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N° 1004

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR  (1)
LA GESTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES
AFIN D'AMÉLIORER LE SYSTÈME DE PRISE DE DÉCISION

Président

M. Philippe DOUSTE-BLAZY,

Rapporteur

M. Michel DIEFENBACHER,

Députés.

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TOME I

RAPPORT

Accès au tome II : auditions

La commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision est composée de : M. Philippe Douste-Blazy, Président ; MM. Jean-Pierre Balligand, Charles de Courson, Vice-présidents ; MM. Christian Philip, Jean-Claude Sandrier, Secrétaires ; M. Michel Diefenbacher, Rapporteur ; MM. Philippe Auberger, François d'Aubert, Claude Bartolone, Jacques Briat, François Brottes, Dominique Caillaud, Jérôme Chartier, Pierre Ducout, Jean Gaubert, Mme Nathalie Gautier, MM. Louis Giscard d'Estaing, François Goulard, Alain Gouriou, Sébastien Huyghe, Alain Joyandet, Jean-Marie Le Guen, Jean-Claude Lenoir, Hervé Mariton, Jacques Masdeu-Arus, Jean-Pierre Nicolas, Robert Pandraud, Nicolas Perruchot, Xavier de Roux, Alfred Trassy-Paillogues.

S O M M A I R E

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Accès au début du tome I du rapport

TROISIÈME PARTIE : UN ÉTAT OMNIPRÉSENT MAIS SANS STRATÉGIE 7

I.- UNE GESTION AU COUP PAR COUP 7

II. UNE REPRÉSENTATION CONFUSE AU SEIN DES ORGANES SOCIAUX 13

A.- UN COLLÈGE DISPARATE 13

B.- UNE COORDINATION ET UN SUIVI LIMITÉS 16

III.- UN CONTRÔLEUR TATILLON MAIS DÉFAILLANT 18

A. UN CONTRÔLE LOURD SUR LES ACTES DE GESTION 19

· Les investissements 20

· Les salaires 21

· Les tarifs 23

B. UN CONTRÔLE INSUFFISANT SUR LES DÉCISIONS STRATÉGIQUES 25

1.- Des procédures inadaptées 25

· Les commissaires du gouvernement 25

· Le contrôle d'Etat 26

· L'approbation des prises de participations financières 28

2.- Des moyens inadéquats 30

QUATRIÈME PARTIE : DONNER AUX ENTREPRISES PUBLIQUES LES MOYENS DE LEUR MODERNISATION 34

I.- RESPONSABILISER LES ENTREPRISES PUBLIQUES 34

A.- DES PRÉSIDENTS LÉGITIMÉS 34

1.- Une autorité incontestable 34

2.- Un meilleur suivi de leur action 36

B.- DE VÉRITABLES CONTRE-POUVOIRS AU SEIN DES ENTREPRISES 36

1.- Des conseils d'administration renforcés 36

a) Des conseils plus restreints 38

b) Des administrateurs plus responsables 39

c) Des missions plus précises 40

2.- Des comités spécialisés aux compétences élargies 40

a) Le comité d'audit et de gestion des risques 40

b) Le comité de stratégie et des acquisitions 41

3.- Une évaluation régulière 41

C.- UNE GESTION PLUS CLAIRE 43

1.- Un nouveau statut 43

2.- Une simplification du management 43

a) Des décisions plus transparentes 43

b) Des instruments d'analyse plus performants 44

3.- Une meilleure identification des missions et des charges de service public 46

a) Une définition plus précise 46

b) Une évaluation plus nette 47

c) Une compensation plus juste 48

II.- REPENSER LE RÔLE DE L'ETAT 48

A.- UNE ORGANISATION PLUS EFFICACE 48

1.- L'Agence des participations 48

2.- La représentation au sein des conseils 51

B.- DES CONTRÔLES RECENTRÉS 51

1.- Une vision plus stratégique 52

2.- Une surveillance moins tatillonne 53

a) Supprimer les contrôles a priori 53

b) Renouer avec le principe d'autonomie de gestion 54

CONCLUSION : PROPOSITIONS DE LA COMMISSION 56

EXAMEN DU RAPPORT 60

EXPLICATIONS DE VOTE 62

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS 64

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE UDF 70

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE DES DÉPUTÉ-E-S COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS 72

TROISIÈME PARTIE : UN ÉTAT OMNIPRÉSENT MAIS SANS STRATÉGIE

L'Etat consacre à la gestion, au suivi et au contrôle des entreprises publiques des moyens importants. Un service entier de la direction du Trésor (le service des participations de l'Etat : 45 fonctionnaires), l'intégralité d'un corps de fonctionnaires (le contrôle d'Etat : 61 fonctionnaires) leur sont consacrés. Des effectifs non négligeables participent à l'activité des divers organismes spécialisés, le CIES 1, la CICS 2 pour ne pas parler de ceux des ministères de tutelle. Les décisions des entreprises publiques en matière de salaires, de tarifs, d'investissement relèvent encore du contrôle voire de la décision de l'Etat.

Mais l'importance de ce dispositif et des moyens qui l'accompagnent n'a pas empêché les dérives que l'on vient d'analyser. L'Etat apparaît ainsi comme étant à la fois très présent et trop souvent inefficace.

I.- UNE GESTION AU COUP PAR COUP

L'Etat éprouve des difficultés à donner aux entreprises publiques des directives claires, à tel point que les auditions auxquelles a procédé votre commission n'ont pu lever l'impression qu'il intervenait bien souvent sans réelle stratégie, et sans qu'il ait lui-même arbitré entre ses différentes préoccupations.

Les dirigeants se trouvent ainsi placés dans la situation de ne pas réellement savoir ce que leur actionnaire majoritaire attend d'eux, comme M. Daniel Lebègue 3, ancien directeur de la Caisse des dépôts et consignations l'a expliqué :

« Que peut-on reprocher à l'Etat actionnaire ? Il manque souvent de vision stratégique. Du côté de l'entreprise, on ne connaît pas toujours les attentes que l'Etat a de l'entreprise. L'Etat actionnaire est divers ; il manque d'unité, de cohérence, a des fonctions et des expressions multiples, ce qui ne facilite évidemment pas l'interface avec les dirigeants de l'entreprise ».

Cette difficulté tient principalement au fait que l'Etat doit arbitrer entre ses différentes missions.

L'Etat est porteur d'une politique économique et sociale. A ce titre, il veille à ce que les entreprises publiques prennent en compte les orientations macroéconomiques qu'il définit, qu'il s'agisse de l'emploi, des relations sociales, de la stratégie industrielle, du développement durable ou de l'aménagement du territoire.

En outre, concernant les entreprises publiques dont certaines activités conservent des éléments de monopole ou dont les ressources proviennent en large partie de subventions, l'Etat assume une fonction de tutelle, afin d'encadrer les parties de l'exploitation qui échappent au jeu de la concurrence.

De même, il doit mettre en place la régulation qui assure le bon fonctionnement du marché. Si désormais la gestion de la régulation relève d'organismes jouissant d'une large indépendance (qu'ils soient propres à un secteur d'activité, comme l'Autorité de régulation des télécommunications ou la Commission de régulation de l'énergie, ou à l'ensemble des marchés comme le Conseil de la concurrence), la puissance publique joue un rôle décisif dans l'édiction des modalités réglementaires qui organisent le marché.

Enfin, comme le soulignait M. Edmond Alphandéry, « ce n'est pas tout : l'Etat a des préoccupations budgétaires. Croyez-moi, dans certaines périodes telles que celles que nous vivons ou que j'ai vécues alors que j'étais à Bercy, celles-ci ne sont pas sans incidences sur la gestion des entreprises publiques ».

Un exemple frappant peut être tiré de France Télécom. En février 2000, selon les informations communiquées à votre Rapporteur par le ministère des finances, le président de France Télécom souhaitait proposer à ses actionnaires le paiement du dividende relatif à l'exercice 1999 en actions et non en numéraire, afin d'éviter une sortie de cash de l'ordre d'un milliard d'euros au moment où les besoins de financement du groupe étaient considérables. Le refus qui lui a été opposé au moment même où l'Etat donnait son agrément à une stratégie de croissance externe particulièrement ambitieuse apparaît avec le recul comme particulièrement contradictoire.

De manière plus éloquente encore, il est permis de s'interroger sur le bien-fondé des dispositions de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, qui excluent les contractuels employés par La Poste du dispositif d'allègement de cotisations sociales sur les bas salaires, alors même que l'opérateur fait face à des charges de personnel qui compromettent gravement sa compétitivité.

Il serait vain d'énumérer les conflits d'intérêt que l'Etat règle au détriment de l'équilibre économique des entreprises publiques, pratiques dont les conséquences sont amplifiées lorsque lesdites entreprises, engagées dans une croissance externe par définition porteuse de risques, ont besoin de s'appuyer sur un environnement juridique et financier stable.

On ne peut nier cependant que des progrès aient été faits pour rationaliser et stabiliser les relations de l'Etat avec les entreprises publiques. C'est ainsi que certaines d'entre elles sont soumises à des contrats de groupe 4, institués à la suite des conclusions du rapport Nora de 1967, qui encadrent leur autonomie en prévoyant pour trois ou quatre ans la stratégie industrielle et commerciale de l'entreprise et en en déterminant les bases financières.

D'une part, les groupes publics disposent ainsi d'une visibilité croissante sur les tarifs des services en monopole, dont l'évolution, conformément aux principes de la réglementation communautaire, prend en compte les obligations de service public à la charge des opérateurs. Ainsi, à titre d'exemple, le contrat de groupe entre l'Etat et EDF prévoit une évolution du niveau tarifaire moyen des prix de l'électricité fournie aux clients non éligibles de - 1 % à laquelle s'ajoute une variable. Cette dernière, exprimée en euros par mégawatheure, est calculée en fonction de l'évolution des charges liées aux missions de service public à recouvrer sur les ventes aux clients non éligibles. Le taux de - 1%, donné en monnaie constante et donc corrigé de l'indice des prix à la consommation hors tabac, est modulé par catégories et options tarifaires. Cet engagement mutuel a pour objet de permettre à l'opérateur d'appuyer sa croissance sur des perspectives stables s'agissant de son métier traditionnel, en contrepartie de quoi il doit utiliser les gains de productivité dégagés pour que les tarifs puissent évoluer de - 1 % en monnaie constante.

D'autre part, l'Etat s'attache à rationaliser les modalités de sa rémunération. Concernant EDF, le contrat de groupe a fixé le dividende qui lui revient à 37,5 % du résultat net du groupe. M. Edmond Alphandéry a rappelé à votre commission l'importance de cette pratique dans la préparation de l'opérateur à la concurrence :

« Les relations fiscales et financières entre EDF et l'Etat qui, jusque-là, n'étaient pas stabilisées, sont apparues sur le devant de la scène. Auparavant, à chaque fois que l'Etat avait un besoin quelconque, il était tenté de s'adresser à EDF. Dans le cadre du contrat d'entreprise sur la période 1999-2000, nous sommes alors entrés dans le droit commun. Les relations sont devenues beaucoup plus prévisibles et l'arbitraire qui prévalait a disparu. C'est un premier exemple. Il montre que la seule perspective de la concurrence a conduit à une meilleure lisibilité des relations entre l'Etat et EDF et, donc, à une meilleure gouvernance ».

Parallèlement, les charges de service public ont été progressivement précisées, dans le cadre notamment de contrats spécifiques de service public. En contrepartie, les performances sont mieux mesurées. Le contrat de groupe entre l'Etat et EDF dispose ainsi que l'entreprise publique s'engage à créer de la valeur pour son actionnaire par une rentabilité croissante sur la période, mesurée par divers ratios (rentabilité des capitaux propres, ratios d'endettement).

Le contrat d'objectifs et de moyens 2001-2005, signé entre l'Etat et France Télévisions apparaît à bien des égards exemplaire, conciliant une forte sensibilisation du groupe aux contraintes de bonne gestion financière, une rigoureuse limitation du recours à l'endettement, et un intéressement de l'entreprise à la réalisation d'objectifs précis.

Dans les entreprises confrontées pleinement à la concurrence ou dont le capital a été ouvert aux investisseurs privés, les relations sont moins formalisées, mais impliquent tout de même des échanges continus avec le ministère des finances.

Malgré ces progrès, c'est bien le rôle de l'Etat actionnaire qui doit être repensé car, pour le moment, il se contente surtout de réagir sans réellement anticiper.

Comme le rappelait M. Jean-Pierre Jouyet évoquant la manière dont la stratégie de France Télécom avait été arbitrée, l'Etat actionnaire, par essence, « examine et rend sa décision sur la stratégie ; le responsable de l'entreprise, lui, doit proposer. Qu'il s'agisse de France Télécom ou d'autres entreprises, nous avons donc toujours réagi face à des propositions dont on peut, dans certains cas, regretter le calendrier, mais ces propositions nous étaient faites par l'entreprise ».

Si les entreprises publiques ont besoin de plus d'autonomie dans leur gestion, l'Etat doit faire preuve de plus d'initiative chaque fois que la stratégie des entreprises est en cause. Les exemples de Mobilcom et Montedison illustrent clairement la difficulté rencontrée par l'Etat lorsqu'il s'agit d'anticiper les décisions industrielles.

L'acquisition de Mobilcom n'aurait pas dû constituer une surprise pour le ministère des finances. La volonté marquée de France Télécom de pénétrer le marché allemand était non seulement connue de son actionnaire majoritaire, mais elle avait fait l'objet de son agrément. De même, dès l'automne 1999, la teneur des documents transmis à votre Rapporteur par le ministère des finances montre que l'échec de la prise de contrôle de l'opérateur mobile allemand E+ était une éventualité considérée avec sérieux par l'Etat. Par conséquent, il est surprenant qu'il n'ait pas, au moins à titre prospectif, porté son attention sur Mobilcom, entreprise médiatisée qui constituait de surcroît la dernière occasion pour le groupe français de disposer d'une base de clientèle en Allemagne et de participer ainsi aux enchères UMTS.

De même, s'agissant de la prise de participation d'EDF dans Montedison afin d'acquérir Edison, cible évidente du groupe public en Italie, la surprise de l'Etat, légitime au regard des conditions de son association à la décision, était cependant moins compréhensible concernant le principe de l'opération. M. François Roussely a fait valoir sur ce point que « le contrat de groupe avait été signé un mois auparavant. Nous avions délibéré pendant une année sur nos priorités en Italie [...] et nous avions les moyens, puisque cet achat était prévu dans notre plan stratégique ; au surplus, l'Italie constituait notre première priorité ».

Ce manque d'approche prospective nuit gravement à l'appréciation globale que l'Etat se fait des risques portés par les entreprises publiques. Ainsi, pour France Télécom, si la « nervosité » du ministère des finances, selon le terme de M. Jean-Louis Vinciguerra, était manifeste dès le début de l'année 2001 5, il a cependant été nécessaire que le ministre confie à l'automne 2001 une mission d'audit à M. Yves Mansion, inspecteur général des finances, pour que l'Etat prenne pleinement conscience de la gravité de la situation financière du groupe, de l'urgence d'un cantonnement des risques spécifiques attachés à NTL et Mobilcom, et des nécessités de transparence et d'exhaustivité qui devaient inspirer l'établissement des comptes 2001 afin de permettre au groupe de « purger » les mécomptes de la stratégie suivie entre 1999 et 2000.

De fait, la nécessité d'une expansion internationale des entreprises publiques conduit à s'interroger sur l'organisation et les méthodes de l'Etat actionnaire.

Les relations que l'Etat entretient avec les marchés sont forcément ambiguës. Cette situation apparaît dans toute son acuité dans le cas des entreprises cotées. Les marchés sont souvent méfiants à son égard, comme l'illustrent les jugements portés par la presse économique, notamment anglo-saxonne, sur les tâtonnements stratégiques de France Télécom jusqu'au printemps 2000. Par essence, l'Etat est soupçonné d'une prudence excessive mais aussi d'une insuffisante attention aux considérations de stricte rentabilité. En réaction, il est parfois incité à prendre à son compte les « humeurs » du marché, quitte à faire preuve d'une excessive audace lorsque ce dernier est porteur.

On rappellera à cet égard les propos de M. Michel Bon devant votre commission :

« Ce qui est frappant c'est que, durant toute la période que j'ai passée à France Télécom, jamais le marché et l'Etat n'ont divergé : ils ont toujours parlé d'une même voix ! L'Etat me demandait ce que me demandait le marché et vice versa. En d'autres termes, lorsqu'il fallait faire des acquisitions ou des cessions, le marché me les réclamait sur l'air des lampions et l'Etat entonnait le même refrain. Si j'évoque ce point, c'est parce que la réflexion qui est la vôtre, mérite sans doute d'être poussée un cran plus loin : si l'Etat comme actionnaire ne fait que servir de porte-voix au marché, quelle est sa légitimité à être actionnaire ? »

Il est certain que l'expansion internationale ne peut qu'accentuer le décalage entre le risque inhérent à l'activité d'entreprise et le niveau de sécurité exigé pour la gestion des fonds publics.

Par ailleurs, l'Etat voit ses moyens de contrôle considérablement affaiblis par les formes que prend la croissance externe, c'est-à-dire le développement des filiales. Des décisions fondamentales pour les groupes publics sont prises au niveau des filiales, ce qui, en raison de leur forte identité (Orange ou Equant dans le cas de France Télécom) et des modalités spécifiques de leur gouvernance (le nombre de représentants « directs » de l'Etat dans les conseils d'administration est faible ou nul, sous réserve de la participation du contrôle d'Etat) réduit un peu plus les délais et la qualité de l'information transmise à l'actionnaire public.

II. UNE REPRÉSENTATION CONFUSE AU SEIN DES ORGANES SOCIAUX

A.- UN COLLÈGE DISPARATE

Bien que l'Etat détienne la totalité du capital des EPIC et au moins la moitié du capital des entreprises publiques constituées sous forme de sociétés commerciales, ses représentants ne disposent pas, en règle générale, de la majorité des voix au sein de leurs organes délibérants.

En effet, en application de la loi n°83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public (DSP), la composition des conseils d'administration repose dans la majorité des cas sur un équilibre tripartite entre les représentants de l'Etat, les personnalités qualifiées et les représentants élus du personnel - dont l'institution n'est que facultative dans le droit commun des sociétés commerciales 6.


Les principales dispositions relatives à la composition
des conseils d'administration des entreprises publiques

Par dérogation au droit commun applicable aux sociétés commerciales, la loi du 26 juillet 1983 instaure un régime spécifique tenant compte de la part des capitaux détenus par l'Etat (chapitre premier du titre II de la loi précitée).

I/ Dans les EPIC et les  sociétés  de premier rang dans lesquelles les personnes morales de doit public détiennent directement plus de 90 % du capital

Le conseil d'administration comprend, en règle générale :

- six représentants de l'Etat et, le cas échant des représentants des autres actionnaires nommés par l'assemblée générale ;

- six personnalités qualifiées nommées par décret et choisies en fonction de leurs compétences personnelles (scientifiques ou technologiques) ou parce qu'elles représentent des intérêts économiques et sociaux  (dont au moins un représentant des consommateurs ou usagers dans les entreprises chargées d'une mission de service public) ;

- six représentants élus des salariés, dont le mandat est gratuit, ce qui entraîne une atténuation de la responsabilité civile susceptible d'être engagée au titre de leur mandat.

II/ Dans les sociétés de premier rang dont moins de 90 % du capital est détenu par des personnes morales de droit public

Le conseil d'administration est composé des représentants élus des salariés et des représentants des actionnaires élus par l'assemblée générale, sous réserve des représentants de l'Etat qui sont nommés par décret. Le nombre de membres varie selon la part du capital détenue directement par l'Etat (il est de 18 au sein des sociétés dont la majorité du capital est détenue par l'Etat et de 9 à 18 dans les autres cas). Le nombre des représentants des salariés varie de trois membres au tiers des membres du conseil.

Par dérogation à ces dispositions, le conseil d'administration de France Télécom compte 21 membres, en application de la loi du 2 juillet 1990 précitée (composé auparavant de 10 représentants de l'Etat, 4 représentants des actionnaires et 7 représentants des salariés, et, depuis février 2003, de 7 représentants de chaque collège).

S'agissant des sociétés dans lesquelles l'Etat détient plus de la moitié du capital qui ont moins de 200 salariés et ne possèdent aucune filiale (article 4 de la loi DSP)

Le conseil est composé de 9 à 18 membres et comprend des représentants élus des salariés, dont, le nombre, en dehors des cas où celui-ci est fixé par décret en Conseil d'Etat, est au moins égal à 2 et au plus au tiers du nombre des membres du conseil d'administration.

Enfin, dans chacune des sociétés du secteur public de la communication audiovisuelle visées à l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, parmi lesquelles France Télévision, Radio France et RFI, le conseil d'administration comprend 2 parlementaires désignés respectivement par l'Assemblée nationale et le Sénat , 4 représentants de l'Etat, 4 personnalités qualifiées nommées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et 2 représentants élus du personnel.

Aussi l'unicité ou tout du moins la cohérence de la représentation de l'actionnaire majoritaire revêt-elle une importance particulière au sein d'une entreprise publique, d'autant plus que, faute de trouver un interlocuteur unique, celle-ci peut avoir la « tentation de faire jouer ses « relations » à Matignon, à l'Elysée, à Bercy », comme le rappelait M. Edmond Alphandéry lors de son audition.

Pourtant, les conditions mêmes de la nomination des représentants de l'Etat ne les préparent pas véritablement à faire la nécessaire synthèse entre l'intérêt social de l'entreprise et les différents objectifs poursuivis par l'Etat. En effet, ce collège est composé essentiellement de fonctionnaires issus de ministères différents, dont la nomination, comme le relevait M. Marcel Roulet dans son rapport de janvier 1999 sur la représentation de l'Etat actionnaire 7, semble correspondre davantage à une succession de décisions individuelles qu'à une réelle stratégie d'ensemble. Cette situation n'a pas évolué significativement depuis lors.

A la diversité des administrateurs s'ajoute la présence au conseil, avec voix consultative, du commissaire du gouvernement, chargé de représenter la tutelle technique, et du contrôleur d'Etat, dont la mission consiste essentiellement à suivre la situation économique et financière de l'entreprise.

Se trouvent ainsi représentés d'une manière « segmentée » les intérêts divers et parfois contradictoires de l'Etat - intérêts patrimoniaux, budgétaires et sectoriels - alors que le conseil d'administration devrait constituer le lieu normal du dialogue entre la direction de l'entreprise et son actionnaire majoritaire. On peut dès lors comprendre aisément que M. Alain Martin 8, administrateur représentant des salariés d'EDF, n'ait « pas toujours le sentiment qu'ils aient une position vraiment claire sur certains dossiers ».

Certes, M. Louis Gallois, Président de la SNCF, a indiqué 9 qu'ils faisaient « des efforts personnels importants pour se mettre dans la situation d'un véritable administrateur », mais il reste « très difficile qu'ils fonctionnent sur la base de l'affectio societatis d'un conseil d'administration dont l'objet consiste à promouvoir l'objet social de l'entreprise ».

En définitive, s'il est rare que la position de ses administrateurs se traduise par des votes discordants sur les délibérations du conseil, la représentation de l'Etat se caractérise par la confusion et l'inadéquation, ses intérêts patrimoniaux paraissant en tout état de cause insuffisamment identifiés et défendus.

A cet égard, le constat dressé par M. Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS et ancien administrateur de France Télécom, s'avère extrêmement préoccupant :

« Des représentants de l'Etat, délégués ou directeurs d'administration centrale, viennent là, non pour promouvoir l'intérêt social de l'entreprise, mais pour défendre le point de vue de chacun de leur ministère (...). Le directeur du Budget vient défendre les intérêts du Budget, le directeur du Trésor, les intérêts du Trésor. Personne au fond n'a en vue l'intérêt général ».

B.- UNE COORDINATION ET UN SUIVI LIMITÉS

Cette situation résulte pour partie du niveau insuffisant de la coordination entre les différents représentants de l'Etat, en dépit d'indéniables progrès réalisés depuis quelques années.

Lors de son audition, M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, a ainsi souligné que « les séances des conseils d'administration sont précédées, du moins pour les dossiers qui le méritent, de réunions entre les représentants de l'Etat, de façon à coordonner les positions. De même, pour les séances les plus délicates, qui peuvent faire naître des oppositions, comme dans l'hypothèse où des tutelles techniques assurant des fonctions de régulateur ne seraient pas en phase avec les intérêts de l'actionnaire ou des intérêts patrimoniaux, des échanges sont organisés entre directions, avec un arbitrage du ministre ou réalisé au niveau interministériel, de manière à bien cadrer les positions des uns et des autres avant un conseil d'administration ».

En outre, un rôle de chef de file est parfois dévolu à l'un des représentants de l'Etat, le plus souvent celui qui est issu de la direction du Trésor, comme l'affirmait notamment M. Edmond Alphandéry :

« Que chaque administration envoie un représentant au sein du conseil d'administration ne me semble pas une bonne chose. Du temps où j'étais président - le fait a été confirmé par la suite - on a nommé un chef de file, en charge d'être le « tôlard » parmi les représentants de l'Etat et de donner une ligne afin d'éviter tout éparpillement ».

Que les administrateurs de l'Etat se coordonnent, c'est évidemment une bonne chose. Que le consensus ainsi obtenu exprime l'intérêt stratégique de l'Etat, ce n'est pas avéré. Pour réel et salutaire qu'il soit, cet effort de coordination présente en effet de réelles carences.

La première a trait à la formation des administrateurs. Elle revêt une importance décisive dans la mesure où elle doit permettre de renforcer l'unité et la qualité de la représentation de l'Etat. S'il existe bien un programme de formation destiné, selon M. Jean-Pierre Jouyet, aux « représentants appartenant à tous les ministères, qui précise notamment les droits et obligations ainsi que les outils techniques nécessaires à l'exercice des fonctions d'administrateur », et qui «  a bénéficié, au cours de l'année 2002, à une trentaine de personnes », il reconnaissait lui-même que « cet effort de formation a besoin d'être sensiblement approfondi, puisqu'à l'heure actuelle, ladite formation se limite à quelques jours par an ».

De plus, le suivi régulier des administrateurs, afin notamment d'éviter des vacances de postes préjudiciables au bon fonctionnement du conseil d'administration, n'est pas toujours assuré dans des conditions satisfaisantes. On remarquera par exemple que M. François Ailleret, ancien président d'EDF-International, n'a toujours pas été remplacé au conseil d'administration depuis son départ à la retraite en juillet 2002.

Surtout, les représentants de l'Etat ne disposent pas toujours d'instructions très précises préalablement aux réunions du conseil, bien que M. Jean-Pierre Jouyet ait indiqué que « la direction du Trésor prépare des instructions aux représentants de l'Etat. Certaines propositions d'instructions remontent au ministre, et ce dernier décide de la position que les administrateurs prendront sur les sujets évoqués en conseil d'administration ». Il semble en effet que tel ne soit pas le cas pour l'ensemble des administrateurs, s'agissant en particulier de ceux qui ne sont pas fonctionnaires, comme l'a affirmé M. Jacques Rigaud, administrateur démissionnaire de France Télécom, nommé en qualité de représentant de l'Etat, dans un entretien de septembre 2002 :

« Depuis ma nomination en novembre 2000, je n'ai eu aucun contact avec les ministres ou représentants du gouvernement alors que je représentais l'Etat au conseil d'administration de France Télécom.  Faute de toute autre directive, j'ai toujours considéré que ma mission était de soutenir l'action du président de France Télécom qui avait la confiance de l'Etat et qui n'a pas eu d'initiative importante de gestion de stratégie sans le plein accord de l'Etat (...). J'aurais trouvé cela normal que l'on nous consulte ou que l'on nous dise ce que l'Etat attendait de nous, ce qui ne s'est produit à aucun moment (...). C'est très grave. Cela veut dire qu'on nomme les administrateurs et on leur laisse la bride sur le cou ».

Or, comme le résumait brutalement M. Daniel Lebègue, « faute d'instructions, les administrateurs représentant l'Etat au conseil se taisent », et c'est bien en effet ce qu'a pu constater votre Rapporteur à la lecture des procès-verbaux de certains conseils d'administration, à l'exception principalement du représentant de la direction du Trésor.

Enfin, cet effort de coordination se heure à de réelles difficultés liées à la multiplicité des intervenants, comme l'a avancé M. Jean-Pierre Jouyet : « Le service s'appuie également sur la direction du budget, le contrôle d'Etat, les tutelles techniques - la direction de l'énergie et des matières premières, la direction de l'industrie, et d'autres directions importantes du ministère de l'équipement ou du secrétariat aux transports. Au total, la direction du Trésor et le service des participations ont à traiter avec une multiplicité d'intervenants, dont il faut reconnaître que le degré de coopération est variable ».

LE CONSEIL D'ADMINISTRATION REFLÈTE AINSI LES NOMBREUX VISAGES D'UN ETAT MULTIFORME PLUS QUE STRATÈGE, DONT ON A SOULIGNÉ LES AMBIGUÏTÉS, LES CONTRADICTIONS ET LES ABSENCES. ON RETROUVE LA MÊME COMPLEXITÉ DANS L'ARCHITECTURE DES CONTRÔLES AUXQUELS SONT SOUMISES LES ENTREPRISES PUBLIQUES.

III.- UN CONTRÔLEUR TATILLON MAIS DÉFAILLANT

Héritée d'une époque où les entreprises publiques n'étaient qu'un démembrement ou un prolongement des services de l'Etat, caractérisée par un foisonnement de textes résultant pour une large part d'une sédimentation historique, la « tutelle » exercée sur les entreprises publiques fait l'objet d'une double critique, en apparence contradictoire.

De nombreuses personnes auditionnées par la commission ont tout d'abord dénoncé la lourdeur et l'enchevêtrement des contrôles, qui conduiraient à déresponsabiliser leurs dirigeants. Dans ce sens, M. Edmond Alphandéry a estimé qu'« une entreprise comme EDF est en contact permanent avec sa tutelle, le ministère en charge de l'industrie. Elle est également en contact avec les directions en charge des finances, avec Matignon, avec le ministère de l'environnement, avec leurs cabinets ministériels comme avec leurs fonctionnaires, avec les assemblées parlementaires aussi, avec la Cour des comptes. Cela fait beaucoup de contrôles. Ce contrôle est-il insuffisant ? (...) Ma réponse est non. Je ne crois pas qu'il faille davantage de contrôles. En volume et en quantité, il y en a bien suffisamment, probablement trop ».

Dans le même temps, l'Etat actionnaire est insuffisamment ou tardivement informé et manifestement hors d'état d'exercer un contrôle efficace sur des décisions stratégiques parfois contestables. Cette situation s'expliquerait pour partie, selon M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, « par un contexte historique, marqué par le manque d'autonomie des entreprises publiques. Toute autorisation, contrôle par une autorité administrative ou autre était alors assimilé à un processus « bureaucratique».

Dès lors, y a-t-il en définitive un excès ou bien au contraire une insuffisance de contrôle ?

Votre Rapporteur estime que ces deux approches se rejoignent sur un point : le contrôle de l'Etat est le plus souvent inadapté car il ne porte pas sur ce qui relève de lui. Il partage l'avis de M. Daniel Lebègue qui estime que l'Etat « intervient neuf fois sur dix, sur des questions qui relèvent de la gestion courante et non de la stratégie ou du contrôle de l'entreprise », ce qui explique ainsi qu'il soit tout à la fois omniprésent, éclaté et inefficace.

A. UN CONTRÔLE LOURD SUR LES ACTES DE GESTION

Erigée en véritable doctrine à partir des nationalisations de 1946, et plus encore depuis le rapport de M. Simon Nora sur les entreprises publiques en 1967, l'« autonomie de gestion » vise à garantir le respect d'une économie décentralisée, où les décisions se prennent au plus près des réalités économiques, en l'occurrence au niveau des entreprises, et non au niveau ministériel.

Ce principe a été très clairement réaffirmé par la circulaire du 29 mai 1997 du Premier ministre, M. Alain Juppé, relative au rôle de l'Etat actionnaire ou tuteur des entreprises publiques, aux termes de laquelle :

« L'Etat n'a pas vocation à intervenir directement dans leur gestion courante. Il a en revanche un rôle primordial à jouer dans la définition de leur stratégie et dans le suivi de sa mise en œuvre ».

Pourtant, pour des décisions aussi essentielles que les salaires, les investissements, les achats ou les tarifs, de nombreuses entreprises demeurent soumises à un contrôle a priori, sur le fondement principalement du décret n°53-707 du 9 août 1953 relatif au contrôle de l'Etat sur les entreprises publiques.

· Les investissements

Institué en 1955, le contrôle exercé par le Fonds de développement économique et social (FDES) sur les investissements des entreprises publiques se justifiait initialement par le fait qu'il assurait lui-même, par des prêts, une partie importante de leurs financements. Le FDES a été remplacé par le Comité des investissements à caractère économique et social (CIES) créé par le décret n°96-1022 du 27 novembre 1996, mais le dispositif de surveillance a été pour l'essentiel maintenu.

Présidé par le ministre de l'économie et composé des ministres des transports, de l'environnement, de l'aménagement du territoire, du budget et de l'industrie, le Comité se prononce sur les programmes d'investissement, le rythme de réalisation des travaux et leur mode de financement « en fonction des orientations des politiques publiques, de la situation des entreprises et organismes concernés, des textes les liant à l'Etat, de la situation des finances publiques et des marchés financiers et de l'intérêt propre des projets examinés ».

Si, juridiquement, le CIES ne décide pas formellement de ces programmes, il donne en pratique des recommandations qui s'imposent aux entreprises concernées, parmi lesquelles principalement Aéroports de Paris, EDF, GDF, La Poste, la RATP ou encore la SNCF et RFF 10. En revanche, dès lors que leur capital a été ouvert à des actionnaires minoritaires, certaines entreprises, comme Areva ou France Télécom, ont progressivement été exclues de son champ d'application. Après instruction par des comités spécialisés et sur rapport du directeur du trésor, le CIES a ainsi examiné, en juillet 2002, les programmes de 62 entreprises et établissements publics, pour un montant total d'investissements autorisés de 19 milliards d'euros pour 2003.

A l'évidence, cette procédure présente l'avantage d'inciter les entreprises à établir une évaluation rigoureuse de leurs investissements par rapport à leurs moyens financiers.

Votre Rapporteur constate toutefois que les décisions qui sont prises en son sein l'ont souvent déjà été au niveau des entreprises concernées, que ce soit par les autorités de tutelle ou par leurs organes délibérants, en raison notamment de la contractualisation de leurs relations avec l'Etat.

L'examen des programmes descend parfois à un niveau de détail très fin, jugé « anormal » par M. Louis Gallois en ce qu'il conduit à « une certaine déresponsabilisation de la direction de l'entreprise. Que l'enveloppe des investissements puisse faire l'objet d'un débat avec l'actionnaire me paraît légitime, que nous ayons des contraintes sur l'endettement de l'entreprise, j'en suis d'accord, mais lorsque l'on discute hors la présence de l'entreprise en conseil de direction du CIES pour savoir s'il faut ou non acheter des locomotives fret, j'estime qu'il y a une confusion des genres ».

De fait, la perspective d'une « négociation » au sein du CIES conduit tout naturellement les entreprises à maximiser leurs projets. Pour logique qu'elle soit, cette attitude ne va dans le sens ni de la simplification des procédures, ni de la responsabilisation des partenaires.

· Les salaires

On rappellera que les entreprises publiques comptent de nombreux fonctionnaires - ceux-ci représentant par exemple près de 42 % des effectifs du groupe France Télécom - dont les principales règles de rémunération échappent de fait à la direction des entreprises concernées.

L'évolution des salaires dans le secteur public fait par ailleurs l'objet d'un contrôle spécifique, assuré principalement par la Commission interministérielle de coordination des salaires (CICS), instituée par l'article 6 du décret du 9 août 1953 précité et dont le secrétariat est assuré, depuis 1999, par la mission d'observation des conditions d'emploi et de rémunération dans les organismes publics, rattachée au service du contrôle d'Etat de la direction du Trésor.

Présidée par le ministre de l'économie et des finances, la Commission réunit les représentants des directions du budget, du trésor, des relations du travail, du ministère technique dont relève l'entreprise ainsi que le chef de la mission d'observation et le contrôleur d'Etat de l'entreprise concernée.

Si la CICS ne dispose en principe que d'une compétence consultative, ses pouvoirs demeurent importants et sa procédure d'examen pour le moins contraignante.

La commission est en effet saisie pour avis des « mesures relatives aux éléments de rémunération, ainsi qu'au statut et au régime de retraites du personnel». Ces mesures qui doivent être communiquées au ministre intéressé et au ministre des finances portent sur toutes les décisions susceptibles de provoquer une variation des salaires et ne deviennent donc exécutoires qu'après avoir reçu l'approbation ministérielle.

En pratique, cette communication revêt deux formes :

- une communication a posteriori sur les mesures salariales de l'exercice échu, qui concerne l'ensemble des entreprises publiques ;

- une obligation supplémentaire d'information a priori, qui est désormais limitée aux 87 entreprises mentionnées en annexe à la note de service du 16 février 2001, parmi lesquelles figurent EDF, La Poste, la SNCF, la RATP, RFF, ou encore France 2 et France 3.

Dans ce dernier cas, l'examen des projets des entreprises publiques donne lieu à la définition d'un « cadrage salarial », qui porte en règle générale sur la progression annuelle de la rémunération moyenne du personnel en place (RMPP) 11, ce qui signifie que la tutelle laisse à l'entreprise la liberté du choix des mesures dès lors que leur montant total ne dépasse pas l'enveloppe définie. Certaines décisions salariales font cependant l'objet d'un examen individuel par la Commission, en raison soit de leur nature (mesures d'intéressement ou de participation aux résultats), soit de leur importance, en particulier pour les accords de réduction du temps de travail.

Si cette procédure permet d'éviter que les entreprises déficitaires n'adoptent des augmentations salariales qui seraient in fine prises en charge par la collectivité, votre Rapporteur estime cependant qu'un tel dispositif va à l'encontre de l'autonomie des entreprises et de la responsabilisation de leurs dirigeants.

De surcroît, le calendrier de ce contrôle n'est pas toujours en phase avec les contraintes propres à certaines entreprises, ce dont témoignait M. Marc Tessier 12, président de France Télévisions : « en général, ce cadrage a lieu à la fin de l'année, alors que la loi nous fait obligation d'ouvrir des négociations avec les syndicats au cours des quatre premiers mois, puisque nous sommes une société de droit commun de ce point de vue. Nous ne pouvons donc jamais remplir les obligations légales de négociations salariales faute d'avoir le cadrage en temps utile. »

· Les tarifs

On rappellera tout d'abord qu'en application de l'article L. 410-2 du code de commerce, le Gouvernement peut réglementer les prix, par un décret en Conseil d'Etat, « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires ». C'est ainsi, par exemple, que sont fixés les tarifs de l'électricité pour les clients non-éligibles. Mais c'est plus fréquemment sur le fondement des cahiers des charges des entreprises que s'exerce ce contrôle : c'est notamment le cas de la SNCF 13, de La Poste ou de France Télécom 14, s'agissant des tarifs du service universel et des services pour lesquels il n'existe pas de concurrents sur le marché.

Ce contrôle vise à éviter que certaines entreprises publiques n'abusent de leur situation de monopole au détriment des consommateurs, mais également à répondre à des préoccupations d'ordre social, politique ou économique. Ces préoccupations ne sont bien entendu pas sans fondement. Elles perdront toutefois de leur acuité au fur et à mesure de l'extension de la concurrence, qu'il s'agisse de l'ouverture des marchés ou du développement de la concurrence « internationale ». Dans le cas de la SNCF, le développement des compagnies aériennes « low cost » exerce de plus en plus une pression régulatrice sur les prix de l'entreprise.

Evoquant « le psychodrame de la fixation des tarifs publics », M. Daniel Lebègue soulignait :

« Durant les dix années que j'ai passées à la BNP, la crise principale a porté sur une décision prise par l'entreprise de relever de quarante-six centimes d'euros le prix de la carte bancaire ! L'Etat a demandé au président de la BNP de l'époque, René Thomas, sa démission s'il ne revenait pas sur sa décision ! C'est dérisoire. Le débat ne porte pas, le plus souvent, sur le champ de la stratégie, du contrôle, mais touche des sujets qui, certes, peuvent avoir leur importance en termes d'opinion publique, je le conçois, mais relèvent à l'évidence de la gestion courante d'entreprise ».

Votre Rapporteur estime que ce contrôle, par nature étranger à la situation de l'entreprise et donc imprévisible et arbitraire, introduit dans la gestion un aléa incompatible avec les règles et les charges de la concurrence.

EDF peut par exemple faire valoir que la dégradation de sa situation financière est pour partie imputable à la faible augmentation de ses tarifs - dont l'impact négatif serait de l'ordre de 500 millions d'euros en 2002 - ou M. Martin Vial, ancien Président de la Poste faire observer que « si, en 2002, La Poste avait appliqué les tarifs pratiqués par La Poste allemande, son résultat net, en tenant compte de l'effet d'élasticité et fiscal, serait de 1 milliard d'euros ». 

Aussi le constat dressé par le rapport Nora, en 1967, demeure-t-il sur ce point d'une singulière actualité :

« Une conception du service public trop généralisée conduit à faire des entreprises publiques une enclave régie par des lois à part ; leurs tarifs, leurs salaires, leur crédit, leur capacité d'emploi deviennent des instruments directs au service de la puissance publique (...). Comment dès lors attendre d'elles un financement équilibré, et le comportement inventif, autonome et responsable qui en constitue la garantie ? ».

Et comment simplement persister à appeler « entreprises » des structures qui ne disposent pas d'une réelle maîtrise sur les principaux agrégats de leurs comptes d'exploitation ?

Cette situation s'avère d'autant plus préoccupante que, dans le même temps, l'Etat n'a pas les moyens qui lui permettraient d'exercer un contrôle averti et efficace sur les choix stratégiques majeurs des entreprises publiques.

B. UN CONTRÔLE INSUFFISANT SUR LES DÉCISIONS STRATÉGIQUES

1.- Des procédures inadaptées

· Les commissaires du gouvernement 

Les commissaires du gouvernement sont chargés d'assurer la tutelle technique et de veiller à la conformité de la politique générale de l'entreprise avec les orientations gouvernementales, ce qui, selon Mme Jeanne Seyvet 15, commissaire du gouvernement de France Télécom, s'entend de « la politique de régulation, d'ouverture à la concurrence et d'aménagement du territoire ».

Aucun texte général ne définit leur statut. Certaines entreprises publiques n'en sont pas dotées - c'est par exemple le cas de Charbonnages de France et de la RATP - ou en sont dotées mais sans que celui-ci ait « d'existence au plan réglementaire, ce qui n'empêche pas, pour autant, que cette fonction soit assurée », a expliqué, lors de son audition, Mme Michèle Rousseau, commissaire du gouvernement d'EDF.

Siégeant au conseil d'administration avec voix consultative, le commissaire du gouvernement peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes vérifications, demander l'inscription d'une question à l'ordre du jour d'une réunion du conseil et, dans certains cas, une seconde délibération.

Dans la pratique, « le commissaire du Gouvernement s'exprime peu, mais sur les questions lourdes », selon M. Louis Gallois qui ajoutait que « toutes les positions de l'Etat sont exprimées par le commissaire du Gouvernement au conseil d'administration », ou à tout le moins celles de l'Etat-puissance publique ou régulateur.

Si Mme Michèle Rousseau a affirmé, lors de son audition, qu'elle organisait « de façon systématique, quelques jours avant la réunion [du conseil] un petit déjeuner préparatoire rassemblant les administrateurs de l'Etat - ou leurs représentants », il demeure que la coordination entre les différents représentants de l'Etat au conseil n'est pas toujours assurée dans des conditions satisfaisantes, comme on l'a souligné précédemment.

En outre, dès lors que les entreprises opèrent dans un secteur concurrentiel et que la régulation de ces marchés est confiée à des instances indépendantes, il est permis de s'interroger, comme l'a fait Mme Jeanne Seyvet, sur le maintien de cette instance de contrôle :

« La nouvelle phase de la régulation liée à la transposition en droit interne des directives relatives aux télécommunications, me font penser qu'il n'y a plus vraiment lieu d'avoir un commissaire du gouvernement auprès de France Télécom. Toutes les étapes historiques ont été franchies et désormais, sa présence ne se justifie pas plus auprès de France Télécom qu'auprès de n'importe quel autre opérateur.

Ainsi, aurais-je tendance à considérer que le rôle du commissaire du gouvernement est achevé, ce qui n'implique évidemment pas, pour autant, la disparition des administrateurs représentant l'Etat au conseil, ou l'absence de chef de file, rôle déjà dévolu à l'administration du Trésor ».

· Le contrôle d'Etat 

A l'origine, les entreprises publiques étaient un prolongement des administrations. De même que ces administrations étaient dotées d'un contrôleur financier, les entreprises publiques disposaient d'un contrôleur d'Etat, chargé de contrôler les comptes et d'approuver certaines dépenses, notamment en matière d'investissements. Leur mission s'est progressivement diversifiée.

Elle est aujourd'hui fixée par le décret n° 55-733 du 29 mai 1955, modifié en dernier lieu par le décret n° 2002-1502 du 26 décembre 2002. Cette mission consiste essentiellement à informer l'Etat actionnaire de la situation économique et financière des entreprises publiques, afin de contribuer à l'évaluation de leurs performances et à la prévention des risques auxquels elles sont exposées.

Placés sous l'autorité du ministre de l'économie, les contrôleurs d'Etat sont présents, de droit, dans les entreprises de premier rang, soit les EPIC et les sociétés dans lesquelles l'Etat détient plus de 50 % du capital, mais également dans les groupements et organismes professionnels autorisés à percevoir des taxes, redevances ou cotisations de caractère obligatoire.

Pour exercer sa mission, le contrôleur d'Etat assiste avec voix consultative au conseil d'administration et dispose d'un très large pouvoir d'investigation, d'autant plus que, dans 60 % des cas, il est  physiquement installé au siège de l'entreprise. M. Louis Gallois a d'ailleurs confirmé que les contrôleurs d'Etat avaient « accès à tous les documents qu'ils demandent, ils convoquent les dirigeants de l'entreprise à tout moment et là où ils le souhaitent [et] se rendent dans les installations qu'ils désirent examiner », et que la direction de la SNCF entretenait avec eux « une relation quotidienne »

A l'évidence, le contrôleur d'Etat constitue un élément important pour réduire l'asymétrie d'information classique entre le management de l'entreprise et ses actionnaires. C'est particulièrement vrai pour les filiales qui peuvent être soumises à son champ de compétence - c'est notamment le cas d'EDF International - ce qui présente un réel intérêt dans la mesure où l'Etat n'est pas, le plus souvent, représenté au sein de leurs organes sociaux.

S'agissant de France Télécom, Mme Seyvet jugeait ainsi que « le contrôleur d'Etat avait accès à des informations extrêmement utiles sur l'évolution des filiales, ce qui, pour certaines d'entre elles, était particulièrement instructif du point de vue de la fragilité et des risques potentiels du groupe ».

Cette procédure est cependant trop éloignée de la chaîne de décision, affaiblissant de fait l'efficacité du contrôle, non pas, comme le précisait M. Barbier de La Serre « que les contrôleurs d'Etat ne fassent pas leur travail, mais parce que celui-ci débouche sur des notes qui alimentent des dossiers, dossiers qui n'arrivent jamais entre les mains des décideurs ».

Dans certains cas, les contrôleurs d'Etat ont conservé le visa préalable concernant notamment les décisions relatives aux achats, aux prises ou cessions de participations financières16 ou encore à la politique salariale de ces entreprises. A titre d'exemple, M. Marc Tessier, président de France Télévisions a rappelé que « tous les contrats supérieurs à 2 milliards d'euros doivent être soumis préalablement pour information au contrôle d'Etat », de même que « tous les salaires supérieurs à 70 000 euros », ce qui ne va pas, là encore, sans alourdir significativement la gestion.

· L'approbation des prises de participations financières

En application de l'article 2 du décret du 9 août 1953 précité, « toute cession, prise ou extension de participation financière » réalisée par les entreprises publiques de premier rang doit en principe être approuvée par un arrêté conjoint du ministre des finances et du ministre intéressé, qui en précise le montant en valeur absolue et en pourcentage. Certains EPIC, comme La Poste, bénéficient par ailleurs d'un régime réglementaire dérogatoire qui consiste, le plus souvent, en un système d'approbation implicite en cas de silence gardé par les ministres concernés.

Outre le fait qu'elle constitue manifestement une contrainte très lourde pour les entreprises publiques, mais également pour les autorités de tutelle - du fait notamment de l'absence de seuil minimal à partir duquel l'approbation ministérielle est requise -, cet instrument de contrôle semble en définitive d'une efficacité toute relative, et ce pour au moins trois raisons.

Les entreprises de premier rang cotées, comme Air France et France Télécom, ont tout d'abord été exclues de ce régime, la première au moment de sa transformation en société anonyme, la seconde au moment de sa cotation. De ce fait, lorsque les entreprises publiques ont entrepris leur développement international, lequel, selon M. Jean-Pierre Jouyet, « dans au moins deux cas, est à l'origine de difficultés majeures, les pouvoirs publics se sont trouvés privés, s'agissant de France Télécom, des moyens d'instructions préalables dont ils disposaient en vertu du décret de 1953 ».

De plus, le changement d'échelle de leur croissance externe a conduit à vider de sa substance ce contrôle. Leurs filiales sont en effet exclues de son champ d'application, sauf lorsqu'un texte particulier le prévoit - en principe un arrêté ministériel-, mais il semble qu'il n'ait été fait jusqu'à présent qu'un usage pour le moins parcimonieux de cette possibilité.

En raison tant de la lourdeur de la procédure de l'arrêté ministériel que du rôle croissant des filiales, ce cadre réglementaire s'est doublé d'une cadre contractuel, en principe plus adapté à la situation de chaque entreprise. Des conventions ont ainsi été passées entre l'Etat et certaines entreprises publiques, comme la RATP, la Poste 17 et EDF, afin de préciser les modalités d'information des autorités de tutelle. Toutefois, l'exemple du protocole d'accord conclu entre l'Etat et EDF le 17 décembre 1997 afin de contrôler ses investissements internationaux témoigne des difficultés à mettre en œuvre un dispositif de contrôle efficace.


L'exemple du contrôle des investissements
d'EDF- International (EDFI) entre 1998 et 2001

En application du protocole d'accord conclu entre l'Etat et EDF le 17 décembre 1997 et de l'arrêté du 28 juin 1998, le dispositif de contrôle, pour les projets d'investissements d'EDF international de plus de 38 millions d'euros (250 millions de francs) comprenait, entre juin 1998 et juillet 2001, l'ensemble des étapes suivantes :

- saisine « le plus en amont possible de la réunion du conseil d'administration » et « précédant tout acte juridique susceptible d'avoir une incidence sur les fonds propres du holding, son endettement ou ses engagements hors bilan » de la direction du Trésor et de la Direction du gaz, de l'électricité et du charbon, afin d'obtenir un accord préliminaire (article 3.2 du règlement intérieur du conseil d'EDFI) ;

- délibération du conseil d'administration d'EDFI ;

- publication de l'arrêté autorisant EDFI à réaliser l'opération ;

- délibération du conseil d'administration d'EDF pour réaliser des avances d'actionnaires à EDF International, puis pour les consolider en capital ;

- publication de l'arrêté autorisant EDFI à faire cet apport en capital.

La Cour des Comptes relevait dans son rapport particulier précité, que « les modalités du contrôle exercé par l'Etat à l'égard des décisions de prises de participation dans des sociétés étrangères sont complexes, nombreuses et largement redondantes. ».

Dans le même temps, de nombreux projets d'investissements ont pourtant échappé à tout contrôle préalable : les investissements portés par des filiales, d'une part, mais également des projets non pris en compte parce que le seuil précédemment mentionné ne portait que sur les fonds propres investis, et non sur la « valeur d'entreprise », soit la somme du montant investi par le groupe et le montant de la dette éventuellement intégrée dans les comptes consolidés.

Le protocole d'accord signé entre l'Etat et le groupe EDF, en vigueur depuis le 27 juillet 2001 a permis de remédier à l'essentiel de ces dysfonctionnements.

Surtout, l'excessive lourdeur de ces contrôles s'est avérée en définitive contre-productive, puisque comme l'a souligné François Ailleret, ancien Président d'EDFI, si « la dimension du contrôle est essentielle, (...) elle est aujourd'hui assurée d'une façon large et lourde. Car il est plutôt usant de redire toujours la même chose à l'occasion de contrôles différents. C'est usant pour les responsables, et c'est également un peu déresponsabilisant, probablement pour ceux qui exercent le contrôle et qui se disent que, s'ils ont laissé passer quelque chose, d'autres y veilleront. D'après moi, mais c'est une opinion personnelle, c'est déresponsabilisant pour l'entreprise qui se dit que, si elle lance le bouchon un peu loin, on pourra toujours la faire revenir en arrière ».

Contrôleur introuvable, l'Etat, parce qu'il embrasse trop, étreint souvent mal. « Ce luxe de précautions » et ces contrôles parfois « inutiles, à force d'être empilés » conduisent en réalité, comme l'a souligné devant votre commission M. Francis Mer 18 « à ne pas (...) contrôler » les entreprises publiques.

On ne saurait en effet en conclure autrement qu'en constatant, comme l'a fait M. Elie Cohen, qu'« aussi bien le Crédit Lyonnais que France Télécom étaient soumis au contrôle d'Etat, à la tutelle du Trésor, au contrôle de la Cour des comptes, soit une série de contrôles externes, qui, en l'occurrence, n'ont pas fonctionné ».

2.- Des moyens inadéquats

Parallèlement, comme le soulignait M. Elie Cohen, « l'Etat actionnaire n'a guère pu s'autonomiser. A ce jour, nous n'avons toujours pas d'organisation de l'Etat actionnaire ».

Cela conduit a examiner les faiblesses de l'administration chargée de défendre les intérêts de l'Etat actionnaire : le service des participations de la direction du Trésor.

Comme l'indiquait devant votre commission M. Elie Cohen, « il y a un vrai fossé de compétences et d'expertise qui s'est installé entre l'Etat et l'entreprise ». Il ne s'agit pas de mettre en doute la qualité du travail fourni par le service des participations de l'Etat, mais de constater que son recrutement et son autorité ne lui permettent pas de garantir au mieux le respect des intérêts patrimoniaux de l'Etat.

Tout d'abord, ses effectifs paraissent sous-dimensionnés par rapport aux multiples contrôles qui sont aujourd'hui de règle. Selon la description de M. Jean-Pierre Jouyet, « trente-cinq personnes - quarante-cinq personnes aujourd'hui -, dont une vingtaine de cadres qui suivent plus de soixante-dix entreprises de 1er rang ou d'établissements publics dans les secteurs les plus variés ». Ces fonctionnaires sont répartis en 5 bureaux chargés de secteurs spécifiques, dont un bureau transversal de conseil et de synthèse, où les effectifs varient de 5 à 11 personnes.

Ainsi, à titre d'exemple, le bureau D2 chargé de l'énergie, des télécommunications et des matières premières (soit rien moins que les Charbonnages de France, le CEA, Areva, la Cogéma, EDF, l'ERAP, France Télécom et GDF) est composé de 7 fonctionnaires à plein temps. En conséquence, hors bureau de synthèse, les postes équivalents temps plein consacrés à des entreprises publiques sont extrêmement faibles : une personne suit en permanence France Télécom ou EDF, tandis que l'équivalent temps plein consacré par exemple à La Poste est de 0,6, à la RATP ou à Thalès de 0,3, ou à Charbonnages de France de 0,1. Comme l'expliquait M. Jean-Pierre Jouyet : « France Télécom et EDF ont été suivies pendant une longue période dans une même unité. France Télécom était suivie par le chef de service, Nicolas Jachiet, qui était également administrateur au conseil d'administration, par le chef de bureau et son adjoint - en général un ingénieur ou un administrateur civil assez jeune, qui reste en fonction environ deux ans - étant entendu que la permanence du chef de service est beaucoup plus importante ».

Outre le suivi de plus de 70 entreprises de premier rang le service assure, avec ses effectifs, la présence de l'Etat à plus de 61 conseils d'administration, soit plus de 300 réunions par an, en incluant les réunions des comités d'audit ou d'autres comités spécialisés. En outre, il a pour mission d'assurer la formation de l'ensemble des représentants de l'Etat dans les conseils d'administration des entreprises publiques. Enfin, il lui appartient d'assurer la préparation et la mise en œuvre des opérations stratégiques sur le capital des entreprises publiques, et de gérer en conséquence le compte d'affectation spécial n° 902-24 relatif au produit des cessions des participations de l'Etat.

Il est vrai que pour faire face à l'ampleur de la tâche, le service fait l'objet d'une « organisation relativement souple, peu hiérarchisée, très responsable et réactive » selon les termes du directeur du Trésor, travaillant par projets sous la responsabilité d'un chef de file. En outre, il recourt à l'expertise de banques conseil, « dont le choix se fait selon un processus interne formalisé de mise en concurrence, de consultations et d'auditions, par un comité de sélection présidé par M. Deguen, composé de trois personnalités indépendantes, le président, un conseiller d'Etat et un conseiller maître à la Cour des comptes ».

Si votre Rapporteur prend acte des progrès accomplis pour doter l'Etat d'une structure souple et réactive, appuyée sur une expertise de qualité et un degré de mobilisation sans faille, il reste qu'à la disproportion de ses moyens et la multiplicité des tâches s'ajoutent des handicaps structurels patents, que M. René Barbier de La Serre a résumé en soulignant « ce service est composé de personnes qui ne restent pas plus de deux ans, qui n'ont pas l'expérience d'entreprise et qui interviennent en coup de feu ».

A titre d'exemple, trois personnes différentes ont suivi France Télécom depuis 1998. Ainsi, le responsable du contrôle de l'opérateur de télécommunications n'était pas le même entre 1999 et 2000, au moment même où la stratégie du groupe opérait un saut qualitatif majeur. Ce manque de stabilité des personnels entraîne immanquablement une insuffisance du contrôle et génère fatalement un déséquilibre entre l'entreprise et l'administration.

De même, l'inexpérience et la jeunesse des membres du service induisent deux types d'effets pervers. D'une part, elles limitent la capacité de l'Etat à concevoir et imposer une politique patrimoniale qui lui est propre, ce qui est particulièrement dangereux dans les périodes d'euphorie boursière. En effet, comme l'indiquait M. René Barbier de La Serre, « l'environnement financier ne doit pas empêcher l'actionnaire majoritaire de mener une réflexion approfondie sur l'ensemble des risques et parfois agir à contre-courant. Mais seules des personnes qui ont vécu des crises peuvent raisonner et agir de cette façon. Des personnes d'une trentaine d'années, qui n'ont jamais affronté de crise financière, n'ont pas le même réflexe que celles qui ont subi, par exemple, un choc pétrolier ». Mais, d'autre part, le service des participations souffre d'un manque évident d'autorité vis-à-vis des dirigeants d'entreprise publique.

Ce manque d'autorité est sans doute l'essentiel. Il ne saurait être compensé par une simple augmentation des effectifs. Comme le remarquait M. Elie Cohen, « Vous avez beau faire, l'entreprise, le management interne, la direction interne de l'entreprise en saura toujours infiniment plus que le contrôleur le plus avisé, le plus subtil et le plus entreprenant sur l'état interne de l'entreprise. On est donc confronté à un phénomène irréductible qui réside dans l'asymétrie de l'information ».

Ce constat est d'autant plus vrai que le changement de nature de l'activité des entreprises publiques, en particulier l'insertion dans un univers concurrentiel et mondialisé, complexifie à l'extrême les modalités de leurs actions. Des opérations comme l'acquisition d'Orange ou la prise de participation dans Montedison requièrent en effet la coopération intensive de plusieurs banques d'affaires, mobilisant des effectifs importants, et recourant à des montages financiers particulièrement subtils, dont l'usage immodéré des options à terme donne une illustration éclairante. Il serait irréaliste de penser que l'Etat puisse disposer d'une expertise alternative comparable, d'autant que les délais de réalisation des affaires sont extrêmement courts. En outre, votre Rapporteur estime que cela ne serait pas opportun, rejoignant les propos de M. Edmond Alphandéry :

« La direction du Trésor a-t-elle besoin d'effectifs plus importants ? Ma réponse est non. Je ne crois pas qu'il faille davantage de contrôles. En volume et en quantité, il y en a bien suffisamment, probablement trop. Ce n'est pas de plus de contrôles quantitatifs dont une entreprise publique a besoin ; c'est de plus de clarté, d'une nouvelle gouvernance, c'est-à-dire de nouvelles relations entre l'Etat et les entreprises publiques. Si vous avez mille personnes supplémentaires pour contrôler, vous serez noyés sous l'information ; cela n'ajoutera rien à la qualité du contrôle ».

Il s'agit avant tout d'adapter les moyens de contrôle de l'Etat et de garantir la cohérence de sa politique patrimoniale par une définition claire des missions assignées, et parallèlement de lui donner l'autorité dont doit disposer tout actionnaire majoritaire.

Or, une des sources de la faiblesse de l'Etat actionnaire tient, comme l'a expliqué M. René Barbier de La Serre, à ce que les représentants du service des participations du Trésor « n'ont pas la possibilité de discuter d'égal à égal avec les responsables de la SNCF ou d'EDF », ces derniers bénéficiant de l'onction d'une nomination en Conseil des ministres. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'apparaissent des phénomènes de contournement, les présidents d'entreprise publique estimant que leur « légitimité » personnelle et l'agrément du ministre, quelle que soit la manière dont il est signifié, valent approbation de l'actionnaire majoritaire.

Si l'autorité nécessaire à l'approbation des grandes décisions stratégiques appartient sans nul doute au ministre et à lui seul, le respect des intérêts patrimoniaux de l'Etat exige que cet agrément soit toujours précédé d'un examen aussi rigoureux que possible des propositions et soit signifié dans des conditions de procédure irréprochables.

QUATRIÈME PARTIE : DONNER AUX ENTREPRISES PUBLIQUES LES MOYENS DE LEUR MODERNISATION

Les entreprises publiques font partie du paysage français depuis plus d'un demi siècle. Compte tenu du cadre économique dans lequel elles évoluent aujourd'hui, il est nécessaire, dans un souci d'efficacité, de rapprocher le plus possible leur gestion de celle des autres entreprises.

Les réflexions et propositions de la commission ne visent pas à les affaiblir mais tout au contraire à accroître leur compétitivité, améliorer leurs performances et donc à assurer leur pérennité. Pour cela, il faut leur donner les moyens d'une plus large autonomie qui doit s'accompagner d'une plus grande responsabilisation. Ces défis impliquent l'alignement progressif de leur statut vers celui des sociétés anonymes, une refonte de leur organisation interne et une redéfinition de leurs relations avec l'Etat.

En tout état de cause, les propositions doivent être adaptées à la situation de chaque entreprise qui dépend essentiellement de sa plus ou moins grande ouverture à la concurrence.

I.- RESPONSABILISER LES ENTREPRISES PUBLIQUES

A.- DES PRÉSIDENTS LÉGITIMÉS

La responsabilité des performances de l'entreprise revient d'abord à celui qui prend quotidiennement en charge son destin, le chef d'entreprise. Cette responsabilité implique une double exigence. Tout d'abord, il faut qu'il dispose d'une autorité incontestable, qui seule lui donne les moyens de mener une politique sur laquelle il puisse être jugé. Ensuite, il est indispensable que, fort de cette légitimité, il rende des comptes sur sa gestion.

1.- Une autorité incontestable

Les modalités de nomination des présidents d'entreprises publiques ne leur donnent pas toujours la légitimité qui leur est nécessaire.

Ils sont bien souvent désignés dans l'urgence, au gré des alternances politiques, sans réelle prise en compte de l'adéquation entre leur expérience et la culture propre de l'entreprise. Tout cela peut nuire à leur autorité auprès des cadres de celle-ci et conduire à l'apparition de véritables baronnies qui diluent la responsabilité interne. Dans ces conditions, les personnels peinent à s'identifier et à souscrire au projet d'un dirigeant dont ils ne savent ni comment ni pourquoi il est à leur tête.

Comme le résumait M. Elie Cohen, « on ne peut accepter qu'un PDG soit recruté par un coup de fil, sur un quai de gare, à la veille d'un conseil d'administration et lui confier l'entreprise la plus importante du pays, par ses capitaux, par les technologies qu'elle mobilise, par le rôle qu'elle joue dans l'économie française et par les effectifs qu'elle emploie ».

Cette procédure peut induire d'autres dévoiements : forts d'une nomination en conseil des ministres et de leur « consanguinité » avec les responsables de la haute administration, certains présidents ont pu avoir le sentiment qu'ils pouvaient faire abstraction des règles qui prévalent dans toute entreprise pour la prise de décisions.

Il est donc apparu essentiel à votre commission de revoir ces modalités. Précisons tout d'abord qu'il lui semble logique et nécessaire de conserver au Gouvernement son pouvoir de désignation.

Mais des critères de compétences précis doivent être définis. L'un d'entre eux est sans doute la connaissance approfondie de l'entreprise concernée, du secteur dont elle relève ou du management qu'elle nécessite. A cet égard, votre commission estime nécessaire que la promotion de dirigeants issus de l'entreprise soit résolument engagée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Comme le rappelait M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, « faire comme dans toutes les autres collectivités privées, repérer les cadres de 30 ans, 35 ans, 40 ans, 45 ans qui peuvent être les dirigeants de demain, cela le secteur public aujourd'hui le fait beaucoup moins bien que d'autres ».

Les conditions de nomination des dirigeants doivent autant que possible être assorties des garanties minimales d'objectivité et de transparence. Il serait souhaitable que l'Agence des participations soit associée aux tâches de repérage et de sélection des dirigeants en donnant un avis au ministre sur l'expérience et les compétences que requiert la fonction.

En outre, pour les plus grandes entreprises publiques, dont l'assise financière repose in fine sur les contributions publiques, et qui jouent un rôle fondamental dans la vie économique et sociale de la nation, votre commission propose que le dirigeant soit auditionné, dès sa prise de fonction, par les commissions compétentes du Parlement.

2.- Un meilleur suivi de leur action

Votre commission estime indispensable que l'Agence des participations assure un suivi régulier des performances des présidents d'entreprises publiques, en confrontant leurs résultats aux objectifs stratégiques qui auront été définis lors de leur nomination.

En outre, afin qu'ils soient parfaitement informés des attentes de la puissance publique à leur égard, et de l'opinion qu'elle a sur leur gestion, il serait opportun de mettre en place des entretiens réguliers portant notamment sur le bilan et les perspectives du groupe. Ils pourraient prendre la forme, d'une part, d'une rencontre formalisée avec le ministre des finances et le ministre technique compétent, et d'autre part d'auditions par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, sur la base du « cadre de mission », défini plus bas.

Bien évidemment, ces auditions devront respecter le secret des affaires. Ce respect est la contrepartie de l'obligation de transparence qui s'impose aux dirigeants.

Une responsabilité renforcée rendrait ainsi plus légitime un rapprochement des rémunérations des présidents d'entreprises publiques avec les rémunérations privées. L'écart aujourd'hui constaté réduit le champ des personnalités intéressées à la prise en charge de responsabilités qui, pour constituer un immense honneur et une tâche exaltante, sont aussi extrêmement exigeantes. Cependant, il conviendrait de tenir compte de la situation antérieure du dirigeant, les garanties de sécurité de l'emploi dont bénéficient les fonctionnaires devant être prises en compte dans la détermination de leur traitement.

B.- DE VÉRITABLES CONTRE-POUVOIRS AU SEIN DES ENTREPRISES

1.- Des conseils d'administration renforcés

Parce que « l'entreprise, même si elle est publique, est d'abord une entreprise », comme l'a rappelé devant la commission le ministre des finances, il est nécessaire que son contrôle, au sens anglo-saxon de « maîtrise », retrouve désormais la voie naturelle de son conseil d'administration, dont les pouvoirs doivent être significativement accrus.

Au préalable, votre Rapporteur a noté avec intérêt la proposition, avancée par plusieurs personnes auditionnées, visant à substituer à la formule traditionnelle du conseil d'administration la structure dualiste des sociétés à conseil de surveillance et directoire19. Ses avantages ont été très clairement exposés par M. Daniel Lebègue, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

« Je suis un adepte de la direction collégiale. L'idée du führer prinzip, du chef qui sait ce qui est bon et ce qui est mauvais, est une idée à laquelle je ne crois pas dans des organisations vastes et complexes comme les entreprises dont nous parlons aujourd'hui. L'avantage de la formule du conseil de surveillance tient dans le directoire, c'est-à-dire la gestion collégiale de la fonction de direction.

Par ailleurs, dans la société à conseil de surveillance, l'accent est porté sur la fonction de contrôle et de surveillance. Dans la seconde formule, le conseil d'administration a son rôle à jouer dans l'orientation stratégique d'une entreprise, dans le conseil - comme son nom l'indique. Mais pour l'entreprise, l'essentiel réside plutôt dans la fonction de contrôle ».

Cette structure n'a toutefois pas que des avantages. La lourdeur de la collégialité, voire un manque de cohésion du directoire et plus encore une dyarchie au sein des organes sociaux, constituent des risques évidents.

Votre Rapporteur estime qu'il n'existe pas dans ce domaine une bonne ou une mauvaise formule. Mais il recommande qu'à chaque étape importante de la vie de l'entreprise la question de la forme de ses organes de gestion et de contrôle soit posée et qu'elle soit largement débattue non seulement au sein de l'Etat mais également avec les différents actionnaires.

Dans le cas d'EDF, on ne peut que constater que l'organisation de sa direction a été très instable dans la période récente. Cette situation, si elle devait perdurer, nuirait gravement à l'entreprise compte tenu des échéances tant nationales qu'internationales.

Si M. François Roussely a émis des réserves sur la structure conseil de surveillance/directoire, certains membres de la commission estiment que, dans ce cas précis, elle ne peut être totalement écartée arguant du fait qu'elle serait à même de rendre plus équilibré le management de l'entreprise.

Pour lui assurer une certaine stabilité, ils souhaiteraient à tout le moins, dans l'immédiat, que soit désigné un directeur général aux compétences reconnues dans cette filière.

Quant aux conseils d'administration, leur composition, leurs missions, leurs règles de fonctionnement doivent en toute hypothèse être réexaminées.

a) Des conseils plus restreints

Afin de renforcer l'efficacité des délibérations des conseils et créer ces « communautés de vue physiques permettant de créer un esprit d'appartenance» que M. Francis Mer a appelées de ses vœux, il apparaît tout d'abord nécessaire de modifier leur composition, telle qu'elle est définie par la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

Au minimum, votre Rapporteur préconise de ramener à un effectif maximum de 15 le nombre des administrateurs, en conservant au moins dans un premier temps le principe de la représentation des trois collèges issu de la loi de 1983.

A terme, il serait souhaitable d'envisager un rapprochement avec le droit commun des sociétés commerciales. Dans cette hypothèse, la composition des conseils serait fixée par leurs statuts, arrêtés par l'assemblée générale.

En application de l'article L. 225-27 du code de commerce, leurs statuts pourraient prévoir la présence d'administrateurs représentant les salariés, dont le nombre, au maximum de 4 ou 5 dans les entreprises cotées, serait en tout état de cause inférieur à ce qu'il est aujourd'hui. Pour beaucoup de personnalités qui se sont exprimées devant la commission, cet organe ne paraît pas en effet le plus adapté pour instaurer un dialogue avec les salariés.

M. Dominique Strauss-Kahn 20 déclarait ainsi :

« Autant je pense qu'il est nécessaire, pas simplement dans les entreprises publiques, que les salariés soient le plus largement possible associés aux décisions qui évidemment les concernent, autant il ne me paraît pas évident que ce soit au travers du conseil d'administration qu'il faille le faire ».

Il poursuivait :

« On s'aperçoit me semble-t-il, à l'usage, que [la loi] place les administrateurs salariés dans une situation assez délicate et je me souviens des conversations que j'ai pu avoir avec certains d'entre eux, dont il ressortait qu'eux-mêmes ne sont pas toujours finalement très demandeurs de cette situation ».

b) Des administrateurs plus responsables

L'amélioration du fonctionnement des conseils appelle par ailleurs le renforcement de la professionnalisation et de la responsabilité des administrateurs.

Votre Rapporteur rejoint sur ce point la proposition formulée par M. René Barbier de La Serre visant à uniformiser leur statut, afin qu'ils soient tous réellement soumis aux mêmes droits et obligations, notamment en matière de confidentialité, ce qui nécessiterait de revenir sur le principe de l'atténuation de la responsabilité civile des représentants des salariés posé par l'article 22 de la loi du 26 juillet 1983.

Peut-être serait-il souhaitable de prévoir un engagement signé de chacun des administrateurs, au début de leur mandat, de respecter strictement cette règle.

En contrepartie, il apparaît nécessaire de prévoir leur rémunération, à l'exception des représentants de l'Etat, afin notamment d'accroître leur indépendance.

S'agissant des personnalités qualifiées, votre Rapporteur préconise que l'Agence des participations établisse une liste en fonction des caractéristiques propres à chaque entreprise, en s'adjoignant en tant que de besoin les compétences de cabinets de recrutements. Dans le prolongement des recommandations du rapport Bouton, il lui appartiendra par ailleurs de promouvoir la présence au sein des conseils, et en particulier dans les comités d'audit, d'administrateurs indépendants, c'est-à-dire qui n'entretiennent « aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction qui puisse compromettre l'exercice de sa liberté de jugement ».

c) Des missions plus précises

Pour que les conseils puissent exercer pleinement leurs missions, encore faut-il que celles-ci soient précisément définies.

C'est pourquoi votre Rapporteur juge capital que l'ensemble des conseils d'administration et des conseils de surveillance des entreprises publiques soient dotés d'un règlement intérieur détaillé.

Celui-ci préciserait notamment :

- l'ensemble des décisions relatives aux investissements, aux prises de participation ou aux emprunts, qui, dès lors qu'elles dépassent un montant défini par le conseil, doivent obligatoirement être soumises à son approbation préalable ;

- le principe selon lequel toute opération significative se situant hors de la stratégie annoncée de l'entreprise devra faire l'objet d'une approbation préalable du conseil d'administration ;

- les délais minima de transmission des dossiers aux administrateurs et d'examen des comptes de l'entreprise par le comité d'audit préalablement aux réunions du conseil ;

- les modalités d'exercice du droit d'information des administrateurs ainsi que les obligations de confidentialité qui lui sont attachées ;

- la définition des missions et des moyens des comités spécialisés.

2.- Des comités spécialisés aux compétences élargies

a) Le comité d'audit et de gestion des risques

Le comité d'audit, dont on a souligné le rôle central dans le contrôle de la direction, doit être en mesure d'exercer pleinement ses missions. A cet effet, il convient d'élargir ses compétences à la gestion des risques de l'entreprise afin qu'il puisse examiner de manière approfondie les engagements hors bilan significatifs et participer à l'élaboration d'une cartographie des risques.

Lors de son audition, M. Jean-Michel Charpin a par ailleurs mentionné le fait que « le comité d'audit n'a pas de pouvoir propre, ce qui peut nous différencier de ce qui se passe dans un certain nombre de pays étrangers. ». Votre Rapporteur propose donc de prévoir expressément, dans le règlement intérieur ou par une délibération du conseil, la possibilité pour le comité d'audit de recourir de manière autonome à une expertise extérieure, par exemple à un cabinet de conseil, afin que ses membres soient en mesure de se forger leur propre conviction, sans dépendre exclusivement des informations et des analyses communiquées par la direction. Sans qu'il soit nécessaire de doter le comité d'un budget propre, on peut envisager d'étendre aux autres entreprises le dispositif en vigueur à France Télévisions, qui consiste pour le conseil d'administration à « enjoindre au Président de donner suite aux demandes du comité d'audit », comme l'indiquait M. Marc Tessier.

b) Le comité de stratégie et des acquisitions

Comme on l'a vu, les conseils d'administration ont été largement écartés du processus de prise de décision en matière de croissance externe, au motif que l'urgence et la confidentialité requises pour ces opérations étaient difficilement compatibles avec la réunion en formation plénière du conseil d'administration.

Pour remédier à ces inconvénients et permettre au conseil d'exercer un réel contrôle en la matière, votre Rapporteur propose de généraliser les comités de stratégie, dont les compétences seraient élargies à l'instruction des projets d'acquisitions présentés par la direction, comme l'avait proposé, lors de son audition, M. Jean-Pierre Jouyet :

« Il faudrait suivre les procédures utilisées dans d'autres secteurs, y compris dans le privé. Les projets doivent être soumis aux actionnaires sur des bases très confidentielles, dans le cadre de comités spécialisés, qu'il s'agisse de comités d'audit ou de comités stratégiques. (...) Il faut procéder à des instructions dans des comités spécialisés, quitte à ce que la décision finale soit prise par le conseil d'administration et que chacun puisse s'exprimer sur le projet ».

On soulignera en effet que la décision finale continuera de relever de la seule responsabilité du conseil, lequel se prononcera après qu'un compte rendu détaillé des travaux du comité lui aura été présenté.

3.- Une évaluation régulière

Renforcer les compétences du conseil d'administration, c'est enfin procéder à une évaluation régulière de son fonctionnement et de sa méthode de travail.

Pour cela, votre rapporteur propose d'instituer des « comités de gouvernement d'entreprise », dont sont dotées près de 60 % des entreprises américaines cotées selon le rapport Korn-Ferry International 21. Ces comités sont encore peu fréquents en France. Mais, votre Rapporteur en a la conviction, ils ont vocation à se développer à l'avenir et il n'y aucune raison pour que le secteur public soit en retrait par rapport aux entreprises privées. Il y a là au contraire pour lui l'opportunité de montrer la voie dans un domaine stratégique.

Ces comités seraient notamment chargés de :

- participer à la définition des pratiques de gouvernement d'entreprise ;

- instruire pour le conseil les propositions de délibérations en vue de l'adoption d'un règlement intérieur et de ses modifications ultérieures ;

- faire le point sur les modalités de fonctionnement du conseil, vérifier que les questions importantes sont convenablement préparées et débattues, mesurer la contribution effective de chaque administrateur au vu de sa compétence et de son assiduité, surveiller le respect des recommandations en la matière, par exemple les délais de transmission des dossiers aux administrateurs, et attirer l'attention de la direction sur les difficultés éventuellement rencontrées.

En outre, le conseil d'administration pourrait consacrer annuellement un point de son ordre du jour à un débat sur son fonctionnement, par exemple dans le cadre du rapport que le président devra présenter à l'assemblée générale sur les « méthodes appliquées pour organiser les travaux du conseil d'administration et des procédures de contrôle interne », comme le prévoit l'article 76 du projet de loi relatif à la sécurité financière.

C.- UNE GESTION PLUS CLAIRE

1.- Un nouveau statut

Simplifier la gestion des entreprises publiques, c'est d'abord les doter d'un statut qui leur permette de s'adapter pleinement à leur environnement concurrentiel.

Or, le statut d'EPIC, dont la terminologie même « fleure bon les années 50 » selon les termes de M. Dominique Strauss-Kahn, bride aujourd'hui leur développement en limitant la diversification de leurs activités, mais également en les privant de la possibilité de lever des fonds propres sur le marché ou de procéder à des échanges de titres pour financer leurs acquisitions.

M. François Roussely a ainsi estimé, lors de son audition :

« Nous sommes arrivés au bout de ce que nous savons faire dans un établissement public, moins par la forme juridique, que par le signal qu'il donne, par le fait qu'il offre moins de souplesse que d'autres formes d'organisation et parce que, structurellement, il ne nous aide pas à résoudre nos problèmes de fonds propres ».

Aussi votre Rapporteur propose-t-il de doter du statut de société anonyme toutes les entreprises opérant dans le champ concurrentiel, ce qui contribuera incontestablement, comme l'indiquait M. Daniel Lebègue, à « moderniser la gestion, à lui donner de la transparence, à la collégialiser, à mieux la contrôler ».

2.- Une simplification du management

a) Des décisions plus transparentes

Afin d'introduire davantage d'efficacité dans le processus de prise de décision des entreprises publiques, votre rapporteur propose de distinguer clairement les trois niveaux suivants :

- les décisions qui relèveraient de la seule responsabilité du président ;

- les décisions, qui, au-delà d'un montant fixé par le conseil d'administration, seraient soumises à l'approbation préalable de celui-ci ;

- les décisions, dont la liste serait définie par l'Agence des participations de l'Etat, qui, en raison de leur nature ou de leur montant, relèveraient d'une approbation préalable de l'Etat, avant leur examen par le conseil d'administration.

b) Des instruments d'analyse plus performants

Votre commission a constaté que les instruments d'analyse sont trop souvent défaillants dans les entreprises publiques.

Il leur appartient d'abord de se doter dans les plus brefs délais des outils les plus élémentaires de gestion que sont notamment une comptabilité analytique et des règles d'audit adaptées à l'échelle du groupe (avec une plus étroite association du comité d'audit à la définition du programme d'audit). Il conviendrait à cet égard que l'Agence des participations exerce un contrôle rigoureux de la qualité des instruments de management et dresse un bilan de leur évolution dans le rapport annuel qui serait soumis au Parlement.

En second lieu, il revient à l'Agence des participations de définir avec précision la nature et la qualité des informations (le reporting) que chaque entreprise publique devra lui fournir de manière régulière. Ce reporting constituera le moyen pour l'Etat d'accélérer la modernisation des outils de gestion des entreprises publiques. Ainsi, devront figurer parmi ces informations obligatoires des éléments précis et évolutifs de comparaison des performances avec les entreprises concurrentes, votre Rapporteur ayant constaté avec surprise que ce benchmarking est aujourd'hui à l'état embryonnaire, même dans le cas d'entreprises insérées dans une concurrence dynamique et croissante. Surtout, il est essentiel que les entreprises publiques recouvrent une réelle capacité de maîtrise et de traitement des risques en mettant au point un état consolidé du risque.

M. Jean-Michel Charpin a rappelé à votre commission l'ampleur de ce défi :

« Analyser les risques est compliqué. On n'a pas analysé les risques quand on a additionné tous les hors bilans possibles et imaginables et que l'on a mis la somme totale dans une annexe des documents comptables. Ce n'est pas ainsi que l'on fait de l'analyse de risques.

L'analyse de risques suppose certaines techniques consistant à bâtir des scénarios dans des configurations diverses et à voir comment les différents acteurs vont se comporter dans chaque situation. Tous les risques ne se matérialisent jamais en même temps. Sur l'opération Edison par exemple, certaines configurations conduiront à ce que jouent les garanties sur les emprunts ; d'autres conduiront à ce que les puts qui ont été donnés aux banques, à Fiat ou à Tassara seront exercés ou pas.

Pour savoir si tout cela joue ou ne joue pas, il faut se placer dans une configuration particulière, faire des analyses de risques à partir d'un nombre relativement élevé de scénarios, avec des modèles de chiffrages qui permettent d'avoir l'impact sur les garanties et les options qui seront déclenchées et la perte ou le gain éventuel lié à chacune des opérations.

C'est à partir de cette distribution que l'on peut voir le gain ou la perte moyenne associée à l'ensemble de l'opération et surtout, voir ce qui se produit du mauvais côté, c'est-à-dire la probabilité des scénarios qui vous mènent soit à un alourdissement de la dette, soit à un certain nombre de pertes. Tout cela relève de techniques d'analyse de risques parfaitement connues dans la sphère financière ».

Tout en prenant acte de cette complexité, votre commission estime cependant indispensable que l'Etat ne donne son agrément à un projet de croissance externe significatif que si l'entreprise a établi une cartographie détaillée des risques. Celle-ci doit mesurer très précisément l'ensemble des engagements de l'entreprise (particulièrement les engagements hors bilan) et analyser la sensibilité de sa situation financière globale aux risques liés à la non réalisation des hypothèses des plans d'affaires, aux chocs macroéconomiques éventuels, aux évolutions des taux de change et aux fluctuation des cours boursiers. Ainsi, l'Etat doit pouvoir disposer à tout moment de simulations permettant de connaître l'étendue de l'exposition des principales entreprises publiques aux risques spécifiques qu'elles ont pris.

Enfin, parce que l'Etat n'est pas un actionnaire comme les autres, parce qu'il gère des participations qui appartiennent en dernière analyse à l'ensemble des citoyens français, il lui appartient d'imposer la plus rigoureuse transparence dans les comptes des entreprises qu'il contrôle. Cela passe, aux yeux de votre commission, par l'alignement progressif des rapports financiers des principaux groupes publics, quelles que soient les modalités de détention de leur capital, sur les normes les plus exigeantes imposées aux entreprises cotées.

Si votre commission reconnaît que cela prendra du temps, elle rappelle cependant que cela constitue une priorité absolue, et le rapport annuel présenté par l'Agence devra faire état des progrès accomplis en ce sens.

3.- Une meilleure identification des missions et des charges de service public

a) Une définition plus précise

Comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées, l'Etat qui les impose pourtant, oublie trop souvent le poids des charges imputables aux missions de service public.

Aussi M. Jean-Michel Charpin a-t-il souligné le « poids de l'absence de compensation des obligations de service public », liées notamment aux obligations d'achat de l'électricité produite à partir des énergies renouvelables, et M. Louis Gallois les pertes des trains Corail. Ces charges, dans le cas de La Poste, atteindraient près de 1,2 milliard d'euros par an, selon M. Jean-Paul Bailly (dont 600 millions pour l'entretien du réseau, 480 millions pour la distribution de la presse, 150 millions pour l'exclusion du dispositif d'allègement des charges sociales et 55 millions pour l'équilibre économique de la gestion du Livret A).

Or l'imprécision qui caractérise aujourd'hui la définition des missions de service public nuit à la qualité de la gestion des entreprises publiques, à leur dynamisme commercial et introduit de fait un « aléa moral » dans leur gestion.

C'est pourquoi il est nécessaire de définir l'ensemble des missions de service public qui incombent aux entreprises publiques. Dans le cas d'EDF, cela a été fait par l'article 2 de loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Il ne semble pas toutefois que le recours à la voie législative s'impose dans tous les cas.

Les modalités d'exercice de ces missions seraient ensuite détaillées dans des contrats de service public tels que les propose le rapport de M. Barbier de La Serre. Selon M. Francis Mer, ils « constitueraient la base des relations entre l'Etat et les entreprises, privées ou publiques, qui accepteraient ces obligations », avec des objectifs précis.

b) Une évaluation plus nette

Les contrats de service public devront tout d'abord comporter une évaluation des coûts imputables aux missions de service public, déterminés au terme d'un dialogue entre l'Etat et les entreprises concernées.

Il convient d'autre part de veiller à ce que l'évaluation de ces charges de service public soit faite sous le contrôle d'instances indépendantes, comme c'est le cas pour les autorités de régulation chargées des télécommunications ou de l'énergie (ART et CRE). Dans le domaine ferroviaire, cette responsabilité pourrait être confiée au Conseil supérieur du service public ferroviaire.

Si l'on oppose souvent à cette nécessaire clarification les difficultés d'évaluation propres à certaines missions de service public en particulier dans le domaine de l'aménagement du territoire, votre Rapporteur partage entièrement la conviction de M. Francis Mer qui estimait que « tout peut se quantifier ». Quand bien même cette évaluation comporterait certaines approximations, elle serait en tout état de cause préférable à la situation de flou et d'arbitraire qui prévaut trop souvent aujourd'hui.

c) Une compensation plus juste

Si l'on veut clarifier la gestion des entreprises publiques et les responsabiliser davantage, il est fondamental de rémunérer ces charges à leur juste prix. Les contrats de service permettraient par ailleurs de répondre à l'exigence de transparence exprimée par M. Mario Monti, lorsqu'il indiquait devant votre commission qu'il jugeait nécessaire que les « obligations pesant sur l'entreprise soient clairement précisées dans un contrat qui lie l'Etat à l'entreprise » afin « d'éviter d'éventuelles surcompensations ».

Ces contrats pourraient prévoir, dans le cadre d'une démarche progressive et pédagogique, des systèmes d'intéressement, c'est-à-dire l'attribution d'une partie des concours de l'Etat sous la forme de bonus/malus en fonction des résultats atteints par l'entreprise par rapport à des indicateurs de performance et de qualité de service fixés de façon très précise.

II.- REPENSER LE RÔLE DE L'ETAT

A.- UNE ORGANISATION PLUS EFFICACE

1.- L'Agence des participations

La valorisation de son patrimoine n'a jamais été une préoccupation majeure de l'Etat. S'il en avait la volonté, l'organisation actuelle de ses services ne lui permettrait pas de défendre efficacement ses intérêts : les moyens consacrés à la gestion des participations de l'Etat ne sont en effet pas adaptés aux stratégies d'expansion internationale des grandes entreprises publiques. La spécificité de l'Etat actionnaire n'est aujourd'hui ni reconnue ni défendue à la hauteur de ses enjeux.

Votre commission ne peut donc qu'approuver la décision du ministre de créer une Agence chargée de gérer l'ensemble des participations de l'Etat. Une telle structure :

- permettra d'identifier clairement ce qui relève de la politique patrimoniale de l'Etat. Les représentants de l'Agence devront assumer le rôle de chef de file au sein des conseils d'administration des entreprises publiques afin de garantir la cohérence de la position de l'Etat et de veiller à ce que les préoccupations de rentabilité soient toujours prises en compte dans l'élaboration des décisions. En outre, les entreprises publiques trouveront dans l'Agence l'interlocuteur stable et unique qui leur fait défaut aujourd'hui ;

- pourra bénéficier d'un personnel plus expérimenté, se consacrant exclusivement à la gestion des participations de l'Etat et qui suivra les entreprises pendant une plus longue durée. La faculté qu'aura l'Agence de procéder à des recrutements extérieurs, notamment dans le monde de l'entreprise, permettra, selon les termes de M. René Barbier de La Serre, de garantir « la stabilité, de la compétence, de la disponibilité, de l'expérience et de la hauteur de vue nécessaires à l'exercice de cette mission difficile, qui est d'être le représentant de l'actionnaire principal des entreprises publiques ». L'Agence, qui devra aligner « son niveau de préoccupation, d'étude, de réflexion [sur] celui des dirigeants des entreprises de toutes dimensions » pourra donc discuter « d'égal à égal » avec les dirigeants d'entreprises publiques. Ceci devrait permettre d'éviter à l'avenir les contournements dont ont usé et abusé certains présidents.

L'Agence devra disposer vis-à-vis du Gouvernement de la plus large autonomie. Dans cet esprit, à l'instar de ce qui se passe pour les présidents d'entreprises publiques, la durée du mandat de son directeur devra être clairement établie. Il conviendra aussi qu'elle dispose d'un budget lui permettant d'assumer en toute indépendance ses missions.

Votre commission estime en outre indispensable que les statuts de l'Agence prévoient avec précision :

- qu'elle aura pour mission prioritaire de définir et de codifier les informations que chaque entreprise publique sera tenue de lui fournir, ainsi que des règles de fond et de forme qui devront être respectées lors de la saisine préalable à tout investissement de croissance externe ;

- qu'elle aura pour responsabilité de veiller à la transparence comptable des entreprises publiques, en particulier en évaluant les engagements hors bilan.

Votre commission estime également indispensable que le Parlement soit informé régulièrement de l'évolution de la valeur et de la gestion du patrimoine de l'Etat et de la manière dont l'Agence s'acquitte de sa tâche à travers une audition annuelle de son directeur, au moment de la présentation du rapport qu'elle devra fournir sur l'Etat actionnaire.

La mission de l'Etat actionnaire étant ainsi clairement redéfinie, reste en suspens la question de la prise en compte de ses autres rôles (aménagement du territoire, politique industrielle, politique sociale...) et de l'arbitrage entre eux. Elle a été largement débattue au sein de la commission. Deux solutions ont été envisagées :

- la première consisterait à confier à l'Agence la seule responsabilité de la défense des intérêts patrimoniaux de l'Etat. Elle impliquerait en contrepartie de créer un comité interministériel d'orientation de la stratégie des entreprises publiques chargé notamment d'arbitrer entre les intérêts patrimoniaux de l'Etat et ses autres missions. Présidé par le Premier ministre, il réunirait les ministres intéressés à la marche des entreprises publiques, c'est-à-dire les ministres « techniques » et le ministre des finances. Son secrétariat serait assuré par l'Agence des participations de l'Etat, qui, par son expertise technique et sa parfaite connaissance de l'ensemble des contraintes propres aux entreprises publiques, garantirait que les conséquences des décisions prises sur l'équilibre financier des entreprises soient parfaitement évaluées.

- la seconde viserait à charger l'Agence non seulement de la défense des intérêts patrimoniaux de l'Etat mais aussi de la mise en œuvre de l'ensemble des politiques sectorielles nationales intéressant les entreprises publiques. Cette formule aurait certes le mérite de réunir au sein d'un organisme unique toutes les missions de l'Etat. Mais elle présenterait deux inconvénients : celui d'aller à l'encontre de la nécessité d'identifier clairement les intérêts patrimoniaux de l'Etat et de leur consacrer une administration qui leur soit intégralement dédiée, et celui - plus grave encore - de confier à un organisme administratif les arbitrages qui relèvent clairement du niveau politique.

Cette seconde solution a finalement été écartée. Mais tout en se ralliant à la première hypothèse, une grande partie des membres de la commission ont envisagé que l'Agence soit rattachée non pas au ministre des finances, mais au Premier ministre. Un tel dispositif permettrait à leurs yeux de renforcer l'autorité de l'Agence et d'éviter les inconvénients d'un « court-circuit » résultant de relations directes entre les présidents des entreprises publiques et le ministre des finances. La nouvelle Agence serait ainsi calquée sur le modèle du SGDN. Le ministre des finances garderait en son sein un rôle prééminent comme celui qu'a le ministre de la défense au sein du SGDN.

Votre Rapporteur reste pour sa part favorable à ce que l'Agence soit rattachée au ministre des finances, ne serait-ce que parce que la valorisation du patrimoine de l'Etat relève à l'évidence de ses attributions, la création d'un comité interministériel permettant par ailleurs à Matignon de procéder aux arbitrages nécessaires.

2.- La représentation au sein des conseils

Pour renforcer l'efficacité et la cohérence de la représentation de l'Etat au sein des conseils, il importe de rationaliser les procédures de nomination des administrateurs. Pour cela, l'Agence devra définir une procédure harmonisée de recrutement ainsi qu'une liste de critères d'aptitude, concernant notamment l'expérience professionnelle et la connaissance du secteur d'activité requises pour chaque entreprise.

L'envoi d'une « lettre de mission » à chaque représentant de l'Etat nouvellement nommé co-signée par le ministre de l'économie et des finances et le ministre de rattachement de l'entreprise permettrait de solenniser le mandat, d'adresser des recommandations particulières et d'inviter l'administrateur à rendre compte de son activité, par exemple sous la forme d'un bilan annuel d'activité adressé à l'Agence, faisant état des difficultés éventuellement rencontrées.

Les représentants de l'Etat doivent par ailleurs disposer du temps nécessaire pour exercer les lourdes responsabilités qui leur incombent. Votre rapporteur propose donc que le nombre maximum de mandats autorisé dans les conseils des grandes entreprises publiques soit désormais limité à trois.

La création de l'Agence des participations, et en particulier le rôle de chef de file dévolu à l'un de ses membres, permettra de renforcer la coordination entre les représentants de l'Etat. D'autres voies d'amélioration apparaissent toutefois nécessaires, telles que l'organisation systématique de « préconseils » et la communication d'instructions précises sur les principaux points inscrits à l'ordre du jour des réunions des conseils.

Enfin, votre Rapporteur souligne toute l'importance d'assurer un suivi régulier des représentants de l'Etat, à travers la mise en place d'un réel plan de formation ainsi que l'élaboration d'un tableau de bord, qui synthétiserait l'ensemble des informations relatives aux nominations, à l'assiduité ou encore au turn-over des conseils, afin notamment d'éviter des vacances de poste préjudiciables à leur bon fonctionnement.

B.- DES CONTRÔLES RECENTRÉS

1.- Une vision plus stratégique

Votre commission a constaté que l'Etat ne dispose pas aujourd'hui d'une réelle vision stratégique sur les missions proprement économiques qu'il assigne aux entreprises publiques. En réalité, les gouvernements ne se sont souvent intéressés aux entreprises publiques que lors de la nomination de leur président ou à l'occasion d'une crise grave. Pour le reste, les interventions de l'Etat évoluent le plus souvent au gré des différentes préoccupations de puissance publique, que celles-ci soient budgétaires, qu'elles tiennent à la politique économique ou sociale du gouvernement, ou qu'elles concernent ses exigences en matière de service public.

Cette situation est profondément néfaste aux entreprises publiques qui évoluent dans un milieu de plus en plus concurrentiel.

L'absence de vision stratégique de l'Etat conjuguée à la propension de certains présidents d'entreprises publiques de se croire « seuls maîtres à bord » expliquent que certains aient pris des risques inconsidérés que n'accepterait pas un actionnaire privé avisé.

En outre, l'absence de directives claires rend les contrôles de l'Etat tatillons mais sans réel recul, des notions aussi fondamentales que l'exposition au risque et l'évolution de la rentabilité ne faisant pas l'objet d'un évaluation formalisée et régulière.

Enfin, cette situation est incontestablement déresponsabilisante. D'abord pour les chefs d'entreprises qui peuvent arguer du flou de leur mandat pour justifier toutes leurs actions et se réfugier, en cas d'échec, derrière les manquements de leur actionnaire. Mais aussi pour l'Etat qui risque de voir des pans entiers de l'économie nationale compromis par l'ouverture à la concurrence.

Afin de remédier à cette situation, votre commission propose que, dès la nomination d'un dirigeant d'entreprise publique, soit défini avec l'Etat un « cadre de mission », quasi-pacte d'actionnaire, précisant la stratégie économique de l'entreprise, ses implications financières, le soutien que l'Etat, le cas échéant, est prêt à consentir, soit directement par une dotation en fonds propres soit indirectement par la perspective d'une ouverture du capital. Ce « cadre de mission » devra aussi préciser le cadre statutaire au sein duquel l'entreprise évolue.

En outre, pour être pleinement efficace, ce « cadre de mission » devrait comporter des indicateurs de performance industrielle et financière (rentabilité des capitaux propres, ratios d'endettement, etc.) sur la base desquels :

· les dirigeants (voire l'ensemble des salariés) seraient intéressés aux résultats par une contrepartie financière (le comité de rémunération évaluant par exemple chaque année ce montant) ;

· des seuils d'alerte seraient définis (à titre d'exemple, une dégradation subite de plusieurs crans de la notation financière) qui impliqueraient, dès leur apparition, que l'Etat et le dirigeant actualisent le cadre de mission et, le cas échéant, fixent les moyens de redressement de la situation. Le franchissement de ces seuils pourrait être assorti de la convocation du conseil d'administration, afin qu'il détermine expressément s'il renouvelle sa confiance au président de l'entreprise.

Le suivi de ce « cadre de mission » serait assuré par l'Agence, qui devrait faire mention du respect des indicateurs de performance dans son rapport annuel au Parlement.

2.- Une surveillance moins tatillonne

a) Supprimer les contrôles a priori

Dès lors que des contre-pouvoirs efficients sont mis en place au sein des entreprises et la stratégie clairement définie par l'Etat, il n'y a plus lieu de conserver des contrôles administratifs a priori, tels que la CICS, le CIES ou le contrôle d'Etat. S'agissant du CIES, votre rapporteur ne peut en effet que rejoindre l'analyse présentée par M. Jean Bergougnoux, dans son rapport sur les services publics en réseau 22 :

« La procédure continue parfois d'être jugée comme une survivance archaïque d'un système révolu où la planification constituait le référence principale d'une économie nationale beaucoup plus administrée qu'aujourd'hui. Plus précisément, elle est souvent ressentie comme une contrainte forte qui restreint l'autonomie des entreprises publiques et ne répond pas au souci de conférer à leurs dirigeants une plus grande responsabilité ».

De même, le contrôle d'Etat, comme l'a affirmé M. Louis Gallois, peut être « franchement insupportable pour la direction de l'entreprise, dès lors qu'il se manifeste par une suspicion constante à son encontre. (...) Si l'on a affaire à des personnes tatillonnes, elles peuvent rendre insupportable épidermiquement la vie des présidents d'entreprise, même s'ils ont l'échine assez épaisse ».

En conséquence, votre Rapporteur propose d'abroger les décrets du 26 mai 1955 relatif au contrôle d'Etat et du 27 novembre 1996 relatif aux CIES. Il convient par ailleurs de revoir l'économie générale du décret du 9 août 1953, en abrogeant notamment son article 6 instituant la CICS et son article 2 relatif au contrôle des cessions et prises de participation financière. En effet, dès lors que des seuils d'approbation préalable seront définis par l'Agence et par les conseils d'administration, cette procédure, dont on a souligné la lourdeur, n'apparaîtra plus nécessaire.

b) Renouer avec le principe d'autonomie de gestion

Les entreprises publiques doivent progressivement, au fur et à mesure de l'ouverture à la concurrence, se voir reconnaître une réelle autonomie sur les actes relevant de la gestion, tels que les salaires, les tarifs et les investissements.

Cette évolution ne semble pas présenter de difficulté majeure s'agissant des salaires. Elle doit être conduite avec plus de prudence en matière de tarifs aussi longtemps que les entreprises sont encore en situation de monopole ou lorsque le pouvoir de négociation de l'usager est nul. Par ailleurs, la politique d'investissements de l'entreprise devra s'inscrire dans le cadre de la stratégie générale arrêtée avec l'Etat, que ce soit par le cadre de la mission ou par une délibération du conseil d'administration.

CONCLUSION : PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Les présidents

1. Conserver le pouvoir de nomination du gouvernement tout en associant l'Agence des participations de l'Etat à la définition des compétences requises.

2. Procéder à l'audition des présidents des grandes entreprises publiques, dès leur nomination, puis chaque année, par les commissions compétentes du Parlement.

3. Rapprocher le niveau de rémunération des dirigeants de celui pratiqué dans les entreprises comparables du secteur privé.

4. Assurer, à travers l'Agence, un suivi régulier des performances des entreprises et mettre en place des entretiens périodiques entre les présidents et les ministres de tutelle.

Les conseils d'administration

5. Limiter à 15 au maximum le nombre des administrateurs, en conservant dans l'immédiat le principe du tripartisme, mais envisager à terme un alignement sur le droit commun des sociétés commerciales.

6. Uniformiser le statut des administrateurs, en supprimant le principe de l'atténuation de la responsabilité civile des administrateurs représentant les salariés et prévoir leur rémunération, à l'exception des représentants de l'Etat, de façon à accroître leur indépendance et leur responsabilité.

7. Doter tous les conseils d'administration d'un règlement intérieur détaillé déterminant les décisions soumises à leur approbation préalable.

8. Généraliser les comités de la stratégie et élargir leurs compétences à l'instruction des projets d'acquisitions.

9. Donner aux comités d'audit la possibilité de recourir de manière autonome à une expertise extérieure et élargir leurs compétences à la gestion des risques de l'entreprise.

10. Charger l'Agence de proposer au Gouvernement une liste de personnalités qualifiées et de favoriser la présence d'administrateurs indépendants au sein des conseils.

11. Instituer des comités de gouvernement d'entreprise et procéder à une évaluation régulière des travaux des conseils.

Les outils de gestion et d'analyse

12. Généraliser le statut de société anonyme pour toutes les entreprises opérant dans le champ concurrentiel.

13. Instituer un contrôle de la qualité des instruments de gestion (comptabilité analytique, engagements hors bilan...) par l'Agence des participations qui en fera état dans le rapport annuel qu'elle soumettra au Parlement.

14. Conditionner l'agrément de l'Etat à tout projet significatif de croissance externe à l'adoption d'une cartographie détaillée des risques.

15. Aligner les rapports financiers des principaux groupes publics sur les normes imposées aux entreprises cotées.

Les missions de service public

16. Instituer des contrats de service public définissant très précisément le contenu, le coût et la compensation financière des missions de service public.

17. Prévoir des systèmes d'intéressement en fonction des résultats atteints par l'entreprise par rapport à des indicateurs de performance et de qualité de service, fixés dans le contrat de service public.

L'Agence des participations de l'Etat

18. Confier à l'Agence la responsabilité de définir et codifier les informations que chaque entreprise devra lui fournir de manière régulière, ainsi que des règles précises de délais et de saisine préalable à tout investissement de croissance externe.

19. Confier au représentant de l'Agence le rôle de chef de file au sein des conseils d'administration.

20. Créer un Comité interministériel d'orientation de la stratégie des entreprises publiques dont le secrétariat serait assuré par l'Agence.

21. Prévoir une audition annuelle du directeur de l'Agence par les commissions des finances des assemblées.

La représentation de l'Etat au sein des conseils

22. Prévoir l'envoi d'une « lettre de mission » signée par le ministre de l'économie et le ministère de tutelle technique à chaque administrateur nouvellement nommé.

23. Limiter à trois le nombre maximum de mandats des administrateurs dans les grandes entreprises publiques.

24. Généraliser les « préconseils » entre les représentants de l'Etat et leur donner des instructions précises résultant notamment des arbitrages interministériels avant chaque réunion des conseils.

25. Assurer un suivi régulier des représentants de l'Etat et confier à l'Agence le soin de conduire des actions régulières de formation à leur intention.

Les contrôles

26. Définir un « cadre de mission » entre l'Etat et le dirigeant de l'entreprise précisant clairement la stratégie économique et financière et fixant notamment des indicateurs de performance et des seuils d'alerte. En confier le suivi régulier à l'Agence.

27. Supprimer la CICS, le CIES et les fonctions de commissaire du gouvernement et de contrôleur d'Etat.

EXAMEN DU RAPPORT

La commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 2 juillet 2003 et l'a adopté.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS 23

I.- UNE COMMISSION D'ENQUÊTE ALIBI

En proposant, en décembre 2002, la création d'une commission d'enquête relative à la situation financière des entreprises publiques, la majorité parlementaire avait une double arrière-pensée :

- mettre en cause la stratégie industrielle globale de ces entreprises, dans le but de contester la légitimité de leur appartenance au secteur public et de promouvoir leur privatisation ;

- mettre personnellement en accusation des dirigeants de grandes entreprises publiques, ainsi que leurs anciens ministres de tutelle, sur leurs décisions passées de gestion et de développement.

Les quelque vingt-sept auditions publiques menées par la commission d'enquête ont permis de rétablir la vérité des faits :

- sans la stratégie industrielle ambitieuse de croissance externe menée au cours des dernières années, la plupart des entreprises auditionnées auraient aujourd'hui un retard technologique, une offre de services et une présence sur les marchés en totale inadéquation avec les nouvelles formes prises par la concurrence intra et extracommunautaire ;

- le contrôle de la puissance publique s'est largement exercé, même s'il n'était pas toujours parfait, et les décisions prises étaient conformes aux orientations voulues par l'Etat. Des erreurs d'appréciation, inhérentes à la gestion de toute entreprise et liées à l'extrême volatilité de la conjoncture, ne sauraient être confondues avec une dilapidation abusive du patrimoine public.

En définitive, ceux qui comptaient sur cette commission d'enquête pour instruire un véritable procès des entreprises publiques ne sont, de toute évidence, pas arrivés à leurs fins.

Les difficultés économiques rencontrées par certaines entreprises publiques dans les dernières années gagnent d'abord à être replacées dans le contexte sectoriel souvent défavorable qui était le leur. Sur ce point, les députés socialistes ne peuvent se satisfaire de la véritable « réécriture de l'histoire » à laquelle la commission d'enquête a parfois procédé, au risque de déformer la réalité des faits. C'est le cas par exemple de La Poste, dont la situation est jugée « préoccupante » alors que ses comptes se sont largement améliorés depuis 1997 après une période lourdement déficitaire, ou de France Télécom, dont il faut rappeler que le niveau d'endettement est bien inférieur à celui de son concurrent allemand Deutsche Telekom.

Concernant précisément le marché des télécommunications et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il ne faudrait pas oublier que l'éclatement de la bulle spéculative à l'été 2000 a entraîné dans le secteur privé une succession de faillites et de dépréciations boursières sans précédent, d'ampleur au moins comparable aux difficultés qui ont affecté les entreprises publiques. Il n'est d'ailleurs pas inintéressant de rappeler à ce propos que la diminution subséquente, en octobre 2001, de la valorisation des licences UMTS mises en vente par l'Etat avait suscité les hauts cris de l'opposition parlementaire d'alors, qui accusait le Gouvernement de brader le patrimoine public et de spolier l'Etat...

D'un autre côté, il faut également rappeler la très bonne tenue sur le marché concurrentiel d'une entreprise publique comme Air France, dans un contexte international pourtant très dégradé, au point que ses excellents résultats permettent aujourd'hui au Gouvernement d'envisager apparemment sa privatisation.

Les discours tenus à l'encontre des entreprises publiques ont par conséquent la particularité d'être souvent contradictoires. Ce n'est d'ailleurs pas la moindre des contradictions pour la commission d'enquête que de citer M. Edmond Alphandéry, ancien président d'EDF, comme témoin de moralité en matière de bonne gestion des entreprises publiques, alors qu'il a dû faire face, lorsqu'il était en fonction, à des difficultés managériales incontestables. Les députés socialistes s'étonnent au passage qu'un ancien ministre ait pu tenir des propos aussi radicaux sur le rôle de l'Etat et le fonctionnement des entreprises publiques.

II.- DES PROBLÉMATIQUES COMMUNES AUX ENTREPRISES PUBLIQUES ET PRIVÉES

Le contexte économique exceptionnel qui a entouré le développement des entreprises publiques comme privées au cours de la période considérée va de pair avec une communauté de leurs problématiques en matière d'investissement, de décisions de gestion et de management.

La difficulté première - la préservation et le renforcement des moyens d'autofinancement - rapproche en particulier la situation des entreprises publiques de celle des entreprises privées non cotées, qui n'ont pas les moyens de faire appel public à l'épargne. Il appartient par conséquent à l'Etat, par le biais notamment de dotations en capital adaptées, de pourvoir les entreprises dont il assure le contrôle de capacités d'investissement fortes, de manière à assurer leur équilibre financier.

Cette exigence doit avoir également pour corollaire une garantie des évolutions tarifaires - évolutions que la puissance publique, pour des raisons d'opportunité politique et au détriment de ses propres engagements, est parfois réticente à autoriser. Cette situation est anormale : elle risque de conduire à l'épuisement des capacités d'autofinancement des entreprises publiques et à des crises d'endettement. Ces dernières, associées à la constatation d'une survaleur des marchés boursiers, condamnent alors toute possibilité de redressement.

Il serait par ailleurs abusif de considérer que les entreprises privées, en France comme à l'étranger, sont exemptes de tout dysfonctionnement managérial. Il n'est que de rappeler les déboires concomitants rencontrés par Vivendi, Metaleurop, Enron ou Worldcom pour pointer les dérives avérées du contrôle managérial, actionnarial ou comptable dans les entreprises privées et pour comprendre que l'« actionnariat » exercé par l'Etat, même s'il doit toujours être amélioré, est un actionnariat au moins aussi exigeant que l'actionnariat privé. Les responsables auditionnés par la commission d'enquête n'ont eu de cesse de reconnaître cette réalité et de relativiser par conséquent les reproches adressés aux entreprises publiques sur ce point.

Le peu d'ampleur des réformes proposées par la majorité gouvernementale au sein de son projet de loi de sécurité financière traduit assez, sur cette question, le décalage entre une charge unilatérale et idéologique contre les entreprises publiques et la relative tolérance manifestée à l'égard des entreprises privées. Cette tolérance entre d'ailleurs elle-même en grande contradiction avec les signaux d'alarmes tirés depuis plusieurs mois par certains de leurs plus éminents représentants (Daniel Bouton ou Claude Bébéar) sur la dérive de la gestion privée.

III.- DES PRÉCONISATIONS INCOMPLÈTES ET PARADOXALES

Le constat dressé par la commission d'enquête fait l'impasse sur de nombreux aspects qui touchent pourtant de près la gestion des entreprises publiques.

L'absence de toute allusion approfondie aux dispositifs existants de régulation des marchés est un exemple particulièrement flagrant de cette vision incomplète de la situation. Les autorités de régulation (Autorité de régulation des télécommunications ou Commission de régulation de l'énergie) sont pourtant des acteurs majeurs du contrôle des marchés et de l'évolution des garanties du service public dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. La conception extensive et tatillonne du contrôle que ces instances exercent aujourd'hui sur les entreprises, sans articulation avec un éventuel contrôle parlementaire, aurait dû légitimement conduire le législateur, dans le cadre d'une analyse de la gestion des entreprises publiques, à s'interroger sur la restauration de leur périmètre initial de compétence.

De même, il faut regretter qu'aucune considération du long terme n'ait été abordée par la commission d'enquête. En matière notamment de recherche-développement et de soutien à l'industrie, à aucun moment n'a été traité le rôle moteur que jouent les entreprises publiques au service de l'innovation et de l'investissement industriel. Le rôle éminent des ministères de la recherche et de l'industrie a été sur ce point totalement éludé.

La proposition d'aligner à terme sur le droit commun des sociétés commerciales la composition des conseils d'administration des entreprises publiques est une manière d'éliminer progressivement la présence des administrateurs salariés. Or non seulement cette disposition est à contre-courant de plusieurs préconisations relatives à la gouvernance des entreprises privées, mais de plus elle ne reflète pas l'opinion exprimée à cet égard devant la commission d'enquête par les principaux dirigeants, actuels et passés, d'entreprises publiques. Tous, à l'exception de M. Edmond Alphandéry, ont considéré comme positive la présence de salariés dans leur conseil d'administration, tandis que les administrateurs salariés auditionnés se sont engagés devant la commission à donner davantage de force au principe de confidentialité. Il conviendrait au contraire de réfléchir à une meilleure association des salariés à la prise de décision dans l'entreprise, que celle-ci passe par leur présence au sein des conseils d'administration ou par d'autres modalités.

Concernant la rémunération des dirigeants d'entreprises publiques, celle-ci n'est certes pas satisfaisante, mais faire de son alignement sur le secteur privé l'alpha et l'oméga de l'amélioration du système de prise de décision relève en revanche d'une philosophie que les députés socialistes ne peuvent pas partager.

Il est enfin paradoxal que la majorité parlementaire de la commission d'enquête, qui a fustigé et incriminé au cours des auditions la prétendue autonomie des dirigeants d'entreprises publiques par rapport à leur tutelle, fasse du retour au principe d'autonomie de gestion l'aboutissement ultime de sa réflexion.

IV.- PROPOSITIONS

Il ne faudrait pas que le seul résultat de cette commission d'enquête soit l'affaiblissement des positions des entreprises publiques. Pour cette raison, les députés socialistes réaffirment, comme ils l'ont fait par leurs questions tout au long des auditions, l'absolue nécessité de rendre encore plus efficace et sûr le système de prise de décision au sein des entreprises publiques.

Dans cet esprit, ils revendiquent la paternité de certaines propositions constructives formulées par la commission et soutiennent par ailleurs une amélioration des relations entre l'entreprise et l'Etat, qu'il soit ou non actionnaire majoritaire, sous la forme d'un triptyque.

1.- La création, sous l'égide du pouvoir exécutif, d'une instance unique de contrôle des participations de l'Etat.

Dans l'esprit de l'Agence des participations de l'Etat suggérée par le rapport de M. René Barbier de La Serre, elle doit être chargée à la fois de la sauvegarde des intérêts patrimoniaux de l'Etat et du pilotage stratégique des entreprises publiques. Cette structure professionnalisée devrait être dotée à cet effet de moyens humains substantiels : administrateurs civils aussi bien qu'experts en provenance du secteur privé, affectés directement, pour une durée limitée, au sein des entreprises que l'Etat contrôle. Des mécanismes doivent garantir pleinement leur indépendance, que ce soit par leur rotation périodique ou par l'interdiction de missions isolées.

Le dispositif projeté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ne présente pas, pour le moment, de telles garanties. L'annonce de sa création, bienvenue sur le fond, a d'ailleurs précédé de manière malencontreuse les travaux de la présente commission d'enquête. Les députés socialistes ne veulent voir dans cette chronologie malheureuse qu'une simple maladresse, et n'imaginent pas qu'elle puisse signifier une défiance du Gouvernement envers sa majorité parlementaire.

2.- La définition, sous la responsabilité du Parlement, de contrats d'objectifs entre la Nation et chaque entreprise publique, ainsi que du périmètre de compétence des instances de régulation.

Le Parlement est le seul arbitre légitime des contradictions éventuelles entre la préservation de l'intérêt de l'Etat et l'exécution, essentielle, des missions de service public. A contrario, la proposition d'un partage des rôles entre une Agence des participations de l'Etat sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances et un « comité des investissements » sous l'autorité du Premier ministre ne peut conduire qu'à accentuer les incohérences dans la conduite de l'Etat actionnaire pourtant dénoncées par le rapport.

Etablis tous les cinq ans, des contrats d'objectifs mentionneraient donc expressément, sous une forme législative, la nature du service public rendu. Ils comprendraient un véritable cahier des charges, y compris dans des domaines comme la tarification qui ont souvent souffert de la légèreté de l'Etat.

Le respect de ce cahier des charges pourrait faire l'objet d'un contrôle permanent du Parlement, au niveau des commissions parlementaires compétentes et en liaison avec la délégation pour l'Union européenne ; il devrait conduire à la publication d'un rapport parlementaire annuel.

3.- La mise en place, dans chaque entreprise publique, d'un comité d'audit.

Emanation du conseil d'administration, il exercerait un contrôle permanent sur le management de l'entreprise et pourrait faire appel, le cas échéant, à des organismes de contrôle externe pour mener à bien ses missions.

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE UDF 24

Le Groupe UDF approuve les grandes lignes du rapport établi à l'issue de la commission d'enquête sur les entreprises publiques.

1- Nous partageons le constat établi en première partie.

La nouvelle donne européenne, caractérisée par une mise en concurrence croissante des industries de réseaux (énergie, poste, télécommunications, transport), impose une évolution de la gestion des entreprises publiques. Elle renforce la concurrence entre les acteurs, mais offre également une chance aux entreprises les plus réactives, les mieux gérées et engagées dans une stratégie internationale de gagner des parts de marché, en Europe et à l'étranger, et, par conséquent, de contribuer à la création de champions européens. L'amélioration de la performance des entreprises publiques françaises est donc un enjeu économique majeur.

2- Face à ces évolutions, la gouvernance des entreprises reste manifestement inadaptée.

Certes, les cas d'EDF et de France Télécom, développés dans ce rapport, sont les plus mauvais exemples d'une mauvaise gestion publique : la dégradation incontrôlée des résultats (dérapage de la dette, fonte des ressources propres, accroissement des provisions pour charges du fait des dépréciations d'actifs à l'étranger, acquis sans suffisamment de prudence) y est largement imputable au manque de contrôle des administrateurs de l'Etat et de vision stratégique des instances politiques. Mais, le constat est valable plus généralement : le financement public obère la régulation opérée par les banques sur les opérateurs privés, dans la mesure où l'Etat réduit rarement l'accès au crédit des entreprises mal gérées, au détriment des autres.

Mauvais actionnaire, il aide ceux qui vont mal, non ceux qui vont bien. La performance globale du secteur public en est donc globalement amoindrie.

3- L'Etat, omniprésent mais sans stratégie, telle est bien la situation actuelle, soulignée justement dans la troisième partie du rapport.

4- Enfin, pour ce qui est des préconisations proposées dans la quatrième partie, nous les soutenons.

Elles permettront d'assurer une meilleure autonomie et une meilleure gouvernance des entreprises publiques. En particulier, la généralisation du statut de SA à toutes les entreprises publiques, à la place du statut, insatisfaisant, d'établissement public, nous paraît indispensable.

Pour assurer la défense des intérêts patrimoniaux de l'Etat, tout en prenant en compte d'autres éléments pertinents au-delà de cet objectif principal, nous soutenons la solution qui consiste à rattacher l'Agence des Participations de l'Etat au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et à mettre en place un comité interministériel, qui définirait deux fois par an les orientations stratégiques et ferait le point sur la situation des entreprises publiques.

Au total, ce rapport contient un ensemble de propositions souhaitables et utiles. Elles ne permettront cependant pas de faire de l'Etat le meilleur actionnaire et constituent donc une phase transitoire. A terme, le véritable objectif est d'opérer un recentrage de l'Etat sur ses missions régaliennes et de renforcer la concurrence et l'ouverture aux investisseurs privés dans les autres domaines (transport, télécommunications, etc.), où les obligations de service public peuvent faire l'objet d'une rémunération et d'une régulation des opérateurs privés.

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE
DES DÉPUTÉ-E-S COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS
25

Lors de la discussion en séance publique le 29 janvier 2003 de la résolution tendant à créer la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques, nous déclarions que cette commission avait pour but de « poursuivre un objectif non avoué qui est celui de fournir au gouvernement les justifications pour donner au secteur privé des pans entiers de missions relevant du secteur et du service public ou encore livrer davantage le service public aux lois de la concurrence et d'un marché soumis au monde de la finance ».

Malheureusement, ce rapport confirme nos craintes. Il était d'ailleurs symptomatique que notre proposition de créer une commission d'enquête sur la gestion des grands groupes privés ait été rejetée. Pourtant, les scandales Vivendi, Metaleurop, Daewoo, les difficultés d'Alsthom, et tant d'autres entreprises bénéficiant ou ayant bénéficié d'aides publiques ou de marché publics auraient amplement justifié la création de cette commission d'enquête

Autre élément qui jette un doute sur l'objectivité de ce rapport, c'est l'audition extrêmement limitée des syndicalistes des grandes entreprises publiques. L'audition des confédérations n'ayant été obtenue qu'après l'insistance de notre Groupe. Ce qui conforte notre appréciation, c'est également la quasi inexistence, dans le rapport, de références à ces auditions, et d'exposé de leurs propositions.

Au-delà du respect du aux réflexions et propositions syndicales, ce manque de prise en compte de points de vue différents renforce le caractère très orienté de ce rapport « coulé » dans la pensée unique du dogme du tout marché.

Deux phrases parmi d'autres peuvent résumer cette vision :

« Rechercher tous les moyens de la compétitivité et se lancer à la conquête des marchés extérieurs » (mais c'est d'ailleurs ce que font et ont fait France Télécom et EDF) et « Faire des entreprises publiques des entreprises comme les autres ».

Ce rapport est un hymne à la gestion privée et à la marchandisation aggravée de l'économie. Il encourage la disparition programmée des entreprises publiques et souhaite les livrer aux marchés financiers.

La gouvernance des entreprises publiques qui a servi de prétexte à cette commission d'enquête est certes une question importante, et nous avançons dans cette contribution des propositions, mais ce thème sert ici à masquer des choix qui sont d'abord d'ordre politique et stratégique.

L'ancien directeur financier de France Télécom le confirmant à sa façon : « Le problème n'est pas une question de gouvernance mais de choix stratégique et politique », et chacun sait que ces choix sont uniquement centrés sur la rentabilité financière soumise aux contraintes d'une concurrence dont la violence ne cesse de grandir au détriment du progrès social et humain auquel peut prétendre l'Humanité en ce début de XXIème siècle.

Il n'est pas surprenant dans ces conditions que ce rapport reprenne à son compte l'idée centrale du rapport Barbier de La Serre commandité par M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, - idée que le ministre a décidé de mettre en œuvre - à savoir : une Agence des participations de l'Etat dont le rôle essentiel sera de faire prévaloir les intérêts de l'Etat en tant qu'actionnaire.

Cette priorité relègue au second plan les objectifs de service public et le rôle d'aménagement des territoires.

En cohérence avec cet objectif, le conseil d'administration est vidé de compétences essentielles. Les représentants du personnel y sont « dans l'immédiat » encore acceptés. Les contrôles sont, pour la plupart, supprimés et la gestion devra suivre le modèle du privé.

La finalité des entreprises publiques, leurs objectifs, les conditions d'accomplissement de ces objectifs ne sont absolument pas évoqués.

Ce rapport constitue donc une des pièces, parmi d'autres, d'une formidable offensive qui concourt à remettre en cause le service public, le progrès social, l'égalité entre citoyens qui sont l'expression d'une culture progressiste et d'une vision humaniste de la France et du Monde.

Les députés du Groupe Communistes et Républicains sont conscients que les entreprises publiques sont placées au défi de renouvellements très profonds. Nous identifions quatre enjeux de renouvellement qui concernent les principes généraux qui gouvernent leur activité, leurs principes stratégiques, leurs principes de gestion, leurs principes de pouvoir.

1.- RENOUVELER LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DES ENTREPRISES PUBLIQUES

Les entreprises publiques sont confrontées à une évolution extrêmement rapide des principes généraux qui gouvernent leurs activités et leur fonctionnement. C'est le cas notamment de celles d'entre elles qui offrent des services de réseau.

Cela renvoie aux défis de la révolution technologique informationnelle avec, particulièrement, la montée irrépressible des besoins de partage des coûts et des résultats des recherches, des débouchés, avec la nécessité de décloisonnement et de sortie de toutes les anciennes rigidités.

Mais ces transformations ont été engagées sous la pression des marchés financiers, des dogmes ultra-libéraux de la commission européenne, du recours aux privatisations. Cela a poussé l'exigence de rentabilité financière au sein même des entreprises publiques.

C'est dans ces conditions que l'on est passé de la situation ancienne de monopoles nationaux d'Etat à une concurrence monopolistique européenne et mondiale, avec l'ouverture au marché. Les anciennes sociétés d'Etat ont organisé les partages nécessaires de façon monopolistique dans le but de concurrencer les rivaux.

Certes, ces partages ainsi organisés ont constitué un type de réponse aux problèmes nouveaux posés par la révolution informationnelle. Mais, cela s'est accompagné de gâchis énormes, de double emploi, d'insuffisance de qualité des prestations offertes et, au total, d'une irresponsabilité sociale grandissante des entreprises concernées.

Désormais, il est devenu indispensable de chercher à dépasser le dilemme entre le maintien ou le retour, bien improbables, des situations de monopoles d'Etat et la fuite en avant dans une mise en concurrence monopolistique à l'échelle de chaque pays, de l'Europe et du monde.

Nous proposons plutôt d'aller vers un nouveau type d'entreprises publiques qui seraient elles-mêmes très ouvertes et coopérantes, au lieu d'être fermées et repliées sur leurs emprises nationales. Il s'agit, selon nous, de chercher à promouvoir une structure nouvelle permettant de maîtriser les coopérations avec les services publics européens et au plan mondial, dans le cadre notamment d'accords très développés et démultipliés de sociétés jointes.

Et plutôt que de mettre en cause les statuts et les droits acquis par les personnels de ces entreprises avec une mise en concurrence ravageuse comme aujourd'hui, il s'agit au contraire d'impulser des coopérations très intimes, franco-françaises et européennes, notamment pour sécuriser l'emploi et la formation de chaque salarié-e.

2.- RENOUVELER LES PRINCIPES STRATÉGIQUES

Les entreprises publiques sont confrontées aussi à la nécessité d'une révision très profonde de leurs principes stratégiques.

Le rapport fait allusion à l'énorme croissance externe « non maîtrisée » de France Télécom ou EDF. Mais cela ne tombe pas du ciel ! Ces processus plongent leurs racines dans le fait que ces anciens monopoles d'Etat sont engagés dans une concurrence monopolistique et cherchent, en rivalité, à défendre et développer leurs dominations monopolistiques au lieu de coopérer pour partager.

Ce sont d'ailleurs ces mêmes processus de croissance externe non maîtrisée qu'ont connus des grands groupes privés comme Vivendi Universal ou Alsthom, eux-mêmes engagés dans une concurrence monopolistique au plan mondial.

Cela débouche sur la recherche effrénée de partages de coûts par synergies, la conquête obsessionnelle de nouvelles parts de marchés à l'international, alors que l'ancien pré-carré national s'ouvre à la concurrence des rivaux, la fuite en avant dans une croissance financière sans fin pour pouvoir contrôler les réseaux oligopolistiques constitués afin de guerroyer contre les rivaux.

Et derrière ces enchaînements on retrouve tous les problèmes de financement avec l'explosion des endettements, sur le marché financier particulièrement.

Et si les charges sociales des entreprises publiques sont apparues au rapporteur « difficilement supportables », c'est essentiellement à cause de cette logique de développement qui fait en réalité exploser les charges financières. Rappelons à ce propos que si, en 2001, les charges sociales de France Télécom se montaient à 2,6 milliards d'euros, ses charges financières totalisaient, elles, 3,9 milliards d'euros.

Face à cela nous prétendons qu'il n'est rien de plus urgent que de faire reculer l'emprise de cette logique financière et, donc, du marché financier sur les entreprises publiques.

Nous proposons de développer un nouveau crédit bancaire à moyen et long terme à très bas taux d'intérêt tel qu'il introduit une sélectivité dans le financement bancaire de ces entreprises. Plus les investissements qu'elles programmeraient s'accompagneraient de créations d'emplois et de mises en formation et plus le taux d'intérêt de ce crédit serait abaissé. Par contre, il serait relevé si les investissements étaient purement financiers ou visaient à diminuer l'emploi et la masse salariale.

Ce nouveau crédit pourrait être organisé en coopération, de même que les garanties nécessaires. Concernant le niveau national, avec la promotion d'un pôle financier public autour de la Caisse des dépôts et des caisses d'épargne chargées d'impulser une grande mission nouvelle de service public du crédit pour sécuriser l'emploi et la formation. Cela concernerait aussi le niveau européen avec la nécessité d'une création monétaire nouvelle de la Banque centrale européenne (BCE) pour refinancer sélectivement les banques et institutions chargées de promouvoir, dans chaque pays membre de l'Union, ce nouveau crédit. Ainsi, la BCE aurait enfin une véritable priorité à accorder à l'emploi et la formation et devrait, dans ce but, être contrôlée par les parlements européens et nationaux tout en s'ouvrant à l'intervention décentralisée des salariés et des citoyens, dès les bassins d'emploi, pour mobiliser ce nouveau crédit bancaire sur des projets d'investissement sécurisant l'emploi et la formation.

3.- RENOUVELER LES PRINCIPES DE GESTION

Le rapport propose que l'Etat fasse gérer ses participations dans les entreprises publiques et à capitaux mixtes comme un simple patrimoine financier, un vulgaire portefeuille d'actions dont il s'agirait seulement de maximiser la rentabilité espérée en fonction du niveau de risque choisi sur le marché.

Cela conduirait en réalité dans une impasse noire mettant gravement en cause le service de l'intérêt général qu'est censé remplir l'Etat. En effet, loin de réduire les gâchis existants, un tel mode de gestion, en s'opposant plus encore à la mise en œuvre de toute véritable politique industrielle coopérative et en accentuant les facteurs de chômage et de précarisation des emplois avec la pression ainsi encouragée de la rentabilité financière, conduiraient ces entreprises à fuir dans la concurrence monopolistique.

En réalité, les moyens mis à la disposition de ces entreprises exigent, pour pouvoir être bien utilisés, le recours à des critères de performance qui leur fassent rechercher l'efficacité sociale et non la rentabilité financière.

Cet enjeu d'efficacité sociale des entreprises publiques pour créer plus de richesses et d'emplois qualifiés est fondamental. Il requiert une toute autre gestion à partir des titres publics détenus par l'Etat.

Cela étant, le rapport propose de définir précisément les missions de service public que ces entreprises ont en charge. Mais de quelles missions parlons-nous alors ?

En fait, ainsi conditionnées par les critères de rentabilité financière, ces missions ne peuvent être conçues que comme des charges supplémentaires à compenser. Et on sait où cela conduit : le cahier des charges élaboré dans ce but ne peut que se transformer à terme en une peau de chagrin, la rentabilité financière et le marché financier exigeant toujours plus de compensation de l'Etat, lequel n'arrive pas à suivre. La gestion de l'eau en France, jusqu'à l'aventure de Vivendi, en est un bon exemple.

Nous proposons de promouvoir au contraire de nouvelles missions. Les entreprises publiques, aujourd'hui, devraient déployer, à coté de leurs missions traditionnelles de service public, une grande mission nouvelle de lutte contre le chômage et la précarité, de mise en place et d'essor d'un nouveau droit à la formation tout au long de la vie pour chacun. En sécurisant ainsi l'emploi et la formation de tous leurs salariés, avec une mobilité choisie, en recourant pour cela à des critères de gestion d'efficacité sociale, les entreprises publiques sécuriseraient du même coup leurs propres missions traditionnelles de service public.

Ce qui est à l'ordre du jour c'est la responsabilisation sociale, sanitaire, environnementale et culturelle des entreprises publiques. Ainsi, elles contribueraient, par leur gestion et leurs coopérations, entre elles et avec le privé, à tirer toute la société vers une nouvelle visée alternative,
au-delà du « plein-emploi » traditionnel, avec un système de sécurité d'emploi ou de formation pour chacun.

4.- RENOUVELER LES PRINCIPES DE POUVOIRS ET DE STRUCTURES

Le rapport propose la mise en place d'une Agence des participations de l'Etat (APE), avec le souci principal de renforcer et rationaliser le rôle des représentants de l'Etat dans les conseils d'administration, dont par ailleurs, il est envisagé de limiter plus encore les pouvoirs effectifs de décision par la création de divers comités. Et, en laissant entrevoir la fin du tripartisme, le Rapporteur envisage clairement la disparition des représentants élus des salariés et dans un premier temps, il prévoit d'accentuer la pression de la responsabilité civile sur les administrateurs salariés.

C'est certes conforme à la logique financière et de guerre économique dans laquelle la droite veut totalement immerger les entreprises publiques.

Au contraire de cela, nous proposons d'augmenter le pouvoir des administrateurs salariés ainsi que les pouvoirs directs d'intervention des salariés dans la gestion des entreprises publiques, au-delà des conseils d'administration.

Non, les entreprises publiques ne sont pas et ne doivent pas être des entreprises comme les autres. Et parce qu'il s'agit de les responsabiliser socialement, nous proposons de mettre en cause les pouvoirs de ces petits comités techno-bureaucratiques chargés d'encadrer les conseils d'administration qui prolifèrent dans les entreprises privées avec les succès que l'on sait du point de vue des gâchis de fonds et des entorses à la morale.

Simultanément, nous proposons de développer les pouvoirs de contrôle, d'intervention et de contre-proposition des salariés, de leurs organisations, des usagers et de leurs organisations aussi, des élus, sur l'orientation des choix de gestion et stratégiques des entreprises publiques.

De telles préconisations remettraient fondamentalement en cause l'idée même de privatisation, laquelle augmente en fait la façon dont toute décision, imposée par l'exigence de rentabilité financière des actionnaires privés, échappe aux administrateurs salariés et plus largement aux citoyens.

Pour l'ensemble de ces raisons le Groupe Communistes et Républicains se prononce contre ce rapport et ses conclusions.


Accès au début du tome I du rapport

Accès au tome II : auditions

 

__________________________

N° 1004 -Rapport de la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques (M. Michel Diefenbacher)

1 Comité des investissements à caractère économique et social.

2 Commission interministérielle de coordination des salaires.

3 audition du 13 mai 2003.

4 renouvelés depuis 1996, avec l'appellation « de progrès et d'objectifs ».

5 à titre d'exemple, une lettre du 19 février 2001 du ministre des finances à M. Michel Bon rappelle que « le redressement de la structure financière de France Télécom revêt un caractère tout à fait prioritaire ».

6 en application de l'article L. 225-27 du Code de commerce, « il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend (...) des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de la société et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français. Le nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des autres administrateurs ».

7 rapport au ministre des finances de M. Marcel Roulet, ancien président de France Télécom et de Thomson.

8 audition du 8 avril 2003.

9 audition du 3 juin 2003.

10 le CIES est également compétent pour les programmes d'investissement des neufs aéroports de provinces, des ports fluviaux, des ports autonomes et d'intérêt national, de la Société nationale maritime Corse-méditerranée (SNCM), des sociétés concessionnaires d'autoroutes et de Voies navigables de France (VNF).

11 celle-ci intègre notamment la rémunération des contractuels de l'entreprise.

12 audition du 27 mai 2003.

13 en application de l'article 14 du cahier des charges de la SNCF, tel qu'approuvé par le décret n° 83-817 du 13 septembre 1983.

14 en application de l'article 17 du cahier des charges de France Télécom, tel qu'approuvé par le décret n° 96-1174 du 27 novembre 1996, les propositions tarifaires motivées de France Télécom sont soumises aux ministres chargés des télécommunications et de l'économie ainsi qu'à l'Autorité de régulation des télécommunications. A défaut d'opposition ou de suspension notifiée par l'un des deux ministres dans le délai d'un mois suivant la transmission de l'ensemble des éléments précités, ces tarifs peuvent entrer en vigueur.

15 audition du 8 avril 2003.

16 s'agissant par exemple de La Poste, la création de filiales et les prises ou cessions de participations inférieures à un seuil fixé par arrêté font l'objet d'une approbation préalable de la mission de contrôle. L'approbation est réputée tacitement acquise à l'expiration du délai d'un mois à compter de la transmission du projet de décision (article 32 du cahier des charges de La Poste, tel qu'approuvé par le décret n° 90-1214 du 29 décembre 1990).

17 l'article 32 du cahier des charges de La Poste prévoit que pour que pour les opérations supérieures à un seuil fixé par arrêté, les créations de filiales, les prises, cessions ou extension de participations financières décidées par La Poste ou par ses filiales sont soumises à l'approbation des tutelles. L'autorisation est réputée tacitement accordée à l'expiration du délai d'un mois à compter de la transmission du projet de décision.

18 audition du 11 juin 2003.

19 seules quelques entreprises publiques sont aujourd'hui dotées de cette structure, parmi lesquelles Areva, la Banque nationale de développement des petites et moyennes entreprises (BDPME), la CNP Assurances et la Caisse des dépôts et consignations.

20 audition du 28 mai 2003.

21 rapport Korn-Ferry International, Gouvernement d'entreprise, deux visions de la démocratie d'entreprise, la France et l'Allemagne, novembre 2000.

22 rapport du groupe présidé par M. Jean Bergougnoux du Commissariat général du Plan, Services publics en réseau : perspectives de concurrence et nouvelles régulations, avril 2000.

23 MM. Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, François Brottes, Pierre Ducout, Jean Gaubert, Mme Nathalie Gautier, MM. Alain Gouriou et Jean-Marie Le Guen.

24 MM. Charles de Courson et Nicolas Perruchot.

25 M. Jean-Claude Sandrier.


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