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N°1018 (3ème partie)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juillet 2003

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE  (1)

sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité

Président
M. Edouard LANDRAIN,

Rapporteur
M. Christophe PRIOU,
Députés
.
--

TOME I

RAPPORT

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports par eau.

La commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité, est composée de : M. Edouard LANDRAIN, Président ; MM. Jean-Pierre DUFAU et Jean LASSALLE, Vices-Présidents ; MM. Bernard DEFLESSELLES et Daniel PAUL, Secrétaires ; M. Christophe PRIOU, Rapporteur ; MM. Jean-Yves BESSELAT, Maxime BONO, Gilles COCQUEMPOT, Jean-Pierre DECOOL, Michel DELEBARRE, Léonce DEPREZ, Éric DIARD, Mme Marie-Hélène des ESGAULX, MM. Jean GRENET, Louis GUÉDON, Michel HUNAULT, Christian JEANJEAN, Aimé KERGUERIS, Mme Marguerite LAMOUR, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Jean-Yves Le DRIAN, Jacques LE GUEN, Jean-Louis LÉONARD, Claude LETEURTRE, Christophe MASSE, Didier QUENTIN, Mme Hélène TANGUY, MM. Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Alain VIDALIES.

S O M M A I R E

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Pages

première partie : Le naufrage du Prestige et la pollution des cÔtes espagnoles et françaises : le retour de l'inadmissible, trois ans après l'Erika

Deuxième partie : Des évolutions réelles, malgré une apparence d'immobilisme

troisième partie : Quelles perspectives souhaitables et réalistes ? 1111

I.- Au plan national : maintenir la volonté politique 1111

A.- EXIGER, à court terme, des améliorations et la consolidation des « bonnes pratiques » dans la gestion de la lutte contre la pollution 1111

1.- Améliorer la coordination de l'action de l'Etat en mer : une action plus cohérente par une garde-côtes qui ne dirait pas son nom ? 1111

2.- Accentuer le rôle de coordination au niveau de la zone de défense 1515

3.- Préparer le littoral méditerranéen au risque d'une pollution majeure 2222

4.- Le problème particulier du risque de pollution des eaux utilisées pour le refroidissement des centrales nucléaires en bord de mer 3030

5.- Poursuivre les efforts de constitution des stocks de matériels POLMAR-terre 3333

6.- Dégager des solutions opérationnelles à la problématique des lieux de refuge 3434

B.- Inscrire la politique de sécurité maritime dans le temps et dans la réforme budgétaire 4545

c.- Les déballastages et dégazages sauvages : sanctionner et surtout prévenir par le développement des capacités de traitement portuaire 4747

1.- Développer la politique de prévention 4747

2.- Renforcer la politique de répression, afin de dissuader les pollueurs 5454

D.- Des efforts technologiques nécessaires à court ou a moyen terme 5858

1.- A court terme : renouveler enfin les matériels trop anciens, et améliorer les connaissances en courantologie 5858

2.- A moyen terme : mener les études préalables à des applications réelles 6464

e.- Relancer le pavillon français 6969

1.- Enrayer le déclin du pavillon français : un enjeu essentiel pour renforcer la sécurité maritime 7070

2.- Mettre en œuvre des mesures ambitieuses pour restaurer l'attractivité du pavillon français 7272

II.- Au plan communautaire : concrétiser les décisions prises, poursuivre les orientations retenues 7676

A.- Sur le plan opérationnel : donner à l'europe les moyens opérationnels d'une ambition élevée 7878

1.- Donner à l'Agence européenne les moyens d'accomplir ses missions premières et lui conférer de nouvelles attributions 7878

2.- Organiser le retrait des navires à simple coque, en prévoyant des mesures de transition pour éviter la pénurie de moyens de transports 8787

3.- Mobiliser les mécanismes d'assurances comme moyen de sélection des navires ? 8888

b.- Sur le plan des orientations 9090

1.- Prendre l'initiative d'une politique ambitieuse vis-à-vis des pays moins développés 9090

2.- Parvenir à une convergence souhaitable et possible des positions des Etats membres actuels et nouveaux 9696

3.- Faire de l'Union européenne une puissance maritime incontournable engagée en faveur de la sécurité 100100

C.- vers la création de gardes-côtes européens ? 102102

1.- Une transposition du système américain difficile à mettre en œuvre 103103

2.- Vers une coordination accrue des Etats, autour de l'Agence européenne de sécurité maritime 105105

III.- Au plan international : les besoins d'évolution plus marqués se heurtant a des obstacles plus importants 106106

A.- Sécuriser le transport maritime, en particulier du fioul lourd 107107

1.- Chercher les moyens de réduire la production et le transport maritime des fiouls lourds 107107

2.- Appliquer et contrôler les dispositifs existants en matière de sécurité 119119

3.- Anticiper le problème du vieillissement des navires à double coque 125125

B.- Moderniser le droit maritime international 127127

1.- Une évolutivité limitée par les divergences d'intérêts des Etats littoraux et des puissances maritimes 127127

2.- La portée nécessairement limitée de tout dispositif purement régional, dans la configuration européenne 129129

3.- Réformer le droit de la mer : une ambition à terme, qui suppose une volonté indéfectible dans la durée 130130

quatrième partie : le régime international de responsabilité et d'indemnisation doit contribuer à améliorer la sécurité maritime


 

TROISIÈME PARTIE : QUELLES PERSPECTIVES SOUHAITABLES ET RÉALISTES ?

Le bilan qu'il est demandé à la Commission d'enquête de dresser, après l'analyse des actions menées et des mesures prises, après l'Erika et depuis le Prestige, doit souligner l'ensemble de ce qui, a contrario, n'a pas pu être mis en œuvre, et de ce qui paraît aujourd'hui encore devoir faire l'objet de préconisations vigoureuses.

Compte tenu des différents niveaux de responsabilité politique concernés, et par souci de cohérence avec le bilan de ce qui a été réalisé, présenté dans la partie précédente, les observations portant sur les efforts encore à venir seront également présentées successivement au plan national, communautaire, et international, tout en rappelant que la portée des recommandations ainsi formulées va, avec ces trois strates, plutôt, par nature, en décroissant.

I.- AU PLAN NATIONAL : MAINTENIR LA VOLONTÉ POLITIQUE

La sécurité maritime a fait d'incontestables progrès depuis l'Erika mais ces avancées ont toujours été décidées sous le coup de l'émotion, les grands sinistres maritimes étant seuls à même de provoquer une réelle mobilisation qui permet de lancer des réformes, mais qui ne peut suffire à maintenir le cap d'une politique de sécurité maritime.

A.- EXIGER, À COURT TERME, DES AMÉLIORATIONS ET LA CONSOLIDATION DES « BONNES PRATIQUES » DANS LA GESTION DE LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION

1.- Améliorer la coordination de l'action de l'Etat en mer : une action plus cohérente par une garde-côtes qui ne dirait pas son nom ?

Dans l'organisation administrative française, les compétences maritimes demeurent partagées entre plusieurs structures ne dépendant pas de la même autorité politique -Secrétariat général de la mer, Marine nationale, gendarmerie maritime, direction des Douanes, Secrétariat d'Etat aux Transports et à la mer, administrations déconcentrées des Affaires maritimes, CEDRE, ...-, ce qui nuit, bien évidemment, à la cohérence de l'action et à la lisibilité de la politique de sécurité maritime.

La création d'un Secrétariat d'Etat aux Transports et à la mer n'a pas complètement résolu cette difficulté, car de multiples prérogatives de l'action de l'Etat en mer lui échappent, notamment celles dévolues aux préfets maritimes pour le respect de l'ordre public en mer.

La Commission d'enquête estime donc essentiel de conforter le rôle du secrétaire général de la mer qui doit être l'élément moteur de la politique de sécurité maritime et le vigile intransigeant de la mise en œuvre, dans les délais prévus, des engagements du gouvernement.

En particulier, il lui reviendra de garantir que l'action en faveur de la sécurité maritime ne soit pas une succession d'à-coups, mais s'organise dans la durée. Dans cette perspective, il faut notamment prévoir une planification pluriannuelle pour être en mesure de programmer les investissements lourds de modernisation des équipements de surveillance maritime et ceux des bâtiments de remorquage et de dépollution.

Coordonnateur de l'action des services maritimes de l'Etat, le secrétaire général de la mer doit être également soucieux de faire évoluer la politique maritime de la France et veiller à ce qu'une véritable doctrine maritime soit définie dans le cadre de ces mêmes comités interministériels de la mer, dont le rôle doit être consolidé.

La Commission d'enquête suggère en conséquence de donner le plus grand retentissement aux comités interministériels de la mer, car il ne s'agit pas de simples réunions de travail de la « technocratie maritime », mais d'autant d'occasions de définir de manière interministérielle les grandes lignes de la politique maritime nationale. Ces réunions devraient avoir lieu à une fréquence régulière, au moins deux fois par an.

En particulier, la planification des moyens, et plus généralement l'ensemble des décisions d'investissement en équipements utiles à l'action publique en mer, devrait faire l'objet d'un examen systématique en comité interministériel de la mer.

Cette orientation permettrait d'éviter de multiplier des équipements coûteux, partiellement redondants et pas nécessairement complémentaires, et, ainsi que l'indiquait M. Jean-René Garnier, secrétaire général de la mer, « permettrait de tendre vers leur optimisation et, par là même, d'améliorer l'efficacité, voire de supprimer certains surcoûts résultant de la coexistence, sur un même site, de moyens nautiques d'administrations diverses, alors qu'au contraire, il vaudrait mieux en avoir un seul très efficace plutôt que trois petits.

Le port de Nice, par exemple, compte trois vedettes : une vedette des Douanes, une vedette des Affaires maritimes et une vedette des gendarmes, sans compter la vedette de 25 mètres du Service départemental d'incendie et de secours des Alpes-Maritimes. Sur un espace donné, on dispose donc d'un grand nombre de moyens. En l'occurrence, il est probablement nécessaire d'établir des prévisions plus rationnelles des choix d'investissements, lorsqu'ils relèvent de l'Etat ou de son contrôle. »

Dans la gestion opérationnelle, il conviendrait, dans cette même logique, de conforter l'autorité du secrétaire général comme véritable représentant du Premier ministre et comme coordonnateur des préfets maritimes. Lors des situations de crise, l'utilité de cette autorité n'est plus à démontrer et il est vraisemblable que l'autorité administrative du secrétaire général de la mer constitue un atout à préserver, susceptible de faciliter la coordination d'administrations aux cultures très diverses.

En l'occurrence, il n'est d'ailleurs pas certain que, si cette fonction devenait politique, elle gagnerait en autorité, surtout pour organiser la mise en œuvre opérationnelle des plans POLMAR lors de grands sinistres maritimes.

La Commission d'enquête estime donc plus réaliste, au moins dans l'immédiat, de conforter cette fonction plutôt que de proposer la création d'une autorité indépendante chargée de la sécurité maritime, car il serait très difficile de rattacher à une nouvelle structure administrative des services qui relèvent actuellement de ministères et de statuts différents. En revanche, la question pourrait être utilement étudiée d'un élargissement des compétences du secrétaire général de la mer à l'ensemble des questions relevant du littoral.

En particulier, la réorganisation de l'action de l'Etat en mer doit viser l'efficacité, plutôt que la comparaison trop dogmatique avec le modèle américain de la « coast guard », dont on a vu précédemment qu'il ne présentait pas que des avantages.

Toutes les personnes entendues par la Commission d'enquête, interrogées sur l'opportunité de créer un corps de garde-côtes à la française sous une autorité unique, ont laissé comprendre -lorsqu'elles ne l'ont pas dit clairement-, qu'une telle option nécessiterait une véritable révolution administrative, laquelle aurait peu de chances d'être menée à bien, alors que le bénéfice susceptible d'en être retiré paraît assez aléatoire.

L'amiral Jacques Gheerbrant a ainsi fait part de ses réserves marquées sur cette idée : « (...) l'idée des garde-côtes (...) consisterait à fusionner les statuts des différentes administrations travaillant en mer pour en faire un corps unique, éventuellement sous statut militaire. Il s'agit d'une idée audacieuse. Mais je plains celui qui va s'y attaquer. Le statut militaire est très éloigné des « rêves » des fonctionnaires des Affaires maritimes ou des Douanes. Je crois que l'on peut améliorer l'efficacité actuelle sans aller jusqu'à cette extrémité qui représenterait une véritable révolution culturelle pour ces administrations. »

Il a en revanche plaidé pour une coordination renforcée, en particulier une meilleure intervention du préfet maritime dans ce qu'il est convenu d'appeler les « conflits d'usage », c'est-à-dire une meilleure complémentarité entre les décisions prises à terre et celles prises en mer.

Il a conclu en soulignant que les futures lois de décentralisation ne devaient pas conduire à un éclatement, porteur de risques, des responsabilités dans l'action de la puissance publique en mer : « (...) pour ce qui est de l'intervention en mer d'urgence, pour le sauvetage ou la lutte antipollution, je trouverais extrêmement dommageable un partage des responsabilités. La grande force de notre système tient précisément au fait que nous ayons un seul responsable clairement identifié par tout le monde. » L'expérience espagnole du naufrage du Prestige ne semble pas, à cet égard, lui donner tort.

En revanche, il y a lieu, comme le suggérait M. Jean-Yves le Drian, Rapporteur de la précédente Commission d'enquête, lors de son audition par la Commission, de chercher à « sanctuariser » les crédits destinés au préfet maritime pour la sécurité maritime : « (...) il est indispensable que l'on identifie dans le budget de la Défense les moyens affectés à ces tâches [de sécurité maritime]. Sinon, dans les arbitrages que sont conduits à opérer les ministres successifs de la Marine, voire les chefs d'état-major quand il n'y a plus de dangers, la priorité risque de s'émousser. Il conviendrait donc que ces sommes s'imposent au ministère afin que l'autorité pour la mission de service public de sécurité et de protection reste maintenue au préfet maritime dans ses tâches civiles, à la seule condition qu'il dispose de ce moyen de contrôle et de cette sécurité pour les matériels. »

Pour autant, il apparaît particulièrement opportun de chercher à doter le préfet maritime, de manière discrète mais efficace, des moyens équivalents à ceux d'une garde-côtes sans lui donner explicitement ce nom. En effet, le souci d'efficacité devant la multiplicité des structures impliquées impose que le préfet maritime apparaisse impérativement, sur place, dans la gestion opérationnelle directe, comme le responsable de l'ordre public en mer, et comme l'autorité essentielle pour la sécurité maritime.

En l'espèce, comme l'a très bien expliqué l'amiral Gheerbrant : « (...) le préfet maritime dispose en cas d'urgence des moyens des autres administrations. En dehors des cas d'urgence, les administrations disposent de leurs moyens pour leurs missions propres et mettent le reliquat, si j'ose dire, à disposition du préfet maritime pour les missions communes. Il suffit de renverser cette logique et de prévoir que, dès le temps normal, l'ensemble des moyens des administrations est à disposition du préfet maritime qui dégage, dans la mesure de ses besoins, les potentiels nécessaires à l'exécution des missions spécifiques respectives des différentes administrations ».

M. Jean-René Garnier, secrétaire général de la mer, a également entendu justifier la volonté de renforcer les pouvoirs du préfet maritime :

«(...) la France entend renforcer les pouvoirs des préfets maritimes en leur donnant un pouvoir permanent de coordination sur l'ensemble des moyens de l'Etat en mer : Marine nationale, Affaires maritimes, Douanes, gendarmeries maritime et nationale, sécurité civile et société nationale de sauvetage en mer. Ce renforcement des pouvoirs a pour but d'améliorer l'efficacité de façon permanente, et non seulement en tant que de besoin, de supprimer les concurrences et, par là même, d'améliorer la gestion des fonds publics pour éviter les redondances dans les équipements, voire une sous-utilisation de certains de ceux disponibles.

(...) Le fait de coordonner tous les moyens nautiques de l'Etat intervenant en matière de service public de « garde-côtes » permettra de mettre en place un système cohérent de surveillance de notre littoral, non seulement pour les problèmes de pollution mais pour tous les autres problèmes qui doivent faire l'objet d'une surveillance, tels que l'immigration clandestine ou les trafics de drogue. »

Le Conseil interministériel de la mer du 29 avril 2003 a acté cette nouvelle orientation. La Commission d'enquête demande que le nouveau décret traduisant cette évolution importante des attributions du préfet maritime, qui doit désormais avoir une autorité fonctionnelle permanente sur l'ensemble des moyens maritimes de l'administration, soit pris aussi rapidement que possible. Ainsi, le préfet maritime ne sera plus perçu uniquement comme le « gendarme » de la mer, mais comme l'autorité qui organise une cohabitation intelligente de multiples missions publiques en mer et qui se porte garante de l'efficacité des moyens d'intervention publics en mer.

2.- Accentuer le rôle de coordination au niveau de la zone de défense

La crise du Prestige a malheureusement permis de disposer d'un bilan en dimension réelle de l'organisation des services de l'Etat en période de crise et de mettre en lumière les limites des instructions administratives qui définissent la mise en œuvre des plans POLMAR (cf. partie I).

En conséquence, la Commission préconise tout d'abord de renforcer encore le rôle du préfet de zone dans son rôle de coordination, aussi bien pour la préparation des plans POLMAR que pour leur mise en œuvre.

a) Dans la gestion des crises et des moyens, et pour le déclenchement des plans POLMAR-terre

Il paraît tout d'abord indispensable de clarifier davantage les responsabilités respectives du préfet de zone et des préfets de département, dans la gestion opérationnelle des crises, pour éviter des flottements tels que ceux observés au début de la crise du Prestige. Le plan POLMAR devrait, à cet égard, prévoir la procédure de concertation zonale applicable lorsqu'un sinistre survient, pour être en mesure de prendre rapidement les décisions adaptées.

Cette procédure de concertation préalable devrait permettre, en premier lieu, de coordonner au niveau zonal le déclenchement du plan POLMAR dans chaque département : cela ne signifie pas les déclencher ensemble, ce qui n'aurait pas nécessairement de sens, mais en revanche au moins éviter qu'un département ne déclenche le plan POLMAR par anticipation, plusieurs semaines avant l'arrivée de la pollution, quand d'autres départements, touchés avant celui-ci, ne déclencheraient le leur qu'après, comme dans le cas des Pyrénées-atlantiques par rapport aux Landes et à la Gironde. La coordination du déclenchement, si possible décidée au plus près du terrain, éviterait ainsi les effets d'annonces inutiles, voire contre-productifs, et imposerait d'avoir dès le départ précisé les éléments du plan de communication, qui doit être confié au préfet de zone.

Le préfet de zone doit aussi coordonner la planification de l'utilisation des moyens logistiques -dont la crise du Prestige a montré toute l'importance- ainsi que les décisions d'investissements en équipements lourds. La Commission d'enquête propose en particulier de coordonner au niveau zonal les acquisitions de matériels, afin d'éviter les redondances et les lacunes, en étudiant la possibilité d'instaurer un plan POLMAR zonal, complémentaire du plan POLMAR départemental pour les plus gros équipements, par la poursuite des réformes du niveau zonal engagées par le décret du 16 janvier 2000.

Pour les équipements qui l'exigent ou si la pollution présente une ampleur particulière, il devrait également être envisagé d'élargir la démarche de coordination au niveau interzonal, entre zones de défense potentiellement concernées par des pollutions de même type ou affectant des littoraux de même nature. La lutte contre la pollution à terre présente en effet plus d'analogie pour les Pyrénées-Atlantiques avec la Bretagne qu'avec les Landes.

Un effort particulier doit par ailleurs être fait pour aider les collectivités locales à définir des plans d'investissement cohérents et optimisant leurs dépenses, par exemple pour l'acquisition de cribleuses, qui soient ainsi mobilisables facilement en cas de pollution. Dans le même souci d'efficacité, en cas d'urgence, le fonds POLMAR doit pouvoir supporter le remboursement de dépenses d'acquisitions d'équipements, même s'ils peuvent être loués, si l'achat permet de gagner du temps, ou si l'incertitude sur la durée de la crise rend la location potentiellement trop onéreuse.

S'agissant de la gestion du fonds POLMAR, la procédure initiée par la crise du Prestige et conférant au préfet de zone un rôle d'ordonnateur secondaire chargé de centraliser les demandes de remboursement devrait être formalisée dans le texte de l'instruction du 4 mars 2002 relative au fonds d'intervention contre les pollutions marines accidentelles. La Commission souhaite également que la procédure administrative allégée pour les paiements, mise en place par souci d'efficacité par le préfet de la région Aquitaine, soit consolidée : en effet, elle a démontré qu'il était possible d'opérer des règlements très rapides des demandes de remboursement des dépenses engagées au titre de la lutte contre la pollution, même si, une fois l'urgence dépassée, le retour aux marchés publics à bons de commande s'impose, en prenant toutefois soin d'éviter toute solution de continuité. Dans le même sens, des procédures allégées de passation de marchés publics devraient être permises, pour faire face à l'urgence, avec des modalités de contrôles adaptés a posteriori. Ces marchés viseraient notamment les travaux de nettoyage des plages et des rochers.

Une autre mission essentielle du préfet de zone devrait tenir à la mise à jour régulière des plans opérationnels POLMAR-terre départementaux, dont les insuffisances sont parfois manifestes.

Trop nombreux sont en effet les départements dont les plans POLMAR ont dix, voire vingt ans ou plus (Somme, Seine-Maritime, Pyrénées-Orientales, Alpes-Maritimes) et ne sont, selon toute vraisemblance, plus applicables en l'état.

Les dernières mises à jour ne datent malheureusement pas non plus toutes de moins de cinq ans, loin s'en faut. S'agissant de la zone de défense Sud-ouest, la Gironde et les Pyrénées-Atlantiques avaient actualisé leur plan POLMAR-terre peu de temps avant le sinistre. Tel était, en revanche, loin d'être le cas des Landes.

Les retards constatés dans la mise à jour, voire dans l'élaboration elle-même des plans, sont totalement inacceptables, en particulier après les deux accidents majeurs intervenus dans les trois dernières années.

Le préfet de zone devrait, à cet égard, être doté d'un pouvoir de substitution en cas de déficience du niveau départemental, que celle-ci résulte d'une insuffisance de moyens humains et techniques, d'une priorité jugée secondaire par rapport à d'autres plus fréquentes comme les incendies de forêt, ou de toute autre raison.

ANCIENNETÉ DES PLANS POLMAR-TERRE ET MISE À JOUR LA PLUS RÉCENTE

(selon la Direction de la défense et de la sécurité civile)

Département

Date de

l'arrêté créant le

plan POLMAR

Date de sa dernière mise à jour

Nord

08/04/98

Pas-de-Calais

10/09/97

01/06/98

Somme

28/12/79

10/04/84

Seine-Maritime

01/04/79

Eure

Calvados

06/03/01

Manche

22/07/97

Ille-et-Vilaine

31/05/79

01/12/90

Cotes d'Armor

21/12/88

01/01/90

Finistère

17/06/97

10/09/98

Morbihan

08/09/92

Loire-Atlantique

15/12/81

07/03/84

Vendée

01/09/99

05/02/01

Charente-Maritime

14/12/99

20/12/02

Gironde

10/12/02

Landes

19/12/79

05/09/89

Pyrénées-Atlantiques

05/12/02

Pyrénées-Orientales

24/07/84

01/01/95

Aude

13/09/79

01/01/91

Hérault

23/10/81

01/01/91

Gard

23/10/81

Bouches-du-Rhône

15/02/01

Var

02/04/01

Alpes-Maritimes

10/11/94

01/02/95

Haute-Corse

12/02/92

01/03/00

Corse-du-Sud

Février 2002

Saint-Pierre-et-Miquelon

01/02/99

Guadeloupe

27/01/98

Martinique

16/01/01

Guyane

Réunion

23/03/94

Source : Direction de la défense et de la sécurité civile

En contrepartie de pouvoirs de coordination accrus, le préfet de zone doit aussi garantir l'organisation périodique d'exercices d'entraînements au déclenchement des plans POLMAR-terre, éventuellement articulés avec un plan POLMAR-mer, pour s'assurer que les dispositifs prévus sont bien opérationnels, et poursuivre l'effort -mesuré-, mené depuis 1999.

Actuellement, la décision de lancer un exercice dépend du préfet de département, mais l'organisation d'exercices conjoints devrait être systématisée, sous l'autorité de coordination du préfet de zone.

Exercices POLMAR-terre réalisés depuis 1999

ANNEE

DEPARTEMENTS

TOTAL

EXERCICES CONJOINTS

1999

Guadeloupe, Finistère, Vendée, Réunion, Nord, Pyrénées-Orientales

6

L'exercice en Pyrénées Orientales était une opération terre-mer.

2000

Manche, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon (*)

3

L'exercice à La Réunion était une opération terre-mer.

2001

Seine-Maritime/ Eure/ Calvados, Bouches-du-Rhône, Corse-du-Sud (« Antipol 2001 »), Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte.

7

Le premier était une opération interdépartementale.

Les exercices de Corse-du-Sud, de Martinique, de Guyane et de la Réunion comportaient les deux volets mer et terre.

2002

Nord, Ille-et-Vilaine/Côtes d'Armor, Charente-Maritime/Gironde/Landes/Pyrénées Atlantiques ("Gascogne 2002"), Var, Bouches-du-Rhône/Var (« Antipol 2002 »), Saint-Pierre-et-Miquelon.

6

L'exercice dans le Nord était conjoint terre-mer. Le deuxième était une opération interdépartementale. L'opération Gascogne était interdépartementale mer et terre (exercice papier pour le volet POLMAR-terre) de même que Antipol 2002 en Méditerranée (exercice papier sur les 2 volets).

(*) En 2000, aucun autre exercice n'a pu être programmé en métropole, les moyens techniques étant mobilisés pour les plans POLMAR : 5 plans POLMAR-terre déclenchés pour l'Erika, 1 pour l'Ievoli Sun.

Source : DTMPL

b) Dans la gestion des services de l'Equipement

Dans le cadre de l'optimisation de la participation des services déconcentrés de l'Etat à la mise en œuvre des plans POLMAR-terre, que ce soit à titre d'exercice ou en dimension réelle, des modalités particulières de mobilisation des services de l'Etat doivent être prévues en cas de déclenchement d'un plan POLMAR-terre. L'expérience du Prestige a notamment prouvé qu'il était essentiel d'organiser les services de l'Equipement et, dans une moindre mesure, des Affaires maritimes, au plan zonal ou interzonal, de manière à permettre leur implication dans la gestion de la crise, y compris dans des départements à faibles effectifs.

Pour ce faire, il conviendra de prendre les mesures nécessaires pour permettre à ces services déconcentrés de jouer pleinement le rôle attendu globalement d'eux (tours d'astreintes, disponibilité des matériels 24h/24....).

c) Pour la sortie de la crise

Pour ce qui concerne la sortie de crise, il conviendrait enfin de déterminer des modalités opérationnelles de sortie du plan POLMAR-terre, ne lésant pas les victimes de la pollution, mais permettant d'éviter la situation quelque peu ambiguë qu'ont connu les départements touchés, en 1999, par la pollution provenant de l'Erika : le dernier plan POLMAR-terre a été levé, pour le Morbihan, en même temps que les quatre plans POLMAR-terre des départements du Sud-ouest, le 25 juin dernier !

Pour donner aux préfets de département et de zone les moyens de simplifier cette procédure, il est indispensable de maintenir la déconnexion possible de l'utilisation du fonds POLMAR et du déclenchement du plan POLMAR-terre.

Que ce soit en début de crise, avant l'arrivée certaine d'une pollution massive, ou en fin de crise -comme en Bretagne trois ans après l'Erika-, l'absence de déclenchement du plan POLMAR peut s'avérer très utile pour ne pas stigmatiser un territoire, surtout quand il s'agit d'une commune touristique à l'approche de la saison estivale, et pour ne pas empêcher la lutte contre les restes de pollution arrivant éventuellement de manière diffuse.

d) Organiser le retour d'expérience au niveau interzonal et interministériel

Au plan national, et de manière plus pragmatique, le transfert des connaissances et des compétences dans la lutte contre la pollution à terre devrait être systématisé.

Au niveau local, on constate trop souvent que la connaissance, due par exemple à l'implication dans un exercice ou dans un cas de crise réelle récente, disparaît avec les changements d'affectation des agents concernés.

Aussi est-il indispensable, au niveau national, d'organiser au mieux la transmission systématique des informations. A titre d'exemple, pour faciliter l'intervention des différents professionnels dans la lutte antipollution en cas de crise, il apparaît nécessaire d'établir un référentiel de prestations et de tarifs, au niveau national, pour les matériels, les entreprises de dépollution ainsi que pour les prestations de collecte de la pollution en mer par les pêcheurs, afin d'améliorer les délais de réponse, tout en évitant les risques de dérapages inflationnistes opportuniste.

Plus ponctuellement, lors de ses différents déplacements, la Commission d'enquête a dû constater une certaine insuffisance des procédures formalisées pour transmettre les retours d'expérience des sinistres maritimes précédents. Beaucoup, à l'exception de fiches de retour d'expérience qui ne semblent pas connues au niveau national, semble reposer sur une transmission trop informelle.

C'est ainsi que Mme Bernadette Malgorn, préfète de la zone de défense de la région Ouest, a expliqué qu'elle avait pu transmettre à son collègue responsable de la zone de défense Sud-ouest le dossier tirant les leçons du naufrage de l'Erika : « J'ai appelé M. Frémont, que je connais bien, avec qui nous avons des conceptions du métier assez voisines, pour lui proposer une aide technique, avec l'envoi de nos fiches de retours d'expérience et notre documentation technique. Je pense que ce qui pouvait être fait -parce que chaque situation a ses propres caractéristiques- l'a été, même si tous les moyens dont nous disposions n'ont pas été utilisés d'emblée. »

En revanche, cette doctrine administrative, tirée du naufrage de l'Erika, ne semble avoir été exploitée par aucun service des administrations centrales de l'Etat, du moins à la connaissance de la Commission d'enquête.

Cette apparente carence de l'organisation administrative a été aussi soulignée par le colonel Mené, chef de l'état-major de zone à Marseille : « (...) il n'y a pas suffisamment d'inter-ministérialité dans la prise en compte du retour d'expérience et de redistribution tant des enseignements que des nécessités d'acquérir des moyens et des formations, tous services confondus. »

Même si le CEDRE a joué un rôle positif pour diffuser des informations précieuses sur les acquis des catastrophes antérieures, il paraîtrait judicieux que la Direction de la sécurité civile se charge plus systématiquement de ce transfert, au moins au niveau administratif, porteur de gains de temps, d'efficacité et d'économies. En tout état de cause, même si chaque pollution majeure comporte des spécificités, il est indispensable que ceux qui sont « au front » puissent bénéficier de l'expérience chèrement acquise par leurs prédécesseurs.

3.- Préparer le littoral méditerranéen au risque d'une pollution majeure

La mer Méditerranée présente des risques spécifiques et serait particulièrement vulnérable en cas de pollution majeure. Elle appelle donc une attention toute particulière.

a) Une zone relativement épargnée, mais potentiellement à risques

Mer quasi fermée, la Méditerranée est menacée de devenir une mer morte en raison des ponctions sur sa faune faites par la pêche industrielle et peut-être surtout de la fréquence des dégazages sauvages, que l'on a pu constater dans les semaines passées.

Dans « Les voyous de la mer », Christian Buchet cite une étude du WWF (World wide foundation) qui montre que, pour 14% du littoral, la Méditerranée constitue déjà une sorte de désert écologique tant les habitats marins sont dégradés, et que treize autres zones -parmi lesquelles une bonne partie du littoral de la Côte d'Azur et de la Corse- sont en situation critique. Lors de son déplacement en Méditerranée, la délégation de la Commission d'enquête a été frappée par l'imprévoyance des services qui, à terre, sont théoriquement chargés de prévoir des plans d'intervention en cas de pollution maritime majeure ou de sinistres maritimes qui, à l'instar de l'explosion d'un chimiquier, pourrait causer des dommages graves pour les populations littorales.

En l'espèce, le contraste a paru saisissant à la Commission entre la culture du risque développée par la préfecture maritime et le port de Marseille-Fos et, à l'opposé, la préfecture de Marseille chargée de la zone de défense Sud, qui, depuis le naufrage de l'Erika, ne semble avoir pris que peu de mesures opérationnelles pour être capable de gérer une pollution maritime majeure.

Jusqu'ici, il est vrai, la Méditerranée a été relativement peu touchée par les grands sinistres maritimes accidentels, mais la fréquence croissante des dégazages illicites de grande ampleur prouve que la Méditerranée n'est pas miraculeusement épargnée par les dommages de pollution, et qu'elle doit donc regarder en face le risque de pollution majeure : 28% du pétrole mondial transite en Méditerranée, laquelle est de plus en plus fréquentée par des bâtiments affrétés par des « traders » peu regardants sur la qualité de la flotte utilisée !

Le port de Marseille-Fos est le premier port pétrolier en Méditerranée, avec environ 3 800 pétroliers transitant chaque année sur ses terminaux. Il accueille, de plus, un fort trafic de chimiquiers qui croisent à l'entrée de l'Etang de Berre, dans une zone fortement urbanisée, avec les communes de Martigues et de Port-de-Bouc. Le risque est donc tout à fait « palpable » et il a d'ailleurs conduit le maire de Martigues à exiger des mesures de précautions particulières pour réguler le trafic à l'entrée de l'Etang de Berre, qui ont été mises au point par les autorités portuaires et les utilisateurs du port. Sur ce dossier, ce sont les parties directement concernées qui ont élaboré un plan de sécurité local, -qui doit être entériné par un arrêté préfectoral-, mais sans supervision par le préfet de zone, alors que le plan traite de l'organisation de mesures de sécurité maritime dans la zone d'interface entre la bande littorale et la zone maritime.

b) Une préparation manifestement insuffisante

L'audition à la mi-avril de M. Yvon Ollivier, alors préfet de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et de la zone de défense Sud, et de M. Maurice Michaud, sous-préfet délégué à la sécurité civile, a permis de cerner certaines lacunes de l'organisation de la prévention du risque de pollution maritime dans la région.

L'organisation de la zone de défense Sud en matière de sécurité civile semble en effet centrée autour de la lutte contre les incendies de forêt -fréquents, il est vrai, en été-, alors que les risques industriels et maritimes paraissent sous-évalués.

M. Ollivier a d'ailleurs reconnu que l'habitude de mener des opérations communes entre l'état-major du préfet de zone et plusieurs départements dans le cadre des opérations de lutte contre l'incendie faciliterait la coopération entre les départements pour la lutte contre les pollutions marines, mais il a fait part de ses craintes sur le caractère opérationnel de cette coopération.

Force est de constater que, depuis le naufrage de l'Erika, la sécurité maritime ne semble pas avoir constitué une véritable priorité pour la préfecture de zone, ni d'ailleurs véritablement pour toutes ses préfectures départementales, même si certaines ont sans doute fait plus d'efforts en ce sens que d'autres, notamment les Bouches-du-Rhône. De même, le port autonome a également fait les efforts nécessaires pour organiser sa propre lutte contre a pollution par les hydrocarbures. Il a d'ailleurs dû faire face, avec succès, le 21 avril 2003, à un déversement accidentel de 15 tonnes de fioul dans le port pétrolier, à Martigues, en raison de la fuite d'une vanne de vidange d'une cuve de rétention servant à recueillir les écoulements de fioul lors du chargement des navires. Les marins-pompiers ont, à cette occasion, installé 800 mètres de barrages qui ont permis de confiner le fioul dans la zone du déversement, avant de le pomper avec huit camions pompes d'une société privée.

M. Ollivier a, pour sa part, dressé un tableau assez lucide de la situation en déclarant : « Je considère que notre état-major de terre est aujourd'hui très bien armé en matière de lutte contre les incendies de forêt, alors que j'ai quelques doutes sur sa capacité à faire face aux risques liés à la mer, que ce soient les risques de pollution, de naufrage ou d'arrivée impromptue de réfugiés sur nos plages, comme nous avons pu le voir à Fréjus il y a maintenant un an. Nous aurions besoin d'améliorer la coordination entre les multiples intervenants des différents départements et nous sommes en train d'étudier comment rendre cette coopération plus opérationnelle. »

La première carence apparaît dans la mise à jour des plans POLMAR, qui a pris beaucoup de retard et qui n'a pas encore fait l'objet d'une coordination au niveau zonal. L'une des missions du préfet de zone consiste pourtant à s'assurer de l'homogénéité des plans des différents départements et de veiller à la cohérence entre le dispositif à terre et le plan de lutte en mer défini par le préfet maritime.

En tout état de cause, rares sont les plans de la zone dont la dernière actualisation date de moins de cinq ans, à l'exception des Bouches-du-Rhône et de la Haute-Corse, ce qui ne paraît guère admissible.

Ancienneté des plans POLMAR-terre de la zone sud

(selon la préfecture de zone)

Département

Date de l'arrêté créant le plan

Date de mise à jour

Alpes-Maritimes

10.11.94

Gard

12.04.79

Aude

13.09.79

Hérault

23.10.81

28.02.84

Pyrénées-Orientales

01.01.80

17.06.95

Var

17.05.01

Corse du Sud

17.12.96

Haute-Corse

12.02.92

03.12.01

Bouches-du-Rhône

15.02.01

Source : Préfecture de la zone Sud

Sur ce point les déclarations de M. Ollivier apparaissent quelque peu surprenantes, car non seulement le travail de coordination des plans semble balbutiant, mais le recensement des moyens opérationnels s'avère imprécis ! Il a ainsi indiqué :

« J'ai demandé à M. Michaud de faire le point sur la mise à jour de l'ensemble des plans POLMAR-terre, de façon à ce que nous soyons en mesure de jouer un rôle d'harmonisation et de permettre l'échange des bonnes pratiques entre les départements. Néanmoins, nous avons d'abord laissé travailler chaque département de son côté et nous commençons seulement à mettre en commun toutes ces expériences départementales. (...)

Nous devons mener ce travail dans les mois à venir, tant pour nous assurer de l'homogénéité suffisante des plans que pour dresser l'inventaire de tous les moyens disponibles : inventaire que je considère aujourd'hui comme incomplet.

Dans chaque département, les moyens matériels sont regroupés dans des stocks pré-positionnés en des endroits déterminés. Il reste à faire un inventaire plus précis de ces moyens et à voir si nous avons vraiment tous les moyens nécessaires, ma crainte étant que nous ne disposions pas de suffisamment de barrages sur les côtes. »

Les membres de la délégation de la Commission, élus de la région ont ainsi été tout à fait étonnés d'apprendre qu'en cas de sinistre, la préfecture de zone n'aurait même pas disposé d'un recensement précis des moyens existants pour organiser les moyens de lutte !

Fort heureusement, interrogé sur le recensement des moyens disponibles dans la zone de défense Sud, l'autorité opérationnelle, c'est-à-dire le colonel Mené, chef d'état-major de zone, a tenu des propos plus rassurants et a certifié disposer de cet inventaire : « J'ai ici la liste par département. Nous avons les longueurs de barrage, le nombre de pompes. Pour sa part, l'état-major de zone ne dispose pas de moyens en propre ; il ne fait qu'activer les moyens des autres services. »

Mais la suite de cette audition a révélé que l'état-major de zone ne disposait pas d'une connaissance précise des lieux possibles de stockage de déchets, le colonel Mené ayant précisé que le recensement des zones de dépôts relevait de la compétence de la DRIRE et de la DIREN. Plus surprenant est son commentaire selon lequel les plans POLMAR départementaux devaient « probablement » avoir dressé un inventaire des sites possibles !

Le colonel Mené a également fait observer que les dispositifs POLMAR-mer et POLMAR-terre feraient l'objet d'un exercice en octobre prochain, en coordination avec la préfecture maritime, et qui permettrait d'évaluer les faiblesses de l'organisation actuelle, en réalité déjà connues : « De la même façon, cet exercice mettra en lumière les plans POLMAR-terre et permettra de montrer les carences des lieux de stockage, qui constituent l'une des raisons de l'instruction du 4 mars 2002. Or la plupart des plans POLMAR de la zone sont antérieurs à 2001, donc, antérieurs à ces instructions prévoyant des lieux de stockage ».

Concernant l'actualisation des plans POLMAR, la Commission d'enquête ne peut se satisfaire du constat du colonel Mené -même s'il correspond à une réalité administrative- selon lequel : « Nous pouvons difficilement nous mettre à la place des préfets de département car chacun est autonome dans son département. Nous pouvons et allons impulser la démarche et leur fournir les éléments pour ce faire mais, concrètement, c'est le préfet qui décide ».

Il est indispensable d'exiger une actualisation de ces plans, dès la fin de l'exercice prévu en octobre.

c) Donner les moyens à la préfecture de zone de coordonner la lutte antipollution 

Il semble indispensable de renforcer le rôle de coordination de la préfecture de zone dont l'état-major semble sous-dimensionné, et d'améliorer les modalités de la coopération avec la préfecture maritime.

Le colonel Mené a insisté sur l'ampleur des missions qui sont confiées à la préfecture de zone, qui ne dispose pas, en son sein, des ressources humaines nécessaires pour jouer un rôle moteur dans la mise en œuvre d'une politique de prévention des risques maritimes.

C'est ainsi qu'il a déclaré : « (...) je me suis aperçu très vite d'un déséquilibre entre l'ensemble des missions que nous avons évoquées tout à l'heure, c'est-à-dire la coordination opérationnelle et la planification en défense et sécurité civile, et les quelques dizaines de personnes qui sont en poste à l'état-major de zone. Le panel de compétences n'est pas forcément suffisant pour couvrir l'ensemble de nos missions, comme par exemple les séismes, les inondations, les plans POLMAR, les BIOTOX, les PIRATOX et tous les plans de ce type ».

Le colonel Mené a donc proposé au préfet de constituer un pôle de compétence littoral animé par un spécialiste et de mettre en place un groupe de travail associant la DIREN, la DRIRE, la DRASS et tous les départements concernés, pour organiser et animer la réflexion sur POLMAR et les plans SECNAV notamment.

Cette suggestion a été avalisée par M. Ollivier, qui a également souligné durant son audition la nécessité de renforcer les liens avec la préfecture maritime : « Je souhaiterais donc qu'il y ait à l'intérieur de l'état-major de la zone de défense une équipe spécialisée chargée de ces problèmes de gestion de la mer pour nous permettre d'assurer pleinement nos missions et qui travaillerait en liaison avec la préfecture maritime. Actuellement, nous manquons un peu de compétences pour gérer le risque maritime ; c'est pourquoi j'aimerais mobiliser notamment le bataillon de marins-pompiers de Marseille, qui a une forte expérience en la matière et qui travaille depuis longtemps avec la préfecture maritime. Pour mener à bien ce projet, nous sommes en train de renforcer la partie de l'état-major chargée de ces questions maritimes. »

La Commission approuve pleinement cette initiative qui aurait dû être prise plus tôt pour permettre sans attendre une véritable gestion du risque maritime en Méditerranée.

M.  Michaud a d'ailleurs bien résumé l'étendue de ce qu'il restait à faire, en assignant des objectifs ambitieux à ce groupe de travail : « De ce groupe, nous attendons d'ici deux mois une relecture des plans, les injonctions qu'il conviendra de prendre si ceux-ci sont trop obsolètes, et un inventaire des moyens opérationnels. Voilà comment cela devrait fonctionner, et comment cela n'a pas fonctionné suffisamment au niveau de la zone de défense. Nous espérons que ce travail de réorganisation portera ses fruits. »

M. Jean-Louis Fillon, adjoint du préfet maritime de Méditerranée pour l'action de l'Etat en mer, a souhaité, pour sa part, relativiser la gravité de la situation en Méditerranée en indiquant que la coordination mer-terre était une innovation post-Erika et qu'une période d'adaptation lui paraissait, en conséquence, nécessaire. Il a cependant reconnu que de gros efforts restaient à faire à l'occasion d'un exercice papier entre la préfecture maritime, la préfecture de zone et les services de la préfecture du Var, qui s'est déroulé en avril dernier :

« Ce qui est plus préoccupant à la lumière de l'exercice du mois d'avril dernier, c'est la méconnaissance que les uns peuvent avoir de l'organisation des autres. Les représentants de la préfecture du Var qui étaient chez nous découvraient notre organisation. Ils sont tout de même à Toulon. Il y en a autant pour nous, sauf qu'ils ont plus à apprendre de nous que l'inverse, car nous ne nous occuperons pas des pollutions à terre tandis qu'eux doivent anticiper les pollutions qui se passent en mer et, donc, être bien informés de ce que nous faisons. Il y a une difficulté de communication, presque culturelle, entre l'administration maritime au sens large et les administrations terriennes.

La deuxième difficulté, dont le colonel Mené a déjà dû vous parler, tient au fait que les zones de défense ont vu leurs attributions considérablement élargies, notamment dans ce domaine et je crois -on nous le dit, en tout cas- que leurs moyens n'ont pas été réévalués au même niveau. Donc, je pense que, en ce qui concerne la prise en charge de ces responsabilités nouvelles, notamment de coordination en matière de lutte antipollution non seulement côté préfet maritime mais aussi entre les préfectures de département, ils ne se sentent pas très armés pour répondre à cette mission nouvelle. »

M. Jean-Louis Fillon a enfin souligné l'utilité d'exercices en grandeur nature, analogues à celui du mois d'octobre prochain, pour amorcer une véritable culture de coopération opérationnelle entre les services de la préfecture maritime et ceux des préfectures départementales.

Il serait particulièrement opportun, pour permettre à la Commission d'enquête d'apprécier la réalité de la situation et les efforts encore à consentir pour améliorer la préparation à la gestion de la crise, qu'une délégation de membres de la Commission puisse assister à l'exercice ainsi prévu, même si la Commission aura, à cette époque, achevé ses travaux en tant que telle.

d) Des moyens insuffisants, à compléter

Outre ses observations concernant l'organisation du dispositif de lutte contre la pollution maritime, la Commission d'enquête tient à attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de renforcer les moyens logistiques à disposition en Méditerranée.

L'ensemble des personnes entendues a fait part à la Commission d'enquête, à des degrés divers, de la vétusté de certains équipements, mais aussi de moyens quantitativement insuffisants, surtout si, malheureusement, une pollution de grande ampleur devait se produire.

Cet état de fait est ancien, comme l'a rappelé M. Eric Brassart, directeur général du port autonome de Marseille : « Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention du gouvernement et du ministre sur le fait que la situation actuelle de la France fait que nous ne sommes pas capables de faire face à un problème en même temps sur l'Atlantique et la Méditerranée, puisque chaque fois que nous en avons un sur l'Atlantique, nous nous départissons de nos matériels, ceux du port autonome et ceux du service des Affaires maritimes, pour les envoyer sur l'Atlantique. Si tout va bien sur l'Atlantique, nous sommes à peu près en situation de faire face à quelque chose qui se passerait en Méditerranée dans le ressort français. Mais nous pouvons aussi être victimes d'un accident se produisant dans un autre ressort, pas loin. »

L'amiral Pierre-Xavier Collinet, préfet maritime de Méditerranée, a, pour sa part, tenu sur ce sujet des propos mesurés, mais il a souligné que la mise en œuvre de la nouvelle zone de protection écologique (ZPE) nécessiterait des moyens supplémentaires, notamment aériens, afin de pouvoir exercer une surveillance à plus grande distance de la côte. Il a aussi fait remarquer que les mesures dites « Malaga » supposeraient de disposer de moyens d'intervention complémentaires.

Un consensus s'est également dégagé pour souligner l'urgence de remplacer enfin les Super-Frelon quarantenaires et, dans le cas où le programme NH 90 destiné à leur succéder ne serait pas assez rapidement opérationnel, de trouver des solutions alternatives.

M. Jean-Louis Fillon a, quant à lui, insisté sur la nécessité de mieux organiser les moyens existants : « Nous aurions besoin d'un remorqueur d'intervention supplémentaire. Mais, à court terme, ce que nous comptons faire, à défaut d'avoir des moyens accrus, consiste à mettre en place des opérations combinées air-mer en mobilisant les moyens des autres administrations. Nous voulons renforcer notre action répressive par l'intervention de patrouilles coordonnant mieux l'action des moyens de surface et des moyens aériens pour piéger les contrevenants. D'où, d'ailleurs, la nécessité de renforcer l'autorité coordinatrice du préfet maritime pour mieux ratisser et être plus efficaces en mer.

A mon avis, les moyens réunis de l'ensemble des administrations sont suffisants. Nous avons probablement besoin de quelques moyens spécialisés, hélicoptères lourds hauturiers et remorqueurs d'intervention, mais s'agissant de la surveillance globale, entre les moyens de la Marine nationale et ceux des administrations, notre objectif, si l'on veut bien prendre en compte le fait que les dépenses publiques sont contraintes, tend plutôt à mieux faire travailler ensemble ce qui est déjà disponible. C'est l'efficience qu'il nous faut rechercher et trouver. »

Il est du devoir de la Commission d'enquête de ne pas être aussi modérée que les responsables de la préfecture maritime et de souligner l'urgence de doter la Méditerranée d'un remorqueur d'intervention de forte puissance, tout en conservant le Mérou, qui appareille dès que la force du vent l'exige pour se prépositionner pour les Bouches de Bonifacio, et peut encore rendre des services appréciables. Cette recommandation s'intègre dans celle, plus large, mentionnée plus loin, concernant l'ensemble du parc des remorqueurs, qui doit faire l'objet d'un renouvellement rapide.

La Méditerranée a aussi un réel besoin de deux ou trois bâtiments antipollution et la Commission souhaite qu'il soit possible de les financer à brève échéance, même si cela n'a pas été prévu dans la loi de programmation militaire.

A cet égard, il conviendrait de convaincre les Etats voisins, -Italie et Espagne-, aussi concernés que la France, de s'associer, y compris financièrement, aux décisions d'investissements lourds, s'agissant notamment des remorqueurs, comme cela a été mis en place dans la Manche et la Mer du Nord avec le Royaume-Uni, de façon à mutualiser les moyens.

La Commission souhaite conclure sur la question de la façade méditerranéenne en soulignant la nécessité de parvenir dans des délais très rapides à une organisation de la préfecture zonale opérationnelle pour que sa « cellule littorale » soit en mesure de véritablement impulser une politique de prévention des pollutions maritimes.

La Commission espère enfin que l'exercice d'octobre prochain fera l'objet d'une analyse rapide pour que les enseignements tirés à cette occasion soient immédiatement intégrés dans les plans POLMAR départementaux, qui devront, à cette occasion, être tous actualisés.

4.- Le problème particulier du risque de pollution des eaux utilisées pour le refroidissement des centrales nucléaires en bord de mer

La pollution par des hydrocarbures peut être source de difficultés particulières s'agissant des eaux de mer utilisées pour le refroidissement des centrales nucléaires implantées en bord de mer. En l'occurrence, la question se pose pour la centrale de Blaye, en Gironde, qui produit à elle seule une fois et demi l'énergie utilisée par la région Aquitaine, et pour les quatre situées sur la Manche, en remontant du Sud vers le Nord, à Flamanville, Paluel, Penly et Gravelines.

Les pollutions ne représentent pas de risques sanitaires spécifiques, dès lors qu'elles sont anticipées, mais sont susceptibles d'imposer un arrêt des réacteurs, qui ne serait évidemment pas sans conséquence sur l'alimentation du réseau électrique français. Elles exigent donc un dispositif préventif adapté.

· En ce qui concerne la centrale de Blaye, le directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement d'Aquitaine, interrogé par le Rapporteur de la Commission d'enquête, a indiqué:

« Implantée en rive droite de la Gironde à environ 50 kilomètres de son embouchure, la centrale du Blayais comprend quatre réacteurs de 900 MW dont le refroidissement est assuré en boucle ouverte par l'eau de la Gironde, avec un débit de 42m3/réacteur.

Ce refroidissement est assuré par pompage au droit du site (à 400 mètres environ de la berge) de l'eau de l'estuaire. L'eau de la Gironde présentant une turbidité variable en fonction des saisons et marées, il est nécessaire de la filtrer avant qu'elle ne puisse circuler dans le circuit tertiaire de réfrigération de chaque réacteur d'une part et dans les circuits de réfrigération des systèmes importants pour la sûreté des réacteurs d'autre part. Une pollution par hydrocarbures serait susceptible, dès lors qu'elle atteindrait la station de pompage de la centrale, d'affecter ses moyens de refroidissement, notamment par colmatage de filtres. La perte de la source de refroidissement est prévue par les procédures de conduite accidentelle : elle nécessite d'amener les réacteurs à l'arrêt, dans des conditions de température et de pression de la chaudière nucléaire qui permettent d'assurer la disponibilité des fonctions de sûreté.

A la suite du naufrage du Prestige, et suite au déclenchement du plan POLMAR, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à la centrale nucléaire de lui préciser les dispositions prévues dans le cas d'une telle pollution. En l'occurrence, cette centrale n'est pas équipée de dispositifs fixes destinés à stopper ou ralentir une éventuelle nappe d'hydrocarbures comme cela est le cas sur les centrales de bord de mer.

Des réponses fournies par EDF, il ressort que la stratégie de conduite adoptée par l'exploitant consiste à arrêter les réacteurs selon les conditions de progression de la pollution. L'Autorité de sûreté nucléaire, par décision du 17 janvier 2003, a imposé des conditions d'arrêt restrictives. L'ensemble des réacteurs de la centrale doit ainsi être arrêté et amené dans l'« état de repli » prévu par les procédures de conduite en cas de perte de la source de refroidissement, dans les cas suivants :

- présence dans l'estuaire de la Gironde d'une pollution massive par des hydrocarbures, susceptible d'atteindre le site en moins de 6 heures ;

- arrêt automatique d'une pompe de refroidissement du condenseur du fait de la présence d'une pollution par hydrocarbures au niveau de la station de pompage.

En réponse, EDF a mis en œuvre des dispositions :

- de pré-alerte déclinées en 3 stades en fonction de la progression de nappes ou de tâches d'hydrocarbures en approche, et dans l'estuaire de la Gironde ;

- d'alerte (passage en organisation d'urgence et « repli » des tranches par anticipation) sur la base de la modélisation de la dérive des nappes dans l'estuaire.

L'évolution de la pollution du littoral aquitain telle qu'observée par les pouvoirs publics a conduit à un passage en pré-alerte de niveau 2 le 6 février 2003, puis de niveau 3 le 12 février 2003, pour revenir en niveau 1 le lendemain.

La confirmation d'une pollution dans l'estuaire -ce qui n'a jamais été le cas- aurait conduit à arrêter les réacteurs à titre préventif afin qu'ils soient amenés dans un état sûr. Cette situation est d'autant moins délicate à gérer par les responsables du réseau électrique national qu'elle est anticipée : ceux-ci préparent les ressources énergétiques de substitution et sont prêts à réagir dans de bonnes conditions techniques et industrielles.

Un tel événement, bien qu'il ne se soit pas traduit en mise en alerte de la centrale, doit alimenter le retour d'expérience en matière de prévention de ce type d'agressions externes pour la centrale du Blayais. En effet, son référentiel de sûreté dans ce domaine est apparu insuffisant : le rapport de sûreté du site évoque simplement ce type de pollution pour observer que les hydrocarbures flottent et ne menacent donc pas les installations de pompage immergées. »

· La centrale de Gravelines comprend 6 tranches de 900 MW : c'est le plus grand centre de production d'électricité en France (avec un total de 5 460 MW). Il représente entre 9% et 10% de la production nationale d'électricité d'origine nucléaire. La centrale suffit à elle seule à alimenter toute la région Nord-Pas-de-Calais.

A la suite du naufrage du Tricolor et de la collision du Vicky avec cette épave, des nappes d'hydrocarbures ont été observées les 30 et 31 janvier 2003 dans l'avant-port ouest de Dunkerque et sur la plage du Clippon. La problématique est analogue à celle de la centrale de Blaye, en ce que le refroidissement du réacteur constitue un point sensible en cas de pollution par une nappe d'hydrocarbure. A pleine puissance, la centrale aspire 250 m3/s d'eau de mer, au travers de tambours filtrants.

Le directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement du Nord-Pas-de-Calais, a indiqué les parades existantes au niveau de la centrale en cas de pollution. Celles-ci paraissent, au premier examen, d'une efficacité relativement limitée :

- des masques écrémeurs en béton permettent une parade statique permanente pour arrêter une nappe, mais à condition qu'une partie des réacteurs ait été au préalable arrêtée, afin que le débit d'aspiration soit assez faible pour garantir l'efficacité des barrages ;

- une parade dynamique est fondée sur l'alerte donnée par le port de Dunkerque, avec des échanges avec le CROSS de Gris-Nez ;

- une procédure de conduite des installations en baisse de puissance et d'arrêt en fonction de l'évolution est prévue ;

- une surveillance visuelle renforcée par les agents au niveau des masques écrémeurs est complétée par des capteurs analysant la qualité des échanges thermiques ;

- enfin, les procédures visant à utiliser des capacités d'appoint en eau de refroidissement indépendantes du milieu marin conduisent à l'arrêt total des réacteurs.

Par ailleurs, mais seulement à l'échéance de juin 2004, donc dans un an, est prévue l'installation à demeure par l'exploitant électrique d'un barrage flottant, disposé en amont des écrémeurs, de façon à disposer d'un peu de temps pour procéder à l'arrêt des réacteurs en cas de naufrage à proximité du site (dans l'avant-port ouest de Dunkerque). Le projet consiste en deux longueurs de barrages (environ 150 mètres) tendues entre un pieu au large et deux massifs sur berge, avec un compensateur de marée.

Le port de Dunkerque dispose par ailleurs de 2 240 mètres de barrage, de moyens de récupération des hydrocarbures et de sites de stockage. Le préfet peut également demander au port de réquisitionner des moyens dans d'autres centres.

Tous ces dispositifs perdent cependant de leur efficacité en cas de mer agitée et de forts courants, comme l'a confirmé le préfet maritime Pinon, de manière générale, pour la zone Manche-Mer du Nord : « il est impossible de poser des barrages hauturiers, aucun n'étant en effet capable de retenir la pollution dès lors que le courant dépasse 0,7 nœud. Depuis la catastrophe de l'Erika, 900 mètres de barrages flottants sont arrivés à Dunkerque, mais quand bien même ils seraient mis à l'eau, ils ne pourraient pas retenir la pollution en mer en raison de la force du courant. Seules certaines zones côtières abritées présentent les conditions requises pour l'utilisation d'un tel dispositif. »

En tout état de cause, l'incidence d'une éventuelle pollution par les hydrocarbures sur le fonctionnement des centrales nucléaires de bord de mer exige des mesures appropriées, et un suivi régulier de leur caractère opérationnel et de leur efficacité.

5.- Poursuivre les efforts de constitution des stocks de matériels POLMAR-terre

La première partie du rapport a permis de constater que, parmi les éléments les plus emblématiques -et les plus coûteux- des stocks POLMAR, les barrages flottants, lourds ou légers, ne constituaient pas une réponse efficace à tous les problèmes, et que, en particulier, en présence d'une forte houle ou de courants puissants, leur utilité devenait peut-être plus médiatique et psychologique que réelle.

Ce constat vaut aussi bien dans la Manche et la Mer du Nord, où les courants sont presque partout très puissants, que sur l'Atlantique par gros temps. En Aquitaine, sur les 15,2 kilomètres de barrages reçus, seulement 5,5 kilomètres ont été posés, dont 40% en Charente-Maritime, où la pollution a été mineure.

Néanmoins, les barrages peuvent être utiles dans les autres cas, à l'intérieur des ports, pour protéger des baies, l'entrée d'un bassin, des rias, ... Mais le stock disponible demeure aujourd'hui sensiblement inférieur à l'objectif déterminé par une étude récente menée à la demande de la direction des transports maritimes, des ports et du littoral, achevée en 2003, confiée au conseil général des Ponts et Chaussées, et effectuée par l'ingénieur général Monadier. Celui-ci a conclu à une préconisation de 50 kilomètres de barrages sur l'ensemble des façades de la Manche, de la Mer du Nord, de l'Atlantique et de la Méditerranée, y compris les quelques kilomètres nécessaires pour les DOM.

Or, tout d'abord, après l'Erika, il a fallu, dans le sens demandé par la précédente Commission d'enquête, reconstituer les stocks, qui s'établissaient à 33 545 mètres de barrages au début de 1999, mais qui n'étaient plus que de 30 070 mètres en 2001 après réforme des matériels endommagés par leur utilisation.

L'administration a reçu pour ce faire des crédits exceptionnels dès le 1er février 2000, de l'ordre de 6,1 millions d'euros, et, chaque année, les dotations en loi de finances initiale se sont élevées à 1,22 million d'euros, et 1,3 million d'euros en loi de finances initiale pour 2003.

Stocks de barrages avant la crise du Prestige par centre

(en mètres)

Centre interdépartemental :

Dunkerque

Le
Havre

Brest

Saint-Nazaire

Le Verdon

Sète

Marseille

Ajaccio

Total (y compris outre-mer)

Gros
(1 à 1,7 mètre)

2 600

2 525

4 875

1 590

2 490

1 475

1 700

2 300

20 575

Moyen
(0,8 à 1 mètre)

400

400

1 130

450

600

400

780

300

7 070

Petit

(0,4 à 0,8 mètre)

400

450

600

300

350

650

675

375

4 100

Total

3 400

3 375

6 605

2 340

3 440

2 525

3 155

2 975

31 745

Source : DTMPL

Sans la catastrophe du Prestige, le stock, de 31 745 mètres avant le Prestige, aurait augmenté de 6 kilomètres en 2003, pour atteindre 38 kilomètres. Mais, en fonction du retour des matériels mis en place ou qui auront souffert -car on ignore encore l'étendue des dommages et des conséquences du naufrage du Prestige-,l'objectif des 50 kilomètres -très raisonnable pourtant au regard de la longueur des côtes françaises- s'éloignera plus ou moins.

Un effort devra donc être réalisé pour atteindre le plancher recommandé de 50 kilomètres -soit un écart encore à combler de l'ordre de 14 kilomètres, équivalent à près de 50% du stock actuel- et le maintenir en cas d'utilisation et de dégradation d'une partie du stock. Cet effort représentait un peu moins de 7 millions d'euros en 2002, avant le Prestige, soit, dans l'hypothèse d'une réalisation de l'objectif en 3 ans, 2,5 millions d'euros d'autorisations de programme par an.

6.- Dégager des solutions opérationnelles à la problématique des lieux de refuge

Le sinistre du Prestige a suscité une véritable prise de conscience sur l'importance de la question des lieux de refuges. Pour autant, cette problématique n'est pas nouvelle : l'accueil de navires dans des ports ou des côtes abritées se pratique d'ores et déjà de façon courante. Ainsi que l'indiquait le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, M. Pinon, « Aux termes des définitions du dictionnaire, la notion de port renvoie à celle d'abri, et celle d'abri renvoie à la notion de refuge... Les ports sont donc tous des refuges, et ce depuis la nuit des temps, mais sans référence à l'idée actuellement appliquée. Un bon exemple illustre cette conception : en 1951, l'«On-Liberty-Ship » en provenance des Etats-Unis et se dirigeant vers le Havre est venu s'échouer à La Hague. Il a commencé à polluer la côte, puis a été remorqué vers le port de Cherbourg où il a été placé dans un bassin de construction de sous-marins qui était vide, ce qui a permis de confiner la pollution. Ainsi, dès 1951 et sans le savoir, Cherbourg a pleinement joué le rôle d'un port-refuge. »

Des navires en difficulté sont ainsi régulièrement conduits dans des ports pour y être traités. On peut évoquer un exemple plus récent : en janvier 2003, le Vicky, qui présentait une large brèche à l'avant après avoir heurté le « car carrier» Tricolor, a été accueilli par le port de Rotterdam.

Cependant, dans certains cas, des navires en difficulté ne peuvent être accueillis dans un port ou un lieu abrité, du fait du refus des autorités nationales de prendre le risque de générer une pollution sur leurs côtes, alors que les navires pourraient y être traités et que les risques de pollution seraient alors bien moindres. Il est ainsi permis de penser que si le Prestige avait pu être accueilli dans un port espagnol, l'étendue de la pollution à laquelle il a donné lieu aurait été sensiblement moindre.

A l'inverse, il faut souligner que l'« accueil » de navires en difficulté, surtout s'agissant de pétroliers, exige sans doute des équipements spécifiques, qui ne sont pas toujours disponibles. Ainsi, M. Michel Quimbert, président du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, a-t-il indiqué : « Si l'Erika avait eu la capacité de demander l'accès au port de Nantes-Saint-Nazaire -ce qui n'a pas été le cas- et s'il avait rempli les conditions techniques pour pouvoir gagner notre zone portuaire, je confesse que nous aurions été très embarrassés, car nous n'avions pas les moyens techniques pour accueillir un navire présentant ce type d'avarie. Mais la question ne s'est pas posée car l'Erika a coulé à la suite d'un effondrement rapide et total de sa structure. »

C'est pourquoi il est apparu indispensable de définir des procédures précises de recours à des lieux de refuge, afin d'éviter de telles impasses. La directive communautaire 2002/59/CE comportait des dispositions en ce sens et leur mise en œuvre a été accélérée à la suite du Prestige. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, dans la deuxième partie du présent rapport, trois inspecteurs généraux ont été chargés, dans le cadre d'une mission interministérielle, de proposer une méthodologie de recensement de lieux de refuge potentiels, qui devait être présentée à la Commission européenne avant le 1er juillet 2003, et ne le sera qu'avec quelques jours de retard.

On relèvera d'ailleurs qu'un tel processus avait déjà été engagé à la suite d'une circulaire du secrétaire général de la mer du 2 avril 2002, destinée aux préfets maritimes, qui fixait des orientations sur les dispositions à prendre pour organiser l'accueil des navires en détresse dans les ports.

En s'appuyant sur les différentes auditions qu'elle a menées, et notamment sur celle des trois inspecteurs généraux chargés d'établir la procédure de recensement des lieux de refuge, la Commission d'enquête a tenté de dégager les principes devant présider à l'accueil de navires dans de tels lieux.

Dans cette démarche, la Commission a gardé à l'esprit les propos de M. Christian Frémont, alors préfet de la région Aquitaine : « Concernant les lieux de refuge, je suis convaincu de la nécessité de trouver une solution pour les déterminer, tout en sachant que ce sera très difficile, étant donné la réaction des populations et des élus. (...) Il est difficile de rester sans rien faire. On ne peut pas, après avoir constaté les conséquences du Prestige, simplement attendre le prochain naufrage. Pour les habitants de ces régions, ce n'est pas admissible. »

Cette opinion a été largement corroborée par les élus, qui ont souligné l'évolution de l'opinion publique à l'égard de cette problématique : au vu des conséquences dramatiques des derniers sinistres, les populations sont désormais beaucoup plus sensibilisées à la question des lieux de refuge et semblent prêtes à accepter les conséquences éventuelles de l'accueil d'un navire dans un port pour éviter une pollution de grande ampleur.

a) Définir une méthodologie, de préférence à l'établissement d'une liste précise de lieux

La directive 2002/59/CE précitée prévoit la définition d'une méthodologie de recensement de lieux potentiels d'accueil. Aux termes de ce texte, « les Etats membres établissent des plans en vue d'accueillir les navires en détresse dans les eaux relevant de leur juridiction. Ces plans comportent les dispositions et les procédures nécessaires, tenant compte des contraintes opérationnelles et environnementales, afin de garantir que les navires en détresse puissent se rendre immédiatement dans un lieu de refuge, sous réserve de l'autorisation de l'autorité compétente. »

La directive communautaire ne demande donc pas aux Etats membres d'établir une liste précise et exhaustive de lieux de refuge, mais de définir des plans-types. 2

La Commission d'enquête approuve cette démarche pragmatique : la définition d'une liste de lieux de refuge, assortie d'un mécanisme obligeant ces lieux à accueillir un navire en difficulté, ne constituerait pas une solution adaptée. D'une part, elle pourrait susciter de fortes réactions de rejet par les populations. D'autre part, la complexité et la diversité des situations susceptibles de se produire imposent d'adopter une approche au cas par cas, en prenant en compte l'état du navire, la nature de sa cargaison, les conditions météorologiques et la configuration du lieu envisagé pour recevoir le navire.

M. Jean-René Garnier, secrétaire général de la mer, a ainsi indiqué sur ce point : « Dans ce domaine, les décisions doivent être prises avec circonspection et en tenant compte à chaque fois du risque potentiel, que ce soit un risque de pollution ou d'incendie, selon la nature du produit. (...) Chaque problème devra être traité au cas par cas. »

De même, le préfet maritime de l'Atlantique, M. Jacques Gheerbrant, a tenu à souligner la complexité des décisions d'accueil de navires en difficulté : « Il ne faut pas faire croire à l'opinion publique que l'on va définir des ports-refuge comme l'on définit des aires de repos sur autoroute ou des aires de décélération dans les routes de montagne, cela ne sera jamais aussi simple. La typologie des bateaux en difficulté est extrêmement complexe. Un pétrolier qui fuit n'a rien de commun avec un bateau chargé de nitrate d'ammonium qui risque d'exploser ou un chimiquier dont l'impact sur l'environnement peut être différent. »

Par ailleurs, le recours à un lieu de refuge ne constitue pas la solution optimale dans tous les cas. M. André Graillot, inspecteur général de l'Equipement et membre de la mission interministérielle précitée, a précisé : «  [la mesure adéquate] peut être d'aller en mer ou d'aller vers la terre. Il y a eu des exemples intéressants, notamment celui d'un navire en difficulté, rempli d'essence, qui a tourné un mois en Méditerranée. Il a été de bonne composition, on a pu le vider de son essence, ce qui était un risque considérable. La bonne solution, c'était de l'envoyer en mer et de le laisser brûler en mer. Car on n'amène pas dans un port avec des habitations relativement proches un navire en feu, avec des flammes de 700 mètres. (...) La solution n'est pas toujours le port-refuge.

Il faut regarder les risques que l'on prend en amenant certains navires près du rivage. Dans la majorité des cas, il s'agira de le ramener près du rivage, mais nous ne voulons pas empêcher d'autres solutions, lorsqu'elles sont les meilleures, dans certains cas particuliers. »

Conformément aux orientations de la directive communautaire, la Commission juge souhaitable d'adopter une approche au cas par cas, en définissant un vade-mecum pour chaque site susceptible d'accueillir des navires en difficulté, mais sans établir une liste précise de lieux de refuge, ni introduire de dispositions contraignantes qui ne prendraient pas en compte la complexité et la spécificité de chaque sinistre.

b) Réaliser une typologie des lieux de refuge potentiels

La détermination d'une méthodologie de recensement de lieux de refuge doit tout d'abord se fonder sur une typologie précise de chacun d'entre eux, ainsi que l'ont souligné les membres de la mission interministérielle précitée.

Il convient tout d'abord de définir les lieux qui peuvent accueillir des navires en difficulté : il peut s'agir bien évidemment de ports, mais aussi de rades, de criques, ou des zones d'attente situées à l'entrée des ports, dans lesquelles les navires peuvent se mettre à l'abri pendant plusieurs jours. Il pourrait également être envisagé de créer des lieux de refuge artificiels, spécialement mis en place à cet effet. Cette possibilité a été évoquée en Allemagne, pour la zone du débouché de l'Elbe.

Ensuite, les caractéristiques précises de chacun des lieux de refuge envisagés doivent être listées : il faut notamment préciser les capacités d'accueil des ports ainsi que les installations dont ils disposent et qui pourraient être utilisées pour traiter un navire. Ce processus a d'ailleurs été engagé avec les préfectures maritimes pour les ports de Nantes-Saint-Nazaire et de Brest à la suite de la circulaire du 2 avril 2002 précitée, et se poursuit actuellement.

De même, les risques spécifiques associés à chaque lieu de refuge potentiel doivent être établis : la proximité de villes importantes, de zones protégées, de bassins de conchyliculture ou d'installations nucléaires doit en effet être prise en compte avant de décider d'accueillir un navire susceptible de générer une pollution importante. Ainsi, le préfet maritime Pinon a indiqué : « Comme zone de refuge, Dunkerque apparaît remarquablement bien placée. Pourtant, diriger un pétrolier en difficulté vers le bassin Ouest du port de cette ville ne peut pas être considéré comme une solution. En effet, en aucun cas le bateau ne doit risquer d'y libérer des polluants, car c'est par cette eau que se fait le refroidissement de la plus grande centrale nucléaire française, à Gravelines. »

La Commission estime donc indispensable d'achever le plus tôt possible les études demandées aux préfets maritimes et aux administrations, pour alimenter en données précises et complètes les plans de lieux de refuge prévus par la directive communautaire, afin de permettre aux autorités décisionnelles de disposer de toutes les informations nécessaires pour choisir la solution la plus appropriée en cas de sinistre.

c) Déterminer les autorités décisionnelles

Après avoir établi des plans précisant les caractéristiques des lieux susceptibles de recevoir des navires, il est indispensable de définir avec précision les autorités qui, confrontées à un navire en difficulté, devront prendre la décision de l'accueillir ou non dans un lieu de refuge.

En France, deux autorités sont nécessairement impliquées dans ce processus décisionnel, du fait de leurs domaines de compétence respectifs, et risquent d'entrer en conflit. D'une part, le préfet maritime détient de larges pouvoirs d'intervention en mer : il peut mettre en demeure un navire afin de faire cesser un risque de pollution et imposer, le cas échéant, le remorquage du navire. Cependant, ses pouvoirs s'arrêtent à la limite administrative des ports. D'autre part, l'autorité portuaire peut décider, en application du code des ports maritimes, de laisser ou non entrer un navire dans un port, en prenant en compte les intérêts de sécurité et de sûreté.

Ces deux autorités peuvent donc être en désaccord sur l'opportunité d'accueillir un navire en difficulté dans un port. Ainsi que l'a indiqué M. Roger Bosc, inspecteur général des Affaires maritimes, le problème s'est posé à plusieurs reprises et a alors été traité au cas par cas. La circulaire du 2 avril 2002 précitée a ensuite chargé le directeur du Transport maritime, des ports et du littoral d'une mission d'arbitrage en cas de désaccord.

Cependant, cette solution ne semble pas satisfaisante dans la perspective du développement du recours aux lieux de refuge.

A cet égard, l'exemple du Royaume-Uni peut être utilement évoqué : en effet, un système de prise de décision intéressant a été mis en place en 1999, prévoyant qu'en cas d'incident maritime, une seule personne, le « Secretary of State's Representative » (SOSREP), est chargée de prendre les décisions nécessaires, et le cas échéant, d'amener le navire dans un lieu de refuge (« place of safety »), en s'appuyant sur une cellule d'experts. Le SOSREP constitue une autorité totalement indépendante : s'il travaille dans les locaux de la « Maritime and Coastguard Agency » (MCA)3 et s'appuie sur leurs services, il n'en fait pas partie ; de même, il ne dépend d'aucun ministère et ne peut recevoir d'instructions.

La mise en place d'une telle autorité de décision, unique et indépendante, permet ainsi d'éviter les désaccords et les conflits, sources de confusion et de délais supplémentaires. Il semble que ce système donne d'ailleurs pleine satisfaction depuis son instauration.

Compte tenu de l'organisation française de l'action en mer, qui, de l'avis de toutes les personnes auditionnées, fonctionne bien, il semble souhaitable de confirmer l'autorité décisionnelle du préfet maritime en cas d'incident maritime : ce dernier doit conserver le pouvoir de prendre toutes les mesures utiles, y compris d'amener le navire dans un port ou un lieu de refuge.

En revanche, en cas de désaccord entre le préfet maritime et l'autorité portuaire concernée, la Commission estime nécessaire d'aller au-delà de la procédure d'arbitrage prévue par la circulaire du 2 avril 2002 et de désigner une autorité décisionnelle aussi incontestable et responsable que le modèle britannique, qui devrait sans doute être le Premier ministre.

d) Développer les moyens d'expertise à la disposition des autorités décisionnelles

Le recueil de toutes les données sur les lieux susceptibles d'accueillir un navire en difficulté constitue une première étape essentielle, qui est actuellement en cours et doit être poursuivie.

Dans un deuxième temps, lorsqu'un incident se produit, les autorités décisionnelles doivent pouvoir disposer d'une expertise renforcée, afin que la décision prise s'appuie sur toutes les informations et avis pertinents. Comme l'a souligné le préfet maritime Pinon, le pouvoir décisionnel doit être fondé sur la compétence.

Le dispositif retenu au Royaume-Uni est, à cet égard également, particulièrement instructif : en effet, le SOSREP s'appuie sur un réseau d'experts, comprenant notamment des représentants des autorités portuaires, des armateurs, des sociétés de sauvetage en mer, des sociétés d'assurances ainsi que des groupes environnementaux.

M. André Graillot, inspecteur général de l'Equipement, a indiqué qu'un tel système était envisagé par la mission interministérielle: « En premier lieu, nous avons prévu de renforcer les capacités d'expertise des préfets maritimes, qui peuvent déjà mobiliser les administrations. Nous avons pensé, qu'autour des administrations, il était utile de proposer de renforcer les capacités d'expertise avec des experts des compagnies d'assistance, des experts en assurances, -car c'est très important pour rentrer dans ses fonds. (...)

On peut également imaginer avoir comme experts des pilotes des ports voisins, des commandants de port des ports voisins, des institutionnels comme le CEDRE ou Météo France, ou encore les armements. Les armements nous ont proposé un certain nombre d'experts, notamment des capitaines d'armement. Les armateurs de France nous ont dit qu'ils avaient des personnels à notre disposition, mais ils nous ont fait remarquer que les chantiers navals étaient dans le même cas, et que le Bureau VERITAS pouvait également être associé.

L'idée, en tout cas, vise à constituer un vivier de personnes et d'universitaires connus à l'avance, avec lesquels on a signé des contrats de mobilisation à l'avance. »

M. Graillot a également souligné la nécessité de pouvoir mobiliser rapidement ces experts lorsqu'un sinistre se produit : « Il faut construire une capacité d'expertise pour avoir des personnes immédiatement à disposition, ou un réseau à disposition facilement, par exemple via internet, le jour où la catastrophe survient. Le préfet maritime ne peut pas avoir 25 personnes autour de lui ce jour-là, il doit décider avec seulement 5 ou 6 personnes et il a besoin de s'entourer. Nous avons obtenu une première décision du conseil interministériel de la mer (CIMER) pour que soit affectée au préfet une ligne de crédit lui permettant d'embaucher des experts à l'année, par redéploiement des crédits prévus pour les plans POLMAR. »

Lors de son audition, le préfet maritime Pinon a confirmé l'intérêt qu'il trouvait à un tel dispositif : « Le document élaboré [par la mission interministérielle] prévoit également le financement d'un groupe d'experts. Ce réseau d'experts est indispensable et devra être disponible en permanence tout au long de l'année. Il devra pouvoir se réunir et répondre, au moins à distance, de manière immédiate. Dorénavant, le préfet maritime travaillera conjointement avec ce groupe d'experts et en étroite liaison avec l'autorité portuaire. »

La Commission estime que la constitution d'une cellule d'experts rapidement mobilisable à la disposition du préfet maritime est absolument indispensable pour lui permettre de prendre une décision appropriée, tenant compte de toutes les caractéristiques du sinistre et du lieu destiné à accueillir le navire. La mise en place d'un tel réseau d'experts doit faire l'objet d'un financement ad hoc.

e) Prévoir des mécanismes efficaces d'indemnisation

Le recours à des lieux de refuge présente le risque d'engendrer une pollution très importante dans une zone précise et pose le problème essentiel de la réparation des dommages ainsi subis au nom de l'intérêt général. C'est pourquoi la question de l'accueil de navires en difficulté est indissociable de celle de l'indemnisation des zones affectées, qui doit être rapide et intégrale.

C'est ce qu'a tenu à souligner M. André Graillot : « Le type de décisions dont nous parlons a nécessairement des incidences économiques et financières. Si on ne traite pas préalablement cette dimension financière, il ne sert à rien de réfléchir aux plans eux-mêmes. »

Deux cas doivent alors être distingués. Tout d'abord, si un pétrolier est accueilli dans un lieu de refuge et y déverse une partie de sa cargaison, les dommages pourront être indemnisés dans le cadre de la convention FIPOL, relative aux hydrocarbures. Cependant, ainsi que l'a illustré le naufrage du Prestige -pour lequel les victimes ne seront remboursées pour l'instant qu'à hauteur de 15% de leurs dommages-, le taux d'indemnisation peut s'avérer faible compte tenu du plafond limité du FIPOL, du moins tant que son augmentation substantielle décidée en mai 2003 ne sera pas entrée en vigueur. Par ailleurs, les procédures de remboursement des victimes s'avèrent très lentes et complexes.

Doit être également envisagée l'hypothèse d'une pollution par des produits chimiques : la convention HNS4, conclue en 1996, organise une indemnisation spécifique des victimes de dommages causés par certaines « substances nocives et potentiellement dangereuses » pendant leur transport maritime, sur le modèle de la convention CLC pour les hydrocarbures. Cependant, elle n'est pas encore entrée en vigueur en raison du nombre insuffisant de ratifications. Dès lors, si un chimiquier était amené dans un lieu de refuge et provoquait une pollution importante, les victimes seraient privées de tout dédommagement autre que par la voie judiciaire.

Il apparaît donc que l'indemnisation des lieux de refuge affectés par une pollution ne serait pas assurée de manière satisfaisante par les mécanismes internationaux existants.

C'est pourquoi il est indispensable d'engager une réflexion spécifique sur l'indemnisation des lieux de refuge : les membres de la mission interministérielle ont formulé des propositions en ce sens, en préconisant notamment l'instauration d'un fonds européen. M. André Graillot a notamment indiqué : « Nous sommes très intéressés par l'idée d'un fonds communautaire. Il peut y avoir dans ce fonds européen un aspect de solidarité qui consisterait à dire qu'est délégué au fonds le soin de se substituer aux victimes, dans les actions contre les assurances et pour les demandes de remboursements aux fonds de type FIPOL. Si on donne un peu de trésorerie à ce fonds européen, on pourrait imaginer qu'il indemnise immédiatement les clients, soit directement, soit par le biais du Trésor français. Celui-ci, en effet, ne veut pas faire l'avance lui-même dans la mesure où il ne peut pas anticiper sur ce qu'il va récupérer.

Si vous permettiez d'indemniser plus rapidement par le biais d'un office qui disposerait d'une trésorerie suffisante à Bruxelles, vous auriez permis une avancée dans le domaine des paiements et des remboursements qui serait sûrement très appréciable. »

On relèvera d'ailleurs sur ce point que le texte de la directive 2002/59/CE précitée envisage explicitement la possibilité de mettre en place des mesures communautaires d'avance de fonds et d'indemnisation pour les lieux de refuge, lesquelles pourraient éventuellement conduire à la création d'un fonds européen. En effet, aux termes de l'article 26 alinéa 3 de ce texte : « La Commission [européenne] examine la nécessité et la faisabilité de mesures, au niveau communautaire, visant à faciliter le recouvrement ou le remboursement des frais et dommages encourus lors de l'accueil de navires en détresse, y compris les exigences appropriées en matière d'assurance et autres mesures de sécurité financière ».

La Commission d'enquête estime donc indispensable d'engager rapidement une réflexion approfondie sur la création d'un fonds européen spécifique destiné à indemniser les lieux de refuge, qui permettrait un dédommagement rapide et intégral des préjudices subis, quelle que soit la nature de la pollution. La création d'un fonds complémentaire au FIPOL, le fonds COPE, proposée par la Commission européenne avant que le plafond du FIPOL ne soit fortement augmenté, pourrait être examinée à nouveau dans cette perspective. La réussite du dispositif exigera que dès le premier cas -que l'on ne souhaite pas- où elle aurait à être utilisée, la procédure de lieu de refuge donne lieu à une indemnisation rapide et plus juste que celle, empreinte de trop de juridisme, du FIPOL.

f) Inscrire la problématique des lieux de refuge dans une perspective européenne

Ainsi que M. André Graillot l'a très justement souligné, « Il n'y a plus d'accident national, les accidents sont européens. Dans la Manche, ils sont franco-anglais ou belgo-français. L'Erika a représenté un cas particulier, mais les accidents ne peuvent plus être traités au seul plan national. »

Dès lors, la question des lieux de refuge ne peut être envisagée dans le seul cadre national ; c'est d'ailleurs tout l'intérêt de la directive communautaire 2002/59/CE, qui impose à tous les Etats membres d'établir des plans d'accueil de navires.

Cependant, il est nécessaire de prévoir des mécanismes de coopération et de transmission des plans des lieux de refuge entre les différentes autorités nationales compétentes, sans quoi les dispositions de la directive ne permettront pas de résoudre les éventuels désaccords entre les Etats membres sur l'accueil d'un navire. Ainsi que l'a indiqué M. Pierre Roussel, secrétaire général de l'Inspection générale de l'environnement, « Il est vrai qu'il peut apparaître comme une solution extrêmement simple, lorsqu'un bateau est en difficulté non loin d'une frontière, d'exporter le problème dans le pays voisin. Comme le pays voisin sera tenté de faire la même chose dans l'autre sens, il est indispensable que les autorités disposent des moyens de savoir quels sont les plans respectifs, au sens où l'on vient de l'exposer, par exemple, pour ce qui nous concerne, de l'Espagne, de la Belgique, de l'Italie ou de la Grande-Bretagne. De même, il faudrait que les autorités espagnoles, belges, italiennes et britanniques disposent de nos propres plans. »

M. André Graillot a alors complété cette proposition, en précisant ses modalités : « Au plan international, nous demandons aux préfets maritimes de s'entendre sur un plan pratique avec leurs correspondants au-delà des frontières pour se communiquer leurs plans, prendre des décisions dans différents cas de figure de besoin de lieu de refuge pour pouvoir conclure, par exemple, que le meilleur port est Barcelone, ou Sète, de façon à le savoir a priori car, dans le feu de l'action, il n'y aura plus de temps à perdre pour faire ce choix. »

La coordination en matière de recours aux lieux de refuge pourrait d'ailleurs être introduite dans les conventions bilatérales et multilatérales de coopération, telles le Manche-Plan ou le Biscaye-Plan, ainsi que le proposent les membres de la mission interministérielle. M. Roger Bosc a notamment indiqué : « L'une des préconisations de notre rapport suggérera de compléter ces accords bilatéraux par des dispositions pertinentes relativement aux choix à faire en commun dans le cadre d'une action à mener face à un navire en difficulté. Ceci en appliquant la même méthodologie que celle qui a été expliquée par André Graillot, c'est-à-dire l'évaluation, le choix de la mesure de sauvegarde, entre l'option de maintien au large -avec la difficulté que, en Méditerranée, la problématique sera différente du cas d'un événement qui se passe au large en Atlantique- ou, au contraire, le choix de l'accès dans un port, et le choix de celui-ci.

Ce faisant, nous nous inscrivons dans le processus communautaire, où les groupes d'experts qui ont déjà travaillé sur l'application des directives évoquées s'engagent dans la même voie, et ont souligné la nécessité d'une coopération bilatérale ou multilatérale régionale. »

Compte tenu du caractère international de la plupart des sinistres, la Commission estime indispensable de traiter la question des lieux de refuge dans un cadre européen. Des procédures de coopération entre les autorités maritimes des différents Etats membres doivent être impérativement définies, afin de permettre une prise de décision rapide et efficace. De telles procédures devraient notamment être introduites dans les instruments de coopération bilatéraux et multilatéraux existants.

B.- INSCRIRE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ MARITIME DANS LE TEMPS ET DANS LA RÉFORME BUDGÉTAIRE

La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 impose à tous les ministères de réfléchir à l'organisation de leurs crédits sous forme de missions -éventuellement interministérielles-, elles-mêmes déclinées en programmes, et ceux-ci en actions.

La tentation est grande, dans un certain nombre de ministères, de demander des enveloppes de crédits au titre de leurs missions les plus importantes possibles, en faisant de même au niveau des programmes, de façon à disposer de la souplesse de gestion maximale. Mais une telle orientation présente le risque évident de « noyer » une priorité budgétaire à l'intérieur d'une enveloppe trop globale, en ouvrant la possibilité d'arbitrage de gestion qui soit trop systématiquement défavorable à cette priorité.

Tel est le risque évoqué par M. Christian Serrradji, lors de son audition devant la Commission d'enquête :

« Cette loi pose le principe d'une claire définition des missions de l'Etat, dont l'une est incontournable : la sécurité et notamment la sécurité maritime. On peut, dans cette perspective, légitimement proposer de créer un programme de sécurité maritime qui comprendrait quatre actions : des navires sûrs, une circulation protégée, des équipages sûrs et une logistique assurée.

La totalité des moyens de la sécurité maritime représente deux mille cinq cents agents, plus mille personnes venant des phares et balises, soit un budget de 504 millions d'euros, ce qui n'est pas grand-chose. Bercy considère que c'est un petit programme qu'il faut fondre avec celui de la direction des routes ou la DTMPL (Direction des transports, des ports et du littoral).

Or les ports sont en majorité décentralisés, notamment les ports autonomes. Il n'est donc plus nécessaire d'avoir une grande direction dans ce domaine, il suffit d'un bureau efficace. De plus, la problématique principale concernant les ports est plutôt l'intermodalité que la gestion du portuaire. Il serait préférable de regrouper cette partie dans une grande direction d'infrastructures dans laquelle on retrouverait notamment les voies navigables.

Quant à la compétence en matière de flotte de commerce, soit 210 navires dont tous sont dépendants du dispositif du GIE fiscal - c'est donc Bercy qui décide -, on peut imaginer la rattacher à l'administration chargée du soutien aux entreprises puisque la construction des navires est subventionnée. On traitera alors cette question sous un angle économique, puisque la dimension sociale et la dimension sécurité du navire sont déjà traitées par la DAMGM.

Quant à la gestion du littoral, on pourrait la transférer aux collectivités locales et la partie étatique qui resterait, c'est-à-dire le plan POLMAR-terre, rejoindrait le POLMAR-mer. Un fonctionnaire pourrait faire la synthèse des deux.

Ainsi serait-on plus efficace, sous réserve probablement d'une réforme administrative. »

Les mesures de régulation budgétaire ont fréquemment réduit en cours d'année, y compris en 2003 quelques mois après le naufrage du Prestige, le montant des crédits de fonctionnement destinés à la sécurité maritime. Or ces régulations ont été mentionnées comme constituant de véritables obstacles au fonctionnement régulier des services des Affaires maritimes -et notamment des centres de sécurité des navires-. Dans ces conditions, la Commission d'enquête ne peut qu'appuyer le souhait du directeur de la DAMGM de disposer d'un programme clairement identifié à cet effet, voire d'une programmation pluriannuelle des moyens nécessaires, qui, au demeurant, sont d'un niveau très relatif, par comparaison au coût d'une pollution majeure -et a fortiori de plusieurs.

En particulier, il importe que les efforts consentis sur les deux dernières années en matière de recrutements et de formation d'inspecteurs de sécurité des navires, et de recours aux experts-vacataires, puissent s'inscrire durablement dans le budget de la DAMGM, et que les objectifs de taux de contrôle demeurent systématiquement atteints, sinon dépassés. Il en va de la crédibilité de nos demandes, au plan international, qu'il s'agisse d'exiger des mesures nouvelles, ou l'application stricte des dispositions existantes.

Enfin, sur un autre point, la politique de sécurité maritime française devrait s'imposer d'être exemplaire en matière de transposition des initiatives communautaires et de ratification des conventions répondant utilement à son propre souci d'éviter le renouvellement d'accidents environnementaux majeurs. Dans cette perspective, il reste manifestement une marge de progression (cf. annexe 4 sur la transposition des directives adoptées).

C.- LES DÉBALLASTAGES ET DÉGAZAGES SAUVAGES : SANCTIONNER ET SURTOUT PRÉVENIR PAR LE DÉVELOPPEMENT DES CAPACITÉS DE TRAITEMENT PORTUAIRE

L'ampleur des pollutions résultant des opérations de déballastages et de dégazages sauvages est de mieux en mieux connue et appréhendée, et les sanctions applicables à de tels agissements ont été considérablement durcies, notamment par la loi dite « Le Bris » du 3 mai 2001 relative à la répression des rejets polluants des navires. Cette évolution devrait être poursuivie par le projet de loi « Adapter la justice aux évolutions de la criminalité », qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 23 mai 2003, ainsi que par la proposition de directive communautaire présentée par la Commission européenne le 5 mars 20035, prévoyant des sanctions pénales à l'encontre des responsables de pollutions. Pour autant, la poursuite des auteurs de rejets illicites reste en pratique difficile, ainsi que le montre la comparaison des statistiques de condamnations effectives avec le nombre estimé de pollutions.

Au regard de leurs conséquences extrêmement néfastes, il importe de renforcer avec volontarisme la lutte contre les déballastages et les dégazages sauvages, en agissant tant en amont, par des mesures ambitieuses de prévention, qu'en aval, par une politique de répression rigoureuse.

1.- Développer la politique de prévention

Ainsi que l'a souligné le préfet maritime de l'Atlantique, M. Gheerbrant, lors de son audition, la généralisation des mécanismes de prévention doit constituer un axe fondamental dans la lutte contre les rejets illicites, au regard des difficultés actuelles à poursuivre les auteurs des pollutions.

a) Adapter les installations portuaires

Si les navires procèdent le plus souvent à des déballastages en mer afin d'éviter de payer l'opération de dépôt des déchets dans un port, ils peuvent également agir ainsi faute d'installations portuaires suffisamment nombreuses et ne perturbant pas exagérément les contraintes d'exploitation des navires, lesquelles imposent des escales de plus en plus courtes.

C'est pourquoi le développement d'installations portuaires performantes, et surtout convenablement organisées, de réception de déchets des navires constitue un élément essentiel dans la lutte contre les déballastages illicites.

A cet égard, la directive communautaire 2000/59/CE sur les installations de réception portuaires pour les déchets d'exploitation des navires et les résidus de cargaison dispose que les Etats membres doivent assurer la fourniture de telles installations, répondant aux besoins des navires qui les utilisent, sans leur causer de retards anormaux. A cet effet, elle prévoit qu'un plan de réception et de traitement des déchets doit être élaboré dans chaque port.

Ainsi que l'a indiqué lors de son audition M. Simmonet, directeur de la Direction des transports maritimes, des ports et du littoral, les principaux ports français sont déjà équipés d'installations de réception des résidus des navires, comme le montre le tableau ci-après.

Liste des principales installations portuaires de réception de résidus des navires

Port

Sociétés

Eaux de
ballast
sales

Résidus d'hydrocarbures après lavage
(slops)

Boues et
déchets d'hydrocarbures (sludges)

Eaux de fond
de cale

Boues issues

des filtres à fioul

Capacité de réception (m3)
Débit (m3/heur)

Dunkerque

CFR Total

oui

-

-

-

-

30 000 m3 150 m3/h

ELF BP

oui

oui

oui

-

-

1 500 m3 100 m3/h

APF

-

oui

-

-

-

Inst. mobiles pour slops

Stock Nord

oui

oui

-

oui

-

1 250 m3 20 m3/h

Cie asphaltes

-

-

-

-

-

250 m3, 20 m3/h

Calais

CCI, plusieurs sociétés

-

-

-

-

-

Assistance par camions-citernes

Le Havre

CIM

oui

oui

-

-

-

34 000 m3 1 200 m3/h

Société havraise

oui

oui

-

oui

-

4 800 m3

SEREP

oui

oui

-

oui

-

800 m3, 100 m3/h

Rouen

Shell

oui

oui

oui

oui

oui

10 000 m3 1 500 m3/h

Esso

oui

oui

-

oui

oui

5 000 m3 200 m3/h

Mobil

oui

oui

oui

oui

oui

6 000 m3

Caen - Ouistreham

 

oui

oui

-

-

-

Produits légers
300 m3/h max

Cherbourg

Madeline SA, Lehoux, Napoly

oui

oui

oui

oui

oui

Installations mobiles

Saint-Malo

Société privée

oui

oui

-

oui

oui

 

Brest

CCI

oui

oui

-

-

-

slops 4500 m3 1000 m3/h
eaux lavage 20 000 m3,
1 300 à 3 000 m3/h

Concarneau

Société privée

oui

oui

-

-

-

Installations mobiles

Lorient

Le Teuf

-

-

-

oui

oui

50 m3

SANIROISE

oui

oui

oui

oui

oui

100 m3

SEDIMO

oui

oui

oui

oui

oui

130 m3

Nantes-St- Nazaire

PANSN

oui

oui

-

oui

-

7 000 m3 400 m3/h

ELF/Donges

oui

oui

-

oui

-

8 000 m3 250 m3/h

PA St-Nazaire

oui

oui

oui

oui

oui

2 000 à 3 000 m3/h

Bordeaux

Shell Pauillac

oui

oui

oui

oui

oui

5 000 m3 500 m3/h

Esso

2 100 m3

400 m3/h

Bayonne

SEARMIP
Sanitra Fourrier
Sté dacquoise

-

-

-

-

-

Sociétés privées

La Rochelle

Sté DELFAU

Sté Rochellaise d'assainissement

Abilis

oui

oui

oui

oui

oui

Sociétés privées

Installations mobiles

Sète

ATOFINA

Sermip

-

-

oui

-

oui

Sociétés privées

Installations mobiles

Marseille

RTDH (Fos)

oui

oui

-

-

oui

80 000 m3 250 m3/h

Lavera PAM/GIP

oui

oui

-

oui

-

20 000 m3 1 600 m3/h

Darse automoteur

oui

oui

oui

oui

oui

1 200 m3

Fos PAM/GIP

oui

oui

-

-

-

40 000 m3 250 m3/h

Nice

SNA

-

-

-

oui

oui

9 m3/h

Sud-est assainis.

-

-

-

oui

oui

8 000 m3 400 m3/h

OREDUI

-

-

-

oui

oui

40 m3/h

Source : DTMPL

Cependant, les dispositions de la directive précitée, notamment celles relatives aux plans spécifiques d'équipement des ports, n'ont pas encore été complètement intégrées dans la législation française, alors que l'échéance de transposition avait été fixée au 28 décembre 2002. A ce titre, la France a fait l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne6, même si la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 a déjà instauré l'obligation du dépôt des déchets d'exploitation et résidus de cargaison et précise les sanctions encourues. Il demeure que les dispositions de la directive revêtant en droit français un caractère réglementaire doivent être prévues dans un décret modifiant le code des ports, lequel n'était pas encore paru au moment où ce rapport était écrit.

La délégation de la Commission a pu constater, lors de son déplacement à Marseille, que le port de Fos avait déjà mis en œuvre le contenu de la directive.

M. Joseph Moysan, commandant du Port autonome de Marseille, a ainsi indiqué : « Dans le cadre de la directive sur les déchets, nous avons lancé des appels d'offres et huit à dix sociétés ont répondu -pas toutes sur les mêmes créneaux- pour les déchets solides, les déchets ménagers, les déchets liquides. »

M. Eric Brassart, directeur général de ce même port, a ajouté : « Nous sommes en avance sur ce sujet par rapport [aux autres ports européens], mais aussi par rapport aux autres ports français parce que nous avons traité le problème, grâce au commandant, dès que l'Europe s'en est saisie sans attendre la transcription de la directive européenne en droit interne, ce qui prend dix-huit mois. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous avons pris tout le temps de faire cet appel d'offre pour avoir des prestataires sur chaque créneau d'élimination des déchets. »

De telles initiatives doivent être saluées, et il est indispensable que tous les ports français fassent de même dans les plus courts délais.

A cet égard, lors de la mise en place des plans d'équipement dans les ports, les contraintes de temps des navires doivent être prises en compte, en prévoyant des installations mobiles et d'une utilisation souple. M. Jacques Mangold, directeur général de VIGIPOL, a ainsi indiqué : « Je me suis aussi posé cette question du temps nécessaire au déballastage dans les ports. (...) Il m'a été précisé que, sur certains ports, il existait des équipements fixes près desquels le bateau devait se rendre pour dégazer. Cela peut éventuellement entraîner une perte de temps. En revanche, d'autres techniques, de plus en plus mises en œuvre, utilisent des camions de transport d'hydrocarbure classique. Ces camions, qui se postent près du bateau, lui permettent d'y déballaster directement. Cette opération ne gêne pas l'autre opération qui se fait en même temps, à savoir charger et décharger les cales. Il n'y a quasiment pas de perte de temps avec cette technique. »

De plus, il apparaît souhaitable que les tarifs des prestations soient peu élevés, afin de ne pas dissuader les navires d'y recourir. M. Eric Brassart a ainsi souligné que les tarifs appliqués par le port autonome de Marseille étaient relativement faibles, notamment au regard de ceux pratiqués par les autres ports de la Méditerranée, et il a indiqué qu'il lui semblait préférable de ne pas les augmenter : « Le déballastage représente des recettes très marginales et si nous augmentons les tarifs, nous risquons de décourager certains usagers de la station de venir. En conséquence, cela risque d'encourager la pollution et celle-ci coûte bien plus cher, y compris en moyens du port, lorsqu'elle se produit.(...) Donc, nous maintenons les tarifs de déballastage actuels, qui sont manifestement bas. » Une telle approche semble en effet rationnelle au regard du coût effectif des pollutions, même si elle conduit le port à être déficitaire sur ce type de prestations.

Quelques éléments de coût comparés des « déballastages » en zones portuaires

Les coûts de déballastage des eaux mazouteuses sont variables selon les ports:

- à Marseille, un montant forfaitaire de 200 euros pour 200 m3 puis proportionnel avec le volume déchargé ; il peut atteindre 560 euros pour 2000 m3 par exemple. L'utilisation d'un poste pétrolier pour le déballastage s'accompagne d'un minimum de perception de 181 euros avec un abattement de 50% pour les navires qui effectuent des opérations commerciales ;

- au Havre le coût est nul pour les navires qui effectuent des opérations commerciales, il est inclus dans la prestation de chargement. Les navires qui fréquentent le port de manière occasionnelle sont facturés à l'heure (2 032 euros/heure) et le coût moyen de la prestation est de l'ordre de 7 000 euros ;

- à Bordeaux, le coût moyen de la prestation est plus élevé, de l'ordre de 1 500 euros.

Le traitement des eaux de cale machine est au Havre de l'ordre de 1 200 euros (pour 15 m3 en moyenne). Ce coût est sensiblement le même dans tous les autres ports français ou européens (à Rotterdam, ce coût est de 68 euros/m3). Cette prestation est toujours assurée par une entreprise privée.

Concernant les tarifs pratiqués par les ports européens, différentes politiques sont également mises en œuvre:

- les autres coûts pratiqués en 2001 par le port de Rotterdam : 80 euros/m3 pour les huiles usées et 102 euros/m3 pour les rejets provenant des machines ;

- les ports riverains de la Baltique, intègrent le coût de cette prestation dans les droits de port,

les ports flamands dans le cadre de la transposition de la directive européenne ont opté pour un système de caution en fonction de la taille et du type de navire (6 classes) remboursable après dépôt des déchets, les coûts de traitement étant bien évidemment payés au prestataire de service. Le remboursement de la caution n'intervient qu'à condition que la collecte et le traitement aient été assurés par une firme reconnue ;

- les ports espagnols ont adopté quant à eux la même tarification que le port de Rotterdam.

Conclusion : Les coûts, quoique variables, ne pas sont significativement différents dans les différents ports européens et ne paraissent pas dissuasifs.

Source : DTMPL

Sur ce point, la directive prévoit que les ports mettent en place des systèmes de recouvrement des coûts incitant le dépôt dans les ports des déchets, tous les navires faisant escale dans un port d'un Etat membre devant supporter une part significative des coûts, de l'ordre d'au moins 30%, qu'ils utilisent ou non les installations : cette part pourrait donc être intégrée dans la redevance portuaire, par un mécanisme mutualisé.

Enfin, compte tenu du fait que le renforcement des installations portuaires est imposé par un texte communautaire, il serait envisageable de prévoir que des mécanismes de financement européens soutiennent les investissements réalisés par les ports, par exemple dans le cadre du Schéma de développement de l'espace communautaire (SDEC), lequel couvre actuellement la période 2000-2006.

La Commission juge particulièrement regrettable que la France n'ait pas respecté les délais de transposition de la directive relative aux installations portuaires de réception de déchets et estime que cette transposition doit être réalisée au plus vite. En effet, le développement d'infrastructures portuaires performantes est de nature à favoriser le dépôt des déchets dans les ports par les navires, notamment si ces équipements permettent un traitement rapide du navire et si les tarifs pratiqués par les ports sont peu élevés, voire intégrés dans la redevance portuaire.

b) Imposer un certificat de déballastage ou interdire techniquement le déballastage

Il est également indispensable de vérifier que les navires utilisent les installations disponibles et ne procèdent pas ensuite, à la sortie du port, à des déballastages en mer. Les dispositifs Trafic 2000 et Safeseanet, prévu pour le suivi du trafic maritime, pourraient être utilisés à cette fin lorsqu'ils seront opérationnels : en effet, ces systèmes prévoient l'échange d'informations sur toutes les caractéristiques des navires, et notamment sur leur gestion des déchets. Il sera alors possible d'identifier les navires n'ayant pas procédé à des déballastages dans les ports à intervalles réguliers.

Des dispositions plus contraignantes doivent cependant être envisagées : il serait notamment souhaitable d'instaurer un certificat de déballastage obligatoire pour tous les navires, sans lequel ces derniers ne pourraient quitter le port. Ce certificat serait accordé aux navires ayant déballasté dans le port ou ayant fourni des motifs de dérogation valables, et il pourrait être contrôlé par les inspecteurs chargés du contrôle de l'Etat du port.

Un autre dispositif serait également concevable, ainsi que le montre l'exemple de la Belgique. En effet, par un arrêté du 14 mars dernier, les autorités belges ont prévu la mise en place d'un système imposant le paiement d'une caution par tous les navires entrant dans un port : le montant de cette caution, versée aux autorités portuaires, variera en fonction du type de navire et il ne sera restitué qu'à la sortie du bateau, lorsque le capitaine ou son préposé aura fourni la preuve que le déballastage a été effectué ou que le navire peut en être dispensé. Il serait possible d'instituer une telle procédure dans les ports français.

En tout état de cause, il est indispensable d'adopter des mesures de contrôle de gestion des déchets des navires dans un cadre européen, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre les ports. Sur ce point, M. Jean-René Garnier, secrétaire général de la mer, a indiqué : « Je crois qu'il faut se mettre d'accord pour éviter de créer des distorsions de concurrence entre les ports car, si à Marseille par exemple, on oblige au déballastage, les bateaux iront à Gênes. Au niveau de la pollution, nous aurons peut-être fait une avancée, quoique le bateau déballastera peut-être quand même, mais nous aurons perdu un point sur le plan économique. Ce sont donc là des mesures qu'il faut impérativement prendre au niveau européen, dont c'est d'ailleurs la compétence.

Il serait tout à fait légitime d'avoir une législation européenne plus sévère en matière de déballastages obligatoires, voire de mettre en place des certificats de déballastage. C'est un point important, mais j'insiste sur le fait que cela ne peut se faire qu'au niveau européen, sinon nous risquerions de créer des distorsions si certains pays conservaient des comportements trop laxistes. »

La Commission juge nécessaire d'instaurer un mécanisme permettant de contrôler que les navires procèdent aux opérations de déballastages dans les installations portuaires prévues à cet effet : elle propose de mettre en place un certificat de déballastage, sans lequel le navire ne pourrait quitter le port, ou bien de prévoir le versement d'une caution. De telles mesures doivent être mises en place à l'échelle européenne, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre les ports.

Elles doivent également s'accompagner de procédures sécurisées, excluant toute possibilité de certificats de déballastage de complaisance, voire falsifiés, qui retireraient toute portée à la mesure recommandée.

A défaut d'une telle procédure, relativement simple dans son principe mais pas nécessairement aisée à mettre en œuvre techniquement, pourraient être étudiées en détail les possibilités techniques -notamment par l'obturation des clapets- d'opérer des dégazages en mer, ou du moins d'en garder une trace enregistrée inaltérable dans la future « boîte noire » des navires.

2.- Renforcer la politique de répression, afin de dissuader les pollueurs

La poursuite et la condamnation des responsables de rejets illicites restent complexes et difficiles, en dépit des évolutions de la jurisprudence en matière de preuve et de l'extension du champ des responsables pénaux résultant de la loi Le Bris précitée7. Il est donc indispensable de renforcer les moyens de la politique de répression et d'utiliser toutes les procédures existantes, afin que les sanctions prévues par les textes soient pleinement appliquées et dissuadent les navires de procéder à des déballastages et des dégazages « sauvages ».

a) Donner les moyens nécessaires pour la détection des rejets illicites et la poursuite de leurs auteurs

· Des moyens de détection insuffisants

La répression des dégazages et déballastages se heurte tout d'abord à la difficulté de détecter ces agissements : en effet, les rejets de pollution en mer ne peuvent être repérés que par voie aérienne. Or nombre de personnes auditionnées ont souligné que les moyens aériens français disponibles étaient largement insuffisants, consistant pour l'essentiel dans deux avions des Douanes, POLMAR 1 et 2.

M. Jacques Mangold, directeur de VIGIPOL, organisme regroupant les intérêts des communes bretonnes du littoral et qui se porte régulièrement partie civile dans le cadre des poursuites pénales contre les auteurs de dégazages illicites, a ainsi indiqué : « Il n'y a en France que deux avions équipés du matériel nécessaire pour obtenir des preuves flagrantes du délit. Il y a donc, à notre sens, une faiblesse de couverture de contrôle des navires, d'autant plus qu'un de ces avions est basé à Mérignac, l'autre en Méditerranée. Les navires qui passent dans la Manche sont contrôlés par un de ces avions, qui vient faire le plein à Morlaix en Bretagne pour repartir en mer du Nord réaliser ces contrôles. Manifestement, nous manquons de moyens à ce niveau. »

On relèvera à cet égard qu'un troisième avion devait être opérationnel sous peu, mais ce projet pâtit des difficultés de la société qui devait le construire, Reims Aviation, ainsi que l'a indiqué à la Commission le préfet maritime Gheerbrant : « Pour les avions des Douanes, il y a une grosse inquiétude concernant le troisième appareil, l'avion dit POLMAR 3, dont le projet d'acquisition est en panne à cause du dépôt de bilan de la société Reims Aviation qui était chargée de le construire, sur la base d'une cellule Cessna dont Reims Aviation est le représentant en France. A ma connaissance, il n'a pas aujourd'hui [le 1er avril] été trouvé de solution pour assurer la mise en service de cet avion POLMAR 3 qui sera doté de capteurs spécialisés antipollution plus performants que les précédents. Il s'agit là d'une véritable impasse. »

Il apparaît donc indispensable de renforcer les moyens de détection des rejets illicites, en acquérant des moyens aériens supplémentaires, et notamment en dégageant une solution pour le troisième avion des Douanes, POLMAR 3.

· Des procédures et des moyens de preuve à fiabiliser

Par ailleurs, une fois la pollution détectée, il est nécessaire d'apporter des moyens de preuve recevables par les tribunaux. La jurisprudence a évolué en la matière et les photos argentiques et numériques sont désormais acceptées. Cependant, le recueil des moyens de preuve requiert des personnels formés, ainsi que l'a souligné M. Jacques Mangold lors de son audition : « Les personnels doivent suivre une formation à la technique photographique qui leur permet de prendre en flagrant délit des bateaux. Toute cette technique d'apprentissage, de prise de photos, de localisation du bateau, etc. demande une formation des personnels. A ce titre, tous les ans, des formations de photographie sont mises en place au CEDRE pour les personnels des Douanes. En effet, devant la justice, les photos font foi, mais à condition qu'elles représentent exactement la pollution, que le capitaine ne puisse pas se disculper en disant que c'est un effet d'irisation ou une pollution qui vient d'un autre navire. Il y a des angles de prises de vue à respecter par l'opérateur photo, pour parvenir à rendre ces preuves légales. »

De même, les personnels chargés de rédiger les procès-verbaux après avoir constaté une pollution, doivent recevoir une formation appropriée. M. Girin, directeur du CEDRE, a notamment indiqué : « La formation des observateurs à la rédaction des procès-verbaux [est nécessaire]. En lisant ces procès-verbaux, on se rend compte que, parfois, l'observateur n'a pas tiré la leçon d'un jugement précédent et laisse une faille dans laquelle s'engouffre l'avocat de la partie adverse. »

Le renforcement des moyens matériels de détection des pollutions doit donc être impérativement accompagné d'efforts de formation à destination des personnels chargés de recueillir les preuves, afin qu'après le constat d'un rejet illicite, les poursuites engagées puissent conduire à une condamnation de son auteur. En effet, l'aboutissement des poursuites est une condition sine qua non de l'enclenchement d'une forme de dissuasion pour les capitaines de navires et les armateurs, qui sont encore loin d'être tous convaincus de la nécessité de cesser les dégazages illicites.

Une illustration du problème des dégazages illicites : le cas du Voltaire

Le cas récent du porte-conteneurs Le Voltaire, affrété par la CMA-CGM auprès d'un armateur allemand, est symptomatique des difficultés de ces dossiers, mais également des progrès réalisés. Arrêté au port du Havre à la demande du parquet de Brest, dans le cadre d'une enquête en flagrance pour un dégazage illicite -présence d'une nappe irisée dans le sillage du navire- constaté par un hélicoptère de la Marine nationale le 22 mai, le capitaine et le navire ne sont repartis qu'après versement d'une caution de 200 000 euros, au demeurant payée très rapidement. L'affaire sera jugée à l'audience du tribunal de Brest à la fin septembre 2003, même si le capitaine a, semble-t-il, nié toute responsabilité. Mais, en tout cas, la caution a été constituée, et permettra de garantir le paiement de l'amende et d'accorder des réparations aux associations qui se sont constituées parties civiles, comme elles le font maintenant systématiquement.

La CMA-CGM, qui n'est pas propriétaire du navire, mais affréteur en longue durée -elle est en revanche propriétaire de trois autres navires très récents du même type-, a immédiatement fait savoir qu'elle prendrait les mesures nécessaires. Il est vrai que ce transporteur maritime, le plus important en France, a en partie axé sa communication d'entreprise sur l'importance de son respect de l'environnement et s'est assigné la mission de « lutter contre tous risques de pollution ».

· Des moyens des tribunaux spécialisés à mettre à niveau

Les compétences des trois tribunaux du littoral maritime spécialisés, créés par la loi du 3 mai 2001 et chargés de la répression des rejets polluants des navires, ont été étendues par la loi du 15 avril 2003 portant création d'une zone de protection écologique et devraient l'être à nouveau après l'adoption définitive du projet de loi « Adapter la justice aux évolutions de la criminalité ». Il est donc indispensable de leur donner les moyens d'accomplir pleinement leurs missions.

Lors de son audition, M. Nicot, procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Brest -devenu l'un des trois tribunaux spécialisés en matière de dommages maritimes, avec Marseille et le Havre- a indiqué à cet égard : « Brest est une petite juridiction, essentiellement urbaine. Sa circonscription compte 360 000 habitants. Le nombre de magistrats du siège et du parquet est en rapport direct avec l'importance de la population. Il est certain que cette compétence d'attribution change un peu la donne. Nous avons donc soumis à l'autorité centrale un certain nombre de propositions, dont certaines ont dès à présent été agréées. (...)

En ce qui concerne le nombre de magistrats, tout chef de juridiction a normalement des demandes d'augmentation. Elles ont été formulées à Brest, et, si elles n'ont pas encore été satisfaites, je ne désespère absolument pas qu'elles le soient. Cela dépend de décisions budgétaires qui peuvent être un peu lentes, mais je suis persuadé que ces moyens viendront au fur et à mesure que les affaires arriveront. »

Il semble que l'attribution à ces trois juridictions spécialisées de compétences étendues en matière de répression des rejets illicites en mer n'ait pas encore été accompagnée d'un renforcement adapté de leurs moyens. Il est donc primordial de prévoir pour ces tribunaux un accroissement significatif du nombre de magistrats, lesquels devraient recevoir une formation spécifique sur les questions de droit maritime ; de même, les moyens matériels dont ils disposent doivent être en rapport avec l'importance de leurs compétences.

b) Multiplier les opérations « coup de poing »

Le préfet maritime Gheerbrant a indiqué que des opérations spéciales de surveillance étaient parfois organisées dans des zones précises afin de détecter tous les dégazages et les déballastages qui y étaient réalisés : « Nous organisons à certains moments des opérations de grande envergure contre les rejets illicites d'hydrocarbures. Lors d'opérations dénommées « rail propre », on mobilise tous les moyens des administrations, plus ceux de nos amis étrangers, pour une surveillance continue du rail pendant 24 heures. Sept navires, en moyenne, sont identifiés par opération. »

S'il est matériellement impossible de surveiller en permanence toutes les zones maritimes, il serait souhaitable de mettre en œuvre de façon régulière de telles opérations « coup de poing », afin d'exercer un effet dissuasif sur les navires tentés de dégazer ou de déballaster en mer. Il s'agirait en fait de jouer sur la « peur du gendarme », selon le principe retenu actuellement avec un indéniable succès en matière de sécurité routière.

c) Systématiser les demandes de caution financière

Ainsi qu'il a été indiqué dans la deuxième partie du présent rapport, l'article L 218-30 du code de l'environnement permet d'exiger d'un navire pris en flagrant délit de déversements de produits illicites en mer le versement d'une caution, ce qui constitue une garantie financière pour la justice française et exerce un effet véritablement dissuasif l'égard des acteurs du transport maritime, en contribuant à assurer l'exécution du jugement, même concernant des navires étrangers.

Au regard des effets fortement dissuasifs de la procédure de la caution, qui ont été détaillés plus haut, la Commission estime qu'elle doit être mise en œuvre de façon systématique.

D.- DES EFFORTS TECHNOLOGIQUES NÉCESSAIRES À COURT OU A MOYEN TERME

Les opérations de lutte contre la pollution s'appuient sur des connaissances scientifiques et des techniques très élaborées, ainsi qu'en témoigne le degré élevé de technologie des moyens de suivi des navires ou des instruments d'analyse des produits polluants. La Commission d'enquête a d'ailleurs eu l'occasion de le constater de nouveau, lors de sa visite du CROSS Corsen et du site du CEDRE situé à Brest, même si ce dernier est aussi appelé à tester des matériels parfois peu sophistiqués.

Pour autant, compte tenu des formes différentes de pollution qui peuvent affecter les côtes françaises et des lacunes identifiées dans les moyens actuellement disponibles, les recherches scientifiques en matière de détection des pollutions, d'intervention et de protection doivent être poursuivies et renforcées. Des efforts doivent être consentis dans plusieurs domaines, mais leur aboutissement ne peut être envisagé pour certains d'entre eux qu'à moyen terme.

1.- A court terme : renouveler enfin les matériels trop anciens, et améliorer les connaissances en courantologie

a) Dépasser les obstacles administratifs pour le renouvellement et le redéploiement des remorqueurs

La Marine nationale dispose à ce jour de quatre remorqueurs, dont un affrété en commun avec le Royaume-Uni : l'Abeilles-Flandre pour la Manche-Mer du Nord, basé à Cherbourg ; l'Abeille-Languedoc pour l'Atlantique, à Brest ; le Mérou pour la Méditerranée, à Toulon ; l'Anglian Monarch, co-affrété dans le Pas-de-Calais. La Marine possède également des remorqueurs portuaires, aux capacités moindres, qui viennent compléter ce dispositif ; ils peuvent être affrétés à la demande par des marchés à bons de commande.

La précédente Commission d'enquête avait mis en exergue les lacunes de ce dispositif, soulignant que la couverture du Golfe de Gascogne était très insuffisante et que la protection de la zone méditerranéenne, qui s'étend de la frontière espagnole à la frontière italienne, devait être complétée, un seul remorqueur ne suffisant pas pour couvrir les distances en jeu. La Commission avait alors proposé de remplacer les remorqueurs basés à Brest et à Cherbourg et, au lieu de s'en séparer -ils sont certes âgés, mais encore en très bon état- de les affecter respectivement à la surveillance du Golfe de Gascogne et de la Méditerranée.

La Commission d'enquête se félicite que ces propositions aient été entendues : le Conseil interministériel de la mer qui s'est tenu en 2000 a en effet pris la décision d'affréter deux remorqueurs neufs de nouvelle génération, plus rapides et plus puissants, et de redéployer ceux basés à Brest et à Cherbourg ainsi que l'a préconisé la Commission.

Cependant, la mise en œuvre de cet affrètement se heurte à des difficultés de procédures et a pris un retard considérable, ce qui est particulièrement regrettable au regard de l'urgence de disposer d'un dispositif couvrant toutes les façades maritimes de façon satisfaisante.

Ces retards sont largement imputables aux lourdeurs des procédures prévues par le code des marchés publics. Ainsi qu'il a été indiqué à la Commission, après l'élaboration des spécifications des futurs remorqueurs, un avis de pré-information a été publié en janvier 2002. Cependant, en l'absence de remorqueurs répondant aux critères demandés sur le marché de l'affrètement, les navires recherchés doivent être construits. Or le code des marchés publics ne permet pas de recourir à la procédure de l'affrètement dans un tel cas : une solution alternative a donc dû être trouvée, en ayant recours à la formule d'un contrat de prestation de services comprenant les navires d'assistance et le conseil pour leur mise en œuvre. A cet effet, un nouvel avis de pré-information, puis un appel à candidature ont été publiés en septembre et octobre 2002. La réception des offres devrait intervenir en juin 2003, la notification du marché en septembre 2003 et la mise en service des remorqueurs seulement au début de 2005.

De tels délais sont assurément dommageables et il serait souhaitable d'adapter les procédures de passation des marchés publics s'agissant des besoins urgents, afin d'améliorer leur réactivité8. Ainsi que l'a indiqué M. Tacon, chef du bureau action de l'Etat en mer à l'état-major de la Marine nationale: « M. Garnier, que vous avez auditionné voilà quelques jours, a eu l'occasion de me dire que nous aurions dû passer par une procédure d'urgence. Mais lorsque j'ai évoqué cette possibilité en commission spécialisée des marchés, on m'a indiqué qu'une telle procédure n'aurait jamais été acceptée, dans les conditions de l'espèce. Mettre en avant le bien commun n'y aurait rien changé. (...) Cela s'apparente à un véritable parcours du combattant. »

La Commission déplore les délais excessifs intervenus dans le remplacement et le redéploiement des remorqueurs et insiste sur la nécessité absolue de disposer de ces navires d'assistance de nouvelle génération au plus tard au début de l'année 2005.

Par ailleurs, les performances de la société de remorquage de haute mer Les Abeilles International ont été unanimement saluées par les personnes auditionnées par la Commission. Le préfet maritime Gheerbrant a notamment indiqué : « La compagnie Abeilles International nous rend les meilleurs services. Le palmarès de l'Abeille-Flandre, c'est plus de 1 000 interventions dans les 20 dernières années, dont certaines majeures et dont -pour autant qu'on puisse compter les catastrophes évitées- sans doute 20, 25, voire 30 catastrophes pétrolières majeures évitées. Le palmarès est irréprochable. Le coût d'affrètement des Abeilles aujourd'hui est de 54 millions de francs (8,2 millions d'euros) par an pour la Marine nationale puisque ces dépenses sont imputées sur son budget ; ce montant, rapporté au coût des catastrophes pétrolières quelles qu'elles soient, représente naturellement un excellent rapport qualité-prix. 

En tant que fonctionnaire, je suis naturellement soumis aux règles des marchés publics. En tant que personne privée, j'espère cependant vivement que le contrat sera remporté par la société Les Abeilles parce qu'au-delà du matériel, elle a un savoir-faire, une expérience, des services rendus, autant d'éléments dépourvus de valeur dans l'attribution d'un marché public, mais extrêmement importants aux yeux du préfet maritime pour avoir demain le même degré de confiance et le même relais dans l'opinion. »

La Commission s'associe aux souhaits du préfet maritime et espère qu'à l'issue des procédures engagées, la société les Abeilles International sera effectivement retenue et pourra poursuivre sa collaboration fructueuse avec les préfectures maritimes.

b) Renouveler les radars défaillants, vingt-cinq ans après

Les radars et les moyens de communication dont disposent les CROSS français ont été mis en place à la suite de la catastrophe de l'Amoco Cadiz et ont aujourd'hui près de 25 ans : ils n'intègrent pas les avancées technologiques intervenues depuis et connaissent des défaillances régulières.

M. Serradji, directeur des Affaires maritimes et des gens de mer, a ainsi indiqué à la Commission : « Nous avons les plus vieux radars en usage aujourd'hui, avec vingt-cinq ans d'âge. Nous étions très fiers de les mettre en place au lendemain du naufrage de l'Amoco Cadiz, mais depuis, ils n'ont jamais été changés. Lors de la visite de M. Bush en juin 2002, il nous avait été demandé d'assurer sa protection et sa surveillance par la mer. Or j'ai été obligé de dire que le radar était en panne. D'ailleurs, il tombe en panne en moyenne deux jours par semaine, malgré les efforts d'entretien des fonctionnaires. Il est vraiment temps de changer ces radars. »

De même, M. Pinon, préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, a souligné les insuffisances des radars actuels et des moyens de communication des CROSS : « Le CROSS de Gris-Nez ne dispose pour sa part que d'un matériel obsolète. Le radar l'est en particulier, mais, ce qui est plus préoccupant encore, les consoles le sont également. En l'espace de quinze ans, un écart très important s'est creusé entre les consoles de poursuite du CROSS de Gris-Nez et les écrans tactiles poly-chromatiques dont disposent aujourd'hui les Britanniques. (...) La France doit réellement faire d'importants efforts pour pallier son retard en matière de détection et de poursuite radar, en se coordonnant totalement avec ses voisins. »

De surcroît, les radars actuels sont de portée limitée et ne couvrent pas certains secteurs : on constate donc des « trous » dans le suivi des navires le long des côtes. M. Pinon a notamment indiqué : « Le suivi radar est inopérant entre Ouessant et les Casquets, ce qui correspond, en fonction de la vitesse des navires, à six ou sept heures. De même, après le Cotentin, au large du Pas-de-Calais, il existe une zone où la couverture radar est inexistante. Cette zone correspond, pour un navire croisant à la vitesse moyenne de quinze nœuds, à une douzaine d'heures. »

Ces graves insuffisances avaient été relevées par la précédente Commission d'enquête, qui avait demandé qu'un programme de renouvellement des radars des CROSS soit lancé au plus vite, en planifiant les acquisitions nécessaires compte tenu de l'importance du coût de ces investissements.

La Commission ne peut que constater que ces recommandations sont restées lettre morte et que la situation n'a connu aucune évolution, faute de moyens financiers.

M. Serradji a en effet indiqué avoir présenté des projets de renouvellement des radars et d'amélioration de la couverture de certaines zones, notamment entre Dunkerque et la frontière franco-belge : ces propositions n'ont pas encore été mises en œuvre car les crédits nécessaires n'ont pas été débloqués. Compte tenu des ressources disponibles, seules des opérations d'optimisation des performances des radars existants ont pu être réalisées.

De même, le projet d'implantation d'un radar sur l'île de Guernesey permettant de faire le lien entre Ouessant et Jobourg a pris beaucoup de retard, alors qu'un terrain a d'ores et déjà été mis à disposition de la France par les autorités de Guernesey.

Ces retards sont extrêmement regrettables, alors que les radars et les moyens de communication des CROSS jouent un rôle essentiel pour le suivi et le sauvetage des navires.

Certes, l'amélioration de la couverture radar française représente un coût financier important : une étude menée par le ministère chargé de la mer indique par exemple que le programme de renouvellement des radars du CROSS de la Manche représenterait un coût de 5,2 millions d'euros. On constatera cependant que dans d'autres pays, de tels investissements ont été considérés comme une priorité : les homologues britanniques des CROSS viennent de procéder au renouvellement complet de leurs matériels et ont été dotés d'un système de surveillance à la pointe de la technologie. L'obsolescence des moyens français, qui collaborent en permanence avec leurs homologues britanniques, n'en est que plus criante.

M. Bussereau a indiqué à la Commission la volonté des autorités françaises de remédier à cette situation : « Une des conclusions de la Commission d'enquête précédente concernait le renouvellement des radars. Des installations sont actuellement en cours de travaux. Ces opérations ne font pas l'objet de mesures de gel budgétaire. Des renforcements sont prévus. Je me rendrai prochainement à Guernesey pour une application radar que nous mettons en commun avec les îles anglo-britanniques. Pour la zone, un radar est en cours d'installation à Dunkerque dans le Pas-de-Calais. Une série d'installations supplémentaires est prévue, car les radars ont vieilli, nécessitant des investissements de l'Etat ».

La Commission espère que ces engagements seront tenus, afin de procéder au plus vite au renouvellement des radars actuels, mais aussi à la mise à niveau les moyens de communication des CROSS et à l'amélioration de la couverture radar de certaines zones, notamment par l'implantation de radars à Guernesey et au large de Saint-Malo. Les moyens financiers nécessaires pour réaliser ses programmes doivent faire l'objet d'une planification précise.

c) Développer les capacités de prévision en matière de courantologie

Le sinistre du Prestige a mis en lumière d'importantes lacunes dans la connaissance des courants s'exerçant dans le Golfe de Gascogne. La courantologie est encore une science embryonnaire et ne permet pas de disposer de modèles, même sommaires, permettant d'anticiper les mouvements de circulation des masses d'eau.

De plus, le déplacement des nappes résulte certes des courants, mais aussi des vents très forts dans cette zone, dont les interactions sont peu étudiées. M. Larrousset, président de l'Association des maires des Pyrénées-Atlantiques, a ainsi souligné : « Pour l'Erika, il nous avait été dit que nous devions recevoir les nappes dix jours après le naufrage. Elles ne sont jamais venues parce que les vents du sud ont maintenu les nappes en Bretagne. Pour le Prestige, le courant devait nous les amener et elles sont allées dans les Landes, toujours en raison des vents à dominante sud qui repoussent les pollutions. Sitôt que les vents sont de nord ou nord-ouest, elles reviennent chez nous. »

Les cartes fournies par tous les organismes compétents en la matière -Météo France, le CEDRE, le SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine) et l'IFREMER, réunis en une cellule unique de prévision-, ne permettaient pas toujours de disposer d'informations fiables sur la localisation des pollutions et sur leurs déplacements prévisibles dans les jours à venir.

Cet état de fait a emporté des conséquences directes sur le traitement de la pollution en mer comme à terre. En effet, la détermination des lieux d'arrivée des nappes d'hydrocarbures s'avérant très difficile, l'organisation des moyens de lutte a été beaucoup plus complexe : les personnels chargés de nettoyer les plages devaient faire preuve d'une grande capacité d'adaptation, de même que les pêcheurs et les administrations maritimes luttant en mer.

Ces difficultés ont été observées dès le début de la crise : alors que l'on pensait que le département des Pyrénées-Atlantiques serait le premier touché -ce qui a justifié le déclenchement rapide du plan POLMAR-terre dans ce département-, ce sont les côtes des Landes, 50 kilomètres plus haut, qui ont reçu les premières arrivées d'hydrocarbures. L'apparition de déchets sur les côtes du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de la Charente-Maritime, et même de la Manche, a également illustré les lacunes des connaissances actuelles en matière de courants : peu avaient pensé que les pollutions issues du Prestige, qui avait sombré au large du cap Finisterre, pourraient se disperser jusqu'au nord de la Bretagne.

Nombre de personnes auditionnées ont souligné ces insuffisances et ont préconisé le développement d'études dans ce domaine scientifique encore mal connu. Le préfet Frémont a notamment indiqué : « La lacune essentielle, dans le système de prévention ou de traitement de cette crise, réside dans l'insuffisante connaissance des courants. (...)

En ce qui concerne la courantologie, je n'ai aucune connaissance technique en la matière, mais à écouter les spécialistes, j'ai acquis la conviction que s'il était possible d'acquérir une connaissance plus fine des courants du Golfe de Gascogne, jamais l'effort nécessaire n'avait jusqu'alors été fait pour réaliser une telle étude. Il me semble qu'il ne serait pas inutile de se lancer dans ce travail. »

De même, le préfet maritime Gheerbrant a indiqué : « Le naufrage du Prestige a révélé certaines lacunes dans nos connaissances du milieu marin. En effet, la problématique essentielle est celle de la connaissance des dérives du polluant, et la possibilité de faire des prévisions reste encore, sur le plan scientifique, très embryonnaire. »

M. Girin, directeur du CEDRE, a également précisé : « Une des voies d'amélioration majeures identifiées vise à affiner les connaissances hydrographiques saisonnières et annuelles à l'intérieur du Golfe de Gascogne. Nous y sommes favorables. C'est aussi une des priorités. »

Certes, les instituts impliqués, et notamment le CEDRE et le SHOM, ont cherché à pallier les défaillances des prévisions de dérive des nappes, en procédant à des expériences novatrices : a notamment été expérimentée la mise en place d'un faisceau de bouées dérivantes, placées en avant des nappes et utilisées comme signes annonciateurs de l'arrivée des pollutions. Si cette initiative s'est avérée relativement efficace, elle ne peut cependant remplacer des connaissances précises sur les courants et les vents.

La Commission estime donc essentiel d'engager des études approfondies en matière de courantologie, afin de disposer d'une meilleure connaissance des mouvements d'eau s'exerçant au sein du Golfe de Gascogne. Ces travaux pourraient être confiés à des organismes tels que le CEDRE ou le Service hydrographique et océanographique de la Marine.

2.- A moyen terme : mener les études préalables à des applications réelles

a) Poursuivre les études sur les navires dépollueurs de haute mer, solution optimale de lutte contre la pollution

Les opérations de lutte en mer lors du sinistre du Prestige ont montré les limites de l'action des navires dépollueurs, tant européens que nationaux, du fait de l'impossibilité de les utiliser en cas de mer forte et de leurs capacités d'absorption relativement réduites.

En effet, les navires spécialisés actuels disposent en général d'accessoires de dépollution extérieurs à la coque, le plus performant étant le dispositif de pompage par « sweeping arm », c'est-à-dire un bras métallique permettant de balayer la mer et de recueillir le pétrole grâce à une pompe intégrée. Cependant, ces systèmes s'avèrent inefficaces en cas de mauvais temps, à partir de trois mètres de creux. Cette lacune est d'autant plus dommageable que les naufrages se produisent le plus souvent lorsque la mer est forte, et que l'intervention des navires dépollueurs doit être la plus précoce possible afin de recueillir les hydrocarbures avant qu'ils se fragmentent et se dispersent.

De surcroît, les capacités d'absorption d'hydrocarbures des navires spécialisés actuels sont relativement faibles : elles s'échelonnent entre 800 ou 1 000 mètres cubes -par exemple pour le navire français Alcyon, le néerlandais Arca ou encore l'allemand Neuwer- et 3 500 mètres cubes, pour le néerlandais Rijn Delta.

Il apparaît donc nécessaire de développer des navires dépollueurs de nouvelle génération, capables d'intervenir même en cas de forte houle et de récupérer des volumes plus élevés d'hydrocarbures. Ce besoin a été exprimé en ces termes par M. Garnier, secrétaire général de la mer : « Nous allons travailler sur la base de deux critères : 

- une capacité de récupération de 6 000 mètres cubes. C'est ce volume qu'il paraît opportun de pouvoir traiter. Il est dix fois supérieur à la capacité de nos bateaux actuels de récupération ;

- une intervention possible par six mètres de creux, c'est-à-dire dans une mer forte, donc le plus rapidement possible après l'événement. »

Ces besoins avaient déjà été mis en évidence au moment de la crise de l'Erika : lors du Comité interministériel de la mer de février 2000, il avait été décidé de lancer un appel d'offres pour l'affrètement d'un navire spécialisé de dépollution plus performant. Cependant, les réponses alors reçues n'avaient pas été jugées techniquement acceptables.

Depuis cette date, les recherches ont beaucoup progressé et plusieurs entreprises proposent aujourd'hui des projets aboutis, qui doivent faire l'objet d'un examen attentif. Lors de son audition par la Commission, M. Girin a ainsi souligné les progrès réalisés: « A l'époque de l'Erika, les projets étaient complètement fous et n'avaient pas fait l'objet d'études sérieuses. (...) Aujourd'hui, les projets ont été réfléchis. Les projets de navire antipollution sont sérieux, menés par des gens sérieux, aboutissant à des conceptions qui vont être présentées au RITMER9 pour aller plus loin dans leurs études. »

Les Chantiers de l'Atlantique ont ainsi présenté un projet baptisé « Oil Sea Harvester » (OSH), dont les caractéristiques sont les suivantes : il s'agit d'un navire trimaran long de 136 mètres, dont la capacité de stockage d'hydrocarbures atteint 6 000 mètres cubes. Il pourra intervenir par mer forte, jusqu'à force 7 : en effet, sa structure, composée d'une coque centrale et de deux coques latérales, doit permettre d'assurer entre ces coques deux canaux d'eau faiblement agitée de huit mètres de large, dans lesquels le pétrole peut être recueilli par des dispositifs adaptés de pompage. Ainsi que l'a indiqué M. Tacon, chef du bureau action de l'Etat en mer à l'état-major de la Marine, ses avantages résident également dans sa stabilité directionnelle, dans son comportement au tangage et dans son port en lourd important. Ce projet a fait l'objet d'essais dans le polludrome de CEDRE, afin de tester la dynamique de l'écoulement et le déroulement de la récupération.

En sus de ce projet, qui pourrait être réalisé en collaboration avec l'entreprise Doris Engineering, d'autres propositions ont été présentées au Comité d'études pétrolières et marines (CEP&M), mis en place par le ministère de l'Industrie. Il reste à valider techniquement le dispositif de pompage du fioul lourd, dont le niveau exigé est très élevé, et qui appelle des travaux complémentaires de recherche et développement.

Par ailleurs, compte tenu de leur coût important, qui est estimé à environ 100 millions d'euros, et des vitesses très élevées attendues de ces bateaux, ces projets prévoient que les navires pourraient accomplir d'autres missions, telles la surveillance des pêches, le transport d'équipes et de matériels d'assistance ou des patrouilles sur zone, de manière à ce qu'ils puissent être utilisés en dehors des cas de pollution, que l'on espère évidemment aussi peu fréquents que possible.

La Commission estime que ces propositions constituent des avancées tout à fait essentielles en matière de lutte contre la pollution et qu'elles doivent être soutenues. Il pourrait être notamment envisagé, à terme d'acquérir trois navires dépollueurs, qui seraient positionnés en Atlantique Nord, dans le Golfe de Gascogne et en mer Méditerranée.

Cependant, au regard de l'importance de l'investissement que représentent de telles acquisitions, il serait souhaitable qu'elles soient réalisées au niveau de l'Union européenne, afin de mutualiser leur coût entre les Etats membres. Cet investissement pourrait être réalisé dans le cadre de l'Agence européenne pour la sécurité maritime, cette solution étant d'ailleurs envisagée par la Commission européenne10.

b) Le développement du suivi satellitaire : un coût élevé, mais à relativiser

La surveillance de la navigation et des rejets de pollutions en mer peut être efficacement améliorée par l'utilisation de dispositifs satellitaires, et le développement de tels systèmes doit être soutenu tant au niveau national qu'au niveau européen.

· Un dispositif indispensable pour renforcer la surveillance de la navigation 

Conformément à une disposition adoptée par l'OMI en 200011, tous les navires devront être équipés à terme d'un transpondeur, dit AIS (Automatic Identification System), qui permet de connaître en temps réel les données dynamiques d'un navire, notamment sa position, sa vitesse et son cap. Ce système constitue un élément déterminant du suivi de la navigation puisque si l'écho radar fait défaut, le positionnement satellitaire demeure. Son introduction sera réalisée progressivement, en application d'un calendrier précis établissant des dates échelonnées selon les caractéristiques des navires. En tout état de cause, tous les bateaux construits à partir du 1er juillet 2002 doivent comporter un tel dispositif.

Les transpondeurs actuels, dits de première génération, fonctionnent sous fréquence VHF et ne disposent en conséquence que d'une portée relativement faible : ils ne peuvent fournir que des informations parcellaires et ne permettent donc pas un suivi global de la navigation.

En revanche, la deuxième génération de transpondeurs doit se fonder sur un dispositif satellitaire, qui permettra de connaître, en permanence et sur toutes les mers du globe, la position de chaque bateau équipé. Un tel système constituera un facteur décisif d'amélioration du suivi et de la surveillance des navires.

A ce jour, deux dispositifs satellitaires seraient à même de fournir ce service et leur utilisation pourrait être généralisée : Inmarsat, fondé sur la technologie du GPS et Shiploc, développé par la société française CLS en collaboration avec l' « International Maritime Bureau ». C'est d'ailleurs le système Shiploc qui est actuellement utilisé par la direction des Affaires maritimes pour localiser les navires de pêches, par l'intermédiaire des balises Argos.

L'OMI n'ayant pas encore défini les normes fonctionnelles du suivi satellitaire, le choix de l'un ou l'autre des systèmes n'a pas encore été arrêté. De plus, entrent en jeu des considérations de sûreté maritime : la connaissance de la localisation permanente des navires pourrait en effet être utilisée à des fins terroristes ou lors de guerres12. Il est donc nécessaire de prendre en compte des impératifs de sûreté et de confidentialité lors de la mise en place du suivi satellitaire, tout en gardant pour objectif final d'améliorer la sécurité maritime par un suivi précis et permanent des navires. L'OMI devrait adopter des dispositions en ce sens à un horizon de trois ans.

La Commission estime que l'instauration d'un dispositif satellitaire de suivi des navires offre des perspectives particulièrement prometteuses, et la France doit soutenir cette initiative au niveau international. M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la Mer, a notamment indiqué tout l'intérêt que la France portait à ce système : « La navigation par satellite est un sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises, notamment devant le chef de l'Etat et le chef du gouvernement par Mme Haigneré ; c'est un élément auquel nous croyons beaucoup pour contrôler le positionnement des bateaux. »

·  Un outil utile pour la détection des pollutions volontaires

Les rejets de substances polluantes en mer, résultant notamment des dégazages et des déballastages, constituent une source majeure de pollution. Leur détection, permettant ensuite d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre du responsable, reste néanmoins difficile, car la surveillance des zones maritimes nécessite des moyens aériens considérables et ne peut être continue. En France, les moyens disponibles pour de telles tâches sont pour le moins réduits, ainsi qu'on l'a vu plus haut.

Le dispositif actuel de détection des pollutions maritimes pourrait donc être utilement amélioré par l'instauration d'un système d'observation satellitaire des nappes d'hydrocarbures en mer. Cette option a été étudiée par le projet RAMSES, réalisé dans le cadre du cinquième programme-cadre communautaire de recherche et de développement (PCRD) couvrant la période 1998-2002. Ce projet a montré la possibilité de détecter, dans certaines conditions, des nappes ou des films d'hydrocarbures par l'imagerie satellite radar (SAR). Le procédé retenu présente cependant des faiblesses importantes, résidant notamment dans la faible périodicité des observations, rendant prévisibles par les contrevenants les zones non surveillées, ainsi que dans le taux de fausses détections. Ce projet ouvre donc des perspectives très intéressantes mais n'apparaît pas à ce jour suffisamment fiable, ainsi que l'a souligné lors de son audition le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, M. Pinon : « Le système Ramsès de détection par satellite des rejets est sans doute un système d'avenir, mais est actuellement trop sensible aux conditions météorologiques, ce qui le rend aveugle pendant des périodes trop longues. »

D'autres réponses sont actuellement étudiées, notamment dans le cadre du projet franco-italien ORFEO, qui doit présenter une solution adaptée à l'horizon 2007. L'initiative européenne GMES (Global Monitoring of environment and security) a également pour objectif de mettre en place, d'ici à la fin de la décennie, des services environnementaux fondés notamment sur des observations spatiales et s'est fixée pour priorité la détection des nappes de pétroles. Le système ORFEO pourrait alors constituer la clé de voûte des travaux menés dans le cadre du GMES.

Il semble donc que l'instauration d'un système de détection des pollutions maritimes par satellite n'est pas envisageable à court terme, mais n'en constitue pas moins une perspective d'avenir prometteuse, qui doit donc être encouragée.

Le coût d'un tel dispositif satellitaire est difficile à évaluer, mais on estime qu'il s'élève sans doute à plus de 100 millions d'euros, ce qui est certes considérable. Il doit cependant être mis en parallèle avec les conséquences néfastes des rejets volontaires, tel le dégazage « sauvage » réalisé le 12 mai dernier au large des côtes de la Méditerranée, qui a pollué plus de 7 kilomètres de côtes entre Menton et Monaco.

La Commission juge nécessaire d'engager avec volontarisme le développement d'un suivi satellitaire des navires, qui permettra de renforcer de façon décisive la surveillance de la navigation maritime. De même, les études sur la détection de pollutions maritimes par observation satellitaire doivent être poursuivies afin d'améliorer leur fiabilité. Le coût prévisionnel de tels dispositifs, certes élevé, doit être relativisé au regard de l'amélioration incontestable qu'ils représenteraient en termes de sécurité maritime et de lutte contre une forme de pollution encore particulièrement difficile à déceler et à réprimer à ce jour.

E.- RELANCER LE PAVILLON FRANÇAIS

Le poids et la capacité d'influence d'un Etat au sein de l'OMI sont liés à l'importance de sa flotte ; disposer d'un pavillon développé constitue donc un atout indéniable pour favoriser l'adoption au sein de l'OMI de mesures améliorant la sécurité maritime.

A cet égard, le renforcement du pavillon français doit constituer une priorité, tant au regard d'aspects économiques que des préoccupations de sécurité maritime. Les conclusions du rapport remis au Premier ministre le 28 mars dernier par le sénateur Henri de Richemont « Un pavillon attractif, un cabotage crédible : deux atouts pour la France » sont particulièrement intéressantes à cet égard, et présentent des mesures ambitieuses pour relancer le pavillon français. M. de Richemont a d'ailleurs été auditionné à ce titre par la Commission d'enquête.

1.- Enrayer le déclin du pavillon français : un enjeu essentiel pour renforcer la sécurité maritime

a) Une évolution préoccupante de la flotte française

Le déclin continu de la flotte sous pavillon français au cours des quarante dernières années a déjà fait l'objet de nombreuses analyses, et il est en effet particulièrement frappant.

Alors qu'en 1960, le pavillon français occupait le 5ème rang mondial, il a connu une décroissance régulière, pour se situer aujourd'hui au 29ème rang, loin derrière les pavillons de complaisance que sont Panama, le Libéria et les Bahamas, mais aussi bien après des pavillons de pays développés tels la Norvège (8ème rang), le Royaume-Uni (13ème rang) ou l'Italie (16ème rang).

De fait, le nombre de navires immatriculés dans le registre français a diminué de façon continue, passant de 798 en 1960 à 209 en 2003. L'évolution du tonnage de la flotte française s'est cependant avérée plus contrastée, puisque les années 1970 ont été caractérisées par une croissance continue du tonnage total, en dépit de la baisse du nombre de navires, due à la forte augmentation des capacités des pétroliers, notamment par l'utilisation des VLCC (Very Large Crude Carrier), d'un port en lourd de plus de 250 000 tonnes.

Evolution du nombre de navires sous pavillon français depuis 1950

Année

Nombre de navires

Jauge brute
(en millions de tonnes)

1950

657

2.71

1960

798

4.46

1970

554

5.72

1975

514

9.47

1980

424

11.58

1985

349

8

1990

223

3.87

1995

207

3.98

2000

209

4.48

2001

216

4.54

2002

217

4.58

2003

209

5.05

Source : DTMPL.

Le recul de la flotte sous pavillon français s'est accentué au cours de la décennie 1980-1990, et notamment s'agissant de la flotte pétrolière, qui a connu une réduction de près de moitié du nombre de ses navires, en partie sous l'effet des deux chocs pétroliers successifs. Le niveau de la flotte française ne s'est stabilisé qu'à partir des années 1990.

Le recul du pavillon français peut s'expliquer par le développement des Etats de libre immatriculation, lesquels sont particulièrement attractifs du fait de leur régime fiscal, social et administratif très peu contraignant.

On relèvera enfin que cette évolution préoccupante s'est conjuguée à une baisse régulière des effectifs de navigants français, qui sont passés de 29 990 en 1970 à 20 170 en 1983 et à 10 079 en 1993, pour se stabiliser à 9 315 en 2001.

b) Un renforcement nécessaire au regard des enjeux de sécurité maritime

La décroissance continue de la flotte sous pavillon français, qui emporte des conséquences économiques considérables, est également préoccupante au regard de la sécurité maritime. En effet, disposer d'un pavillon fort constitue indéniablement un levier d'action pour renforcer la sécurité maritime, et ce à plusieurs titres :

- tout d'abord, ainsi que le souligne fort justement M. de Richemont dans le rapport précité, l'influence des pays au sein de l'OMI, mais aussi dans l'Union européenne, tient moins à la longueur de leurs côtes, qu'à l'importance de leur flotte. Dès lors, la capacité d'un Etat à faire entendre ses propositions au sein des instances internationales dépend en partie du nombre de navires immatriculés dans son registre. Ainsi, le Libéria, registre accueillant le plus grand nombre de pétroliers, pèse davantage que la France, alors que celle-ci est bien plus exposée aux risques de pollution.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, a également mis en exergue ce point : « Si nous avions plus de navires immatriculés sous pavillon français, nous pèserions d'un poids plus important dans les instances internationales. Rehausser notre niveau d'immatriculation ne relève pas d'un simple chauvinisme, c'est utile à une discussion internationale. »

Dès lors, si la France entend peser véritablement sur les orientations de la politique de sécurité maritime au sein de l'OMI, mais aussi de l'Union européenne, elle doit disposer d'un pavillon plus fort ;

- l'affaiblissement de la flotte française risque de remettre en cause à terme les compétences maritimes techniques et administratives dont dispose la France, ce qui serait alors de nature à porter atteinte à ses capacités de contrôle de sécurité de l'Etat du pavillon, mais aussi du port. En effet, une flotte nationale importante s'appuie sur une filière maritime, c'est-à-dire des personnels détenant une formation et une expérience indispensable pour assurer des contrôles de qualité. M. de Richemont a ainsi indiqué lors de son audition devant la Commission : « Aussi est-il fondamental qu'il existe une flotte française nombreuse, pour permettre que cette expérience maritime soit intelligemment utilisée à terre pour la gestion commerciale ou technique, ainsi que dans les centres de contrôle des navires. Aujourd'hui, un inspecteur n'est véritablement opérationnel et fiable que si lui-même a navigué.  En effet, un inspecteur qui n'aurait effectué que 2 ans d'école, face à un superintendant Grec ayant 20 ans d'expérience, aurait du mal à s'imposer. »

La volonté de développer le pavillon français doit donc être impérativement associée au recrutement de personnels maritimes, donc au renforcement de la filière maritime ;

- la qualité du pavillon français est très largement reconnue ; pour mémoire, le taux de détention de ses navires résultant du contrôle par l'Etat du port est très faible, s'établissant à environ 2,44% en 2001, selon les chiffres du rapport annuel du Mémorandum de Paris. Développer le pavillon français en conservant les mêmes exigences en termes de sécurité serait de nature à améliorer la sécurité maritime -même si ce n'est qu'à la marge, compte tenu du nombre de navires enregistrés auprès des Etats de libre immatriculation.

2.- Mettre en œuvre des mesures ambitieuses pour restaurer l'attractivité du pavillon français

Au regard des évolutions constatées dans plusieurs Etats européens, il apparaît que le déclin français n'est nullement une fatalité. La Norvège, le Danemark ou encore l'Italie ont réussi à redresser leur pavillon, en mettant en place des seconds registres présentant des avantages fiscaux et une plus grande souplesse dans l'emploi de marins étrangers : des navires qui avaient quitté le pavillon de ces Etats en raison de contraintes fiscales et sociales jugées trop lourdes sont ainsi revenus sous leur pavillon d'origine.

C'est pourquoi on ne peut s'abandonner au fatalisme : il est possible d'enrayer le déclin du pavillon français en adoptant des mesures vigoureuses. A cet égard, le rapport précité de M. Richemont propose plusieurs pistes particulièrement intéressantes et le lecteur pourra utilement s'y référer.

On relèvera également que des efforts ont déjà été engagés en ce sens, par l'instauration d'un régime fiscal plus favorable pour les armateurs : la taxe au tonnage, applicable à partir du 1er janvier 2003 et résultant de la loi de finances rectificative pour 2002 du 30 décembre dernier. Ce dispositif consiste en un impôt forfaitaire lié au tonnage des navires exploités : il présente des avantages considérables pour l'armateur, puisqu'il conduit à une baisse du montant de l'impôt sur les bénéfices ainsi qu'à une moindre incertitude fiscale pour l'entreprise. Un tel régime était déjà appliqué dans neuf Etats membres de l'Union européenne et couvre actuellement près de 70% de la flotte mondiale. On ne peut que se féliciter qu'il ait été introduit en France.

a) Réformer le registre des Kerguelen

A l'instar de nombreux pays européens, la France a mis en place en 1987 un registre bis -le registre des Kerguelen13- pour lesquels les contraintes fiscales et sociales avaient été assouplies. Cependant, l'instauration de ce dispositif, qui visait à disposer d'un registre compétitif et attractif, n'a pas obtenu les résultats escomptés.

En effet, il ne comportait au 1er janvier 2003 que 94 navires de commerce, dont 35 pétroliers, 10 porte-conteneurs et 6 gaziers : si l'essentiel de la flotte de commerce française est immatriculé sous ce registre, celui-ci n'a pour autant permis ni d'attirer de nouveaux navires ni de renforcer significativement le pavillon français.

Il serait donc souhaitable d'envisager une réforme de fond de ce registre, afin de le rendre véritablement attractif. A cet effet, trois axes doivent être étudiés :

- le régime fiscal : un dispositif spécifique d'allègement des charges sociales patronales, décidé par le Comité interministériel de la mer en 1998, s'applique au registre des Kerguelen. Il fait cependant l'objet de critiques récurrentes en raison de sa lourdeur et de son manque de lisibilité ; de plus, les entreprises doivent procéder à l'avance des cotisations, ce qui pèse sur leur trésorerie. Il est donc nécessaire de revoir ce mécanisme, en substituant au système de remboursement a posteriori une exonération des charges patronales ;

- le régime social : le registre des Kerguelen impose aux navires immatriculés un quota de navigants français de 35%. Or cette disposition a été instaurée lors de la création du registre, en 1987, alors que le nombre de navigants français était plus important. La diminution des effectifs observée depuis cette date rend actuellement difficile pour les armateurs d'atteindre ce quota. De surcroît, le « style de vie » des marins, avec les risques et les absences prolongées, devient de plus en plus difficilement compatible avec les exigences de la société d'aujourd'hui, ce qui contribue à la désaffection constatée pour les métiers de la mer.

D'un point de vue économique, l'instauration de contraintes trop fortes en la matière joue contre l'emploi, alors que l'expérience du Danemark montre que des règles moins strictes ne conduisent pas nécessairement à la baisse du nombre de marins nationaux sur les navires immatriculés sous registre bis. Il serait donc souhaitable de modifier les règles applicables au registre des Kerguelen, en introduisant un quota impératif de marins français moindre que celui en vigueur actuellement, voire en disposant que seuls le capitaine et son second doivent être de nationalité française.

Dans cette perspective, le registre des Kerguelen doit autoriser le recours aux sociétés de placement de gens de mer, dites sociétés de « manning », en prévoyant un encadrement rigoureux. En effet, de telles sociétés permettent de recruter des marins au profit des armateurs, selon un mécanisme comparable à celui des agences de travail temporaire en France : tous les armements dont les navires sont immatriculés sous un registre international européen recourent à cette pratique, qui est très répandue dans la navigation maritime internationale. Cependant, une certaine insécurité juridique prévaut en la matière, puisque les règles de l'OIT n'y font pas référence : il est donc difficile de déterminer si elles l'autorisent.

D'autres pays européens ont prévu un encadrement spécifique du recours à ces sociétés, par la conclusion d'accords tripartites entre les armateurs, les syndicats nationaux et les syndicats des Etats fournisseurs de main-d'œuvre, au premier rang desquels figurent les Philippines. Cette solution pourrait être envisagée en France mais se heurterait sans doute à des obstacles liés à la nature du dialogue social dans notre pays. A défaut, pourrait donc être instauré le principe, proposé par M. de Richemont, selon lequel les armateurs inscrits au registre des Kerguelen ayant recours à ces sociétés de placement s'engagent à appliquer des normes sociales minimales, correspondant aux règles de l'ITF (International Transport Workers' Federation), plus strictes que celles prévues par l'OIT.

Enfin, la volonté de développer le pavillon français est indissociable du renforcement de la formation des gens de mer, notamment par un effort important en direction des écoles de la marine marchande. Il serait également souhaitable de renforcer l'attractivité de la profession de marin en France, en prévoyant des mécanismes fiscaux favorables pour les navigants au long cours, qui sont soumis à des contraintes particulières de moins en moins bien acceptées ;

- le régime administratif : la complexité de la procédure d'immatriculation dans un registre peut se révéler dissuasive pour les armateurs. En effet, l'entrée en flotte d'un navire nécessite plusieurs contrôles, assumés par les services de l'Etat et par la société de classification du navire. Interviennent notamment en France l'administration des Affaires maritimes ainsi que les Douanes.

S'il n'est nullement envisageable de réduire les contrôles ainsi exercés -car il ne s'agit évidemment pas de s'aligner sur le modèle des Etats de libre immatriculation, critiqués légitimement pour leur attitude peu regardante en la matière- les procédures administratives pourraient être utilement simplifiées, par exemple par l'instauration d'un guichet unique pour l'armateur.

b) Modifier le régime de GIE fiscal

Afin de favoriser l'investissement maritime, des mesures spécifiques ont été adoptées : au dispositif quirataire, instauré par la loi du 5 juillet 1996 avant son abrogation rapide, a succédé le mécanisme du GIE (Groupement d'intérêt économique) fiscal, créé par la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

Le GIE fiscal consiste en un dispositif d'aide fiscale à l'investissement, qui permet de bénéficier, pour les navires détenus par un Groupement d'intérêt économique, d'un régime d'amortissement accéléré ainsi que de la rétrocession à l'utilisateur du navire des deux tiers de l'avantage fiscal. De plus, la revente à l'utilisateur du navire par le GIE lorsque les deux tiers de la durée normale d'utilisation du bien sont écoulés fait l'objet d'une exonération de la taxation sur les plus values de cession.

Ce dispositif, moins favorable que celui des quirats, est souvent critiqué en raison de sa complexité et de son manque de lisibilité pour les armateurs. De plus, il ne permet pas de financer de façon satisfaisante les investissements en navires pétroliers, non en raison de difficultés techniques ou financières, mais du fait du régime de responsabilité des navires instauré par l'OPA aux Etats-Unis. Les navires ne peuvent d'emblée renoncer à intervenir sur le marché américain : en conséquence, la rigueur du régime en vigueur dissuade les banquiers de financer par le biais du GIE fiscal un navire pétrolier dont le propriétaire risquerait de voir sa responsabilité engagée à un niveau très élevé lorsqu'il se rend aux Etats-Unis. Ainsi, l'impossibilité de recourir au GIE fiscal freine le renouvellement de la flotte pétrolière.

L'ensemble de ces remarques plaide pour une réforme du mécanisme du GIE, en se fixant pour objectif de le simplifier, voire de le modifier de façon plus substantielle s'agissant des navires pétroliers. Sur ce dernier point, il serait envisageable de substituer au GIE fiscal un mode de financement classique dans lequel la banque jouerait un simple rôle de prêteur, alors que l'armateur resterait propriétaire responsable.

II.- AU PLAN COMMUNAUTAIRE : CONCRÉTISER LES DÉCISIONS PRISES, POURSUIVRE LES ORIENTATIONS RETENUES

Si la démarche volontariste de l'Union européenne, engagée à la suite du sinistre de l'Erika et accéléré après celui du Prestige, a permis d'obtenir des avancées remarquables et doit être saluée, il semble désormais souhaitable qu'elle soit poursuivie selon des modalités différentes.

En effet, la pertinence de l'échelon européen pour intervenir en matière de sécurité maritime a été pleinement validée : les mesures adoptées ont permis d'harmoniser et de renforcer les législations des Etats membres et des propositions ambitieuses ont été présentées auprès de l'OMI. Le fossé longtemps dénoncé entre les normes américaines et communautaires est désormais largement comblé, à tel point que ce sont désormais les Etats-Unis qui sont conduits à s'aligner sur certaines des dispositions européennes, notamment en matière de transport de fioul lourd.

Toutefois, l'arsenal législatif communautaire ayant été considérablement renforcé depuis 1999, il est dorénavant souhaitable de se concentrer sur son application effective. En effet, les directives et les règlements se sont succédés à intervalles rapprochés, parfois sur les mêmes sujets : à titre d'exemple, le calendrier de retrait d'élimination des navires à simple coque établi par le règlement de février 2002 est actuellement en cours de modification par le biais d'un second règlement ; de même, la directive relative aux compétences des gens de mer, adoptée en avril 2001 à la suite de deux autres directives de 1994 et 1998, doit être modifiée par la proposition de directive de la Commission européenne présentée en janvier 2003.

La résolution de l'Assemblée nationale du 3 avril 2003 sur la sécurité maritime en Europe résume clairement les grandes orientations qui peuvent, à cet égard, être suggérées (cf. annexe 5).

Si l'on ne peut reprocher à la Commission européenne de lutter contre les carences des réglementations communautaires, se profile désormais plutôt le risque d'une inflation législative, laquelle pourrait conduire à une insécurité juridique préjudiciable aux acteurs du transport maritime. Ces derniers doivent en effet disposer de suffisamment de temps pour s'adapter aux nouvelles normes édictées. De plus, avant de publier un nouveau texte, il est indispensable de s'assurer que les textes déjà existants sont bien appliqués, ce qui n'est pas toujours le cas.

C'est pourquoi la priorité doit désormais être de mettre en œuvre les normes déjà adoptées, sans engager de nouvelles réformes législatives, du moins à court terme. C'est d'ailleurs l'orientation retenue par la Commission européenne dans sa Communication du 3 décembre dernier, dans laquelle elle insiste sur la nécessité d'appliquer de façon rapide et effective les dispositions communautaires existantes. Cette opinion est également confirmée par M. Francis Vallat, vice-président de l'AESM, de manière dépourvue d'ambiguïté, dans un article intitulé : « Sécurité maritime : risque d'overdose ».14

Cette orientation est confirmée par d'autres professionnels, tel M. Michel Quimbert, président du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, qui a souligné, lors de son audition : «Le véritable problème n'est pas de multiplier les textes -peut-être même y en a-t-il de trop pour qu'ils soient respectés-, mais d'assurer leur application. »

Pour autant, si l'arsenal législatif actuel semble suffisant, cela ne signifie nullement que tout a été fait et qu'on doit se contenter d'un statu quo en la matière : l'action engagée par l'Union européenne doit être poursuivie, mais selon d'autres modalités, moins normatives et davantage opérationnelles. Par ailleurs, la coopération en matière de sécurité maritime entre les Etats membres de l'Union et les pays tiers doit être renforcée, tout particulièrement à l'égard des Etats candidats à l'adhésion à l'Union européenne, pour lesquels il est indispensable de parvenir à une convergence rapide avec les Etats membres s'agissant de leurs règles et de leurs pratiques.

A.- SUR LE PLAN OPÉRATIONNEL : DONNER À L'EUROPE LES MOYENS OPÉRATIONNELS D'UNE AMBITION ÉLEVÉE

1.- Donner à l'Agence européenne les moyens d'accomplir ses missions premières et lui conférer de nouvelles attributions

Comme le montrent les propos des personnes auditionnées par la Commission d'enquête, la création de l'AESM (Agence européenne de sécurité maritime) a suscité beaucoup d'attentes dans le monde du transport maritime.

De fait, il est indispensable de faire de l'Agence un acteur majeur en matière de sécurité maritime, en lui donnant un rôle central en matière d'harmonisation des règles de sécurité et de contrôle des différents acteurs, mais également en allant au-delà, en lui confiant à moyen terme de nouvelles missions, d'un caractère plus opérationnel.

a) La doter rapidement d'un siège permanent et de moyens en rapport avec ses fonctions

· Une décision rapide à prendre sur le choix du siège : la candidature de Nantes

Alors que la création de l'Agence a été décidée en juin 2002, la localisation de son siège n'a pas encore été arrêtée par les Etats membres, plus d'un an après. Cette décision fait l'objet de longues négociations, et la candidature de Nantes-Saint-Nazaire est notamment examinée avec beaucoup d'intérêt.

Nantes-Saint-Nazaire dispose en effet d'atouts incontestables, du fait de l'importance et de la diversité des compétences maritimes techniques, industrielles et scientifiques dont elle dispose. Elle constitue tout d'abord une place portuaire de premier plan et accueille une école nationale de la Marine marchande ainsi qu'un des laboratoires de l'Institut français de la mer ; ce réseau d'expertise est complété par une école d'ingénieurs spécialisée en architecture navale et par la filière de droit maritime proposée par l'université de Nantes. Enfin, les Chantiers de l'Atlantique, implantés de longue date dans la région, constituent un des plus gros pôles européens de construction navale : cette entreprise compte plus de 18 000 salariés et est notamment le premier chantier naval au monde pour la construction de paquebots.

De surcroît, l'ensemble de ces compétences a été rendu très opérationnel par l'expérience du naufrage de l'Erika. Ayant été directement affectés par un sinistre maritime de grande ampleur, les acteurs publics locaux, mais aussi les habitants de la région, sont particulièrement mobilisés et sensibilisés aux questions de sécurité maritime. On relèvera enfin que Nantes-Saint-Nazaire est une ville largement ouverte sur l'Europe, bien reliée aux capitales européennes par un réseau de transports complet et développé.

Le choix définitif du siège de l'Agence devrait cependant intervenir dans le cadre d'un accord global sur le siège de plusieurs agences européennes qui viennent d'être créées, telles l'Agence européenne de la sécurité aérienne et l'Agence ferroviaire européenne.

La Commission d'enquête insiste sur le fait que cette décision doit être prise au plus vite, et soutient, dans cette perspective, la candidature de Nantes. Compte tenu des enjeux associés à la sécurité maritime en Europe, il convient de choisir la ville disposant du plus grand nombre d'atouts et de compétences effectives -sans que ne prévalent des préoccupations d'aménagement du territoire au niveau européen- afin de permettre la mise en place et le fonctionnement de l'Agence dans les meilleures conditions possibles.

En effet, si la Commission a pris une initiative bienvenue en accueillant l'Agence dans ses propres locaux à titre provisoire afin de ne pas retarder davantage sa création, cette situation ne peut se prolonger indéfiniment. D'une part, les locaux mis à la disposition de l'Agence sont de taille modeste : bien adaptés à son format actuel, ils ne seront sans doute pas suffisants lorsque l'Agence aura recruté les effectifs prévus. D'autre part, l'incertitude régnant sur la localisation du siège ne rend pas très aisé le recrutement des personnels, les candidats ne sachant pas aujourd'hui dans quel pays ils seront amenés à travailler.

· Lui fournir des moyens suffisants pour accomplir ses missions

Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'Agence s'est vue confier des missions étendues et importantes, tant en matière de conseil et d'expertise que de contrôle. Pour les effectuer, l'Agence doit disposer de moyens humains et matériels appropriés.

Certaines de ses attributions supposent en effet que l'Agence compte des personnels nombreux et qualifiés.

Ainsi, le règlement du 27 juin 2002 précité portant création de l'Agence dispose dans son article 2 que l'AESM seconde la Commission européenne dans l'application des mesures de contrôle des sociétés de classification : ces mesures prévoient notamment l'attribution d'un agrément et sa suspension, voire son retrait si une société n'effectue pas son travail de manière satisfaisante au regard des règles communautaires.

A la question du rôle de l'Agence dans la procédure d'agrément, M. Vallat, actuel vice-président de l'AESM et destiné à en devenir président dans deux ans, s'est montré très affirmatif : « Des services se mettent en place, pour opérer un contrôle des sociétés de classification en coopération avec l'IACS, avec la possibilité de proposer de les suspendre ou de les exclure de l'Europe. C'est prévu, et je peux vous assurer qu'on ne sera pas tendre. »

Cependant, M. de Ruiter, directeur exécutif de l'AESM, s'est montré moins optimiste sur les moyens de contrôle dont dispose effectivement l'Agence. Il a indiqué que cette dernière a certes vocation à réaliser des audits et des analyses sur les sociétés de classification pour le compte de la Commission. Mais il a tenu à souligner qu'il s'agira pour l'Agence d'une tâche de grande ampleur, qui ne pourra être effectuée de manière exhaustive, du moins dans un premier temps : en effet, une grande société de classification telle le Lloyd's Register, dont on ne peut se contenter d'inspecter uniquement les méthodes du siège, possède des bureaux dans plus de 50 pays...

De même, l'Agence est chargée, aux termes du même règlement précité, d'une mission très large d'assistance de la Commission européenne dans le contrôle de la formation des équipages de navires, dans le cadre de l'établissement d'un système communautaire de reconnaissance des brevets d'aptitude délivrés par des Etats tiers. Ainsi que l'a souligné M. de Ruiter, il paraît difficile, compte tenu des moyens prévus, de confier à l'Agence des contrôles très opérationnels tels que la vérification sur place de la qualité des brevets maritimes délivrés dans tous les Etats non-membres de l'Union.

Il apparaît évident que l'Agence aura besoin de moyens considérables pour réaliser des missions d'une telle importance, qui ne constituent d'ailleurs qu'une partie des fonctions qui lui ont été confiées. On rappellera en effet que l'Agence doit également réaliser des analyses et des audits pour assister la Commission européenne dans l'élaboration de la législation communautaire et contrôler sa mise en œuvre. L'Agence est également chargée de contribuer au renforcement du contrôle de l'Etat du port, ce qui constitue une tâche essentielle.

Compte tenu de l'ampleur des missions qui lui ont été confiées, la Commission juge indispensable que l'Agence européenne de sécurité maritime dispose de moyens humains et matériels suffisants. A cet égard, l'effectif prévu de 55 personnes à terme semble relativement modeste et mériterait d'être réévalué. Le budget de l'Agence doit être arrêté en prenant en considération ces impératifs.

b) Préciser et développer certaines de ses fonctions

· Contribuer au renforcement de l'inspection des navires au titre du contrôle de l'Etat du port

L'Agence s'est vue confier la mission de contribuer au renforcement du régime d'inspection par l'Etat du port, en effectuant, le cas échéant, des visites dans les Etats membres pour s'assurer de la bonne application des règles communautaires.

Il est nécessaire que l'AESM ait une conception particulièrement large de cette fonction, en veillant à ce que les Etats membres accomplissent leurs obligations d'inspection non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement : en application de la directive 2001/106/CE, les Etats doivent en effet contrôler au moins 25% des navires entrant dans leurs ports, mais ces inspections doivent être effectuées de manière rigoureuse et ne pas se borner à un simple contrôle « papier » des documents à bord. Certains Etats membres peuvent ainsi afficher des taux de contrôle particulièrement satisfaisants, alors que leurs inspecteurs n'effectuent pas un véritable examen de l'état du navire.

On constate ainsi des différences notables dans les conditions effectives de réalisation des inspections par les ports, ce qui conduit à des distorsions de concurrence : certains ports ont ainsi tendance à être peu exigeants dans leurs contrôles, afin d'attirer le plus grand nombre de navires, et ceux qui réalisent leurs obligations de manière rigoureuse sont alors pénalisés, les navires préférant faire escale dans un autre port. M. de Richemont a notamment mis en avant les pratiques parfois peu satisfaisantes des ports néerlandais, indiquant : « Un port où on contrôle trop est un port qui a mauvaise réputation. C'est pourquoi nos amis des ports d'Anvers et de Rotterdam, lorsqu'ils supputent qu'il y a un problème, disent : « Vous pouvez partir mais vous devez vous faire inspecter avant de franchir l'Atlantique ». Le navire en question arrive alors dans un port français où il est inspecté ou arrêté, ce qui est évidemment mal perçu par les armateurs et les affréteurs, mais qui permet aux ports étrangers voisins de se développer. »

La Commission estime nécessaire que l'Agence assume de manière extensive sa mission de renforcement du régime de contrôle de l'Etat du port, en procédant à l'harmonisation des méthodes et des exigences des inspections réalisées dans ce cadre, afin d'éviter que ne subsistent des distorsions de concurrence en faveur des ports les moins rigoureux. A cet effet, elle doit disposer de prérogatives renforcées dans son contrôle des services d'inspection des Etats membres : elle devrait par exemple pouvoir réaliser de véritables audits de ces administrations, et leur demander de prendre le cas échéant des mesures correctives.

· Le contrôle des sociétés de classification 

Le contrôle des sociétés de classification constitue, ainsi qu'on l'a vu, une des fonctions essentielles de l'AESM, et nécessitera des moyens humains et matériels importants.

On notera que les sociétés de classification ont mis sur pied dès la fin des années 1960 une association destinée à réglementer davantage la profession et à imposer des obligations strictes dans les contrôles effectués. Ainsi, sept sociétés ont fondé en 1968 une association internationale, l'IACS (International Association of Classification Societies), qui avait pour vocation à ne regrouper que les sociétés de classification répondant à des standards de qualité élevés. L'IACS comprend à ce jour 10 sociétés de classification, qui classent plus de90% de la flotte mondiale en tonnage et plus de 50% en nombre d'unités.

M. Pierre Frey, représentant le Bureau VERITAS devant la Commission d'enquête, a décrit à la Commission les conditions requises pour entrer dans l'IACS et en rester membre : « Les critères d'adhésion à l'association sont en partie quantitatifs, et exigent un tonnage minimum de navires, un nombre minimum d'inspecteurs et une représentation internationale. Une fois que l'on a été coopté dans cette association, il faut encore pouvoir en rester membre. Pour ce faire, il faut satisfaire aux exigences de qualité prescrites par notre code pour la qualité de nos prestations. Celui-ci porte à la fois sur les prestations de classification et de certification. Il fait l'objet d'audits, choisis aléatoirement, qui portent à la fois sur les procédures suivies, sur le respect de la méthodologie prévue, et sur la qualité de la prestation proprement dite. On appelle cela un audit vertical, un audit produit. Les auditeurs de l'IACS se présentent pour ces audits dans tous nos centres d'inspection, choisis de manière statistique. 

Lorsqu'une société ne satisfait pas aux critères de qualité fixés par l'audit, elle peut être exclue de l'IACS. C'est arrivé au registre polonais, il y a deux ou trois ans. A ce jour, il n'a pas été réintégré. »

Cependant, en dépit des contrôles effectués dans le cadre de l'IACS, la qualité des prestations des sociétés membres s'avère hétérogène. Comme le soulignait la précédente Commission d'enquête, l'IACS, pourtant créée avec l'ambition de regrouper les meilleures sociétés de classification, ne fait pas l'unanimité sur la fiabilité et la qualité de ses membres. On relèvera d'ailleurs que tant la société qui a classé l'Erika, le Rina, que celle qui a classé le Prestige, l'ABS, étaient membres de l'IACS, et qu'il est apparu que leurs contrôles n'étaient pas totalement irréprochables.

C'est pourquoi la Commission juge indispensable que l'Agence, dans sa mission d'expertise et de contrôle à l'égard des sociétés de classification, veille au respect d'obligations plus rigoureuses que celles requises par l'IACS, afin que l'attribution de l'agrément par la Commission soit conditionnée par l'application par les sociétés de normes suffisamment strictes. Par ailleurs, il serait souhaitable que la rigueur de ces normes soit encore accrue lorsque les sociétés classent des navires présentant des risques particuliers, tels ceux transportant du fioul lourd.

c) Faire de l'Agence un levier d'action puissant, en lui confiant des missions opérationnelles et des moyens nouveaux

· Doter l'Agence de moyens de lutte contre la pollution

A la suite du sinistre du Prestige, la vice-présidente de la Commission européenne  et commissaire chargée des transports, Mme de Palacio, a proposé d'élargir les compétences de l'Agence, en lui permettant de procéder à l'achat ou à la location de navires dépollueurs s'appuyant sur les technologies les plus avancées. La Commission européenne a d'ailleurs prévu 20 millions d'euros pour ce faire dans le projet de budget de l'Agence pour 2004.

La Commission d'enquête soutient pleinement cette initiative, estimant que l'achat ou la location de navires dépollueurs de nouvelle génération représente un investissement important, qui se prête particulièrement bien à une mutualisation de son financement entre les Etats membres.

Reste la question des modalités de mise en œuvre de cette proposition. M. Vallat, représentant de la France à l'AESM, a notamment indiqué sur ce point : « A l'échelle d'une Europe à quinze et bientôt à vingt-cinq, il s'agit donc de se doter de deux ou trois navires du type Doris ou surtout OSH (Oil Sea Harvester) des Chantiers de l'Atlantique, qui sont capables de ramasser, y compris jusqu'à force 7, tout le pétrole du Prestige en moins d'une semaine. » L'AESM envisage soit de procéder à l'acquisition directe de ces navires, soit de recourir à la technique de la maîtrise d'œuvre : il semble d'ailleurs qu'elle s'oriente plutôt vers cette deuxième option.

Cependant, comme l'a indiqué M. Vallat, l'initiative de la Commission semble susciter des réticences parmi certains Etats membres, notamment en raison du coût relativement élevé de tels navires. Au regard de l'avancée considérable que ces derniers représenteraient en matière de lutte contre la pollution, ainsi qu'il a été souligné plus haut, il importe que la France soutienne fermement la proposition de la Commission européenne.

M. Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, a d'ailleurs souligné le volontarisme de la France en la matière : « Il faudra donner à cette agence tous les moyens de travailler, et la soutenir dans son action. Nous pourrions lui confier la mission -c'est là une décision des chefs d'Etat et de gouvernement- de construire quelques grands navires dépollueurs. Pourquoi ne pas avoir un grand navire dépollueur en Méditerranée qui pourrait intervenir sur les côtes françaises, italiennes, espagnoles ou grecques ? Par ailleurs, dans l'Atlantique, en Manche et en Mer du Nord, un ou deux autres navires à assez grande vitesse pourraient arriver sur une zone polluée et, le plus rapidement possible, aspirer les matières. L'entreprise Alstom et les Chantiers navals de l'Atlantique ont un projet en ce sens. Il existe d'autres projets techniques sur lesquels nous travaillons et qui déboucheront sur des propositions que nous avancerons à l'Europe. »

Parallèlement à cette proposition, il serait envisageable de mettre ensuite à la disposition de l'Agence des moyens de remorquage, en la dotant d'un « pool » de remorqueurs de forte puissance, qui seraient répartis sur les différentes façades maritimes des Etats membres. Une telle mesure permettrait de combler les lacunes importantes existant en la matière dans certaines zones européennes. A titre d'exemple, il n'existe qu'un seul remorqueur à forte puissance en Méditerranée, le Mérou, affrété par la Marine française, alors que nos partenaires italiens tardent à assumer leurs charges dans ce domaine, en s'appuyant sur le seul remorqueur français, par exemple pour l'assistance dans les Bouches de Bonifacio. Ce dispositif doit être impérativement complété et un investissement à l'échelle communautaire permettrait, de même que pour les navires dépollueurs, de mutualiser le coût de cet équipement entre les Etats qui seraient susceptibles d'y recourir en cas de pollution.

La Commission d'enquête estime indispensable de doter l'Agence de moyens opérationnels de lutte contre la pollution : elle soutient à ce titre la proposition de la Commission européenne relative aux navires dépollueurs et propose d'aller au-delà, en envisageant éventuellement de doter l'Agence de moyens de remorquage.

· Lui donner une fonction d'harmonisation des plans de lutte contre la pollution et d'audit des administrations

Les compétences opérationnelles de l'Agence pourraient être utilement étendues, en lui donnant pour mission de coordonner et d'harmoniser les plans nationaux de sauvetage et de lutte contre la pollution, afin d'éviter la juxtaposition de dispositifs nationaux mal articulés, en particulier lorsque la pollution affecte plusieurs Etats. Cette fonction serait d'ailleurs directement liée à la dotation de l'Agence en moyens de dépollution, puisque ces derniers devront être coordonnés avec les moyens des Etats membres. Les accords internationaux de coopération existants, qui ne fonctionnent que sur la base du volontariat, pourraient ainsi être complétés par la définition de modalités fortes de collaboration et de mobilisation des moyens disponibles des Etats et de l'Union européenne en cas de pollution.

Dans le cadre de cette mission de coordination, l'Agence pourrait également veiller au respect de normes minimales dans les moyens de récupération de la pollution (barrages, barges récupératrices, cribleuses) et dans les conditions de mobilisation des services publics et privés.

Pour mettre en œuvre ces dispositions, il serait souhaitable de donner à l'Agence le pouvoir d'établir des audits des administrations des Etats membres, sur le modèle de ce qui a été proposé s'agissant des administrations en charge du contrôle de l'Etat du port, pour constater et diffuser les « bonnes pratiques » et pour demander aux administrations de mettre en œuvre les mesures nécessaires afin de corriger les lacunes constatées.

La Commission considère que les missions opérationnelles de l'Agence doivent être complétées par un rôle de coordination et d'harmonisation des plans de lutte contre la pollution des Etats membres.

· Vers la mise en place d'une procédure d'agrément des sociétés de « manning »

Ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'AESM est chargée d'assister la Commission dans la mise en place du système communautaire de reconnaissance des brevets des gens de mer délivrés par les Etats tiers.

Cette mission relative à la vérification de la qualification des équipages pourrait être utilement complétée dans un deuxième temps par l'instauration d'un contrôle des sociétés de « manning », c'est-à-dire des sociétés de placement qui fournissent de la main-d'œuvre au profit d'un armateur. Les conventions de l'OIT n'évoquant pas ce type de prestations, il est en effet indispensable d'établir des règles minimales relatives au recrutement des marins par ces sociétés. De fait, certaines d'entre elles, pour fournir de la main-d'œuvre au moindre coût, recourent à des personnels peu qualifiés -souvent issus de pays en développement, tels l'Inde ou les Philippines- et parlant des langues différentes, ce qui engendre des difficultés de compréhension au sein d'un même équipage ; de plus, elles imposent souvent aux marins des durées d'embarquement et des horaires de travail particulièrement éprouvants et par là-même peu compatibles avec le respect des exigences de sécurité à bord d'un navire.

Le témoignage des représentants de l'AFCAN (Association française des capitaines de navires) devant la Commission est à cet égard particulièrement éclairant, et dresse un tableau qui a malheureusement peu évolué depuis leur audition par la précédente Commission d'enquête, trois ans plus tôt. M. Daniel Marrec, président de l'AFCAN, a ainsi indiqué : « La durée des embarquements, ne l'oubliez pas, est considérable. Il est courant que des Philippins vivent neuf mois, voire quatorze mois à bord. C'est complètement ahurissant ! Dans quel état se retrouvent-ils après quatorze mois d'embarquement ? De telles méthodes doivent être combattues, de façon à revenir à des durées d'embarquement raisonnables. » M. Jacques Loiseau, vice-président de l'AFCAN, a ajouté : « Dans les certificats d'effectifs -les « manning certificates »- données par les Etats du pavillon, on constate de façon mathématique que les marins travaillent plus que ce que ne l'autorisent les conventions. »

L'Agence pourrait être donc chargée de définir des normes minimales de formation, de durée d'embarquement et de travail des marins -en se fondant par exemple sur les normes édictées par l'ITF (International Transport Workers' Federation)- dont le respect serait imposé aux sociétés de manning pour obtenir l'agrément de la Commission européenne, sur le modèle de la procédure mise en place pour les sociétés de classification. Les navires inscrits dans les registres des Etats membres (y compris les registres bis) ne pourraient alors recourir aux services de ces sociétés que si elles ont été agréées par la Commission européenne.

La Commission estime donc souhaitable qu'à moyen terme, la mission de l'Agence en matière de contrôle de la formation des marins des Etats tiers soit étendue, en lui demandant de réaliser des contrôles des sociétés de « manning », dans le cadre d'une procédure d'agrément similaire à celle établie pour les sociétés de classification.

2.- Organiser le retrait des navires à simple coque, en prévoyant des mesures de transition pour éviter la pénurie de moyens de transports

Certains acteurs économiques du transport maritime auditionnés par la Commission d'enquête, notamment des gestionnaires du transport des produits pétroliers, ont mis en avant le fait que l'application des nouvelles dispositions communautaires relatives au retrait des navires à simple coque de catégorie 2 et 3 à l'horizon 2010, et au transport de fioul lourd dès maintenant, présentait le risque de générer une pénurie de capacités de transport. Selon ces acteurs, le nombre de navires à double coque qui pourraient être construits d'ici 2010 dans les chantiers navals ne permettrait pas de répondre aux besoins.

Sur ce point, les avis sont partagés. Selon une étude de l'« Oil Companies International Marine Forum » (OCIMF), il existe une « forte probabilité d'une rupture d'approvisionnement de produits pétroliers en Europe » si les règles communautaires sont mises en œuvre sans être modifiées. Le risque serait d'autant plus important si, comme cela est probable, d'autres pays s'alignent sur les normes européennes. Ainsi, les Etats-Unis ont d'ores et déjà annoncé qu'ils allaient introduire dans l'« Oil Pollution Act » une clause prohibant le transport de fioul lourd dans les navires à simple coque.

En revanche, les études menées par la Commission européenne indiquent que le risque de pénurie de capacités de transport est très peu probable.

Il est difficile à la Commission d'enquête de se prononcer sur ce point de façon précise et définitive, compte tenu de la technicité du sujet et des hypothèses faites par les uns et les autres.

Néanmoins, on peut noter que l'application des règles communautaires, prévoyant le retrait des navires à simple coque de catégorie 2 et 3 en 2010, conduira à éliminer des navires à simple coque relativement jeunes, qui pourraient encore naviguer quelques années après cette date.

En effet, en application de la convention MARPOL modifiée, l'obligation pour les pétroliers d'être équipé d'une double coque n'est intervenue qu'en 1996. Des navires à simple coque sont donc sortis des chantiers navals en 1995 : ils n'auront que 15 ans en 2010 et seront encore techniquement en état de fonctionner, surtout s'ils ont été bien entretenus. Ils seront d'ailleurs sans doute moins dangereux que des navires à double coque plus âgés.

Il serait donc souhaitable de prévoir des mesures transitoires permettant aux navires à simple coque de 15, 16 ou 17 ans de naviguer après 2010, en instituant un contrôle spécifique approfondi afin de s'assurer de la qualité de leur entretien et de l'état de leur structure, et d'apprécier s'ils sont encore aptes à naviguer. Ce contrôle pourrait par exemple être réalisé sur le modèle du Condition Assessment Scheme (Système d'évaluation de l'état des navires) prévu par les textes internationaux : il s'agit d'un régime supplémentaire d'inspections renforcées spécialement élaboré pour détecter les faiblesses structurelles des pétroliers à simple coque.

Ces mesures transitoires permettraient ainsi d'atténuer des tensions éventuelles sur les capacités de transport. Pour autant, un tel assouplissement des règles communautaires ne remettrait nullement en cause les principes fixés par le règlement en cause, lesquels sont bien évidemment très positifs et tout à fait indispensables.

D'ailleurs, la Commission européenne a déjà pris en compte les contraintes particulières de certaines catégories de navires, en prévoyant un régime dérogatoire pour les petits pétroliers -dont le tonnage s'établit entre 600 et 5 000 tonnes. En effet, ces navires sont utilisés à titre principal pour livrer du fioul dans les îles -notamment les Baléares ou les îles écossaises- et amener du carburant aux bateaux : ces activités essentielles de cabotage et de soutage auraient été menacées par une application immédiate de l'interdiction de transport de fioul lourd dans les navires à simple coque, alors que ces navires, naviguant sur des trajets très courts, sont faciles à contrôler ; de plus, ils empruntent en général toujours les mêmes routes maritimes et sont donc bien connus.

La Commission européenne a donc fait preuve de pragmatisme, en prévoyant que l'interdiction de transport de fioul lourd s'appliquerait pour ces navires avec plus de souplesse, à compter seulement de 2008.

La Commission d'enquête estime nécessaire que la Commission européenne prenne également en compte les spécificités des navires à simple coque construits peu avant 1996, en approfondissant ses études et en confrontant son point de vue avec celui des professionnels et, éventuellement, en décidant des mesures transitoires pour la mise en œuvre de leur retrait, ce qui permettrait d'atténuer les tensions possibles sur les capacités de transport à l'horizon 2010.

3.- Mobiliser les mécanismes d'assurances comme moyen de sélection des navires ?

La convention CLC de 1992 impose au propriétaire du pétrolier la souscription d'une « assurance ou autres garanties financières » pour couvrir sa responsabilité pour dommages de pollution. Cette disposition est confirmée par l'article 7 de la convention, qui dispose que le navire doit obligatoirement avoir à son bord un « certificat attestant qu'une assurance ou garantie financière est en cours de validité ». Cette assurance pour les dommages de pollution causés par le navire est délivrée par les « P&I Clubs » (cf partie IV du présent rapport).

Il existe donc une obligation d'assurance, aussi bien pour les navires battant pavillon des Etats parties de la convention CLC que pour les navires immatriculés par un Etat non contractant mais se rendant dans un port d'un Etat contractant. Ces certificats d'assurance font ainsi partie des documents de bord contrôlés lors des inspections de l'Etat du port.

Cependant, il serait souhaitable que l'Union européenne envisage d'utiliser davantage ces mécanismes d'assurances comme levier d'action, ce qui permettrait de responsabiliser les armateurs et les assureurs et d'opérer une sélection de fait des navires entrant dans les eaux européennes. En effet, la convention CLC fixe un plafond limitant la responsabilité de l'armateur en cas de sinistre, en fonction de la jauge du navire : ce plafond est très bas, notamment au regard du coût réel des pollutions, et nous aurons l'occasion de revenir sur sa nécessaire réévaluation.

A défaut d'augmenter significativement ce plafond, il serait utile d'instaurer l'obligation pour les navires entrant dans les eaux européennes de disposer d'un certificat d'assurance garantissant la solvabilité de l'armateur pour un montant plus en rapport avec les dommages que le navire est susceptible de causer, qui serait donc supérieur au plafond déterminé par la convention CLC.

C'est ce que prévoit la législation américaine : ainsi qu'on l'a vu plus haut, l'OPA impose aux armateurs des navires entrant dans les eaux américaines de prouver qu'ils sont financièrement capables de faire face à la responsabilité maximale calculée pour ce type de navire : l'armateur se voit alors contraint de se faire délivrer un certificat de responsabilité financière (COFR). Le plus élevé des certificats demandé dans le cadre de l'OPA atteint aujourd'hui 400 millions de dollars : le « P&I Club » doit donc accorder une garantie d'un montant très élevé.

Ce mécanisme est particulièrement séduisant, en ce qu'il permet de sélectionner les navires circulant dans les eaux territoriales des Etats : les navires dits sous-normes auront des difficultés à trouver une compagnie d'assurances qui acceptera de fournir de telles garanties. En effet, comme l'a souligné M. Conti, directeur des assurances transports à la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), les assureurs ne sont pas des philanthropes et procèdent à une sélection stricte des risques, car ce sont eux qui seront amenés à payer en cas de sinistre.

La Commission propose donc que l'Union européenne engage une réflexion sur la possibilité d'instaurer pour les navires entrant dans les eaux territoriales des Etats membres l'obligation de présenter des garanties financières correspondant au coût des pollutions qu'ils sont susceptibles de provoquer.

On ne peut occulter cependant que la mise en place d'une telle mesure reste délicate, car elle nécessiterait une modification de la convention CLC : celle-ci prévoit en effet dans son article 7 un mécanisme de reconnaissance réciproque des certificats d'assurance, ce qui ne permet pas l'instauration unilatérale de garanties spécifiques par un Etat partie à cette convention. Cependant, l'intérêt de cette mesure justifierait que l'Union européenne l'étudie de façon approfondie.

B.- SUR LE PLAN DES ORIENTATIONS

1.- Prendre l'initiative d'une politique ambitieuse vis-à-vis des pays moins développés 

a) Développer la coopération avec les Etats tiers

Les défaillances des Etats de libre immatriculation en matière de contrôle de leurs navires sont largement dénoncées, et constituent un des facteurs essentiels du risque maritime. Si l'on ne peut établir une stricte équivalence entre Etats de libre immatriculation et navires sous-normes15, il est indéniable que les pavillons de complaisance connaissent dans l'ensemble des taux de sinistres et de retenue des navires supérieurs à la moyenne.

Cette situation est d'ailleurs à l'origine de l'instauration de contrôles par les Etats du port. Une telle solution n'est pas satisfaisante et ne constitue qu'un pis-aller : la responsabilité du contrôle de l'état des navires doit incomber à titre principal aux Etats qui les immatriculent, d'autant que les contrôles réalisés par les Etats du port sur les structures ne peuvent par nature être suffisamment approfondis.

Pour autant, il apparaît difficile d'interdire à un Etat d'immatriculer des navires en raison de l'insuffisance de ses structures de contrôle : une telle mesure serait impossible à instaurer, car elle ne serait bien évidemment pas acceptée au sein de l'OMI.

De surcroît, on ne peut refuser à un Etat en développement le droit de retirer des revenus de l'immatriculation de navires, surtout s'il est dépourvu de richesses naturelles. M. Vallat, président de l'Institut français de la mer, a indiqué sur ce point : «  Les Etats du pavillon sont en grande partie coupables. (...) Ainsi, la responsabilité du Cambodge, de l'île de Saint-Vincent et des Grenadines ou de beaucoup d'autres Etats pauvres ou émergents est évidente, puisqu'ils signent des conventions tout en sachant pertinemment qu'ils n'ont aucun moyen de les faire respecter. (...) Cependant, sauf à vouloir encore aggraver le déséquilibre nord-sud, pourquoi refuserait-on le droit à ces pays d'immatriculer des navires ? Au nom de quoi le Cambodge ou des pays africains n'auraient-ils pas le droit de gagner de l'argent en disposant d'un pavillon qui leur permet de percevoir des taxes ? Au nom de quoi serions-nous les seuls à y avoir droit ? »

C'est pourquoi il apparaît essentiel d'engager une coopération approfondie avec les Etats immatriculant des navires mais ne disposant pas de structures de contrôle suffisantes, en particulier ceux figurant sur la liste noire publiée par le Mémorandum d'entente de Paris.

Des initiatives ont été prises en ce sens : en 1983, a ainsi été créée, dans le cadre de l'OMI, l'Université maritime mondiale, située à Malmö, en Suède. Son objectif est de constituer un pôle de référence dans l'enseignement et la formation maritime, et de promouvoir l'application des meilleures normes possibles dans le transport maritime. De même, l'Institut de droit maritime international (IMLI) a été créé en 1988 à Malte afin d'offrir aux pays en développement un outil de formation et d'études en droit maritime international. Les personnes diplômées de ces deux institutions peuvent occuper, de retour dans leur pays, des postes de responsabilité dans le secteur maritime, et sont en mesure d'y promouvoir une culture de la sécurité. Cependant, de tels organismes ne peuvent jouer qu'un rôle limité, du fait du faible nombre de personnes qu'ils peuvent accueillir et de leurs difficultés de financement.

C'est pourquoi ces instruments doivent être complétés par la mise en œuvre d'une véritable politique de coopération, en créant des programmes ambitieux de partenariats et de formation maritime à destination des pays de libre immatriculation : l'Union européenne, qui compte parmi ses Etats membres de nombreux pays à forte tradition maritime, pourrait jouer un rôle moteur en la matière.

Ainsi, l'Union européenne pourrait mettre en place des programmes de formation dans les écoles maritimes des Etats membres ou dans les Etats de libre immatriculation, afin que ces derniers puissent disposer de personnes compétentes et en nombre suffisant pour exercer leurs prérogatives de contrôle de l'Etat du pavillon et du port. De même, les Etats membres pourraient fournir des personnels qualifiés pour encadrer les services maritimes des Etats en développement, ou, du moins, leur fournir une expertise. Un tel dispositif de « coopération technique » pourrait être financé par les crédits communautaires affectés à l'aide au développement. Cette logique a été retenue pour les pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne, dans le cadre du programme communautaire Phare (Poland and Hungary Assistance for the Restructuring of the Economy)16, qui constitue un instrument de coopération technique et financière en vue de l'élargissement et se fixe pour objectif le renforcement des institutions et des administrations des Etats candidats, ce qui inclut les administrations maritimes (cf. infra).

Une telle approche s'inscrit clairement dans une perspective de long terme, puisqu'elle ne pourra donner des résultats tangibles qu'au terme de plusieurs années, et suppose l'adhésion des Etats de libre immatriculation qui, puisqu'ils peuvent s'abstenir d'appliquer les normes internationales de contrôle et de sécurité en toute impunité et n'assument à ce jour aucune responsabilité, ne sont guère incités à modifier leur comportement. Il est difficile de savoir s'ils seraient disposés à accepter de tels mécanismes de coopération.

Cependant, à terme, chacun des acteurs tirerait des bénéfices d'une telle coopération : elle renforcerait la sécurité et la protection des Etats riverains et permettrait aux Etats de libre immatriculation de ne plus être mis à l'index du fait de l'insuffisance, voire de l'inexistence de leurs contrôles.

b) Dégager des approches communes en Mer Méditerranée, en Mer Noire et en Mer Baltique  : une priorité incontournable

Le développement d'une telle logique de coopération est particulièrement nécessaire dans certaines régions maritimes : en effet, peuvent être identifiées en Europe deux zones particulièrement exposées aux risques de sinistres maritimes et de pollution, du fait du fort trafic qui s'y exerce et de la faible qualité des navires qui y naviguent : il s'agit de la mer Méditerranée, par laquelle transitent notamment de nombreux pétroliers en provenance des pays caucasiens, et de la mer Baltique.

· La mer Méditerranée : une zone très exposée

En dépit de son caractère de mer semi-fermée, la Méditerranée est soumise à un trafic très intense, du fait des flux de pétrole brut en provenance du Golfe arabo-persique, via le canal de Suez, ainsi que de l'acheminement du pétrole en provenance du Caucase. Il s'agit donc pour l'essentiel de navires en transit vers d'autres mers ou océans et empruntant l'axe Suez-Gibraltar.

Si les conditions météorologiques en mer Méditerranée sont généralement moins rigoureuses que dans d'autres zones, telles la Manche ou le Golfe de Gascogne, les risques d'accidents n'en sont pas moins bien réels, et peuvent emporter des conséquences plus graves, du fait du faible renouvellement interne de la Méditerranée. Les principales zones d'accidents sont le détroit de Gibraltar, le passage entre Malte et la Sicile ainsi que les zones d'accès aux ports de Gênes, Venise, Le Pirée, Beyrouth et Alexandrie.

De plus, bien souvent, les navires en provenance des ports turcs, russes, géorgiens, mais aussi égyptiens ou algériens, ne présentent pas toutes les garanties requises de qualité et de sécurité, du fait de réglementations et de contrôles beaucoup moins exigeants que dans les pays européens. Pour mémoire, les taux de détention des navires battant pavillon de la Georgie, de la Turquie, de l'Egypte et de l'Ukraine à l'issue des inspections réalisées au titre du contrôle de l'Etat du port atteignaient, en 2001, respectivement 34,21%, 24,59%, 17,74% et 14,84%17... Ces chiffres, particulièrement élevés, doivent être mis en parallèle avec le taux moyen constaté parmi les Etats membres de l'Union, qui s'élèvait à 3,14% à la même date.

M. Karsenti, président du conseil des Chargeurs maritimes, a ainsi insisté sur la nécessité de parvenir à un accord avec les Etats concernés : « En Méditerranée, la situation est également problématique. En premier lieu, des navires sortent de Novossibirsk pour aller en Mer Noire ; ensuite, le brut venant d'Azerbaïdjan sort des ports géorgiens et présente également un risque ; pour sa part, le brut irakien repartira bientôt des ports turcs. Il faut donc, en Méditerranée, trouver un accord avec les pays limitrophes, de manière à sécuriser les sorties, autant que faire se peut. A défaut, les mesures décidées ne s'appliqueraient qu'aux pays européens et seraient alors sans effets sur les risques de pollution. »

La Commission considère donc qu'un dialogue avec les Etats riverains de la Méditerranée non-membres de l'Union Européenne, mais aussi ceux riverains de la Mer Noire -dont les ports constituent un point de départ et d'arrivée de pétroliers transitant par la Méditerranée- doit être engagé avec volontarisme, afin d'obtenir l'application de réglementations de sécurité plus strictes par les Etats particulièrement en retard, en contrepartie d'une assistance financière et technique.

Ainsi que l'a indiqué à la Commission d'enquête M. Lamoureux, directeur général des Transports et de l'énergie à la Commission européenne, celle-ci a engagé des démarches en ce sens dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen avec les Etats riverains de la Méditerranée, et cette question devait, à l'heure où ce rapport est rédigé, être abordée lors de la prochaine réunion de ce partenariat prévue à Naples, le 5 juillet 2003.

Au-delà de l'application de réglementations plus contraignantes sur le transport maritime et la qualité des navires dans ces zones, afin de diminuer les risques d'accidents, doit également être abordée la question de la lutte contre les dégazages et les déballastages illicites. Cette source de pollution, moins bien connue mais extrêmement importante, peut être prévenue en mettant à la disposition des navires transitant dans la mer Méditerranée des installations portuaires de réception de déchets suffisamment nombreuses. Or, ainsi que l'indiquait M. Garnier, secrétaire général de la mer, « En Méditerranée, le problème est que ces installations n'existent pas dans les ports du Maghreb. Aujourd'hui, tous les ports français sont équipés de moyens fixes ou recourent à des entreprises qui viennent avec des camions et vident les cales de leurs résidus. En revanche, dans les ports du Maghreb, il n'existe rien. »

Cette situation est pour le moins préoccupante. A cet égard, des actions sont envisagées dans le cadre de l'Union européenne, par le programme de coopération pour le partenariat euroméditerranéen (programme MEDA). Ce programme, couvrant actuellement la période 2000-2006, constitue en effet le cadre financier principal de la coopération de l'Union avec les pays tiers méditerranéens, incluant notamment l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, l'Egypte et la Turquie, et son domaine d'intervention couvre des actions de soutien à la transition économique à travers des plans d'aménagement d'infrastructures.

Il serait donc souhaitable que dans le cadre de ce plan, soient lancés des investissements en matière d'infrastructures portuaires, en vue de développer les capacités de réception des déchets dans les pays méditerranéens non-membres de l'Union. Cependant, ainsi que l'a indiqué M. Garnier à la Commission, la mise en œuvre du programme MEDA se heurte à des difficultés récurrentes et la consommation des crédits disponibles n'est pas satisfaisante : « Il a pris un peu de retard. Ce programme avance « cahin-caha », mais il faut dire que ce n'est pas une priorité pour les autorités de la côte africaine de la Méditerranée. »

La Commission estime indispensable d'utiliser toutes les possibilités offertes par le programme communautaire MEDA en matière d'investissements en infrastructures, afin de renforcer les capacités de réception des déchets des navires dans les ports des Etats riverains de la Méditerranée et non membres de l'Union. Cette action doit constituer une priorité, au regard des conséquences extrêmement néfastes des dégazages et déballastages sauvages.

· Des enjeux importants en mer Baltique

De même, la mer Baltique est particulièrement vulnérable aux risques de pollution du fait du fort développement du trafic maritime, et notamment du transport de fioul lourd en provenance des ports russes et baltes. Ainsi que l'indique le rapport du BEA-mer, le tonnage des produits pétroliers chargés en Baltique augmente actuellement de façon significative. En 200018, la zone constituée par les pays de l'ex-URSS exportait par voie maritime plus de 29 millions de tonnes de fioul lourd, devant le Moyen-Orient (27 millions de tonnes) et l'Amérique latine (10 millions de tonnes), pour un total mondial de 106 millions de tonnes.

On constatera également que la mer Baltique a connu au cours des dernières années de multiples accidents de navires citernes transportant du fioul lourd, dont les plus récents sont ceux du Baltic Carrier, du Pindar et du Princess Pia.

Si les pays baltes doivent devenir membres de l'Union européenne en 2004 et seront à ce titre tenus d'appliquer les règles communautaires de sécurité maritime, il n'en est pas de même pour la Russie, alors que les terminaux de Saint-Pétersbourg et de Primorsk génèrent un fort trafic de produits pétroliers et que ce pays figure sur la liste noire du Mémorandum de Paris.

C'est pourquoi des négociations doivent être engagées avec la Russie sur ce point, afin de parvenir à un accord sur l'application de règles plus rigoureuses de sécurité maritime. A défaut, vont circuler devant tous les ports de la Baltique, de la Manche et de l'Atlantique -comme l'a fait le Prestige- des navires de mauvaise qualité avec des cargaisons très dangereuses, à l'encontre desquels les règles communautaires ne seront pas applicables.

Sur ce point, M. Lamoureux, directeur de la DG-TREN à la Commission européenne, a précisé que des discussions sur le renforcement de la sécurité maritime sont actuellement menées avec la Russie et commencent à porter leurs fruits. Des compromis pourraient notamment être conclus sur des contreparties à un alignement russe sur la réglementation communautaire, et la Commission européenne serait disposée à fournir une assistance technique conditionnée à un tel alignement.

2.- Parvenir à une convergence souhaitable et possible des positions des Etats membres actuels et nouveaux

a) Des écarts considérables entre les Etats candidats et les actuels Etats membres en matière de sécurité maritime

L'élargissement de l'Union européenne va se traduire par l'entrée de douze nouveaux Etats membres, au 1er mai 2004 pour dix d'entre eux19 et à l'horizon 2007 pour la Bulgarie et la Roumanie. Parmi eux, se trouvent des Etats dont les performances en matière de sécurité maritime sont peu satisfaisantes, tels la Roumanie, la Bulgarie ou les pays baltes, mais aussi et surtout Chypre et Malte, qui constituent deux puissances maritimes majeures mais dont la qualité des navires sous leur pavillon n'est pas irréprochable.

Les flottes sous pavillon maltais et chypriote occupent respectivement les 5ème et 6ème rangs mondiaux, et comptent 1 312 et 1 239 navires.20 Si le poids de ces deux Etats va faire de l'Union la première puissance maritime mondiale, leur entrée n'est pas sans poser des difficultés, compte tenu de leurs pratiques peu rigoureuses au regard de la sécurité maritime, qui conduisent à les qualifier d'Etats de libre immatriculation.

De fait, selon les informations du rapport annuel du Mémorandum de Paris pour 2001, le pourcentage de navires battant pavillon chypriote et maltais immobilisé à la suite d'un contrôle effectué par l'Etat du port s'élève au niveau peu satisfaisant de respectivement 8,85% et 9,5%. La situation des navires sous pavillon roumain et bulgare est plus préoccupante encore, puisque leur taux de détention atteint respectivement 23,5% et 15,7%. A ce titre, ces quatre pays figurent en bonne place sur la liste noire des pavillons établie dans le cadre du Mémorandum de Paris. On relèvera également que le taux de détention des navires estoniens s'établit à 7,52%. De même, les navires sous pavillon maltais représentent, pour leur part, entre un quart et un tiers des navires faisant l'objet de mesures d'exclusion par la préfecture maritime de la Manche, au titre des accords de Malaga.

La comparaison de ces différents taux de détention avec le taux moyen observé pour les navires immatriculés dans les Etats membres de l'Union (3,14% en 2000) fait apparaître un écart considérable entre la qualité des flottes des Etats membres et de certains des Etats candidats.

Ce constat s'explique pour partie par les caractéristiques de la législation de certains des Etats candidats, particulièrement libérale, voire laxiste, en matière fiscale, patrimoniale et sociale, ce qui favorise l'immatriculation de navires par des armateurs peu soucieux de transparence et de sécurité. Tant Chypre que Malte ont acquis la réputation, malheureusement souvent vérifiée, d'accueillir des opérateurs peu recommandables.

A cet état de fait, se conjugue la faiblesse des contrôles et des inspections réalisées au titre de l'Etat du pavillon sur les navires immatriculés : les administrations maritimes de ces pays sont peu développées et délèguent une grande partie de leurs obligations de contrôle aux sociétés de classification. Or, comme l'indiquait M. Tourret lors de son audition par la Commission : « On pourrait penser qu'une société de classification n'a pas le même comportement quand elle sait que, derrière elle, il y a ou pas une administration d'Etat ». Dès lors, les navires immatriculés à Malte ou en Roumanie font l'objet de contrôles bien moins rigoureux que dans des Etats disposant d'administrations maritimes structurées, tels la France. Le cas du navire Erika est d'ailleurs particulièrement éclairant sur ce point : tant sa certification, déléguée par l'autorité maritime maltaise, que sa classification, ont été effectuées par la société de classification italienne Rina, et cette confusion des genres a abouti à des contrôles peu satisfaisants, dont les défaillances ont été mises en exergue par la précédente Commission d'enquête.

La faiblesse des administrations maritimes de ces Etats candidats explique également que les inspections qu'ils réalisent au titre du contrôle de l'Etat du port, restent insuffisantes notamment au regard des exigences du Mémorandum de Paris -auquel ils ne sont pas parties- qui prévoient un taux de contrôle de 25% des navires entrant dans les ports.

b) Des améliorations notables

En vue de leur adhésion à l'Union, les Etats candidats sont tenus d'intégrer dans leur législation l'ensemble des normes communautaires actuellement en vigueur. L'ensemble de ces réglementations a été divisé en 31 chapitres distincts, qui font l'objet de négociations entre les Etats candidats et la Commission ; les questions de sécurité maritime sont abordées dans le cadre du chapitre 9, relatif aux transports.

Ce domaine constituait un point particulièrement sensible dans la perspective de l'élargissement, au regard des performances peu satisfaisantes des pays candidats. Pour mémoire, durant sa présidence de l'Union européenne, la France avait bloqué la négociation du chapitre des transports pendant six mois afin que les négociations avec Chypre intègrent un certain nombre d'exigences sur la reprise des paquets Erika I et II, et ces conditions ont servi de précédent pour la négociation de ce chapitre avec les autres candidats.

Afin de préparer l'intégration dans leur droit interne des normes communautaires en vigueur en matière de sécurité maritime, considérablement renforcées depuis 1999, les Etats candidats ont fourni des efforts importants pour renforcer leurs réglementations et les administrations chargées de les appliquer. Cette évolution fait ici l'objet d'un examen particulier pour Malte et Chypre, l'importance de leur flotte rendant l'amélioration de leurs pratiques absolument indispensable.

Chypre et Malte ont adopté une politique plus sélective et plus rigoureuse d'immatriculation des navires. A titre d'exemple, en janvier et mai 2001, deux navires ont été rayés du registre chypriote parce qu'ils avaient été retenus à plusieurs reprises dans le cadre du contrôle de l'Etat du port pour de graves déficiences de sécurité. De même, entre janvier et décembre 2001, 21 navires ont été refusés au registre maltais, tandis que 40 navires en ont été radiés pour non-conformité technique.

Parallèlement à cette évolution, les administrations maritimes de ces Etats ont été renforcées, ainsi que le demandait la Commission européenne. Le nombre des experts et des inspecteurs a été accru, afin de développer les contrôles réalisés au titre des obligations d'Etat du pavillon et d'Etat du port. Le Parlement chypriote a notamment approuvé le recrutement de 25 personnes supplémentaires pour le département de la sécurité maritime (DMS), et entre juillet 2000 et mai 2001, 14 inspecteurs ont été recrutés. De même, la direction de la marine marchande maltaise a recruté 6 inspecteurs en 2002 et a réalisé des investissements pour mettre en place un registre informatisé de navires ainsi qu'un système de surveillance de la navigation.

De fait, les inspections, que ce soit au titre de l'Etat du pavillon ou à celui de l'Etat du port, ont augmenté significativement : les inspecteurs chypriotes ont ainsi effectué 593 contrôles du pavillon en 2001, contre 369 en 1999 et 166 en 1998. La mise en œuvre de contrôles plus nombreux a porté ses fruits, puisque le taux de détention de leurs navires a légèrement diminué, passant de 9,97% en 1999 à 8,85% en 2001 pour Chypre et de 11,8% en 2000 à 9,5% en 2001 pour Malte.

Enfin, des réglementations ont été adoptées en matière sociale : par exemple, Malte a adopté un règlement en 2002 pour transposer les normes des directives communautaires relatives au salaire minimum et aux heures de travail, ainsi qu'une réglementation concernant les marins en détresse.

c) La nécessité de poursuivre les efforts engagés

S'il est indéniable que des mesures ont été prises pour rapprocher les règles et pratiques en vigueur à Chypre et à Malte de celles des Etats membres de l'Union, beaucoup reste encore à faire en la matière : compte tenu des écarts encore existants, les efforts engagés doivent être poursuivis et amplifiés. Le taux de détention des navires battant pavillon chypriote et maltais a certes diminué mais n'en demeure pas moins largement supérieur à la moyenne des Etats membres.

L'alignement sur l'acquis communautaire n'aura de sens que si les normes sont véritablement appliquées, donc si les administrations maritimes maltaises et chypriotes disposent de moyens suffisants. La Commission européenne a d'ailleurs souligné à plusieurs reprises, dans ses rapports sur les progrès réalisés par ces Etats sur la voie de l'adhésion, que l'amélioration des capacités administratives de ces autorités maritimes constituait une priorité, notamment en matière d'inspection et de contrôle. Ces dernières ont certes été renforcées, comme on l'a vu plus haut, mais elles restent encore très éloignées de l'importance de la flotte immatriculée dans leurs registres. De même, doivent être réalisés d'importants investissements pour renforcer les infrastructures de suivi de la navigation et d'inspection des Etats candidats.

Des actions ont été engagées en ce sens par l'intermédiaire du programme communautaire Phare. C'est en effet dans ce cadre qu'un jumelage institutionnel, remporté par la France, va être mis en œuvre au profit de l'autorité maritime maltaise, en lui fournissant le soutien d'une expertise extérieure. La France mettra ainsi à sa disposition certains de ses inspecteurs.

De fait, le programme Phare a pour priorité le renforcement des institutions et des administrations des Etats candidats. A ce titre, sont notamment mis en œuvre des programmes de formations, d'assistance technique et de jumelage afin de renforcer les capacités des administrations.

La Commission d'enquête estime que de tels programmes doivent être largement développés à destination des Etats candidats ne disposant pas de compétences suffisantes pour accomplir leurs obligations en matière de sécurité maritime. La coopération engagée avec Malte va effectivement dans le bon sens et elle doit être généralisée aux autres pays candidats. De même, les investissements nécessaires pour renforcer les capacités techniques des administrations maritimes en matière de surveillance du trafic maritime et d'inspections pourraient être subventionnés dans le cadre de ce même programme Phare.

3.- Faire de l'Union européenne une puissance maritime incontournable engagée en faveur de la sécurité

L'arrivée de Malte et de Chypre au 1er mai 2004 fera de l'Union européenne la première puissance maritime mondiale, détrônant ainsi Panama, dont la flotte compte 5 200 navires. De fait, le poids et la capacité d'influence que représenteront les Etats membres au sein de l'OMI seront fortement augmentés. Alors que la flotte marchande sous pavillon communautaire représente 12% de la flotte mondiale (flotte de plus de 500 tonneaux) son poids atteindra 23% lorsque l'Union européenne comptera 25 membres.

Cependant, l'entrée dans l'Union de pays peu stricts en matière de sécurité maritime, tels Malte et Chypre, risque de renforcer le camp des Etats membres les plus libéraux qui, s'ils ont accepté les propositions de la Commission, et notamment les paquets Erika I et II, ont cherché à atténuer leur portée et ont indiqué leur préférence pour l'adoption de mesures dans le cadre de l'OMI : des pays tels le Royaume-Uni ou les Pays-Bas avaient ainsi manifesté leurs réticences face à certaines propositions de la Commission. De plus, la Grèce pourrait trouver, avec l'adhésion de Chypre et de Malte, deux appuis importants pour promouvoir des positions favorables à ses intérêts  : sur ce point, l'Institut supérieur d'économie maritime (ISEMAR) précisait dans une synthèse d'avril 2003 que 60% des navires immatriculés à Malte et 70% des navires immatriculés à Chypre étaient contrôlés par des armateurs grecs, et évoquait le risque que cette « troïka » d'Etats ne constitue un contrepoids à des projets de la Commission européenne jugés parfois trop contraignants par les armateurs grecs.

Il n'est donc pas impossible que l'élargissement se traduise paradoxalement par un moindre volontarisme en matière de sécurité maritime, du fait du poids accru de pays plus libéraux au sein de l'Union.

Cependant, une hypothèse plus optimiste doit également être examinée : les deux sinistres successifs de l'Erika et du Prestige ont provoqué une véritable prise de conscience parmi les Etats et leurs opinions publiques, et les préoccupations de sécurité maritime figurent aujourd'hui au premier plan. Des pays tels la France ou l'Espagne, qui ont agi avec détermination pour faire adopter des mesures rigoureuses, jouissent d'un poids accru. Il est donc possible de parvenir, en dépit de l'arrivée de pays libéraux, à harmoniser les positions de tous les Etats membres en faveur d'une plus grande sécurité maritime, d'autant que des pays tels Malte et Chypre ont indiqué leur volonté de faire des efforts considérables en la matière en vue de leur entrée dans l'Union.

A cet effet, la France doit poursuivre sa démarche en faveur de l'amélioration de la sécurité maritime, en coopération avec les Etats les plus actifs en la matière, ainsi qu'elle l'a fait après l'Erika et le Prestige.

L'Union européenne, disposant d'un poids considérable au sein de l'OMI du fait de son rang de première puissance maritime, pourra alors promouvoir de manière décisive le renforcement des normes de sécurité maritime au niveau international, la Commission européenne coordonnant en amont les positions des différents Etats membres.

En ce sens, pourrait être préconisée, dans le sens recommandé par l'Académie de marine, la mise en place d'une redevance de route maritime pour l'utilisation des routes européennes, dont le produit contribuerait à financer une partie des mesures de sécurité nécessaires.

L'influence de l'Union européenne pourrait être renforcée par son adhésion à l'OMI en tant que telle : l'Union ne dispose en effet à ce jour que d'un statut d'observateur, et la Commission européenne a exprimé à plusieurs reprises le souhait que l'Union devienne membre à part entière de l'OMI. Si certains Etats membres ne sont guère favorables à cette initiative, ainsi que l'a indiqué à la Commission d'enquête M. Lamoureux, directeur de la DG-TREN de la Commission européenne, cette proposition doit être impérativement soutenue : l'Union pourrait ainsi exprimer les positions de l'ensemble des Etats membres, et bénéficierait d'une influence considérable au sein de l'OMI. M. Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports et à la mer, a d'ailleurs souligné le bien-fondé de cette proposition lors de son audition devant la Commission d'enquête, indiquant qu'il serait très positif que l'Union européenne siège à l'OMI aux côtés des Etats membres.

On relèvera cependant que les statuts de l'OMI ne permettent pas à ce jour l'adhésion d'une organisation régionale en tant que membre à part entière ; l'adhésion directe de l'Union est donc conditionnée par une modification préalable des textes régissant l'OMI.

C.- VERS LA CRÉATION DE GARDES-CÔTES EUROPÉENS ?

L'instauration de l'« Oil Pollution Act » et l'attribution au corps des « coast guards » des missions de sécurité maritime ont permis aux Etats-Unis, ainsi qu'on l'a vu plus haut, d'obtenir des résultats particulièrement significatifs en termes de lutte contre les pollutions. A ce titre, le système américain est souvent cité en exemple et d'aucuns préconisent que l'Europe mette en œuvre une organisation similaire, en constituant un corps de garde-côtes européen réunissant les services compétents de tous les Etats membres. Cette proposition a notamment été avancée par le Parlement européen dans sa résolution du 19 décembre 2002 sur la sécurité maritime.

Il convient cependant de se garder de toute approche simpliste en la matière : d'une part, l'administration américaine des « coast guards » n'est pas uniquement chargée des questions de sécurité maritime ; d'autre part, il semble difficile d'envisager la transposition d'un système établi dans un Etat certes fédéral, mais unique, à un ensemble de 15, et bientôt 25 Etats différents, aux organisations et aux traditions distinctes.

C'est pourquoi la mise en place d'un corps de garde-côtes européen calqué sur le modèle américain ne constitue sans doute pas une solution optimale, du moins à court terme. En revanche, une coordination accrue, mise en œuvre par l'Agence européenne de sécurité maritime de façon progressive, serait plus adaptée et pourrait conduire à un utile rapprochement des administrations des Etats membres. Une telle orientation n'exclut d'ailleurs pas la constitution de garde-côtes européens à terme, une fois cette première intégration achevée.

1.- Une transposition du système américain difficile à mettre en œuvre

a) Des domaines de compétences et un statut spécifique

Le corps des « coast guards » est le plus souvent connu pour ses missions de sécurité maritime, mais on ne doit pas pour autant oublier qu'il exerce également d'autres attributions, correspondant à des prérogatives régaliennes. En effet, les « coast guards », relevant d'un statut militaire, sont également chargés de la lutte contre l'immigration clandestine, ainsi que de la lutte contre la drogue. A ce titre, ils ont été autorisés par le Département d'Etat à négocier en tant qu'agent du gouvernement américain avec certaines nations des Caraïbes pour s'associer avec les Etats-Unis à la lutte contre la drogue. Cet exemple illustre bien toute l'étendue des pouvoirs dont peut disposer cette administration fédérale.

Il semble difficilement envisageable de confier de telles compétences à un organisme communautaire créé sur le modèle des « coast guards » : ces domaines ne relèvent pas de l'Union européenne, mais des Etats membres. Ainsi, si l'Union européenne devait décider de mettre en place un corps de garde-côtes, ce dernier ne disposerait que d'une partie des prérogatives de son homologue américain, du moins tant que la lutte contre l'immigration irrégulière et contre le trafic de drogue ne constituera pas une compétence communautaire.

De même, la constitution d'un corps européen sous statut militaire paraît peu concevable, du moins à court terme, au regard des difficultés rencontrées pour la mise sur pied d'une force militaire destinée à participer à des opérations de maintien de la paix et des statuts très divers -y compris en France- de l'ensemble des administrations actuellement impliquées dans l'action de l'Etat en mer.

b) La difficulté à unifier des dispositifs nationaux très divers

Même en tenant compte de ces restrictions, la création de garde-côtes européens constitue un défi considérable.

En effet, chaque pays européen dispose de sa propre organisation de prévention et de lutte contre la pollution, résultant de traditions anciennes et mobilisant diverses administrations civiles et militaires, selon des modalités variables. Le préfet maritime de la Méditerranée, le vice-amiral d'escadre Pierre-Xavier Collinet, a ainsi souligné les différences d'organisation existantes entre les Etats membres et le risque que pourrait présenter l'introduction d'un système européen : « Nos systèmes et nos organisations sont très dissemblables. Réunir des organisations qui sont aussi différentes poserait actuellement un problème. Faire quelque chose sur le plan européen est tout à fait souhaitable, mais à condition que l'on ne perde pas de ce fait ce qui fonctionne bien chez nous. »

De fait, lors de ses auditions et de ses déplacements, la Commission d'enquête a pu constater que les dispositifs de prévention et de lutte contre la pollution des Etats membres diffèrent largement.

Ainsi, en France, ainsi que cela a été vu plus haut, la lutte en mer s'articule autour de la Marine nationale, dans le cadre des préfectures maritimes, et fait intervenir plusieurs administrations civiles, telles les Douanes ou les Affaires maritimes. En revanche, dans l'organisation retenue en Italie, la Marine ne joue qu'un rôle très réduit, et ce sont les Douanes, les carabinieri (gendarmes) ainsi que l'équivalent de l'administration française des Affaires maritimes qui exercent à titre principal les compétences de sécurité maritime, ainsi que l'a indiqué à la Commission M. Jean-Louis Fillon, adjoint du préfet maritime de la Méditerranée pour l'action de l'Etat en mer : au-delà de l'intervention des Affaires maritimes italiennes, « la Marine italienne remplit peu de missions de l'action de l'Etat en mer, pour ainsi dire aucune. Ils travaillent avec la Guardia di finanzia, c'est-à-dire la douane. La douane italienne a une mission plus large et travaille avec les carabiniers -donc, leurs gendarmes- qui possèdent des moyens nautiques importants. Ce sont les trois administrations, outre la Marine nationale, qui disposent de moyens nautiques significatifs. Un autre partenaire important est le ministère de l'Environnement. En Italie, nous sommes face à un morcellement. »

Lors de son déplacement en Espagne, la délégation de la Commission d'enquête a pu constater les spécificités du système espagnol : les missions de sécurité maritime y sont confiées pour l'essentiel à une société de sauvetage et de sécurité en mer, la SASEMAR (Sociedad de salvamento y de securidad), entité de droit public créée en 1992. Elle dépend directement de la direction générale de la Marine marchande et dispose de moyens propres, essentiellement des remorqueurs et des moyens de lutte contre la pollution. Les Communautés autonomes espagnoles exercent également des compétences dans le domaine de la sécurité maritime.

A ces différences d'organisation administrative, se conjugue le fait que le dispositif de certains Etats n'est pas nécessairement stabilisé, ainsi que le montre l'exemple de la Belgique. Le préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, M. Pinon, a indiqué sur ce point : « Les Belges, quant à eux, ont été un peu surpris par l'accident du Tricolor, qui a révélé le caractère nettement perfectible de leur organisation de l'action de l'Etat en mer. Ils ont cependant agi rapidement et ont abouti à un projet de loi, qui est en discussion, en Belgique, pour améliorer cette organisation. »

Au regard de la diversité des organisations de chacun des Etats membres, l'intégration de l'ensemble des moyens humains et matériels européens dans un corps unique chargé de l'ensemble des missions de sécurité maritime exigerait un travail considérable et se heurterait sans doute à de fortes oppositions des Etats et de leurs administrations.

Les propos déjà cités du préfet maritime Gheerbrant sur les résistances qui pourraient apparaître pour substituer un corps de « coast guards » à l'organisation actuellement en vigueur en France sont assez éclairants sur les difficultés qui pourraient survenir dans la mise en œuvre d'un tel processus à l'échelle européenne : « On en arrive ainsi à l'idée des garde-côtes, qui consisterait à fusionner les statuts des différentes administrations travaillant en mer pour en faire un corps unique, éventuellement sous statut militaire. Il s'agit d'une idée audacieuse. Mais je plains celui qui va s'y attaquer. (...) Je crois que l'on peut améliorer l'efficacité actuelle sans aller jusqu'à cette extrémité qui représenterait une véritable révolution culturelle pour ces administrations. »

On relèvera enfin que la constitution d'un corps de garde-côtes européen intervenant dans les eaux territoriales de tous les Etats membres poserait des difficultés juridiques non négligeables, puisqu'elle signifierait qu'un agent d'une nationalité donnée pourrait intervenir, dans le cadre d'une mission régalienne, dans les eaux territoriales d'un autre Etat. Les Etats membres devraient donc consentir un important transfert de souveraineté.

2.- Vers une coordination accrue des Etats, autour de l'Agence européenne de sécurité maritime

Il apparaît que la constitution d'un corps de garde-côtes européen sur le modèle du système américain se heurte à des obstacles difficiles à surmonter, du moins à court terme. Il est sans doute préférable d'adopter une approche pragmatique et progressive, par « petits pas », dans le droit fil de la logique générale de la construction européenne. Dans cette perspective, l'Agence européenne de sécurité maritime devrait alors jouer un rôle central.

Il serait ainsi souhaitable que l'Agence mette tout d'abord en œuvre une harmonisation et une coordination accrue des services des Etats membres chargés des missions de sécurité maritime, dans le sens d'ailleurs opportunément préconisé par le point V de la résolution sur la sécurité maritime en Europe, adoptée le 3 avril dernier par l'Assemblée nationale (cf. annexe 5), à l'initiative de MM. Didier Quentin et Guy Lengagne.

L'AESM s'est déjà vue confier par le règlement du 27 juin 2002 un rôle important en matière d'harmonisation des normes et pratiques des Etats, notamment s'agissant du contrôle de l'Etat du port. Ces fonctions pourraient être complétées, ainsi que la Commission d'enquête l'a proposé, par des missions plus opérationnelles de lutte contre la pollution, en mettant à la disposition de l'Agence des moyens de dépollution et de remorquage et en lui demandant de coordonner les plans de lutte contre la pollution des Etats membres.

Cette coordination accentuée pourrait aboutir à terme à une intégration progressive des moyens des Etats membres sur certaines missions, laquelle résulterait non d'un processus autoritaire imposé in abstracto, mais de l'expérience acquise au fil des opérations et des exercices réalisés en coopération.

A titre d'exemple, l'utilisation conjointe des moyens de dépollution des Etats membres -dont le cas du Prestige constitue une illustration parlante-, combinée avec ceux dont disposerait l'AESM, pourrait conduire à une organisation rationalisée au niveau européen, plus aboutie que celle existant dans le cadre du mécanisme de coopération communautaire. De même, la mise en œuvre coordonnée d'autres missions spécifiques, telles les opérations de remorquage, la détection des pollutions ou la surveillance du trafic dans les eaux communautaires, pourrait mener à une intégration progressive des services des Etats membres.

Cette approche par mission, dans laquelle l'AESM jouerait un rôle essentiel de coordination, serait sans doute plus efficace que la constitution immédiate d'un corps de garde-côtes, qui risque de se heurter à des difficultés considérables d'organisation. Ce constat n'exclut nullement la mise en place d'un corps de garde-côtes européen à plus long terme, mais une intégration progressive des services des Etats membres constitue sans nul doute un préalable indispensable.

III.- AU PLAN INTERNATIONAL : LES BESOINS D'ÉVOLUTION PLUS MARQUÉS SE HEURTANT A DES OBSTACLES PLUS IMPORTANTS

A.- SÉCURISER LE TRANSPORT MARITIME, EN PARTICULIER DU FIOUL LOURD

1.- Chercher les moyens de réduire la production et le transport maritime des fiouls lourds

Le marché du transport pétrolier s'est considérablement modifié en quelques années. Les compagnies pétrolières qui assuraient autrefois l'essentiel du transport ont trouvé plus économique de déléguer cette fonction à des sociétés extérieures. De plus, les contrats d'affrètement à long terme liant une compagnie pétrolière à un transporteur ont chuté de 25% à 50% sur une période de dix ans. Le mode d'affrètement le plus fréquent aujourd'hui est devenu le marché « spot », qui est passé de 10% à 50% des hydrocarbures transportés, depuis les années 1970.

Le marché « spot » consiste à affréter, pour une très courte période, parfois un seul voyage, un navire pour lequel est créée une société enregistrée souvent dans un paradis fiscal, et ne disposant que du seul bateau concerné, ce qui a pour effet de dissimuler les responsabilités, suivant des pratiques d'opacité malheureusement trop fréquentes dans le transport maritime.

En l'occurrence, les sinistres maritimes les plus lourds de conséquences en terme environnemental ont concerné le transport de fiouls lourds par des navires affrétés, à l'instar de l'Erika et du Prestige. De plus, ces catégories d'hydrocarbures à faible valeur ajoutée sont trop souvent transportées par des navires âgés, sinon vétustes.

De nombreuses voix se sont donc élevées pour demander une meilleure régulation de ce marché des fiouls lourds, qui connaît une progression sensible, certains allant même jusqu'à proposer de considérer ces hydrocarbures comme des déchets qu'il ne devrait plus être possible de transporter par voie maritime.

Pour limiter le transport de ces hydrocarbures potentiellement très dangereux pour l'environnement, car ni biodégradables ni volatiles, deux solutions seulement semblent possibles :

- chercher à agir sur les prix du transport pour réduire les flux de produits « noirs »;

- les utiliser ou les détruire au plus près de leur production (ou les produire au plus près de leur utilisation), ou limiter leur production.

a) La progression du commerce international du fioul lourd

Les exportations de fioul lourd en provenance des pays de l'Union européenne ont principalement pour destination les Etats-Unis, l'Asie du Sud-est et essentiellement l'Italie21 en Europe. Les transports de fioul lourd au sein de l'Europe ou entre l'Europe du Nord et l'Asie ont en commun d'être opérés par des navires qui empruntent les voies maritimes de la façade Atlantique, avant de pénétrer en Méditerranée par le détroit de Gibraltar, les flux à destination de l'Asie poursuivant ensuite par le canal de Suez.

Ces exportations font l'objet de cotations sur les marchés de Rotterdam (pour la zone Nord-ouest Europe) ou de Gênes (zone Méditerranée), le coût du transport interzones pouvant être estimé22 de l'ordre de 10 à 15 dollars/tonne pour les transferts vers l'Asie du Sud-est.

Ces dernières années ont vu une claire inversion du trafic net de fioul lourd du Canal de Suez, qui était de 2,7 millions de tonnes en 1997 dans le sens Sud-Nord et est aujourd'hui de 8,4 millions de tonnes dans le sens Nord-Sud.

· Les raisons du développement de ce trafic entre l'Europe et l'Asie

La zone Europe est globalement excédentaire en fioul lourd haute teneur en soufre (HTS, soit une teneur en soufre de 3,5% en masse).

La consommation européenne de fiouls lourds connaît une récession forte et continue depuis le début des années 80, suite à la substitution des centrales au fioul par des centrales nucléaires ou au gaz naturel, à l'exception de l'Italie. Les raffineurs européens ont adapté leur outil de production à cette évolution en s'efforçant d'alléger leur panier de pétroles bruts sortant des raffineries et en opérant des investissements dans des unités de conversion classique (craquage catalytique) de ce qu'il est convenu d'appeler le fonds de leur baril, c'est-à-dire les produits lourds, en produits plus légers (essences, gazole).

Puis, à partir du milieu des années 80, les préoccupations environnementales ont conduit à une législation visant à limiter les émissions de SO2 dans l'atmosphère : celle-ci impose d'ores et déjà aux installations industrielles neuves soit de ne brûler le fioul lourd que s'il contient au maximum 1% de masse en soufre, soit de s'équiper de procédés de traitement des fumées.

La relative ancienneté de la structure industrielle pétrolière de l'Europe fait que son taux d'équipement dans ce type d'installation est aujourd'hui encore assez limité (à l'exception notable de l'Allemagne). Tous ces éléments, dans un contexte de croissance modérée de la demande pétrolière totale, amènent finalement l'Europe à disposer d'un excédent en fioul lourd HTS, qui ne pourra que s'accentuer dans l'avenir : l'extension de la législation sur les émissions de SO2 à l'ensemble des sites industriels européens à partir de 2003 va conduire les deux principaux consommateurs, l'Italie et le Royaume-Uni, à cesser d'en absorber une partie.

Pour leur part, l'Asie et la Chine sont aujourd'hui globalement déficitaires en fioul lourd HTS.

En effet, la forte croissance industrielle des pays émergents de cette zone les amène à être de gros consommateurs de fioul lourd, qui se trouve être à forte teneur en soufre, du fait de leur moindre exigence environnementale.

Cette zone et, plus particulièrement, la Chine et Singapour, sont donc globalement déficitaires en fioul lourd HTS (avec des soldes nets d'importation respectifs de 0,3 et 0,36 million de barils/jour en 2001), comme l'illustre d'ailleurs le niveau élevé23 de la cotation de ce produit sur le marché de Singapour (22,6 $/baril en 2002) par rapport aux marchés européens (20,8 $/baril à Rotterdam).

Ces pays s'approvisionnent traditionnellement dans la zone OCDE Pacifique, comme en témoignent les exportations de cette dernière à destination de la Chine (autour de 9 millions de tonnes/an pour une consommation de 39 millions de tonnes en 200124). Cependant, leurs besoins en fioul étant de plus en plus importants, ces pays constituent une fenêtre de débouchés pour la production de fioul lourd HTS des raffineurs européens.

En pratique, l'intérêt de cette transaction réside dans des écarts de cotations de ce produit entre les marchés de Singapour, d'une part, et ceux de Rotterdam et de Gênes, d'autre part : respectivement de l'ordre de 2 et 4,6 $/baril en 200225, ces écarts sont globalement suffisants pour couvrir le coût de transport correspondant. Notons néanmoins qu'ils se sont réduits ces deux dernières années (respectivement 3 et 5,5 $/baril en 2000) et ont connu des fluctuations importantes en 2002 (de 7 à 15 $/t avec Rotterdam).

· Les perspectives d'évolution

La situation pourrait être modifiée profondément en cas d'augmentation du coût de transport du fioul lourd. Dans ce cadre, seule une tension accrue sur les prix à Singapour ou une décote sensible du fioul lourd HTS sur les marchés européens permettrait de maintenir la « fenêtre d'opportunité » économique pour des exportations européennes vers la zone Asie. Dans le cas contraire, les flux pourraient se réduire, pour des raisons d'arbitrage économique et de moindre rentabilité.

Cette dernière tendance est d'autant plus possible que la législation sur les émissions de SO2 des sites industriels risque de se traduire par une augmentation conséquente de la quantité de fioul lourd HTS disponible sur les marchés européens, amplifiant la chute de son cours.

Cette baisse pourrait être suffisamment importante et durable pour inciter les raffineurs à investir dans la conversion profonde (ou tout autre procédé de destruction du fioul lourd, telle la gazéification), puisque le seuil incitatif communément admis pour celle-ci réside dans une différence de prix entre le gazole et le fioul lourd HTS de l'ordre de 100 à 150 $/t. Cependant, cette décote pourrait se révéler beaucoup plus faible, si la hausse de la demande en fioul lourd de l'Asie se révélait durable.

Enfin, la poursuite du développement de la production de gaz naturel en Asie et de charbon en Chine pourrait à moyen terme entraîner une forte baisse de leur consommation de fioul lourd HTS, entraînant une disparition de ce débouché à l'exportation pour les raffineurs européens.

La tendance économique spontanée pourrait donc, selon ces analyses, transmises par l'Institut français du pétrole, se révéler plutôt à la baisse des flux.

b) Inciter à la conversion profonde sur place dans les raffineries des produits « noirs » ou à la diminution de leur production

Une solution envisageable pour contribuer à réduire ces flux de manière sensible consisterait à limiter les exportations de fioul lourd au départ de l'Europe en incitant les raffineries à se doter d'équipements permettant d'utiliser ces fiouls lourds par la technique de la conversion profonde.

Au cours de son audition, M. Edouard Freund, directeur général de l'Institut français du pétrole, a expliqué que le recours à la conversion profonde n'était pas aujourd'hui économiquement rentable compte tenu de l'état de la demande en hydrocarbures et de l'offre de fret :

« Toutes les technologies existent et sont commercialement disponibles : c'est ce que l'on appelle « la conversion profonde ». En réalité, il y a deux solutions : soit on réalise une opération intermédiaire en traitant ces fiouls de manière assez poussée pour faire en sorte d'en abaisser la teneur en soufre et en composés aromatiques, et donc de les rendre relativement propres, sous la réserve que l'on n'arrive jamais à éliminer complètement le soufre ; soit on se débarrasse de ce combustible, qui, à moins de passer par des dispositifs performants de traitement des fumées, reste relativement polluant, en le convertissant.

Cette seconde solution, dite de « conversion profonde », suppose pratiquement de doubler la complexité de la raffinerie, représente donc un investissement important, et comporte un inconvénient supplémentaire : le coût en énergie. Cette conversion profonde nécessite en particulier de l'hydrogène qui peut être produit, soit à partir d'une partie du résidu proprement dit, soit à partir de gaz naturel. Autrement dit, plus le raffinage est complexe, plus l'autoconsommation est élevée et plus on consomme de l'énergie puisque l'on brûle une partie du brut pour se débarrasser du fioul lourd. Une telle opération nécessite des investissements très lourds pour un résultat qui, somme toute, dans les conditions actuelles, est assez peu rentable pour les raffineurs. »

A cette occasion, il a rappelé que les raffineries européennes ont actuellement une autoconsommation moyenne comprise entre 7% et 9%, ce qui revient à dire que, pour convertir le brut en produits pétrochimiques, il faut consommer en moyenne 8% du pétrole brut. La conversion profonde accroît cette autoconsommation de 30% à 50%, ce qui peut faire grimper la moyenne de 8% à 11%, voire 12%.

A la question de savoir si ce type d'investissement ne serait pas préférable plutôt que de devoir subir régulièrement des pollutions par déversement de fioul lourd, M. Freund a répondu de manière très laconique :

« C'est en termes économiques que la question se pose ! Actuellement, il existe un marché qui, sans être très lucratif, reste intéressant entre l'Europe et un certain nombre de pays. Le différentiel de prix existant, par exemple, entre la décote du fioul lourd au départ de Rotterdam et son prix d'achat en Asie du sud-est permet à nos raffineries, si le coût du transport reste raisonnable, d'exporter ce fioul. La marge est certes fluctuante, mais elle est restée jusqu'à présent suffisante pour que l'opération, sans être très rentable, s'équilibre tout en permettant de se débarrasser du problème. »

Cette analyse du problème était partagée par M. Bertrand Thouillin, du groupe Total, qui a reconnu que les technologies existaient pour retraiter le fioul lourd mais qu'elles n'étaient pas aujourd'hui rentables :

« Du point de vue de la transformation du fioul lourd en produit plus léger, des technologies permettent de le faire et elles sont toutes actuellement sur des conditions économiques qui sont un peu tendues, à savoir qu'elles ne permettent pas de le faire de manière très rentable. Des projets et des études sont en cours sur ce genre de sujet sur les raffineries en France, et on a annoncé un projet sur la raffinerie de Gonfreville l'Orcher qui, dans une certaine mesure, va détruire du fioul pour le transformer en gaz de ville. Toutes ces transformations sur le très long terme ont malgré tout un inconvénient car elles sont fortement émettrices de gaz carbonique et, du point de vue de l'effet de serre, (...) ce n'est pas positif et indirectement cela correspond à des déplacements sur le globe d'émissions de gaz à effet de serre. Pour le moment, les conditions économiques ne sont pas particulièrement propices à la généralisation de ce genre de procédés, principalement parce qu'il y a un marché pour le fioul lourd. »

Une autre piste pourrait consister à inciter à la modernisation des raffineries qui, lorsqu'elles sont anciennes, produisent beaucoup plus de fioul lourd que des installations plus modernes. C'est ce que soulignait M. Georges Tourret, en indiquant :

« Dans des pays comme le nôtre, nous produisons certes du fioul lourd, mais nous l'utilisons peu parce que nous produisons notre électricité principalement avec l'énergie nucléaire. Par conséquent, notre outil global de traitement des hydrocarbures est réglé de façon extrêmement efficace pour produire le moins possible de fioul lourd. L'outil de raffinage, tel qu'il est déployé en Europe occidentale, produit 15 ou 16% de fioul lourd, voire 20% pour les raffineries les plus anciennes.

Il n'en va pas de même dans tous les pays du monde, en particulier dans le deuxième producteur d'hydrocarbures du monde, la Fédération de Russie. Là nous avons affaire à un système de production obsolète, qui n'a pas été rénové. La Russie vit sur l'outil de raffinage tel qu'il a été conçu à l'époque soviétique, c'est-à-dire un outil qui était « up to date » aux alentours des années soixante ou soixante-dix. Cet outil produit actuellement 30% de fioul lourd, soit deux fois plus qu'en France. »

L'Union européenne a déjà entamé des négociations avec la Fédération de Russie et les pays Baltes pour inciter ces pays à adopter des mesures restrictives pour le transport de fioul lourd et parvenir à terme à interdire le transport par pétrolier à simple coque des fiouls lourds dans la Baltique et dans la Mer Noire.

La Commission d'enquête soutient ces initiatives et souhaite que des possibilités de coopération technique soient aussi envisagées pour accélérer la modernisation des raffineries des pays de l'ex-URSS et limiter ainsi la production de fioul lourd, au besoin avec des aides techniques ou financières.

c) Augmenter le taux de fret pour réduire les flux

Il est indéniable que les mesures prises au niveau communautaire interdisant le transport de fioul lourd sur des navires à simple coque pourraient avoir pour effet de renchérir le fret et donc de rendre moins rentable ce trafic. M. Thouillin a d'ailleurs souligné que l'obligation de recourir à des navires à double coque, si elle était étendue au niveau mondial, poserait des problèmes de pénurie de flotte. Dans cette hypothèse, les tensions sur les capacités de transport devraient pousser à utiliser celles-ci de préférence pour les produits à plus haute valeur ajoutée.

d) Responsabiliser les compagnies pétrolières sur leurs propres moyens de transports

Lors de son audition, M. Bertrand Thouillin a insisté sur le fait que le transport maritime des hydrocarbures constituait l'un des risques majeurs pour son groupe -TotalFinaElf- alors que, a priori, il serait possible de considérer que les activités extractives présentent plus de risques potentiels. Cette appréciation permet de comprendre pourquoi les compagnies pétrolières se sont progressivement désengagées du transport maritime, réduisant la capacité de la flotte qu'elles exploitent directement pour recourir à des sociétés de transport maritime dont elles sont les clientes.

Mais, compte tenu du développement du marché « spot », il devient plus difficile pour les compagnies pétrolières de s'assurer de la qualité des navires utilisés, puisque la relation commerciale avec le prestataire maritime est de courte durée et que le critère essentiel de choix du transporteur est la disponibilité d'un navire adapté à une période donnée.

Selon plusieurs personnes auditionnées, il serait difficile d'imposer aux compagnies des contrats d'affrètement à long terme. Pour M. Bertrand Thouillin « La très grande variété des routes maritimes et la diversité des types de navires nécessaires pour transporter tous nos produits rendent totalement illusoire le contrôle direct de toutes nos expéditions. Le recours au marché « spot » est indispensable pour assurer la flexibilité opérationnelle nécessaire.

Il faut donc trouver un équilibre entre le recours au marché « spot » et le contrôle direct des expéditions au moyen d'une flotte affrétée à temps et, de ce point de vue, chaque société pétrolière a sa propre politique. »

Certaines compagnies ont choisi de transporter sur des navires affrétés à temps les produits les plus dangereux, pour être en mesure de procéder à des procédures de « vetting » rigoureuses sur ce type de transport à hauts risques.

Cette politique, dictée par le principe de précaution, est cependant loin d'être généralisée, comme le prouve l'essor des « traders » pour le transport des fiouls lourds.

Seuls un relèvement de l'obligation réglementaire de transport du pétrole par les propres navires des compagnies pétrolières, -aujourd'hui de 5% en France- ou une incitation financière à recourir à une flotte de qualité sous leur contrôle pourra durablement inverser la tendance chez les compagnies pétrolières à externaliser la fonction transport. La première option semble difficilement praticable à l'échelon national ou communautaire, dans un contexte de concurrence internationale.

Il paraît donc souhaitable de rechercher des mécanismes d'incitation financière pour promouvoir une flotte de qualité. Dans cette perspective, on peut penser que le recours à des bateaux récents et bien entretenus devrait permettre de payer des primes d'assurance de responsabilité beaucoup plus faibles alors qu'aujourd'hui les primes sont établies essentiellement sur un critère de tonnage du navire. Cette question est abordée dans la quatrième partie du présent rapport, traitant des règles d'indemnisation et de responsabilité.

e) Encourager au transport par oléoduc, lorsqu'il est possible

Dans la lignée du Livre vert sur l'énergie qui abordait déjà le problème de la sécurisation des sources d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne, un nouveau document de la Commission européenne (COM(2003)262 final) aborde la question d'une coopération en matière de politique énergétique avec les pays limitrophes et principalement la Fédération de Russie et les pays méditerranéens.

· Le développement des gazoducs

Le transport maritime du gaz, techniquement le plus aisément substituable par un transport terrestre, peut être source d'accidents maritimes graves. Dans le document précité, la Commission européenne analyse les modalités possibles de développement du réseau de gazoducs entre l'Union européenne et les pays limitrophes, qui sont ses principaux fournisseurs de gaz et le resteront sans doute pendant encore un certain temps. Pour la Commission européenne, les négociations avec la Fédération de Russie sont essentielles et devraient porter sur les projets prioritaires suivants :

- le projet de gazoduc transeuropéen septentrional : d'une longueur d'environ 1 295 km de long, il est destiné à assurer le transport du gaz russe à partir du littoral russe au nord de Saint-Pétersbourg vers le nord de l'Allemagne, en passant sous la Baltique, pour aller ensuite jusqu'au Royaume-Uni en passant par les Pays-Bas. Sa capacité serait d'environ 20 à 30 millions de m3 par an ; la principale source d'approvisionnement en gaz pour ce gazoduc devrait être le nouveau gisement de Shtokman, qui est situé dans la Mer de Barents à quelque 650 km au Nord-est de Mourmansk ;

- un deuxième réseau de gazoducs de la péninsule de Yamal dans le nord de la Sibérie à destination de l'Europe de l'ouest en traversant le Belarus et la Pologne, parallèlement au premier. Sa capacité serait de 30 milliards de m3.

La Commission européenne souhaite aussi développer les partenariats euro-méditerranéens. Parmi les projets les plus avancés figurent :

- les approvisionnements de l'Espagne et de la France à partir de l'Algérie, via le gazoduc Medgaz, qui a fait l'objet d'un premier accord entre la Sonatrach et la société Cepsa ;

- le gazoduc partant de l'Algérie, traversant la Sardaigne et éventuellement la Corse, pour desservir l'Italie et la France, qui a fait l'objet d'un premier accord entre les sociétés Sonatrach, Enel et Wintershall ;

- le gazoduc Arabie-Union européenne, composé de 5 sections (Egypte-Jordanie; Syrie; Liban; Chypre et Turquie), nécessitant un accord entre les parties concernées ;

- d'autres projets concernent des liaisons gazoduc autour du Bassin de la Mer Caspienne avec un prolongement jusqu'en Azerbaïdjan.

· Les oléoducs

Concernant les approvisionnements en pétrole, il semble que le développement du réseau d'oléoducs soit plus difficilement rentable, car le transport d'hydrocarbures par pétroliers de gros gabarit a un coût nettement inférieur au transport par oléoduc, surtout si le transport s'effectue en traversant plusieurs pays. En effet, les pays de transit appliquent généralement une taxe de passage qui relève le coût du transport par voie de terre.

Cependant les exigences environnementales, comme les accidents de l'Erika et du Prestige, plaident en faveur du développement des réseaux d'oléoducs. Étant donné la densité croissante du trafic maritime dans les eaux communautaires, il est prioritaire d'étudier les possibilités de transporter les hydrocarbures par oléoduc plutôt que par navire, lorsque cette solution est économiquement et techniquement faisable. Plusieurs oléoducs relient déjà l'Union européenne avec la Russie, et il est important de veiller non seulement à ce qu'ils soient pleinement utilisés, mais aussi à ce que l'on envisage la construction des infrastructures supplémentaires de ce type au lieu de développer de nouvelles routes de transport maritime. Il faut cependant rappeler, à cet égard, que le fioul lourd, très visqueux, se prête mal à un transport par oléoduc, plutôt destiné aux produits plus nobles.

Selon la Commission européenne, d'autres oléoducs pourraient assurer le transport des ressources d'Arabie saoudite (via l'Egypte), d'Iraq (via la Turquie), du bassin de la Mer Caspienne, d'Algérie et de Libye vers le marché de l'Union européenne, mais aucune étude chiffrée ne semble disponible à ce jour pour évaluer la faisabilité de ces projets.

· Le cas particulier de la Russie

Concernant les échanges de pétrole avec la Russie, il semble en revanche qu'à court terme, il soit plus réaliste d'améliorer la qualité de la flotte qui transporte les hydrocarbures russes, que de développer le réseau d'hydrocarbures. La Russie est l'un des principaux producteurs de produits pétroliers au monde et le deuxième exportateur après l'Arabie saoudite. Sur les 124,4 millions de tonnes d'exportations traitées en 2000 par Transneft, l'exploitant monopolistique des oléoducs en Russie, 70,5 millions de tonnes (soit 57%) ont été acheminées par les principaux terminaux maritimes.

Le terminal pétrolier de Primorsk dans le Golfe de Finlande, qui a été ouvert fin 2001, devrait atteindre une capacité d'exportation de 30 millions de tonnes en 2003. Etant donné qu'il s'agit d'une zone bloquée par les glaces six mois par an, située au fond du littoral de la Mer Baltique -une mer fermée et caractérisée par un environnement écologiquement sensible-, les répercussions d'un éventuel déversement d'hydrocarbures démontrent cependant l'importance d'assurer une coopération étroite entre l'Union européenne élargie et les autorités russes pour garantir que le transport maritime d'hydrocarbures, en général, c'est-à-dire au-delà du seul fioul lourd, se conforme aux normes de sécurité les plus rigoureuses.

La Russie possède par ailleurs des réserves de pétrole et de gaz considérables dans la région arctique. Une attention accrue doit donc être portée à la possibilité qu'offre le transport maritime par la partie occidentale de la route de la Mer du Nord, qui pourrait constituer un itinéraire de rechange afin d'exporter directement la production russe vers les marchés internationaux. Toutefois, compte tenu de la fragilité de l'environnement et des conditions difficiles qui règnent dans la région, il faut assurer le respect de normes environnementales et de sécurité très strictes et connaître en profondeur les conditions climatiques. C'est dans ce contexte que la Commission européenne cofinance un projet de recherche et développement important26.

La Commission d'enquête préconise d'intensifier ces coopérations avec les Etats limitrophes de l'Union, car elles permettent une amélioration des connaissances scientifiques et, surtout, sont de nature à favoriser la diffusion d'une culture de la sécurité maritime dans des pays où les préoccupations environnementales sont encore insuffisamment prioritaires.

· La question difficile de la Mer Caspienne et de la Mer Noire

Un des points noirs de la sécurité maritime en Europe reste la Mer Caspienne. Il convient donc de chercher des solutions adaptées pour sécuriser ces transports d'hydrocarbures. Le transport maritime de pétrole dans la Mer Noire -mer fermée- a fortement augmenté depuis l'ouverture des ressources du bassin de la Mer Caspienne après l'effondrement de l'Union soviétique. De nouvelles infrastructures ont été construites pour relier la Mer Caspienne à la Mer Noire, comme l'oléoduc reliant le gisement pétrolier de Tengiz dans le Kazakhstan au terminal russe de Novorossysk, et l'oléoduc allant du gisement pétrolier de Chiarg dans l'Azerbaïdjan jusqu'à Soupsa en Georgie.

L'acheminement de ce pétrole par la Mer Noire jusqu'au port de Constanza en Roumanie ou de Burgas en Bulgarie, ou encore vers les marchés internationaux en passant par le Bosphore, a entraîné une forte augmentation du trafic maritime. Les chiffres de 2002 indiquent qu'au total, 122 millions de tonnes de pétrole, transportées par 7 400 pétroliers, ont transité dans les deux sens par le Bosphore. A cela, il faut ajouter le nouveau terminal pétrolier d'Odessa en Ukraine, qui s'inscrit dans la stratégie de diversification des sources d'approvisionnement, et qui doit permettre au pétrole de la Mer Caspienne d'atteindre l'Europe centrale et la Baltique.

La Commission européenne a envisagé plusieurs solutions pour sécuriser les approvisionnements de cette région :

- la modernisation et le renforcement de tout l'oléoduc de Druzhba, spécialement dans le nord de l'Europe, pour offrir une solution de remplacement à l'augmentation du trafic maritime pétrolier dans la Mer Baltique ;

- l'extension de l'oléoduc Odessa-Brody27 jusqu'à Plock pour le raccorder soit au tracé septentrional de l'oléoduc de Druzhba précité, soit à la liaison existante vers le port maritime polonais de Gdansk ;

- la construction d'un oléoduc entre Constanza et Trieste, reliant le port roumain de Constanza à Trieste et approvisionnant les pays traversés28 ;

- la construction d'un oléoduc entre Burgas et Alexandropolis, reliant le port bulgare de Burgas, sur la Mer Noire, au port méditerranéen d'Alexandropolis, en Grèce. La construction de cet oléoduc devrait réduire la pression croissante du transport maritime pétrolier dans le Bosphore.

La Commission d'enquête se félicite que les autorités européennes étudient des alternatives au transport maritime des hydrocarbures. Elle souhaite également que ces projets fassent l'objet d'une large concertation avec les professionnels et les autorités locales concernées, de façon à combattre les pollutions maritimes par les hydrocarbures à leur source.

2.- Appliquer et contrôler les dispositifs existants en matière de sécurité

Les normes de sécurité maritime sont aujourd'hui foisonnantes, et le contrôle de leur application d'autant plus problématique.

C'est sans doute là que l'effort le plus net doit être porté, en donnant aux Etats et à la communauté internationale les moyens techniques, matériels, financiers et humains, indispensables pour concrétiser les mesures normatives déjà ou prochainement applicables.

En particulier, les récentes mesures de renforcement de la sécurité maritime ont sous-estimé l'importance du contrôle de l'entretien des navires, élément fondamental pour préserver l'intégrité des structures des navires. A cet égard, la plupart de nos interlocuteurs ont insisté sur l'importance des sociétés de classification, seules à même d'apprécier la qualité de la structure des navires et de contrôler si les réparations effectuées l'ont été dans les règles de l'art.

Multiplier les contrôles lorsque les navires sont en escale portuaire n'apportera pas, en effet, un progrès décisif pour la sécurité maritime, sauf à ce que la multiplication des inspections décourage les bateaux sous-normes de naviguer au large des côtes européennes, faute de pouvoir s'arrêter dans aucun port.

En revanche, beaucoup reste concrètement encore à faire pour mieux connaître le problème du vieillissement des structures des bateaux, et mieux assurer la qualité du contrôle des navires.

a) Les contrôles sur l'état des structures des navires

La Commission d'enquête préconise que, au niveau national ou peut-être plutôt dans le cadre de l'AESM ou de l'OMI, des études soient menées pour mieux connaître les phénomènes de vieillissement des structures. Pour disposer d'un panel représentatif de navires confrontés à des avaries suite à des problèmes de structure, ces travaux devraient associer les sociétés de classification et les compagnies d'assurances.

Au plan réglementaire, il devrait être envisagé dans le cadre de la procédure de contrôle approfondi, de rendre obligatoire une procédure de « recalcul des structures » que M. Bernard Anne, directeur de la division marine du Bureau VERITAS, a défini de la manière suivante :

« Aujourd'hui, nos outils nous permettraient éventuellement de « recalculer » des structures de navires d'un certain âge. On prend les mesures d'épaisseur, on « recalcule » le navire et on inspecte les zones de faiblesse démontrées par le calcul. Cela ne permettra pas de détecter à cent pour cent les problèmes, mais ce sera néanmoins une aide intéressante pour diminuer la probabilité du risque. Ce type de mesure me semble important. Ce n'est pas généralisé. On y a pensé à Bruxelles, au travers du CAS, pour les navires d'un certain âge, mais on n'est pas allé jusque là. Je pense que l'on aurait pourtant intérêt à faire comme les compagnies pétrolières qui ont exigé ce type de calculs, ainsi que des analyses en fatigue pour les navires d'un certain âge ».

On ne peut qu'abonder en ce sens, à condition, naturellement, que les sociétés de classification chargées de ces études fassent elles-mêmes l'objet de procédures de supervisions rigoureuses.

b) La complémentarité des contrôles de l'Etat du port et des sociétés de classification

Les inspecteurs du centre régional de sécurité de Marseille ont critiqué le système actuel de contrôle approfondi effectué en cale sèche, que l'armateur est libre de faire réaliser où il veut et, éventuellement, dans un port extracommunautaire moins rigoureux au plan de la sécurité, en contrepartie de prix plus bas.

Par ailleurs, les différents interlocuteurs de la Commission d'enquête ont souligné la complémentarité des contrôles de l'Etat du port et des sociétés de classification. Certains professionnels du contrôle ont émis le souhait de travailler en plus étroite collaboration et ont suggéré des inspections communes entre sociétés de classification, inspecteurs de sécurité et spécialistes du « vetting » des sociétés d'assurances.

Il a également été proposé qu'un « panel » d'inspecteurs se déplace au lieu d'arrêt technique du bateau pour effectuer le contrôle approfondi au lieu de se fier à un certificat de contrôle qui a été délivré sans analyse sérieuse de l'état des structures du navire. M. Philippe Vinot, chef du Centre régional de sécurité des navires à Marseille, a ainsi proposé : « (...) ce ticket (l'attestation de contrôle) pourrait être délivré après inspection par des inspecteurs européens, liés au contrôle de l'Etat du port, c'est-à-dire que l'on pourrait constituer un petit corps en disant : tel armateur veut venir charger dans nos ports, son navire va être en cale sèche, nous allons envoyer quatre ou cinq inspecteurs pour contrôler son navire et, à l'issue de ce contrôle qui sera fait en même temps que la classe d'ailleurs, qui aura toujours son rôle à jouer (...) ».

M. Bernard Anne a exprimé une demande similaire d'échanges d'informations entre inspecteurs des navires et sociétés de classification :

« J'avais demandé à l'époque de l'Erika -car cela faisait partie des suggestions que nous formulions- que lorsque l'Etat du port va à bord d'un navire et qu'il trouve quelque chose, qu'il n'hésite pas à demander à la société de classification de venir. C'est à ce niveau-là que l'on doit établir une coopération. Nous avons besoin de savoir ce qu'il en est. Nous n'avons pas le droit de monter autoritairement à bord d'un navire, mais l'Etat du port le peut. S'il trouve quelque chose, nous avons intérêt à savoir ce que c'est. Comme nous avons, globalement, une meilleure connaissance de l'état du navire que l'inspecteur de l'Etat du port, nous pourrons probablement en tirer des conclusions très différentes des siennes. En même temps, cela enrichira notre connaissance sur l'état du navire ».

Pour permettre une approche globale de la sécurité des navires, la Commission d'enquête formule donc les recommandations suivantes :

- obtenir que les Etats informent la société d'assurances et la société de certification du navire du résultat des contrôles de l'Etat du port, au besoin en enrichissant les bases de données publiques ;

- étudier les modalités possibles de mise en place d'inspections collégiales regroupant un inspecteur d'une société de classification, un inspecteur de contrôle de l'état du port, un expert en « vetting » et un membre du service de sécurité du port ;

- obtenir des responsables de l'industrie pétrolière un accès à leur fichier SIRE sécurisé pour les inspecteurs et représentants des services des Affaires maritimes.

c) Une plus grande transparence dans les pratiques des sociétés de classification

La Commission se félicite que l'Union européenne ait prévu une procédure d'agrément des sociétés de classification. Elle espère que l'Agence européenne travaillera en étroite concertation avec les sociétés de classification pour définir une méthodologie de contrôle plus globale et prévoir des échanges réciproques d'information entre contrôle de l'Etat du port et contrôle de la « classe ».

Il est vrai que de nombreuses critiques ont été émises à l'encontre des sociétés de classification, notamment quant à leur transparence insuffisante vis-à-vis des tiers, fussent-ils directement intéressés à connaître le niveau de sécurité d'un navire, en raison du secret commercial et professionnel. C'est ainsi que M. Thouillin a déclaré :

« Les compagnies pétrolières ont (...) entretenu un dialogue assez musclé avec les sociétés de classification et leur organisme professionnel, l'IACS, pour obtenir une amélioration des performances de ces sociétés dans tout un ensemble de domaines : accroissement de leur responsabilité à l'égard des tiers en cas de faute ou de négligence, meilleure transparence de l'information sur le statut des navires et leurs conditions de classe, amélioration de la procédure de transfert de « classe », etc. »

La Commission d'enquête estime que les mesures les plus utiles à mettre en œuvre vis-à-vis des sociétés de classification consisteraient à :

exiger la communication du dossier de classification en cas d'accident. Les sociétés de classification doivent s'engager à fournir les données de classification en cas d'accident aux services des Affaires maritimes, aux contrôleurs de l'Etat du port, à l'AESM. Cette obligation doit être étendue au dossier de certification détenu par l'Etat du pavillon et par l'armateur ;

- mieux assurer l'identification des « sister ships » des navires ayant connu un « accident » grave de structure -à l'instar de l'Erika, dont les « sister ships » naviguent encore, dans des conditions pas nécessairement bien connues- en imposant une obligation d'information des sociétés de classification, par exemple par une action auprès de l'IACS. Il faudra, pour ce faire, vaincre des réticences assez fortes, comme celles indiquées par M. Bernard Anne, du Bureau VERITAS : 

« Pour les « sisterships », c'est là encore extrêmement délicat. S'il y a un accident sur un navire, le simple fait de connaître les « sisterships » peut être un préjudice pour leur(s) propriétaire(s), même si les navires en question ont été très bien entretenus et si ces bateaux sont en très bon état, parce que l'on crée immédiatement une suspicion à leur égard. Dans ce cas, il y a une nuisance immédiate.

On pourrait imaginer des systèmes de confidentialité pour un échange d'information. Au sein de l'IACS, nous avons une procédure qui fait que lorsqu'un navire a une avarie majeure, nous recherchons les « sisterships » et nous échangeons les constatations faites. Mais nous le faisons dans le cadre de la confidentialité de l'IACS. Nous ne sommes pas autorisés à révéler les noms des « sisterships », ni les noms de leurs armateurs à des tiers. Mais au sein de l'IACS, on regarde ce qui s'est passé et on essaie de voir avec nos experts s'il y a des leçons à tirer pour l'entretien des navires en général, pour la construction des navires, ou tout simplement s'il peut y avoir un effet de « contagion » et de nouvelles occurrences du phénomène sur un autre navire. »

- demander aux assurances de systématiser leurs clauses contractuelles imposant l'accès au dossier de certification, déjà souvent prévues ; de même, inciter l'affréteur à demander dans son contrat d'affrètement un droit d'accès au dossier de certification, même si cela ne correspond pas aux pratiques actuelles, qui ne sont pas nécessairement immuables. Ces propositions se heurtent au principe de la liberté contractuelle des professionnels, mais semblent de nature à permettre de mieux connaître les raisons d'un éventuel changement de sociétés de classification. M. Bernard Anne a ainsi expliqué à ce sujet :

« ...l'armateur a le libre choix de changer éventuellement de société de classification s'il juge que les demandes antérieures étaient un peu trop exigeantes. C'est là où j'ai eu tendance à dire aux sociétés d'assureurs que, si le jeu normal de liberté de choix doit s'appliquer, dans un monde où il y a de plus en plus de transparence et, justement, de liberté de choix, il me paraîtrait assez normal qu'une société d'assurances demande systématiquement à l'armateur pourquoi il a changé de société de classification, sans que cela soit le moins du monde coercitif et que la société d'assurances ait le droit de se renseigner de manière contradictoire auprès des deux parties sur le motif de ce changement. Cela irait dans le sens d'une plus grande transparence et donnerait l'assurance qu'il n'y a pas de pression, que le changement ne provient pas de ce que l'une des sociétés de classification était trop stricte et que l'on espère que la nouvelle le sera moins. »

La Commission souhaite par ailleurs que l'AESM pratique une sorte de surveillance de la déontologie des sociétés de classification par exemple en contrôlant la composition des conseils d'administration, qui ne devraient en aucun cas comprendre d'armateurs, et en veillant à ce que ces sociétés disposent d'un portefeuille de clientèle assez diversifié pour ne pas risquer de subir de pressions commerciales de la part de clients devenus trop essentiels à la survie économique de l'entreprise.

La question de la dissociation du rôle de certification et de classification, souvent mentionnée, est, pour sa part, assez délicate à trancher. M. Bernard Anne a tout d'abord précisé que, pour le Bureau VERITAS, l'activité de certification par délégation de l'Etat du pavillon ne représentait qu'environ 10% de l'activité de sa société. Il a par ailleurs fait valoir que la séparation des activités ne lui paraissait pas utile, car elle nuirait à la qualité du contrôle :

« Le vrai problème tient à ce que certains ont imaginé, à une époque, qu'en cas de délégation, l'on pouvait avoir deux sociétés différentes agissant sur le navire, l'une pour la classification et l'autre pour la délégation au titre d'un pavillon. Pour moi, c'est une fausse bonne idée. J'ai déjà dit que pour inspecter un navire, on était déjà dans le domaine de la statistique. Celui qui fera le contrôle statutaire connaîtra moins bien le navire que celui qui fera la classification, puisque le contrôle statutaire est relativement limité. Pour moi, le plus important est d'essayer d'avoir la meilleure synthèse possible sur l'état du navire.

Il me semble que cet objectif est plus aisément atteint lorsqu'une seule société a le dossier complet, exerce le suivi complet du navire et peut donc se faire une meilleure idée de ce qu'est son état, puisque j'ai dit qu'il y avait une part de subjectivité. » 

La Commission estime cependant, réitérant en cela la position de la Commission d'enquête sur l'Erika, qu'il serait préférable qu'une même société de classification ne puisse à la fois procéder à la classification du navire et délivrer des certificats statutaires au nom de l'Etat du Pavillon où est enregistré le même bateau, car les deux commanditaires de la société de classification ont des intérêts divergents.

3.- Anticiper le problème du vieillissement des navires à double coque

Un large consensus s'est clairement dégagé, parmi l'ensemble des interlocuteurs de la Commission d'enquête, pour constater que la généralisation des navires à double coque n'était pas en tant que telle une mesure garantissant la sécurité maritime, du moins à terme.

Le principal avantage de cette décision consiste en réalité à permettre un renouvellement de la flotte marchande par des navires neufs.

Mais le recul est encore insuffisant pour apprécier si les navires à double coque ne connaîtront pas des problèmes de vieillissement prématuré. Tout laisserait d'ailleurs à penser plutôt le contraire.

La double coque présente également un intérêt certain dans le cas d'abordages à faible vitesse.

De même, pour des accidents internes aux citernes de la coque intérieure, la double coque présente des avantages indéniables. Ainsi, le récent sinistre qui a frappé le Chassiron au large de Bayonne à la fin juin, alors que ce pétrolier de 20 000 tonnes subissait un nettoyage de ses citernes à l'eau de mer, plaide en faveur de ce type de structure. En effet, dans ce cas, la double coque a résisté à l'explosion alors qu'une partie du pont supérieur a été arrachée.

Il n'en demeure pas moins que la structure alvéolaire de la double coque, que l'on peut voir sur la photo ci-après, paraît constituer le point le plus délicat pour assurer la sécurité des double-coques. Les interstices entre les alvéoles n'étant que d'un mètre pour un pétrolier de cette taille, et de 3 mètres au maximum pour les « super-tankers », il sera difficile de procéder à des sondages pour mesurer l'état de corrosion des coques sur leur surface intérieure à l'interstice qui les sépare, et les travaux de réparation risquent de s'avérer particulièrement délicats.

Le Chassiron (photo de tribord) après explosion

graphique

Source : BEA-mer

M. Patrick Boissier, Président-directeur général des Chantiers de l'Atlantique, a aussi évoqué certains autres inconvénients de la structure à double coque :

« [Le] troisième inconvénient des navires à double coque (...) survient en cas d'échouage, par exemple sur un récif. Le double fond du navire va se crever et l'eau pénétrer entre les deux coques. De ce fait, le navire va s'alourdir et s'enfoncer, auquel cas il sera alors encore plus difficile à dégager.

(...) on peut aussi ajouter le fait que, d'un point de vue de solidité mécanique, il n'est pas démontré qu'une double coque soit plus solide qu'une simple coque. La double coque étant plus rigide, cela peut entraîner des problèmes de fatigue, notamment lorsque le navire est soumis à des moments fléchissants successifs sur les vagues. Ce problème peut certes se résoudre par le calcul et une construction correcte, mais ce n'est pas évident. Il ne faut donc pas partir du principe qu'une double coque est par nature plus solide qu'une simple coque. »

Devant ces incertitudes, la Commission préconise que soient très rapidement lancées des études sur le vieillissement des double-coques et que soient définies des normes renforcées quant à leurs conditions d'entretien.

Par ailleurs, de manière alternative, l'OMI a reconnu que le modèle de structure dit E3 (européen, écologique, économique) présentait les mêmes avantages de sécurité que les navires à double coque. Mais ce type de navire n'a pu être commercialisé car il n'aurait pu être accueilli dans les ports américains. M. Boissier a bien résumé la situation en indiquant : « Le problème aujourd'hui est que, malheureusement, les Américains ayant pris la décision d'imposer la double coque, aucun armateur ne peut se permettre de faire construire ou de commander un navire qui n'aurait pas accès aux eaux américaines. Par conséquent, je crains que l'Europe ne puisse prendre une décision différente de celle que les Américains ont prise, sans doute plus sous la pression de l'opinion publique qu'après une étude scientifique rigoureuse ».

Pour autant, la Commission estime important que l'on relance les études sur les standards alternatifs à la double coque -notamment les structures de double-pont- car les Etats-Unis semblent commencer à se rendre compte que les double-coques risquent de poser des difficultés d'entretien très délicates.

B.- MODERNISER LE DROIT MARITIME INTERNATIONAL

L'amélioration de la sécurité maritime ne se réduit pas à l'application de meilleurs standards techniques aux navires, mais exige aussi que les Etats négocient au niveau international, de façon à trouver un équilibre entre la liberté du transport maritime et la régulation de ce trafic, avec la contrainte impérative de protéger les Etats côtiers des risques de pollutions auxquelles ils sont, de surcroît, parfois totalement étrangers et uniquement victimes, comme dans le cas du Prestige.

1.- Une évolutivité limitée par les divergences d'intérêts des Etats littoraux et des puissances maritimes

Alors que les dernières marées noires ont suscité une forte mobilisation de la Commission européenne et des Etats membres pour aboutir à l'adoption de nombreuses mesures visant à réguler le transport maritime, le droit maritime international, négocié dans le cadre de l'OMI et a fortiori de l'ONU pour la convention sur le droit de la mer, semble beaucoup plus difficile à faire évoluer.

Pour ne citer que quelques exemples, la convention HNS sur l'indemnisation des risques chimiques (cf. 4ème Partie) a été élaborée et signée en 1996, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur, alors que de nombreux Etats ont officiellement décidé de la ratifier, mais n'ont pas en réalité encore formalisé la procédure de ratification. A cet égard, on peut regretter que la convention n'ait pas été améliorée depuis 1996, alors que les obstacles à sa ratification tiennent aux difficultés pratiques de son application telle quelle.

Lors de son audition, M. Conti, représentant la FFSA, a cité comme exemple de l'extrême lenteur de l'évolution du droit international le cas que l'on pourrait qualifier de « pathologique » de la convention sur l'assistance, signée à Londres en 1989 et entrée en vigueur en 1996, mais pour laquelle il a fallu près de 18 ans de négociations pour aboutir à ce que les sociétés d'assistance puissent être dédommagées pour leurs efforts pour limiter la portée d'une pollution par le biais d'une indemnité spéciale. La tradition maritime du « no cure, no pay » -rémunération seulement en cas de succès de l'assistance- aura été particulièrement difficile à faire évoluer, alors que le nouveau principe du « no cure, little pay » -permettant une rémunération même en cas d'échec-, devrait inciter les sociétés d'assistance à plus chercher à limiter les risques de pollution.

Au sein de la communauté internationale, les intérêts divergents des puissances maritimes attachées à la liberté de navigation et des pays possédant de grandes façades littorales dans des régions particulièrement exposées aux accidents maritimes, expliquent l'immobilisme apparent des normes maritimes internationales.

La communauté internationale dans son ensemble devra s'interroger sur les conséquences, en terme de sécurité maritime, du poids grandissant des pavillons dits de « libre immatriculation », qui contrôlent aujourd'hui plus de 60% du tonnage de la flotte marchande, alors que cette proportion n'était que de 9% en 1955. La situation est d'autant plus paradoxale que ce sont les armateurs des pays développés qui bénéficient les premiers de cette évolution : en effet, 67% de la flotte contrôlée par les armateurs de l'OCDE navigue sous pavillon de libre immatriculation !

Cette prééminence de quelques Etats du pavillon, qui n'assument en rien leurs responsabilités de contrôle vis-à-vis de la flotte immatriculée à leur registre, constitue un facteur supplémentaire de blocage de toute évolution rapide des normes de l'OMI.

Devant ce constat d'immobilisme, et pour répondre à la pression des opinions publiques choquées de l'impunité des armateurs après les marées noires, certains Etats ont décidé d'adopter unilatéralement des règles de sécurité maritime de portée régionale. L'exemple le plus connu est celui des Etats-Unis, qui ont élaboré leur propre régime de responsabilité en cas de pollution par les hydrocarbures, avec l'« Oil pollution act » de 1990.

L'Union européenne a adopté une attitude plus traditionnelle et empreinte de respect pour la prééminence de l'OMI et de la dimension internationale du transport maritime. Ses Etats membres restent signataires des grandes conventions internationales relatives aux pétroliers, qu'il s'agisse de la convention MARPOL ou de celle régissant la responsabilité civile des armateurs -la convention CLC-, alors que les Etats-Unis ont clairement décidé d'appliquer une politique unilatérale.

Dans le même temps, l'Union européenne s'est cependant, dotée d'un corpus de normes qui vont bien au-delà des prescriptions de l'OMI, mais elle reste attachée au multilatéralisme et cherche à convaincre l'OMI d'étendre au niveau mondial les principes communautaires, comme elle le fait actuellement pour obtenir le retrait accéléré des navires à simple coque selon le même calendrier que celui adopté le 26 mars dernier, au niveau communautaire, par le conseil des ministres des Transports.

La Commission d'enquête estime indispensable, pour l'efficacité de la politique de sécurité maritime, que les Etats européens ne se limitent pas à adopter une réglementation communautaire, mais cherchent à moderniser le fonctionnement de l'OMI.

2.- La portée nécessairement limitée de tout dispositif purement régional, dans la configuration européenne

L'Union européenne constituant une zone de transit maritime, elle ne peut imposer aux bateaux qui ne font pas escale dans les ports européens de mesures unilatérales, car elle ne serait pas en mesure de les faire appliquer : le recours à la force, en dehors des ports, ne peut naturellement qu'être exceptionnel et doit être justifié par des problèmes de sûreté ou par des risques graves de pollution, comme dans le cas où des bateaux à risques ont été déroutés au large de la ZEE de la France ou de l'Espagne dans le cadre des accords de Malaga.

Les mesures adoptées à Malaga auraient pourtant pu faire l'objet de contentieux, car elles apparaissent en partie contraires au « droit de passage inoffensif » prévu par le droit actuel de la mer. Les armateurs de bateaux à risques ont cependant, à une exception près, sans doute préféré ne pas prendre le risque d'afficher leurs pratiques douteuses.

A l'heure actuelle, l'Union européenne est cependant impuissante à contrôler l'état des structures des bateaux qui passent au large de ses eaux territoriales, de même qu'elle ne peut rien contre le recours à des équipages peu qualifiés et en sous-effectifs.

Pour ces questions essentielles à la sécurité, seule une démarche internationale au sein de l'OMI peut amener des changements qui devront s'appliquer à l'ensemble des flottes de Marine marchande.

M. Karsenti, représentant des Chargeurs, a très bien souligné les limites d'une politique régionale, en particulier en Europe, où les principaux facteurs de risques sont aux portes de l'Union. Il a tout d'abord insisté sur la nécessité d'assainir les conditions du transport maritime dans la Baltique et en Méditerranée :

« D'un côté, lorsque l'on regarde le nord de l'Europe, on constate que la question sera en partie réglée par l'élargissement de l'Union, puisque l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, qui ont des ports de sortie des fiouls et des bruts russes, vont devenir membres de l'Union. Il restera Saint-Pétersbourg et Primorsk, qui sont les terminaux russes. Il faudra bien trouver un accord avec les Russes, sinon vont circuler devant tous les ports de la Baltique, de la Manche et de l'Atlantique, comme l'a fait le Prestige, des navires de mauvaise qualité avec des cargaisons très dangereuses. Il faut que l'Union européenne conclue un accord avec les Russes, sinon le problème restera entier.

Puis il a ajouté : « Je pense que se désengager de l'OMI serait une erreur très grave, pour la bonne et simple raison que le transport maritime est par nature international et multilatéral. Sortir l'Europe de l'OMI serait donc vraiment une erreur. Pour autant, la position actuelle de l'Europe me semble bonne : elle va adopter des mesures extrêmement importantes et même presque risquées, et, ce faisant, elle pousse l'OMI à les adopter également. »

Mais limiter la tendance naturelle à la régionalisation du droit maritime, qui peut être sensiblement plus rapide, n'est possible que si se dégagent, à un terme qui ne soit pas de vingt ans, des possibilités d'évolutions significatives du droit international de la mer.

3.- Réformer le droit de la mer : une ambition à terme, qui suppose une volonté indéfectible dans la durée

Comme l'a expliqué M. Le Drian lors de son audition, le droit maritime international repose sur une philosophie qui n'est plus adaptée aux caractéristiques actuelles du transport maritime. La convention sur le droit de la mer de 1982, dite de Montego Bay, où elle a été négociée, a pour fondement le principe de la liberté des mers. La liberté de navigation et son corollaire, le « droit de passage inoffensif » y sont affirmés au fil des articles. C'est une convention qui marque la fin d'une époque plutôt que le début d'une autre, contrairement aux règles qui s'appliquent, depuis 1944, à l'aviation civile, beaucoup plus contrôlée. Or elle régit globalement les rapports entre les Etats et le droit maritime dans toutes ses dimensions au niveau mondial.

Mais, depuis sa première mise en œuvre, il y a plus de vingt ans, le transport maritime a triplé, de nombreux pays ont accédé au pavillon -sans doute trop souvent dans des conditions plus ou moins discutables-, mais ils ont accédé au pavillon qu'ils n'avaient pas en 1982.

En raison de la multiplication des catastrophes maritimes, un encadrement du transport maritime est devenu indispensable, l'opinion publique faisant d'ailleurs pression pour le renforcement des normes de sécurité.

Par ailleurs, l'ensemble des textes ultérieurs régissant le droit de la mer a été pris en fonction de ces dispositions, ce qui a conduit aujourd'hui à une situation de blocage sur de nombreux points.

Ainsi, le droit maritime international repose sur la responsabilité limitée de l'armateur et sur l'Etat du pavillon, qui a tout pouvoir pour apprécier la navigabilité des navires inscrits à son registre. Or ces deux principes conduisent à une déresponsabilisation de l'ensemble des acteurs du transport maritime qui, a aucun moment, ne sont incités à faire le choix de la sécurité maritime.

Il convient donc d'examiner comment la communauté internationale pourrait se mobiliser pour faire en sorte que les Etats de libre immatriculation assument leurs responsabilités et procèdent aux contrôles élémentaires pour éliminer les bateaux les plus dangereux.

a) Obtenir des Etats de libre immatriculation qu'ils contrôlent leur flotte

Pour obtenir des Etats de libre immatriculation qu'ils assument, assumer leurs responsabilités d'Etat du pavillon, il convient de recourir à l'ensemble des moyens de la coopération internationale pour aider ces pays à se doter d'administrations maritimes compétentes (cf. supra), mais aussi permettre la mise en cause de leur responsabilité lorsque, par leur attitude laxiste dans la délivrance des certificats statutaires, ils ont laissé naviguer un bateau qui, manifestement, n'aurait jamais dû être autorisé à naviguer et a occasionné de graves dommages de pollution.

Pour l'instant, dans le cadre de l'OMI, ce sont surtout les méthodes incitatives qui prévalent, notamment avec la réflexion en cours sur la mise en place d'une procédure d'audit des Etats du pavillon, évoquée précédemment.

La Commission d'enquête estime indispensable que cette procédure d'audit devienne obligatoire pour que les membres de l'OMI disposent d'un diagnostic précis de l'application du droit maritime au niveau mondial et des raisons qui conduisent un certain nombre d'Etats signataires à ne pas faire respecter ces normes par les bateaux inscrits à leur registre. Cette évaluation de l'application du droit maritime semble un préalable important pour connaître les aspects du droit maritime qui sont aujourd'hui inadaptés.

Plusieurs personnes auditionnées ont également souligné l'intérêt qu'il y aurait à donner une définition précise à la notion de « lien substantiel » -« genuine link »- qui doit exister entre l'Etat du pavillon et l'armateur.

Comme l'a fait remarquer M. Bruno Rebelle, directeur général de Greenpeace France, une définition rigoureuse du lien substantiel permettrait de limiter le développement excessif des pavillons de complaisance. C'est ainsi qu'il a plaidé pour une réforme de l'article 91 de la convention sur le droit de la mer :

« (...) je voudrais insister sur un point essentiel, malheureusement trop souvent oublié. Je veux parler de la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui, dans son article 91, stipule qu'il doit exister un lien substantiel -« genuine link »- entre le propriétaire d'un navire et la nationalité de son pavillon. J'insiste, parce que notre organisation a eu l'occasion d'interpeller le Secrétariat général des Nations-Unies au lendemain de la catastrophe du Prestige pour lui demander de se pencher sur une application rigoureuse de cet article qui constitue la clé de voûte de l'éradication ferme et définitive des pavillons de complaisance.

Or, en appliquant rigoureusement l'article 91 de la convention sur le droit de la mer, un bateau ne pourra pas avoir un pavillon différent de celui de la nationalité de son propriétaire. Et lorsqu'on sait qu'un grand nombre de navires sont la propriété d'armateurs, notamment européens et grecs, l'Union européenne pourrait peser de manière beaucoup plus significative sur ces propriétaires et contribuer ainsi à améliorer progressivement la flotte. Il s'agit d'un enjeu majeur dans le cadre de la construction européenne.  »

Cette question fait l'objet d'un large consensus : l'Académie de marine, dans sa communication sur la prévention des catastrophes maritimes du 16 avril 2003, a formulé la même préconisation.

Pour sa part, M. Michel Quimbert, président du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, a prêché pour un retour aux sources juridiques, en indiquant : « Nous en sommes arrivés jusqu'à cette extrémité, que constitue la fuite totale des responsabilités, fût-ce au prix d'un comportement criminel. Je crois qu'il faut redécouvrir des vérités premières : la nécessité de rétablir le lien navire/armateur, le lien armateur/équipage, le lien navire/équipage et le lien entre les membres de l'équipage eux-mêmes ». En particulier, il a préconisé le retour à une définition de l'armateur qui corresponde à la réalité de la gestion des navires : « Dans ces conditions, ne faut-il pas rétablir un lien minimum entre l'armateur et le navire ? Au sens de la loi française, l'armateur est celui qui exploite un navire en son nom. Quand on rappelle cela, tout le monde semble étonné. Cette définition est exacte, il ne faut rien y changer. »

La Commission d'enquête estime donc important que la France propose sans tarder une réforme de la convention sur le droit de la mer, dont les fondements actuels empêchent toute évolution significative vers un système mondial efficace de régulation du transport maritime.

De premiers jalons ont été posés en ce sens par le vice-président de la Commission européenne qui, dans une lettre adressée le 20 octobre 2002 au secrétaire général des Nations-Unies, a fait savoir que les Etats membres entendaient promouvoir activement le réexamen des règles du droit de la mer au sein de l'ONU et de l'OMI pour en adapter les dispositions aux nouvelles exigences de la sécurité maritime du XXIème siècle.

Cette initiative suppose une détermination sans faille, car la durée des négociations risque d'être très longue, mais l'entrée dans l'Union de grandes puissances maritimes est un atout pour lancer cette réforme en position de force.

b) Affirmer les droits des Etats côtiers à réguler le trafic au nom de la sécurité maritime

La fréquence des grandes marées noires souligne la nécessité de réguler le trafic maritime dans les zones de trafic intense et, peu à peu, de s'orienter vers un contrôle actif du transport maritime dans les zones dangereuses. De nombreux obstacles juridiques demeurent cependant, car le droit international reconnaît peu de prérogatives aux Etats côtiers.

· Les contraintes du régime de la ZEE

Ainsi, au regard du droit international, dans la Zone économique exclusive (ZEE), qui s'étend jusqu'à 200 milles des côtes, s'exercent deux pouvoirs concurrents : celui de l'Etat riverain et celui de l'Etat du pavillon. En effet, l'article 58 de la convention sur le droit de la mer y accorde à tous les Etats la liberté de navigation. Le pouvoir de réglementation en matière de sécurité des navires revient donc aux Etats dont ils battent pavillon. Mais la ZEE est aussi une zone dans laquelle l'Etat côtier possède des droits exclusifs, définis par l'article 56 de la même convention, notamment :

- la mise en place d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages ;

- la liberté de mener des recherches scientifiques marines ;

- la possibilité d'adopter des normes pour la protection et la préservation du milieu marin.

Progressivement, toutefois, des prérogatives plus importantes ont été reconnues aux Etats côtiers, soucieux de protéger certaines zones écologiquement sensibles, tout en préservant les intérêts des Etats ayant des flottes nombreuses, qui sont réticents à accepter des entraves à la navigation dans certaines zones de la ZEE.

C'est pourquoi un Etat riverain ne peut créer unilatéralement une zone protégée, mais doit soumettre son projet à l'approbation de l'OMI. Cette pratique est aujourd'hui très répandue puisqu'on compte plus de 500 zones maritimes protégées établies dans une centaine de pays.

Malgré la multiplication des législations nationales comportant des dispositions de régulation de la circulation maritime dans la ZEE, des controverses juridiques demeurent sur la question de savoir si la mise en œuvre de dispositifs de séparation de trafic est licite dans la ZEE, la convention sur le droit de la mer étant muette sur ce point précis.

Plusieurs personnes auditionnées ont d'ailleurs plaidé pour une clarification des notions clés du droit maritime international et une définition plus concrète des prérogatives des Etats côtiers dans la ZEE. Une telle reformulation permettrait d'instaurer, dans les zones très fréquentées, des procédures de suivi de trafic avec obligation de signalement avant de pénétrer dans la zone à risque et de contrôler systématiquement les bateaux sous-normes souhaitant transiter dans la zone protégée. Ainsi, par exemple, il serait possible de demander des vérifications à l'entrée en Manche sur la base des mêmes normes que celles applicables à nos pavillons, ou sur la base de la réglementation de l'Etat du port. 

· Le projet important de création d'une ZMPV en Manche

Dans l'attente de cette réforme, qui ne pourra naturellement aboutir qu'à moyen ou long terme, certains pays européens ont décidé de tirer profit des ambiguïtés du droit international et de demander la création d'une « zone maritime particulièrement vulnérable » (ZMPV) pour protéger la Manche des navires les plus dangereux.

Lors du conseil des ministres des Transports du 26 mars 2003, l'Espagne, la France, l'Irlande, le Portugal et le Royaume-Uni ont présenté un projet visant à la désignation d'une telle zone. Un sixième Etat, la Belgique, s'est depuis lors associé à cette initiative. Une proposition conjointe de ces six Etats visant à la désignation d'une « zone maritime particulièrement vulnérable en Europe de l'Ouest » a également été officiellement déposée le 11 avril 2003 à l'OMI. Elle sera examinée lors de la prochaine session du Comité pour la protection de l'environnement marin, prévue du 14 au 18 juillet 2003.

Cette proposition, destinée à prévenir des pollutions accidentelles par les navires dans une zone particulièrement exposée à ces risques, répond à l'une des principales orientations prises après la catastrophe du Prestige par le Conseil des ministres des Transports du 5 décembre 2002 (cf. carte en annexe 6).

Cette demande s'appuie sur l'article 211 § 6 de la convention sur le droit de la mer, qui prévoit que : « (...) lorsque les règles et normes internationales visées au paragraphe 1 ne permettent pas de faire face d'une manière adéquate à des situations particulières et qu'un Etat côtier est raisonnablement fondé à considérer qu'une zone particulière et clairement définie de sa Zone économique exclusive requiert l'adoption de mesures obligatoires spéciales pour la prévention de la pollution par les navires (...), cet Etat peut (...) adresser à cette organisation une communication concernant la zone considérée.

(...) Si l'organisation décide qu'il en est ainsi, l'Etat côtier peut adopter pour cette zone des lois et règlements visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires qui donnent effet aux règles et normes ou pratiques de navigation internationales que l'organisation a rendues applicables aux zones spéciales ».

Cette proposition satisfait au demeurant à toutes les conditions posées par l'OMI dans le cadre de la résolution A 927 (22) adoptée le 29 novembre 2001. Le dossier soumis par les six Etats démontre à cet égard de manière détaillée que cette zone remplit, à l'évidence, les conditions d'ordre socio-économique, scientifique et culturel posées à la section 4 de la même résolution, et se trouve exposée à des risques causés par les activités de transports maritimes internationaux en raison des caractéristiques du trafic, comme de facteurs naturels (courants de marées, conditions météo).

Le dossier soumis à l'OMI comporte des éléments d'information frappants, notamment une carte indiquant la localisation de tous les sinistres maritimes survenus en Europe depuis 1967 et un tableau analysant, par sinistre, l'étendue des pollutions par hydrocarbures. Ces deux documents démontrent, à eux seuls, s'il en était besoin, l'urgence de protéger le passage de la Manche et le Golfe de Gascogne en raison de la fréquence des sinistres dans cette zone, déjà évoquée.

La délimitation proposée recouvre certaines parties de la zone spéciale « Eaux de l'Europe du Nord-ouest », telle que définie l'annexe I de la convention MARPOL (règlement 10 (1) h). Aux termes de cette convention, il est possible de créer des « zones spéciales » pour protéger des territoires particulièrement fragiles au plan écologique ou qui subissent une très forte concentration de trafic. Dans ces zones, il est possible d'imposer des restrictions plus sévères concernant le rejet de substances polluantes.

La proposition de création d'une ZMPV s'accompagne d'une mesure de protection associée : l'interdiction de transport dans cette zone de fioul lourd par des pétroliers à simple coque. Une telle mesure peut raisonnablement être considérée comme compatible avec les dispositions de la convention sur le droit de la mer : elle se trouve également en parfaite cohérence avec les initiatives européennes en matière de retrait des navires à simple coque.

Pour autant, elle ne proscrit dans cette zone ni la navigation des pétroliers à simple coque, ni le transport de fioul lourd, mais seulement le passage de ce type de produit sur cette catégorie particulière de navires. Elle peut donc être interprétée comme étant compatible avec le principe de liberté de navigation en haute mer, dont elle peut apparaître, dans une zone exposée et délimitée, comme un simple aménagement, et non comme une entrave. Elle est, de surcroît, limitée dans le temps car elle concerne des navires dont la disparition est d'ores et déjà programmée par l'OMI à l'horizon 2015, et par l'Union européenne à un terme plus proche.

La création de cette ZMPV constitue enfin un complément indispensable aux initiatives européennes qui, si elles étaient acceptées à l'OMI, ne pourraient aboutir à la disparition du transport de fioul lourd sur des simple-coques qu'à l'horizon 2010, alors que l'entrée en vigueur de la mesure de protection, proposée dans le cadre de la ZMPV, pourrait intervenir dès l'année prochaine. Un tel gain de temps permettrait aux côtes européennes, au rythme actuel d'un naufrage tous les trois ans, de « faire l'économie » de un à deux sinistres du type de celui du Prestige ou de l'Erika !

Le caractère répétitif des naufrages dans ces eaux prouve que la création d'une telle zone est justifiée. L'importance des dommages subis à chacune de ces occasions démontre que la création d'une telle zone est vitale pour les économies et les populations vivant sur ces côtes.

Interrogé sur l'opportunité de créer cette zone, l'amiral Cot, adjoint du secrétaire général de la mer, a souligné que sa création représenterait un grand progrès pour sécuriser le trafic en Manche, alors qu'actuellement, les bateaux à risque ont tendance à longer les côtes anglaises, car la Grande Bretagne ne s'est pas associée aux « mesures Malaga » :

« Nous avons bon espoir d'asseoir la position de Malaga en nous appuyant sur cette zone MARPOL prévue par l'OMI, mais que nous agrandirions quelque peu. Ce faisant, nous fermons la Manche aux pétroliers de plus de quinze ans. Pour l'instant, nous ne la fermons pas complètement, nous contrôlons les pétroliers qui passent et nous nous réservons la possibilité de fermer le passage. Mais si cette disposition, qui devrait être prise dans le cadre de l'OMI, était adoptée, ce que j'espère, nous pourrions exercer un contrôle complet sur les bâtiments qui passent en Manche, ce qui constituera un progrès considérable. »

· Compléter la ZMPV par l'exigence du recours à des pilotes

La Commission d'enquête soutient pleinement l'initiative précitée et espère que ses auteurs parviendront à la faire avaliser par l'OMI dans des délais rapides. Elle suggère de compléter ce dispositif dans un deuxième temps, en prévoyant la possibilité d'imposer aux navires de recourir à des pilotes hauturiers si les conditions de navigation sont particulièrement délicates ou si le navire présente une vulnérabilité spécifique. Cette mesure relèverait des autorités maritimes et serait à la charge de l'armateur.

Actuellement, les capitaines de navire peuvent déjà décider de recourir aux services d'un pilote hauturier, mais le préfet maritime ne peut pas l'imposer à tous les navires passant dans une zone à risque. M. Pinon, préfet maritime de la Manche et de la Mer du Nord, soulignant la dangerosité du passage de la Manche et du détroit du Pas-de-Calais, a indiqué que le recours plus fréquent au pilotage hauturier limiterait le risque de sinistres, mais qu'il fallait aussi évaluer les risques de détournement de trafic.

« Le préfet maritime, lorsqu'il doit réglementer, tend à accroître la sécurité au maximum, et chaque moyen sécuritaire supplémentaire ne peut que le contenter. Quand il s'agit de réglementer une zone de mouillage extrêmement importante et fréquentée, telle celle de Dunkerque-Calais, dite du Dick, il serait possible d'obliger les navires à utiliser les services d'un pilote, mais cela risquerait de détourner les bateaux vers des ports du Nord tels que Rotterdam ou Anvers, dont les tarifs seraient alors plus compétitifs.

Là encore, toute décision en ce sens devra être prise dans un cadre européen. Toute obligation imposée d'un point de vue strictement français aura un effet économique que l'on doit mettre en balance avec les questions de sécurité. »

C'est pourquoi la Commission d'enquête préconise que cette question du pilotage hauturier soit négociée au niveau de l'OMI comme une des mesures de régulation de trafic dans la zone particulièrement vulnérable.

La création de cette zone particulièrement vulnérable doit être l'occasion d'étudier la question des routes maritimes pour déterminer si des itinéraires alternatifs au passage en Manche pourraient être définis et d'apprécier quelles en seraient les répercussions en terme de détournement de trafic pour les grands ports du Nord de l'Europe.

· Tendre vers un contrôle actif des zones dangereuses

De manière plus large, la Commission préconise d'étudier les conditions techniques permettant de mettre en œuvre un contrôle passif, puis à terme actif du transport maritime, comme il existe pour le trafic aérien, avec une extension progressive des dispositifs du type Trafic 2000 ou, pour la France, Spatio-Nav.

La remise en cause de la liberté de navigation est aujourd'hui une nécessité dans certaines zones particulièrement fréquentées et situées à proximité des côtes. Il suffit, pour s'en convaincre, de songer aux conséquences potentielles auxquelles pourrait conduire un sinistre maritime majeur dans le détroit du Pas-de-Calais, en termes de pertes humaines et économiques sur une frange littorale particulièrement peuplée et riches en installations industrielles à risques, notamment les centrales nucléaires d'EDF.

c) La réforme du fonctionnement de l'OMI ?

L'OMI ne doit plus se borner à être une institution internationale édictant un corpus de règles techniques dont elle ne peut jamais contrôler l'application.

Il convient donc de demander aux Etats membres de l'OMI de trouver de nouvelles règles d'organisation pour que cette institution soit en mesure de veiller au contrôle des normes qu'elle a édictées.

La Commission propose de modifier les conventions en vigueur pour faire figurer une clause indiquant : « l'OMI peut faire effectuer des audits des services compétents des Etats membres, chargés du contrôle de l'application des normes maritimes ».

La Commission suggère aussi que les Etats membres de l'OMI réfléchissent à une modification des prises de décision. Il n'est pas certain que la pratique actuelle du consensus favorise le changement au sein de l'OMI. Sur des questions politiques, peut-être serait-il moins ambigu que les Etats membres procèdent à des votes pour que les prises de position des uns et des autres soient claires ?

Dans le même ordre d'idées, cette institution devrait veiller à s'ouvrir à la société civile et donner plus de publicité à ces travaux car actuellement la transparence dans les prises de décision de l'OMI paraît perfectible.

La Commission s'interroge enfin sur l'opportunité de modifier les statuts de l'OMI pour prévoir l'adhésion d'organisations régionales, comme par exemple celle de l'Union européenne. Même si cette réforme risque d'être difficile, car se posera la délicate question de l'autorité qui représentera l'Union européenne à l'OMI, il n'en demeure pas moins indispensable de chercher systématiquement à définir une position commune des Etats membres dans les grands débats à l'OMI. L'Union européenne élargie sera une grande puissance maritime qui doit exercer toute sa puissance politique et économique pour faire évoluer l'OMI.

suite du rapport

1 Ce que n'ont fait ni le Parlement européen, qui a développé ses investigations dans le cadre d'une simple information de ses commissions permanentes compétentes, ni le Parlement espagnol.

2 Aucun des Etats membres n'envisage d'ailleurs de publier une telle liste : à titre d'exemple, l'autorité maritime britannique compétente a indiqué que si cela lui était imposé, elle fournirait l'inventaire complet des 740 ports britanniques.

3 Organisation britannique chargée du sauvetage en mer et de la sécurité maritime.

4 Voir infra

5 Voir supra.

6 De même que l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède.

7 Voir supra.

8 A cet égard, des travaux sur la révision du code des marchés publics ont été engagés, afin de simplifier et d'alléger les procédures existantes, et ainsi mieux prendre en compte les contraintes pratiques des administrations.

9 Le réseau RITMER (Recherche et innovation technologiques pour les pollutions marines accidentelles) a pour objectif d'identifier les besoins prioritaires dans le domaine de la lutte contre les pollutions marines et de susciter et soutenir les actions de recherche destinées à développer des produits ou des méthodes innovantes.

10 Ce point sera abordé de façon plus détaillée dans la suite du rapport.

11 Par la résolution A.851 (20)

12 Lors de la guerre entre l'Iran et l'Irak, des pétroliers présents dans le Golfe Persique avaient été pris pour cible.

13 Dit également registre des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

14 La revue maritime : Les XXIèmes journées de la mer à Toulon, n°464, mai 2003.

15 Certains Etats de libre immatriculation, tels le Libéria, ont réalisé de réels efforts en matière de contrôles et le taux de détention dans les ports de leurs navires n'a rien à envier à celui des pays européens. Les armateurs puissants et sérieux des Etats-Unis ou des pays européens n'hésitent pas à utiliser ce pavillon pour leur flotte, y compris la plus moderne.

16 Ce programme, destiné à l'origine à appuyer le développement économique de la Hongrie et de la Pologne en 1989, a été considérablement étoffé, pour devenir le principal instrument financier de soutien à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. Le budget de ce programme atteignait 1,664 milliard d'euros en 2002.

17 Chiffres fournis par le rapport annuel du Mémorandum de Paris pour 2001.

18 Dernier chiffre consolidé disponible.

19 Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, République slovaque et Slovénie.

20 Chiffres de février 2003.

21 Pour approvisionner les centrales électriques au fioul de l'ENEL.

22 Sous l'hypothèse d'un affrètement au voyage (ou « spot ») - qui assure aujourd'hui près de 50% des mouvements pétroliers, contre moins de 10% au début des années 70, du fait du souci des opérateurs de se prémunir contre des risques de variations subites des taux de fret - et en se fondant sur les tailles des navires Erika et Prestige (respectivement 35 000 et 77 000 tonnes).

23 Moyenne mensuelle sur les 9 premiers mois de l'année 2002.

24 Selon l'Agence internationale de l'énergie, il est possible qu'une partie de ces importations soit utilisée par les raffineries chinoises « petites et non officielles », qui traitent de préférence du fioul lourd résiduel plutôt que du brut comme les grandes raffineries officielles.

25 Moyenne mensuelle sur les 9 premiers mois de l'année 2002.

26 Projet ARCOP (plateforme d'exploitation arctique). Ce projet d'une durée de 3 ans, lancé en décembre 2002, est financé en partie par la Commission au titre du cinquième programme-cadre de recherche et développement, et est mené par un consortium de 21 organisations de Finlande, d'Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, d'Italie, de Norvège et de Russie.

27 Cet oléoduc a été mis en exploitation en août 2001 avec une capacité initiale de 180 000 barils par jour. Cette capacité devrait finalement être portée à 560 000 barils par jour

28 Une série d'autres routes est envisagée: une route septentrionale pourrait passer par le sud de la Hongrie et par la Slovénie, tandis qu'un tracé sud pourrait passer par la Serbie, le port croate d'Omisalje, traverser la Slovénie pour aboutir au terminal de Trieste. A partir de là, l'oléoduc serait relié à l'oléoduc transalpin qui pourrait assurer l'acheminement vers les marchés autrichien, allemand et tchèque.


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