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N° 906

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur les causes économiques et financières de la disparitition d'AIR LIB

Président

M. Patrick OLLIER

Rapporteur

M. Charles de COURSON

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

(3ème partie)

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Entreprises

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
Début des auditions

Mardi 15 avril :

- M. Hubert Lafont, conciliateur

- M. Didier Bréchemier, senior manager, M. Laurent Derivery, directeur et M. Frédéric Fouchet, senior consultant du Cabinet KPMG

Mercredi 16 avril :

- M. Christian Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil

Mardi 29 avril :

- MM. Gilles Ricono et Patrick Amar, ancien directeur de cabinet et ancien conseiller technique de M. Jean-Claude Gayssot

Suite des auditions

Audition de M. Hubert Lafont, conciliateur

Procès-verbal de la séance du 15 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Maître, vous avez été désigné le 14 novembre 2002, conciliateur par le président du tribunal de commerce de Créteil. A ce titre, vous avez participé aux négociations entre Air Lib, les pouvoirs publics et IMCA, qui se sont conclues par un échec le 6 février 2003. Par ailleurs, avant d'être désigné conciliateur, vous étiez le mandataire ad hoc d'Air Lib. Je propose que vous nous exposiez dans votre introduction les conditions dans lesquelles vous avez été désigné conciliateur et que vous nous relatiez dans ses grandes lignes les différentes étapes de votre mission.

M. Hubert LAFONT : Monsieur le Président, en préalable, je dois vous informer que je suis tenu par la loi de 1984 au respect de la confidentialité d'un certain nombre d'éléments en rapport avec la procédure de conciliation.

J'ai été désigné en qualité de mandataire ad hoc par une ordonnance du tribunal de commerce de Créteil du mois de janvier 2002 en raison des difficultés que rencontrait alors la société que nous allons appeler Air Lib par opposition aux sociétés précédentes qui s'appelaient AOM et Air Liberté. Le nom réel de la société est Société d'exploitation AOM-Air Liberté. Nous l'appellerons si vous le voulez Air Lib, pour éviter toute confusion dans les dénominations.

Au terme d'un jugement en date du 27 juillet 2001, la société Air Lib a été déclarée cessionnaire des éléments de l'actif de la société AOM-Air Liberté, elle-même déclarée en redressement judiciaire vers le mois de juin 2001. La solution présentée par M. Corbet qui, à l'époque, agissait au nom d'une société dite Holco - Holding Corbet, dont le siège est à Paris et qui est une société de droit français -, est apparue au tribunal, sinon comme la meilleure, du moins la moins mauvaise. Les propositions de reprise de l'ensemble du fonds de commerce AOM-Air Liberté étaient au nombre de quatre ou cinq. L'une émanait d'un ancien dirigeant de la société et celle-ci avait été formellement repoussée par toutes les organisations représentatives du personnel. Deux ou trois autres solutions présentaient de graves lacunes quant à leur financement, c'était le cas de la solution FIDEI, ou quant à leur sérieux, c'était le cas des autres propositions qui relevaient de la plaisanterie.

Le tribunal a donc choisi la solution HOLCO-Corbet, comme étant techniquement celle qui pouvait représenter une issue aux difficultés que rencontrait AOM-Air-Liberté. Il y avait à l'époque environ 3 500 salariés sur la seule société AOM-Air-Liberté, qui résultait elle-même de la fusion ou du rapprochement de cinq ou six autres compagnies aériennes ayant connu des difficultés, les principales étant TAT, Minerve, Air-Liberté ancienne formule, AOM. Cette solution reposait essentiellement sur un financement qui devait être fourni par le groupe Swissair, actionnaire de référence de la société AOM-Air Liberté à hauteur d'1 milliard 600 millions de francs, cette somme devant être partagée dans des conditions que le tribunal a appréciées de façon non égalitaires entre la société nouvelle Air Lib et la société Air Littoral.

En ce qui concerne la société Air Lib, elle devait recevoir 1 milliard 200 millions de francs et en réalité, elle n'a perçu qu'1 milliard 50 millions, c'est-à-dire 150 millions de moins que sa dotation initiale sur laquelle avait été bâti le business-plan. Encore faut-il ajouter que les 50 millions ont été conservés par les administrateurs de l'ancienne société au motif qu'il existait des comptes pendants entre les différentes sociétés.

La première des difficultés rencontrées par Air Lib a été une insuffisance de fonds de fonctionnement, c'est-à-dire de fonds propres, puisque ces fonds de dotation devaient s'assimiler à des fonds propres.

La deuxième difficulté est provenue du fait que, comme je l'indiquais précédemment, la société cédante, AOM-Air Liberté, résultait du rapprochement dans des conditions mal gérées de cinq ou six compagnies, ce qui amenait à constater l'existence de cinq ou six catégories de personnels, régis par des conventions collectives et des normes de salaires différentes et répondant à des organisations sociales différentes. A titre d'exemple, le comité d'entreprise de la nouvelle société qui avait repris 2 700 salariés en direct de l'ancienne, avait comme représentation sociale près d'une centaine de personnes car il y avait des sections syndicales pour chacune des anciennes compagnies. C'est ainsi qu'il y avait, par exemple, quatre ou cinq représentations CGT, avec un titulaire et un suppléant pour chacune, et qui ne se présentaient pas sous un front uni, mais avec des positions différentes et des langages différents. M. Corbet a donc eu de très grandes difficultés à gérer cet ensemble.

J'ajoute qu'en ce qui concerne le statut proprement dit des personnels, il pouvait très bien se trouver que dans le même avion, le pilote, le co-pilote, le personnel navigant et commercial obéissaient chacun à des conventions collectives différentes. Ainsi en était-il du système des repos compensateurs ou des congés.

La deuxième constatation - je parle des éléments qui ont pu empêcher Air Lib de prospérer normalement - était que la société cédante avait subi, du fait de sa composition hétéroclite et du prononcé du redressement judiciaire en mai-juin 2001, un contrecoup commercial très important. Les passagers avaient choisi d'autres moyens de transport car les lignes n'avaient pas été desservies régulièrement, ce qui avait entraîné une désaffection à l'égard de la compagnie.

M. Corbet a fait un effort important, qui consistait à essayer de rationaliser et de remettre cet ensemble complexe en état de marche. Il n'y est pas parvenu. Plusieurs raisons expliquent cet échec : le manque de financement et peut-être une sous-estimation des difficultés résultant de l'organisation matérielle et salariale des personnels, ce qui l'a conduit à opter pour une formule dite à « bas coûts », qui a démontré qu'elle était bonne à condition de reposer sur une organisation matérielle différente. Une compagnie à bas coûts doit fonctionner avec très peu de personnel, alors qu'il y avait toujours le handicap des 2 700 salariés repris au terme du jugement de cession. Cette société donc, au mois de janvier 2002, lorsque j'ai été désigné comme mandataire ad hoc, commençait à connaître des difficultés et avait obtenu du ministre des transports de l'époque la promesse d'un prêt relais destiné à permettre d'encaisser les sommes provenant du groupe Swissair.

M. le Président : Quand cette information sur le prêt-relais vous est-elle connue ?

M. Hubert LAFONT : Lorsque j'ai été désigné le 9 janvier, puisque le prêt relais était du 9 janvier, ce qui est une coïncidence. Lorsqu'ils ont su qu'ils auraient un prêt relais de 30,5 millions d'euros, ils ont demandé un mandataire ad hoc pour se mettre un peu à l'abri de critiques quant à l'utilisation de ce prêt relais.

Les fonctions du mandataire ad hoc, je le précise, sont des fonctions de bénévolence, en ce sens qu'il ne gère pas, n'a pas la signature et ne prend pas de décision de fonctionnement mais est là comme une espèce de mentor destiné à entourer les dirigeants de ses conseils.

Ce prêt relais a été versé avec retard en deux fractions, au lieu de l'être immédiatement. Des retards matériels ont été dus à l'établissement du protocole de prêt puisque le versement a été géré non pas directement par l'Etat, mais par la Natexis Banques Populaires qui était déléguée à cet effet par les pouvoirs publics. Finalement les sommes ont été encaissées avec un mois et demi de retard, c'est-à-dire, fin février, début mars.

Les affres de l'exploitation se poursuivant néanmoins et les pertes résultant de cette inorganisation ou désorganisation se poursuivant elles aussi, les bilans d'exploitation n'étaient pas extrêmement brillants, d'autant plus que le prêt relais était assorti d'échéances extrêmement récessives, puisqu'il devait être initialement consenti pour un an et qu'il n'a été consenti ab initio que pour six mois, c'est-à-dire jusqu'au 9 juillet 2002. A cette date il a été prorogé de quatre mois jusqu'au 9 novembre 2002 et, in extremis, vers le 10 novembre jusqu'au 9 janvier ne varietur, comme date ultime.

M. le Président : Il nous a été indiqué que le prêt-relais au départ avait été consenti pour une seule période de six mois, qu'il était possible de renouveler une fois seulement, ce qui fait en tout un an. Il nous a été indiqué qu'il n'avait jamais été question que cela soit au départ pour un an.

M. Hubert LAFONT : Je n'étais pas alors mandataire ad hoc, je n'ai pas assisté aux discussions qui ont eu lieu dans le cabinet du ministre des transports de l'époque. Mais il a bien été précisé par tout le monde que c'était pour un an, car cela répondait à une règle communautaire qui fait que les prêts de sauvetage ou d'assistance financière ne doivent pas dépasser un an sauf à passer ensuite dans d'autres catégories, prêts de restructuration, etc., qui répondent à d'autres normes bruxelloises.

Il m'a toujours été précisé que le prêt était pour un an et qu'il devait n'être remboursé normalement que le 9 janvier 2003 ou transformé à ce moment-là en prêt à longue durée, mais répondant à d'autres critères.

J'ai donc pris part du mois de janvier au mois de juillet à toutes les discussions qui ont eu lieu avec les pouvoirs publics, représentés à l'époque par le CIRI et son secrétaire général. On a fourni au CIRI des documents multiples quant à l'utilisation du prêt, aux modalités de l'exploitation et à l'utilisation des fonds en provenance de la Suisse et de l'ensemble Swissair. Ces fonds ont donné lieu à une étude qui a été établie à la demande et aux frais du CIRI par les cabinets Mazars et KPMG choisis sur appel d'offres pour déterminer l'usage des fonds. Il semble que le rapport, dont je n'ai pas été destinataire, ait donné satisfaction puisque les discussions se sont poursuivies et que l'on n'a plus reparlé entre le 9 juillet et le 9 janvier de ce document.

La société a dû faire face à des besoins de trésorerie courante, qui n'étaient pas complètement pourvus par la dotation qui devait initialement être donnée. Il manquait, je le rappelle, 150 millions auxquels s'ajoutaient 50 millions conservés par les anciens administrateurs judiciaires de l'ancienne société et 300 à 350 autres millions qui résultaient de la balance de comptes croisés. Lorsque, je le précise, le 27 juillet 2001 la société Air Lib a pris possession des éléments du fonds de commerce et des 2 700 salariés, des salaires en cours étaient pendants, des congés payés étaient venus à échéance. Air Lib nouvelle formule a puisé dans sa trésorerie alors que l'assiette de ces congés payés reposait sur le redressement judiciaire. Au total, le différentiel se monte à une centaine de millions avec l'ancien redressement judiciaire et 300 millions avec l'ensemble suisse, ce qui fait que l'une des premières démarches que nous ayons entreprises a été - pour ma part en la conseillant et pour la part de M. Corbet en l'exécutant - de poursuivre la Swissair et ses émanations, c'est-à-dire toutes les compagnies satellites de Swissair et la nouvelle société Swiss pour obtenir que la dotation soit complétée à hauteur de l'engagement initial. Une cinquantaine de procédures ont été introduites, non seulement en France, mais aussi dans les pays avoisinants, Belgique, Suisse, Italie et Espagne, pour bloquer la billetterie pendante. Au moment de la liquidation judiciaire au mois de février de cette année, entre 350 et 400 millions de francs étaient bloqués, mais non attribués. Il s'agissait de saisies conservatoires effectuées auprès de tous les gens pouvant détenir des fonds pour le compte de Swiss ou Swissair. Il a été jugé par un tribunal français que la compagnie Swiss était l'héritière de Swissair et devait donc, nonobstant la procédure collective atteignant le groupe Swissair en Suisse, prendre en charge les dotations.

Voilà pour le côté financier. La compagnie perdait régulièrement de l'argent. M. Corbet pour assurer un remplissage a lancé sa formule « bas coûts », avec notamment des ouvertures de lignes courts courriers métropolitaines ainsi que quelques ouvertures de lignes à bons résultats sur l'Algérie. Sur les trois lignes ouvertes sur l'Algérie, deux se sont révélées rentables, Oran et Alger ; Constantine a dû être abandonnée. La Libye n'était pas rentable et a dû être abandonnée avant la chute d'Air Lib. En revanche les petites destinations internes à la France se sont révélées rentables quant au remplissage puisque le coefficient de remplissage est passé de 40 à 45 % au moment où il a pris la direction à 65, voire 70 % de remplissage moyen, ce qui est à considérer, semble-t-il, par les professionnels, comme un taux acceptable.

M. le Président : Aviez-vous connaissance à ce moment-là de la manière dont étaient gérées ces nouvelles lignes ? Vous avez cité la Libye en disant qu'elle n'était pas rentable. Savez-vous pourquoi ?

M. Hubert LAFONT : Elle n'était pas rentable faute de passagers. Il n'y a pas d'échanges commerciaux suffisants avec la Libye. Bien que depuis quelques années la Libye se soit relativement ouverte au commerce occidental, elle reste un pays excessivement tatillon sur le plan administratif. Ainsi, je suis allé en Libye pour un voyage inaugural : nous avons passé quatre heures à attendre l'examen de nos visas, alors que nous devions faire l'aller et le retour dans la journée.

M. Xavier DE ROUX : Saviez-vous qu'on ne vendait pas de billets Air Lib à Tripoli ?

M. Hubert LAFONT : Je ne le savais pas, mais cela n'est pas forcément surprenant compte tenu de la façon dont l'économie libyenne semble être gérée.

M. Xavier DE ROUX : M. Corbet avait dû faire une étude avant d'ouvrir une ligne. Pourquoi a-t-il ouvert une ligne dans de telles conditions ?

M. Hubert LAFONT : Parce qu'il n'y avait plus de ligne depuis 1983 ou 1984 qui desservait l'Europe du nord-ouest à partir de la Libye. La Grande-Bretagne et la France étaient autrefois desservies par UTA. Le seul moyen d'aller en Libye consistait à passer par l'Italie et Malte.

M. le Président : Je voudrais faire une simple observation. Vous étiez à l'époque mandataire ad hoc et bientôt conciliateur...

M. Hubert LAFONT : Je n'étais pas encore conciliateur, mais il faut que vous sachiez que compte tenu des dispositions de la loi du 1er mars 1984 et des délais très contraignants que comporte la procédure de conciliation, le mandat ad hoc est en général l'antichambre de la conciliation de manière que l'on puisse bâtir les grandes lignes du plan. Cela fait, la conciliation est ouverte, puisque je vous rappelle que les délais sont de trois mois éventuellement renouvelés d'un mois et ceci sans aucun autre sursis. Si au bout de quatre mois on n'a pas signé le protocole de conciliation, la conciliation tombe. Le législateur de 1994 a modifié la sanction prévue dans la loi de 1984. La sanction en cas d'échec de la procédure de conciliation, était l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation. Cela a été supprimé, ce qui fait que l'on peut avoir une conciliation qui reste lettre morte si elle n'a pas abouti.

M. le Président : Ma question, maître, ne porte pas sur l'histoire de la conciliation. Elle porte très précisément sur le fait que vous soyez ou pas à ce moment-là informé des conditions de mise en oeuvre d'une pratique commerciale correspondant au souci réel de rentabiliser les lignes. J'ai cité la Libye, on pourrait citer aussi l'Algérie. Mais sur la Libye, vous étiez au courant de la manière dont fonctionnait le système. Vous aviez des informations ?

M. Hubert LAFONT : La Libye n'a duré que quelques semaines puisque l'inauguration de la ligne doit se situer en octobre 2002 et la fin de l'exploitation en novembre.

M. le Président : Ma question ne porte pas sur ce détail, mais sur le fait que vous soyez ou non, à ce moment-là, informé de la manière dont l'entreprise était gérée. Etiez-vous informé de la manière dont la ligne vers la Libye était organisée ? Le système commercial fonctionnait, oui ou non ?

M. Hubert LAFONT : Non. Il n'est pas dans mon rôle d'être informé des modalités matérielles, de savoir si le guichet comporte trois ou douze salariés. Ma tâche est de déterminer au vu des comptes rendus d'exploitation si une ligne est rentable ou non. Et j'ai eu régulièrement, pratiquement tous les mois, le rapport de tous les remplissages sur toutes les lignes. C'est ainsi que je peux vous dire que les lignes étaient en progression constante pour ce qui concerne les courts courriers métropolitains, dès le premier ou le deuxième mois rentables en ce qui concerne l'Algérie, Constantine mise à part, et étaient en revanche horriblement déficitaires en ce qui concerne les lignes long courrier obligatoires sur les Antilles, la Martinique et la Guadeloupe, la Guyane n'étant pas desservie. A titre indicatif, du 27 juillet 2001 au 31 août 2002, de mémoire, la perte des Antilles s'élevait à plus de 100 millions d'euros à cause d'une sous-évaluation des frais de billets et d'une concurrence avec d'autres compagnies - comme Air France, Corsair et je ne sais quelles autres compagnies. A l'inverse, La Réunion se révélait légèrement bénéficiaire, la Polynésie, quant à elle, avait été arrêtée avant que je n'intervienne dans cette affaire, puisqu'elle était elle aussi lourdement déficitaire et du reste, je sais qu'Air France a des difficultés sur cette ligne et que c'est le territoire lui-même qui a créé sa compagnie pour desservir le territoire. J'ai donc été mis au courant des rentabilités brutes de chacune des lignes.

Je préciserai aussi que toute compagnie aérienne doit avoir une licence de transporteur aérien. Cette licence est délivrée par le ministre après avis du Conseil supérieur de l'aviation marchande (CSAM) et de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui est l'organisme de tutelle des transporteurs aériens. La compagnie Air Lib n'a jamais eu de licence de transporteur qui ne soit pas assortie de délais très courts et ce fût l'une des faiblesses de tout le système mis en place. Plus le temps passait, plus les délais d'usage de licence étaient courts. Une première licence a été prorogée jusqu'en juillet 2002, puis une deuxième du 9 juillet 2002 au 9 novembre 2002, une troisième enfin qui allait jusqu'au 31 janvier 2003. Il est évident que la médiatisation de la situation d'Air Lib a fait que la presse, quelle qu'elle soit, a publié de gros titres en disant qu'Air Lib était autorisé à voler « jusqu'au ... », ce qui n'est pas incitatif pour la clientèle qui prend des billets à longue distance. Le voyageur qui prend un billet la veille de son vol, est à peu près sûr que son avion partira le lendemain. En revanche, compte tenu des bas tarifs pratiqués, aussi bien vers les Antilles que vers les pays à courte destination, le genre de clientèle concernée n'était pas la clientèle d'affaires, qui a les moyens de payer, mais celle qui profitait de bas tarifs pour aller en vacances. A partir du moment où la presse quotidiennement rappelait que la licence Air Lib n'en avait plus que pour un laps de temps qui se réduisait chaque jour davantage, il est évident que ce rappel était dissuasif. Les taux de remplissage, qui étaient montés régulièrement jusqu'à peu près le mois de septembre, se sont mis, à partir de la campagne médiatique qui a débuté mi-octobre, à décroître à une vitesse consternante pour retomber à 45 %, c'est-à-dire au taux de départ, alors que l'on était monté jusqu'à 70%.

M. le Président : Je voudrais que vous en arriviez, maître, à la période de conciliation, car nous connaissons, hélas, l'histoire d'Air Lib. C'est le rôle que vous avez objectivement joué dans cette affaire qui nous intéresse et les informations que vous pouvez nous communiquer dans le cadre de ce rôle. M. de Roux désire vous poser une question.

M. Xavier DE ROUX : Vous faites un lien entre la détérioration de la situation de la société et le fait que ses missions d'exploitation aient été pour peu de temps. Mais, dès septembre, vous nous avez parlé des pertes massives d'exploitation qui ont duré toute l'année précédente.

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. Xavier DE ROUX. Il est évident que même lorsque la situation était au mieux, en septembre, nous étions dans une situation de perte d'exploitation très importante. Vous avez cité le chiffre des Antilles, il est colossal.

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. Xavier DE ROUX. La situation n'était donc pas liée à la durée de la licence.

M. Hubert LAFONT : Si, car les comptes mensuels indiquaient une évolution du ticket moyen passager et du nombre de passagers extrêmement encourageante. A titre indicatif, fin septembre, les vols « bas coûts » ne perdaient en court courrier que deux ou trois millions d'euros, ce qui était négligeable au regard de 103 millions sur les Antilles. Il y avait donc une tendance à la remontée des recettes qui faisait que l'on devait parvenir à l'équilibre. En même temps était négocié avec les pouvoirs publics qui ont soigneusement occulté le problème pendant un certain temps, l'abandon de la ligne Antilles, en conservant la ligne Réunion. Cela ne plaisait pas car il y avait une levée de boucliers des départements d'outre-mer antillais qui voulaient avoir au moins deux compagnies. Je rappelle qu'à ce moment-là Corsair avait également annoncé la fermeture de sa ligne. Qu'il ne reste plus qu'une seule compagnie ne satisfaisait pas les élus antillais.

Donc, il y avait au mois de septembre des conditions économiques qui commençaient à devenir presque normales. Je les résume : fermeture de la ligne Polynésie, ralentissement en vue de leur fermeture des lignes vers les Antilles et fermeture d'un certain nombre de lignes non rentables comme la Libye. Air Lib retrouvait avec du court courrier un taux de remplissage énorme, dépassant celui d'Air France grâce à ses tarifs, ainsi qu'une tendance à l'équilibre qui devait être confortée d'une part par les décisions de justice concernant les saisies conservatoires importantes effectuées sur les fonds Swissair et, d'autre part, par la prolongation et l'étalement dans le temps du prêt d'Etat de 30,5 millions d'euros. Si bien que M. Corbet imaginait à l'époque que l'on pourrait tant bien que mal faire la soudure avec l'arrivée du groupe IMCA.

J'en arrive au dernier volet de mon exposé ; je ne peux découper ma mission entre le mandat ad hoc et la conciliation, elle s'inscrit dans une continuité.

Le groupe IMCA se manifeste à partir de fin octobre. Le premier contact a eu lieu fin septembre et un contact plus suivi fin octobre. Pour ma part, je rencontre IMCA début novembre. IMCA est reçu en notre présence par les ministres et secrétaires d'Etat aux transports et fait des promesses en bâtissant un calendrier de ses interventions : recherche de renseignements jusqu'à début décembre, analyse et prise de décision fin décembre, le tout de manière à ce que le 9 janvier, date d'échéance théorique du prêt et le 31 janvier date d'échéance de la licence de transporteur, une solution puisse être apportée. A partir de ce moment-là, tout le monde y croyant, les deux ministres concernés ayant à juste titre interrogé et entendu M. de Vlieger représentant la société IMCA, nous avons fait prendre des renseignements notamment par l'Ambassade de France et la DREE à Amsterdam. Nous avons eu des lettres d'évidence de fonds suffisantes qui prouvaient qu'IMCA avait la possibilité financière et la surface pour intervenir dans ce dossier.

Les choses se sont dégradées à partir de la mi-décembre, sans doute pour plusieurs raisons, dont une attitude un peu restrictive des services de l'administration. Les ministres avaient donné les feux verts, mais les services ont été assez restrictifs en se réfugiant derrière un formalisme administratif qui faisait qu'ils avaient toujours l'air d'être en retrait des décisions du politique. C'était malheureusement assez fréquent.

M. le Président : Vous dites qu'en décembre des perspectives assez intéressantes se faisaient jour par rapport à ce plan proposé. A notre connaissance, le 20 novembre a eu lieu une réunion importante concernant le plan définitif.

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. le Président : A votre connaissance, considériez-vous à ce moment-là, en tant qu'expert, que ce plan était réellement financé comme il convenait ? Aviez-vous la certitude que ce plan était financé et pouvait donc devenir opérationnel ?

M. Hubert LAFONT : Absolument, à partir du moment où les trois conditions essentielles étaient réunies. Premièrement, il fallait une intervention au niveau de la gestion. M. Corbet est certainement un excellent commandant de bord, mais il est trop professionnel de l'aviation pour être en même temps un gestionnaire. Il était entouré de gens qui techniquement étaient très bons, mais étaient trop obéissants à son égard, à moins qu'il ne fut trop autoritaire, ce qui fait qu'il n'avait pas le profil du gestionnaire.

La deuxième condition tenait dans le moratoire de paiement à l'égard des dettes anciennes et récentes d'Air Lib et la troisième dans un apport de fonds propres nouveaux pour compléter les besoins de fonds de roulement. Ces trois conditions avaient été négociées avec IMCA et par conséquent il apparaissait que dès lors que la signature d'un protocole intervenait, on pouvait fonder de sérieux espoirs sur le redémarrage d'Air Lib.

Cela ne s'est pas passé ainsi, peut-être en raison des freins administratifs dont je parlais précédemment, mis au projet de M. de Vlieger.

M. le Président : De quels freins administratifs parlez-vous exactement, maître ? La prorogation de la licence avait été accordée.

M. Hubert LAFONT : Non, monsieur le Président. La licence allait jusqu'au 31 janvier. J'ai été convoqué trois fois au CSAM, trois fois on m'a répondu: « on va voir, si... ». Ce n'est pas ainsi que l'on bâtit un volume d'affaires. D'autant que pendant ce temps-là la presse se pressait aux portes du CSAM, bénéficiait d'informations et annonçait à gros titres que la licence expirait le 31 janvier.

Peut-être est-ce un malentendu du fait du caractère et des usages des candidats hollandais, mais l'on a vu, indépendamment de toute mauvaise foi, sur laquelle je n'ai pas à prendre position, le zèle de M. de Vlieger d'abord se ralentir, puis de nouvelles exigences survenir et là, peut-être psychologiquement, y a-t-il eu une erreur du côté français. Chaque fois que M. de Vlieger arrivait avec une nouvelle exigence, on commençait par lui dire non, mais dans les deux ou trois jours qui suivaient, on l'acceptait ; moyennant quoi M. de Vlieger a sans doute imaginé qu'il aurait ce qu'il voulait. Le dernier exemple, qui est celui de l'échec de la conciliation est patent. Le protocole de conciliation était au point. Nous avions passé plusieurs journées à raison de quatre à six heures par jour à établir mot par mot un protocole qui avait la convenance des trois parties en présence : M. Corbet, l'Etat et IMCA. Nous étions tombés d'accord avec ce protocole qui avait été de surcroît traduit en anglais puis en hollandais. M. de Vlieger avait annoncé par tout une série de lettres adressées à moi-même ou à M. le Président de la République - nous étions ses deux interlocuteurs préférés - qu'il serait là tel jour à telle heure. Le lendemain, sur mes interventions, il me disait qu'il avait eu un empêchement et qu'il viendrait le lendemain. A telle enseigne que le dernier jour, le 5 février, il a demandé à être reçu à sept heures du soir par Messieurs de Robien et Bussereau ; il n'est arrivé qu'à neuf heures du soir. M. de Robien m'a téléphoné pour me dire de me tenir prêt avec mon protocole qui serait signé dans la soirée. A 3 h 50 du matin, j'ai reçu un coup de téléphone me prévenant que c'était l'échec du protocole, d'où le rapport au président du tribunal de commerce et l'ouverture d'une procédure de liquidation le 17 février.

Un jeu de rôles dans cette affaire a été interprété par les différentes parties avec des tonalités différentes par les uns et par les autres. La dernière condition posée par IMCA n'est pas secrète, la presse en a eu connaissance et l'a publiée: elle tenait à l'octroi par Airbus Industrie de prix préférentiels sur une série de vingt-neuf Airbus A 320 qui n'était ni du ressort des ministres, ni d'Air Lib, ni de Corbet, ni de moi à plus forte raison.

M. le Rapporteur : Vous avez été mandataire ad hoc de la société Air Lib. Avez-vous vu des comptes ?

M. Hubert LAFONT : Je répondrai très clairement. Il y a eu des comptes, il y a eu aussi, avec un peu de retard autorisé par le président du tribunal, conformément à la loi de 1966, un bilan au 31 décembre 2001 soumis aux actionnaires dans la seconde moitié de 2002 et il y avait des comptes au 30 juin 2002. Malheureusement je n'ai pas eu les comptes définitifs au 31 décembre 2002, puisque je suis parti le 17 février, date à laquelle ils n'étaient pas encore définitivement établis. Il s'agit là des bilans officiels, en la forme des bilans de société.

Il y avait aussi tous les mois un rapport complet sur les engagements financiers, les engagements résultant de l'exploitation, les recettes et la trésorerie. La comptabilité a été bien tenue en la forme, j'entends, bien que complexe. Je ne me suis pas livré, ce n'est pas mon rôle, et sans doute n'en ai-je pas la compétence, à une expertise comptable du contenu de cette comptabilité. J'avais chaque mois des éléments relatifs à l'exploitation courante. On savait ligne par ligne les pertes de l'exploitation, notamment jusqu'au 30 octobre 2002. Par conséquent n'importe quel expert-comptable pouvait tirer à partir de là les éléments d'une comptabilité probante.

M. le Rapporteur. Nous avons reçu, maître, l'expert-comptable qui avait été mandaté par le comité d'entreprise, qui nous a affirmé que, lorsqu'il a contrôlé les balances, dans le grand livre, elles étaient en retard de six à sept mois.

M. Hubert LAFONT : De quel expert parlez-vous ?

M. le Rapporteur. Celui qui avait été nommé en premier, M. Bonan, pour être précis.

M. Hubert LAFONT : Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur ce personnage extrêmement curieux, qui n'a jamais voulu se saisir de sa mission et qui a poursuivi la compagnie devant le juge civil pour obtenir la fixation à son profit de l'astreinte à laquelle avait été condamnée Air Lib. Il a réclamé comme tel 200 ou 300 000 euros à son profit. C'est le première fois depuis quarante années que je fais ce métier que je vois un expert réclamer des astreintes à son profit, et surtout à ce montant là. Le juge de l'exécution, d'ailleurs, très équanime, a réduit la somme à quatre ou cinq mille euros, c'est-à-dire à un montant quasiment symbolique. J'ai été en contact avec M. Bonan et j'ai assisté à plusieurs référés lancés par M. Bonan. M. Bonan est la source d'information dont je me défierais le plus ; elle est tendancieuse et mal informée.

M. le Rapporteur : Nous avons des déclarations disant que les comptes n'étaient pas correctement tenus. Ce n'est pas seulement M. Bonan qui nous l'a dit, nous avons lu les rapports de cabinets d'audit qui disent à peu près la même chose. Pour vous, qui avez été mandataire puis conciliateur pendant une petite année, les comptes existaient-ils ?

M. Hubert LAFONT : Les comptes existaient.

M. le Rapporteur. Etaient-ils fiables ?

M. Hubert LAFONT : M. le Rapporteur, nous allons mettre des nuances, si vous le voulez bien. Aux mois de juin-juillet, les comptes étaient en retard. Un gros effort a été fait par le directeur de la comptabilité qui était un professionnel averti. Les commissaires aux comptes qui siégeaient quasiment en permanence au siège de la société et que vous avez sans doute interrogés, ont apporté leur compétence et les comptes étaient en bonne voie de rétablissement au moment où se situe la conciliation, c'est-à-dire en octobre-novembre de l'année 2002.

M. le Rapporteur. Mais, monsieur le mandataire, le bilan au 31 décembre 2002, quand a-t-il été arrêté et quand a-t-il été approuvé ?

M. Hubert LAFONT : Il a été en retard, vous ai-je dit.

M. le Rapporteur. Oui, mais à quelle date précisément?

M. Hubert LAFONT : Le délai légal est le 30 juin, et je sais que c'est postérieur au délai légal.

M. le Rapporteur. Et pour les comptes intermédiaires au 30 juin 2002, ils avaient été arrêtés, d'après vos souvenirs ...

M. Hubert LAFONT : Pour les comptes intermédiaires au 30 juin, je les ai eus fin août.

M. le Rapporteur : Vous avez vécu comme mandataire, puis comme conciliateur, un an dans cette société. Quelle appréciation avez-vous portée, au fur et à mesure du temps, sur la viabilité économique d'Air Lib ? Et à partir de quand avez-vous commencé à avoir des doutes ?

M. Hubert LAFONT : Je répondrai immédiatement à la seconde partie de votre question : les doutes sont nés dans mon esprit à partir de la fin décembre quand j'ai vu l'incapacité du groupe IMCA à prendre des décisions qui pourtant étaient nécessaires et urgentes. J'ai notamment, à maintes reprises, insisté par lettres auprès du groupe IMCA sur le fait qu'il devait nous fixer sur ses positions concernant tel ou tel point de l'exploitation. Car, ayant assisté de décembre à fin janvier à trois conseils supérieurs de l'aviation marchande, il était évident que la dégradation commençait à se faire sentir. Elle était en tout cas ressentie par la DGAC qui est l'organe de tutelle du CSAM, et par le CSAM qui était de moins en moins disposé, sauf intervention urgente, à donner une prolongation de licence, condition sine qua non d'une relance. Encore une fois, passé les fêtes de décembre, le mois de janvier a été un mois en décroissance quotidienne du taux de remplissage, puisque au fur et à mesure que l'on s'approchait de l'échéance du 31 janvier, la presse était pessimiste, peut-être à juste titre, et que les voyageurs ne retenaient plus de places sauf à prendre des places pour le lendemain.

M. le Rapporteur : De janvier à décembre 2002, vous estimiez donc que l'entreprise pouvait être viable.

M. Hubert LAFONT : A condition d'être refinancée et reprise en gestion, l'entreprise était viable. C'est un pari qui était fait : ou bien il n'y avait qu'une seule compagnie ou bien cette compagnie, qui avait démontré qu'elle pouvait exister, était reprise en main et pouvait alors exister sans jamais atteindre le niveau d'Air France mais avec une vie raisonnable.

M. le Rapporteur : Ma troisième question concerne les capacités de gestionnaire de M. Corbet. Pouvez-vous développer ce point ? M. Corbet, pour vous, avait-il les capacités à gérer un tel groupe ?

M. Hubert LAFONT : M. Corbet n'avait pas d'antécédent de gestion, à ma connaissance. Il est venu d'un poste de commandant de bord. Il avait eu des fonctions syndicales comme président d'un syndicat. M. Corbet est un personnage plein d'allant, avec une faculté de décision assez bonne et qui connaît merveilleusement bien le milieu de l'aviation marchande. Il se trouve qu'il n'a peut-être pas été, au moins dans ses débuts, suffisamment bien entouré par des gestionnaires avertis. On peut quand même rappeler que le budget d'Air Lib était un budget de plusieurs centaines de millions d'euros et qu'on dépensait chaque mois des centaines de milliers d'euros.

Il y a eu deux phases: une qui s'est située en 2001 avec des gens qui sont partis. Et lorsque je suis arrivé en janvier 2002, l'encadrement supérieur venait d'arriver ou était en train d'arriver. Il y a donc eu un temps de latence avec d'autres cadres administratifs et commerciaux. On peut distinguer les qualités de chacun. Le comptable était un très bon professionnel ; le directeur général était un très bon professionnel qui manquait peut-être de l'autorité et de la vigueur nécessaires, mais qui techniquement était un homme remarquable. Il venait de la DGAC. Le directeur des relations humaines était lui aussi de très bonne qualité. Tous ces gens-là ont fait des efforts, sont arrivés à des résultats. Le redressement d'une société est toujours un problème de temps comparé. Si l'on met un peu plus de temps à rentrer de l'argent qu'on n'en met à en dépenser, il y a un hiatus. Cela a été le cas. En réalité la remontée en bonne position de l'exploitation a été plus lente que la remise en ordre des structures sociales et administratives.

Monsieur le Rapporteur : Mais vous pensez que M. Corbet était un bon gestionnaire ? J'ai cru comprendre à travers vos propos précédents, qu'après l'avoir fréquenté durant une année, vous étiez devenu un peu dubitatif sur les qualités de gestionnaire de M. Corbet.

M. Hubert LAFONT : Je ne renie pas ces propos.

M. le Rapporteur : Ma quatrième question porte sur la motivation de M. Corbet. Que cherchait-il dans cette affaire ?

M. Hubert LAFONT : Je ne pourrai vous donner qu'une opinion personnelle, donc dénuée de valeur. Je pense que, comme tout homme à son âge - une cinquantaine d'années -, il avait épuisé les joies des fonctions de commandant de bord, épuisé celles de président de syndicat. Il voulait se lancer dans une nouvelle aventure. C'est un passionné d'aviation, c'est un homme qui m'a semblé parfaitement sincère dans ses désirs de faire réussir cette compagnie. Je n'ai jamais constaté qu'il était particulièrement intéressé sur le plan des intérêts patrimoniaux.

M. le Rapporteur : Savez-vous combien il était rémunéré en tant que responsable d'Holco ?

M. Hubert LAFONT : Je l'ai su, mais je ne l'ai plus en mémoire.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu connaissance de la prime exceptionnelle qu'il a reçue d'Holco ?

M. Hubert LAFONT : Non, je l'ai appris par une certaine presse il y a quelques jours.

M. le Rapporteur : Cela vous a-t-il étonné ?

M. Hubert LAFONT : Cela m'a étonné.

M. le Rapporteur : Vous pensiez que cela n'était pas une préoccupation pour lui.

M. Hubert LAFONT : Je pensais - et je continue à le penser - que c'était un personnage sincère et qui voulait vivre une aventure, comme tout homme de cinquante ans, à un moment donné, a envie de vivre pour laisser une trace.

M. le Rapporteur : Cinquième question : pour vous quelle était la stratégie de M. de Vlieger à travers ce que vous avez vécu, heure par heure, y compris dans la période finale ? Que cherchait-il dans cette affaire ?

M. Hubert LAFONT : J'ai cru déceler, mais il s'agit là encore d'un sentiment personnel, que M. de Vlieger avait réussi au-delà de toute espérance dans des reprises d'affaires à bon compte, dont trois ou quatre petites compagnies aériennes de desserte locale et un petit chantier naval, et chaque fois ces reprises réussissaient et généraient des fonds. M. de Vlieger, au milieu de frères et sœurs, était celui qui avait en charge la gestion du groupe familial IMCA. Il a sans doute cru qu'avoir une compagnie beaucoup plus structurée et plus importante que les compagnies de desserte locale qu'il avait déjà reprises, lui donnerait de l'importance.

Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce que disait Spinoza en parlant des Hollandais ; je vais le citer en latin : "Ultimi barbarorum". M. de Vlieger s'est comporté comme un barbare. À partir du moment où il a pressenti qu'il mettrait la main sur cette affaire, il a multiplié les exigences. Il a multiplié les indélicatesses à l'égard du politique : ses lettres ont été publiées dans les journaux, elles ne sont pas couvertes par le secret. Il écrivait en direct aux ministres ou au Président de la République ; ses lettres commençaient par « Mon cher monsieur » et exprimaient ses desiderata.

M. le Rapporteur : Pour vous, il manquait d'éducation.

M. Hubert LAFONT : Effectivement. Nous avons fait remarquer au ministre hollandais de l'industrie que ce n'était pas tout à fait la voie protocolaire à laquelle la France aimait bien se conformer. Le ministre nous a répondu que c'était la façon de faire en Hollande, que les gens venaient directement dans son bureau. On a été obligé de s'y habituer.

Lorsque les chiffres sont ensuite apparus et que M. de Vlieger a compris qu'il devait apporter en financement direct des sommes importantes, puisque les sommes arrêtées étaient respectivement 18,5 millions d'euros, 30 millions de financement et 70 millions de lettres de confort, il semble que, dans sa famille, son père, l'animateur du groupe, et ses frères et sœurs, aient eu une réticence à s'engager sur des sommes de cette importance. Ce qui expliquerait qu'il ait essayé de s'en sortir en multipliant des exigences nouvelles à chaque fois qu'il obtenait satisfaction sur une précédente, et qu'il ait en définitive fait échouer volontairement la reprise.

M. le Rapporteur : Mais quelle est cette affaire des avions qu'il aurait rachetés à la filiale Mermoz ? Est-ce exact, d'après ce que vous savez ?

M. Hubert LAFONT : J'ai parlé d'indélicatesse de sa part. Là, il y a eu une imprudence manifeste de la part de M. Corbet. Le seul actif négociable, non incorporel, d'Air Lib était composé d'une part de quelques bâtiments, en général en crédit-bail, donc il ne s'agissait pas tout à fait d'un actif réalisable, et d'autre part de sept ou huit vieux avions - des MD83 et un ATR42, je crois - qui étaient rattachés à la coopérative Mermoz, elle-même domiciliée à Amsterdam. Ces actifs étaient évalués à peu près à 18 ou 20 millions d'euros, c'est-à-dire même pas le prix d'un avion neuf. Mais c'était le seul actif disponible. Lorsqu'on a demandé à M. de Vlieger d'apporter de l'argent frais dans la compagnie - dans le cadre de mon protocole - il a accepté mais moyennant des garanties. M. Corbet lui a répondu - j'avais dit que la chose était possible - qu'il donnerait en garantie les avions sous la forme d'une promesse de cession avec condition suspensive. A partir du moment où M. de Vlieger aurait apporté les 18,5 millions d'euros, plus les 20 et quelque millions d'euros plus la lettre de garantie de confort de 70 millions d'euros, et à partir du moment où il aurait pris la majorité du capital d'Air Lib, il pouvait effectivement recevoir en garantie le transfert des actions ou parts de Mermoz. Je rappelle que ces actions ou parts ne dépendaient pas d'Air Lib, mais d'Holco. Dans l'organisation, vous avez Holco qui a repris toutes les filiales extérieures ou nationales, et dans ses filiales, Air Lib. Je n'étais chargé, quant à moi, que d'Air Lib. On me soumettait néanmoins un certain nombre d'éléments. Il m'est apparu logique, mais en contrepartie de l'apport d'argent frais, qu'on puisse les lui céder. Au lieu de cela, j'ai appris par la presse qu'au lieu de lui faire une cession sous condition suspensive, on lui avait fait une cession sous condition résolutoire. M. de Vlieger n'avait plus qu'à se présenter au greffe du tribunal d'Amsterdam, si cela fonctionne ainsi en Hollande, et faire transcrire qu'il était devenu le cessionnaire, le porteur des droits de Mermoz et donc avoir la propriété des huit avions.

M. le Rapporteur : Maître, qui est ce "on" ? Qui a signé une telle cession, d'après ce que vous savez ?

M. Hubert LAFONT : M. Corbet.

M. le Rapporteur : Sans vous consulter ?

M. Hubert LAFONT : Non. Encore une fois, je n'avais pas à intervenir sur Holco ; l'on était simplement tenu de m'informer.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que vous lui aviez conseillé de faire cette cession, mais bien évidemment sous condition suspensive. Il n'a pas suivi votre conseil.

M. Hubert LAFONT : Bien sûr. C'était comme toutes les garanties données. Pour moi, c'était un ensemble sous condition suspensive, un donnant-donnant. Cela doit marcher de pair. J'ai appris par la presse, par le Canard enchaîné, très précisément, qu'il s'agissait d'une cession sous condition résolutoire.

M. le Rapporteur : N'avait-il pas un avocat ?

M. Hubert LAFONT : Il avait un avocat.

M. le Rapporteur : Me Léonzi, d'après ce qui nous a été indiqué.

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. le Rapporteur : Nous allons bientôt l'auditionner. Vous connaissez Me Léonzi ?

M. Hubert LAFONT : Je ne peux dire qu'une chose : j'ai été surpris.

M. le Rapporteur : Savez-vous dans quelles conditions la cession a eu lieu ? M. Corbet vous l'a-t-il dit ?

M. Hubert LAFONT : Je n'ai là-dessus aucun élément.

M. le Rapporteur : Vous n'avez aucun élément ?

M. Hubert LAFONT : La raison en est que la révélation n'en a été faite qu'après la fin de mes fonctions.

M. le Rapporteur : Mais d'après ce que vous saviez, M. Corbet était bien le président de la coopérative Mermoz.

M. Hubert LAFONT : Le président et l'unique porteur de parts, quasiment.

M. le Rapporteur : C'est donc lui qui a pris cette décision ?

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. Xavier DE ROUX : Lorsqu'on arrive en décembre et que vous commencez à lier des discussions avec IMCA, quel est le passif exigible ?

M. Hubert LAFONT : Le même.

M. Xavier DE ROUX : Le même, c'est-à-dire...

M. Hubert LAFONT : Le même que celui qui s'est retrouvé le 9 février ou le 17 février. La société Air Lib n'avait aucun crédit.

M. Xavier DE ROUX : Vous pouvez rappeler le chiffre ?

M. Hubert LAFONT : Elle avait même des difficultés à mobiliser ses recettes en banque et par là même payait au comptant, selon l'expression classique et peu distinguée que je vous prie de m'excuser d'employer, « au cul du camion ». C'est-à-dire qu'il n'y avait pas une livraison de kérosène sur un aéroport d'escale quelconque si un chèque n'avait pas été fait préalablement. Donc, il n'existait pas de passif courant. Il existait, indépendamment des 30 millions d'euros du prêt Gayssot, des cotisations, des droits et des taxes non payés. Ces sommes progressaient à raison environ de quatre à cinq millions d'euros par mois et ...

M. le Président : Je vous prie de laisser M. de Roux préciser sa question.

M. Xavier DE ROUX : Je voudrais être très précis car cela nous le savons. M. de Vlieger reprend une entreprise. S'engage-t-il à payer son passif ? Quelles sont les dispositions concernant le paiement du passif et les propositions qui sont faites par M. de Vlieger pour payer le passif lorsqu'il reprendra l'entreprise ?

M. Hubert LAFONT : En annexe du protocole de conciliation accepté par M. de Vlieger se trouvait un état de ce passif arrêté d'un commun accord et coïncidant entre les décomptes du ministère des finances concernant les droits et taxes et la comptabilité d'Air Lib. Cette somme s'élevait à 30,5 millions d'euros plus 1,442 million et 90 millions pour cette période. Auxquels s'ajoutaient 18,5 millions pour la période allant du 9 janvier au 14 mars. Ce sont les chiffres sur lesquels il y avait concordance. Aucune somme n'était due à des fournisseurs de quelque nature, en dehors peut-être d'un stylo à bille.

M. Xavier DE ROUX : Quand on voit cela de l'extérieur, on est surpris que M. de Vlieger ait pu vouloir reprendre une entreprise qui avait une exploitation aussi lourdement déficitaire. Vous venez de le dire, le montant des seules charges mensuelles était de 5 millions par mois, d'autres nous ont dit qu'il était de 10 millions par mois, quelquefois plus. Comment M. de Vlieger peut-il dire vouloir reprendre le passif et remettre la société sur les rails ?

M. Hubert LAFONT : Il faut que vous preniez en compte le reste du protocole. M. de Vlieger reprenait le passif sur huit ans : sept ans plus une année de franchise, plus les intérêts a posteriori, in fine. Cela ne faisait pas grand chose chaque année. Deuxièmement, M. de Vlieger refinançait la caisse en apportant les 24,5 millions d'euros nécessaires pour permettre un fonctionnement normal et se trouvait en face d'un trend d'exploitation tel que l'on en arrivait à fin juin 2003 à un équilibre au niveau de l'exploitation, mais pas des frais de structure. Normalement donc, en ne payant plus le passif et en ayant des années de moratoire, en ayant une exploitation et un remplissage qui permettaient à M. de Vlieger de fonctionner en couvrant les frais directs d'exploitation, il devait pouvoir rentabiliser l'entreprise.

M. De Vlieger pensait aussi améliorer cette rentabilité en ayant des avions neufs. Il faut savoir que le coût d'exploitation d'un MD 83 est de 40 % plus cher que celui d'un Airbus 320 ou 319. D'où la demande de M. de Vlieger d'acheter des avions par des financements extérieurs - 29 avions de type 319 ou 320 au total - pour les faire voler sur les courts et moyens courriers. Il disait avoir besoin de deux avions 340 pour faire les longs courriers: La Réunion et éventuellement les Antilles, si on lui finançait localement le déficit. Par conséquent, il avait à bâtir tout un système d'achat d'avions. Et comme c'est l'usage pour toutes les compagnies, y compris Air France, ce n'était pas la compagnie qui achèterait les avions, mais une autre société, bénéficiant de GIE fiscaux. Par conséquent, l'une des négociations, qui a donné lieu à des correspondances multiples, a été la transformation du GIE fiscal initié avant le changement de gouvernement, en de nouveaux GIE fiscaux.

M. le Président : GIE qui n'ont jamais vu le jour parce que jamais aucun investisseur n'a voulu y participer.

M. Hubert LAFONT : Le GIE fiscal qui avait été autorisé avant mai 2002 était un GIE dérogatoire qui permettait dans des conditions très faciles, s'il avait été exécuté, d'encaisser une somme importante puisqu'elle représentait 30 à 40 millions d'euros de rétrocession par l'Etat. Il portait sur deux Airbus 340 qui avaient été commandés par Flightlease et qui se trouvaient donc disponibles chez Airbus. La condition supplémentaire qui a été ajoutée par le ministère des finances - c'était compréhensible compte tenu de l'état de la trésorerie d'Air Lib - était que le GIE fiscal soit pris en charge par un support bancaire extérieur. Les premiers contacts n'ont pas fonctionné ; la banque qui gérait cela avait prétendu avoir trouvé au mois d'août 2002 un établissement financier bancaire qui acceptait d'être le support de ce GIE ...

M. le Président : Quelle était cette banque, maître ?

M. Hubert LAFONT : Une banque européenne, mais je ne me souviens plus de son nom. Ce n'est même pas couvert par la confidentialité, car c'est en dehors de ma compétence. Mais je l'ai oublié.

On a appris par une lettre d'Airbus de début septembre que les deux avions avaient été cédés à Air Tahiti Nui, selon d'autres conditions, pour remplacer, sur pression du chef du gouvernement du territoire de Polynésie, les lignes qui disparaissent progressivement. En effet, Air France ne desservant plus la Polynésie que trois fois par semaine et Corsair ayant annoncé qu'il supprimerait ses vols, alors qu'Air Lib avait supprimé les siens, il ne restait plus qu'une seule compagnie sur cette ligne, ce qui était franchement insupportable. J'ai été obligé d'aller en Polynésie pour mon travail et je me suis aperçu que les horaires étaient horribles.

Ces avions disparaissant, le GIE fiscal n'avait plus d'objet. M. de Vlieger a demandé à bénéficier de ce GIE fiscal en le reportant et en l'augmentant. L'administration a alors donné son accord sur le report, mais en maintenant le même volume monétaire, 220 millions de mémoire. M. de Vlieger a demandé alors de nouveaux GIE fiscaux. Le ministre des finances en personne a répondu qu'il voulait bien accorder tous les GIE fiscaux que demanderait M. de Vlieger, mais sans dérogation. On en est resté là. C'était une des demandes additionnelles dont je vous ai parlé précédemment : elles ont porté sur les Airbus, sur les GIE fiscaux, etc.

M. de Roux : A regarder toute cette affaire de l'extérieur, pensez-vous que M. de Vlieger était sérieux dans son offre de reprise ?

M. Hubert LAFONT : Non.

M. le Rapporteur : A partir de quand l'avez-vous pensé ?

M. Hubert LAFONT : A partir de fin décembre. Une précaution avait été prise à la demande de Me Léonzi : l'établissement d'un calendrier des interventions de M. de Vlieger, des fournitures des documents par Air Lib et des interventions auprès des services et des ministères. Quand j'ai constaté que M. de Vlieger ne respectait pas ce calendrier, je me suis inquiété.

M. le Président : Je voudrais vous poser plusieurs questions précises qui exigent des réponses précises n'impliquant pas beaucoup de développement.

Mais auparavant, je voudrais obtenir une précision. Vous venez de dire que le GIE n'avait plus d'objet parce que les avions avaient été vendus à une autre compagnie. Or, à notre connaissance, Airbus a attendu le temps suffisant pour que le GIE puisse trouver la capacité d'acquérir les avions. A notre connaissance, la banque Arjil devait trouver des investisseurs.

M. Hubert LAFONT : Oui. C'est elle qui a monté le GIE.

M. le Président : Malheureusement, en l'absence d'investisseur, il n'y avait pas d'argent et à partir de ce moment on ne pouvait pas acheter d'avions.

Ma première question porte sur ces fameux investisseurs. Vous n'étiez pas en fonction à ce moment-là, vous n'êtes donc tenu à aucun secret, je vous demande une appréciation d'ordre personnel. Lorsque le tribunal de commerce de Créteil a retenu l'offre de M. Corbet, cette offre était fondée sur une évaluation de rentabilité des lignes. Donc à partir de tous les créneaux horaires accordés, il apparaît que cette offre était aussi fondée sur la perspective d'investissements. Des investisseurs devaient rejoindre M. Corbet. Or, l'on n'a jamais vu ces investisseurs. Il est apparu, aux dires des experts que nous avons interrogés, que l'offre de M. Corbet était largement surdimensionnée. Comment cela a-t-il pu échapper à la sagacité des responsables de l'époque ? Dans un comité d'entreprise qui s'est tenu après la reprise, M. Corbet a indiqué lui-même que les perspectives qu'il avait envisagées lors de la reprise étaient peu réalistes. Comment se fait-il que personne n'ait vu cela quelques mois auparavant ? Comment se fait-il que personne n'ait jugé opportun de tirer le signal d'alarme ?

Comment se fait-il aussi que personne n'ait été alerté par le système des différentes filiales de la « nébuleuse » Holco ; notamment la création en Hollande d'une filiale - la coopérative Mermoz - grâce à la contribution de la Swissair ? Tout cela, maître, créait une ambiance ; à partir d'un certain moment, quelqu'un aurait dû dire que le système ne pouvait pas fonctionner. Il n'y avait pas d'investisseurs et une partie des actifs était en Hollande, dans des conditions qui restent à établir. Comment peut-on continuer à espérer que l'on ferait fonctionner cette société uniquement à travers l'aide de l'Etat ? Première question: avez-vous vu un seul investisseur, en dehors de M. de Vlieger ?

Deuxième question: êtes-vous au courant du rôle de la CIBC, êtes-vous au courant des honoraires qui lui ont été servis pour la recherche des investisseurs ?

M. Hubert LAFONT : Tout cela est antérieur.

M. le Président : Vous n'avez pas été informé de tout cela ? Vous avez dit précédemment que les comptes étaient bien tenus. Dans ces conditions, il devait bien apparaître à un moment donné dans les comptes, d'abord ...

M. Hubert LAFONT : Ce sont des comptes Holco, monsieur le Président. Ce ne sont pas des comptes Air Lib.

M. le Président : J'entends bien. Mais s'agissant de la rémunération de M. Corbet, il s'agissait bien des comptes d'Air Lib .

M. Hubert LAFONT : Non, d'Holco.

M. le Président : En tant que président d'Air Lib, sa rémunération n'apparaissait pas ...

M. Hubert LAFONT : Il était payé avec un management-fee.

M. le Président : D'accord. Donc, vous n'avez toujours pas vu d'investisseurs durant cette période ?

Autre question tout aussi précise : êtes-vous au courant du rôle de M. Christian Paris dans les différentes négociations ? L'avez-vous rencontré ?

M. Hubert LAFONT : Non, j'ai rencontré M. Paris une fois, on me l'a présenté, sans plus. On m'a simplement dit que M. Paris était administrateur d'Air France, commandant de bord et qu'il venait prêter bénévolement son concours à M. Corbet qui est son ami de longue date.

M. le Président : L'avez-vous rencontré dans les locaux d'Air Lib ?

M. Hubert LAFONT : A Orly, oui, dans les locaux d'Air Lib.

M. le Président : Mais vous n'êtes pas au courant d'un rôle qu'il ait pu jouer.

M. Hubert LAFONT : Non.

M. le Président : S'agissant de M. de Vlieger et de Mermoz, vous avez dit que l'ambassade vous avait donné des informations positives sur M. de Vlieger. Pouvez-nous dire qui, à l'ambassade précisément ?

M. Hubert LAFONT : Le service économique. J'ai vu une télécopie de l'ambassade.

M. le Président : Pourriez-vous éventuellement nous donner la copie de cette télécopie ?

M. Hubert LAFONT : Je ne l'ai pas ici. Je peux le noter et la rechercher.

M. le Président : Nous vous en remercions, maître.

M. Hubert LAFONT : Je suis sûr que j'ai également une télécopie du ministre hollandais des affaires économiques.

M. le Président : Je vous remercie de bien vouloir nous la communiquer.

Etiez-vous au courant de discussions parallèles qui, à un certain moment, ont pu intervenir avec EasyJet ?

M. Hubert LAFONT : Non, je n'ai jamais été informé de telles discussions. J'ai été démarché par une compagnie qui pose d'ailleurs actuellement des difficultés. Il est apparu que c'était de faux démarcheurs se présentant au nom de Khalifa Airways. Lorsque j'ai téléphoné directement à Khalifa Airways, il m'a été répondu qu'ils n'avaient jamais envoyé qui que ce soit.

M. Christian PHILIP : Ma question reprendra des observations précédentes. Au tout début de votre intervention, vous nous avez dit qu'il n'y avait pas de doutes au départ : un seul dossier était susceptible d'être retenu. Ensuite, vous nous avez dit que M. Corbet, s'il était passionné et techniquement compétent, n'était sans doute pas un gestionnaire et qu'il n'était sans doute pas entouré comme il le fallait. Je voudrais essayer de comprendre dans quelles conditions la décision a été prise. Etait-il évident que le projet de M. Corbet tenait la route ? On a l'impression, en vous écoutant, qu'il n'y avait pas de doute, qu'il était le seul viable. Or, tout ce que vous nous avez dit ensuite semble démontrer que des questions auraient peut-être pu se poser dès le départ.

M. Hubert LAFONT : Sans doute me suis-je mal exprimé, car je ne retrouve pas dans votre propos ce que j'ai dit. Je tiens à rectifier. Je n'ai jamais dit que, lors de l'audience du 27 juillet 2001, il n'y avait pas d'autres candidats valables que M. Corbet. Il y avait d'autres candidats valables, notamment un ancien dirigeant de la société Swissair, mais celui-ci a été rejeté unanimement par les organisations syndicales. Cela ne veut pas dire qu'il n'était pas valable, techniquement.

M. le Président : Pas toutes les organisations syndicales. Certaines.

M. Hubert LAFONT : Les majoritaires. J'étais à l'audience car je représentais à l'époque des créanciers de prestation, des loueurs d'avions. J'ai donc assisté à toute l'audience qui a duré dix heures. J'en ai un souvenir suffisamment clair pour me rappeler que cela s'est passé ainsi. M. Rochet avait un plan qui valait certainement celui de M. Corbet, mais il n'a pas été retenu en raison de l'opposition des syndicats. Ensuite, venait M. Corbet; puis une société qui s'appelait FIDEI, à base de pseudo-fonds de pensions américains, société sur laquelle j'émets des doutes certains, compte tenu de la qualité de ses animateurs. Ensuite venaient des « drôles », au sens le plus péjoratif du terme, à savoir des gens qui n'avaient ni argent ni idée de ce que pouvait être une compagnie aérienne. Le tribunal a l'obligation d'entendre ce genre de billevesées, mais ne les a évidemment pas retenus. Je n'ai donc pas dit qu'il n'y avait pas de gens sérieux, mais qu'il n'y avait pas d'autre solution dans l'ordre décroissant que celle de M. Corbet, à partir du moment où la solution technique présentée par l'ancien dirigeant n'était pas retenue. FIDEI n'avait pas de solution technique, mais une démarche pseudo- financière qui ne donnait satisfaction à personne et qui surtout ne reprenait que quelques centaines de salariés sur une masse de 3 700.

M. Christian PHILIP : Vous dites dans l'ordre décroissant. Vous mettiez donc la proposition Rochet avant la proposition Corbet.

M. Hubert LAFONT : Ne me faites pas dire que c'est décroissant. Un ancien dirigeant connaît nécessairement mieux l'affaire qu'un tiers extérieur. M. Rochet avait fait ses preuves dans la direction de compagnie aérienne, avec plus ou moins de succès, mais il avait fait ses preuves. Il pouvait faire un plan. Il n'a pas été retenu par le tribunal.

Le deuxième candidat sérieux, issu également de l'aviation, était M. Corbet. Et tous les autres étaient extérieurs au milieu de l'aéronautique et proposaient des projets insensés.

M. le Président : A l'époque, maître, aviez-vous réagi, puisque vous étiez partie prenante pour d'autres raisons, lorsque vous avez été informé des réunions qui ont eu lieu avant la décision du tribunal au cabinet de M. Gayssot et dont il ressortait qu'il y avait une forte pression pour que l'on s'oriente vers la solution Corbet ?

M. Hubert LAFONT : Non, je n'ai pas été informé de ces réunions car à l'époque je représentais en France un cabinet anglo-saxon qui lui-même représentait des loueurs d'avion. J'étais là pour représenter ce cabinet parce que les avocats américains ne connaissaient pas la procédure française. Ces avocats m'ont accompagné et j'étais leur truchement auprès du tribunal. C'est un service que l'on se rend entre avocats. Mes mandants de l'époque - j'étais sous-mandataire - étaient loueurs de DC10 et de MD83. Ils voulaient savoir si le repreneur quel qu'il fut reprendrait ou non les locations.

M. le Président : Nous avons été informés par la suite, lorsque nous avons auditionné certains syndicats, que des réunions auxquelles ils avaient été associés s'étaient déroulées pour dégager la solution Corbet avant la décision du tribunal. Par la suite, vous avez dû être informé de ces réunions.

M. Hubert LAFONT : Mon seul contact avec le cabinet de M. Gayssot était M. Ricono. Il connaissait parfaitement bien les problèmes d'aviation, venant lui-même de la DGAC. J'ai trouvé auprès de lui un interlocuteur comme j'aimerais que les directeurs de cabinet fussent en général.

M. le Rapporteur : Lors du jugement du 17 février 2003, vous avez évoqué l'existence d'un repreneur éventuel qui disposait de 125 millions d'euros et qui s'appuyait sur une banque britannique. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

M. Hubert LAFONT : Je ne vois pas que j'ai évoqué ce genre de choses. J'ai pu dire qu'il m'avait été indiqué qu'il y aurait un repreneur.

M. le Rapporteur. Oui, vous avez fait mention de cela. Qu'évoquiez-vous précisément, car cela reste un peu sibyllin dans le texte du jugement. Je cite : « M. Lafont souligne que sa mission de conciliateur a pris fin. Il ajoute toutefois qu'un éventuel repreneur s'était dit prêt à rentrer dans un processus analogue à celui d'IMCA, que ce repreneur professionnel de l'aviation s'appuyait sur une banque de statut britannique et disposait jusqu'à 125 millions d'euros. Toutefois, maître Lafont n'a pas été en mesure de produire la caution bancaire justifiant la réalité de cet engagement. »

M. Hubert LAFONT : J'ai reçu une lettre de ces gens et de la banque m'informant qu'ils mettaient à disposition la somme de 125 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous dire de qui il s'agit ?

M. Hubert LAFONT : C'est un personnage dont le nom m'échappe, mais je peux vous le retrouver. Il est intervenu à plusieurs reprises dans l'aviation, étant lui-même ancien pilote ou ancien commandant de bord.

M. le Rapporteur. Nous vous serions reconnaissant si vous pouviez nous préciser son nom. A-t-il été en contact avec vous ?

M. Hubert LAFONT : J'ai reçu une lettre de la banque, la justification de la banque et l'offre du personnage.

M. le Rapporteur. Mais vous n'êtes pas allé plus loin.

M. Hubert LAFONT : C'était le 17 février au matin, le dernier jour.

M. le Rapporteur : Une dernière question: vous avez vécu un an, un peu plus même dans cette affaire, puisque, comme vous le rappeliez, lors du jugement de juillet 2001, vous étiez présent, mais dans un tout autre cadre. Quelle leçon tirez-vous d'Air Lib, en tant que mandataire ad hoc, puis conciliateur ?

M. Hubert LAFONT : On a de tous côtés accumulé les retards, les erreurs ou les indécisions ou le manque de décision en temps opportun. Professionnellement, je suis contre l'acharnement thérapeutique qui consiste à conserver une entreprise qui n'est plus rentable ou qui ne peut plus assumer ses propres besoins, mais l'aspect social d'Air Lib lui donne une dimension que je n'ai encore jamais rencontrée. Croyez-bien que j'ai été en charge de toutes les grosses catastrophes de l'économie française, depuis Creusot-Loire jusqu'à toute la fonderie et toute la papeterie. Lorsqu'il y a une catastrophe économique, touchant une entreprise importante, celle-ci a en général des moyens de production. Ce n'est pas le cas d'Air Lib qui, comme toute compagnie aérienne, n'a aucun moyen de production. C'est une compagnie de services. Quand une usine fabrique des cocottes-minute ou des poutrelles de métal, on peut la transformer ou la faire fonctionner avec d'autres investisseurs le cas échéant. Air Lib est une entreprise de service qui n'est pas absolument indispensable. En revanche, elle représentait un potentiel de 3 700 salariés, si on lui ajoute les filiales de manutention, etc. Cela pose un problème social.

J'avais demandé, je vous livre le chiffre, une étude sommaire d'impact sur l'arrêt d'Air Lib dans sa dernière configuration: 20 000 salariés touchés dans le sud de Paris, pas nécessairement 20 000 emplois détruits, mais 20 000 salariés touchés. C'est un problème qui n'a pas suffisamment été envisagé au niveau de l'administration et des cabinets ministériels. C'est une leçon à méditer. On a pensé selon l'ancienne méthode qu'en finançant on sauverait. Financer n'a jamais sauvé. Il faut réformer, il faut restructurer, il faut faire des sacrifices et là on a agi à contretemps. On a voulu financer pour sauver les 2 700 emplois qui restaient en direct d'Air Lib en février. Maintenant 2 700 personnes sont à la rue et l'on a dépensé les fonds publics pour rien.

Le problème est un problème d'anticipation, de prévention, de réorganisation, mais peut-être arriverait-on, si l'on faisait cela de façon bien tempérée, à faire du dirigisme et de la gestion d'Etat.

M. le Président : Je vous remercie de vos déclarations. Je voudrais simplement avant de partir vous poser une question qui me préoccupe beaucoup. Vous avez dit qu'il fallait réformer et restructurer. Nous sommes bien entendu d'accord. Je préside moi-même la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, je sais ce que veut dire réformer ou restructurer. Y a-t-il eu une seule, réelle et profonde restructuration d'Air Lib comme il aurait fallu qu'il y en ait, depuis le jour où le tribunal de commerce a confié la société à M. Corbet, en dehors de la mise en place des différentes filiales, donc de montages purement juridiques et financiers ?

M. Hubert LAFONT : Oui, mais insuffisante et trop étalée dans le temps.

Du point de vue social, on était revenu à des élections et à une représentation salariale raisonnables : neuf membres au comité d'entreprise, des représentations syndicales représentées par un titulaire et un suppléant qui avaient leur mot à dire. Ils ont mis en place une harmonisation des conventions collectives et des conventions de maison divergentes. Ces divergences étaient abominables.

M. le Président : C'était pour le personnel au sol.

M. Hubert LAFONT : Non, y compris pour le personnel navigant. Le comité d'entreprise m'a demandé d'assister à la mise en place du système des « day on » et des « day off », qui consiste à faire voler les gens un peu plus longtemps et à leur donner ensuite des congés. C'est de la gestion qui a des conséquences financières immédiates.

M. le Président : Il n'y a pas eu de plan de restructuration suffisamment important.

M. Hubert LAFONT : Autour de mon étude j'ai des lacs de plans de restructuration, qui sont combles... Cela n'a jamais eu d'effet.

M. le Président : Dans ces lacs, il doit se trouver une multitude de sociétés englouties parce que justement elles n'ont pas fait les efforts nécessaires pour rétablir leur gestion.

M. Hubert LAFONT : Les efforts se font sur le terrain et dans le consensus.

M. le Président : Je suis tout à fait d'accord avec vous.

M. Hubert LAFONT : Cela n'a pas été le cas, peut-être parce que M. Corbet est apparu comme un brutal venant d'Air France qui voulait manger la petite compagnie. J'ai eu une espèce de perception infuse. Le personnel a craint de perdre sa spécificité, que l'on fasse comme à Air France. Peut-être est-ce pour une autre raison, toujours est-il que les mauvaises habitudes enracinées dans cette société ont perduré. Je rappelle qu'elle résulte de la fusion de cinq, six, sept compagnies antérieures. J'en ai administré certaines autrefois ; Air Alsace en particulier, il y a vingt ans. J'ai retrouvé les pilotes d'Air Alsace dans Air Lib, ils étaient passés par TAT entre-temps. Tout cela n'était pas sérieux. Il faudrait des lois s'appliquant au personnel qui soient plus claires, plus précises et plus simples ; il faudrait pouvoir restructurer quand se produit ce genre de catastrophe.

M. le Président : Je vais aller au bout de ma question. Tout cela n'était-il pas une course aux créneaux horaires ? M. Corbet, dès décembre 2001 - les procès-verbaux des comités d'entreprise en témoignent - envisageait déjà le dépôt de bilan, c'est-à-dire quelques mois après que le tribunal lui eut confié les rênes de la société ? On ne peut pas dire en permanence une chose et en même temps son contraire. Je ne parle pas pour vous, maître, mais à l'évidence, toute cette affaire s'est déroulée comme s'il y avait eu autre chose que le seul souci d'équilibrer la société.

Je voudrais vous citer un exemple. Je vous ai entendu parler de la Libye. Pour des raisons qui n'ont rien à voir avec Air Liberté, il se trouve que j'étais en Libye dans le cadre d'une mission de ma commission et que j'ai rencontré l'ensemble des conseillers du commerce extérieur. Une des premières choses qu'ils m'aient dites, alors que je ne leur demandais rien sur Air Lib, était de faire en sorte de favoriser les liaisons entre Tripoli et la France. Et ils me demandaient d'intervenir auprès du gouvernement pour ne pas recommencer la « comédie d'Air Lib ». Je leur ai demandé ce qu'ils voulaient dire par là, car je ne connaissais pas cette compagnie. Ils m'ont expliqué qu'aucun des chefs d'entreprise présents à Tripoli n'avait pu trouver les moyens d'acheter des billets Air Lib. Pour acheter un billet, il fallait se rendre au comptoir le jour du vol ; il ne leur était pas possible d'acheter ce billet à l'avance à un comptoir de vente ou à un bureau de vente.

Dans ce cas, comment peut-on dire que le système commercial de gestion des lignes était suffisamment opérationnel pour assurer leur rentabilité et leur équilibre ?

M. Hubert LAFONT : Je crois me souvenir que M. Corbet avait passé un accord de partage des codes avec Lybian Airlines. Il se reposait sur Lybian Airlines qui effectivement n'a pas le niveau.

M. le Président : Je suis allé personnellement au bureau de Lybian Airlines pour changer de billet et je n'ai rencontré aucune difficulté. Malheureusement, les Français, à l'époque, n'avaient pas les moyens d'acheter des billets Air Lib. Il y avait des problèmes semblables avec les lignes d'Air Lib vers l'Algérie. La bonne gestion d'une entreprise passe par un système commercial à la hauteur qui permette de remplir les avions. On m'a indiqué que des avions partaient de Tripoli avec trois passagers à bord alors que le même jour Lybian Airlines ou Alitalia remplissaient leurs appareils.

M. Hubert LAFONT : C'est la raison pour laquelle la ligne n'a duré que trois semaines ou un mois.

M. le Rapporteur : Maître, pour notre information, vous avez été durant à peu près une année mandataire, puis conciliateur. Combien avez-vous été rémunéré en tant que tel ?

M. Hubert LAFONT : La rémunération est fonction ou des sommes conciliées ou du temps passé. Dans le cas de ma mission à Air Lib, la rémunération a été établie en fonction du temps passé. Le relevé a été fourni au président du tribunal qui a apprécié la rémunération.

M. le Rapporteur : De quel ordre était-elle ?

M. Hubert LAFONT : La base en a été 2 000 francs de l'heure, ou à peu près.

M. le Rapporteur : Et combien d'heures avez-vous passées environ ?

M. Hubert LAFONT : Six ou sept cents heures.

M. le Rapporteur : Donc, votre rémunération s'est élevée à 1,4 million de francs environ.

M. Hubert LAFONT : Oui.

M. le Rapporteur. Considérez-vous que cette rémunération vous a permis de faire correctement votre travail ?

M. Hubert LAFONT : Je tiens à préciser, encore que ce détail me paraisse hors de propos ici, que j'ai passé une moyenne de cinq à six heures par jour, samedi et dimanche inclus, à m'occuper de cette affaire. J'ai dû renoncer à des séjours que je devais faire à l'étranger parce que des appels ou des réunions me retenaient sans arrêt. Le 11 novembre, par exemple, jour férié par excellence, nous étions chez M. de Robien toute l'après-midi.

M. le Rapporteur : C'était plus qu'un mi-temps...

M. Hubert LAFONT : C'était plus qu'un mi-temps, beaucoup plus.

M. le Président : Maître, je vous remercie de la franchise de vos propos et je vois que le secret professionnel ne vous a pas gêné dans vos réponses.

Audition de MM. Didier Bréchemier, senior manager,
Laurent Derivery, directeur,
et Frédéric Fouchet, senior consultant du cabinet KPMG.

Procès-verbal de la séance du mardi 15 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Chers collègues, nous accueillons donc aujourd'hui M. Didier Bréchemier, qui est senior manager... En français, cela se dit comment ?

M. Didier BRECHEMIER. Directeur.

M. le Président : M. Laurent Derivery, qui est aussi directeur.

M. Laurent DERIVERY : Directeur associé.

M. le Président : Et M. Frédéric Fouchet, qui est, lui, « senior consultant ». C'est-à-dire ?

M. Frédéric FOUCHET. Consultant expérimenté.

M. le Président : Cela apparaîtra au procès verbal. Nous appliquons ici une loi, valable d'ailleurs pour tous les Français, qui exclut l'utilisation de termes franglais.

Votre cabinet a rédigé, en juillet 2002, un audit consacré aux conditions d'exploitation des différents réseaux de la compagnie Air Lib à la demande de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC).

Je propose donc que vous nous exposiez le cadre général de votre mission, ainsi que les conclusions auxquelles vous êtes parvenu sur les chances de redressement de la compagnie Air Lib.

M. Laurent DERIVERY : Je rappellerai d'abord quelques éléments importants relatifs au contexte de notre étude.

Notre métier peut, de temps en temps, prêter à confusion. Notre nom est KPMG consulting France et non KPMG audit. Ce que je veux dire par là, c'est que la DGAC nous a mandatés pour une étude liée aux métiers d'Air Lib et non pas aux aspects financiers de l'entreprise, sachant qu'une mission était menée parallèlement par le cabinet Mazars sur les aspects liés à la trésorerie d'Air Lib.

Nous étions donc mandatés par la DGAC pour livrer une photo, un instantané - notre mission était d'ailleurs relativement courte, puisqu'elle se déroulait sur deux semaines - de la situation d'Air Lib. Extrapolant sur cette situation, nous devions avoir une vision de l'adéquation des moyens de production de la compagnie à ses marchés. Autrement dit, nous devions savoir si le parc-machines, c'est-à-dire les avions, et le personnel navigant, technique ou commercial étaient adaptés tant au business plan qu'à la réalité de l'exploitation, et éventuellement à des standards de coûts commerciaux, en fonction des marchés considérés.

La deuxième question était moins générique : quelle était la viabilité d'Air Lib Express, encore naissante, à l'époque ? En gros, était-elle bien partie ? Les fondamentaux étaient-ils bons ? La courbe laissait-elle présager un succès ou un échec ?

En troisième lieu, il fallait dire ce que l'on pouvait espérer de l'activité, encore relativement récente à ce moment-là, que représentait la desserte de l'Algérie, examiner les conséquences du partenariat existant avec Khalifa Airways et voir quels conseils on pouvait donner, pour recommander aux bonnes pratiques.

Enfin, on nous demandait un zoom sur la desserte des DOM, avec ses caractéristiques, structurelles ou conjoncturelles, et la façon dont on pouvait la faire évoluer pour la rendre éventuellement plus équilibrée.

On nous avait donc confié une mission assez générale sur la performance, à cet instant donné d'Air Lib. Je tiens toutefois à souligner certaines difficultés que nous avons rencontrées.

Cette compagnie a connu beaucoup de restructurations et, au cours de la dernière d'entre elles (la fusion AOM-Air Liberté), de nombreuses données ont été rendues indisponibles, notamment en termes de systèmes d'information, de visibilité sur le passé et d'exploitation - ce qui ne rendait pas toujours très facile l'analyse détaillée de certains éléments.

Une deuxième difficulté, conjoncturelle, était liée au fait, qu'étant donné la situation d'Air Lib à cet instant-là, beaucoup de personnes clés de l'organisation étaient parties. Le management connaissait donc une pression assez forte pour assurer l'opérationnel, ce qui, dans une compagnie aérienne, est toujours extrêmement prenant, et devait en parallèle gérer une restructuration qui promettait d'être lourde.

Notre mission était focalisée sur la compagnie aérienne et non pas sur les filiales (Holco et autres). Elle concernait l'exploitation aérienne. Notre vision portait donc sur les métiers, économies de lignes et moyens à mettre en œuvre pour ces lignes.

Nous nous sommes appuyés sur les données qui nous ont été fournies, par exemple, sur le business plan d'Air Lib, mis à notre disposition par la DGAC. Notre approche excluait donc la remise en question du business plan. Ce n'était pas ce que la DGAC demandait. Le fait de savoir si les hypothèses du business plan ou les hypothèses d'analyse de marché étaient fondées n'entrait pas dans l'objet de notre étude.

Encore une fois, notre mission était très concentrée dans le temps : quinze jours. Il n'y avait donc pas de volonté de la part de la DGAC d'aller extrêmement loin dans l'analyse, mais d'avoir une vision globale, suffisamment détaillée cependant pour pouvoir prendre un certain nombre de décisions. C'est pourquoi la DGAC a fait appel à nous. Elle souhaitait pouvoir s'appuyer sur des gens qui avaient une expertise forte du métier du transport aérien. En effet, je le disais, nous ne sommes pas des auditeurs ; par contre, nous avons une expérience du transport aérien significative, puisque nous faisons intervenir des gens opérationnels, qui ont travaillé pour des compagnies aériennes de type Air France.

Je tenais encore à souligner que nous avons eu une coopération forte d'Air Lib sur le sujet, dans la mesure où l'autorité de tutelle avait très clairement déterminé ce qu'elle voulait obtenir et les moyens qui étaient associés, notamment nos services. Nous avons donc coopéré de manière satisfaisante avec les gens que nous avons rencontrés.

Venons-en aux différents sujets de notre étude.

Air Lib souffrait globalement d'une inadéquation entre ses moyens et son business plan. En fait, il fallait considérer deux choses : le business plan et l'exécution de ce business plan à un instant donné, c'est-à-dire le programme des vols. Il y avait déjà une différence entre les deux. Mais surtout, quelle que soit la base de départ retenue, il y avait une surcapacité et une inadéquation éventuelle.

Cette surcapacité tenait au fait qu'il y avait trop d'avions par rapport à l'exécution du programme et, éventuellement, une inadéquation du type d'avion au programme des vols exécutés. On le verra quand on entrera dans le détail, notamment sur Air Lib Express et sur les DOM. Globalement, la flotte était trop importante et, pour certains de ces faisceaux ou domaines, inadéquate.

Par ailleurs, il y avait trop de personnel pour exécuter le programme stricto sensu, ce qui voulait dire que la base de coût était inadéquate, compte tenu de ce qu'était la compagnie.

M. le Président : Ce qui voulait dire qu'il fallait un plan de restructuration ?

M. Laurent DERIVERY : Nous avons évoqué un très grand nombre d'actions à mener pour que la compagnie soit saine et viable. Cela étant dit, nous pouvons entrer dans le détail de ces différents éléments.

Sur Air Lib Express, on pouvait relever des points positifs et d'autres un peu plus inquiétants.

Le premier point positif, c'est que, très clairement, Air Lib Express avait connu des succès commerciaux significatifs. Cela dit, trois grosses incertitudes pesaient sur Air Lib Express.

La première était structurelle, au sens où il n'y avait que quatre mois d'exploitation, ce qui veut dire que les données historiques étaient faibles et qu'il était difficile d'extrapoler. On pouvait donc dire qu'il y avait un succès commercial ; mais était-il viable ou non ? Il pouvait entrer dans ce succès des effets de « curiosité » ou d'appel.

La seconde incertitude, c'est que ce succès commercial n'assurait pas la rentabilité. C'est-à-dire que dans le business plan, associée au succès commercial, il y avait une augmentation de ce que les compagnies appellent le « prix moyen coupon », c'est-à-dire en gros le prix de vente moyen, qui n'était pas encore à un niveau permettant la rentabilité.

La troisième incertitude qui, elle, était plus importante, plus structurelle, était l'inadéquation de la flotte d'avions à ce type d'exploitation : malgré la volonté de se positionner sur un marché à bas coûts, on était plus dans une logique de bas tarifs que de bas coûts. La structure des coûts d'exploitation n'était pas celle d'une compagnie à bas coûts.

Parallèlement à cette situation, on pouvait s'inquiéter, indépendamment de l'état de la compagnie elle-même, de risques liés à l'implantation éventuelle de nouveaux acteurs sur le sujet. La France était relativement préservée, mais cela n'est pas resté longtemps le cas. La France étant le premier marché mondial du tourisme, il est évident que c'est une cible prioritaire pour beaucoup de compagnies à bas coûts. Ce sont là des éléments sur lesquels on pourra revenir.

La desserte de l'Algérie, en revanche, semblait assez prometteuse pour Air Lib. Il y avait un type de machines adéquat pour exécuter cette prestation et une assez bonne rentabilité. Cependant, il faut relativiser les choses, car ce secteur restait assez marginal dans l'économie de la compagnie : 5% du chiffre d'affaires, ce n'est pas cela qui allait la faire vivre. Ce marché intéressant, en développement, avec une rentabilité intrinsèque qui n'était pas mauvaise, était donc plus une piste de complément qu'une piste en soi.

Par ailleurs, en ce qui concernait le partage de code avec Khalifa, nous exprimions un certain nombre de recommandations, liées notamment au souci de mettre en place ce qu'il fallait comme supervision de ce partenariat pour éviter de se retrouver dans une situation où l'on ne sait pas où est la marge.

Enfin, s'agissant de la desserte des DOM, Air Lib avait conclu un accord très important de partage de code avec Air France. Cet accord a aidé la compagnie à survivre, puisqu'il était fortement générateur de trésorerie. Mais la trésorerie ne doit pas être confondue avec le bénéfice. Cet accord était très défavorable par certains aspects et pas forcément seulement en montant pur. Il impliquait en effet pour Air Lib une exploitation sur deux sites. Or, une telle exploitation en transports aériens est très sophistiquée et très coûteuse. De plus, leur flotte n'était pas forcément très fiable, parce que les avions étaient vieux. Les coûts de maintenance étaient très élevés. Souvent, des avions tombaient en panne sur la base de Roissy et devaient être dépannés, ce qui coûtait des sommes très importantes. Donc, notre position était de dire : certes, il y a là quelque chose d'intéressant parce que ça génère du chiffre et de la trésorerie ; maintenant, peut-être que cela détruit de la valeur pour l'entreprise.

Au delà de ces aspects, l'exploitation de la desserte des DOM avait un problème, conjoncturel ou structurel, je ne sais pas : des investissements étaient nécessaires pour rendre cette exploitation équilibrée, notamment en terme de densification des avions. C'est un marché difficile, avec des saisonnalités fortes, qui implique un certain type de machines pour être rentable. Or même le type d'avions n'était pas forcément inadéquat, la configuration des avions rendait le point d'équilibre très difficile à atteindre. D'où notre recommandation de se demander quels moyens complémentaires devaient être mis en œuvre.

La combinaison de tous ces éléments aboutissait à la conclusion que cette compagnie - vous en parliez tout à l'heure - avait besoin d'un plan de restructuration, puisqu'il y avait une forte inadéquation entre ses buts ou sa stratégie et les moyens dont elle disposait. Ce type d'évolution nécessitait beaucoup d'argent.

Une meilleure adéquation des ressources en personnel navigant supposait l'application d'un plan social de l'ordre de 26 millions d'euros. La compagnie avait déjà un déficit qui se creusait. Il fallait changer la configuration des avions sur Air Lib Express et investir aussi sur les DOM, le tout ayant un impact sur les coûts de maintenance, qui étaient très élevés, du fait de l'obsolescence du parc machines.

Il était donc très important pour la compagnie de disposer d'une capacité d'investissement très significative, pour se configurer par rapport à ses cibles. Car on trouvait des éléments prometteurs, à côté de certains risques.

Parmi les éléments prometteurs, il y avait le fait que le produit Air Lib Express correspondait très probablement à une tendance du marché certaine, à condition de ne pas se retrouver avec de bas prix de vente et des hauts coûts. Les compagnies à bas coût ont un avenir. C'est une tendance lourde du marché. Sur un marché national très intéressant, Air Lib bénéficiait encore d'une bonne image même si ses difficultés rendaient son avenir délicat. Par exemple, sur le marché des DOM, les gens réservent leurs billets très longtemps à l'avance ; or, c'est un peu délicat, s'agissant d'une compagnie dont on sait qu'elle est en difficulté. Beaucoup d'agences de voyage ont arrêté pour cette raison de vendre des billets Air Lib.

Il y avait enfin quelques éléments complémentaires de risques. La concurrence pouvait éventuellement réagir par rapport à la stratégie d'Air Lib. Autrement dit, Air France pouvait - et l'a d'ailleurs fait en partie - montrer éventuellement plus d'agressivité vis-à-vis d'Air Lib et la puissance d'Air France aurait mis en danger les ressources d'Air Lib telles qu'elles étaient. De plus, on notait une volonté forte d'implantation d'autres compagnies à bas coûts sur le territoire national, ce qui, là encore, pouvait changer toutes les hypothèses de prise de marché d'Air Lib.

On relevait donc à la fois des risques et des opportunités. Mais les risques étaient probablement plus nombreux. En tout cas, le moteur paraissait difficile à mettre en route.

M. le Rapporteur : De combien de temps avez-vous disposé entre le moment où la DGAC vous a confié cette mission et le moment où vous avez remis le rapport ?

M. Laurent DERIVERY : Quinze jours.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'en quinze jours, vous pouviez faire un travail fin et susceptible d'éclairer les pouvoirs publics ? Et avez-vous attiré l'attention de la DGAC sur l'extrême brièveté des délais qui vous étaient imposés ?

M. Laurent DERIVERY : La DGAC était tout à fait consciente de la difficulté de l'exercice ; mais elle n'avait, elle-même, pas le choix. Ses autorités de tutelle lui avaient imposé la date du quinze juillet.

M. le Rapporteur : Et vous-même, avez-vous attiré son attention sur l'extrême difficulté de cet exercice ?

M. Laurent DERIVERY : C'était une gestion de risque, pour nous. Nous sentions-nous capables de pouvoir délivrer un travail qui avait du sens et de la valeur pour notre client, la DGAC ? Nous avons estimé que oui. Mais, pour vous donner un ordre d'idées, on avait mobilisé quinze à vingt personnes en permanence. Les quinze jours de délai calendaire ont été quinze jours de travail.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire qu'ils ont travaillé le samedi et le dimanche, le jour et la nuit ?

M. Laurent DERIVERY : Et nous nous sommes appuyés sur des gens qui avaient une expertise extrêmement forte du domaine du transport aérien.

M. le Rapporteur : C'est-à-dire ? Vous pourriez préciser ?

M. Laurent DERIVERY : Pour prendre quelques exemples, Frédéric Fouchet, qui est à ma droite, a été directeur d'exploitation d'une petite compagnie aérienne ; Didier Bréchemier a travaillé à la fois pour AOM et Air Liberté...

M. Didier BRECHEMIER : J'ai travaillé pour Air Lib, pour British Airways, pour la plupart des compagnies françaises, pour Royal Air Maroc, pour Luxair.

M. le Rapporteur : Comme consultant ou comme salarié ?

M. Didier BRECHEMIER : Comme consultant ou comme salarié, mais énormément comme consultant.

M. Laurent DERIVERY : Ce qui nous permettait d'éviter - ce qui est un problème dans notre métier - la phase d'acquisition, durant laquelle on se demande quel est le modèle, quelles sont les bonnes pratiques, etc.

M. le Rapporteur : Mais les représentants de la DGAC, que nous avons auditionnés, ont voulu, à travers ce qu'ils vous ont demandé, répondre à une question unique et simple : Quelle est la viabilité de la compagnie ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Alors, vous, qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que la compagnie était viable ? Vous avez travaillé quinze jours, à quinze ou vingt personnes... Je vais poser la question à chacun d'entre vous.

M. Laurent DERIVERY : Pour moi, le problème ne se posait pas forcément en ces termes-là. Le problème était de savoir à un instant T, et je reviendrai sur le définition de cet instant T, si la compagnie était capable de générer de la valeur ? La réponse était probablement oui. C'est-à-dire qu'après avoir mis beaucoup, beaucoup d'argent, la compagnie pouvait être rentable intrinsèquement. Oui, si on mettait sur Air Lib Express les bonnes machines. Oui, si on reconfigurait le nombre d'employés. Oui, si on redessinait la desserte des DOM.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, depuis un an, M. Corbet gère le groupe.

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Qu'a-t-il fait de tout ce que vous évoquez entre juillet 2001 et le moment où vous auditez, en juillet 2002 ?

Comment financez-vous le remplacement ? Vous dites dans votre rapport que la flotte est sur-calibrée et inadaptée dans sa structure au business plan. Vous dites qu'il faut racheter de nouveaux appareils. Mais comment finance-t-on ces acquisitions ? Il n'y a pas de banquier. Le seul argent disponible est celui que va verser - mais pas intégralement - Swissair.

M. Laurent DERIVERY : J'ai répondu à une partie de la question : est-ce que la compagnie est capable - ou a été capable à un instant T - d'être bénéficiaire en exploitation ? Oui, avec un investissement colossal. Sur ce sujet, on ne nous a pas demandé de faire un business plan d'investissement. On nous a demandé de juger une économie de lignes à un instant T.

M. Laurent DERIVERY : On pouvait aussi se demander si ces 150 à 300 millions d'euros, selon les estimations, devaient être investis dans cette compagnie ou servir à créer une nouvelle compagnie. Sur ce sujet, on pouvait avoir son opinion. Mais selon moi, il y avait deux gros problèmes pour la viabilité à venir de cette compagnie...

M. le Président : Pardon de vous interrompre. Puis-je vous poser une question subsidiaire ? Le Rapporteur vous a interrogé sur cette photographie qu'on vous avait demandé de faire. Cette photographie, vous ne l'avez faite que par rapport au business plan qui vous a été proposé ? Et ce business plan, qui fait état de perspectives de développement de lignes, etc., n'avez-vous pas constaté qu'il était non seulement surdimensionné, mais hors d'atteinte, vu l'état de l'entreprise ? Cela ne ressort pas tout à fait de votre rapport. Vous êtes-vous dit parfois qu'on vous faisait faire une étude par rapport à un business plan qui ne pouvait pas être mis en œuvre par la société telle qu'elle fonctionnait ?

M. Laurent DERIVERY : Je répondrai plusieurs choses à ce sujet. La DGAC nous a demandé de faire un résumé du rapport détaillé qui soit, disons, un peu plus « politiquement correct » que le rapport développé, qui, lui, a été tiré à quatre exemplaires seulement.

Nous y mettions en avant un certain doute quant aux hypothèses avancées. Nous le disions sous une forme...

M. le Rapporteur : Oui ! Sous une forme..., comme vous dites !

M. Laurent DERIVERY : Attendez ! C'était détaillé. On se demandait par exemple si le prix moyen coupon allait être capable d'augmenter de 30 % en tant de temps.

M. le Président : C'est-à-dire que vous répondez : « Oui, si... »

M. Laurent DERIVERY : Pour savoir si la compagnie pouvait arriver à être intéressante, il y avait deux choses importantes à nos yeux.

La première était de savoir si elle pouvait et devait avoir le financement nécessaire. Etait-ce un bon arbitrage d'investissement ? Il fallait en effet mettre vraiment beaucoup, beaucoup d'argent.

La seconde question était de savoir si elle avait la capacité de gérer ce type de transformation. Il était clair que, vu le management de la compagnie, en termes de surcharge, de nombre de gens et de capacité à gérer des transformations aussi lourdes, il y avait de fortes interrogations.

Ce point a été nettement abordé lors de notre comité de pilotage de restitution, avec d'ailleurs toutes les autorités de tutelle, qu'il s'agisse du ministère des Finances ou...

M. le Rapporteur : Mais l'avez-vous écrit ?

M. Laurent DERIVERY : Cela ne figurait pas dans les quatre questions posées par la DGAC.

M. le Rapporteur : D'accord, mais vous êtes trop prudents et trop fins connaisseurs des pratiques de votre métier pour ne pas commencer par un long préambule, comme en font tous les auditeurs, en disant, d'abord que vous n'avez eu que quinze jours, que vous avez travaillé jour et nuit, que vous étiez dépendants des informations qui vous avaient été fournies....

Ont-elles été fournies d'ailleurs ? C'est une des questions que je voulais vous poser. Est-ce qu'Air Lib a été capable de vous transmettre dans un délai court, voire très court, l'ensemble des informations que vous avez demandées ?

M. Laurent DERIVERY : Un de mes préalables a été de dire que certaines informations n'existaient pas, notamment parce qu'il y a eu de la perte sur l'historique.

M. le Président : Lesquelles, par exemple ?

M. Didier BRECHEMIER : Au niveau des ressources humaines, tout ce qui concerne les connaissances fines des âges pour le calcul exact des coûts liés à une réadaptation du personnel, ou ce qui concerne, en termes d'exploitation, les heures machines qu'il a fallu reconstituer sur la base de la consolidation des différents historiques pour connaître l'utilisation des machines et l'adéquation des heures de vols théoriques et réalisées par rapport aux standards du marché. Les informations de ce type nous auraient été nécessaires. D'un autre côté, l'entreprise a toujours été très ouverte. La difficulté était d'avoir des informations dont elle ne disposait pas nécessairement.

Ensuite, on a travaillé sur le business plan V 4 ter qui était en perpétuelle évolution sur l'avenir, ce qui était dû notamment à la course nécessaire d'Air Lib, par rapport à l'adéquation de ses marchés à un moment donné.

M. le Rapporteur : Avez-vous travaillé dans ces compagnies ou avez-vous été consultants de ces compagnies ?

M. Laurent DERIVERY : Les deux.

M. le Rapporteur : Donc, vous savez de l'intérieur ce que c'est qu'une compagnie.

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Quand vous demandez des informations aussi élémentaires que celles que vous évoquez et qu'on n'est pas capable de vous les donner - parce qu'elles n'existent pas dans la compagnie - , vous ne vous inquiétez pas et vous ne vous posez pas la question dans le préalable de l'audit que vous allez remettre, en écrivant que, manifestement, la compagnie n'a pas les outils de gestion de base ? C'est tout de même important pour les pouvoirs publics qui sont en train de se demander si on prolonge un prêt de 30,5 millions d'euros !

M. Laurent DERIVERY : Enfin... Oui. Et d'ailleurs, c'est un des points de notre conclusion.

M. le Président : Voyons cela.

M. Laurent DERIVERY : Cela apparaît à la page 11 de la synthèse, de manière elliptique. Nous disons que l'organisation de la structure doit être améliorée en termes de pilotage stratégique et opérationnel et de contrôle de gestion.  En effet, il est clair que...

M. le Rapporteur : Vous le dites avec une prudence quasiment ecclésiastique ! Je lis le deuxième paragraphe de votre synthèse, p. 11 : « Les incertitudes actuelles obèrent l'appréciation de la stratégie moyen terme. Cependant, les savoir-faire des professionnels de cette entreprise, le potentiel certain du nombre de créneaux sur Orly et les opportunités du marché, notamment Air Lib Express et l'Algérie, devraient constituer les fondements d'une exploitation rentable. »

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Quand vous écrivez cela, ça veut dire que vous pensez que l'entreprise est viable et peut s'en tirer ?

M. Laurent DERIVERY : Attendez... J'aimerais bien qu'on lie ces phrases aux deux paragraphes qui suivent, qui disent « pour cela, de nombreux gains de rentabilité restent à réaliser. » Quand on regarde l'exercice qu'a mené Swissair, ils sont maintenant rentables, mais ils ont mis...

M. le Rapporteur : Quand nous avons interrogé les responsables de la DGAC, que nous ont-ils dit ? Qu'ils ont demandé à un organisme indépendant de leur faire un audit et que cet audit a démontré que l'entreprise pouvait être sauvée. C'est en effet votre conclusion.

Et quand nous interrogeons les pouvoirs publics en leur demandant pourquoi et sur la base de quels éléments ils ont renouvelé un prêt, leur réponse est la suivante : KPMG Consulting France, à travers le rapport qu'ils nous ont remis, concluait que l'entreprise pouvait être sauvée. C'est d'ailleurs ce que vous avez écrit dans votre conclusion.

M. Didier BRECHEMIER : La DGAC ou une personne qui consolidait l'information, puisque les audits ont été parcellaires sur les différents périmètres, pouvait tirer des conclusions qui ne nous ont pas été demandées : l'entreprise pouvait être sauvée à condition d'une restructuration lourde.

Mais avait-on les moyens de cette restructuration ? On ne nous l'a pas demandé.

M. le Rapporteur : Mais vous n'avez pas chiffré quel était le coût, en termes de machines, de l'adaptation du parc machines au marché ? Vous n'avez pas, à ma connaissance, à travers ce que j'ai lu de votre rapport, quantifié quel était le coût des licenciements.

M. Didier BRECHEMIER : Si, tout cela a été chiffré.

M. le Rapporteur : Et l'entreprise avait-elle les moyens de prendre ces mesures ?

M. Laurent DERIVERY : Tout cela a été chiffré dans les rapports que vous avez.

M. le Rapporteur : Mais quand on lit la synthèse, c'est-à-dire le document...

M. Laurent DERIVERY : Il y a deux synthèses.

M. le Rapporteur : Vous ne posez pas la question de savoir si l'entreprise a les moyens humains, en termes de gestion.... Vous faites une petite réserve, vous mentionnez quelques incertitudes, mais vous ne remarquez même pas que les outils de base de la gestion font défaut. Et vous êtes des professionnels de l'audit ? Et deux d'entre vous ont même travaillé dans des compagnies ?

M. Didier BRECHEMIER :Tous ces éléments ont été chiffrés et si vous regardez la synthèse qui est...

M. le Rapporteur : Ce n'était pas l'entreprise qui vous commandait cette étude, c'était l'Etat !

M. le Président : Nous vous comprenons bien, nous avons lu attentivement vos conclusions et notamment ce « peuvent faire entrer la compagnie dans un cercle vertueux », c'est-à-dire que vous répondez « Oui, si... ». Nous sommes d'accord ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Président : Mais ce que nous voulons dire, les uns et les autres, c'est que nulle part il n'apparaît dans ce rapport - ce qui paraît important, même si ce n'est pas la question qui vous avait été posée de manière précise - que les informations de base n'étaient pas à votre disposition, parce qu'elles n'existaient pas. C'est tout de même assez important. Saviez-vous, par exemple, qu'il y avait quatre-vingts, ou plus exactement soixante-seize pilotes qui ne travaillaient pas ?

M. Didier BRECHEMIER : Tous ces calculs ont été analysés et figurent dans le rapport.

M. le Président : J'entends bien, mais...

M. Didier BRECHEMIER. Oui, nous le savions.

M. Laurent DERIVERY : C'est à la page 58.

M. le Président : J'ai vu aussi que vous avez évalué à 25,6 millions d'euros les problèmes concernant le personnel. Mais nous ne voyons apparaître nulle part les difficultés que vous avez eues pour conclure votre étude en quinze jours. La lecture du rapport donne l'impression qu'on se base sur le business plan qui a été établi - mais est-il bon ? Si demain il ne pleut pas et si je pars pendant trois semaines et s'il fait un soleil magnifique, je peux en effet revenir tout bronzé de mes vacances... C'est un « si » qui tient à des conditions tellement aléatoires qu'il est extrêmement difficile d'en apprécier la possibilité !

Or nulle part, on ne voit réellement ressortir les difficultés que vous avez rencontrées pour réaliser cette étude en quinze jours. Pour ma part, je suis impressionné que vous ayez réussi, même à vingt, à pouvoir rendre en quinze jours une conclusion sur la viabilité de la société. Il y a des moments, parfois, où l'on peut répondre que le temps manque et qu'il faut huit jours de plus.

M. Laurent DERIVERY : La question n'était pas : la société est-elle viable ou non ? La DGAC ne nous a pas posé cette question-là.

M. le Président : Est-il possible d'avoir la lettre de mission qui vous avait été adressée par la DGAC ? Pouvez-vous nous la transmettre ?

M. Didier BRECHEMIER : Le résumé de cette lettre figure à la page 2 de la synthèse intitulée « Contexte de l'étude ». Il y avait quatre sujets :

- évaluer précisément et vérifier l'adaptation des moyens de production de la compagnie à ses marchés,

- apprécier la viabilité à terme de l'activité Air Lib Express dans sa configuration présente,

- évaluer la capacité de développement de la desserte de l'Algérie et les conséquences du partenariat avec Khalifa Airways,

- apprécier la viabilité à terme de la desserte des DOM dans sa configuration présente et les éventuelles modifications à apporter pour la rendre équilibrée.

Il y avait quatre questions posées par la DGAC ; nous avons apporté quatre réponses.

M. le Rapporteur : Oui, mais en réponse à la question sur l'adéquation des moyens de production aux marchés, vous dites, si on prend la synthèse, que la flotte est surdimensionnée - vous le quantifiez ainsi : trois en long-courrier et deux sur le court et moyen courrier - et qu'il n'y a qu'à dénoncer les contrats ; il s'agissait pour la plupart d'entre eux de contrats de leasing.

Vous mentionnez ensuite un sureffectif de personnel. Vous estimez, pour simplifier, à vingt-six millions le coût des licenciements. Par parenthèse, quand vous dites à propos du personnel navigant technique que, d'après vos calculs, on est à cinquante-huit personnes en sureffectif, je vous signale que les syndicats sont venus nous dire, à nous, qu'il y avait près de quatre-vingts pilotes qui étaient payés depuis un an à ne rien faire.

Quand vous avez posé ces questions, avez-vous demandé quel était le nombre d'heures pour l'ensemble du personnel navigant technique ? Il n'y avait pas besoin de se fatiguer : il y en avait quatre-vingts qui ne volaient pas et étaient payés à rester chez eux. Je vous ai cité mes sources.

M. Didier BRECHEMIER :Oui.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu ces éléments pendant vos quinze jours de travail ? Avez-vous demandé, ce qui est tout bête, les heures de vol pilote par pilote ?

M. Didier BRECHEMIER : Absolument.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu ce chiffre ?

M. Didier BRECHEMIER : Si vous allez à la page 21 du document général, vous aurez toutes les informations analysées par secteur d'activité.

M. le Rapporteur : Oui, mais avez-vous eu le listing analytique ? Parce que ce que vous mentionnez, ce sont des synthèses. Connaissiez-vous, pour les derniers mois, le nombre d'heures de vol par pilote ? Je ne parle pas de taux moyens, mais bien de taux analytiques. Aviez-vous cette information et saviez-vous que, d'après ce que nous ont dit les syndicats, quatre-vingts pilotes ne volaient pas ? Est-ce que vous le saviez ?

M. Frédéric FOUCHET : On n'a pas eu l'information directe qu'il y avait quatre-vingts pilotes qui ne volaient pas. Mais on a eu différentes informations, notamment des états de vol mensuels moyens pour l'ensemble des personnels en fonction de leur classification (commandant de bord, copilote, chef de cabine, hôtesse et steward). Notre démarche, face à ces chiffres, a été de déterminer en moyenne quel était le nombre d'heures de vol réalisées par tête, pour vérifier s'il correspondait à des standards usuels du marché. Notre conclusion a été qu'ils étaient très faibles. Pour prendre un exemple précis, sur A340, le nombre d'heures de vol par mois pour un commandant de bord était de quarante-cinq, ce que nous avons signalé, alors que la cible était de soixante à soixante-cinq heures de vol par mois, sans qu'on puisse dire qu'il s'agissait d'un objectif inatteignable.

Ensuite, nous avons pris en compte des phénomènes qualitatifs qui correspondaient à différentes populations. Pour prendre l'exemple précis du personnel Fokker 100, que les syndicats ont probablement évoqué devant vous, il s'agissait de vingt-quatre personnels navigants techniques, qui, du fait de la disparition du secteur, ne pouvaient, de fait, voler puisqu'ils n'étaient plus qualifiés sur aucune machine exploitée par Air Lib. La réponse qui nous a été apportée, quand nous nous sommes interrogés sur l'avenir de ces pilotes, était qu'ils étaient intégrés au secteur MD80, mais ne volaient pas encore sur ce secteur, puisqu'ils étaient en cours de requalification. Une qualification machines dure trois à quatre mois et représente un coût assez lourd pour la société.

M. le Rapporteur : En effet.

M. Frédéric FOUCHET : En ce qui concerne le non-emploi d'un certain nombre de pilotes, une étude portait sur le secteur A340 et nous l'avons citée dans le rapport. Ce secteur A340 était dimensionné pour trois appareils, à raison de neuf équipages par appareil. Sachant que ce secteur A340 desservait essentiellement la Réunion, et qu'en raison des contraintes réglementaires, ce vol doit se faire en équipage renforcé, on compte un commandant de bord et un copilote de renfort sur ces vols. Or il n'y avait que deux appareils sur les trois, donc mathématiquement, on aboutissait à un surplus de neuf équipages sur le secteur A340, qui ne volaient pas ou volaient peu et contribuaient à la chute de la moyenne des heures de vol mensuelles.

On a également porté cette réflexion sur les personnels navigants commerciaux et on a clairement identifié un sur-encadrement d'une dizaine de personnes de ce secteur. Nous avons ainsi constaté dans la gestion de l'entreprise qu'un certain nombre de personnels navigants ne volaient pas, pour la raison que j'ai citée tout à l'heure et étaient occupés à d'autres tâches, notamment des fonctions d'encadrement au sol. Mais le chiffre de quatre-vingts ne nous a pas été communiqué.

En cas de sureffectif, il y a deux manières de procéder : quand on doit faire soixante heures de vol par mois et qu'on a deux personnes, soit une personne fait soixante heures et l'autre zéro, soit chacun fait trente heures.

M. le Rapporteur : Ce que je trouve étonnant, car j'ai moi aussi fait de l'audit, dans ma vie, et cela pendant dix ans, c'est que des questions aussi basiques, comme de savoir quel est le temps de vol sur les trois derniers mois de chacun des pilotes n'aient pas été posées. Si vous l'aviez fait, vous auriez eu cette information. Ce sont des pilotes d'Air Lib qui sont venus nous raconter cela. Et vous auriez trouvé le même type d'information auprès du personnel navigant commercial.

Pour revenir sur les surcapacités et les coûts, il y avait un autre problème : la compagnie était-elle capable de dégager les moyens suffisants pour financer la dénonciation des contrats sur au moins cinq appareils et procéder à des licenciements pour vingt-cinq ou vingt-six millions d'euros ? Car il y aurait naturellement eu négociation et plan social.

Ce que je trouve étonnant, c'est que vous n'ayez pas dit : peuvent-ils aujourd'hui faire cela, alors qu'après un an de gestion, ils ont maintenu cette situation ?

M. Christian PHILIP : J'aimerais prolonger la question du Rapporteur. A la question « Air Lib peut-il évoluer ? » vous répondez : « Oui, si... ». Pourquoi n'avez-vous pas dit à la DGAC : « Non,  car il y a trop de conditions pour que ce « si » devienne crédible ». Il y a en effet trop de facteurs à réunir, si l'on tient compte du fait que, depuis un an, la situation n'a pas évolué. Ne peut-on pas attendre parfois ce type de réponse d'un audit : qu'il réponde « Attention, danger ! » ?

M. Laurent DERIVERY : La question a été abordée lors du comité de pilotage au cours duquel nous avons remis nos premières conclusions, c'est-à-dire les éléments bruts. La question posée a été « Pensez-vous qu'Air Lib peut y arriver ? » Notre sentiment était double : Air Lib ne pouvait y arriver qu'avec beaucoup d'argent, et que se posait véritablement la question de savoir si l'investissement de la même somme dans une autre compagnie, une compagnie nouvelle, avec des fondamentaux différents, ne serait pas plus rentable. Mais cette décision n'était pas de notre ressort. C'était un arbitrage d'investissement sur lequel le bailleur de fonds, quel qu'il soit, devait s'interroger, dans la mesure où nous pensions que cet investissement serait de toute façon très risqué.

Le second point était de savoir si le management d'Air Lib, selon nos estimations, avait les moyens de gérer à la fois sa survie et sa transformation pour arriver à cette situation. Notre réponse était non.

M. le Président : Nous comprenons bien ce que vous dites, mais ce qui nous interpelle - nous recherchons les raisons de toutes ces décisions ou non-décisions qui ont été prises, aussi surprenantes les unes que les autres - c'est que votre conclusion de la page 11, en réalité, ne correspond pas aux différents éléments que l'on rencontre, page par page, concernant la nécessité de plans de redressement, de licenciements ou d'entrées de capitaux. Or le drame est que ce sont souvent les conclusions dont se servent, pour travailler, les journalistes ou les personnes qui communiquent. Votre rapport n'a été édité qu'à quatre exemplaires.

M. Didier BRECHEMIER : Permettez-moi de vous interrompre. Les journalistes ont toujours mentionné dans les différents articles des besoins de restructuration lourds, forts, en adéquation avec le rapport de KPMG. Ils ont donc eu d'autres interprétations que celles qui concluaient à la viabilité d'Air Lib.

M. Gilbert GANTIER : Vous avez dit qu'au fond, la question posée par la DGAC, donc par le gouvernement était : est-ce qu'Air Lib peut s'en sortir ? C'est bien cela ?

M. Laurent DERIVERY : Non, ce n'est pas la question qui nous était posée.

M. Gilbert GANTIER : Quelle était exactement cette question ?

M. Laurent DERIVERY : Il y avait quatre questions.

Il faut bien voir que pendant cette même période, il y avait plusieurs missions mandatées par la DGAC. Il y avait notamment une mission liée à la trésorerie et aux moyens financiers d'Air Lib, mission confiée à un cabinet d'audit. Nous, la question qui nous était posée était celle-ci : donnez-nous les informations de base par ligne, par marché, et sur quatre points. C'était tout.

A la limite, la mission, telle que je l'avais comprise, était que la DGAC assurait la consolidation avec une vue financière côté Mazars, pour arriver à en tirer une conclusion.

M. Gilbert GANTIER : On vous a donné quinze jours pour mener à bien ce contrat. Vous avez mobilisé un personnel très important de KPMG.

M. Didier BRECHEMIER : Une quinzaine de personnes.

M. Gilbert GANTIER : Pendant quinze jours et à temps presque complet. C'est donc une affaire importante. Mais je voudrais savoir s'il y avait une mission définie en une, deux, trois, dix lignes et si cette mission apparaissait quelque part.

M. le Président : Nous allons avoir la lettre de mission.

M. Didier BRECHEMIER : La DGAC a dû vous la transmettre.

M. le Président : Non, pas encore.

M. Frédéric FOUCHET : Puisqu'il s'agissait d'un marché public, il y a eu un cahier des clauses techniques particulières pour cette intervention.

M. le Président : Nous vous demandons de nous transmettre la lettre de mission avec le cahier des charges correspondant.

La surprise des différents commissaires tient à ce qu'à partir d'une lettre de mission encadrée par quatre questions précises, qui n'appelaient peut-être pas une réponse ex abrupto par oui ou par non, on attendait de l'étude une certaine objectivité, certaines conditions liées au passé, certaines autres qui tiennent au présent et une extrapolation qui touche à l'avenir. Et cela, c'est une ambiance, dans le cadre de l'audit que vous réalisez, qui ne peut pas vous échapper. Ce que nous trouvons étonnant, c'est que cela ne ressorte pas de manière suffisamment précise, dans votre rapport, alors que dans vos propos, cela ressort très clairement.

M. Didier BRECHEMIER :Sur quels éléments est-ce que cela ne ressort pas ?

M. le Rapporteur : Je vais reprendre chacun de ces quatre points dont vous parlez.

Premier point : il s'agissait d'« évaluer précisément et [de] vérifier l'adaptation des moyens de production de la compagnie à ses marchés ». Votre conclusion est très simple : il y a une surcapacité avions et une inadéquation de la flotte, et en outre un sureffectif que vous évaluez, pour les pilotes, à cinquante-huit, je crois.

M. Laurent DERIVERY : C'est lié au business plan.

M. le Rapporteur : Les syndicats sont venus nous dire que le sureffectif allait bien au-delà. Pour que des syndicats de pilotes viennent nous le dire, il fallait que vous fussiez bien en dessous de la réalité ! Voilà pour la réponse à la première question.

La deuxième était : « apprécier la viabilité à terme de l'activité Air Lib Express dans sa configuration présente ». Là, vous répondez que l'opération a été lancée trois ou quatre mois plus tôt et que les résultats commerciaux sont globalement bons, mais qu'ils varient selon les lignes. Toutefois, on n'atteint pas l'objectif « bas prix, bas coûts », car les prix sont plus bas que prévu, mais les coût sont toujours hauts. Le problème est donc de savoir comment on fait pour réduire les coûts et pour augmenter la recette moyenne. Sur la recette moyenne, je trouve votre diagnostic un peu imprudent puisque vous dites qu'il faut augmenter la recette moyenne d'au moins 20% pour équilibrer, parce que ce nouveau produit est encore en train d'enterrer un peu plus la compagnie, et baisser les coûts.

Vous écrivez, page 5 de votre synthèse : « L'augmentation des ressources est soumise à de nombreuses hypothèses. Il est à noter que le positionnement d'Air Lib, bien que risqué, est novateur par rapport aux expériences passées des structures Air Liberté et AOM, principalement cristallisées sur les destinations DOM, charter sur le bassin méditerranéen et vols domestiques. »

Mais, entre nous, quand on lit votre rapport, c'est clair : la compagnie a une structure de coût totalement inadaptée à un tel produit !

Et comment obtiendrez-vous ces bas coûts et ces bas prix dans une compagnie qui vient, en plus, de renégocier à la hausse ses conventions collectives, puisqu'il a fallu les fusionner ? La compagnie perd déjà douze millions d'euros par mois, on augmente encore le coût unitaire et vous ne le dites pas ? Je trouve cela étonnant.

M. le Président : Voilà ce que, nous tous, nous trouvons étonnant.

M. le Rapporteur : Vous dites qu'il faut augmenter les revenus et vous laissez croire que c'est possible, bien que ce soit bien difficile. C'est du moins ce que vous mettez dans le paragraphe « Augmenter les revenus ».

M. Didier BRECHEMIER : Si on rentre dans l'analyse et qu'on travaille poste par poste, ce n'est plus un élément, mais une somme d'éléments à réunir pour réussir à se rapprocher d'un modèle de bas-coûts désagrégé, comme celui d'EasyJet à l'heure actuelle...

M. le Rapporteur : Mais ce qui est contradictoire dans votre audit, c'est que vous dites : « pour réussir sur ce nouveau produit, bas coûts bas prix, il faut des bas coûts »...

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Rapporteur : Or ils ne sont ni dans l'organisation, ni dans les coûts unitaires. De plus, pour avoir un succès commercial en termes de fréquentation, on a lâché encore plus que prévu dans le business plan sur les prix. Parce qu'on peut toujours remplir des avions : à un euro la place, ce ne serait pas difficile ! Mais vous n'avez pas été, sur la deuxième question qui vous était posée, au bout de votre analyse. Et la DGAC a retenu qu'on pouvait s'en tirer !

Sur la troisième question, le problème algérien et les relations avec Khalifa Airways, vous dites que l'Algérie représente un peu plus de 4% du chiffre d'affaires et que la compagnie gagne sa vie. Tout le monde fait le même diagnostic sur ce point, y compris maître Lafont, que nous venons d'auditionner. Simplement on vous avait demandé de préciser les relations avec Khalifa...

M. Didier BRECHEMIER : Il y avait deux contrats : un contrat de vendeur et un contrat d'assistance en escale.

M. le Rapporteur : Voilà. A cet égard, je n'ai pas très bien compris vos conclusions. Ces relations avec Khalifa Airways étaient-elles à vos yeux des relations normales ? Quel était votre diagnostic ?

M. Didier BRECHEMIER : Je cite le rapport final : « L'exploitation des liaisons entre la France et l'Algérie, et en particulier entre Paris et Alger, représente une opportunité unique pour Air Lib. Des résultats d'exploitation encourageants préconisent une rentabilité des dessertes algériennes à court terme. Le développement du trafic Sud-Nord constitue le prochain défi sur ce marché très rentable. Le partenariat établi avec Khalifa Airways se focalise aujourd'hui sur la distribution commerciale des vols Air Lib en Algérie. Une relation plus forte est envisagée pour desservir, au départ de Paris, des localités de la province algérienne.

« Présent sur des liaisons « province-Algérie », Khalifa Airways pourrait voir évoluer son rôle de représentant commercial à compétiteur direct en cas de vol entre Paris et Alger. Afin de mieux connaître ce marché stratégique et d'anticiper tous scenarii futurs, la direction d'Air Lib a ouvert une représentation commerciale propre à Alger, première étape d'une implantation plus forte en Algérie. 

Conclusion : maintenir les lignes sur l'Algérie et mettre en place une supervision renforcée de la commercialisation par Khalifa. »

M. le Rapporteur : Oui, mais vous ne répondez pas à la question posée sur les relations Air Lib-Khalifa Airways. Quel est votre diagnostic sur ce point ? Quand on lit votre rapport, on ne sait pas bien quelles sont vos conclusions.

M. Didier BRECHEMIER : Dans le rapport global, l'ensemble des éléments sur l'Algérie figure aux pages 113-124. Pour expliciter l'ensemble du contrat commercial, nous écrivons :

« Air Lib a signé deux contrats avec la compagnie [Khalifa Airways]. Le contrat commercial est un contrat de GSA. D'après les informations fournies par les dirigeants d'Air Lib, ce contrat a une durée illimitée, avec une période de préavis pour son interruption de trois mois. Il porte sur l'ensemble des ventes effectuées par les cinquante agences du réseau Khalifa et des autres agences IATA présentes sur le territoire. Sont exclues toutes les ventes réalisées directement par Air Lib. Le GSA perçoit pour son activité une rémunération variable en fonction des ventes. Air Lib reconnaît une commission de 2,5 % sur la valeur nette du coupon (les taxes ne sont pas prises en compte). Le coût total supporté par Air Lib sur cette typologie de vente est de 11,5 (9 % de commission aux agences, qui est le taux IATA, et 2,5 % de commission GSA). Khalifa Airways ne perçoit aucune indemnité fixe. »

M. le Rapporteur : Oui, c'est ce que vous indiquez en conclusion, pour répondre à l'une des questions qui vous était posée. Mais en lisant cela, je n'ai pas compris ce que vous préconisiez.

M. Didier BRECHEMIER : Le maintien des lignes.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de critique ni, à l'inverse, de jugement positif, indiquant par exemple qu'il s'agit d'un bon accord ? (Silence)

Vous écrivez dans votre synthèse que « La stratégie d'Air Lib, par la mise en œuvre d'une structure locale afin de limiter l'opportunisme de Khalifa et de mieux comprendre le marché, est adaptée. Il sera important de maintenir un contrôle sans faille sur les modes de gestion en Algérie. » Qu'entendiez-vous par là ?

M. Didier BRECHEMIER : Il y avait, avec Khalifa, un contrat de distribution qui était adapté à la structure et qui avait le mérite d'exister. Khalifa était en effet un concurrent potentiel sur la destination Paris. Il fallait donc, dans ce cadre, rechercher une diversification avec un autre partenaire en termes de distribution et surtout avoir une structure de supervision et de contrôle en local, de manière à éviter des asymétries d'information entre le partenaire Khalifa et la compagnie aérienne. Cet accord sous-jacent avec Khalifa correspondait aux règles et aux lois du marché, compte tenu des taux connus par les professionnels du marché, nous citons les taux IATA et la commission de 2,5 % supplémentaires. Ce rapport s'adresse d'ailleurs à la DGAC et ces taux lui sont parfaitement connus. D'un autre côté, dans le mode de fonctionnement prévu avec Khalifa, il y avait des risques liés à l'asymétrie d'information et à un opportunisme possible de Khalifa...

M. le Rapporteur : Vous ne vous mouillez pas dans votre diagnostic. Vous ne dites pas : « nous, nous pensons qu'il faut rompre progressivement les liens avec Khalifa. »

M. Didier BRECHEMIER : Ce n'est pas notre conclusion.

M. le Rapporteur : Elle n'est pas très claire, votre conclusion.

M. Laurent DERIVERY : Le contrat devait être maintenu, mais il fallait gérer les risques. La compagnie Khalifa ne risquait-elle pas de dire un jour : « je bascule, et tout est pour moi» ?

M. le Rapporteur : Bon.

Et puis, il y avait la quatrième et dernière question qui vous était posée, sur la viabilité à terme de la desserte des DOM . Là, il ne s'agissait plus des 4 % de la ligne algérienne !

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Rapporteur : Les DOM devaient représenter presque un tiers du chiffre d'affaires. C'était donc considérable. Or vous dites que ce secteur est structurellement déficitaire. Et vous observez que certaines mesures doivent être approfondies, mais que « la mise en œuvre de ces mesures implique un besoin de fonds de roulement important. »

M. Laurent DERIVERY : Là, la conclusion est assez claire : il faut fermer. Le gros problème que cela pose à Air Lib, c'est qu'on renforce une problématique clé, touchant la base des coûts dont on dispose.

En effet, ce domaine est structurellement déficitaire : s'il n'est pas subventionné par les collectivités territoriales, ou par un autre mode, il est déficitaire. Il faut donc fermer. Mais si on ferme, il reste de nombreuses ressources partagées par l'ensemble des lignes qui vont obérer la rentabilité des autres lignes.

M. le Rapporteur : Mais lorsqu'on lit les éléments qui figurent dans votre rapport, on ne les trouve pas cohérents avec votre conclusion. In fine, on lit : « si on doit fermer la totalité des DOM, il y aura un tiers du chiffre d'affaires en moins ». Sur le deuxième point, le grand espoir d'Air Lib Express n'est pas rattrapable, parce qu'il faudrait prendre des mesures tellement drastiques pour abaisser les coûts et qu'on n'arrivera pas à ré augmenter sensiblement le mixte tarifaire. Vous dites ensuite que les nouveaux produits sont des gouffres, qu'un tiers est un gouffre irrécupérable (les DOM). Je ne comprend pas que vous n'ayez pas répondu au ministre : « Vous nous avez demandé de livrer en quinze jours, avec des difficultés d'accès aux informations, le système d'information dans la compagnie étant de toute façon inadapté à une réponse fiable dans des délais aussi rapides.

« Les nouveaux produits n'ont pas les caractéristiques permettant d'être rentables. Il faut abandonner l'ensemble des DOM. Le coût des licenciements, dans ce cas, excède les vingt-neuf millions qui ne portent que sur les surcapacités actuelles. Il faut tenir compte du fait qu'il faudra licencier un tiers du personnel, qui est affecté à la desserte des DOM. Il faut revendre les avions. »

Pourquoi n'avez-vous pas dit que l'entreprise n'était pas viable en l'état ? Les représentants de la DGAC nous ont dit ici-même - et c'est pour cela que nous avons tenu à vous auditionner - que le rapport fourni par KPMG concluait que l'entreprise pouvait être sauvée. Or, après un examen détaillé, il apparaît que l'entreprise ne peut pas l'être.

C'est pourquoi je voudrais que maintenant que vos deux collègues, monsieur le directeur, répondent à la question très simple que je vais leur poser. Vous avez travaillé quinze jours avec de nombreux collaborateurs, quelle était votre appréciation personnelle - dans un groupe, tous n'ont pas nécessairement la même appréciation - sur la viabilité de cette compagnie ?

M. Didier BRECHEMIER : En dehors du rapport d'audit qui a été fait, vous me demandez une appréciation personnelle ? Nous sommes bien d'accord ?

M. le Rapporteur : Oui. A travers tout ce que vous avez vu...

M. Didier BRECHEMIER : En dehors, donc, des quatre questions qui nous étaient posées ?

M. le Rapporteur : Ces quatre questions sont tout de même des sous-éléments qui permettent de répondre à la question que je vous pose.

M. Didier BRECHEMIER : Ce sont des éléments d'une conclusion à tirer, parmi d'autres, compte tenu du fait que nous n'avons pas les éléments financiers pour savoir si la compagnie avait les moyens ou pas de mettre en œuvre les plans de restructuration proposés à l'intérieur du document.

M. le Rapporteur : Vous saviez tout de même qu'il n'y avait pas de banquier : vous lisez la presse !

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Rapporteur : Ce n'était pas dans votre mission, c'est vrai. Mais vous lisez la presse, quand même ?

M. Didier BRECHEMIER : Enfin...

M. le Rapporteur : Ces éléments sont dans la presse.

M. le Président : M. Bréchemier peut-il répondre à la question qui lui est posée ?

M. Didier BRECHEMIER : Mon sentiment, c'est que l'entreprise était viable, avec une restructuration très importante. Le management au niveau opérationnel avait fait des efforts excessivement importants pour réadapter notamment le produit Air Lib Express, qui avait les caractéristiques, au niveau du produit soft, c'est-à-dire en termes de volonté de distribution de ce produit et de caractéristiques de service à bord. Il y manquait un certain nombre d'attributs primordiaux, notamment les coûts liés à la maintenance, à la typologie d'avions et aux structures de rémunération des navigants et de leur utilisation ; je ne parle pas seulement de salaires, mais du nombre d'heures moyen. Si l'on prend l'ensemble de ces items, avec une restructuration ordonnée suivant deux pôles et deux grands centres de lignes (l'Express et l'autre exploitation), en y injectant l'ensemble des capitaux, avec une banque derrière, je pense intimement qu'il était possible de sauver cette entreprise, oui.

M. le Président : C'est-à-dire que c'était très bien si on changeait tout ?

M. Didier BRECHEMIER : C'était très bien si on changeait énormément de choses. On était dans un contexte où Air Lib avait la chance formidable d'avoir des créneaux sur Orly. C'était là un pas-de-porte extraordinaire.

M. le Président : Nous avons bien compris. C'était très bien si on changeait tout. C'est votre conclusion.

M. Didier BRECHEMIER : C'était très bien si on changeait beaucoup de choses, sachant qu'on avait des professionnels qui, dans l'entreprise, savaient faire fonctionner...

M. le Président : Nous avons bien compris.

M. le Rapporteur : Mais voilà un an qu'ils gèrent et ils n'ont rien appliqué de ce que vous dites...

M. Didier BRECHEMIER : Dans le cadre de cet audit, nous n'avons pas pu suffisamment croiser les directives et évaluer les plans d'entreprise, pour pouvoir juger ce qui a été fait par le management au plus haut niveau, dans cette structure.

M. le Rapporteur : Vous êtes un ancien d'une compagnie aérienne, vous voyez que depuis des mois, il y a des sureffectifs considérables, mais qu'on ne fait rien, qu'on ne réduit pas les effectifs et vous ne vous dites pas qu'on va dans le mur ?

M. Didier BRECHEMIER : Je dis qu'il faut réduire.

M. le Rapporteur : Mais cela fait un an qu'on ne le fait pas !

M. le Président : Monsieur Derivery, quelle est votre appréciation personnelle sur la viabilité de l'entreprise ?

M. Laurent DERIVERY : J'ai surtout une vision de la manière dont on gère un projet de transformation majeur et de l'arbitrage financier qu'il faut faire. Le problème n'est pas seulement de savoir si l'entreprise est rentable, mais de savoir si, en injectant la même somme dans une autre entreprise, on n'obtiendrait pas de meilleurs résultats.

En ce qui concerne la première question, je suis, je l'ai dit à la DGAC, très sceptique sur la capacité de la compagnie à gérer un projet de transformation majeur.

M. le Président : Vous l'avez dit à la DGAC ?

M. le Rapporteur : Lors de la restitution ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Président : Pourquoi est-ce que cela ne figure pas dans vos conclusions ?

M. Laurent DERIVERY : Ce n'était pas la question qu'on nous avait posée. Nous étions dans le contexte très encadré d'un marché public. En outre, sur quinze jours, nous avons eu tout juste le temps de répondre à ces questions, et pas forcément à toutes les questions possibles et imaginables. Nous avions donc la volonté de répondre aux questions qui nous étaient posées. Nous n'avions guère de temps complémentaire pour répondre éventuellement à d'autres questions. Nous sommes restés à la disposition de la DGAC et de l'Etat pour répondre à des questions complémentaires, qui touchaient plus à l'interprétation de notre rapport. Mais nous nous devions de rester dans le cadre qui nous était imposé et la mission qui nous était confiée.

Je pense que la compagnie avait un gros problème pour gérer un programme de transformation majeur. Pour ma part, je ne suis pas un expert international de l'évaluation de l'actif que peuvent constituer les créneaux d'Orly, qui représentent un actif fabuleux versus l'argent qu'il faut mettre. Autrement dit, je ne sais pas peser le fait de savoir s'il vaut mieux recréer une compagnie avec 300 millions d'euros ou s'il faut garder cet actif et y injecter ces 300 millions d'euros. Mais j'ai fait, comme vous, le constat qu'il s'agissait de sommes colossales, en termes de redimensionnement de la compagnie. A mon sens, il restait enfin un élément délicat : le choix du moment où l'on arrêterait, sachant que les implications sur les personnels étaient très douloureuses.

M. le Président : Monsieur Fouchet, je vous pose la même question qu'à vos deux collègues : quel est votre avis personnel sur les capacités de redressement de la société ?

M. Frédéric : Je vais répondre en deux temps.

Toutes choses égales par ailleurs et indépendamment du besoin de financement, le projet de repositionnement d'Air Lib, sur les trois marchés (l'Algérie, le produit Express et le produit long courrier) me paraissait, indépendamment de l'historique et des besoins de financement, quelque chose de viable, à une condition expresse, qui était de séparer l'activité court et moyen courrier (Air Lib Express et l'Algérie) du long courrier. Cela, pour une raison simple : on ne sait pas rebalancer les coûts fixes entre chacun de ces secteurs. De plus, l'activité long courrier absorbe une grosse partie des coûts fixes au détriment du court courrier, parce qu'on fait une répartition en pondérant la distance parcourue par les avions.

Sur le moyen courrier, les causes de surcoût étaient identifiées : il s'agissait de la maintenance et de la productivité du personnel navigant et pas nécessairement du coût du personnel navigant, et de la réponse du marché, qui semblait bonne, à l'époque, même si les recettes étaient encore faibles.

Sur le long courrier, je vous renvoie à la page 33, le premier point, c'est qu'il fallait fermer les Antilles ou trouver des financements pour augmenter la recette globale sur ces destinations (Fort-de-France et Pointe-à-Pitre), qu'il fallait abandonner l'exploitation bi-base, ce qui a été fait à la fin de la saison, et qu'il fallait densifier, c'est-à-dire passer d'une configuration cabine des appareils hérités de Swissair - en tri-classe, avec une classe affaires importante et un espacement des sièges assez important - qui ne permettait pas de faire baisser le coût unitaire, pour se rapprocher d'un modèle de desserte des Antilles comme on peut en trouver chez Corsair où les avions sont davantage des « bétaillères », passez-moi le terme, qu'un produit select.

En ce qui concerne les moyens d'arriver à ce but, il est évident qu'en juillet, le chemin à parcourir était énorme et cela transparaît dans les conclusions de nos rapports. Nous signalons en effet un besoin de financement phénoménal. Après, il faut prendre en compte des notions de continuité d'exploitation, pour savoir si l'on continue, avec un historique du passif, voire des pertes pendant encore un certain temps, ou si on arrête. Mais dans ce cas, qu'est-ce qu'on met à la place ?

On voit aujourd'hui l'exemple d'Air Austral, sur une toute petite partie du marché d'Air Lib, la desserte de la Réunion : il faut tout de même un certain temps pour arriver à monter une compagnie aérienne qui desserve les DOM de manière professionnelle et efficace. Donc il faut faire un arbitrage entre la poursuite de l'exploitation, à partir de quelque chose qui fonctionne mal, mais qui existe et qu'on peut espérer améliorer, et le fait de recommencer quelque chose en partant du début. Pour cela, il faut se demander ce qui se passe dans l'intervalle : vaut-il mieux assurer une continuité de la desserte, quitte à perdre un peu d'argent - voire beaucoup, en l'espèce - ou risquer une rupture, sans savoir ce qui se passe en attendant d'avoir des solutions de substitution.

M. le Président : M. Gantier voulait vous poser une question.

M. Gilbert GANTIER : Je n'ai pas lu le rapport que vous avez produit. Il m'est par conséquent très difficile d'avoir une opinion. Mais dans une vie antérieure, j'ai été secrétaire général d'un organisme important. Quand je disais à mon président « là, je ne sais pas ; il faudrait qu'on consulte un professeur de droit ou quelqu'un de ce genre », il me disait qu'il voulait bien, mais que cela coûterait assez cher, et par conséquent qu'il fallait savoir exactement quelle question on allait poser et à quelle conclusion on allait aboutir : faut-il poursuivre ou non, quelles sont nos chances, etc.

Cela commençait donc toujours par une lettre de mission. On disait : « L'organisme en question demande à M. Untel, professeur à telle faculté, etc., d'examiner tel cas et de lui dire premièrement, si ceci, deuxièmement, si cela. » En général, il y avait un délai. Si on avait demandé un délai très court, cela arrivait quelquefois, c'est qu'il y avait une instance judiciaire ou quelque chose de ce genre. Là, on vous donnait un délai de quinze jours. Pourquoi ? On attendait une décision du gouvernement : le gouvernement allait se décider au vu de vos conclusions.

C'est sans doute pour cela qu'on a fait appel à vous, car sinon, vos conclusions n'avaient aucun intérêt : c'était de la littérature, c'était un article de journal. Alors, avez-vous eu l'impression, en travaillant avec cette hâte, durant quinze jours, avec un personnel nombreux et averti, que la décision du gouvernement sur Air Lib dépendrait, si peu que ce soit, de vos conclusions ? Et les conclusions que vous avez données sont-elles, à cet égard, assez nettes pour que vous disiez : « Le Gouvernement a suivi ou n'a pas suivi nos conclusions » ?

M. le Président : Qui veut répondre ?

M. Laurent DERIVERY : Je vais essayer. Notre étude, répondant à des questions précises - et les questions étaient très précises - s'inscrivait-elle dans un ensemble plus global ?

Il était assez clair que cette étude allait s'inscrire dans le cadre d'une décision globale. D'ailleurs, il y avait plusieurs opérations concomitantes, puisqu'une mission touchant les aspects de la trésorerie et l'utilisation du prêt était menée par un autre cabinet. Oui, notre étude semblait s'inscrire dans un ensemble destiné à donner à la DGAC une vision sur des éléments du métier, mais aussi sur des éléments que la DGAC n'était pas capable de reconstituer, notamment les coûts de licenciement. C'est pour cela aussi qu'indépendamment du chiffre auquel on arrivait, nous avons donné les éléments de calcul, par profil, du prix moyen. De sorte que si on fait varier l'effectif de cinquante à soixante-dix personnes, on sait ce que cela va entraîner comme surcoût.

Donc, ces éléments de compréhension étaient destinés à s'inscrire dans un cadre un peu plus général. Maintenant, nous avons essayé, dans notre approche, de répondre aux questions qui nous étaient posées et de donner les éléments permettant de s'inscrire dans cette décision plus globale.

M. Gilbert GANTIER : Les questions étaient précises. On en revient par conséquent à la lettre de mission.

M. Laurent DERIVERY : Il y avait un cahier des clauses techniques particulières qui nous avait été remis et qui expliquait bien les attentes.

M. le Président : Je voudrais vous poser, avant de terminer, deux questions très précises aussi. Vous dites avoir réalisé cet audit en quinze jours. Avez-vous eu connaissance immédiatement du montage juridique des différentes sociétés et filiales, y compris à l'étranger ? Oui ou non ?

M. Didier BRECHEMIER. Non.

M. Laurent DERIVERY : C'était hors sujet, pour nous.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de ce montage juridique ? Votre réponse est non. C'est très clair. Vous n'avez donc pas eu connaissance de l'existence de la société Mermoz UA en Hollande ?

M. Laurent DERIVERY : Non.

M. le Président : Comment avez-vous apprécié, à ce moment-là, le coût de la maintenance et, pour vous, comment est apparu le coût de la maintenance des avions par rapport aux modalités de sa mise en œuvre ? Comment l'avez vous considéré ? Comme un chiffre précis sur la ligne d'un chapitre budgétaire, sans savoir qui exerçait le métier de maintenance ?

M. Didier BRECHEMIER : Tel que nous l'avons vu, le métier de maintenance était fait par Air Lib Technics. Les problématiques liées aux réserves de maintenance qui pouvaient être positionnées à tel ou tel endroit n'étaient pas prises en compte. Donc, nous avons estimé les charges attribuées à la maintenance, qui étaient à comparer avec celles d'autres structures d'exploitation faisant de la maintenance.

M. le Président : J'entends bien, monsieur Bréchemier. La question que je vous pose est claire : quand vous avez étudié la maintenance, car vous en avez parlé à plusieurs reprises...

M. Didier BRECHEMIER : Dans le cadre du business plan.

M. le Président : Pour vous, dans le cadre du business plan, c'est Air Lib Technics qui fait la maintenance, point final ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Président : Car vous savez que nous avons découvert depuis qu'il y avait douze millions d'euros transférés en Hollande à Mermoz UA, pour cause de mise en œuvre de toutes les pratiques de maintenance lourde. Cela ne vous est pas apparu ?

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Président : Vous ne vous êtes pas posé de questions, vous n'avez pas essayé de savoir ?

M. Didier BRECHEMIER : Ce que l'on sait sur ces éléments ou ce qu'on a cherché à savoir, c'était si les réserves de maintenance étaient provisionnées ou pas vis-à-vis d'un bailleur ou d'un loueur, quel qu'il soit. Sur la maintenance, on a simplement regardé les charges liées à la maintenance, qui provenaient d'Air Liberté Technics.

M. le Président : Mais personne ne vous a informé à ce moment-là de la manière dont fonctionnait le dispositif ?

M. Didier BRECHEMIER : Nous, nous l'avons considéré comme n'importe quel loueur d'avions, puisque c'est classique dans ces structures de compagnies aériennes : les actifs sont soit chez les grands loueurs d'avions comme GLFG, Gecas soit sur les structures de financement externes.

M. le Président : C'est classique ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Président : M. Rochet, lorsque nous l'avons auditionné, nous a indiqué que justement ce n'était pas classique et que lui-même avait gardé les avions sur le territoire national.

M. Didier BRECHEMIER : Où ils se situent, c'est une autre problématique. Mais le fait qu'il y ait des gens qui achètent les avions et qui les louent à des compagnies d'exploitation est courant. Air France maintenance a fait la même chose. Si vous regardez le nombre d'entreprises positionnées au Luxembourg et qui y positionnent leurs avions, c'est assez classique. Voilà ma réponse.

M. le Président : D'accord.

Pour ma dernière question, je vais en revenir à ce qu'en disait le Rapporteur, car c'est un point qui me préoccupe beaucoup. Tout ce que vous avez dit depuis que vous parlez, avec beaucoup de compétence, d'ailleurs, ce dont je vous remercie, nous laisse penser que dans les conclusions de votre rapport, tout naturellement, vous deviez répondre : « Non, non, non ». Du moins, je le pense.

Je suis tout de même étonné de lire : « Cependant le savoir-faire, etc., devrait constituer les fondements d'une exploitation rentable. » Quand on écrit cela dans des conclusions, cela veut dire qu'on le pense sincèrement. Or quand on lit votre rapport, on ne peut pas imaginer une seconde que vous puissiez écrire cela.

Deuxièmement, vous dites dans le dernier paragraphe qu'Air Lib est en équilibre instable. C'est le moins qu'on puisse dire ! « Des premiers succès commerciaux à transformer en termes de rentabilité sur Express. » Lesquels ? Passons. « Une capacité d'actions commerciales peut faire rentrer la compagnie dans un cercle vertueux. » Il est évident que, quand on dit que la compagnie peut entrer dans un cercle vertueux, cela ouvre des perspectives extrêmement favorables et que, quand on a des employés, des salariés, un gouvernement, de gauche ou de droite, et des tas de gens qui essaient de sauver cette compagnie, et qu'on lit cette conclusion, on se dit qu'effectivement, il y a incontestablement une porte de sortie positive.

Voilà le problème.

C'est ce que nous disons tous : quand on lit votre rapport dans le détail et quand on vous entend, surtout, car ce que vous dites, du moins en grande partie, ne figure pas dans votre rapport, qui est concis et précis, on est surpris. Ce que vous nous dites devrait tout naturellement conduire à une autre conclusion que celle que vous avez faite.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question un peu brutale. Est-ce que vous avez été libres ? N'avez-vous subi aucune influence dans la rédaction de vos conclusions ?

M. Didier BRECHEMIER : Vous parlez du document de synthèse ?

M. le Rapporteur : Oui, et notamment de la phrase finale qui vient d'être relue par notre président.

M. Didier BRECHEMIER : Nous avons été libres. Simplement, quel était l'objet de cette conclusion ? La DGAC nous a demandé d'avoir une conclusion générale assez globale, de façon à pouvoir fournir cette conclusion à l'entreprise.

M. le Président : Le Rapporteur est précis. N'oubliez pas que vous déposez sous serment. Vous n'avez, à aucun moment, été influencés ? Avez-vous eu des conseils concernant les conclusions générales que vous deviez fournir ? Oui ou non ?

M. Laurent DERIVERY : Non. On nous a demandé, mais ce n'est pas de l'influence négative, d'avoir une conclusion générale qui restitue bien les différents éléments, mais qui ne soit pas - entre guillemets - « brutale ».

M. le Rapporteur : Vous n'étiez pas obligé de suivre ce conseil. Vous êtes un cabinet indépendant.

M. Laurent DERIVERY : Tout à fait. Et si on a choisi de le suivre, si on a rédigé ainsi, c'est que, pour nous, il s'agissait d'un arbitrage. Clairement, on ne nous demandait pas d'indiquer de quel côté penchait l'arbitrage.

Vous nous dites qu'en additionnant tout, on aurait dû conclure le contraire. Mais d'une part, nous n'étions pas en charge d'additionner tout, c'est-à-dire de mettre en regard d'autres aspects, comme les investissements nécessaires. Nous avons chiffré certains éléments, mais nous n'avions pas à réfléchir sur les moyens d'Air Lib ; cela ne faisait pas partie de notre mission. D'autre part, même si on nous demandait une synthèse, cela ne faisait pas partie du périmètre de la mission, que de répondre à la question : et vous, qu'est-ce que vous feriez ?

M. le Rapporteur : Oui, mais vous avez évalué la réduction du surcoût en surcapacité d'avions et de personnel, sans estimer les conséquences de votre préconisation. Vous préconisiez, par exemple, de fermer les Antilles, sans dire : « Si vous fermez les Antilles, il faut licencier tant de personnel ».

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Donc, vous l'avez fait sur un point, mais vous ne l'avez pas fait sur l'autre ; dans le cadre de votre mission bien sûr. C'est pour cela que c'est un peu curieux.

M. Laurent DERIVERY : Mais pour moi, c'est un problème presque mécanique. Evaluer l'impact de la fermeture des Antilles à un instant T, c'est un travail qu'il était tout à fait impossible de faire dans le périmètre de cette étude, dans un délai de quinze jours. Redimensionner la base de coûts variables (avions et personnel) n'était pas difficile. Mais comment redimensionner la base fixe ?

M. le Rapporteur : Pourtant, sur la quatrième question, touchant la desserte des DOM, vous ne préconisez rien dans vos conclusions ; alors que vous l'aviez fait sur le premier point qui concerne l'adéquation des moyens aériens ou des moyens en personnel au regard du réseau tel qu'il était. Dans le premier point, vous répondez précisément à la question, par des évaluations ; mais dans le quatrième point, qui représente presque le tiers du chiffre d'affaires de la compagnie, vous ne le faites pas. C'est étonnant.

M. Laurent DERIVERY : A tort ou à raison. La question ne nous était pas posée de la même manière. La DGAC nous a demandé de dire comment se reconfigurer en termes de machines et de personnel par rapport à la configuration actuelle du business plan. C'était la première question. Mais la quatrième était : qu'est-ce qu'il faut faire, par rapport aux DOM actuellement ? On ne nous demandait pas de mesurer l'impact de cet élément sur le global.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport, vous préconisez « la fermeture des lignes desservant les Antilles et la recherche de montages commerciaux avec les régions des DOM et vous écrivez que l'abandon de cette activité engendrerait un besoin de trésorerie important et une répartition des charges fixes sur les activités restantes ». Vous évoquez bien le problème, mais vous ne le quantifiez pas. A ce moment-là, il fallait recalibrer aussi les charges fixes. La compagnie perdrait, avec les Antilles, un très gros morceau de son chiffre d'affaires : les Antilles représentaient 15 à 20 % du chiffre d'affaires, grosso modo 20 % du personnel navigant technique et commercial et donc 20 % au minimum des charges fixes.

Je voulais vous poser enfin une dernière question. Vous avez un peu parlé de la manière dont s'est passée la restitution. Au bout de quinze jours, vous rendez votre copie. Y a-t-il eu alors une ou plusieurs réunions avec la DGAC ?

M. Didier BRECHEMIER : Il y a eu une réunion intermédiaire au bout d'une semaine et ensuite une réunion avec la DGAC, pour la présentation orale du rapport de synthèse général.

M. le Rapporteur : Comment s'est passée cette restitution ?

M. Laurent DERIVERY : En terme d'assistance, il y avait des représentants de la DGAC, du ministère des Finances, du CIRI...

M. le Rapporteur : M. Leroy ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Et vous êtes allés un peu au-delà de votre rapport ?

M. Laurent DERIVERY : Nous avons présenté l'ensemble des éléments, en discutant, comme nous le faisons en ce moment, sur certaines hypothèses. Tout chiffrage est lié à une hypothèse. Nous en avons balayé plusieurs. Le tout était de bien comprendre ce qui se passe derrière chaque donnée et quelle interprétation on peut en donner.

Ensuite, il y a eu une séance de questions-réponses. Par exemple, puisque la situation impliquait une restructuration très lourde, on nous a demandé si d'autres compagnies avaient réussi une restructuration de ce type dans des délais cohérents, si Air Lib était capable de la mener à bien en terme de management, etc.

M. le Rapporteur : Est-ce qu'on vous a posé la question de fond, la seule question qui importe : la compagnie est-elle viable et à quelles conditions ?

M. Laurent DERIVERY : Pas comme ça.

M. le Président : J'ai lu avec attention la partie du rapport où vous faites état des possibilités du développement des activités à l'extérieur, notamment à l'étranger. Vous parlez à un certain moment, dans votre conclusion - pardon d'y revenir toujours - du « savoir-faire des professionnels ». Avez-vous pu l'apprécier sérieusement pendant ces quinze jours ?

Vous faites notamment état de la mise en place d'une possibilité de développement à l'étranger en ce qui concerne le soutien du réseau commercial pour rentabiliser les lignes. Quand on imagine un business plan, quand on le voit, qu'on le lit ou le décrit, ce ne sont que des déclarations d'intention. S'il s'agit de dire : « Si l'on change tout, tout peut aller mieux, à condition qu'on respecte scrupuleusement les données du business plan », ce n'est pas la peine d'aller vous chercher, vous, qui êtes très compétents, et de dépenser de l'argent, pour tirer de telles conclusions.

Avez-vous été en mesure, à un certain moment, d'apprécier le savoir-faire et le professionnalisme de ce personnel dont vous faites état en conclusion, notamment en ce qui concerne le réseau commercial et son fonctionnement, pour soutenir l'activité des lignes prévues dans le cadre de l'Europe, de Tripoli, de Louxor et l'Algérie ? Avez-vous pu analyser la capacité de ce personnel ? Avez-vous eu des données concernant le réseau commercial, la manière dont il fonctionnait, sa pertinence, son résultat en termes de vente de billets sur place, etc. ? Vous êtes-vous interrogés sur la capacité de ce réseau commercial à faire fonctionner les lignes qui apparaissaient comme nécessaires, dans le business plan,  pour équilibrer les comptes de la société ?

M. Didier BRECHEMIER : J'en reviens toujours aux quatre questions. Sur les DOM, oui ; sur l'Algérie, oui (c'était le contrat de GSA) ; sur le reste, non. Les éléments qualitatifs sur le savoir-faire de la compagnie reposaient surtout sur la partie exploitation.

M. le Président : Mais les équilibres d'une société par rapport aux recettes, liées forcément aux dépenses dépendent surtout de la capacité commerciale. Ma question est claire : avez-vous, dans cette perspective, eu les moyens d'une analyse pertinente de l'efficacité du réseau commercial ?

M. Didier BRECHEMIER : En dehors des DOM, non.

M. le Président : La réponse est non.  Vous parlez du savoir-faire, sans préciser lequel, d'ailleurs : vous parlez du savoir-faire des professionnels de l'entreprise. Je suis fondé à penser qu'il y a une direction des ressources humaines, donc un professionnel, peut-être compétent, une direction technique, une direction du personnel, etc. Donc il y a une multitude de savoir-faire et de compétences diverses. Vous en parlez globalement. Vous n'avez pas eu les moyens d'analyser ce système commercial, qui doit pourtant bien fonctionner, pour soutenir une activité d'entreprise ?

M. Didier BRECHEMIER : De manière fine - tout dépend ce qu'on entend par ce terme, bien entendu -, il y a eu analyse des taux de remplissage et donc de la capacité de vendre. Pour ce qui est de se repositionner et d'aller un peu plus loin sur la distribution directe, on a des débuts d'analyse sur les capacités de l'entreprise et donc sur ses savoir-faire. L'entreprise a réussi à mettre en place un système de distribution directe. Les taux de remplissage étaient forts sur certaines lignes.

Le problème véritable était le prix du moyen coupon, qui était désastreux. Mais là, on quitte le domaine de la structure commerciale pour entrer dans celui du « yield management », du « revenue management », et de la capacité de l'entreprise dans sa stratégie, à se demander, face aux réponses qu'on lui apportait : pourquoi ces prix moyen coupon et ces taux de remplissage ? Mais il s'agit là d'une stratégie de prise de part de marché.

M. le Président : Vous n'avez donc pas eu connaissance du fonctionnement du système commercial, sauf pour les DOM. C'est bien cela ?

M. Didier BRECHEMIER : Pour ce qui est du système commercial, comme, dans les compagnies, tout est centralisé, en termes d'information, sur le passé, c'est-à-dire les prix moyen coupon et le taux de remplissage, la structure....

M. le Président : Ce n'est pas ce que je veux dire, je comprends bien que, quand on décrypte une comptabilité ou qu'on interroge des personnes, on a les réponses aux questions que l'on pose. Ma question est plus précise. Lorsque l'on fait fonctionner une compagnie aérienne, l'activité commerciale est forcément essentielle pour le bon fonctionnement de la société. Il n'y a pas seulement le prix du coupon qui importe ; il y a la manière dont on fait rentrer les recettes. Avez-vous analysé avec pertinence le bon ou le mauvais fonctionnement du système commercial destiné à valoriser l'activité d'Air Lib ? Ma question est simple. La réponse est... ?

M. Didier BRECHEMIER. : Non.

M. le Rapporteur : L'une des quatre questions qu'on vous a posées concernait Air Lib Express. Est-ce que vous avez su comment était rémunéré le personnel navigant commercial qui se partageait la recette des ventes à bord ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui, nous l'avons su.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne l'avoir pas mis dans votre rapport ?

M. Didier BRECHEMIER : C'est un mode de fonctionnement qui me semble tout à fait...

M. le Rapporteur : Sympathique ?

M. Didier BRECHEMIER : Intéressant, oui.

M. le Président : La vente au noir ?

M. Didier BRECHEMIER. Attendez ! je ne sais pas ce qu'il y a derrière ! Mais d'avoir un incentive pour des commerciaux, je trouve cela plutôt sympathique.

M. le Rapporteur : Trois ou quatre mille francs par mois, d'après ce que nous ont dit les syndicalistes !

M. Didier BRECHEMIER : Ça, on ne le savait pas.

M. le Président : Qu'est-ce que vous saviez alors ?

M. le Rapporteur : Vous venez de me dire que vous le saviez.

M. Didier BRECHEMIER : Nous savions que globalement, il y avait un incentive à la vente pour les ventes à bord.

M. le Président : En français, c'est quoi ?

M. le Rapporteur : Une incitation.

M. Didier BRECHEMIER : Une part variable.

M. le Rapporteur : Ils se partageaient la recette ! C'est fou, ça !

M. Frédéric FOUCHET : Dans notre interprétation et en tout cas en juillet, en l'état de mes connaissances, il nous avait été dit qu'il y avait un intéressement sur les ventes à bord.

M. le Président : Avez-vous demandé à ce moment-là comment était structuré cet intéressement ? Je pense que vous avez demandé des éléments ?

M. Frédéric FOUCHET : Non, dans mon esprit, c'était en fonction des résultats.

M. le Rapporteur : Non ! C'était bien plus simple : la compagnie achetait les boissons et les sandwiches, ils les vendaient et ils se partageaient la cagnotte.

M. le Président : Sans déclaration fiscale.

M. le Rapporteur : Pas mal, hein ? Pas de cotisation, pas de problème.

M. Didier BRECHEMIER : Ce que nous avons analysé, ce sont les différents attributs du produit, pour savoir s'il y avait un rapprochement à faire avec Ryanair, Easy Jet, dans les différents services à bord.

M. le Rapporteur : Mais vous ne vous êtes pas étonnés de ne pas voir de recettes à bord pour Air Lib Express ? Elles avaient disparu. Cela ne vous a pas frappé qu'il y ait zéro ? (Silence) Enfin...

M. le Président : Il n'y a plus de question. Je vous remercie de nous avoir répondu avec la plus grande sincérité. Si, éventuellement, nous jugions opportun de vous inviter à nouveau, nous vous le ferions savoir.

Audition de M. Christian Rousselin,
président du tribunal de commerce de Créteil.

Procès-verbal de la séance du 16 avril 2003

Présidence de M. Charles de Courson, rapporteur.

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, je suis heureux de vous accueillir à l'Assemblée nationale pour une audition qui se déroulera dans des conditions un peu particulières, puisque vous allez être entendu, non pas par la commission dans sa formation plénière, mais seulement par moi-même en tant que Rapporteur de cette commission.

Je souhaiterais aborder avec vous différents sujets qui ont trait à l'objet de la commission d'enquête, notamment les raisons qui ont conduit le tribunal de Créteil à confier la reprise d'AOM - Air Liberté à M. Corbet, les garanties qui devaient empêcher l'éventuel détournement d'actifs et les raisons pour lesquelles la liquidation judiciaire n'a pas été étendue à l'ensemble des filières Holco.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, pourriez-vous nous expliquer comment vous avez vécu, du début, dirons-nous, c'est-à-dire de la reprise par Holco en juillet 2001, jusqu'à la liquidation il y a deux mois, l'ensemble de cette année et demie, concernant ce que l'on appelle maintenant « l'affaire Air Lib » ?

M. Christian ROUSSELIN : Qu'entendez-vous par « avoir vécu » ?

M. le Rapporteur : Je voulais dire comment, en tant que président du tribunal de commerce, vous avez vu les choses. Je vous poserai ensuite des questions détaillées, mais il est d'usage de donner la parole aux personnes auditionnées par la commission, avant de leur poser des questions plus pointues.

M. Christian ROUSSELIN : Il y a un point sur lequel il faut être clair : en dehors de son aspect exceptionnel quant à sa taille, le dossier d'Air Lib ne présente rien de particulier.

Après avoir sollicité auprès du tribunal de commerce d'Evry la nomination d'un mandataire ad hoc, qui n'a pas pu aboutir au début de l'année 2001, cette entreprise et ses filiales ont effectué une déclaration de cessation de paiement en juin 2001. A ce titre, le tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire, c'est-à-dire une période d'observation.

Et puis, compte tenu, il faut bien le dire, de la nécessité et de l'urgence - car on se trouvait en période de vacances et il y avait des milliers de passagers en souffrance - le tribunal, en six semaines, a imposé aux organes de la procédure collective, d'aller vite pour qu'une décision soit prise.

Ce pouvait être une décision de cession - ce qui a été le cas - ou une décision de liquidation judiciaire, comme celle qui vient finalement d'avoir lieu.

Une fois cette décision prise, compte tenu du contexte de l'époque, le tribunal ne s'en est plus préoccupé directement puisque - je me permets de vous le rappeler - le tribunal est définitivement dessaisi dès que le jugement est définitif pour lui. Il n'a plus alors ni qualité, ni compétence, pour intervenir dans les entreprises.

Seul le juge-commissaire, avec les organes de la procédure collective et les commissaires à l'exécution du plan, géraient les problèmes existant entre le repreneur et la procédure collective. Donc, le tribunal et son président, à cette époque-là, étaient totalement dessaisis du problème et n'avaient plus à intervenir - ils n'étaient d'ailleurs pas autorisés à le faire - en aucune façon.

Les choses ont suivi leur cours. Le tribunal a été encombré de multiples procédures contentieuses, diverses et variées, qui faisaient partie de la gestion normale d'opérations de ce type, comme on peut en trouver dans bien d'autres affaires : expertises en tous genres, conflits avec les cocontractants, les crédits-bailleurs etc.

A chaque fois le tribunal, dans les chambres concernées, a pris les décisions. Il y a eu diverses demandes de rectification d'erreur matérielle, il y a eu des tentatives de faire réviser les jugements sous couvert de procédures d'erreur matérielle, que le tribunal n'a d'ailleurs pas suivies à l'époque.

Cela a duré jusqu'au début de l'année 2002. A cette époque, en février 2002 me semble-t-il, le tribunal de commerce de Paris a désigné Me Hubert Lafont comme mandataire ad hoc dans le cadre d'Holco pour assister les dirigeants. A ce moment-là, les dirigeants d'Holco et Me Lafont sont donc venus au tribunal pour me demander de désigner Me Lafont comme mandataire ad hoc afin qu'il assiste M. Corbet et ses conseils dans ses relations avec l'ensemble de ses contractants. Je n'avais aucune raison particulière de ne pas désigner Me Lafont comme mandataire ad hoc ; c'est un professionnel de grande qualité et il avait été désigné par le tribunal de commerce de Paris précédemment ; il connaissait donc bien le dossier. Je l'ai donc désigné comme mandataire ad hoc pour assister les dirigeants du groupe.

M. le Rapporteur : Vous avez bien dit « du groupe », monsieur le Président ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, le groupe, c'est-à-dire la société Holco et l'ensemble des filiales concernées, à savoir HRS., ALT, enfin les quatre ou cinq filiales concernées.

M. le Rapporteur : Y compris la holding ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, surtout la holding. Je ne pouvais pas être compétent pour la holding, puisque celle-ci se trouve à Paris. Je ne pouvais être compétent que pour les sociétés du groupe qui ont leur siège dans la zone aéroportuaire d'Orly. Holco n'est pas de la compétence du tribunal de Créteil, mais de celle du tribunal de Paris. La désignation de Me Lafont concernait donc les sociétés du groupe du ressort du tribunal, c'est-à-dire Air Lib, HRS., ALT etc.

M. le Rapporteur : Hors la holding et hors les sociétés implantées à l'étranger ?

M. Christian ROUSSELIN : La compétence du tribunal de Créteil se limite au département du Val-de-Marne. D'ailleurs, lorsque la direction précédente avait demandé la nomination d'un mandataire ad hoc au tribunal de commerce d'Evry, cette demande pouvait être contestée, car c'est le tribunal de commerce de Bobigny qui est compétent pour Roissy et le tribunal de commerce de Créteil pour la zone aéroportuaire d'Orly.

La décision que j'ai prise - et qui relève exclusivement de ma compétence, puisqu'il s'agit de la désignation d'un mandataire ad hoc en requête gracieuse - ne concernait que les sociétés ayant leur siège à Orly. Elle ne concernait pas Holco, qui a son siège à Paris.

Bien sûr, une décision de ce type est communiquée au Parquet, fait l'objet d'une communication particulière au procureur de la République et également de rapports, à commencer par des rapports d'étapes, qui précisent comment les choses se déroulent.

Les rapports de Me Lafont faisaient apparaître une situation qui se dégradait et des conflits avec le personnel. Plusieurs procédures étaient engagées. Ainsi, le comité d'entreprise avait engagé une action devant le Tribunal de grande instance de Créteil, pour des raisons d'entrave. Les pilotes, quant à eux, avaient engagé des procédures à Paris contre Holco. En effet, dans le plan d'origine il avait été prévu que dans le cadre de la reprise par Holco, une participation serait accordée à une certaine catégorie de personnel, ou au personnel, ce qui n'a pas été fait. Des procédures ont été engagées, des saisies ont été faites. Bref, la situation se dégradait et c'est la raison pour laquelle il avait été demandé la désignation un mandataire ad hoc, pour essayer de « mettre un peu d'huile » là où il y avait des difficultés. Des procès ont eu lieu, des commissaires aux comptes sont intervenus, des expertises ont été faites, dont j'ai été informé par l'administrateur judiciaire, mais dont je n'avais pas à connaître spécialement les détails.

Les vacances se sont passées normalement et il n'y a pas eu de problèmes avant octobre de l'année dernière.

A cette époque, la société Air Lib m'a indiqué que sa situation devenait difficile et Me Lafont m'a indiqué que, la situation se tendant, il serait souhaitable de le désigner non plus comme mandataire ad hoc, mais comme conciliateur. Il m'était demandé d'ouvrir une conciliation, ce qui relevait effectivement de ma compétence en tant que président du tribunal.

Comme son nom l'indique, la conciliation est destinée à la prévention des entreprises en difficulté. L'une des conditions essentielles à la mise en œuvre de cette conciliation, est que l'entreprise qui la sollicite ne soit pas en état de cessation de paiement.

Bien évidemment, compte tenu de la situation qui m'était présentée, des chiffres qui m'étaient proposés, la preuve n'était pas apportée à cette époque, que l'entreprise n'était pas en état de cessation de paiement. En fait, il y avait un créancier - si l'on peut dire, car il était en fait composé d'une mosaïque - qui était l'Etat, c'est-à-dire les organes sociaux, dont la Sécurité sociale et Aéroports de Paris, qui était créancier au titre des redevances.

La question était de savoir si ce créancier, l'Etat, confirmait ne pas réclamer les sommes qui lui étaient dues. A défaut, il ne m'était pas possible d'ouvrir une conciliation, ce que j'ai très simplement signifié aux parties en présence, n'ayant aucune capacité et surtout aucune qualité pour m'immiscer dans la gestion de quoi que ce soit et laissant par conséquent à chacun la responsabilité de faire ce qu'il estimait devoir faire.

En l'occurrence, la règle de base pour toute entreprise en cessation de paiement, c'est-à-dire dont l'actif disponible ne peut pas couvrir le passif exigible, ou exigé, plus exactement, est que celle-ci doit effectuer sa déclaration de cessation de paiement dans les quinze jours de la constatation de cet état de fait.

Des négociations ont eu lieu entre les différentes parties, jusqu'au moment où les ministres de tutelle, c'est-à-dire le secrétaire d'Etat aux transports et le ministre concerné, m'ont fait savoir qu'ils n'exigeraient pas dans l'immédiat le règlement des créances dues à l'Etat et qu'ils reportaient ce règlement de trois mois, c'est-à-dire à peu près jusqu'au 15 janvier, afin de permettre qu'un accord puisse être trouvé entre-temps.

M. le Rapporteur : Cela vous a-t-il été confirmé par écrit ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, bien sûr. Cela m'a été confirmé par une lettre communiquée aux avocats de la société Air Lib. Il est indiqué dans cette lettre que celle-ci doit m'être communiquée, ce qui a été le cas et ce qui m'a permis de rendre une ordonnance qui fait expressément référence à cette lettre communiquée au tribunal. S'il n'y avait pas eu cette lettre, je n'aurais pas pu prononcer cette ordonnance qui ouvrait une conciliation et désignait Me Lafont comme conciliateur. Le cas échéant, j'aurais simplement pu demander au tribunal de se saisir d'office de la situation d'Air Lib.

Le 18 ou le 19 novembre de l'année dernière, j'ai donc désigné Me Lafont comme conciliateur pour une durée de trois mois, conformément aux textes, qui prévoient la désignation d'un conciliateur pour une durée de trois mois, avec une possibilité de prorogation d'un mois, c'est-à-dire quatre mois maximum, sans aucune possibilité de nouvelle prorogation.

Pendant toute cette période, j'ai été tenu légitimement informé de l'évolution des choses, mais à titre informatif. En effet, en matière de conciliation, ni le tribunal, ni son président, ni le juge-commissaire n'ont qualité pour intervenir, puisque par définition, il s'agit d'une procédure amiable. Nous avons suivi l'évolution de cette affaire en liaison permanente avec le procureur de la République, qui était destinataire des mêmes informations que le tribunal.

Début janvier, un certain nombre d'informations nous ont été communiquées, révélant une situation très tendue. Un repreneur potentiel n'ayant pas donné suite à ses propositions, les pouvoirs publics ont décidé de supprimer les autorisations de vol.

La conciliation ayant échoué, je suis intervenu pour rappeler aux différents intervenants qu'ils devaient effectuer leur déclaration de cessation de paiement et qu'à défaut, ils engageraient leurs responsabilités respectives, qu'il s'agisse du conciliateur ou des dirigeants.

Cette déclaration a été faite début février et le tribunal, compte tenu des éléments qui ont été mis à sa disposition, a considéré qu'il n'y avait aucune possibilité de redressement. Toutes les propositions qui étaient faites n'étaient que des affirmations - cela figure d'ailleurs dans le jugement - et aucune ne présentait un caractère suffisamment sérieux pour permettre une nouvelle période d'observation.

Le tribunal a donc décidé de prononcer la liquidation judiciaire le 17 février de cette année. Ce jugement a fait l'objet, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, d'au moins deux recours successifs.

Le premier de ces recours a été effectué auprès du premier président de la cour, pour demander la suspension de l'exécution provisoire.

M. le Rapporteur : Qui a effectué ce recours, monsieur le Président ?

M. Christian ROUSSELIN : Ce recours a été fait par M. Corbet, enfin par les dirigeants de la société, ainsi que par le personnel.

M. le Rapporteur : Quand vous dites le personnel, s'agissait-il d'un syndicat ou du comité d'entreprise ?

M. Christian ROUSSELIN : En matière de procédures collectives, sont représentés dans la procédure à la fois les comités d'entreprise - c'est-à-dire les élus, pas les syndicats - et des membres du personnel issus des organisations élues, spécifiquement désignés pour représenter l'ensemble du personnel dans le cadre de la procédure collective. Ils sont partie prenante à cette procédure, au même titre que la direction.

Ils ont exercé un recours pour demander la suspension de l'exécution provisoire au motif que - contrairement à ce qu'avait estimé notre tribunal - les propositions leur paraissaient présenter un caractère de sérieux et des garanties suffisantes.

Ils ont donc demandé au premier président de la cour d'analyser une nouvelle fois les pièces sur la base desquelles le tribunal avait statué. Le premier président de la cour a considéré que notre décision était tout à fait conforme à ce qu'elle devait être et n'a donc pas fait droit à cette demande. Comme il en avait l'obligation, il avait fixé au 24 avril la date à laquelle la cour devait statuer sur le fond du problème, car mis à part l'exécution provisoire, le jugement avait également été critiqué sur le fond.

A la suite d'interventions des parties auprès de M. le premier président de la cour, ce délai a été ramené au 4 avril, date à laquelle la cour a rendu sa décision, aux termes de laquelle elle confirmait purement et simplement notre décision.

A la lecture de l'arrêt de la cour, j'ai d'ailleurs constaté que seul le personnel avait poursuivi ce recours, la société Holco et la société Air Lib en tant qu'entité juridique s'étant désistées de leurs demandes en la matière.

M. le Rapporteur : Sait-on pourquoi ?

M. Christian ROUSSELIN : Je ne sais pas, il faudrait pouvoir consulter les débats de la cour.

L'arrêt de la cour est un peu elliptique, bien entendu, puisqu'à partir du moment où les avions sont cloués au sol, qu'il n'y a plus d'autorisations de vol, on ne voit pas très bien comment l'activité pourrait se poursuivre.

Le premier président a stigmatisé une attitude particulièrement désagréable vis-à-vis de la cour, ce que je comprends, car cette même attitude avait déjà été adoptée vis-à-vis du tribunal. Elle consistait à dire : « Nous avons des repreneurs, mais nous ne pouvons pas vous dire de qui il s'agit ». Cette attitude est contraire à tout débat contradictoire et il est extrêmement déplaisant pour les magistrats qui sont en charge des affaires de s'entendre dire : « On est sûr qu'il y a quelque chose, mais on ne vous le dira pas ; peut-être qu'un jour on vous le dira, si vous êtes sages ». Le premier président de la cour a donc stigmatisé cette attitude en affirmant que puisque personne ne voulait apporter d'élément particulier, rien ne venait contredire les arguments exposés par le tribunal dans sa décision du mois de février. Le jugement a donc été confirmé.

M. le Rapporteur : Vous nous avez indiqué les différentes phases de la procédure. Nous allons, si vous le permettez, reprendre chacun de ces points.

En juin 2001 est faite une déclaration de cessation de paiement de l'ancienne société, une demande au tribunal d'Evry, qui vous est renvoyée et une période d'observation qui est mise en place. Vous nous avez dit qu'en six semaines - puisque la décision du tribunal de confier la cession des actifs à Holco date de juillet - vous aviez tranché sur le repreneur.

Pourriez-vous nous commenter le jugement du tribunal du 27 juillet 2001, qui a autorisé la reprise par M. Corbet, nous indiquer les raisons du choix de l'offre de M. Corbet malgré sa fragilité financière et nous préciser si ce point a fait l'objet de longs débats ?

L'adhésion des salariés, ou plus exactement d'une partie d'entre eux, a-t-elle constitué un élément déterminant ?

Enfin, pourriez-vous nous indiquer les raisons qui ont amené le tribunal à écarter la proposition de M. Rochet - que la commission a déjà auditionné - ainsi que celles des autres repreneurs, notamment celle de Fidei.

M. Christian ROUSSELIN : Il y en avait treize ou quatorze.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous faire un commentaire de texte sur ces différents points ? Parce que cela paraît très rapide, six semaines. Quand avez-vous été saisi précisément ?

M. Christian ROUSSELIN : Le jugement d'ouverture de la procédure est de mi-juin 2001 et la décision finale de fin juillet, donc cela fait à peu près six semaines.

M. le Rapporteur : Oui, c'est cela.

M. Christian ROUSSELIN : Je vais profiter de la parole qui m'est donnée pour faire un peu de publicité en faveur des juridictions consulaires qui ont été particulièrement agressées ces dernières années. Nous nous faisons fort de penser qu'il est nécessaire d'aller vite dans les situations les plus dramatiques. Dans une affaire comme Air Lib, tant que les décisions, quelles qu'elles soient, ne sont pas prises, les charges continuent à courir. 3 000 personnes étaient payées dans une situation où il risquait de ne pas y avoir de chiffre d'affaires, nous étions en pleine période de vacances et nombre de passagers étaient dans l'incertitude, car ils avaient pris leurs billets plusieurs mois à l'avance et ne savaient pas comment les choses allaient se passer. Il y avait donc urgence. Nous avons mis en œuvre tous les moyens à notre disposition, ceux du tribunal, mais aussi tous ceux des organes de la procédure collective, car c'était eux qui étaient en charge du problème, le tribunal ne faisant que statuer sur la base de ce qui lui est proposé, pour permettre d'aller aussi vite que possible.

Je crois pouvoir dire que nous nous sommes, en six ou sept semaines, donné les moyens de prendre une décision.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser ?

M. Christian ROUSSELIN : J'y viens, si vous le permettez.

Je précise d'abord que tout ce qui a présidé à la décision du tribunal se trouve dans les cinquante pages du jugement. Il suffit de lire ce jugement pour prendre connaissance, dans le détail, de la motivation de la décision du tribunal. Je rappelle d'ailleurs que l'exposé de cette motivation est une obligation pour le tribunal.

Cette motivation est très claire. Je vais la schématiser, pour mieux l'expliquer.

Dans cette affaire, aucune des propositions - c'est écrit dans le jugement - ne disposait des moyens financiers suffisants pour permettre la reprise de l'entreprise. Le tribunal, dans un contexte ordinaire, aurait dû prononcer la liquidation judiciaire, ce qui est expressément indiqué dans le jugement. Mais il se trouve que les actionnaires ont proposé en chambre du conseil - c'est également dans le jugement, je peux donc en parler - deux milliards de francs pour permettre le redressement de cette entreprise. Le tribunal a donc considéré que l'esprit de la loi de 1985 était respecté. Cette loi, je le rappelle - on peut en discuter, mais cela relève de la compétence du législateur - prévoit, par ordre de priorité, de préserver les emplois, d'assurer la sauvegarde de l'entreprise et éventuellement de payer les créanciers. Malheureusement, en matière de procédures collectives, c'est toujours le mieux-disant social qui, dans la mesure où les choses sont correctes, a la préférence, car c'est l'esprit et la lettre de la loi actuelle.

Par conséquent, nous nous trouvions avec douze ou treize repreneurs, dont certains ne proposaient qu'une reprise partielle. Pour reprendre ce que vous disiez à l'instant, trois repreneurs sortaient du lot, si l'on peut dire : la société Fidei, M. Rochet et la société Holco.

La société Fidei, qui par la suite a d'ailleurs tenté de reprendre la société Moulinex, ne présentait aucun projet industriel sérieux. Ils s'agissait de jeunes gens, des financiers, qui n'ont pas convaincu le tribunal qu'ils pourraient assurer la pérennité de l'entreprise. La société Fidei a déclaré avoir sous la main un cadre supérieur d'un grand groupe nationalisé, spécialiste du transport, mais sans en apporter la moindre preuve.

Le deuxième repreneur, M. Rochet, n'a pas estimé devoir respecter les délais prévus par la loi pour présenter sa proposition et s'est présenté le jour de réunion de la chambre du conseil sans avoir satisfait à cette exigence. Néanmoins, le tribunal, estimant que la situation était suffisamment difficile, a accepté de le recevoir en chambre du conseil, non pas pour étudier sa proposition, ce qui était légalement impossible puisque celle-ci n'avait pas été soumise dans les délais, mais simplement pour essayer de voir comment les choses se présentaient.

La troisième proposition de reprise émanait de la société Holco. Vous disiez tout à l'heure qu'une partie du personnel seulement était d'accord pour Holco. Je ne peux qu'être en désaccord avec cette affirmation, car en chambre du conseil - c'est dans le jugement - le personnel a unanimement souhaité que la cession soit faite au profit de la société Holco et de M. Corbet.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné les syndicats. La CFTC nous a affirmé qu'elle était hostile à la cession à Holco et qu'elle accordait sa préférence à la proposition de M. Rochet. Je vous rapporte ce qui nous a été dit et qui figure dans les déclarations de la CFTC.

M. Christian ROUSSELIN : La CFTC était extrêmement minoritaire, je ne sais pas si ...

M. le Rapporteur : Elle avait des représentants au comité d'entreprise.

M. Christian ROUSSELIN : Peut-être, mais cela n'a pas été porté à la connaissance du tribunal. C'est autre chose. Moi, je vous parle de ceux qui étaient présents au tribunal, comme la CGT ou la CFDT. A moins que les organisations syndicales ne souhaitent s'inscrire en faux sur ce qui est affirmé dans le jugement - si c'est le cas, je les invite à être extrêmement prudents dans leurs propos - j'affirme que l'ensemble des représentants du personnel présents en chambre du conseil, c'est-à-dire nos seuls interlocuteurs - s'il y a eu des discussions en d'autres lieux, le tribunal ne saurait en être comptable - ont déclaré par écrit, à l'issue de délibérations des différentes organisations, d'une part s'en rapporter à la sagesse du tribunal concernant Fidei et d'autre part être favorables à ce que la cession soit faite au profit du groupe Holco.

Devant cette situation, le tribunal, après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République, hostile, ou pour le moins défavorable, à un quelconque renvoi de l'affaire pour pouvoir étudier la proposition de M. Rochet - ces réquisitions figurent dans le jugement - a décidé dans son délibéré de « remettre les compteurs à zéro », si je puis m'exprimer ainsi et de renvoyer l'affaire à une semaine pour reconsidérer les propositions de toutes les parties.

Cela permettait à tous les partenaires de mettre à profit cette semaine pour améliorer leurs propositions et cela permettait à M. Rochet de présenter sa proposition dans les mêmes conditions que les autres. M. Rochet dit aujourd'hui, notamment dans la presse, des choses qui ne sont pas exactes et je dois donc rectifier le tir ; il suffit, là aussi, de lire le jugement.

Le tribunal a réouvert les débats, renvoyé l'affaire et à nouveau réuni une chambre du conseil une semaine plus tard, au cours de laquelle toutes les parties sans exception, qu'elles soient crédibles ou non, ont pu venir s'exprimer.

Contrairement à ce que permet la loi, M. Rochet a assorti sa proposition d'une condition suspensive, c'est-à-dire qu'il entendait que sa proposition ne soit prise en compte que pour autant que l'ensemble du personnel accepte de passer un accord d'entreprise remettant les accords des uns et des autres sur un pied d'égalité. La loi ne permet pas qu'un tribunal, quel qu'il soit, puisse arrêter un plan de cession avec des conditions suspensives. C'est impossible.

Par conséquent, M. Rochet s'est exclu de lui-même.

Je lui ai posé la question personnellement, car je présidais cette audience et je ne veux pas trahir les secrets d'une chambre du conseil, je lui ai demandé personnellement s'il maintenait ses conditions suspensives et il les a maintenues. Comme le dit le jugement, il s'est exclu de lui-même de la proposition, car il ne peut pas y avoir de condition suspensive.

Il ne restait donc plus que deux propositions.

Concernant la première de ces propositions, qui émanait de financiers, nous avons estimé qu'il s'agissait d'une vente par appartements et qu'elle n'assurait pas la pérennité de l'entreprise.

Concernant l'autre proposition, qui recueillait l'accord unanime de l'ensemble des représentants de ce personnel - si certains n'étaient pas d'accord, c'est un problème de démocratie et de représentation lors de ce type d'audience - nous avons estimé que la meilleure décision à prendre était de céder l'entreprise à la société Holco. Nous avons pris cette décision après avoir obtenu confirmation de la part des actionnaires que, contrairement à ce qui était prévu au départ, l'ensemble des fonds qu'ils étaient disposés à mettre à la disposition de l'entreprise serait donné à celui qui serait retenu après que le personnel se soit expressément engagé à retrousser ses manches et à travailler.

La seule alternative se limitait d'ailleurs à cela : soit décider de la cession à la société Holco, soit prononcer la liquidation judiciaire immédiate de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, est-il indiscret de vous demander s'il y a eu des débats sur le choix entre ces deux solutions restantes ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr qu'il y a eu débat, mais il s'agit du délibéré.

M. le Rapporteur : Donc, c'est indiscret de vous interroger sur ce délibéré.

M. Christian ROUSSELIN : Je ne peux pas répondre à cette question. Il y a eu un débat, mais le délibéré est totalement secret. La décision qui a été prise est celle qui figure dans le jugement. Il y a effectivement eu débat, puisque le délibéré implique qu'il y en ait un.

M. le Rapporteur : Il peut y avoir unanimité, comme c'est le cas dans beaucoup de décisions, mais vous ne pouvez pas trahir le secret des délibérés.

M. Christian ROUSSELIN : Non, je ne répondrai pas à cette question, ni dans un sens, ni dans l'autre. Je ne le peux pas, car ce serait trahir le secret des délibérations.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question. Dans votre vie de président du tribunal de commerce, voire quand vous étiez juge, avez-vous déjà vu et est-il fréquent de voir un tribunal céder une entreprise importante - on ne parle pas d'une entreprise de cinq ou dix salariés, mais de plusieurs milliers - à une personne qui est seule, qui n'a pas un euro ?

M. Christian ROUSSELIN : Il avait deux milliards de francs !

M. le Rapporteur : Pas lui. Lui, il n'avait rien, tout le problème est là.

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr, c'est très courant.

M. le Rapporteur : Cela vous est-il déjà arrivé ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr.

M. le Rapporteur : C'est fréquent ?

M. Christian ROUSSELIN : Très fréquent.

M. le Rapporteur : Un repreneur qui ne dispose d'aucune surface financière ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr.

M. le Rapporteur : Même une entreprise aussi importante ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr. Et puis, il n'était pas quelqu'un qui n'avait aucune surface financière, il disposait de deux milliards de francs, ce qui n'est pas tout à fait négligeable.

M. le Rapporteur : Oui, mais ce n'était pas lui qui disposait de cet argent.

M. Christian ROUSSELIN : Peu importe, il avait deux milliards à apporter. M. Rochet n'avait pas le moindre sou non plus. Personne n'avait d'argent.

M. le Rapporteur : Ah, il nous a dit le contraire.

M. Christian ROUSSELIN : Non, de toute façon, M. Rochet s'est exclu du débat.

M. le Rapporteur : A cause de la condition suspensive. Mais dans les déclarations qu'il nous a faites, il affirmait avoir obtenu un appui et précisait un ordre de grandeur.

M. Christian ROUSSELIN : Ce sont des affirmations.

M. le Rapporteur : Oui, c'est à vérifier. Pour en revenir à la décision que vous avez prise le 27 juillet 2001, est-ce que cela vous paraissait jouable, à l'époque, ou au contraire très difficile ?

M. Christian ROUSSELIN : C'était jouable.

M. le Rapporteur : Pour vous, c'était jouable ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, c'était difficile, mais jouable. Vous avez un jugement, le second jugement, qui est l'homologation de la transaction. Si vous lisez ce jugement, vous verrez que le tribunal a estimé que l'entreprise pouvait éventuellement être sauvegardée, sous réserve que les deux actionnaires, c'est-à-dire le groupe de M. Seillière et Swissair versent deux milliards de francs et proposent un plan qui n'avait pas grande différence, car il n'y avait pas de grande différence entre le plan de M. Rochet et le plan de M. Corbet.

M. le Rapporteur : On prétend même qu'ils se connaissaient ?

M. Christian ROUSSELIN : Sans doute.

M. le Rapporteur : C'est ce que nous a dit, d'ailleurs, M. Rochet, en précisant toutefois qu'ils n'avaient pas beaucoup travaillé ensemble sur l'élaboration de leurs projets respectifs.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, M. Rochet a beaucoup travaillé avec Fidei, d'ailleurs il a été fort marri - c'est en tout cas ce qu'il a déclaré au tribunal - de la rupture de leurs relations, mais enfin ça, ça fait partie des affaires. Le tribunal n'a pas à s'immiscer là-dedans.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne le projet de reprise par M. Corbet, le tribunal a-t-il estimé que c'était un plan très solide ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, mais il est écrit expressément dans le jugement que si nous avions été dans une situation normale, sans l'apport des actionnaires, nous aurions prononcé la liquidation judiciaire. C'est écrit expressément. Aucun des plans proposés n'était solide.

M. le Rapporteur : Oui, mais même avec l'apport de deux milliards, on aurait pu avoir un plan de reprise extrêmement précis et détaillé. Le tribunal avait-il le sentiment que le projet de reprise, le business plan, était acceptable ?

M. Christian ROUSSELIN : Pour le tribunal, le business plan proposé était tout à fait acceptable. Et pour reprendre votre expression, il a estimé que c'était tout à fait jouable, puisque tout reposait, comme c'est le cas dans une affaire de cette nature, sur la capacité des personnels à accepter un certain nombre de sacrifices et sur le fait que tout le monde soit prêt à se retrousser les manches pour travailler.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une deuxième question, monsieur le Président. Dans la décision du tribunal de commerce du 27 juillet 2001, initialement c'était Holco qui reprenait les actifs. Mais y avait-il eu des discussions, en particulier durant la semaine supplémentaire accordée en vue d'améliorer les propositions, sur l'organisation juridique du groupe Holco, le repreneur ?

M. Christian ROUSSELIN : Non. En matière de reprise d'entreprise, il y a deux étapes.

La première consiste en une proposition faite par un ou plusieurs repreneurs. Les actes effectifs de cession du fonds de commerce font l'objet d'une cession ultérieure, avec l'organisation juridique telle qu'elle a été prévue. D'ailleurs, cette organisation juridique était prévue dans le jugement, puisqu'il était prévu d'organiser - c'est dans le texte, il s'agit des engagement pris par les uns et les autres - la répartition du capital de Holco.

Mais au départ, le jugement est prononcé à partir des éléments qui sont disponibles.

M. le Rapporteur : Mais alors, à quelle époque le tribunal a-t-il été ressaisi pour l'organisation juridique ?

M. Christian ROUSSELIN : Il n'a pas été ressaisi.

M. le Rapporteur : Mais par exemple, l'organisation avec cette filiale aux Pays-Bas ?

M. Christian ROUSSELIN : Le tribunal n'a pas du tout été saisi, ni informé, ni quoi que ce soit.

M. le Rapporteur : Vous n'étiez pas du tout informé ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, pas du tout. L'organisation juridique de ce type d'opération, qu'il s'agisse de celle-là ou d'autres, obéit à des structures. La seule garantie que le tribunal peut apporter, c'est l'interdiction de la cession des actifs. Les actifs sont inaliénables, quelle que soit la structure juridique qui en est propriétaire.

Notre jugement, comme pratiquement tous les jugements rendus par notre tribunal en matière de cession, interdisait la cession des actifs pour une durée minimum de deux ans.

Mais peu importe la structure qui en est propriétaire, puisque ce sont des structures juridiques qui se créent.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, il y a tout de même eu un jugement du tribunal de commerce de Créteil le 13 septembre 2001.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, mais il dit simplement qu'il autorise la création de filiales.

M. le Rapporteur : Il dit que la société Holco bénéficie d'une faculté de substitution au profit de toute entité créée pour les besoins de la reprise, sous réserve de leur contrôle par le repreneur dans les conditions de la loi de 1966.

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr.

Premièrement ce jugement, comme vous pouvez le constater, est simplement un complément, parce que cela avait été oublié dans le jugement d'origine. Par ailleurs, c'est la règle habituelle, qui se justifie par le fait qu'au moment où il propose de reprendre, le repreneur potentiel n'a pas encore cette qualité de repreneur.

Je vais prendre un exemple basique, avec une petite entreprise. En admettant que quelqu'un se présente pour reprendre une boulangerie, bien évidemment il n'a pas créé de structure au moment où il fait la reprise, puisqu'il ne sait pas encore s'il va être repreneur. Il prend simplement l'engagement - c'est d'ailleurs dans le plan - de garantir la bonne fin des engagements et demande la faculté de se substituer aux structures dont il sera propriétaire.

M. le Rapporteur : Est-il exceptionnel de préciser, dans un jugement, que cette entité doit demeurer française ?

M. Christian ROUSSELIN : Pas du tout. De toute façon, aujourd'hui ce serait interdit, car l'Europe existe.

M. le Rapporteur : Mais en matière de transport aérien, vous connaissez les problèmes de nationalité des compagnies.

M. Christian ROUSSELIN : Le tribunal ne peut pas se prononcer sur ce genre de phénomènes. Il ne peut qu'autoriser une substitution, point final. Le jugement du tribunal est un accord de principe, qui va entraîner la régularisation d'actes de cession de fonds de commerce.

M. le Rapporteur : Donc à l'époque, lorsque vous avez été de nouveau saisi, en septembre 2001, rien n'a été évoqué de ce qui était envisagé comme organisation juridique.

M. Christian ROUSSELIN : Pas du tout. Si vous lisez ce jugement, vous constaterez que ...

M. le Rapporteur : Il est très simple.

M. Christian ROUSSELIN : ...qu'il est très simple et qu'il correspond à une interprétation du jugement et corrige une omission. Vous faisiez remarquer tout à l'heure que cela avait été très rapide. Vous vous doutez bien que lorsqu'on rédige des jugements de cinquante pages, avec tout ce que cela comporte pour une entreprise de cette taille, certaines choses peuvent être oubliées. Mais c'était prévu dans la proposition d'origine. Dans le jugement, il est d'ailleurs prévu la répartition du capital de Holco et la faculté de se substituer des entreprises.

Par contre, ces entreprises, quelles qu'elles soient, ne peuvent pas céder leurs actifs sans l'autorisation du tribunal.

M. le Rapporteur : J'y viens. D'après les déclarations que nous avons recueillies, M. Corbet, en tant que président de la coopérative Mermoz, société de droit hollandais, aurait souscrit à une clause spécifiant, si j'ai bien compris, qu'il cédait des avions dans l'hypothèse où la reprise par M. de Vlieger s'effectuerait. Est-ce que ceci vous paraît conforme au jugement ?

M. Christian ROUSSELIN : Pas du tout. C'est tout à fait illicite et si les faits sont confirmés, cette vente est nulle car les avions ne pouvaient pas être cédés.

M. le Rapporteur : Et qui doit demander l'annulation de la vente ?

M. Christian ROUSSELIN : Les organes de la procédure collective, à commencer par ceux qui sont en train de travailler en ce moment. Toutes les opérations qui auront été faites pendant cette période vont être analysées en détail par les organes de la procédure collective et les mandataires qui ont été désignés, ainsi que par le juge-commissaire.

A partir de là, le tribunal va, soit sur demande des mandataires, ou d'office, c'est-à-dire à la demande du juge-commissaire, rechercher les responsabilités. C'est la loi. Ces responsabilités s'entendent de toute nature, c'est-à-dire qui était dirigeant, qui était éventuellement dirigeant de fait. C'est le cadre normal de la procédure.

M. le Rapporteur : Ma quatrième question est la suivante. Vous avez pris une ordonnance le 20 septembre 2002, qui autorise le report de la réunion de l'assemblée générale appelée à statuer sur les comptes de l'exercice 2002, au plus tard le 31 mars 2003.

Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez été saisi et quelles sont les raisons qui ont été invoquées ?

M. Christian ROUSSELIN : Les raisons sont simples. En matière de report d'une assemblée générale, la loi est ainsi faite que je n'ai pas la possibilité de refuser. Il suffit que l'on me dise que les comptables n'ont pas pu faire le bilan et j'ai la quasi obligation, si la demande a été faite dans les délais, c'est-à-dire avant l'échéance ultime de réunion de l'assemblée générale, d'accepter cette demande, sauf à commettre un excès de pouvoir.

Donc, il suffit d'invoquer une panne d'informatique pour obtenir un report de trois mois. En revanche, si ce genre de phénomène se reproduit de manière excessive, à ce moment-là j'ai l'obligation dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises, de faire faire une enquête pour éventuellement demander au tribunal de se saisir d'office pour ouvrir une procédure collective. Mais en ce qui concerne les assemblées générales, les demandes de report qui restent dans des normes habituelles, c'est-à-dire entre trois et six mois supplémentaires, je n'ai aucune possibilité de m'y opposer.

M. le Rapporteur : Donc en l'espèce, vous avez accordé un délai de six mois, c'est-à-dire jusqu'au 31 mars 2003.

M. Christian ROUSSELIN : Oui.

M. le Rapporteur : Et au 31 mars 2003, l'entreprise avait entre-temps déposé le bilan. Cela vous a-t-il paru normal ? Nous avons auditionné un comptable qui avait été désigné en qualité d'expert par le comité d'entreprise et qui nous a déclaré qu'il n'y avait pas de comptes. Que par exemple, le grand-livre avait, quand il a essayé de le consulter, sept mois de retard.

M. Christian ROUSSELIN : C'est bien la raison pour laquelle ils ont demandé un report.

M. le Rapporteur : Oui, mais est-ce que cela ne vous inquiétait pas ?

M. Christian ROUSSELIN : Premièrement, je ne savais pas qu'il y avait sept mois de retard. Ce comptable ne m'a jamais saisi, d'ailleurs il n'avait pas à le faire. Aucune procédure d'alerte n'a été engagée, en tout cas vis-à-vis du tribunal.

M. le Rapporteur : Le comité d'entreprise avait déclenché une procédure.

M. Christian ROUSSELIN : Il a déclenché une procédure devant le tribunal de grande instance.

M. le Rapporteur : Une procédure d'alerte, oui.

M. Christian ROUSSELIN : Mais le tribunal de commerce n'a été saisi d'aucune procédure de ce type.

M. le Rapporteur : Vous l'ignoriez donc ?

M. Christian ROUSSELIN : Nous savions qu'il y avait une procédure, mais c'était, nous disait-on, une procédure pour délit d'entrave, c'est-à-dire refus de fournir des documents comptables. Le procureur de la République m'avait informé de cette situation. Mais les conflits existant à l'intérieur de l'entreprise devaient justement être réglés par le mandataire ad hoc, qui était chargé de gérer le conflit. Le mandataire Me Lafont, désigné à cet effet, était en charge d'essayer de faire une médiation dans cette affaire-là. Après, il y a eu des procès, mais notre tribunal n'a pas été saisi.

M. le Rapporteur : Dans la demande qui avait été faite pour solliciter cette prorogation, on évoque un argument assez étonnant : « La balance des clients entre le 31 juillet 2001 et le 1er août 2001 n'est pas arrêtée. AOM-Minerve détenait des comptes bancaires à Los Angeles, Papeete et Cayenne, qui n'ont pas été clôturés le 31 juillet 2001 par les administrateurs judiciaires et qui ont continué de fonctionner, à la fois pour le compte des anciennes structures, mais aussi pour Air Lib. Une expertise judiciaire est en cours, entre les administrateurs judiciaires et Holco et ses filiales, qui permettra d'aboutir à une situation nette et arrêtée au 1er août 2001 ».

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr.

M. le Rapporteur : Voilà donc l'un des arguments soulevés.

M. Christian ROUSSELIN : Le procès est toujours en cours, d'ailleurs. La procédure collective ancienne et la nouvelle ont sollicité la nomination d'experts et le problème n'est toujours pas réglé. Les sommes correspondant aux billets non utilisés ont également donné lieu à un conflit, toujours pendant, entre les deux administrateurs judiciaires et l'entreprise. Que voulez-vous que j'y fasse ?

M. le Rapporteur : Cinquième question. Vous avez évoqué tout à l'heure la phase où Me Lafont a demandé à être nommé conciliateur.

M. Christian ROUSSELIN : Ce n'est pas Me Lafont lui-même. Il ne peut pas le demander lui-même, c'est l'entreprise qui le demande, Air Lib en l'occurrence.

M. le Rapporteur : Et vous avez rappelé qu'en droit, vous ne pouviez pas le faire si vous n'aviez pas un engagement des pouvoirs publics au sujet des dettes.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, l'assurance que l'entreprise n'était pas en état de cessation de paiement, c'est-à-dire que les dettes n'étaient pas exigées.

M. le Rapporteur : Mais les dettes étaient de natures diverses. Comme vous l'avez rappelé, il y avait des dettes envers l'URSSAF, les Aéroports de Paris, le prêt du FDES, une dette à l'égard de l'Etat, bref, différents créanciers. Vous avez donc obtenu des lettres de chacun d'entre eux ?

M. Christian ROUSSELIN : Non. J'ai reçu des lettres qui venaient des pouvoirs publics, c'est-à-dire des deux ministres.

M. le Rapporteur : Mais les ministres peuvent-ils, par exemple garantir que l'URSSAF n'exigera pas le règlement des dettes ?

M. Christian ROUSSELIN : C'est ce qui s'est passé avec ADP.

M. le Rapporteur : Mais pour l'URSSAF ?

M. Christian ROUSSELIN : L'URSSAF n'a pas réclamé son argent.

M. le Rapporteur : D'accord. Mais vous, en tant que président du tribunal de commerce, si un ministre vous dit : « Non, non, l'URSSAF ne réclamera pas son argent », ça vous suffit ? Vous n'aviez pas de lettre de l'URSSAF ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, je ne pouvais pas avoir une lettre de l'URSSAF. J'avais l'assurance que l'URSSAF n'avait pas assigné la société Air Lib devant notre tribunal. C'est tout. Et de l'autre côté, ADP qui indiquait ne pas réclamer.

M. le Rapporteur : Vous aviez une lettre d'ADP ?

M. Christian ROUSSELIN : Non. A.D.P. a engagé des procédures et les a suspendues. D'ailleurs, cette société a rappelé lors de moult procédures, qu'elle avait reçu des instructions pour ne pas exiger les sommes qui lui étaient dues. Il ne faut pas perdre de vue que l'état de cessation de paiement n'autorise pas le tribunal à s'immiscer dans la gestion des entreprises. Sinon, où irait-on ?

Les créanciers, en tant que tels, ne réclamaient pas leur argent, c'est-à-dire que le passif n'était pas exigible. Et j'avais entre les mains une lettre des pouvoirs publics disant qu'ils accordaient trois mois de délai. Il n'y avait donc plus d'état de cessation de paiement, puisque les créances étaient moratoriées. J'ai estimé que l'état de cessation de paiement n'était pas avéré, à l'instant où la question s'est posée et que je n'avais donc pas à me saisir d'office.

M. le Rapporteur : Avez-vous hésité, avant de prendre votre décision ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr que j'ai hésité, puisque j'ai mis huit jours avant de pouvoir la prononcer. J'ai longuement hésité.

M. le Rapporteur : Vous ne regrettez pas, aujourd'hui ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, je ne regrette pas et si je devais recommencer, je recommencerais dans les pouvoirs qui me sont donnés. J'estime en effet que nous devons donner à nos entreprises toutes les chances de survie.

A partir du moment où tous les partenaires d'une entreprise essaient de faire quelque chose, le tribunal doit, dans des délais qui restent raisonnables - il s'agissait en l'espèce d'un accord de trois mois, ce qui n'est pas le bout du monde - donner toutes les chances à l'entreprise d'essayer de se sortir de l'ornière. Il y en a d'autres, en ce moment.

M. le Rapporteur : A l'époque où vous avez pris cette décision, saviez-vous que l'entreprise perdait de l'ordre de 12 millions d'euros par mois ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : On vous avait indiqué le montant des créances des pouvoirs publics ?

M. Christian ROUSSELIN : Bien sûr. Elles s'élevaient à 115 millions d'euros. Je disposais de tous les chiffres. Me Lafont, dans le cadre de sa mission, m'avait communiqué tous les chiffres. Et ce n'est pas une décision qui a été prise sans information de l'état du passif. Je réponds très directement à la question que vous me posez : je ne regrette pas cette décision et si dans l'avenir, mes responsabilités m'amenaient à nouveau à prendre une décision dans une affaire de ce type, avec des créanciers disposés à accorder des délais pour le règlement de leurs créances, je prendrais exactement la même décision. C'est l'esprit de la loi de 1984.

M. le Rapporteur : J'ai une dernière question à vous poser s'agissant du jugement de liquidation judiciaire, que vous avez prononcé le 17 février 2003. Pourquoi le tribunal n'a-t-il pas étendu à l'ensemble des filiales du groupe Holco ce jugement de liquidation judiciaire ?

M. Christian ROUSSELIN : Parce que c'est impossible.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Christian ROUSSELIN : Premièrement, parce que le tribunal ne peut statuer que sur ce qu'on lui demande. Je vous rappelle que, quel que soit le tribunal - sauf dans les cas où il peut se saisir d'office ou quand il est saisi par le ministère public - il ne peut pas statuer sur autre chose que ce qui lui est demandé. A défaut, ce serait statuer ultra petita. En l'espèce, apprenant que la conciliation était un échec, j'ai informé la société Air Lib qu'elle devait déposer son bilan et j'ai prévenu les dirigeants qu'ils engageraient leur responsabilité personnelle s'ils ne le faisaient pas. La société Air Lib a donc effectué sa déclaration de cessation de paiement. Les autres entreprises n'ont pas effectué de déclaration de cessation de paiement.

M. le Rapporteur : Quelle a été la position du procureur lors du prononcé du jugement de liquidation du 17 février 2003 ?

M. Christian ROUSSELIN : Il s'est prononcé - c'est dans le jugement - pour la liquidation, considérant que les propositions qui étaient faites ne reposaient sur rien de sérieux et étaient vouées à l'échec. En cela, il rejoignait la position du tribunal dans son délibéré, après une petite divergence d'opinions dans le premier jugement quant au renvoi. Pour le procureur comme pour le tribunal, il n'y avait plus d'autre solution que la liquidation.

M. le Rapporteur : Et sur l'extension, le procureur avait la même position ?

M. Christian ROUSSELIN : Le tribunal ne pouvait pas se saisir d'une extension.

M. le Rapporteur : Dans le jugement, vous évoquez effectivement un problème. Je cite : « M. le procureur de la République s'étonne de ces demandes de renvoi et de sursis à statuer » ; il parle de Me Lafont.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, ça c'est un autre problème.

M. le Rapporteur : « Il n'a pas entendu d'éléments concrets qui permettent de penser qu'en huit jours il soit possible de faire ce qui n'a pas été fait en trois mois ». Là-dessus, effectivement, il avait la même position que vous.

M. Christian ROUSSELIN : Absolument. Nous n'avions pas de divergence d'opinions. Le tribunal, quand il s'est réuni, ne connaissait pas encore la position du procureur.

M. le Rapporteur : Mais le procureur a-t-il évoqué le problème de l'extension ? A moins que j'aie mal lu le jugement, je n'ai rien trouvé sur ce point.

M. Christian ROUSSELIN : Non, il ne le pouvait pas, lui non plus.

M. le Rapporteur : Qui peut demander l'extension ?

M. Christian ROUSSELIN : C'est le même problème que celui des avions, évoqué tout à l'heure. La remise en question des actes litigieux qui auraient été passés de manière irrégulière pendant toute la période de fonctionnement, ce sont les organes de la procédure collective qui ont pour mission de rechercher les actifs existants et qui vont également rechercher s'il n'y a pas lieu à extension.

Cela étant, nous sommes dans un pays où la séparation des patrimoines est de droit. Aujourd'hui - il suffit de lire les journaux pour constater qu'un autre tribunal a rendu une décision de même nature - en matière d'extension, seuls deux critères peuvent être retenus.

M. le Rapporteur : Vous voulez parler de l'affaire Tapie ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, je fais allusion à Metaleurop. Le tribunal de Béthune n'a pu prononcer l'extension, alors même que le procureur de la République l'avait demandée.

Cela nous écarte un peu du sujet, mais je voudrais rappeler deux critères fondamentaux.

Le principe est celui de la séparation des patrimoines, c'est-à-dire que toute société bénéficiant de la personnalité morale a un patrimoine qui lui est propre et fonctionne seule. Deux critères sont à retenir en matière d'extension.

Soit la fictivité des entreprises, c'est-à-dire que des entreprises ont été créées pour les besoins de la cause, n'ont aucune réalité économique et aucun patrimoine. C'est comme si on filialisait un département dans une entreprise.

Soit l'interpénétration des patrimoines, c'est-à-dire que les mouvements de capitaux entre les entreprises sont tels qu'il n'est pas possible de déterminer quel est l'actif ou le passif réel des entreprises concernées.

Si des opérations et des mouvements de capitaux anormaux ont été effectués entre les différentes entreprises, la loi prévoit que toutes ces opérations sont annulables. Par conséquent, il appartient aux mandataires liquidateurs, en charge de l'intérêt de la collectivité des créanciers, d'en demander l'annulation au tribunal.

De la même manière, c'est aux mandataires, après expertise ayant révélé fictivité ou interpénétration des patrimoines, de saisir le tribunal pour procéder à l'extension.

M. le Rapporteur : Vous pensez qu'il y a une probabilité élevée que le deuxième critère soit rempli ?

M. Christian ROUSSELIN : Cette audition étant enregistrée, je ne souhaite pas m'avancer sur ce point, car je ne voudrais être accusé d'avoir préjugé d'une décision qui pourrait être rendue par le tribunal.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, je m'en garderais.

M. Christian ROUSSELIN : Quoi qu'il en soit, en l'espèce, je n'ai pas les éléments qui me permettraient d'apprécier la question.

Si des avions ont été cédés - ce qui est le cas - de manière anormale à un tiers, ces opérations sont parfaitement illicites. Pour le reste, je demeurerai extrêmement prudent, car je vous rappelle que le tribunal ne peut statuer et qu'il appartiendra aux mandataires d'apporter la preuve de ce que je viens de dire, ce qui n'est pas simple. Je vous rappellerai l'affaire Metaleurop, où le tribunal de Béthune a, de manière légitime, parfaitement explicité ce que je viens de dire, à savoir que la preuve n'a pas été apportée, ni par le ministère public, ni par les mandataires, qu'il y avait fictivité des entreprises - et pour cause : il est difficile de penser que des entreprises de 800 personnes sont fictives - ou qu'il y avait de tels mouvements de capitaux que l'on ne pouvait pas déterminer les patrimoines respectifs des entreprises.

Ca, c'est le droit pur.

M. le Rapporteur : Etiez-vous au courant, monsieur le Président, des éléments de rémunération, des honoraires ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, pas du tout. Il n'y avait aucune raison que je le fus. Je n'étais pas au courant. D'abord, je n'aurais jamais pensé à lui demander quoi que ce soit et, en plus, je n'y avais aucune qualité.

Vous savez, le tribunal ne peut pas s'immiscer. Je tiens à rappeler qu'une fois le plan de cession arrêté, le tribunal est dessaisi et c'est terminé.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question concernant les conditions dans lesquelles vous avez délibéré en juillet 2001 : avez-vous subi des pressions, vous-même monsieur le Président ou les juges qui ont été amenés à décider ?

M. Christian ROUSSELIN : Non. La réponse du tribunal a été longuement débattue. Je le dis très solennellement : le tribunal n'a été l'objet d'aucune pression de qui que ce soit. Il n'a jamais eu un contact d'aucune sorte avec quiconque, en dehors des contacts normaux avec les institutions judiciaires. Mais je suppose que vous pensez à certains membres des pouvoirs publics, de l'époque ou d'aujourd'hui. A la limite, le seul contact, à titre personnel, que j'ai eu avec les pouvoirs publics, c'est avec le directeur de cabinet du secrétaire d'Etat actuel qui, par méconnaissance sans doute, voulait me convoquer à une réunion de travail au ministère. Il est bien évident qu'il n'avait pas tout à fait compris que le tribunal et en particulier son président, ne pouvait pas être juge et partie.

M. le Rapporteur : Visez-vous M. Jouffroy ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, je ne vise personne.

M. le Rapporteur : Etait-ce l'actuel directeur de cabinet du secrétaire d'Etat aux Ttransports ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui.

M. le Rapporteur : M. Jouffroy, donc ?

M. Christian ROUSSELIN : En effet, le directeur de cabinet de M. Bussereau. C'est le seul coup de téléphone que j'ai eu ; parfaitement courtois d'ailleurs. Il m'a fait demander par Me Lafont si je voulais participer à une réunion de travail avec De Vlieger, Corbet, etc. J'ai donc été obligé de faire répondre qu'il ne fallait pas mélanger les genres. Ce n'était d'ailleurs pas du tout une pression, mais plutôt une méconnaissance. Sinon, je peux vous assurer que, ni d'un côté, ni de l'autre, il n'y a jamais eu de pression.

M. le Rapporteur : Et en juillet 2001 ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, aucune.

M. le Rapporteur : Aucune pression des pouvoirs publics, des administrations, du procureur de la République ?

M. Christian ROUSSELIN : Non.

Je dois dire que j`apprécie beaucoup le procureur de la République de Créteil. Il sait très bien que nous avons l'épiderme, dans ce domaine, extrêmement sensible, que ça soit pour ça ou autre chose, car cette affaire a un côté un peu exceptionnel, mais elle ne fait que partie des centaines d'entreprises que nous sommes malheureusement obligés de traiter.

Chacun sait très bien comment rester chez soi. Personne ne prétend vouloir influer sur la décision de qui que ce soit. Chacun reste parfaitement dans les règles judiciaires et dans les limites des pouvoirs respectifs des uns et des autres, ce qui permet d'ailleurs de pouvoir très librement relater dans nos jugements ce qui s'est dit. Je peux vous assurer, je le dis haut et fort que nous n'avons jamais été l'objet d'aucune pression d'aucune sorte, ni de la part du Parquet, ni de la part de la Chancellerie, des pouvoirs publics ou d'une quelconque administration.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, cette affaire étant maintenant en liquidation, pensez-vous que les choses auraient pu tourner différemment ?

M. Christian ROUSSELIN : Ah oui, tout à fait !

M. le Rapporteur : Et à quelle condition, à votre avis, cela aurait pu tourner autrement ?

M. Christian ROUSSELIN : En l'espèce, c'est une situation très délicate. Je crois que c'est très difficile. Vous me demandiez tout à l'heure si, lorsque le tribunal a rendu sa décision, nous pensions que c'était jouable. Je le réaffirme, sinon nous n'aurions évidemment pas pris cette décision. C'est pourquoi nous en avons pris cette fois-ci une autre, parce que là ce n'était plus jouable.

Je crois qu'il y a eu des problèmes d'hommes et des circonstances. Je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'Air Lib a tout de même manqué de chance, eu égard à la situation de Swissair, qui a versé un milliard de francs pour déposer son bilan huit jours plus tard. Un milliard de francs a manqué dans la caisse.

Les conflits se sont apparemment vite institués entre les différents représentants du personnel et de la direction, c'est la raison pour laquelle Me Lafont avait été désigné comme mandataire ad hoc. La situation était devenue extrêmement difficile, d'une violence rare. Cela arrive dans les conflits sociaux, mais là on était dans des schémas extrêmement violents, de la part d'élus, de représentants du personnel, y compris apparemment entre eux d'ailleurs, car nous avons été abreuvés de tracts en tous genres.

Je crois que personne n'a pu arriver à trouver un terrain d'entente, que sans doute des personnalités se sont révélées ne pas être ce qu'elles paraissaient au départ. Les hommes n'ont pas été à la hauteur, mais peut-être que je me trompe.

M. le Rapporteur : Selon vous M. Corbet avait-il les capacités d'être un homme d'affaires, un manager comme on dit ?

M. Christian ROUSSELIN : Avec l'équipe qu'il avait avec lui, qui par la suite a disparu : oui. Il avait fait ses preuves chez Air France.

M. le Rapporteur : Dans quel domaine avait-il fait ses preuves, monsieur le Président ?

M. Christian ROUSSELIN : Il était le président du syndicat national des pilotes de ligne ; il avait réussi à obtenir de M. Blanc que le personnel soit intégré dans l'actionnariat. Il avait donc la capacité de gérer le personnel.

M. le Rapporteur : Un syndicaliste ne gère pas le personnel.

M. Christian ROUSSELIN : Je veux dire la capacité d'animer des équipes. De plus, il avait un directeur général parfaitement compétent.

M. le Rapporteur : Vous connaissez beaucoup d'anciens dirigeants syndicaux qui ont réussi dans les affaires ?

M. Christian ROUSSELIN : A ce niveau-là, pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : Mais en connaissez-vous ?

M. Christian ROUSSELIN : Je ne fréquente pas tellement les dirigeants syndicaux, mais pourquoi pas ? De plus, ils avaient un directeur général, qui a participé à toutes les audiences et qui avait lui aussi des compétences. C'est toujours le même problème. Il y avait une équipe, des hommes. Cette équipe, à l'intérieur de l'entreprise, avait des capacités. Il n'y avait pas de raison, en tous cas a priori, de les considérer comme incompétents.

M. le Rapporteur : Mais pensez-vous possible de s'improviser chef d'entreprise ? M. Corbet n'avait aucune expérience dans le domaine de la gestion. Il était pilote de ligne et avait été dirigeant d'un syndicat de pilote de ligne.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Donc il n'avait aucune expérience de chef d'entreprise ?

M. Christian ROUSSELIN : Et alors ? Pourquoi serait-ce impossible ? Il y a des tas de gens autodidactes et chefs d'entreprises qui réussissent très bien.

M. le Rapporteur : Effectivement. Mais ils sont rarement basculés à la tête, subitement, d'une entreprise de 3 500 personnes.

M. Christian ROUSSELIN : Il n'en restait que 1 700, je vous signale.

M. le Rapporteur : D'accord. Mais qu'il y en ait 1 700 ou 3 500...

M. Christian ROUSSELIN : De plus, un plan avait été préparé.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas la reprise d'une boulangerie, comme vous le disiez tout à l'heure. (Sourire.)

M. Christian ROUSSELIN : C'est vrai. Mais pourquoi pas ?

M. le Rapporteur : Ca ne vous a pas troublé ? Vous ne vous êtes pas posé la question : « Mais sera-t-il capable de gérer une telle affaire ? »

M. Christian ROUSSELIN : Si, ce problème s'est posé. Mais à partir du moment où les équipes sont d'accord ? Que voulez vous, on ne peut pas faire le bonheur des uns et des autres contre leur gré. Qu'auriez-vous dit si nous avions prononcé la liquidation judiciaire ?

M. le Rapporteur : Rien.

M. Christian ROUSSELIN : On aurait été dans l'opération inverse. Et nous n'aurions pas respecté la loi.

M. le Rapporteur : Etant un ancien magistrat, je me garderai de me prononcer. Je suis naturellement pour la séparation des pouvoirs.

M. Christian ROUSSELIN : Lors de sa décision, le tribunal n'a pas été troublé.

M. le Rapporteur : Enfin il y a eu des discussions, tout de même. C'est normal.

M. Christian ROUSSELIN : Aucun proposant n'était bon. Y compris M. Rochet. Et en-dehors de la question de la condition suspensive, je constate qu'il était totalement rejeté par l'ensemble du personnel et que le mandat ad hoc qu'il avait sollicité à Evry n'avait pas abouti. Mais je crois que et je maintiens ce que je dis, cela aurait pu tourner autrement. Ce n'a pas été le cas.

M. le Rapporteur : Avez-vous d'autres éléments à fournir à la commission puisque, comme vous le savez, son but est d'enquêter sur les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib, compte tenu des fonds publics qui y ont été apportés, à hauteur des chiffres que vous nous avez fournis.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, cent et quelques millions d'euros.

M. le Rapporteur : 120 millions d'euros environ.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, approximativement.

Que voulez-vous que je dise de plus à la commission ? Il appartenait aux créanciers, que ce soit l'ADP ou l'URSSAF, lorsque ces organismes n'ont pas été payés, d'exiger les sommes qui leur étaient dues.

M. le Rapporteur : Donc ils n'ont pas fait leur travail.

M. Christian ROUSSELIN : Ce n'est pas qu'ils n'ont pas fait leur travail.

M. le Rapporteur : C'est votre thèse, monsieur le Président ?

M. Christian ROUSSELIN : Non, pas du tout !

M. le Rapporteur : Ah bon.

M. Christian ROUSSELIN : Je ne dis pas qu'ils n'ont pas fait leur travail. Je dis simplement que si les passifs en question avaient été exigés, l'entreprise aurait été en cessation de paiement et point final.

M. le Rapporteur : Cela aurait réduit la note finale.

M. Christian ROUSSELIN : En effet.

Mais, pour le reste, en ce qui concerne le jugement initial, je persiste et signe. De toutes façons, c'est une décision de justice définitive puisque personne n'a fait appel. Tous ceux qui avaient la faculté de pouvoir exercer un recours contre cette décision ne l'ont pas fait et je suis convaincu que c'était à l'époque la seule décision possible.

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, avez-vous d'autres éléments à fournir à la commission ?

M. Christian ROUSSELIN : Pour le reste, non.

M. le Rapporteur : Vous nous dites, en définitive, que c'est une question d'hommes, qu'a posteriori l'équipe et surtout le président, ne se sont pas révélés à la hauteur de la tâche. 

M. Christian ROUSSELIN : C'est mon point de vue.

M. le Rapporteur : Parmi les causes économiques et financières de la disparition d'Air Lib, est-ce la plus importante ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, fondamentalement. La décision de notre tribunal était basée là-dessus. En dehors des aspects financiers, Elle était fondée sur la capacité des femmes et des hommes qui étaient dans cette entreprise. C'est écrit très clairement dans les attendus.

M. le Rapporteur : Peut-on dire que le tribunal a eu tort a posteriori ?

M. Christian ROUSSELIN : Non.

M. le Rapporteur : Même pas a posteriori, puisque vous venez de le dire, monsieur le Président

M. Christian ROUSSELIN : Non.

M. le Rapporteur : Vous venez de nous dire qu'a posteriori, vous avez dû constaté, hélas, qu'il n'avait pas les capacités requises.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, mais ça ne veut pas dire que la décision d'origine était mauvaise. Elle avait été prise en fonction des éléments existants.

M. le Rapporteur : Je ne dis pas qu'elle était mauvaise.

M. Christian ROUSSELIN : Mais ils ne se sont pas entendus !

M. le Rapporteur : Si vous l'aviez su à l'époque, auriez-vous pris la même décision ? Mais on ne refait pas l'histoire.

M. Christian ROUSSELIN : Le problème est simple. Si les organisations syndicales nous avaient dit : « On n'en veut pas », comme ils ont fait pour M. Rochet,  nous n'aurions pas pris cette décision.

M. le Rapporteur : Parce que pour vous, la position des organisations syndicales est un élément majeur de la décision du tribunal ?

M. Christian ROUSSELIN : Absolument. Cette entreprise avait économiquement une chance de survivre ; c'est écrit d'ailleurs dans le jugement. Elle avait un plan financier extrêmement fragile et des engagements avaient été pris. Je vous rappelle que les engagements prévus dans le business plan consistaient à rechercher des investisseurs qui viendraient conforter les fonds propres de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Qu'on n'a jamais vus.

M. Christian ROUSSELIN : Qu'on n'a jamais vus mais ça ne me concernait plus.

M. le Rapporteur : Mais à l'époque du jugement, vous a-t-on fait valoir qu'il y avait des investisseurs potentiels ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, bien sûr. Ils étaient même présents en chambre du conseil.

M. le Rapporteur : Et qui étaient ces investisseurs ?

M. Christian ROUSSELIN : C'était la banque CIBC, la grande banque canadienne internationale.

M. le Rapporteur : Elle devait rechercher des investisseurs.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, bien sûr.

M. le Rapporteur : Elle n'investissait pas.

M. Christian ROUSSELIN : Cela relevait de sa compétence. Elle a déclaré elle-même que tout était en bonne voie. Il n'y avait pas de raison de mettre en doute sa compétence et ses affirmations.

M. le Rapporteur : Mais avez-vous su combien ils avaient été rémunérés pour ne pas trouver d'investisseurs ?

M. Christian ROUSSELIN : Pas du tout. Je n'ai pas du tout les comptes, comment voulez-vous que je sache ?

M. le Rapporteur : D'après les chiffres qui nous ont été donnés, suite à un audit, cette banque d'affaires a touché 8,3 millions d'euros.

M. Christian ROUSSELIN : 8,3 millions d'euros ?

M. le Rapporteur : Cela vous paraît beaucoup, vous qui êtes un homme de l'art ?

M. Christian ROUSSELIN : Cela me paraît excessif.

M. le Rapporteur : Pour aucun résultat ?

M. Christian ROUSSELIN : Certes.

Comme pour tous les tiers qui auront encaissé des sommes de la part d'Air Lib, cela fait partie des opérations susceptibles de déclencher des expertises diligentées par les administrateurs et qui feront l'objet d'éventuelles critiques.

M. le Rapporteur : En tant que président de tribunal de commerce, vous paraît-il justifié que M. Corbet ait perçu entre le 1er août 2001 et le 31 mars 2002, 243 000 euros de salaire plus une prime de 762 000 euros, soit un total de 1 000 005 euros ?

M. Christian ROUSSELIN : Je ne rentre pas dans ce genre de considérations. Je n'ai pas avoir d'avis sur les rémunérations des uns et des autres. Si les expertises font apparaître que ces rémunérations sont excessives par rapport aux travaux qui ont été faits et par rapport à la situation de l'entreprise, il appartiendra au mandataire liquidateur de remettre en cause ces rémunérations. C'est valable pour l'ensemble des intermédiaires qui les ont perçues. Ensuite, en fonction des éléments qui seront fournis, le tribunal sera amené à statuer sur le bien fondé de ces demandes. Tout le problème est de savoir si c'était préjudiciable ou non à l'entreprise. Il appartiendra au mandataire de le prouver, mais il appartiendra aussi aux dirigeants, M. Corbet et les autres intermédiaires s'ils sont mis en cause, de défendre leur point de vue et leurs arguments. Je n'ai donc pas à porter de jugement sur une rémunération ou sur une autre.

M. le Rapporteur : Quel est votre sentiment, eu égard à ce que vous voyez dans les entreprises ?

M. Christian ROUSSELIN : Vous savez, il y a pire.

M. le Rapporteur : Vous avez vu « mieux » ?

M. Christian ROUSSELIN : Oui, malheureusement !

M. le Rapporteur : Ce sont des euros, je précise. Ce ne sont pas des francs.

M. Christian ROUSSELIN : Oui, même en euros, j'ai vu mieux, c'est-à-dire pire. Il n'y a qu'à regarder les chiffres. Quand des entreprises importantes sont en difficulté et qu'on constate les rémunérations versées, directes et indirectes, on a quelquefois des surprises. Mais ce n'est pas à moi d'en juger.

M. le Rapporteur : Il y a des tribunaux.

M. Christian ROUSSELIN : Si le tribunal est saisi.

M. le Rapporteur : Bien sûr.

M. Christian ROUSSELIN : Il appartiendra alors aux gens qui seront mis en cause, en particulier à M. Corbet, de justifier que ces rémunérations ont correspondu à un travail effectif. Et le tribunal statuera. Quel que soit le tribunal saisi, c'est une décision qui ne nous reviendra pas au final. Si nous considérions par exemple que ces rémunérations sont excessives et mettions donc en cause la responsabilité des intervenants, ceux-ci saisiraient immédiatement la cour d'appel. Si le jugement était l'inverse, ce serait le ministère public qui saisirait la cour d'appel.

C'est un problème sur lequel il faut statuer avec les éléments qui seront fournis. Un chiffre lancé à la volée sur une ligne comptable ne peut pas être pris en considération comme ça. Je pourrais avoir un avis personnel. Mais ça, je ne l'exprimerai pas. (Sourires.)

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, je vous remercie.

Audition de MM. Gilles Ricono et Patrick Amar,
ancien directeur de cabinet et ancien conseiller technique
du ministre de l'équipement, du transport et du logement, M. Jean-Claude Gayssot

Procès-verbal de la séance du mardi 29 avril 2003

Présidence de M. Ollier, président
puis de M. Xavier de Roux, vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur Ricono, vous êtes Ingénieur général des Ponts et chaussées, vous avez été directeur de cabinet du ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement du 6 août 1999 au 1er décembre 2001, puis conseiller dans ce même cabinet jusqu'en avril 2002.

Monsieur Patrick Amar, vous êtes ingénieur principal des études d'exploitation de l'aviation civile et avez été conseiller technique chargé du secteur aérien au cabinet du ministre de l'Equipement du 31 août 1999 au 6 mai 2002.

La commission d'enquête a souhaité vous entendre afin que vous nous expliquiez le rôle du ministère de l'Equipement, et plus particulièrement du ministre et de son cabinet, dans la gestion du dossier Air Lib, à compter du début du mois d'août et les quelques mois qui ont suivi.

Nous souhaiterions savoir quelles ont été la position et l'influence du ministre et de son cabinet lors de deux périodes clés : la reprise d'Air Liberté-AOM par M. Corbet en juillet 2001 et l'attribution du prêt FDES en janvier 2002.

Après un exposé introductif d'une dizaine de minutes, le Rapporteur, les membres de la commission et moi-même vous poseront un certain nombre de questions.

M. Gilles RICONO : J'ai eu connaissance du dossier qui est devenu Air Lib, mais qui dans un premier temps s'appelait AOM-Air Liberté, à la fin de l'année 1999. En effet, j'ai été alerté par le président de la compagnie nationale Air France dont le souhait était de racheter la compagnie AOM-Air Liberté qui, à l'époque, était sous la tutelle de British Airways.

Cette dernière, qui rencontrait un grand nombre de difficultés pour des présentations de bilan et aussi du fait que les compagnies étaient dans une situation difficile, voulait vendre AOM et Air Liberté. Or Air France, à l'époque, dans une grande réflexion sur l'avenir de la compagnie et notamment le fait qu'il y avait un enjeu très fort pour eux de valoriser le hub de Roissy, avait souhaité se porter acquéreur de ces compagnies.

Le ministre, M. Jean-Claude Gayssot, était très favorable à cette acquisition, tout comme d'ailleurs l'ensemble des membres du conseil d'administration auquel le dossier avait été soumis. Néanmoins, l'opération n'a pu se conclure du fait que la Direction générale de la concurrence et de la consommation avait considéré que, si la compagnie Air France se portait acquéreur, elle devait restituer 120 % des créneaux d'AOM-Air Liberté sur Orly et Roissy, au motif qu'une compagnie aurait été dominante sur certaines destinations.

Nous avions fait savoir que cela nous paraissait abusif, mais la DGCCRF a maintenu sa position. De ce fait, l'opération n'a pu être conclue.

C'est donc Swissair qui a, par la suite, racheté AOM-Air Liberté à British Airways avec une situation quelque peu particulière puisque Swissair n'était pas une compagnie européenne. Selon les textes, il fallait qu'il y ait un actionnariat européen majoritaire, d'où l'alliance avec Marine Wendel, qui est devenu majoritaire. Au fur et à mesure du temps, la situation a évolué. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur le portage de cette opération.

Assez vite, certaines difficultés de la compagnie sont apparues, notamment liées à des problèmes de management qui ont d'ailleurs amené les actionnaires à se séparer du président de l'époque, M. Couvelaire, et à le remplacer par M. Marc Rochet. Ces difficultés étaient liées à des problèmes industriels forts, notamment le fait que la stratégie des Suisses n'était pas totalement limpide. En effet, à l'époque, ils rachetaient tout ce qui passait en Europe dans des conditions dont on ne percevait pas bien la pertinence.

Malheureusement, la situation a ensuite abouti à celle que nous avons connue pour les filiales françaises. La compagnie Air Littoral, qui avait été rachetée par les Suisses, s'est aussi retrouvée, à la même époque, dans une situation extrêmement difficile.

Le deuxième épisode a commencé en avril-mai 2001 lorsque, à l'évidence, la situation d'AOM et d'Air Liberté devenait très fragile et que les hypothèses de dépôt de bilan s'avéraient quasi inéluctables. Nous avions été alors alertés par les organisations syndicales et le personnel qui avaient demandé à rencontrer, sinon le ministre, du moins son entourage. Nous étions très préoccupés par l'avenir de ces compagnies aériennes du fait des conséquences très lourdes d'un dépôt de bilan. En termes d'emplois, cela représentait globalement 5 000 personnes en direct sur le site d'Orly, ce qui mettait d'ailleurs en cause la fiabilité de la plate-forme. Il y avait également les 1 100 salariés de Air Littoral à Montpellier, sans compter les emplois indirects.

La compagnie rencontrait de gros problèmes au niveau de la desserte des Antilles et d'un certain nombre de vols domestiques. C'est dans ce contexte que nous avons été saisis, à cette époque, par différents candidats à la reprise.

M. le Président : Plus précisément, à quel moment ?

M. Gilles RICONO : Entre avril et mai 2001. Nous avions bien senti que nous arrivions au bout de la situation d'AOM et d'Air Liberté. Les premiers clignotants très forts sont apparus au printemps 2001. C'est à cette époque que le ministre m'avait demandé de recevoir les candidats repreneurs éventuels sur cette opération. Nous avons reçu un grand nombre de personnes et ce à plusieurs reprises.

Nous avons d'abord rencontré Marc Rochet qui était à la tête d'AOM-Air Liberté après le départ de M. Couvelaire. Marc Rochet était chargé de défendre les intérêts de la société helvétique, mais en même temps, il était objectivement - comme il nous l'avait dit - candidat repreneur. Une autre candidature à la reprise émanait de fonds américains représentés par la société FIDEI dont nous avons reçu les représentants à plusieurs reprises. Puis il y a eu M. Corbet qui nous avait été présenté préalablement par M. Immediato de la section Air Liberté du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL).

Nous avons reçu à de nombreuses reprises les uns et les autres, et puis quelques autres également dont assez rapidement j'ai considéré qu'ils n'avaient pas de compétences particulières pour mener une entreprise de cette nature. Néanmoins, j'avais reçu comme instruction de recevoir chaque candidat repreneur qui le souhaitait pour évaluer avec lui la situation et les évolutions possibles.

Nous avons écouté chacun des candidats repreneurs, puis leur avons soumis notre souhait qui était de faire en sorte que l'emploi soit le plus possible préservé, compte tenu des difficultés de la plate-forme d'Orly et des personnels, et de la nécessité de poursuivre à la fois l'aménagement du territoire et la desserte des Antilles et de La Réunion. Nous souhaitions que ces candidats repreneurs présentent des dossiers auprès du tribunal de commerce.

Nous n'avions aucune idée précise de la décision que pouvait prendre le tribunal de commerce de Créteil, à tel point que nous avions avec Air France pris un certain nombre de décisions conservatoires fin juillet. Par exemple, nous avions demandé à Air France d'affréter un Boeing 747 à une compagnie aérienne américaine pour pouvoir, en cas de décision négative du tribunal de commerce de Créteil, faire en sorte qu'il y ait continuité du service. En effet, cette période de fin juillet était tout à fait critique avec, d'une part, les vacances, et d'autre part le retour chez eux de nombre de compatriotes domiens, d'où un surbooking des vols. Cette continuité du service a donc été assurée grâce à Air France qui avait pris en location un Boeing 747 pour assurer la desserte de la Guyane et des Antilles.

Une fois la décision prise, il a appartenu à l'entreprise de se mettre en état de marche. Puis assez vite, deux éléments majeurs et déterminants sont intervenus.

Tout d'abord, ce sont les attentats du 11 septembre avec des conséquences dramatiques sur le transport aérien qui se sont traduites quasi immédiatement par des baisses de trafic sur les vols domestiques supérieures à 10 % ainsi que sur les DOM-TOM. Nous pensions pourtant que les DOM-TOM pouvaient constituer un refuge notamment pour les vacances, mais cela ne s'est pas vérifié.

Au-delà de cet événement, cette nouvelle entreprise était déjà confrontée à des difficultés dont la reconstitution d'un management et une réorganisation interne, sans compter la fusion. En effet, je rappelle que la fusion d'AOM-Air Liberté n'avait pas eu lieu avant la reprise. Toutefois, il était nécessaire de fusionner pour donner de la flexibilité à l'entreprise, mais sur le plan social, la situation était relativement complexe. A titre d'exemple, la première fois que j'ai reçu les hôtesses et les stewards, selon leur compagnie, les hôtesses étaient en bleu ou en rouge. La compréhension n'était pas totale à l'intérieur de l'entreprise, d'où un certain nombre de problèmes.

Cette entreprise, qui se trouvait dans une situation délicate comme un bébé qui vient de naître, se trouve immédiatement frappée par le drame du 11 septembre.

Le deuxième choc est la faillite de Swissair et le fait que cette dernière se retrouve dans l'incapacité d'honorer son engagement auprès du tribunal de commerce, c'est-à-dire le versement prévu d'environ 1,3 milliard de francs. Swissair fait faillite début octobre et ne peut donc honorer le solde de 60 millions d'euros.

Cela a été très pénalisant pour l'entreprise, qui rencontrait des problèmes de trésorerie. Chacun sait que, dans le domaine aérien, la trésorerie est un élément déterminant. Il faut payer le carburant au « cul du camion », sinon les avions ne volent pas. Parallèlement aussi, des investissements étaient nécessaires puisque, sur le plan de la gestion et du management de l'entreprise, tout était à réadapter. Cette opération ne pouvait se faire par manque de fonds nécessaires, c'est-à-dire les 60 millions d'euros manquants. A cela s'ajoutait le fait que les projets d'investissement et de recherche d'investisseurs devenaient délicats. Dans le secteur aérien, les investisseurs étaient depuis longtemps prudents et frileux, hormis pour quelques compagnies à bas coûts. La recherche d'investisseur n'était pas simple et, après le 11 septembre, les investisseurs dans le domaine aérien ont disparu. On se retrouvait alors devant une situation difficile.

En ce qui concerne les autres compagnies aériennes, un certain nombre de mesures avaient été prises, notamment à Air France. Avec la Commission européenne, nous avions pu dédommager cette compagnie d'un certain nombre de dommages directs liés au 11 septembre, notamment une compensation en raison de l'interruption des vols transatlantiques et des aides en termes de sécurité au niveau des entreprises.

En ce qui concerne Air Lib, compte tenu de son trafic, ces aides n'ont pu être attribuées, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis. Nous avons pris des dispositions pour un moratoire sur un certain nombre de dettes fiscales, sociales et aéroportuaires.

M. le Président : Avez-vous des traces écrites de ces décisions concernant le moratoire ?

M. Gilles RICONO : Personnellement, non.

M. le Président : Comment le moratoire a-t-il été décidé? Je présume que cela a été fait par écrit.

M. Gilles RICONO : Oui, cela a été fait par le CIRI qui était responsable de la gestion.

M. le Président : Le CIRI s'est occupé du second moratoire.

M. Gilles RICONO : Je ne peux pas vous donner aujourd'hui la date du premier moratoire.

M. le Président : Nous aimerions avoir l'acte par lequel ce moratoire a été décidé. Je présume que l'on ne décide pas de soustraite des entreprises à la dette de l'Etat sans une décision officielle. Or, jusqu'à présent, nous n'avons pas trouvé de décision officielle. Pourriez-vous nous la communiquer ?

M. Gilles RICONO : Je pense que la Direction générale de l'aviation civile doit l'avoir. Cela ne peut être que l'administration des finances et l'administration de l'aviation civile. Il ne peut pas y avoir de dispense hors de ces administrations.

M. le Président : Mais ni l'une ni l'autre n'ont de trace écrite de la décision qui a engagé ce premier moratoire.

M. Gilles RICONO : Ce n'est pas le cabinet qui pouvait prendre une telle décision. Pour la rendre opérationnelle, cela ne pouvait être que l'administration administrante.

M. le Président : L'administration exécute les ordres du gouvernement pour mettre en place le moratoire, mais ce n'est pas elle qui prend la décision. Qui a pris la décision ?

M. Gilles RICONO : Les dettes fiscales et sociales ne sont pas de la compétence du ministre de l'Equipement. En ce qui concerne le reste, ce sont des dettes aéroportuaires, en l'occurrence Aéroports de Paris. Je regarderai dans mes dossiers la forme prise par cette décision.

M. le Rapporteur : En l'état actuel de nos recherches, il semble que cela ait été une décision de la compagnie de ne plus payer, mais nous n'avons pas trouvé de décision écrite soit du ministre des Finances, soit du ministre de l'Equipement. Nous ne trouvons aucun texte s'agissant du premier moratoire; alors que nous en avons un pour le deuxième moratoire.

M. Gilles RICONO : En ce qui concerne les dettes fiscales et sociales, je n'ai pas de compétence particulière sur ce type de dette. Sur les dettes aéroportuaires, l'établissement public Aéroports de Paris (ADP), en l'absence de leur paiement, a dû prendre des dispositions.

M. le Rapporteur : Sur ce point particulier, vous souvenez-vous avoir eu des coups de téléphone, des échanges avec Aéroports de Paris pour ce qui concernait la compétence de votre ministre ?

M. Gilles RICONO : Oui, j'ai eu régulièrement des contacts avec ADP.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous leur avoir demandé d'être un peu indulgents envers l'entreprise car elle ne pouvait plus payer ?

M. Gilles RICONO : Oui, je leur ai demandé de prendre des dispositions pour, notamment après le 11 septembre, qu'il n'y ait pas de versements brutaux.

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous avoir signé ou fait signer à votre ministre une lettre là-dessus ?

M. Gilles RICONO : Non, je n'en ai pas le souvenir.

M. le Président : Notre souci est d'avoir une chronologie précise des décisions, lorsqu'elles ont été prises. C'est un élément important car un moratoire est une décision du gouvernement qui comporte un certain nombre d'actes qui touchent tant le ministère des Finances que le ministère des Transports. Or il n'y a pas trace de cet acte décisionnel.

Par ailleurs, si c'est l'entreprise qui décide de ne plus payer, ce n'est plus un moratoire. Ce n'est pas du tout la même chose. En principe, dans le cas d'un moratoire, il y a des contreparties permettant d'espérer que l'entreprise retrouve sa capacité à retravailler et à équilibrer ses comptes, notamment un plan de restructuration, des investisseurs, etc. Or nous ne trouvons pas, dans nos recherches, la relation de cause à effet qui permet d'établir qu'il y a eu un moratoire avec des engagements qui ensuite ont été respectés.

M. Gilles RICONO : Je regarderai cela de près avec ADP et l'équipe dirigeante de l'époque.

Début octobre, c'est-à-dire après le traumatisme du 11 septembre et la faillite de Swissair, nous avons travaillé avec l'administration pour voir comment aider l'ensemble des compagnies aériennes à passer cette période extrêmement difficile. A cet effet, un certain nombre de réunions interministérielles se sont déroulées de façon officieuse à partir de ce moment-là jusqu'à la décision d'octroi du prêt qui a eu lieu début janvier.

Pour revenir à mon exposé introductif, nous réfléchissons à la situation. Des mesures de caractère industriel sont prises par l'entreprise sur les DOM. De plus, il est question d'un projet important vers l'Algérie compte tenu du fait que nous savions depuis un certain temps qu'Air France ne pouvait pas reprendre ses vols vers l'Algérie. Une sorte de diversification était donc envisagée pour passer cette période difficile qui nécessitait une aide et qui a fait l'objet des décisions interministérielles dont j'ai parlé. Il me semble qu'il y a eu une réunion de ministres au tout début janvier, puis dans la foulée, une réunion de formalisation.

M. le Président : Sur ce plan précis, avez-vous une notion de la durée de ces discussions sur la mise en oeuvre du prêt du FDES ? En effet, chacun sait que les procédures peuvent être assez longues. Pour vous, au cabinet, combien de temps s'est écoulé entre le moment où la demande a été faite et celui où la décision a été prise ?

M. Gilles RICONO : Globalement, nous avons commencé à imaginer un certain nombre de solutions à partir de novembre. Les choses se sont décantées et ont abouti à la décision du 3 janvier, lors de la réunion de ministres, et de sa mise en forme par une réunion interministérielle à laquelle j'assistais le 7 janvier. Une première partie du prêt a dû être versée le 9 janvier en raison de l'existence d'un problème de trésorerie immédiat.

Ensuite, les modalités du prêt ont été diligentées exclusivement, comme c'est la règle, par le ministère des Finances. A ce moment-là, il me semble que, même si nous n'étions plus directement concernés par la pratique du prêt et sa mise en oeuvre, le ministère des Finances a diligenté des audits, notamment par le cabinet Mazars, sur la situation de l'entreprise.

C'est à partir de là que la convention de prêt, dont je n'ai pas eu connaissance car c'est de la compétence stricte du ministère des Finances, a pu être signée et les premiers versements effectués, et ce jusqu'à la fin de notre activité au ministère, c'est-à-dire jusqu'au 6 mai.

Entre-temps, les vols vers l'Algérie ont débuté début février et des accords ont été passés avec Air France, notamment le «code share» sur la desserte des Antilles.

M. le Président : Pourriez-vous nous indiquer, au moment de la discussion sur le prêt, l'avis ou la position du ministère des Finances sur ce prêt ? Y a-t-il eu des discussions particulières sur ce point avant la réunion de Matignon ?

M. Gilles RICONO : Dans ce type d'opération, quels que soient les problèmes abordés, le ministère des Finances n'est jamais très allant sur des décisions de cette nature.

M. le Rapporteur : A votre connaissance, était-il pour ou contre ?

M. Gilles RICONO : Dans les décisions interministérielles, la position du ministère des Finances n'était pas très favorable, même si, dans l'arbitrage rendu, la possibilité d'octroi d'un prêt avait été retenue comme étant une solution.

M. le Rapporteur : D'après vos souvenirs, le ministère des Finances n'était pas enthousiaste vis-à-vis de cette solution, mais il ne s'y est pas non plus opposé.

M. Gilles RICONO : Absolument. Je suis ferme sur ce point.

M. le Rapporteur : De janvier à mai, avez-vous de nouveau entendu parler de cette affaire ?

M. Gilles RICONO : Ensuite, est venue toute la gestion technique du prêt. Nous avons donc continué à suivre de très près les évolutions, tout comme nous le faisions pour la compagnie nationale. La situation est restée très tendue puisque le traumatisme du 11 septembre ne s'est pas arrêté brutalement, contrairement à d'autres épisodes que j'avais connus en tant que directeur de cabinet, il y a une dizaine d'années. En effet, après la première guerre du Golfe, nous avions assisté à une reprise assez brutale du trafic. Dans le cas présent, nous avions pu constater que ce n'était pas le cas. Nous suivions de très près les évolutions des compagnies aériennes de façon générale.

M. le Rapporteur : Cela se termine donc début mai.

M. Gilles RICONO : Tout à fait.

M. le Président : A partir de cet exposé, nous avons quelques questions à vous poser sur le début du processus.

Tout d'abord, avant que le tribunal de commerce de Créteil prenne sa décision, selon nos informations, se seraient tenues des réunions au cabinet au cours desquelles il y aurait eu un soutien très fort du cabinet en faveur de la solution Corbet. Cela est-il vrai ?

M. Gilles RICONO : J'ai vu depuis, notamment dans la presse, beaucoup de choses sur le fait que le ministre et le cabinet auraient été enclins à privilégier la solution Corbet. Je peux vous assurer que j'ai reçu la quasi-totalité des candidats repreneurs, parfois même des gens qui n'étaient pas d'une grande fiabilité.

Les trois repreneurs qui nous paraissaient sérieux avaient d'ailleurs des projets pas totalement identiques mais dont la philosophie était la même. Que ce soit les projets de FIDEI, de MM. Corbet ou Rochet, il y avait un processus industriel et stratégique pratiquement identique, mais nous n'avons privilégié aucun des trois. J'ai même imaginé que des mariages de compétences pouvaient être utiles. J'ai indiqué tant à M. Corbet qu'à M. Rochet qu'il paraissait opportun que les compétences des uns et des autres puissent s'agréger. Cela n'a pas été possible et, de notre côté, il n'était pas possible de marier des gens qui n'en avaient pas envie.

Je vous donnerai mon sentiment personnel. Si les projets et la stratégie des candidats repreneurs étaient à peu près identiques, demeuraient chez les uns et les autres quelques interrogations. J'ai toujours considéré et je considère toujours que Marc Rochet est incontestablement un grand professionnel de l'aérien. Il a accompli un travail important, mais comme j'ai pu le constater, il suscitait de la part du personnel une réaction de rejet très forte. D'ailleurs Marc Rochet était conscient de ces difficultés, probablement liées non pas à des problèmes de compétence et de gestion, mais à certains événements antérieurs. Pour mémoire, en 1995 ou 1996, lors du premier projet Air Liberté, facialement, Air Liberté se présentait comme étant le concurrent d'Air France, voire devait se substituer un jour à Air France. Cela a créé dans l'entreprise beaucoup d'engouement, mais malheureusement pour différentes raisons, cela ne s'est pas passé ainsi. D'où des crispations très fortes dans l'entreprise qui ont bloqué la situation, comme Marc Rochet pourrait vous le confirmer. Par exemple, la fusion d'AOM et d'Air Liberté n'a jamais pu avoir lieu en raison de problèmes de franche hostilité sociale. Il y avait donc un grand projet industriel parfaitement cohérent, mais avec cette difficulté.

Quant à M. Corbet, que j'ai connu début janvier 2000 au moment de la négociation des 35 heures des pilotes en tant que représentant du SNPL, c'était à l'évidence une personne qui avait des compétences en matière sociale, ce qui a d'ailleurs permis à la fusion de se réaliser. En revanche, un autre volet n'a pu être réalisé qui était la structuration du capital de l'entreprise et l'échange salaires contre actions.

Pour cette compagnie qui présentait un réel intérêt notamment pour la desserte des DOM, personne ne souhaitant une situation de monopole, il existait une possibilité de reprise. Chacun des candidats repreneurs présentaient des avantages et des inconvénients.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question très précise. Un membre du cabinet ou le ministre lui-même est-il intervenu soit auprès du président du tribunal de commerce, juste avant la décision de juillet 2001, soit via le procureur ?

M. Gilles RICONO : A ma connaissance, non.

M. le Rapporteur : Monsieur Amar...

M. Patrick AMAR : Absolument pas. Je peux apporter quelques compléments aux propos de M. Ricono.

Pour bien clarifier la situation prévalant au printemps 2001 et les échanges qui ont pu avoir lieu avec l'ensemble des repreneurs potentiels au cabinet, je voudrais vous exposer cette période d'incertitude telle qu'on la ressentait au cabinet, par rapport à la continuité territoriale et à la situation des personnels.

En interne, nous avons eu au cabinet des périodes de « soutien » au moment où les candidats repreneurs présentaient leur projet. A un moment donné, FIDEI nous semblait le candidat le plus stable. Puis, lorsque nous avons constaté que le projet de FIDEI avec ses investisseurs américains ne tenait plus vraiment la route, nous avons eu une période Rochet.

Il faut bien garder à l'esprit que nous avons essayé de travailler et de mettre à chaque fois, pendant des périodes différentes, toute notre énergie pour rendre viable un projet, ou conseiller et aider les candidats repreneurs par rapport aux modalités administratives et de recherche. Il y a eu aussi des réunions au cabinet avec les repreneurs potentiels du futur groupe Holco, mais de manière complètement homogène. Chacun des candidats a eu sa chance.

Nous pensions avoir les meilleures chances, comme l'a rappelé M. Ricono, et c'est fondamental dans notre approche, quand nous avons imaginé pouvoir « marier » les compétences des candidats repreneurs, FIDEI avec Corbet ou Rochet. Nous avons essayé le triptyque dans tous les sens possibles, parce que nous savions que certains avaient des qualités de structure financière, de compétences techniques comme M. Rochet, d'autres des qualités d'approche sociale.

M. le Président : Sur ce point, il nous a été indiqué par des représentants de syndicat qu'il y a eu des réunions au cabinet au cours desquelles il leur aurait été demandé de supporter le projet Corbet.

M. Patrick AMAR : Nous, nous leur aurions indiqué cela ?

M. le Président : Oui. Certains syndicats nous ont dit qu'ils avaient été invités, au cours de discussions au cabinet, à soutenir le projet Corbet. Est-ce vrai ?

M. Patrick AMAR : Non.

M. Gilles RICONO : Je vais vous répondre très précisément sur cette question. Lorsque la situation est devenue extrêmement difficile, j'ai reçu la quasi-totalité des organisations syndicales lors d'une réunion plénière quelque peu agitée, car tous les agents étaient préoccupés de leur avenir. Ensuite, j'ai reçu une nuit les organisations syndicales pour tenter de leur expliquer que la situation était telle que, quel que soit le repreneur, il n'était plus possible de continuer avec le même périmètre et la même voilure que précédemment.

Il nous paraissait évident que c'était une erreur stratégique majeure du groupe qui présidait aux destinées antérieures de cette entreprise. Un certain nombre de licenciements était nécessaire. Un des points sur lequel j'avais insisté était déjà d'admettre cette situation difficile, et surtout de faire en sorte que des atouts soient donnés au repreneur quel qu'il soit, notamment la fusion objective des compagnies. Sur ce point, je n'ai jamais indiqué que ma préférence allait vers le projet Corbet.

Certes, pendant les échanges, nous avons eu des périodes d'hésitation. Au départ, le projet qui nous avait semblé le plus séduisant était celui de FIDEI, même si nous avions tout à fait conscience que FIDEI n'était pas un acteur dans le transport aérien, ce qui posait un certain nombre de difficultés. Mais nous n'avons jamais affiché clairement des positions. Jusqu'à la décision du tribunal de commerce de Créteil, je n'avais aucune idée de la décision qu'il allait prendre. Nous n'avons jamais eu l'idée d'intervenir auprès du procureur de la République.

M. le Rapporteur : Toutefois, le procureur de la République, d'après les pièces en notre possession, a plaidé pour la solution Corbet. Selon vous, ce serait donc de sa propre initiative.

M. Gilles RICONO : Oui.

M. Patrick AMAR : Oui, absolument. Nous avons pris connaissance de la décision du tribunal, au même moment que l'ensemble du public. La seule appréciation que nous pourrions apporter est la suivante : l'aspect social, dans le domaine du transport aérien, est un élément prépondérant. Il est très probable que le procureur de la République a apprécié cet élément à sa juste valeur.

M. Gilles RICONO : Nous ne sommes jamais intervenus.

M. le Rapporteur : Vous découvrez le jugement, à savoir que c'est la solution Holco qui est retenue par le tribunal de commerce de Créteil. J'attendais votre réponse pour vous indiquer que, lorsque nous avons auditionné le président du tribunal, ce dernier nous a confirmé qu'il n'avait reçu aucun coup de téléphone de la part du ministre ou du cabinet. Le tribunal s'est en fait trouvé confronté à deux solutions et non pas quatre : la liquidation ou la solution Holco, du fait qu'il n'avait pas considéré les deux autres projets présentés, Rochet et FIDEI, comme remplissant les conditions nécessaires.

M. Gilles RICONO : J'ignorais totalement que la solution Rochet avait été écartée au moment des débats.

M. le Rapporteur : Lorsque vous avez connaissance du jugement, avez-vous été surpris ?

M. Gilles RICONO : Très franchement, ce vendredi 27 juillet a été pour moi une journée un peu difficile parce que je n'avais aucune idée de la décision que prendrait le tribunal de commerce. J'avais deux préoccupations fortes. La première était l'emploi, car 5 000 personnes étaient concernées. Je savais quelles seraient les suites dramatiques liées à une liquidation car on ne pouvait pas imaginer une reprise d'un certain nombre de métiers ; autrement dit, des salariés, en cas de liquidation, se retrouveraient durablement sans emploi.

Air France se trouvait dans une situation favorable et avait des capacités d'embauche, mais en aucun cas à la hauteur du séisme provoqué, sachant qu'il y en avait un autre dans le Sud de la France avec Air Littoral et environ 2 000 emplois directs et indirects concernés. Air Littoral avait fait l'objet d'une décision du tribunal de commerce du 30 juin.

Ma deuxième préoccupation, lors de ce vendredi 27 juillet, était d'envisager, dans le cas d'une décision de liquidation, la manière dont nous allions passer la période critique des vacances d'été, période qui connaît une explosion de trafic sur les DOM, même si nous avions pris la précaution de demander à Air France d'affréter un avion.

M. le Rapporteur : Vous êtes informé de la décision du tribunal de commerce qui opte pour la solution Corbet. A l'époque, vous connaissiez M. Corbet puisqu'il avait été le dirigeant du SNPL et que vous aviez eu des contacts avec lui lors de l'application des 35 heures aux pilotes.

M. Gilles RICONO : Je ne l'ai pas connu avant, notamment pendant la période du grand conflit de 1998, car je n'étais pas encore au cabinet.

M. le Rapporteur : Estimiez-vous à l'époque, quand vous découvrez ce jugement, que M. Corbet avait les capacités de gestion pour diriger une entreprise sans apporter un euro ? Cela vous a-t-il inquiété ?

M. Gilles RICONO : J'ai dit tout à l'heure le bien que je pensais des capacités managériales de M. Rochet.

M. le Rapporteur : Certes, mais il n'est pas choisi. D'ailleurs, quand nous avons auditionné M. Rochet, il nous a clairement confirmé qu'il n'était pas question pour lui de faire une association avec M. Corbet, car il considérait que cette solution n'était pas viable. Selon M. Rochet, on ne pouvait pas sauver les compagnies sans réduire ses effectifs d'environ un tiers.

M. Gilles RICONO : De mémoire, entre la position Rochet, qui a évolué dans le temps mais qui était la plus aboutie avant le tribunal, et celle de M. Corbet, il y avait un écart de quatre à cinq cents personnes.

Concernant les capacités managériales de Jean-Charles Corbet à cette période, c'est-à-dire en juillet, il est toujours difficile d'apprécier les capacités de personnes que l'on a connues dans certaines situations. J'ai rencontré M. Corbet lors des échanges sur l'application des 35 heures sur laquelle nous avons d'ailleurs pu aboutir, malgré la complexité du dossier.

Quant à la capacité de gestion, je lui ai dit qu'il fallait chercher à renforcer les capacités managériales de l'entreprise telles qu'elles préexistaient. Sans porter de jugement sur ses capacités propres, il y avait une entreprise, des directeurs et un management. Or nous avions la conviction - et je l'ai toujours - que le management de l'époque avait fait des choses invraisemblables.

Il faut savoir qu'en avril 2001, AOM-Air Liberté embauchait encore des contrats à durée indéterminée. Il y avait des difficultés énormes dans le fonctionnement du ticketing, c'est-à-dire qu'en correspondance, cela ne fonctionnait pas pour des raisons informatiques. Il y avait un réel problème de gestion que Marc Rochet avait globalement rectifié en prenant un certain nombre de mesures de redressement mais, à mon avis, beaucoup trop tard.

Quand il a été appelé aux commandes, les dégâts étaient déjà trop importants pour qu'il puisse, en quelques semaines ou mois, redresser l'entreprise qui était, en interne, dans une situation de non-gestion. C'était un peu n'importe quoi. De la même façon, nous nous interrogions à propos de FIDEI dont les compétences aériennes n'étaient pas démontrées. Il s'agissait visiblement de financiers.

M. le Rapporteur : Selon ce qui nous a été déclaré, les capacités de FIDEI étaient nulles.

M. Gilles RICONO : Tout à fait. En revanche, FIDEI avait la capacité financière de trouver un management adapté.

Lorsque la décision a été prise, j'ai certes indiqué à M. Corbet qu'il était important que, sur les domaines essentiels de l'entreprise, il y ait une confortation du management, sans préjuger de ses qualités propres que je ne pouvais pas ou n'étais pas en mesure de tester.

M. le Président : Nous comprenons bien ce que vous voulez dire.

Toutefois, M. Corbet était déjà connu pour des engagements pris, tenus ou pas tenus, notamment en 1993 lors de la grève, lorsqu'il a pris l'engagement public de reverser les salaires des pilotes au personnel au sol, ce qui n'a jamais été fait. Dans le passé, en tant que responsable de syndicat, il a pris un certain nombre d'initiatives qui permettent de douter de sa crédibilité.

Lorsque le tribunal a pris sa décision, le procureur a plaidé pour la solution Corbet. C'est un élément public dont vous avez pu avoir connaissance.

M. Gilles RICONO : Je n'ai pas lu son intervention.

M. le Président : Vous auriez pu être soulagé du fait qu'il soutenait la bonne solution.

M. Gilles RICONO : Je n'en avais aucune idée.

M. le Président : Je voudrais vous poser deux questions qui touchent à l'environnement de l'époque. A votre connaissance, est-il exact qu'Air France a poussé à la solution Corbet et que ce sont des responsables des services d'Air France qui ont travaillé sur le programme d'Air Liberté ?

Par ailleurs, le système financier proposé vous paraissait-il crédible ? La CIBC est intervenue et a présenté une lettre d'évidence de fonds au tribunal de Créteil. Selon vous était-ce une démarche sérieuse ? On ne peut redresser une entreprise sans plan de redressement, sans investisseur et sans la possibilité d'acheter des avions. Lors d'une reprise d'entreprise, un certain nombre d'éléments de base essentiels doivent être en possession de ceux qui prennent la décision. La lettre d'évidence de fonds de la CIBC était-elle selon vous crédible ?

Pour notre part, nous n'avons toujours pas identifié un seul des investisseurs annoncés par M. Corbet, alors que cette décision lourde supposait des engagements d'investissement.

Enfin, étiez-vous informé de la manière dont M. Corbet a créé la SAS Holco et à quel moment il l'a créée ? Saviez-vous où elle a été domiciliée ? Est-il exact, à votre connaissance, qu'il n'a pas libéré les 10 000 euros nécessaires pour créer cette société ? Si vous en avez été informé, était-ce pour vous un élément de crédibilité ou non de cette fameuse nébuleuse, qui a été appelée dans la presse la nébuleuse Corbet, et qui a été créée juste au moment de la décision du tribunal ?

M. Gilles RICONO : Concernant des travaux effectués par Air France, il vous faudra poser cette question au président de cette compagnie. Etant maintenant également administrateur d'Air France, il me semble qu'il n'est pas possible pour une compagnie de cette nature de ne pas regarder son environnement propre. Nous sommes là dans un champ concurrentiel extrêmement fort, et j'imagine qu'Air France a suivi de très près les évolutions du dossier Air Lib, tout comme elle continue à suivre celui des compagnies à bas coûts ou d'autres dossiers.

Je ne pense pas que l'on puisse aller jusqu'à avancer l'idée qu'une réflexion en commun a été menée, mais il est certain que des contacts ont été pris à l'époque, d'ailleurs pas uniquement par M. Corbet mais aussi par M. Rochet, pour savoir comment la compagnie pouvait se situer, notamment par rapport à un domaine très particulier qui est celui des DOM. Sur la desserte des DOM, au-delà de Corsair ou d'autres, il y avait essentiellement deux compagnies : AOM-Air Liberté et Air France. Les élus domiens sont très attachés au problème de la concurrence sur les DOM pour des raisons de coût. En 1990 ou 1991 les prix des billets vers les DOM étaient exorbitants ; la concurrence a permis de les diminuer, même si le marché des DOM n'est pas réellement porteur.

Très concrètement, sans pour autant avoir une réflexion sur le sujet, Air France a certainement suivi le dossier et ses évolutions en permanence. Si elle ne l'avait pas fait, cela aurait d'ailleurs constitué une faute de gestion grave, car il faut savoir ce que font les concurrents potentiels.

La deuxième question concernait la lettre d'évidence de fonds de la CIBC. A priori, il est difficile de dire qu'une lettre d'évidence de fonds est sans fondement. Le tribunal de commerce et le procureur avaient leur sentiment qui les a conduits à répondre en faveur de cette solution. Je n'avais pas d'éléments à l'époque permettant de dire que les investisseurs potentiels ou putatifs ne seraient pas au rendez-vous.

Ce qui est clair, c'est qu'après le 11 septembre, nous avons eu des craintes fortes au regard de la situation dramatique du secteur aérien. Les conditions de reprise d'un investisseur étaient plus complexes. Mais en juillet, je n'avais pas d'éléments sur ce point.

M. le Rapporteur : Savez-vous si un membre du cabinet ou le ministre lui-même ont reçu le représentant de la CIBC ?

M. Gilles RICONO : Oui, je l'ai rencontré moi-même une fois. Il était avec les représentants de M. Corbet.

M. le Président : Vous souvenez-vous du nom de la personne que vous avez reçue ?

M. Gilles RICONO : Je me souviens que c'était un grand monsieur.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous retrouver son nom ?

M. Gilles RICONO : Oui.

M. le Rapporteur : A quelle date a eu lieu cette rencontre ?

M. Gilles RICONO : C'était dans la période avril à juin.

M. le Président : C'est-à-dire juste avant la décision du tribunal. Ce représentant de la CIBC s'est-il exprimé lors de cette réunion ?

M. Gilles RICONO : Oui, il a présenté sa vision de la recherche d'investisseurs et a donné un certain nombre d'éléments d'information. Mais il était très difficile pour nous de poser des questions plus concrètes. Pour ma part, je considérais que FIDEI et la CIBC avaient à peu près le même type d'activités.

M. le Rapporteur : Connaissiez-vous les relations entre Holco et la CIBC ?

M. Gilles RICONO : Non.

M. le Président : Avez-vous un avis sur les honoraires versés à la CIBC par rapport aux investisseurs que cette banque d'affaires a pu trouver ?

M. Gilles RICONO : Honnêtement, les informations sont sorties depuis dans la presse, mais je n'avais pas à connaître des actes de seing privé entre des entreprises. Ce n'était pas le travail du ministère, en tout cas de l'administration, de vérifier la conformité « qualité/prix » des honoraires versés.

M. le Président : Selon le rapport Mazars, je vous confirme que la CIBC a reçu 8,335 millions d'euros pour son travail de recherche d'investisseurs. Compte tenu de votre expérience, pensez-vous que ce montant est justifié par rapport aux services rendus ?

M. Gilles RICONO : Il est certain que 8,335 millions d'euros pour ne pas trouver d'investisseurs, c'est très cher.

En amont, avant la décision du tribunal de commerce, au moment où il y a eu des contacts, je n'avais aucune raison objective de connaître les liens structurels. Les seules informations dont nous disposions ont été celles transmises par la DGAC au Conseil supérieur de l'avion marchande (CSAM) qui ont eu à examiner un certain nombre de choses. Le CSAM a ensuite fait des remarques qui ont toutes été suivies par le ministre.

M. le Président : Je comprends votre position. Quand, à l'époque, plusieurs « soutiens » bancaires se sont présentés, il vous était difficile de juger de la qualité des uns et des autres.

Je voudrais aborder maintenant l'aspect du surdimensionnement de l'offre Corbet. Au comité d'entreprise, quelque temps après, il a été reconnu par les dirigeants d'Air Lib et par M. Corbet lui-même que l'offre présentée au tribunal était surdimensionnée. Des analystes très pertinents de la société Air France l'ont confirmé également de manière très précise ; à savoir qu'il n'était pas crédible de considérer à l'époque que cette offre était sérieuse, compte tenu de son surdimensionnement confirmé par la suite. Savez-vous si quelqu'un avait réagi à cela et suggéré qu'avec une telle offre, la société allait dans le mur car l'offre ne correspondait pas aux réalités du marché ?

M. Gilles RICONO : Lors de nos contacts avec les candidats repreneurs, nous leur avons posé systématiquement un certain nombre de questions sur le business plan et l'adéquation des effectifs au business plan. Mon sentiment personnel était que la voilure me paraissait effectivement un peu élevée. J'ai posé la question, de même que j'ai demandé à M. Rochet, qui avait une voilure faible, si ce n'était pas sousdimensionné. J'ai systématiquement posé ce type de questions.

C'est vrai que nous avons eu des interrogations quant au dimensionnement de la voilure par rapport au business plan. Mais il convient d'avoir en mémoire aussi qu'à l'époque, nous étions dans une situation de croissance très forte du transport aérien, de l'ordre de 4 à 6 % par an. Toutefois, après le 11 septembre, c'est-à-dire un mois et demi après la reprise effective, le transport aérien a baissé de 10 %. Les réglages, qui n'étaient peut-être pas auparavant les plus performants, sont devenus catastrophiques.

M. le Président : Quelle est votre réponse sur la création du système juridique Holco ? Nous avons eu des informations, sur la manière dont la SAS Holco a été créée, sa domiciliation et surtout sur le fait que les fonds liés à sa création n'ont pas été libérés. Aviez-vous connaissance de cela ?

M. Gilles RICONO : Clairement, non. Le CSAM a examiné les structures juridiques au cours de sept ou huit réunions. Je n'ai jamais été informé de ce type de situation. Lorsque le prêt a été envisagé, en contact étroit avec nos collègues des Finances, nous avons demandé une expertise à la fois juridique et industrielle laquelle a été diligentée par le cabinet Mazars, sous la houlette du CIRI. Mais les faits que vous m'indiquez n'ont pas été portés à ma connaissance, y compris par l'administration.

M. Xavier de ROUX : Vous dites que, d'un côté, il y a un premier repreneur qui est Air France. C'est un spécialiste qui sait ce que vaut AOM-Air Liberté et ce qu'il est susceptible d'investir. Sur ce, vous dites que le ministère des Finances, via la DGCCRF, s'oppose à cette reprise pour des raisons de concurrence. Exit Air France ! Toutefois, il y a une base de dimensionnement des opérations qui vient du dossier Air France, entreprise d'Etat.

Plusieurs plans sont présentés avec les besoins de financement de la compagnie que l'on connaît. Arrive la CIBC qui n'est pas un investisseur, mais une banque d'affaires qui doit rechercher un investisseur. Il n'y a donc pas d'investisseur.

Je suppose que vous aviez connaissance du contenu du plan de cession présenté au tribunal de commerce, du fait que vos discussions avec MM. Rochet ou Corbet ont certainement dû, à un moment donné, porter sur ce plan de cession et le contenu de leur offre. Y avait-il, dans ce plan de cession, un engagement d'investisseurs sur les besoins de financement mis en évidence depuis fort longtemps pour remonter l'entreprise ?

M. Gilles RICONO : A propos d'Air France, il y a là un problème de temporalité. Quand Air France a souhaité racheter AOM-Air Liberté à British Airways, elle avait des justifications très claires, y compris stratégiques qui correspondaient au fait qu'à l'époque, Air France, dans le cadre de ses alliances, devait valoriser son outil essentiel, le hub.

Or une compagnie domestique était très intéressante pour Air France, en particulier pour alimenter ce hub. D'ailleurs, quand Air France n'a pu mener à bien cette opération AOM-Air Liberté, la stratégie du président a consisté à essayer de racheter les autres compagnies régionales existantes, telles que Protheus Regional, Flandr'Air.

A propos du plan de cession tel qu'il a été déposé, on ne peut dire qu'il y avait des interventions très lourdes du cabinet sur le dossier, pour autant on ne peut dire que nous n'étions pas au courant. Pour ma part, je n'ai pas été informé de la forme et des engagements pris dans le plan de cession tel que déposé auprès du tribunal de commerce de Créteil, y compris s'agissant de la question de la négociation avec les Suisses. Ce dernier point était d'ailleurs un élément déterminant, du problème de la voilure. Les Suisses proposaient 1,3 milliard de francs, alors que la demande de M. Corbet et d'autres était plutôt de 1,8 milliard de francs. Mais c'est le tribunal de commerce qui a validé les engagements.

M. le Président : M. Corbet avait parlé d'un pôle d'investisseurs proposant, me semble-t-il, 80 millions de francs. Avez-vous eu, oui à non, à l'époque, le détail de ces engagements ?

En effet, lorsque quelqu'un s'engage dans une telle opération et promet 80 millions de francs sans que personne vérifie s'il en a les capacités, c'est inquiétant. M. Corbet avait également mentionné 240 millions de francs sur un échange actions contre salaires dans le cadre d'Air Lib. Aucun des deux engagements, semble-t-il, n'a été tenu.

La lettre d'évidence de fonds de la CIBC n'était pas un engagement formel. Normalement, en présence d'un document de cette nature, il faut aller plus loin et exiger des garanties. Ce n'était qu'une lettre d'intention. Il y avait aussi des engagements précis de la part du président de la société. Or personne n'est allé au fond des choses.

Le fait que le tribunal ait opté pour un candidat, sans pour autant que l'on soit allé vérifier le sérieux de ces engagements, est quelque chose de très inquiétant. Avez-vous eu des précisions sur ces investisseurs annoncés par M. Corbet ?

M. Gilles RICONO : Nous avons posé des questions. J'imagine que le tribunal de commerce de Créteil et le président ont dû faire de même. Au fur et à mesure du suivi du dossier, nous avons toujours posé des questions y compris via la DGAC.

Il me semble qu'il faut distinguer le problème des investisseurs qui n'ont pas été au rendez-vous de celui de l'échange salaires contre actions.

Dans un premier temps, les engagements des investisseurs n'ont pu être tenus. A partir du 11 septembre, on ne trouvait plus d'investisseurs.

Quant à la question de l'échange salaires contre actions, il nous paraissait possible, pour en avoir discuté la pertinence avec les organisations syndicales à l'époque, d'aller vers une solution de cette nature. Aucun des partenaires sociaux - je pense notamment au SNPL - ne nous avait à l'époque indiqué qu'il rejetterait une formule de cette nature. Au contraire, toutes les organisations syndicales étaient relativement intéressées.

M. Patrick AMAR : Je voudrais juste compléter notre appréciation de la situation à cette période. Nous n'étions pas là pour juger de la pertinence, de la qualité, de l'éligibilité de tel ou tel type de repreneurs. Notre travail était de les aider pour faire en sorte que les faiblesses se transforment ou soient estompées, voire attirer leur attention sur les risques de tel ou tel projet.

En l'occurrence, vous avez raison, nous avons eu des lettres d'évidence de fonds émanant de banques inconnues sur lesquelles nous demandions des informations au ministère des Finances lequel nous mettait en garde. Quand la banque canadienne a présenté son projet, cela nous a paru viable et sérieux. Mais en aucun cas, il n'était de notre rôle ou dans notre idée d'aller chercher, comme devait le faire ultérieurement le tribunal de commerce, la validité de tout cela.

Nous n'avons jamais eu le plan de cession. Notre base de travail était le business plan. Nous examinions ce plan sous l'aspect du transport aérien, c'est-à-dire les types de lignes, le nombre d'avions, etc. En fonction de cela, notre tâche était d'établir si le projet était viable en fonction de la taille, des fonds qui devaient venir de Swissair, etc.

Il faut juste considérer notre position à ce moment-là. Nous n'avons pas essayé de juger mais de conseiller et faire en sorte que le projet qui soit élu soit le plus viable et donne une chance à la compagnie de sortir de ses difficultés. Le problème est que les mois qui ont suivi ont été malheureux dans l'histoire du transport aérien.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous dites que vous n'avez pas eu connaissance du plan de cession avant la décision du tribunal de commerce. A quel moment en avez-vous eu connaissance et qu'avez-vous fait ? Une fois que le tribunal de commerce a pris sa décision, vous avez certainement été préoccupés de savoir ce qui allait se passer ensuite. Vous avez donc dû avoir le plan de cession. Ce qui m'inquiète un peu, c'est de savoir ce que vous avez fait, une fois que vous en avez eu connaissance, sachant que vous étiez déjà convaincus ou préoccupés que la voilure avait peut-être été surdimensionnée.

M. Gilles RICONO : C'étaient les interrogations que nous avions. Une fois que le plan de cession a été acté et validé par le tribunal de commerce de Créteil, un processus de gestion administrative a été mis en route dont toutes les procédures, y compris pour obtenir les autorisations nécessaires, ont été examinées par la direction générale de l'aviation civile.

Cette dernière nous a fait part d'un certain nombre de préoccupations qu'il fallait régler au fur et à mesure et qui ont été soumises, comme il se doit, au conseil supérieur de l'aviation civile et de l'aviation marchande.

M. le Rapporteur : Pouvons-nous revenir à une question que vous avez abordée tout à l'heure qui était le problème de l'interruption, à partir d'octobre semble-t-il, de la plupart des charges fiscales et sociales avec des estimations de plusieurs millions d'euros mensuels ?

Pourriez-vous nous retrouver les documents adressés à ADP, aux URSSAF et à l'administration demandant le non-recouvrement de ces dettes qui s'accumulaient ? Quelle a été votre action en la matière ?

M. Gilles RICONO : Je vais essayer de retrouver les éléments. Je serai très clair en ce qui concerne le problème de la dette fiscale et sociale, celle-ci ne dépend pas du cabinet de ministre de l'Equipement.

M. le Rapporteur : Certes, mais êtes-vous intervenu par écrit ou par oral auprès, par exemple, de vos collègues des Finances ?

M. Gilles RICONO : Il est certain que nous avons sollicité nos collègues que ce soit des Finances ou des autres ministères en charge du dossier. Néanmoins, s'agissant du processus ayant conduit au moratoire fiscal et social, aucune décision, qu'il ne nous appartenait d'ailleurs pas de prendre, n'a été prise de notre part.

Qu'il y ait eu des contacts, c'est certain, mais c'est aux administrations compétentes qu'il appartenait ensuite de prendre des décisions concernant un moratoire fiscal et social. Pour ma part, je ne peux m'engager à vous donner de réponse que sur la partie propre au ministère de l'Equipement, c'est-à-dire ADP.

M. Patrick AMAR : Je n'ai pas de souvenir d'une décision aussi précise. En revanche, après le 11 septembre, je me souviens que, dans le cadre des discussions que nous avions avec la Commission européenne pour les aides aux entreprises affectées par les attentats, notamment la fermeture du ciel américain, il y a eu, probablement au mois d'octobre, un communiqué de presse conjoint du ministère de l'Equipement et du ministère des Finances.

Par rapport au secteur du transport aérien, voire au secteur touristique également touché, il était indiqué, dans un communiqué de presse, la possibilité, en fonction d'un certain nombre de conditions, que l'entreprise puisse faire appel à des mesures de type moratoire pour certaines charges sociales et fiscales.

On doit pouvoir retrouver ce communiqué de presse. Mais cela relève de décisions des ministères des Finances et des Transports qui ont été totalement élargies au secteur transport aérien et touristique. J'ai souvenir que l'ensemble des petites compagnies aériennes françaises ont pu, pendant quelques mois, faire valoir ce moratoire auprès de l'administration fiscale et des URSSAF. Air Lib a très certainement bénéficié de ce type de dispositif.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous retrouver les éléments et ce que vous avez fait ?

M. Gilles RICONO : Nous allons nous y employer.

Après le 11 septembre, s'est tenu à Bruxelles, le 18 septembre, un conseil des ministres des Transports, en raison de la situation très préoccupante des compagnies aériennes, y compris des compagnies charter. J'avais eu des discussions avec mon collègue des Finances sur la possibilité de soulager les entreprises, qui voyaient leur chiffre d'affaires s'effondrer, avec des mesures de type moratoire.

M. Alain GOURIOU : Je voudrais intervenir à propos de la note d'honoraires de la CIBC, en date du 15 août 2001, que vous venez de faire circuler.

Je ne peux pas imaginer, ayant connaissance de cette note, que l'on ne puisse pas s'étonner des conditions dans lesquelles Air Lib a pris des engagements de cette importance avec la CIBC. Je conçois que la note d'honoraires soit de cette importance si la recherche d'investisseurs a été fructueuse. Mais peut-être s'agit-il d'une note d'honoraires sans obligation de résultat ?

M. le Rapporteur : Soyons prudents, mes chers collègues. Le Président et moi-même, nous avons passé cinq heures non pas à Holco, mais dans son cabinet d'expertise comptable qui avait un contrat de tenue de comptabilité de la holding. Je voulais vérifier un certain nombre d'éléments que j'avais trouvé dans le rapport Mazars. J'ai demandé notamment toutes les factures d'honoraires.

Pour ce qui concerne la banque canadienne, la CIBC, j'ai trouvé cette seule facture. Elle est, semble-t-il, datée de fin juillet et a été payée en trois parties : le 21 août, 345 811 euros ; le 31 août, 4 954 593 euros ; le 5 septembre, 3 033 705 euros. Cela a été payé en application d'une lettre que je n'ai pas encore et qui est une lettre d'engagement en date du 11 juillet.

M. le Président : La note d'honoraires est en date du 15 août 2001, c'est-à-dire postérieurement à la décision du tribunal de commerce. Elle est faite en exécution d'une lettre d'engagement du 11 juillet 2001. Elle correspond aux services rendus entre le 11 juillet et le 27 juillet 2001. Ce sont les honoraires de conseil en relation avec l'acquisition et le financement d'AOM-Air Liberté.

La lettre est adressée à Me Léonzi qui a déposé le plan de cession pour le compte d'Holco.

M. Alain GOURIOU : Il serait intéressant d'avoir la lettre d'engagement et de connaître pour quel niveau d'investissement la banque s'engageait. N'est-il pas curieux que, pour rechercher 100 millions d'investissement, on facture 50 millions d'honoraires ?

M. le Président : C'est la raison pour laquelle nous posons la question.

M. le Rapporteur : Cette note d'honoraires est en dollars, soit 7,315 millions de dollars. Elle a quatre composantes. La principale correspond aux « advisory fees » c'est-à-dire au conseil, pour un montant de 6,067 millions de dollars. La deuxième concerne les « financing placement fees », c'est-à-dire les honoraires pour le conseil sur le financement, qui ne s'élèvent qu'à 320 000 dollars. La troisième composante, ce sont les « work fees », c'est-à-dire les honoraires pour le travail effectué, soit 250 000 dollars. La quatrième concerne les « expenses », c'est-à-dire les frais engagés (avions, hôtels et autres) pour un montant de 75 000 dollars.

Au début, je croyais que tout ou partie était lié au succès de l'opération en termes d'apport de financement, mais tel que cela est rédigé, il ne semble pas que ce soit le cas. Nous interrogerons Me Léonzi que nous auditionnerons prochainement. J'ai également demandé les pièces non pas comptables, mais les accords, c'est-à-dire la lettre du 11 juillet.

Je rappelle que c'est trois semaines plus tard que le tribunal de commerce prend sa décision. Ce qui est intéressant dans les déclarations de M. Ricono, c'est le fait que la CIBC accompagnait M. Corbet au mois de mai-juin.

M. Alain GOURIOU : Dans le business plan présenté par M. Corbet, je crois que de tels engagements auraient dû éveiller quelque méfiance quant à l'avenir du financement de la compagnie. D'autant qu'à la lecture des rapports d'audits, on constate que tous les partenaires étaient très préoccupés par la situation financière de l'entreprise.

M. le Rapporteur : Je dois expliquer pour éclaircir la question de notre collègue que ceci n'a été découvert que lors des audits conduits en janvier 2002 et en juillet 2002 par le cabinet Mazars après l'octroi du prêt FDES. Comme vous le savez, il y a d'ailleurs eu deux versions du deuxième rapport Mazars, l'une expurgée et l'autre officielle. Le secrétaire général du CIRI a expliqué ici les raisons pour lesquelles il a expurgé la première version de sa propre initiative.

En juillet 2001, on n'avait pas connaissance de cela. Pour votre information, M. Corbet s'est rémunéré 1,050 million d'euros pour les huit premiers mois et, pour la totalité de la période, c'est-à-dire de juillet jusqu'à la liquidation, environ 1,300 million d'euros. Mais il faut que vous sachiez également qu'il s'est octroyé et s'est fait verser 855 904 euros de prime d'arrivée dite « golden hello » au mois d'août 2001.

Cela signifie qu'à peine arrivé aux commandes, puisqu'il les prend au 1er août 2001, le jugement datant de fin juillet, il paie les 7,3 millions de dollars à la CIBC pour solde de tout compte, s'octroie une rémunération mensuelle de 200 000 euros, et se donne à lui-même et à son équipe des primes extraordinaires. François Bachelet perçoit une prime d'arrivée de 380 000 euros, tout cela versé en août ou tout début septembre. Quand nous auditionnerons l'équipe dirigeante et en particulier M. Corbet, des questions graves devront être posées.

Mme Arlette GROSSKOST : Je reviens au calendrier. Nous avons un plan de cession à présenter au tribunal de commerce qui statue le 27 juillet 2001, plan de cession qui doit être obligatoirement déposé quinze jours avant à l'audience. On peut donc supposer que la lettre d'intention fait partie intégrante du volet trésorerie, dans le cadre du plan de cession. Nous devrions pouvoir examiner, et dans le jugement et dans le plan de cession soumis aux autorités compétentes, ces éléments qui font partie du volet trésorerie. Un plan de cession doit en principe comprendre les honoraires.

M. Jean-Claude LEFORT : J'aurais deux questions, dont une au rapporteur. Cette note d'honoraires qui vient de circuler a été faxée le 15 août 2001, après la décision du tribunal de commerce de Créteil. Dans la décision du tribunal, y avait-il des clauses de suivi ?

Ma deuxième question s'adresse à nos invités. Dans la décision du tribunal de commerce de Créteil, il est indiqué que la société renonce à poursuivre les anciens actionnaires, Swissair, en contrepartie d'un effort financier de 1,5 milliard d'euros.

Je suis député du Val-de-Marne. Vous pouvez donc imaginer l'attention que je porte à la plate-forme d'Orly. Marine Wendel était actionnaire majoritaire. Or les éléments qui m'ont été rapportés sur place par les salariés indiqueraient quelque chose d'inverse. Je voudrais comprendre, en termes de droit, quelle était la situation exacte, ce que vous aviez eu à en connaître et ce que vous avez fait éventuellement en fonction de cela.

M. Gilles RICONO : A propos du débat sur la note d'honoraires et l'octroi de différentes primes, je n'ai rien à dire. Je n'en étais pas informé, et je n'avais d'ailleurs pas à l'être.

Sur la question précise que vous posez, lorsque la transaction avec Air France n'a pu se faire et que Swissair a racheté la compagnie AOM-Air Liberté, s'est posé un problème de droit européen. En effet, seuls des capitaux européens pouvaient avoir une licence dans le domaine de l'aérien.

Je vous rapporte uniquement ce que j'ai entendu. Au départ, il n'y avait pas de problème. Lorsque la société AOM Air Liberté a été reprise par Swissair et Marine Wendel, elle était indiscutablement conforme au droit européen. Cela a été validé par l'administration qui bien évidemment a examiné le dossier et l'a transmis à Bruxelles.

Après il y a eu des interrogations, notamment à la suite d'une intervention de cet actionnaire lui-même. C'est M. Seillière lui-même qui a rapporté, dans Les Echos, qu'il n'était pas responsable de la situation d'AOM-Air Liberté. C'est lorsqu'a été indiqué qu'il n'était pas responsable, alors même qu'au niveau du droit européen il devait être majoritaire et donc responsable, que se sont posées un certain nombre de questions pour lesquelles nous avons saisi l'Union européenne par le biais de la DGAC.

Encore une fois, au départ, il n'y avait pas de difficulté. Je suis intimement convaincu que Marine Wendel était majoritaire. Mais il est évident que par la suite, il y a eu probablement des pactes d'actionnaires entre Marine Wendel et Swissair y compris, semble-t-il, une augmentation de capital qui n'a pas été faite par Marine Wendel. Marine Wendel, in fine, n'était plus majoritaire, ce qui a été dit par M. Seillière lui-même.

M. le Rapporteur : Je réponds à la question qui m'a été posée. En 1999, qui n'est pas une période entrant dans le champ de notre commission, lors du rachat d'AOM-Air Liberté par Swissair, cette dernière ne pouvait être majoritaire puisque la Suisse n'était pas considérée comme communautaire au sens du droit français. Une directive est intervenue par la suite et a permis d'assimiler la Confédération helvétique à un pays communautaire, à compter de juin 2002.

Le montage était le suivant. Swissair cherchait un investisseur français qui fasse un portage entre 1999 et juin 2002, avec des contre-lettres indiquant qu'en cas de problèmes tout était à la charge de Swissair. Cela devait se dénouer le 4 avril 2002, par une décision du Conseil et de la Commission concernant l'accord de coopération scientifique et technologique relative à la conclusion de cet accord avec la Confédération suisse.

Pour permettre à Swissair de reprendre la compagnie, on faisait un portage avec un Français et des clauses d'intéressement du porteur pour une durée de deux ans et demi. Apparemment Marine Wendel était majoritaire puisqu'il possédait un peu plus de 50 %, mais c'était en fait un accord de portage, qui s'est d'ailleurs très mal terminé pour lui. Il croyait être gagnant mais il a fallu faire une augmentation de capital et Swissair a déposé son bilan. Marine Wendel a donc perdu son capital.

Swissair, pour éviter des contentieux, a payé un peu plus de 1,5 milliard, partagé par le tribunal de commerce, et obtenu en contrepartie un accord de non-recours. Mais tout ceci n'est pas dans le champ de notre commission.

M. Patrick AMAR : Cela s'est donc terminé le 4 avril 2002 du fait de la décision de la Communauté européenne, mais à la date à laquelle le portage a été fait, on ne connaissait pas l'échéance possible. A la date à laquelle nous avons eu à traiter ce dossier, il était évident qu'il y avait un portage qui paraissait contourner le droit et sur lequel nous nous sommes posé des questions. Nous avons eu des soupçons, notamment suite aux déclarations des actionnaires, mais jamais de preuve d'une situation ou l'autre. A certains moments seulement, nous avions l'impression que les décisions de gestion de l'entreprise n'étaient pas prises par l'actionnaire français, mais par les Suisses, ce qui était tout à fait contraire au droit européen prévalant à cette période.

M. le Président : Toutefois, vous n'êtes pas intervenus.

M. Patrick AMAR : Si. Lorsque nous avons commencé à avoir des soupçons probants, nous avons écrit à la Commission.

M. Gilles RICONO : Les soupçons sont venus à la suite de l'intervention dans la presse de M. Seillière. Nous savions que la compagnie AOM-Air Liberté, même si elle continuait de fonctionner, rencontrait des difficultés économiques et industrielles lourdes. Nous savions également que, dans cette compagnie, Swissair était de fait le gestionnaire. Mais c'est lorsque le président de Marine Wendel a dit lui-même « ce n'est pas moi », que nous avons commencé à nous poser des questions.

Encore une fois, je n'ai aucune preuve formelle, sauf la réalité. Par exemple, au moment du dépôt, c'est Swissair qui paie et non pas Marine Wendel. Il y a là une preuve tangible. Nous sommes intervenus après la déclaration de M. Seillière, devant un fait qui était porté à notre connaissance.

M. le Président : Quelle a été la réaction de la Commission ?

M. Gilles RICONO : Elle a été de dire qu'il était de la responsabilité à la fois de l'Europe et de l'Etat qu'une enquête soit diligentée. J'ajoute toutefois que s'il n'y avait pas eu la déclaration de l'intéressé lui-même, hors des suspicions fortes, nous ne serions pas intervenus.

M. le Rapporteur : Il y avait, semble-t-il, un pacte d'actionnaires, d'après la déclaration de l'intéressé et qui ne concerne pas notre période sous revue.

M. le Président : Laquelle déclaration n'est néanmoins pas étrangère à l'affaire.

M. le Rapporteur : Elle est étrangère à l'affaire du fait qu'il y a eu une décision du tribunal qui a accepté la proposition des actionnaires et de Swissair en contrepartie de ce paiement qui a permis la reprise, sinon jamais Holco n'aurait pu reprendre AOM Air Liberté.

Le fonctionnement a été le suivant : ils ont consommé entre juillet et mars, selon les comptes, un peu plus de 100 millions d'euros. Ils perdaient environ 12 millions d'euros par mois. M. Corbet n'avait pas un sou. Il n'y a jamais eu un investisseur. Beaucoup se demandent comment il a pu faire fonctionner la compagnie. C'est très simple : M. Corbet a vécu jusque fin décembre en consommant l'essentiel de l'argent de Swissair, dans une deuxième phase en ne payant pas ses charges fiscales, sociales et aéroportuaires qui s'élevaient à 90 millions en fin de période, et grâce au prêt du FDES.

M. Jean-Claude LEFORT : C'est la raison pour laquelle je voudrais dire au rapporteur que cette période, qu'il vient d'évoquer, nous intéresse car c'est à ce moment que l'on arrête les poursuites. C'est subordonné à l'arrêt des poursuites par la décision du tribunal de commerce.

M. le Rapporteur : Certes, mais cette période ne rentre pas dans le cadre de la mission couverte par notre commission d'enquête.

M. le Président : Après ces différents rappels, je souhaiterais que nous passions maintenant au chapitre du prêt FDES.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous indiquer le déroulement des événements quant au prêt FDES et au GIE fiscal ? Vous nous avez indiqué que, dès novembre 2001, l'idée du prêt faisait son chemin. Avez-vous eu des informations évoquant une crise de trésorerie ?

M. Gilles RICONO : A partir du 11 septembre, nous avons examiné la situation de toutes les compagnies aériennes, dont certaines étaient dans des situations difficiles et sont d'ailleurs tombées. Dans le cas d'AOM-Air Liberté, le non-versement par les Suisses du solde de l'accord, qui avait été passé au niveau du tribunal de commerce de Créteil, aggravait la situation puisqu'il manquait 60 millions d'euros, soit 400 millions de francs. Ces fonds devaient être versés selon un échéancier mensuel. Il y avait donc une situation de trésorerie difficile.

Des actions en justice ont été entreprises. Il y a même eu auprès du tribunal de Nice, sauf erreur de ma part, une décision de bloquer un avion de Swissair à titre de gage. Mais cette décision n'a pu être validée du fait qu'un article du code de l'aviation civile stipule qu'on ne peut pas saisir un avion de ligne commerciale. Ces décisions de justice ont montré qu'effectivement la dette de Swissair, revenant maintenant à Swiss, la compagnie nouvellement créée, était parfaitement honorable et pouvait donc être récupérée.

A ce moment-là, nous nous sommes trouvés confrontés à une situation difficile de trésorerie et avons travaillé sur deux pistes pour passer cette période difficile, en l'absence des crédits de Swiss et avec les répercussions liées au 11 septembre.

M. le Président : Je voudrais que l'on soit précis sur cette affaire du 11 septembre. L'effet du 11 septembre n'est pas la même sur toutes les compagnies. Entre la fermeture du ciel américain et les vols intérieurs français, nous ne sommes pas dans le même cas de figure. Comment déterminez-vous l'effet du 11 septembre sur AOM-Air Liberté ?

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je souhaiterais compléter votre question. Nous sommes après le 11 septembre. Vous avez connaissance du plan de cession qui confirme vos préoccupations. On n'a pas trouvé d'investisseurs et au mois d'octobre les charges sociales ne sont plus payées et une demande de moratoire, dont on ne connaît pas la forme sous laquelle il sera accordé, est présentée.

La situation est donc extrêmement préoccupante non seulement par rapport à la trésorerie, mais aussi aux événements du 11 septembre, sous réserve que l'on en connaisse les répercussions techniques. Vous considérez qu'il y a un vrai problème de management et une apparente nécessité de remettre complètement en cause tout le plan de restructuration et d'en élaborer un autre très rapidement. En effet, il ne s'agit pas uniquement de résoudre un problème de trésorerie à court terme, mais de reprendre complètement la gestion de cet ensemble.

Sur ce point précis, comment est intervenu le ministère de l'Equipement ?

Par ailleurs, à quelles mesures les réunions interministérielles ont-elles abouti afin de faire coïncider les préoccupations de trésorerie aux préoccupations d'avenir économique de l'entreprise, avant d'aboutir à cette extraordinaire décision du FDES qui, selon nos informations, soulevait des réticences évidentes, voire plus, du ministère des Finances, mais pas du ministère de l'Equipement ?

M. Gilles RICONO : Par rapport au 11 septembre, il est évident que toutes les compagnies n'ont pas été frappées de la même façon. En particulier, celles qui n'ont pas de vols transatlantiques n'ont pas eu à subir la fermeture du ciel aérien pendant quatre jours et l'absence d'échanges au niveau du hub. Néanmoins, le 11 septembre a entraîné une diminution immédiate de 20 % sur les vols domestiques. Il ne faut pas négliger le fait que l'impact pour Air Lib a été extrêmement fort.

Le secteur aérien est durablement touché et il l'est encore sur les lignes domestiques. Air France n'a toujours pas retrouvé son niveau d'avant le 11 septembre sur les lignes domestiques. Le tourisme s'était alors complètement effondré, de même que les vols charter. La vie liée au transport aérien a été brutalement touchée. Il ne faut pas négliger cet élément, notamment sur la partie domestique.

A un moment donné, nous avions imaginé, peut-être à tort, avec nos collègues du ministère du Tourisme que les DOM pouvaient être une destination alternative par rapport aux pays du Maghreb ou de l'Egypte qui étaient particulièrement touchés, mais il n'y a pas eu de transfert massif sur les DOM.

Après ce choc, les mesures prises ont été d'abord industrielles. Il y a eu, par exemple, l'abandon de la ligne Los Angeles-Papeete qui était très déficitaire pour la compagnie. Dans son premier business plan, la compagnie souhaitait la conserver, mais des accords ont été pris avec Tahiti Nui. Des restructurations ont été envisagées.

Ce prêt FDES, qui était de six mois, a été négocié avec un certain nombre de conditions par le ministère des Finances et reconduit deux fois, devait être transformé en plan de restructuration. L'idée était de faire en sorte que ce prêt s'accompagne d'un plan de restructuration, d'où l'étude et les audits, notamment menées par le cabinet Mazars, diligentées par le ministère des Finances et le CIRI.

M. le Rapporteur : Vous constatez à partir de novembre que cela ne passe plus, puisque les plans de trésorerie montraient que le dépôt de bilan était pour janvier. Cette idée du prêt FDES vient-elle du cabinet du ministre de l'Equipement ? La DGAC nous a indiqué que, dans cette affaire, cela se passait au niveau du cabinet.

M. Gilles RICONO : Cette affaire a été à la fois traitée au cabinet et suivie techniquement par l'administration.

M. le Rapporteur : D'où vient cette idée du prêt FDES ?

M. Gilles RICONO : Ce n'est pas une question de paternité. Lors de ces réflexions sur les solutions pour trouver les moyens de passer ce cap difficile et d'accompagner une restructuration nécessaire compte tenu du nouvel environnement, plusieurs pistes ont été étudiées par l'ensemble des acteurs, que ce soit le ministère de l'Equipement ou des Finances.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez reçu M. Corbet qui vous a précisé, compte tenu de la situation, les mesures de restructuration qu'il comptait prendre. En général, le prêt suit le plan de restructuration, plutôt que le contraire. Y a-t-il eu, entre septembre et novembre, des réunions de travail avec M. Corbet et le FDES et des plans de restructuration imaginés ?

M. Patrick AMAR : Je voudrais apporter quelques éléments de réponse. A partir de octobre-novembre, lorsque nous sommes au coeur de la crise, nous nous apercevons, et Air Lib nous le fait savoir, que l'imminence d'une situation critique est proche. Plusieurs aspects se présentent. Nous avons conscience que les fonds manquants de Swiss n'arriveraient pas avant de mettre en place une procédure de poursuite, ce qui suppose un certain délai.

Une des pistes est le GIE fiscal pour lequel sont préparées, fin novembre-décembre 2001, les premières ébauches, avec les acteurs de ce GIE fiscal. Il nous semble, au regard de cette crise de trésorerie qui est ponctuelle, que des solutions de moyen terme permettraient de passer le cap difficile de l'hiver 2001. Nous savons que, dans le domaine aérien, la période la plus critique est celle qui va de novembre à avril.

M. le Président : Pour vous, c'était une crise de trésorerie ponctuelle.

M. Patrick AMAR : Absolument.

M. Gilles RICONO : Je voudrais apporter une précision. Certes, c'était une crise de trésorerie ponctuelle à cause notamment du manque des 60 millions, mais cela nécessitait clairement des réflexions sur un certain nombre de chantiers industriels.

M. Patrick AMAR : Pour pouvoir mener, durant cette période, ces chantiers industriels, c'est-à-dire la fusion, le plan social, la restructuration, il fallait du temps. Depuis septembre, des contacts avaient été organisés dans l'entreprise pour réfléchir à une restructuration, mais il s'est passé beaucoup de choses. Il y avait l'ensemble de ces paramètres, la mise en route d'une réflexion sur la restructuration et la mise en place du GIE fiscal. Je me souviens que les représentants d'Air Lib venaient nous présenter ce dernier en indiquant qu'il était possible d'y arriver fin décembre ou fin janvier.

Mme Arlette GROSSKOST : Dans le cadre du GIE fiscal, aviez-vous connaissance du nom des membres de ce GIE ?

M. Gilles RICONO : Il y avait Flightlease. Les porteurs banquiers étaient connus, à savoir le Crédit Agricole Indosuez avec lesquels nous avons eu de multiples réunions de travail. Nous avons failli aboutir avec ces deux organismes, puis avec un accord en cas de difficulté de reprise par Air France de la location des avions si Air Lib venait à disparaître.

M. le Rapporteur : Vous n'avez ni l'un ni l'autre répondu à ma question. Qui a eu l'idée du prêt du FDES de 30,5 millions ?

M. Patrick AMAR : Nous sommes dans cette situation où nous avons l'impression qu'il manque quelques mois de trésorerie pour mettre en oeuvre ce plan de restructuration, pour obtenir pour la compagnie le bénéfice du GIE fiscal et, éventuellement, les fonds complémentaires d'un procès avec Swiss.

A cette époque, tous les acteurs y compris Air Lib sont venus nous soumettre cette solution du prêt, de même que des recherches de rachat de créance ou de cession de patrimoine immobilier étaient imaginées, c'est-à-dire tout ce qui pouvait permettre à la compagnie de tenir jusqu'à avril.

M. le Président : Aviez-vous une idée du besoin financier mensuel de l'entreprise ?

M. Patrick AMAR : Une dizaine de millions d'euros par mois.

M. le Président : Quelles étaient les pistes de restructuration ?

M. Gilles RICONO : Une des pistes de restructuration portait sur un problème de flotte qui avait été identifié. Les avions, notamment les DC10 sur les Antilles, ne sont pas des avions de grande performance économique. L'Airbus 340 est beaucoup plus adapté pour ce type de vol, d'où l'idée que les Suisses avaient initiée préalablement puisqu'ils avaient envisagé l'acquisition de deux A340, notamment pour la desserte de La Réunion. Cette piste faisait partie d'un plan qui diminuait les charges et permettait, grâce à un accord de code share avec Air France, de pouvoir mieux desservir les îles, de façon plus économique et dans de meilleures conditions.

La deuxième piste possible concernait les dessertes nouvelles. J'avais la conviction que l'on ne réussirait pas, dans le dialogue avec les Algériens, à rétablir les vols Air France sur l'Algérie. Néanmoins, il existait ce besoin d'une desserte sur l'Algérie qui aurait pu être une piste plus performante.

La troisième piste était une compagnie aérienne à coûts « réduits », c'est-à-dire dans une situation médiane par rapport à ce que l'on l'entend quand on parle des compagnies à « bas coûts ». C'était une idée difficile qui demandait du temps. Tout d'abord, pour aboutir, il fallait prendre la décision, puis se donner les moyens d'une organisation adaptée, ce qui supposait des impacts sociaux.

Je voudrais faire remarquer qu'Air Lib Express a été un succès commercial parce que les conditions de transformation du business plan initial en un business plan d'une entreprise à bas coûts avaient pu être mises en place et réunies. C'est un exercice relativement long et c'est pourquoi les compagnies traditionnelles ne le font pas ou l'ont abandonné.

M. le Rapporteur : Qui a eu l'idée d'un prêt du FDES ? Est-ce une demande d'Holco ? Est-ce une idée du ministère de l'Equipement ou des Finances ?

M. Gilles RICONO : J'ai expliqué pourquoi il y avait une situation de trésorerie difficile et les perspectives qui existaient. Il fallait essayer de trouver les solutions possibles hors le moratoire : trouver des prêts bancaires, ce qui était difficile au regard de la situation, demander à l'entreprise de faire un certain nombre de cessions, élaborer un plan conjoint de restructuration de l'entreprise permettant en même temps de garder les emplois et d'avoir les dessertes nécessaires. Très concrètement, la première idée qui venait à l'esprit était quand même celle d'un prêt.

M. le Rapporteur : Est-ce donc le ministère de l'Equipement qui a eu l'idée de ce prêt ?

M. Gilles RICONO : Air Lib l'a demandé. Le ministère de l'Equipement a défendu cette idée.

M. le Rapporteur : Votre raisonnement était donc le suivant : il manque les 60 millions de la fin des engagements de Swissair. On injecte 30,5 millions de prêt FDES et le GIE fiscal dont on ne connaissait pas précisément l'incidence, mais à hauteur d'une trentaine de millions. Vous avez donc appuyé ces deux possibilités qui permettaient d'atteindre les 60 millions.

M. Gilles RICONO : Certes, nous avons appuyé ces deux idées, mais nous avons également appuyé l'idée de la restructuration de l'entreprise. Il ne s'agissait pas de leur octroyer un prêt, de camoufler et de voir ensuite. Notre idée était de leur donner les moyens de passer un cap difficile, mais sous réserve que des engagements de restructuration soient pris au niveau de l'entreprise.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Avez-vous un document là-dessus ?

M. Gilles RICONO : Oui. Dans la convention de prêt, le CIRI a inscrit un certain nombre d'engagements.

M. le Rapporteur : Mais ce n'était pas l'un des éléments d'un plan de restructuration défini. Le prêt a été octroyé, ensuite il a été question d'un plan de restructuration.

M. Jean-Marc ROUBAUD : A cette époque, on parlait déjà de cessation d'activité, de dépôt de bilan, etc. On sait pertinemment que lorsqu'une entreprise en est à ce stade, un prêt n'arrange rien même s'il y a des mesures d'accompagnement. Vu les pertes évoquées tout à l'heure, le prêt était une fausse bonne idée.

M. Gilles RICONO : Vous avez raison, mais à partir du moment où l'on sait que le processus stratégique et industriel de l'entreprise est de fait condamné. Si la stratégie de l'entreprise est débilitante, ce n'est pas un prêt qui va la sauver. Nous avons eu la conviction qu'il y avait des possibilités de restructuration, de diversification, de suppression de lignes non rentables, etc., dans un objectif de concurrence sur les DOM et d'aménagement du territoire. Peut-être avons-nous fait une erreur.

M. le Rapporteur : Les responsables du CIRI sont venus nous déclarer ici qu'ils avaient été saisis du dossier en décembre 2001. D'après leurs déclarations, ce dont les procès-verbaux font foi, ils n'avaient aucun élément précis sur cette affaire, autres que ceux qu'ils lisaient dans la presse. Ils ont rédigé des notes qu'ils nous ont remises, attirant l'attention du ministre des Finances sur les dangers d'un prêt du FDES qui était susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat pour soutien abusif et donc d'être appelé en complément de passif. Nous avons ces documents.

Ils nous ont déclaré que tout cela avait été décidé à un tout autre niveau, celui d'une réunion interministérielle à Matignon qui, d'après le bleu que nous avons, a eu lieu début janvier. Selon le procès verbal, vous y avez assisté. Pouvez-vous nous dire comment s'est déroulée cette réunion et quelles étaient les positions des uns et des autres ?

M. Gilles RICONO : Le bleu est explicite. Je n'ai rien à ajouter.

M. le Rapporteur : Je rappelle les termes du bleu pour les collègues qui ne l'ont pas lu. Grosso modo, les Finances font état de certaines réserves. Le ministère du Tourisme indique qu'il faut trouver une solution pour éviter le blocage des avions et le ministère de l'Equipement souligne qu'il faut accorder ce prêt. La réunion n'est pas conclusive puisqu'elle n'est pas au niveau ministériel. Une décision est prise par le Premier ministre qui donne raison à M. Jean-Claude Gayssot. Nous avons une pièce du ministre des Finances qui a été chargé d'exécuter la décision du Premier ministre. Elle est signée de la main de M. Fabius avec ces mots «avec mes plus extrêmes réserves». Nous aimerions savoir si ce bleu traduit bien ce que vous avez vécu.

M. Gilles RICONO : J'ai relu le bleu qui m'a été transmis. Le souvenir de cette réunion est conforme à ce que j'ai dit et entendu à cette réunion.

M. le Rapporteur : Le GIE fiscal n'a jamais réussi à être monté par défaut d'investisseurs. La banque Arjil a été chargée de trouver des investisseurs, mais rien n'a jamais été finalisé. Pour information, la banque Arjil a été rémunérée 800 000 euros. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela n'a pas réussi, malgré le soutien des pouvoirs publics ?

M. Gilles RICONO : Je suis moi-même surpris que ce GIE n'ait pas abouti. J'ai tenu une réunion, le jour de Noël 2001, avec le Crédit Agricole Indosuez, Air France et Airbus. Cette réunion a été suivie par d'autres réunions techniques auxquelles je n'ai pas participé, mais la proposition d'un GIE fiscal avait reçu l'aval du ministère des Finances, comme cela est rappelé dans le bleu. Ce GIE était parfaitement montable.

Il y a eu des difficultés dans les discussions liées à des problèmes techniques, notamment par rapport au fait que l'avion loué par Air France, pour intervenir en cas de problème pendant les vacances d'été, devait être conforme aux standards d'Air France, ce qui posait des problèmes de galets (endroits où l'on stocke les victuailles dans les avions), de surcoûts, d'aménagement. Mais au-delà de ces quelques problèmes, honnêtement, j'ai toujours eu le sentiment, y compris de la part de Crédit Agricole Indosuez et d'Airbus, d'un intérêt sur cette opération et d'une volonté d'aboutir.

Je ne m'explique pas pourquoi, y compris après, ce GIE n'a pas été possible. J'ai cru comprendre, mais postérieurement par un échange avec quelqu'un du Crédit Agricole que j'ai rencontré dans le métro, qu'il y avait eu des difficultés du fait que certains avaient considéré que ce n'était pas euro-compatible. Or nous avions toutes les assurances du caractère euro-compatible de l'opération.

Honnêtement, c'est quelque chose que je n'arrive pas à comprendre, compte tenu de la volonté d'aboutir des uns et des autres, car ce sont des opérations qui, pour les banquiers, entre autres Crédit Agricole Indosuez, sont intéressantes.

M. le Président : Nous allons mettre fin à votre audition en vous remerciant des explications que vous nous avez données.

Suite des auditions


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