étais rémunéré sur la base annuelle de 2 millions de francs français.

M. le Rapporteur : Le fait que M. Corbet ait touché 1,005 million d'euros du 1er août 2001 au 31 mars 2002 vous paraît-il démesuré ?

M. Marc ROCHET : Si je prends comme réels vos propos, ...

M. le Rapporteur : Vous pouvez, c'est un document officiel qui nous a été transmis.

M. Marc ROCHET : Je ne peux pas porter un jugement sur un document que je n'ai pas. S'il a effectivement touché ces rémunérations pour cette période, cela me semble totalement disproportionné avec ce qui se pratique dans notre milieu.

M. le Rapporteur : Donc, vous pensez qu'il était « généreux » ?

M. Marc ROCHET : J'ai dit qu'il avait été généreux au départ. J'ai dit ensuite que j'avais acquis la conviction que le projet et ses hommes avaient beaucoup dérivé.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous dire quelques mots de la situation du groupe du point de vue des actifs à l'époque où le tribunal de commerce de Créteil le confie à Holco, puisque c'est l'un des sujets auxquels s'intéresse la commission ? Où se trouvaient les actifs, en particulier les avions, au moment du dépôt de bilan ? Que pensez-vous du transfert des avions, propriétés d'Air Lib, à Mermoz société de droit néerlandais ? Ce type de pratique est-il courant dans le secteur aérien ? La capitalisation de Mermoz, qui est devenu propriétaire de sept avions, à hauteur de 12,2 millions d'euros pour la maintenance, vous paraît-elle raisonnable ? C'était des provisions de grosses réparations.

M. Marc ROCHET : On peut reprocher beaucoup de choses aux directions précédentes en termes de management, d'option commerciale, de choix sociaux, mais je peux témoigner qu'à aucun moment les actifs, essentiellement d'ailleurs constitués autour d'AOM première version, dont vous avez fait l'historique, ne sont sortis du groupe. Lorsque je dis le groupe, ils pouvaient très bien être positionnés autour d'AOM participations, d'AOM compagnie aérienne, d'Air Liberté, d'Air Liberté Finances, mais ils sont restés à l'intérieur du périmètre et en France.

La décision du tribunal de commerce était très favorable. Si on lit le jugement, par ailleurs classique sur ces points-là, tous les actifs appartenant à la société étaient repris par Holco pour 1 franc symbolique. C'était des DC 10, des MD 83. J'avais mené l'acquisition de la plupart d'entre eux au nom d'AOM dans la version 1991-1995. Les échéances avaient été remboursées année après année. Même s'il ne s'agissait plus d'avions d'une très grande valeur, on parle quand même de plusieurs dizaines de millions d'euros.

En outre, il n'y avait reprise d'aucune dette, ce qui bonifiait encore les investissements réalisés. Je ne parle pas, bien entendu, des avions loués ou placés en situation de leasing opérationnel, c'est-à-dire des avions dont les titres de propriété appartiennent à ceux qui les financent.

Je n'ai pas en tête l'évaluation exacte qui aurait pu en être faite à l'époque, mais, de mémoire, l'actif global, hors pièces détachées, qui vont souvent avec, était de l'ordre de 40 à 50 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Pour les sept avions ?

M. Marc ROCHET : Non, pour l'ensemble des avions. Mais il faudrait reprendre l'inventaire précis avec les administrateurs judiciaires.

Les effets bénéfiques d'une reprise en plan de cession ont tout de même des contreparties. Les effets bénéfiques, je le rappelle, c'est le fait qu'Holco ait reçu une société avec tous ses actifs et tout son savoir-faire pour 1 franc avec une importante contribution de Swissair. Cette dernière était-elle suffisante ? C'est un autre débat. Elle l'a également reçue sans aucune dette, j'y insiste, ce qui est une situation éminemment favorable pour une entreprise. Je ne dis pas pour autant que les choses étaient faciles.

La contrepartie, c'est que vous ne recevez pas les provisions qui auraient dû être constituées pour couvrir les opérations d'entretien à moyen et long terme. Je m'explique.

On distingue généralement trois types d'entretien. L'entretien courant induit des charges qui reviennent chaque année. L'entretien qui correspond à ce que l'on appelle les checks C ou les grandes révisions de moteur, dure, généralement, de quinze à dix-huit mois. Il est provisionné par tout un système mécanique afin d'en étaler la charge. Enfin, il y a la grande visite tous les cinq ou six ans. Son coût est également provisionné chaque année.

Holco a reçu des avions nets de dette pour 1 franc, mais sans les provisions correspondantes. Je ne suis donc pas choqué, sur le plan comptable, que l'on recrée progressivement les provisions suffisantes pour aller jusqu'au terme des heures de vols encore possibles et ensuite payer les travaux d'entretien.

J'ai des ordres de grandeur en tête, mais je suis prêt à étudier la question plus précisément. En tout cas, je vois mal, pour la flotte qui était effectivement de l'ordre de grandeur que vous avez mentionné, comment on peut recréer 12 millions de provisions. Cela me semble irréaliste.

M. le Rapporteur : Cela vous paraît-il excessif ?

M. Marc ROCHET : Ah oui ! Dans un rapport minimum de 1 à 2, voire de 1 à 3. Avec l'historique d'exploitation d'une compagnie aérienne, tous les avions ne peuvent pas être en visite le lendemain matin. Ce n'était pas le cas le 28 juillet. Certains avions sortaient de visite, ils avaient donc devant eux leur plein potentiel et ne requéraient aucune provision. D'autres, je n'en disconviens pas, allaient devoir passer en visite dans les années à venir. Mais, mécaniquement, grâce à l'exploitation des avions et à la gestion de mes prédécesseurs, qui n'est pas critiquable, à aucun moment on ne se retrouvait, le 28 juillet, avec une flotte qui devait passer en entretien dès le lendemain matin.

Il y a une pratique dans notre milieu, qui est généralement admise par tous. Lorsque l'on a du mal à se mettre d'accord, je ne dis pas que c'est systématique, on considère que l'on reçoit des avions à mi-potentiels. Statistiquement, la moitié de la flotte a encore quelques mois devant elle, une partie va devoir passer en visite et d'autres sortent de visite. Si je prends les sept avions que vous mentionnez en appliquant les grands principes de maintenance, dans le meilleur des cas, je trouve 4 ou 5 millions d'euros. Je ne vois pas comment on peut trouver 12 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Est-il vrai qu'avant l'arrivée de M. Corbet, donc au moment où vous étiez encore président, le nombre de filiales rattachées à l'activité aérienne d'AOM et d'Air Liberté étaient bien supérieures ? M. Corbet affirme avoir rationalisé l'activité en l'organisant autour de onze filiales. Quelle appréciation portez-vous sur ses déclarations ? Quelle était l'organisation du groupe au moment du dépôt de bilan ? Aviez-vous de très nombreuses filiales ?

M. Marc ROCHET : Le 14 février 2001, j'ai pris le groupe dans l'état où il était. C'était en effet un agrégat considérable de sociétés : Air Liberté, AOM, Air Littoral et leurs filiales respectives. C'était particulièrement complexe, mais je dois pouvoir retrouver dans mes archives l'organigramme juridique du groupe et je vous le communiquerai dans les tout prochains jours.

Cela étant, la plupart de ces filiales étaient soit historiques, au sens juridique du terme, soit elles n'avaient plus d'activité. Une fois Air Littoral sortie du groupe, il restait essentiellement comme filiales opérationnelles autour d'AOM : la maintenance, le catering, le traitement de la billetterie à Nîmes par la société Logitair et une société d'assistance aéroportuaire, qui s'appelait MAG, localisée aux Antilles et en Guyane. Le reste était constitué de sociétés sans grand intérêt, mais elles ne coûtaient rien non plus.

Il a déterminé là dedans le pointillé de sa reprise, libre à lui. Je dirai autrement. Par l'effet de la cession, il n'a repris qu'une partie du groupe. C'était tout à fait normal et tout le monde aurait agi ainsi. Je n'ai pas connaissance qu'ensuite il ait simplifié quoi que soit, bien au contraire.

M. le Rapporteur : Pensez-vous, d'un point de vue plus général, qu'un second pôle aérien était viable en France ?

M. Marc ROCHET : Après avoir beaucoup réfléchi à ce problème, surtout compte tenu de mes expériences passées, je répondrai par l'affirmative à cette question sous réserve, elle est d'importance, que les gouvernements adoptent une attitude parfaitement libérale à ce sujet.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous développer ce propos ?

M. Marc ROCHET : En termes de marché, sur le plan des réseaux desservis par la concurrence, Air France et la SNCF sur la desserte métropolitaine, mais également sur le plan de l'organisation, de l'inventivité des personnels, de leur esprit commercial, du marketing, je suis convaincu qu'il y avait place pour un deuxième pôle aérien en France. Air France n'a pas vocation à tout couvrir. Elle ne dessert pas toutes les routes touristiques, elle ne peut pas desservir seule certaines routes importantes. Cette deuxième place est tout à fait réaliste. J'y croyais et j'y crois encore.

Les gouvernements successifs ont tout fait pour protéger Air France, tout le temps ! La protection, c'est bien, mais lorsque celle-ci fausse les règles de la concurrence, cela met le challenger dans une situation intenable. Je ne donnerai qu'un exemple, parce que je l'ai vécu et, si c'était à refaire, je le referais même si cela m'a coûté mon poste. En 1995, AOM avait une très bonne image. Elle était bénéficiaire et dégageait du vrai résultat. On nous a alors chassés d'Orly-Ouest, car notre succès gênait Air France. À ce moment-là, j'ai écrit que c'était la fin du système concurrentiel. Il a fallu quelques années, mais on y est arrivé.

Vous ne pouvez pas demander à un marché d'accepter une certaine forme de concurrence, proclamer qu'elle est nécessaire et, ensuite, si vous me permettez cette image, lier les mains dans le dos à l'un des deux boxeurs d'autant qu'ils ne concourent pas dans la même catégorie.

M. le Rapporteur : Air France a-t-elle joué un rôle dans votre dépôt de bilan et, surtout, par la suite ? Certains de nos interlocuteurs nous ont dit qu'Air France avait intérêt à avoir un pôle Air Liberté faible, mais qui ne meurre pas. Partagez-vous ce sentiment ? Avez-vous un autre sentiment sur la stratégie d'Air France à l'égard d'Air Liberté ?

M. Marc ROCHET : En aucune façon Air France ne peut être tenue pour responsable, de près ou de loin, de la situation dans laquelle se trouvait le groupe Air Liberté, AOM, Air Littoral en 2001. Les Suisses, représentant Swissair, les délégués syndicaux, en interne, ont fait suffisamment de dégâts, si je puis me permettre cette expression directe, pour que l'on ne puisse pas accuser qui que soit d'autres d'être responsable de l'état lamentable dans lequel se trouvait ce groupe d'entreprises. Je suis parfaitement clair, le groupe s'est suicidé tout seul.

Dans ce qui s'est passé ensuite, c'est-à-dire la reprise et son accompagnement par Air France avec des formules de coopérations commerciales, je ne saurais vous dire dans quelle mesure elle souhaitait sincèrement laisser vivre un concurrent ou si elle préférait le maintenir en situation affaiblie pour éviter qu'un autre, beaucoup plus redoutable, n'arrive. Pour répondre à votre question, Air France est aujourd'hui suffisamment forte, dans les années 2002-2003, pour ne pas craindre de façon dramatique l'arrivée d'un concurrent, aussi difficile soit-il, sur le marché français. Il n'est qu'à voir les expériences de British Airways et de Swissair.

Je ne pense pas qu'Air France soit totalement indifférente à ce qui se passe sur le marché, c'est normal. C'est une société en situation de concurrence. Il est clair aujourd'hui, compte tenu de ses relations avec l'aviation civile, avec la Cohor, avec l'environnement général, qu'Air France bénéficie indiscutablement d'une oreille attentive à l'instar d'autres compagnies dans leur pays d'origine.

M. le Rapporteur : Avez-vous autre chose à nous déclarer ou des documents à nous remettre ?

M. Marc ROCHET : Je vous remets la note du 18 juillet 2001. Je vous communiquerai dans les jours qui viennent l'organigramme juridique du groupe avant son dépôt de bilan.

Auditions de M. Michel Wachenheim,
directeur général de l'aviation civile
et de Mme Danièle Benadon, directrice des transports aériens.

Procès-verbal de la séance du mardi 8 avril 2003

Présidence de M. Charles de Courson, Rapporteur

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. Charles de Courson, rapporteur : M. Wachenheim occupe ses fonctions de Directeur général de l'aviation civile depuis le 25 juillet 2002. Auparavant, avant un cours passage au cabinet de M. Bussereau, il était directeur délégué auprès du directeur général d'Aéroports de Paris. Mme Bénadon est plus ancienne à son poste de Directrice des transports aériens. Elle pourra donc compléter les propos de M. Wachenheim.

Monsieur le Directeur général, quel était le diagnostic de la DGAC sur l'avenir d'Air Lib au moment de l'octroi du prêt du FDES en janvier 2002 ? Lorsque le tribunal de commerce de Créteil a été saisi, à la suite du dépôt de bilan d'AOM-Air Liberté, en juillet 2001, avez-vous joué un rôle dans la décision ? Avez-vous exprimé votre préférence pour une solution de reprise ?

M. Michel WACHENHEIM : Je vais laisser répondre Danièle Bénadon.

Mme Danièle BENADON : Nous n'avons évidemment joué aucun rôle dans la décision du tribunal de commerce. Cependant, le ministère des transports, par l'intermédiaire de ses services, plus spécifiquement la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), a eu à connaître de ce dossier.

Lorsqu'une entreprise dépose son bilan, deux procédures sont menées en parallèle : d'une part, la procédure administrative et, d'autre part, la procédure judiciaire devant le tribunal de commerce.

En vertu du code de l'aviation civile et d'une réglementation communautaire, les compagnies aériennes doivent être titulaires d'une licence d'exploitation et d'un certificat de transporteur aérien. Ces autorisations n'étant pas transmissibles, le ministère des transports doit nécessairement être informé de l'existence d'un plan de continuation ou d'un plan de cession. C'est la raison pour laquelle, en juillet 2001, parallèlement au tribunal de commerce de Créteil, nous avons eu connaissance des différents projets de reprise. C'est la procédure habituelle.

Nos services ont alors des contacts avec les administrateurs judicaires afin que la procédure administrative et la procédure judiciaire puissent être menées concomitamment. Nous veillons, en particulier, à ce que l'on n'aboutisse pas à des décisions opposées, avec, d'une part, le ministre des transports qui choisirait un plan de reprise et, d'autre part, le tribunal de commerce qui en adopterait un autre.

Les plans de reprise que nous recevons au ministère des transports sont soumis pour avis au Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM). Son avis est requis sur la recevabilité des projets au regard de la réglementation aérienne. En l'espèce, je n'ai plus tout à fait les détails en tête, des avis du CSAM ont été rendus au ministre sur la recevabilité ou l'irrecevabilité des différents plans. Ceux qui ont été jugés recevables étaient assortis de certaines conditions.

Ces éléments sont transmis au tribunal de commerce qui sait donc quels plans sont conformes à la réglementation aérienne et à quelles conditions ils peuvent recevoir un accord. Ensuite, il statue en fonction de considérations qui sont celles de tout tribunal de commerce, c'est-à-dire en tenant compte, notamment, du remboursement des créanciers et des aspects sociaux.

M. le Rapporteur : Quelle a été la position du ministère des transports vis-à-vis des différents repreneurs ? Avez-vous laissé toute liberté au tribunal de commerce ou avez-vous fait part de vos préférences, pour des raisons techniques ou autres ?

Mme Danièle BENADON : Comme je le disais, le ministère des transports reçoit des dossiers, les préinstruit et les soumet pour avis au CSAM. En général, le ministre des transports suit l'avis du CSAM. Cela a été le cas en l'espèce. Nous avons transmis au tribunal, je ne sais plus exactement à quelle date, les avis du CSAM avec la position du ministre. Si je me souviens bien, il y avait quatre plans de reprise globale. Le CSAM a examiné les projets Fidei et Holco le 18 juillet et les projets Rochet et Atlani le 25 juillet. Seuls les trois premiers ont reçu un avis favorable du CSAM. Les autres plans devaient être partiels.

M. le Rapporteur : Il y avait également le plan Rochet.

Mme Danièle BENADON : Dans la mesure où M. Marc Rochet était le précédent dirigeant de l'entreprise, il ne pouvait pas juridiquement déposer de plan de cession.

M. le Rapporteur : Il l'a contesté devant la commission.

Mme Danièle BENADON : J'ai le souvenir - vous m'excuserez, je n'ai pas eu le temps de me replonger dans les dossiers de l'époque - qu'il avait eu l'intention de déposer un plan, mais je ne me rappelle pas que l'on ait reçu, en définitive, un plan en bonne et due forme pour la raison que viens d'indiquer.

M. le Rapporteur : J'en reviens à ma question, quelle était la position du ministère vis-à-vis des différents repreneurs ?

Mme Danièle BENADON : C'était oui, mais avec des conditions très importantes posées par le CSAM en matière de fonds propres, aussi bien pour le plan Fidei que pour le plan Holco.

M. le Rapporteur : Quelle était la condition pour le plan Holco ?

Mme Danièle BENADON : Le volume global du concours financier devait à peu près s'élever à 2,3 milliards de francs, dont, je crois, 1,5 milliard immédiatement. Je vous prie de m'excuser, mais je n'ai pas tout à fait les chiffres en tête. En tout cas, le volume global était moindre immédiatement. Le plan Fidei était moins ambitieux. Les ordres de grandeur devaient donc être inférieurs, mais je pourrai vous les transmettre1.

M. le Rapporteur : S'il vous plaît.

À votre connaissance, aucune pression n'a été exercée, via notamment le procureur, sur le tribunal de commerce ?

Mme Danièle BENADON : En tout cas, la DGAC n'a pas eu de contact autres que ceux que je vous ai indiqués. En général, la procédure ne passe pas via le procureur, elle se déroule avec les administrateurs judicaires à qui l'on transmet les avis du CSAM et la position du ministre. Le tribunal de commerce a retenu le plan qui présentait le mieux-disant social, si je puis dire.

M. le Rapporteur : Pour vous, était-ce le bon critère ? Ce choix avait-il l'appui de la DGAC ?

Mme Danièle BENADON : L'aviation civile n'avait pas exprimé de choix particulier. Je me suis peut-être mal expliquée. Il y a eu un examen de la recevabilité ou de l'irrecevabilité des dossiers au regard de la réglementation aérienne. Il me semble que deux d'entre eux ont été déclarés recevables, moyennant des conditions financières.

M. le Rapporteur : Ont-elles été remplies ?

Mme Danièle BENADON : Elles n'ont pas été remplies en totalité, puisque je crois qu'entre le plan initial d'Holco, qui avait été examiné par les services de la direction des transports aériens et le CSAM, et le plan qu'a eu à juger, quelques jours plus tard, le tribunal de commerce, des ajustements à la baisse concernant la flotte, me semble-t-il, sont intervenus. Cela impliquait que les exigences financières pouvaient être un peu réduites. Par ailleurs, les conditions de financement global présentées par le repreneur n'ont pas été tout à fait à la hauteur de ce que l'on pouvait escompter. Cet élément de fragilité du dossier, les services de la DGAC l'ont fait connaître au cabinet du ministre des transports.

M. le Rapporteur : Mais c'est le ministre qui a pris la décision de redonner une licence provisoire ?

M. Michel WACHENHEIM : C'est toujours lui !

Mme Danièle BENADON : Dans des cas de ce genre, la procédure est la suivante. Nous transmettons au ministre les avis du Conseil supérieur de l'aviation marchande accompagnés de nos recommandations de les suivre ou de ne pas les suivre ou bien assortis de conditions différentes, et nous sollicitons des instructions.

M. le Rapporteur : Dès lors que le tribunal de commerce choisit Holco, quelle recommandation votre service préconise-t-il ? Dites-vous attention ou bien tout est normal ?

Mme Danièle BENADON : Nous avions fait valoir que ce dossier était fragile sur le plan financier. En dépit d'une évolution entre la mi-juillet et la fin juillet, période durant laquelle les exigences financières ont été un peu réduites, les apports initiaux restaient tout de même limités.

M. le Rapporteur : Une licence d'exploitation provisoire a donc été délivrée ?

Mme Danièle BENADON : Cette licence d'exploitation a été délivrée ultérieurement, car, au préalable, un certain nombre de conditions devaient être remplies, en particulier que la société de transport aérien dénommée Air Lib soit créée. Il fallait également obtenir la délivrance du certificat de transporteur aérien, c'est-à-dire l'autorisation technique de sécurité, et, surtout, procéder à la signature des actes de cession entre Holco et les anciennes sociétés. Tout cela a pris du temps. La licence d'exploitation n'a véritablement été délivrée qu'en décembre 2001. Dans l'intervalle, les licences précédentes des entreprises AOM et Air Liberté ont continué à jouer.

M. le Rapporteur : Même chose pour les droits de trafic ?

Mme Danièle BENADON : Oui !

M. le Rapporteur : Au moment où le tribunal choisit le plan Holco, en juillet 2001, les fonctionnaires du ministère et vous-même, puisque M. Wachenheim n'était pas en encore en fonction, croyaient-ils en sa viabilité ?

Mme Danièle BENADON : Nous étions à l'été 2001. La conjoncture du transport aérien était encore relativement porteuse, du moins en France et en Europe, et nous nous situions avant le 11 septembre. Il faut se replacer dans ce contexte.

On pouvait alors penser qu'en dépit du lourd passé d'AOM et d'Air Liberté, il faut savoir que ces deux entreprises avaient été déficitaires de manière assez systématique les années précédentes, une entreprise reprenant AOM-Air Liberté, sur des bases réduites, car il y avait tout de même de substantielles réductions d'effectifs et de flotte, se restructurant, pouvait redémarrer.

Encore une fois, la fragilité était, à nos yeux, le volet financier. Le financement immédiat était apporté par Swissair à peu près à hauteur de 1,3 milliard de francs, plus l'équivalent de 200 millions de francs liés aux billets émis non utilisés. Cela représentait donc 1,5 milliard de francs. Dans le même temps, Holco n'apportait pratiquement rien.

La fragilité du dossier provenait du fait que les apports complémentaires indiqués par Jean-Charles Corbet étaient prévus à terme. Il faisait état de projets d'investisseurs extérieurs qui seraient appelés à venir plus tard, ainsi que d'un projet de participation des salariés au capital de l'entreprise. Il y avait donc à la fois du solide, Swissair, et de l'hypothétique, ces investisseurs extérieurs et l'augmentation ultérieure du capital.

M. le Rapporteur : En décembre 2001, vous accordez la licence d'exploitation. Que se passe-t-il ensuite, car nous sommes déjà fin 2001 ?

Mme Danièle BENADON : Entre-temps, il s'est surtout passé le 11 septembre 2001 avec les effets catastrophiques que cela a engendrés pour la plupart des compagnies aériennes : baisse des recettes et hausse des coûts. Dans le cas d'Air Lib, les effets ont été amplifiés. D'une part, Swissair a déposé son bilan début octobre et n'a donc pu honorer la totalité de ses engagements financiers ; 400 millions de francs sur 1,5 milliard n'ont pas été versés. D'autre part, étant donné le contexte, les transporteurs aériens, en général, et Air Lib, en particulier, ont eu du mal à trouver des financements bancaires de relais. La situation de l'entreprise était donc extrêmement précaire.

M. le Rapporteur : Savez-vous si c'est à partir de cette date que les taxes aéroportuaires, les cotisations sociales, les dettes fiscales commencent à ne plus être payées ? Le ministère a-t-il joué un rôle, par exemple, vis-à-vis d'Aéroports de Paris ?

M. Michel WACHENHEIM : Je ne peux pas répondre précisément quant à la date. À cette époque, comme je travaillais à Aéroports de Paris, j'ai eu connaissance de retards de paiement de la compagnie Air Lib qui devenaient assez importants. Je pense que, compte tenu des enjeux en matière d'emploi, Aéroports de Paris n'a pas appliqué, ou a tenté de le faire, mais n'a pas recommencé, son droit de rétention sur les avions. C'est une procédure très spécifique et assez lourde.

M. le Rapporteur : Monsieur Wachenheim, des ordres ont-ils été donnés au président-directeur général d'Aéroports de Paris de ne pas procéder au recouvrement ?

M. Michel WACHENHEIM : Il vaudrait mieux le demander au président-directeur général d'Aéroports de Paris de l'époque, car je n'ai rien vu d'écrit sur ce sujet.

M. le Rapporteur : Nous n'arrivons pas à savoir s'il y a eu un premier moratoire. Il semblerait, nous n'en sommes pas sûrs, qu'il se soit agi d'une situation de fait. L'entreprise aurait cessé de payer ses cotisations. Madame Bénadon, possédez-vous des éléments à ce sujet ?

Mme Danièle BENADON : Je n'ai pas de souvenirs précis.

M. Michel WACHENHEIM : En tout cas, cela ne figure pas dans les dossiers.

M. le Rapporteur : Venons-en au fameux prêt du FDES. Madame Bénadon, y avez-vous été associée ? Avez-vous eu connaissance de la demande de prêt, lequel, en définitive, s'est élevé à 30,5 millions d'euros, ainsi que de l'affaire du GIE fiscal ? Pourriez-vous nous expliquer le rôle des services, du cabinet et du ministre ?

Mme Danièle BENADON :Au préalable, je dois dire que le dossier Air Lib est devenu très préoccupant après le 11 septembre 2001. Il l'a encore été davantage à partir du mois d'octobre, date du dépôt de bilan de Swissair, au fur et à mesure que les versements, qui étaient prévus de manière échelonnée entre octobre et décembre 2001, n'étaient pas honorés. La situation de trésorerie de l'entreprise devenait donc difficile.

Il faut le rappeler, environ 3 000 personnes étaient employées par l'entreprise et celle-ci assurait une bonne partie de la desserte outre-mer, à peu près un tiers des trafics vers les DOM et la Polynésie française. Compte tenu de son importance, ce dossier a été suivi de très près par le ministre des transports et par son cabinet. Un certain nombre de questions ont donc été traitées par le cabinet. Les services n'y ont pas véritablement été associés. Nous avons pu mesurer la dégradation de la situation financière de l'entreprise, mais je ne saurais vous dire quelles ont été les modalités précises, notamment en ce qui concerne le GIE fiscal.

M. le Rapporteur : Le dossier se traitait entre le cabinet et le ministre. Les services n'étaient donc plus impliqués dans la préparation des décisions ?

Mme Danièle BENADON : On ne peut pas exactement dire ça.

M. Michel WACHENHEIM : En ce qui concerne le GIE fiscal, on ne trouve pas trace de document dans les dossiers de la DGAC. Cela ne veut pas dire que les services d'autres ministères n'aient pas été concernés.

M. le Rapporteur : Nous les avons auditionnés. Mais nous aimerions savoir si la DGAC, dont vous êtes le directeur et Mme Bénadon un éminent responsable, a été associée aux discussions du gouvernement et à la préparation de ce fameux prêt du FDES. Nous sommes fin décembre début janvier. D'après ce que l'on nous a dit, cela s'est passé entre Noël et le 9 janvier.

Mme Danièle BENADON : Je vous prie à nouveau de m'excuser, mais je n'ai pas eu le temps de relire les dossiers. Je suis donc relativement imprécise. Selon mes souvenirs, cela s'est noué pendant les vacances de Noël. J'étais moi-même en congé. J'ai été informée que je devais, dès mon retour, me rendre à Bruxelles pour informer la Commission européenne que l'État allait accorder un prêt à Air Lib. Le mécanisme de décision en lui-même m'a complètement échappé. La DGAC était-elle dans la boucle à l'époque ? Je ne crois pas.

M. le Rapporteur : Nous vous avions demandé l'ensemble des notes de la DGAC adressées au cabinet et au ministre concernant cette affaire ainsi que les retours, s'ils existent.

On nous a dit que la décision de mettre en place un prêt de 30,5 millions d'euros, à laquelle auraient participé le Premier ministre, le ministre des transports, le secrétaire d'État à l'Outre-mer, le ministre des finances et le secrétaire d'État au budget, aurait fait l'objet d'un bleu en date du 5 janvier 2002. La DGAC y a-t-elle été associée ? Le cabinet vous a-t-il réclamé des notes ou des avis à ce sujet ?

Mme Danièle BENADON : À ma connaissance, non !

M. Michel WACHENHEIM : Danièle Bénadon parle au nom de la direction des transports aériens. Pour ma part, je ne peux pas répondre à la place du directeur général de l'aviation civile de l'époque.

M. le Rapporteur : Qui était votre prédécesseur ?

M. Michel WACHENHEIM : Pierre Graff.

Les réponses d'aujourd'hui sont faites en fonction de nos connaissances.

M. le Rapporteur : Vous ne disposez pas d'un dossier avec les notes du directeur général sur lesquelles figureraient des annotations personnelles ? Le CIRI nous a apporté les notes transmises au cabinet et annotées par le directeur du Trésor et par le ministre.

M. Michel WACHENHEIM : Non, je n'ai pas ça.

M. le Rapporteur : S'agissant du prêt du FDES, auriez-vous autre chose à déclarer en vue d'éclairer la commission d'enquête ? ...

Nous sommes en janvier et en février 2002. Madame Bénadon, vous a-t-on sollicitée sur les problèmes compliqués concernant, par exemple, un gage sur les avions ou le type de garantie que l'on pouvait obtenir sur les créances ?

Mme Danièle BENADON : Dans la mesure où Air Lib menait un contentieux, ou envisageait de l'introduire, je ne sais plus, à l'encontre de Swissair - en tout cas, Air Lib nous en avait parlé -, nous devions tenir compte de cet élément dans le prêt du FDES. C'est la principale chose dont je me souvienne.

M. le Rapporteur : Lorsque vous rentrez de vacances, vous prenez tout de suite le train pour Bruxelles. Qui informez-vous à la Commission ?

Mme Danièle BENADON : J'ai rencontré le directeur du transport aérien, Michel Ayral, à la direction générale des transports et de l'énergie.

M. le Rapporteur : D'après vos souvenirs, nous sommes courant janvier ?

Mme Danièle BENADON : C'était le 9 janvier, au moment du versement de la première tranche.

M. le Rapporteur : Remettez-vous une note écrite décrivant la décision ?

Mme Danièle BENADON : C'était une information verbale, car tout cela s'est passé de manière précipitée, si je puis dire. La Commission n'a pas été surprise, car pour Sabena et LTU, compagnies dans lesquelles Swissair détenait une participation substantielle, les autorités belges et le Land concerné avaient déjà accompli la même démarche. La Commission a pris note et elle a demandé une notification formelle.

M. le Rapporteur : A-t-elle été effectuée ?

Mme Danièle BENADON : Oui, mais cela prend toujours un peu de temps de notifier.

M. le Rapporteur : Et après, que s'est-il passé ? Avez-vous été interrogés ?

Mme Danièle BENADON : Oui, absolument. Nous avons procédé à la notification dans le courant de l'hiver, sans doute en janvier, je ne sais plus exactement à quelle date, et la Commission nous a demandé des précisions sur la base des documents que nous lui avions envoyés.

M. le Rapporteur : Avez-vous fourni ces précisions ?

Mme Danièle BENADON : Oui !

M. le Rapporteur : Ensuite, a-t-elle continué à interroger le gouvernement ?

Mme Danièle BENADON : Un ensemble de documents avait donc été envoyé en réponse à la Commission dans les premiers mois de l'année 2002. Plus tard, de nouveaux échanges ont eu lieu, en juillet 2002, puisque le prêt avait été accordé, en vertu des lignes directrices de la Commission sur les aides au sauvetage et à la restructuration, pour six mois renouvelable une fois. Le prêt ayant été accordé dans un premier temps jusqu'au 9 juillet, la Commission nous a demandé ce que nous comptions faire au-delà de cette échéance.

M. le Rapporteur : Il ne se passe donc rien entre janvier et juillet du point de vue de la DGAC ? Aucun problème particulier ne remonte jusqu'à vous ?

M. Michel WACHENHEIM : Si, puisque la licence était provisoire.

Mme Danièle BENADON : La licence initiale, en raison de la situation financière très précaire de l'entreprise en décembre 2001, avait été délivrée pour une courte durée.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ?

Mme Danièle BENADON : Trois ou quatre mois, plus exactement trois mois qui ont été prolongés, disons jusqu'au 15 avril, pour permettre la consultation du CSAM. Nous avons instruit le renouvellement de la licence. Celle-ci a, à nouveau, été prolongée de manière temporaire, la situation financière de l'entreprise étant toujours précaire.

Durant cette période, la compagnie a également déposé des demandes de droits de trafic vers l'Algérie.

M. le Rapporteur : Avez-vous émis un avis favorable ?

Mme Danièle BENADON : Après consultation du CSAM, il y a eu un avis favorable. Ces lignes étaient supposées dégager une rentabilité assez rapide dans la mesure où les tarifs sur l'Algérie étaient élevés.

M. le Rapporteur : Sur Tripoli, avez-vous également donné un avis favorable ?

Mme Danièle BENADON : C'était plus tard, si je me souviens bien. Mais il y a eu aussi un avis favorable.

M. le Rapporteur : La DGAC a-t-elle l'habitude d'émettre un avis favorable ?

Mme Danièle BENADON : Pardonnez-moi, en fait, c'était un avis favorable du CSAM qui a été suivi par le ministre des transports.

Il faut savoir qu'aucun transporteur français ne desservait l'Algérie, en tout cas la ligne Paris-Alger, depuis le détournement de l'avion d'Air France à la fin de 1994. Les autorités françaises étaient donc satisfaites d'avoir un transporteur français à mettre en regard du pavillon algérien qui assurait 95 ou 99 % du trafic. En outre, je le répète, les perspectives de rentabilité étaient infiniment meilleures que sur d'autres destinations.

M. le Rapporteur : Nous sommes en juillet 2002. Est-ce vous qui suggérez au cabinet de déclencher un audit de KPMG ?

M. Michel WACHENHEIM : C'est le cabinet qui a pris cette initiative. La DGAC a préparé le cahier des charges. Cet audit s'est déroulé parallèlement à un audit financier réalisé par le cabinet Mazars. Au-delà de la photographie de la situation financière, le nouveau gouvernement souhaitait avoir une vision claire des perspectives réelles de la compagnie.

M. le Rapporteur : Vous recevez le rapport Mazars et le rapport KPMG vers la mi-juillet ?

M. Michel WACHENHEIM : Oui, ce devait être dans la première quinzaine de juillet.

M. le Rapporteur : Cela va déboucher sur un moratoire, cette fois-ci officiel. Est-ce à dire que vous avez analysé les conclusions des deux audits comme allant dans le sens d'une viabilité de la compagnie ? Dites-nous quels moyens juridiques vous ont permis d'accorder des moratoires en matière sociale, fiscale et de redevances.

M. Michel WACHENHEIM : Je peux davantage me prononcer sur l'audit de KPMG que sur celui de Mazars qui a plutôt été analysé par le ministère des finances. L'audit de KPMG mettait en évidence les problèmes conjoncturels et structurels qui expliquaient les difficultés financières de la compagnie. Il y avait quatre faisceaux.

L'activité charter, a priori, ne posait pas trop de problème. L'Afrique du nord était également un secteur pratiquement rentable. Les deux sujets préoccupants concernaient la desserte des DOM et Air Lib Express, ce qu'on a appelé la desserte domestique.

Selon Air Lib, la desserte domestique s'améliorait et le taux moyen coupon augmentait. La situation était pratiquement à l'équilibre. En réalité, cette politique de bas coûts était une politique de bas tarifs. Lorsque l'on mène une telle politique, il faut évidemment pouvoir baisser ses coûts. Or l'audit faisait ressortir la difficulté de réduire les coûts dans ce contexte particulièrement concurrentiel. Pour dire clairement les choses, au moment de l'audit, pratiquement aucune ligne n'était rentable.

En ce qui concerne la desserte des DOM, le problème était d'un autre ordre, mais il était tout de même lié aux coûts. Ce secteur enregistrait la majorité du déficit d'exploitation de la compagnie en raison d'une surcapacité de la flotte, laquelle était coûteuse et vieillissante. Les perspectives de redressement passaient forcément par des coupes claires, donc par une restructuration.

Pour être précis, mais cela figure dans les rapports, le sureffectif était estimé à 361 agents et la surcapacité à cinq avions. De plus, le consultant notait d'autres difficultés comme l'insuffisance des fonds propres, déjà mentionnée tout à l'heure, quelques problèmes de management, mais ce n'était pas l'essentiel du rapport, et le caractère très concurrentiel de l'activité d'Air Lib.

KPMG encourageait donc une restructuration de l'entreprise. Bien que les dirigeants indiquaient avoir déjà effectué un certain nombre d'actions de restructuration interne, cet audit montrait qu'il était nécessaire d'aller encore plus loin.

S'agissant de l'audit financier, je n'ai pas avec moi les éléments précis. Il montrait également des difficultés financières pour les mois suivants et la nécessité de prendre du temps pour mettre au point ce plan de restructuration. Pour passer la période d'été, il fallait donc octroyer des facilités financières à la compagnie aérienne.

Ce qui a guidé le gouvernement, c'est d'abord le souci de préserver l'emploi. Les deux rapports ne concluaient pas à l'impossibilité du redressement. Néanmoins, ils étaient sans ambiguïté sur l'ampleur des mesures à prendre.

Au terme de ces études, le gouvernement a donc octroyé des facilités financières. D'une part, en prolongeant le prêt du FDES jusqu'au 9 novembre, toujours dans le cadre de l'aide au sauvetage, puisque ce prêt était normalement remboursable le 9 juillet. D'autre part, afin de traverser cette période difficile, en prévoyant un moratoire pour l'ensemble du passif échu au 31 juillet, ce qui voulait dire que la compagnie devait reprendre ses paiements courants le 1er août.

M. le Rapporteur : Qui décide du deuxième moratoire ? Cette fois-ci, nous avons un document écrit.

M. Michel WACHENHEIM : La décision est prise à l'échelon interministériel, avec un arbitrage du cabinet et du Premier ministre, et une mise en œuvre par le CIRI qui est un organisme interministériel.

M. le Rapporteur : En la matière, quelle est la compétence d'un ministre ?

M. Michel WACHENHEIM : Ce n'est pas une décision du ministère des transports.

M. le Rapporteur : C'est vrai, puisque le document écrit que nous avons est une lettre du directeur du Trésor. Je ne savais pas que le directeur du Trésor pouvait autoriser une entreprise à cesser de payer ses cotisations à l'URSSAF.

Le ministre des finances, Francis Mer, dans une lettre du 22 août 2002, écrit : « La société Air Lib a interrompu le paiement des redevances dues à Aéroports de Paris depuis plusieurs mois. » Et il ne s'est rien passé !

« Je vous informe que l'ensemble des créances dues par Air Lib à Aéroports de Paris font l'objet d'un moratoire décidé dans les conditions suivantes : le moratoire comprendra les créances exigibles au 31 juillet 2002 ; le recouvrement du passif échu à cette date est ainsi suspendu ; le paiement par Air Lib de ses dépenses courantes reprendra à compter du 1er août 2002, ce qui constitue une condition résolutoire.

« Je vous remercie de bien vouloir notifier à Air Lib le montant du passif concerné à la date du 31 juillet 2002 ainsi que les créances dues par l'entreprise au mois d'août 2002. Le secrétariat général du CIRI se tient à votre disposition. »

La lettre est adressée à Pierre Chassigneux, président d'Aéroports de Paris. Le ministre des finances a-t-il le droit d'imposer un moratoire ?

M. Michel WACHENHEIM : Je ne suis pas compétent pour répondre à cette question.

M. le Rapporteur : Quelle était la justification de ce moratoire ?

M. Michel WACHENHEIM : C'est un autre aspect de la question. Sa justification était de permettre à la compagnie de passer une période difficile. Celle-ci - c'est-à-dire l'été - était également très sensible sur le plan aérien. Elle avait surtout pour but de donner l'occasion à la compagnie de mettre au point son projet de restructuration avant l'expiration de la licence, le 31 octobre, et la fin du prêt le 9 novembre. La justification du moratoire était vraiment de préserver l'emploi et de sauver la compagnie, puisque, comme le faisaient apparaître les rapports des consultants, des mesures étaient possibles.

M. le Rapporteur : J'ai une lettre du Secrétaire général du CIRI qui fonde la lettre de Francis Mer que je viens de vous lire. Elle concerne Aéroports de Paris. Dans cette lettre du 31 juillet 2002, le Secrétaire général du CIRI, M. Massignon, que nous venons d'auditionner, s'adresse à M. Corbet.

« La présente lettre fait suite à votre lettre du 12 juillet adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Ces correspondances sollicitent une réponse de l'État sur la demande de prorogation du prêt de sauvetage accordé le 9 janvier et sur la demande de moratoire des dettes accumulées par votre société vis-à-vis des créanciers publics divers : Trésor public, services fiscaux, organismes de recouvrement des cotisations sociales, DGAC, ADP.

« Au terme de travaux interministériels approfondis, précédés par deux audits complémentaires, dont communication vous a été faite, il a été décidé :

« - la prorogation pour une durée de quatre mois, à compter du 9 juillet, du prêt du FDES.

« - de suspendre le recouvrement du passif échu au 31 juillet 2002,

« - l'octroi d'un moratoire sur l'ensemble de votre passif échu vis-à-vis des administrations publiques à la date du 31 juillet 2002.

« - un moratoire reposant sur le principe d'égalité de traitement entre créanciers sera établi prochainement. Chaque organisme de recouvrement vous confirmera, pour ce qui le concerne, la suspension du recouvrement et le montant du passif concerné à la date du 31 juillet 2002. L'octroi de ce moratoire est subordonné à la reprise du paiement des échéances courantes à compter du 1er août 2002 qui en constitue une condition résolutoire.

« (...) Il vous est, par ailleurs, demandé de procéder à l'étude d'un projet de restructuration permettant le redressement durable de votre compagnie et comportant son propre financement qui devra inclure l'apurement des dettes publiques faisant l'objet du présent courrier.

« Il conviendra de saisir en ce sens, le moment venu, les comptables responsables du recouvrement de ces créances et, notamment, le TPG du département de l'Essonne en sa qualité de président de la commission nationale des services financiers. »

Ce qui est un peu étonnant dans cette lettre, c'est que l'on accorde un moratoire sans plan de restructuration. En général, cela constitue un tout. Comment expliquez-vous un tel comportement des pouvoirs publics ?

M. Michel WACHENHEIM : Comme je viens de vous le dire, je pense que ces décisions ont été prises avec la volonté de sauvegarder 3 000 emplois et de permettre à la compagnie, qui ne l'avait pas fait au cours de la période précédente, de présenter un plan de restructuration. Les études montraient qu'il y avait un certain nombre de mesures à prendre, mais c'était à la compagnie de présenter son plan de restructuration et non à l'État de le réaliser.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu ce plan de restructuration ?

M. Michel WACHENHEIM : Un plan de restructuration est arrivé début novembre.

Mme Danièle BENADON : Non, fin octobre !

M. Michel WACHENHEIM : Nous avons eu une première version fin octobre, puis une version finale début novembre.

M. le Rapporteur : Était-ce un vrai plan de restructuration ?

M. Michel WACHENHEIM : Je ne sais pas ce que vous entendez par un vrai plan de restructuration.

M. le Rapporteur : C'est un plan capable de redresser l'entreprise. On prend donc des mesures sociales, financières, techniques en ce sens.

M. Michel WACHENHEIM : À notre avis, ce plan de restructuration confortait le périmètre d'exploitation de la compagnie, voire le développait. Il développait également l'activité à bas tarifs avec une politique tarifaire ambitieuse, pour ne pas dire agressive.

Ces deux caractéristiques sont peu compatibles avec les principes habituellement retenus par la Commission européenne. Une aide à la restructuration doit s'appuyer sur un plan de restructuration. En général, il ne s'agit pas d'un développement d'activité. Pour nous, cela rendait difficile l'acceptation de ce plan par la Commission.

Par ailleurs, de nombreuses questions se posaient en matière de prévisions de trafic. Ce plan avait pour caractéristique d'aligner beaucoup de chiffres, ce qui nous a conduit à demander des précisions. Nous en avons obtenu quelques-unes. Certaines nous ont paru raisonnables, d'autres optimistes.

Le financement du plan comprenait trois scénarios. Le premier était à moyens constants. Pour répondre à votre question, il ne s'agissait pas d'un redimensionnement des moyens, mais d'un redimensionnement de l'exploitation. Le deuxième scénario prévoyait la suppression de deux avions. Le troisième scénario réduisait encore les moyens, puisque le long courrier disparaissait complètement.

Le coût pour l'État a été chiffré, puisque le financement était uniquement envisagé par le biais de l'État. Le premier scénario représentait un coût global de 140 millions d'euros, soit 77 millions pour l'apurement de la dette publique - c'était son montant à l'époque - et 63 millions pour le plan lui-même. Le deuxième scénario revenait à 21 millions d'euros de plus. Le troisième scénario, qui a mis un certain temps à être chiffré, se montait à 177 millions d'euros. On arrivait à des sommes très importantes qui n'étaient pas acceptables pour l'État, puisque l'une des conditions était que le plan permette le remboursement de la dette publique.

M. le Rapporteur : Il n'y a donc jamais eu de plan de restructuration approuvé par l'État ?

M. Michel WACHENHEIM : En effet !

M. le Rapporteur : En juillet 2002, vous recevez le rapport du cabinet Mazars. Celui-ci fait état des rémunérations très élevées des quatre dirigeants du groupe Holco et de versements d'honoraires encore plus importants. L'analyse comptabilisée figure dans les annexes, pages 18 et 19 de la version non rendue publique, puisque ces deux pages ont été contractées dans celle rendue publique. Quelle est votre réaction lorsque vous découvrez la rémunération de M. Corbet qui, entre le 1er août 2001 et le 31 mars 2002, s'est octroyé 1,005 million d'euros ? Je passe sur ces deux collègues, MM. Bachelet et Bardi, qui ne se sont octroyés que la moitié, soit 541 000 euros chacun.

La banque d'affaires canadienne CIBC, chargée d'apporter des investisseurs qu'elle n'a jamais trouvés, a touché 8,335 millions d'euros. Me Léonzi, a perçu 3,146 millions d'euros. La banque d'affaires Arjil a reçu 800 000 euros. Lorsque vous avez découvert ces montants, quelle a été votre réaction et qu'avez-vous fait ?

M. Michel WACHENHEIM : Tous les chiffres que vous me citez sont effectivement importants.

M. le Rapporteur : Ils sont extraits du rapport Mazars.

M. Michel WACHENHEIM : J'espère avoir eu le rapport complet. Nous nous sommes plutôt concentrés sur l'aspect stratégique. Les données financières étaient davantage du ressort du ministère des finances. Je n'ai pas personnellement traité cet aspect des choses.

M. le Rapporteur : Madame Bénadon, aviez-vous lu le rapport Mazars ?

Mme Danièle BENADON : J'ai surtout lu le rapport KPMG. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu ces chiffres.

M. le Rapporteur : Monsieur le Directeur général, aviez-vous lu le rapport Mazars ?

M. Michel WACHENHEIM : J'ai eu une version du rapport Mazars, mais je ne sais pas s'il s'agissait de la version définitive. On évoquait ces chiffres, mais on n'avait pas conscience qu'ils étaient très importants. On n'a pas particulièrement investigué là-dessus.

M. le Rapporteur : Cela ne vous paraissait pas inquiétant, alors que l'entreprise perdait 12 millions d'euros par mois, je parle en trésorerie, car en comptabilité comme il n'y a pas de comptes on ne sait pas très bien, que l'on s'octroie de telles sommes ?

M. Michel WACHENHEIM : Si, bien sûr !

M. le Rapporteur : Votre réaction n'a pas été de dire cette affaire sentait un peu le faisandé, comme on disait au grand siècle ?

M. Michel WACHENHEIM : Vous avez raison de dire ça, mais on s'est concentré sur les grandes masses et sur l'équilibre financier général de la société. Cela étant, on avait bien relevé ces chiffres-là. On n'est pas allé investiguer.

M. le Rapporteur : Il semble que personne n'ait rien fait, tant au ministère des finances qu'au ministère des transports, lorsqu'on découvre ces chiffres en juillet 2002. Le ministère des finances les dissimule même aux représentants du personnel qui ont demandé communication du rapport Mazars. On substitue à ces deux pages une page agrégée de façon que l'on ne puisse pas savoir qui à touché quoi. C'est le Secrétaire général du CIRI qui l'a fait pour essayer d'éviter la polémique avec le personnel.

M. Michel WACHENHEIM : Je n'ai pas du tout eu connaissance de cet épisode.

M. le Rapporteur : Le secrétaire général du CIRI nous l'a déclaré pendant la longue audition que nous venons d'avoir avec lui.

Nous sommes maintenant en octobre-novembre 2002. À partir de quand commencez-vous à avoir des doutes sur la viabilité de la compagnie ? Est-ce dès juillet, en octobre ?

M. Michel WACHENHEIM : La réponse à votre question réside dans notre demande d'audit sur la viabilité de la compagnie. C'est donc que nous avions des doutes.

M. le Rapporteur : Oui, mais le rapport n'est pas d'une totale clarté. Il ne conclut pas en disant que la société est morte.

M. Michel WACHENHEIM : En effet !

M. le Rapporteur : Monsieur le Directeur général, vous êtes sous serment. Commenciez-vous à avoir des doutes en juillet ?

M. Michel WACHENHEIM : Des doutes, on en a effectivement depuis juillet.

M. le Rapporteur : Madame Bénadon, avez-vous eu des doutes ? À partir de quand avez-vous été convaincue que la société n'était plus viable ?

Mme Danièle BENADON : Le problème, c'était les financements associés.

La société développait des projets. D'abord, elle a envisagé d'associer les collectivités d'outre-mer au financement. Ce projet avait été annoncé en 2001. Ensuite, le GIE fiscal devait permettre d'apporter un financement important à l'entreprise. Or la viabilité d'une entreprise est liée à un programme - en l'occurrence, il fallait nécessairement une restructuration -, mais aussi au financement qui l'accompagne. L'épisode du GIE fiscal qui devait se constituer, puis finalement qui ne se créait pas, a tout de même fait peser une hypothèque sur le groupe.

M. le Rapporteur : Pour le GIE fiscal, il fallait des investisseurs. On ne les a jamais vus.

M. Michel WACHENHEIM : Je voudrais ajouter un commentaire. À chaque étape cruciale, les dirigeants d'Air Lib nous ont sorti quelque chose.

En juin-juillet, c'était le GIE fiscal. Ils avaient mandaté des conseils pour le mettre en place, sachant que sa création et la recherche d'investisseurs n'étaient pas de la responsabilité de l'État. Ils faisaient entendre qu'ils avaient des investisseurs en perspective. Dans ce contexte, les responsables au niveau de l'État se devaient de réfléchir. Si le GIE se montait, environ 30 millions pouvaient être apportés à la compagnie. C'était loin d'être négligeable.

En novembre, les dirigeants d'Air Lib ont fait état, lors d'une réunion du CSAM, de la perspective d'un investisseur nouveau dont l'identité n'a pas été révélée. Le CSAM n'a pas émis d'avis favorable, mais il a laissé une porte ouverte en décidant de prolonger la licence d'un mois.

Il s'est produit quelque chose à chaque fois. C'est ce qui explique ce report. En novembre-décembre, un nouvel investisseur est apparu progressivement.

M. le Rapporteur : M. de Vlieger ou plutôt IMCA.

M. Michel WACHENHEIM : IMCA.

M. le Rapporteur : Lors des négociations au sujet d'une éventuelle entrée d'IMCA dans le capital d'Air Lib, de quelles informations disposiez-vous sur cette société et sur Erik de Vlieger ? Ces informations confirmaient-elles le sérieux de son offre ?

M. Jouffroy, directeur de cabinet de M. Bussereau, nous a indiqué, lors de son audition, « avoir eu le sentiment que M. de Vlieger n'était pas vraiment au courant des différents plans de restructuration. » Il n'était d'ailleurs pas fait mention d'IMCA dans les plans de restructuration.

M. Michel WACHENHEIM : Les informations dont nous disposions au sujet de M. de Vlieger et de son sérieux provenaient du ministère. Le cabinet a fait enquêter sur cette société par l'ambassade de France aux Pays-Bas. Les réponses étaient rassurantes. Pour notre part, nous n'avons pas mené d'enquête particulière.

Après le 9 novembre, nous sommes à nouveau entrés dans une phase d'élaboration, de modification du plan de restructuration. L'idée étant, puisqu'un nouvel investisseur se proposait de reprendre cette compagnie, de donner une chance à ladite compagnie. C'est pourquoi le prêt a été prolongé jusqu'au 9 janvier, date ultime dans le cadre de la réglementation européenne, et la licence jusqu'au 31 janvier.

Lors de la présentation de la première version du plan, je ne sais plus à quelle date, vers le 20-25 décembre, la surprise fut que le nom de l'investisseur n'apparaissait nulle part. La facture de l'État, elle, restait très importante.

À la suite des demandes d'explication de la part du ministre et du secrétaire d'État, les dirigeants de la compagnie ont envoyé une autre version de plan dans les jours qui ont suivi. Celle-ci diminuait la participation de l'État et laissait apparaître une contribution en compte courant pendant un certain nombre de mois pour assurer la viabilité de la compagnie. À l'issue de cette période, il devait y avoir des apports financiers. Cependant, le plan de financement et l'origine des financements restaient peu clairs.

M. le Rapporteur : Concernant le groupe Holco, connaissiez-vous le périmètre exact de la holding et de toutes ses filiales ? Quand l'avez-vous découvert ? Quelles étaient les relations financières entre la holding et ses filiales en râteau, voire ses sous-filiales ? Quel était le rôle des différentes filiales ?

Par ailleurs, que saviez-vous de la propriété de la flotte aérienne ? En ce domaine, c'est vous qui détenez des documents sur la nationalité des avions. Ceux-ci étaient tous localisés en France, vous deviez donc savoir qu'ils étaient en train d'être délocalisés aux Pays-Bas. Il existait en outre une filiale de Mermoz qui, elle, se trouvait en Irlande. Quelle connaissance aviez-vous de tout cela ? Avez-vous été au courant des transferts d'avions de la France vers la filiale néerlandaise ? Quand l'avez-vous découvert ?

M. Michel WACHENHEIM : Personnellement, la nébuleuse Holco, je ne l'ai pas découverte avant de lire le rapport de Mazars, et encore, c'était exposé d'une façon très schématique.

En ce qui concerne les transferts d'avions, vérification faite, car c'est une question que l'on s'est posé, nous n'avons pas été informés.

M. le Rapporteur : On peut transférer aussi facilement des avions ? Les avions sont immatriculés, il existe des documents publics.

Mme Danièle BENADON : Le bureau des immatriculations, qui est situé à la direction des transports aériens, n'a pas enregistré de changement de propriété des avions pendant la période considérée.

M. le Rapporteur : Comment les avions ont-ils pu être transférés aux Pays-Bas à une société de droit néerlandais tout en restant immatriculés en France ? Cette situation est-elle normale ?

Mme Danièle BENADON : Un avion peut être immatriculé sur le registre français dès lors que le propriétaire est français ou membre d'un autre État de la Communauté européenne.

M. le Rapporteur : Un avion, propriété d'une société néerlandaise, peut donc être immatriculé en France ?

Mme Danièle BENADON : Oui !

M. le Rapporteur : On n'est pas obligé de l'immatriculer au lieu du siège de la société propriétaire ?

Mme Danièle BENADON : Non !

M. le Rapporteur : Est-ce pour cette raison que vous n'avez pas été informés ?

Mme Danièle BENADON : Nous aurions normalement dû être informés du changement de propriété.

M. le Rapporteur : Y a-t-il vraiment eu un changement de propriété ? Des documents administratifs vous permettent-ils de le savoir ? Dans la mesure où il existe une clause d'inaliénabilité des appareils dans le jugement du tribunal de commerce de Créteil, je me demande comment ils ont pu être transférés aux Pays-Bas, puis vendus.

MCorbet a déclaré, mais nous ne l'avons pas encore auditionné, que ces appareils avaient été vendus à son insu.

M. Michel WACHENHEIM : Je ne sais pas par qui.

M. le Rapporteur : Cette déclaration est tout de même assez pittoresque. Nous l'interrogerons à ce sujet, mais j'aimerais savoir si l'administration française possède les moyens de déterminer le propriétaire de ces avions. Certaines disent qu'ils sont au nombre de sept, d'autres onze, mettons qu'une petite dizaine d'avions auraient été propriété d'une filiale d'Holco, Mermoz, située aux Pays-Bas. Cela figure-t-il dans vos fiches au bureau des immatriculations ?

Mme Danièle BENADON : Au bureau des immatriculations, sauf erreur de ma part, un seul avion est répertorié comme appartenant à Mermoz. Je ne sais pas à quel moment ce transfert de propriété nous a été notifié. Je pourrais bien sûr vous fournir l'information.

M. le Rapporteur : Nous souhaiterions en effet la connaître.

M. Michel WACHENHEIM : Nous allons la rechercher.

M. le Rapporteur : Lorsqu'un avion, immatriculé en France, est vendu, même par une société étrangère, l'organisation administrative actuelle vous permet-elle de le savoir ?

Mme Danièle BENADON : Normalement, les changements de propriété nous sont notifiés.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous le vérifier ?

Mme Danièle BENADON : À ma connaissance, ils n'ont pas été vendus, sauf peut-être un avion. Mais je vais faire vérifier tout cela.

M. le Rapporteur : Je vous demanderai d'adresser une note à la commission pour nous confirmer votre vérification en indiquant si, en juillet 2001, lors de la décision du tribunal de commerce, ils étaient bien propriété d'AOM-Air Liberté, s'il existe la trace d'un transfert à une société qui s'appelle Mermoz, puis si vous avez une autre trace éventuelle d'un transfert de propriété à IMCA. Nous ne savons pas si tout cela est vrai, mais vous devriez obtenir cette information via votre bureau des immatriculations.

Par ailleurs, M. Corbet a adressé une lettre à la commission dans laquelle il affirme avoir rationalisé l'activité du groupe en l'organisant autour de onze filiales. Les rapports n'en font apparaître que cinq. Nous en avons découvert une autre par les délégués du personnel. Connaissez-vous l'organisation juridique du groupe ?

M. Michel WACHENHEIM : Les missions que nous remplissons concernent les compagnies aériennes, pas le reste des sociétés. Nous n'avions donc pas une connaissance détaillée de l'organisation du groupe.

M. le Rapporteur : Connaissez-vous l'état de l'ensemble des créances publiques à la date du dépôt de bilan ? Le prêt du FDES représente 30,5 millions, mais il y en a d'autres.

M. Michel WACHENHEIM : À la date du dépôt de bilan ?

M. le Rapporteur : Oui, à la date actuelle. On nous a parlé de 120 ou de 130 millions d'euros.

M. Michel WACHENHEIM : Au 9 janvier, c'était de l'ordre de 120 millions d'euros, y compris le prêt du FDES.

M. le Rapporteur : De l'ordre ?

M. Michel WACHENHEIM : Nous vous fournirons les chiffres précis.

M. le Rapporteur : Vous êtes-vous posés des questions sur la destination des honoraires ? Plusieurs personnes auditionnées nous ont dit que, des honoraires de 8,3 millions pour la CIBC, c'était énorme. En général, les commissions des banques d'affaires tournent autour de 2 % des capitaux apportés. Or les seuls capitaux levés sont ceux que Swissair s'était engagée publiquement à offrir à tout repreneur. Connaissiez-vous la banque CIBC ?

M. Michel WACHENHEIM : Personnellement, je ne la connaissais pas.

Mme Danièle BENADON : Si je me souviens bien, c'est la banque canadienne. On l'a vu apparaître dans les dossiers en juillet 2001. Elle devait, me semble-t-il, prospecter pour trouver des investisseurs extérieurs, ces fameux investisseurs que l'on nous promettait, mais qui ne venaient pas.

M. le Rapporteur : La banque a touché 8,3 millions d'euros, d'après le cabinet Mazars, versés par Holco SAS, c'est-à-dire par la société mère, mais elle n'a jamais apporté un investisseur.

Mme Danièle BENADON : Apparemment non !

M. le Rapporteur : Connaissiez-vous le cabinet Léonzi ?

Mme Danièle BENADON : Nous avons nécessairement des entretiens réguliers avec les compagnies aériennes. Ceux que nous avons pu avoir, à de nombreuses reprises, avec l'entreprise se sont fréquemment tenus en présence de Me Léonzi.

La première fois que je l'ai vu, c'est lorsqu'Holco a déposé un dossier de candidature pour la reprise d'AOM et d'Air Liberté. Ensuite, Me Léonzi a accompagné le président de l'entreprise jusqu'à la fin.

M. le Rapporteur : À la date du 5 juillet 2002, il avait touché, d'après le cabinet Mazars, mais peut-être a-t-il perçu autre chose entre juillet 2002 et janvier 2003, 3,145 millions d'euros. La banque d'affaires Arjil, pour sa part, aurait reçu 800 000 euros.

M. Michel WACHENHEIM : Je n'ai pas ces chiffres en tête.

M. le Rapporteur : Ces chiffres figurent dans le rapport Mazars non expurgé.

M. Michel WACHENHEIM : J'ai peut-être eu le rapport Mazars expurgé.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous vérifier quel rapport la direction du Trésor, plus précisément le CIRI, vous a transmis. Avez-vous été traités comme des représentants du personnel ou comme des représentants de l'État ?

M. Michel WACHENHEIM : Je vérifierai.

M. le Rapporteur : Je vous demanderai de nous faire une réponse écrite sur ce point.

Suite des auditions

1 Mme Danièle Bénadon a transmis à la commission les informations suivantes :

« Conditions financières associées aux avis favorables du CSAM sur les dossiers de reprise par cession des sociétés Air Liberté AOM, Air Liberté et TAT :

- Projet Fidei : fonds propres et/ou quasi fonds propres portés le plus rapidement possible à un montant de 1,45 milliard de francs dont au moins 1,1 milliard de francs libérés en numéraire préalablement au début de l'exploitation.

- Projet Holco : fonds propres et/ou quasi fonds propres portés le plus rapidement possible à un montant de 2,375 milliards de francs dont au moins 1,5 milliard de francs libérés en numéraire préalablement au début de l'exploitation.

- Projet de M. Rochet : fonds propres et/ou quasi fonds propres portés le plus rapidement possible à un montant de 1 ,510 milliard de francs dont au moins 1,210 milliard de francs libérés en numéraire préalablement au début de l'exploitation.

Les avis du CSAM ont été portés à la connaissance des administrateurs judiciaires par a DGAC selon les procédures habituelles.

Le tribunal de commerce de Créteil a statué sur cette affaire le 27 juillet 2001 en retenant le plan Holco présenté par M. Corbet (plan entre temps modifié à la baisse par rapport à celui examiné le 18 juillet par le CSAM).


© Assemblée nationale