Version PDF
Retour vers le dossier législatif

TOME SECOND

Volume 2

Voir le sommaire du second volume des auditions

AUDITIONS

8ème partie

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission.

- Audition conjointe de M. Didier BAUDOIN, Directeur du Groupe des écoles des Affaires maritimes, de M. François PERCIER, Directeur des études du Groupe des écoles des Affaires maritimes, et de M. Jean-Claude DENAYER, Directeur des études de l'école nationale de la Marine marchande de Nantes (extrait du procès-verbal de la séance du 5 juin 2003 - Nantes) 5

- Audition conjointe de M. Roger BOSC, Inspecteur général des Affaires maritimes, de M. André GRAILLOT, Inspecteur général de l'Equipement et de M. Pierre ROUSSEL, Secrétaire général de l'Inspection générale de l'Environnement (extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003) 17

- Audition de M. Henri de RICHEMONT, Sénateur de la Charente (extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003) 40

- Audition conjointe de Mme Marjorie OBADIA, Magistrat, Chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement à la sous-direction de la Justice pénale spécialisée du ministère de la Justice et de M. François NICOT, Procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Brest (extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2003) 59

- Compte-rendu de l'entretien au Ministère de la marine marchande de Grèce (Athènes, mardi 22 avril 2003) 84

- Compte-rendu de l'entretien au Bureau VERITAS en Grèce (Le Pirée, mercredi 23 avril 2003) 88

- Compte-rendu de l'entretien avec l'Union des Armateurs Grecs (Athènes, mercredi 23 avril 2003) 92

- Echange de vues au Parlement européen (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 96

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Willem de RUITER, Directeur exécutif de l'Agence européenne de sécurité maritime (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 98

- Compte-rendu de l'entretien avec M. François LAMOUREUX, Directeur général de la Direction générale Transports-Energie de la Commission européenne (Bruxelles, mardi 20 mai 2003) 102

- Compte-rendu 108

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Hans JACOBSSON, Administrateur du FIPOL (Londres, jeudi 22 mai 2003) 114

- Compte-rendu de l'entretien avec M. GAVIN, directeur du Lloyd's register of shipping et président du conseil de l'IACS (International association of classification societies), et M. R. LESLIE, Secrétaire permanent de l'IACS (Londres, jeudi 22 mai 2003) 122

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Adolfo MENENDEZ MENENDEZ, Sous-Secrétaire d'Etat chargé des Transports (Madrid, mardi 27 mai 2003) 126

- Echange de vues au Congrès des députés, (Madrid, mardi 27 mai 2003) 130

- Compte-rendu de l'entretien avec M. Domingo MENENDEZ, Directeur de cabinet de M. Rodolfo MARTIN-VILLA, Haut-commissaire (comissionado) chargé de la gestion du Prestige (Madrid, mardi 27 mai 2003) 132

- Dîner de travail (Saint-Jacques de Compostelle, mardi 27 mai 2003) 136

- Compte-rendu de la présentation de la gestion de la crise en Espagne (La Corogne, mercredi 28 mai 2003) 138

- Echange de vues avec des représentants des élus locaus et des marins pêcheurs (Finisterre, mercredi 28 mai 2003) 140

Audition conjointe de
M. Didier BAUDOIN, Directeur du Groupe des écoles des Affaires maritimes,
de M. François PERCIER, Directeur des études du Groupe des écoles des Affaires maritimes,
et de M. Jean-Claude DENAYER, Directeur des études de l'école nationale de la Marine marchande de Nantes


(extrait du procès-verbal de la séance du 5 juin 2003 -
Nantes)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Baudoin, Percier et Denayer sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Baudoin, Percier et Denayer prêtent serment.

M. le Président : S'agissant de la mise en place de la formation des inspecteurs, quel est le profil-type de l'élève inspecteur ? Comment se déroule la procédure de sélection ? Comment est organisée la scolarité ? Quelle est la composition du corps enseignant ? Au cours de la formation, les élèves ont-ils l'occasion de travailler avec des inspecteurs des sociétés de classification ou des inspecteurs étrangers émanant des pays signataires du mémorandum de Paris ? Concernant l'insertion professionnelle des jeunes inspecteurs, comment se déroule leur première affectation en tant qu'inspecteur stagiaire ?

M. Didier BAUDOIN : Avant de répondre à vos questions, nous allons nous présenter chacun à notre tour. Pour ma part, je suis directeur du groupe écoles des Affaires maritimes dont le siège est à Bordeaux. Depuis deux ans maintenant, nous avons une unité de formation de la sécurité maritime dans les locaux de l'école nationale de la Marine marchande à Nantes. Ce sont deux établissements distincts qui coopèrent pour former les inspecteurs à la sécurité des navires et à la prévention des risques professionnels maritimes.

M. François PERCIER : En tant que directeur des études du groupe école des Affaires maritimes, je suis en charge de la formation de l'ensemble des agents des Affaires maritimes, y compris les inspecteurs des Affaires maritimes qui sont formés ici, à Nantes.

M. Jean-Claude DENAYER : Je suis le directeur des études de l'école nationale de la Marine marchande de Nantes, et j'assure actuellement la fonction directeur intérimaire de l'école pour une période de deux mois. Mon action en relation avec les sujets qui vous préoccupent consiste, en collaboration avec l'équipe bordelaise, à mettre en place les moyens nécessaires, tels qu'ils sont définis par les référentiels arrêtés pour la formation considérée.

M. Didier BAUDOIN : S'agissant de votre question sur le profil de l'élève inspecteur, il n'y a pas de profil-type unique, car il existe plusieurs statuts possibles pour être inspecteur de la sécurité des navires. Les deux principales sont les suivantes :

- une origine statutaire civile, avec le corps des inspecteurs des Affaires maritimes option technique ;

- une origine statutaire militaire, pour les officiers du corps technique et administratif des Affaires maritimes, qui ne sont plus recrutés qu'au niveau technique, depuis quelques années.

Ce sont les deux principales sources de recrutement pour les inspecteurs de la sécurité des navires. Le titre « inspecteur de la sécurité des navires » désigne un métier et pas à un statut.

Les inspecteurs des Affaires maritimes sont des civils de catégorie A recrutés de différentes façons. Il y a tout d'abord les inspecteurs d'origine universitaire de niveau baccalauréat plus 3 -c'est le minimum requis, mais c'est souvent plus-, comme, par exemple, les ingénieurs d'écoles d'architecture navale, voire de l'école des Mines de Saint-Etienne. Les origines des universitaires sont variées, mais très souvent, ce sont des universitaires venant de disciplines scientifiques.

Peuvent également entrer dans ce corps les officiers de la Marine marchande qui passent un autre concours : ils ne suivent alors qu'une formation d'un an. Ces officiers de la Marine marchande, qui ont déjà suivi une formation dans les écoles nationales de la Marine marchande, naviguent pendant quelques mois puis passent le concours.

M. le Président : Combien de temps naviguent-ils ?

M. François PERCIER : Pour ceux qui viennent de la marine marchande, ce sont en général des élèves qui sont du niveau DESMM, c'est-à-dire qu'ils ont navigué douze mois comme élève, puis douze mois en tant qu'officier, avant de rentrer en formation pour le diplôme d'études supérieures de la marine marchande (DESMM).

M. Didier BAUDOIN : Ces élèves, qui sont titulaires du DESMM, ont effectivement navigué trente-six mois. Ils sont donc capitaines de deuxième classe de la marine marchande. Dans les dossiers que nous avons préparés à votre intention, vous avez toutes ces indications techniques.

Le concours est annuel. Il se décompose, au niveau du concours de la fonction publique, en différentes épreuves écrites, qui portent sur la culture générale, les mathématiques ou l'électronique selon les options, avec l'anglais obligatoire, et comprennent également une épreuve technique.

Ensuite, les élèves ont des épreuves orales avec entretien avec le jury. Les membres de ce jury, qui est présidé par un inspecteur général de l'Equipement, sont un professeur d'université spécialisé en physique, un capitaine d'armement -qui vient actuellement de la CGM-, un directeur régional des Affaires maritimes et le directeur du groupe écoles. S'ajoute à ce jury un chef de centre de sécurité des navires, en tant que praticien.

Actuellement, nous sommes dans la période se situant entre les épreuves écrites et les oraux. La semaine prochaine, auront lieu les oraux du concours d'inspecteur des Affaires maritimes.

En ce qui concerne le recrutement des officiers du corps technique et administratif des Affaires maritimes (OCTAAM), c'est le même processus, hormis que les jurys sont composés d'administrateurs des Affaires maritimes et de membres du corps de recrutement. Ce n'est pas tout à fait le même niveau de recrutement. Pour ces officiers du corps technique, il s'agit d'une seconde carrière offerte aux officiers de la Marine nationale ou aux officiers mariniers de la Marine marchande.

Ce n'est pas le même niveau du fait que les officiers mariniers de la Marine nationale ont un cursus différent. Ce sont plutôt des techniciens, c'est-à-dire des guetteurs sémaphoriques, -qui viennent des sémaphores de la Marine nationale-, ou des techniciens navigants, ou des mécaniciens navigateurs. Leurs origines sont assez diverses. Mais ces postulants ont quelques années de plus puisqu'ils ont déjà une carrière derrière eux. Voilà pour ce qui est des recrutements.

La formation dure dix-huit mois pour les inspecteurs des Affaires maritimes et dix-neuf mois et demi pour les officiers du corps technique. Cette différence résulte de ce que les officiers du corps technique et administratif des Affaires maritimes reçoivent, en plus, des formations de coordonnateur de missions de sauvetage, puisqu'ils deviennent par la suite officiers de permanence et coordonnateurs dans les CROSS.

Depuis septembre 2001, date de la création de cette unité de formation à la sécurité maritime, la formation se déroule principalement à Nantes, alors qu'auparavant, elle avait lieu à Bordeaux. Les raisons qui ont poussé à cette implantation à Nantes tiennent à la qualité de nos installations techniques, et à la présence de professeurs qualifiés en matière technique.

M. François PERCIER : La formation des inspecteurs à la sécurité des navires se déroule sur dix-huit mois et sur plusieurs cycles. Le premier cycle est celui de la technologie des navires. Il s'agit pour l'élève de découvrir le navire dans toutes ses composantes, par exemple, la résistance des matériaux, la propulsion vapeur, le diesel, les automatismes, etc.

Le deuxième cycle de formation maritime porte essentiellement sur l'utilisation du navire. L'élève apprendra la navigation, le métier de chef de quart-machine, la météo, etc.

Un autre cycle concerne la réglementation de la sécurité des navires. Ce cycle, qui débute en début de deuxième année, est orienté sur les connaissances et l'apprentissage de la réglementation nationale et internationale sur la sécurité des navires. Un cycle important, à cheval sur la première et la deuxième année, concerne la découverte de l'administration des Affaires maritimes, l'administration française, les écrits administratifs, le droit de la mer, etc.

Dans cette nouvelle formation, l'accent a été mis sur la formation en anglais, qui a été réformée par rapport à ce qui se faisait auparavant. Lorsque les élèves rejoignent le centre, ils doivent tous passer un test international permettant d'évaluer leur niveau personnel en anglais, le TOIC (Test of english for international communication). Ensuite chacun des élèves suit une formation individualisée. Les cours d'anglais sont dispensés par un prestataire externe. L'objectif est d'amener nos élèves à un niveau convenable de langue. Parallèlement à cette formation générale en anglais, ils suivent une formation technique maritime, en anglais, donnée principalement en laboratoire de langue, correspondant à la reprise partielle de leurs cours techniques donnés en français. Toutefois, les cours concernant les fonctions d'inspecteur de la sécurité des navires ne sont pas donnés en anglais. En revanche, dans la partie de l'enseignement CMS (*) pour les OCTAAM, une petite partie du cours se fait en anglais. Ce sont les différents cycles que doivent suivre les élèves.

S'agissant des enseignements, les élèves inspecteurs n'ont aucun cursus commun avec les officiers de la marine marchande. Pour le moment, ce n'est pas envisagé, car il s'agit de métiers très différents.

M. le Président : Ce qui peut être utile aux élèves, c'est l'aptitude à la mer, la connaissance du navire dans sa fonction primaire, c'est-à-dire le transport maritime.

M. François PERCIER : Les élèves en formation pour la marine marchande et ceux en formation inspection et sécurité des navires ont les mêmes enseignants, lesquels sont en charge de la formation maritime et de la formation technique. La découverte même du milieu maritime pour ces élèves et ces stagiaires inspecteurs se fait au travers des stages, puisque la scolarité se partage entre 50% de cours et 50% de stages (trente-deux semaines de Travaux pratiques/Travaux dirigés et trente et une semaines de stage).

Ce sont des stages embarqués. Les élèves embarquent huit semaines sur un navire de commerce, quinze jours sur un bateau de pêche, une semaine sur un navire de plaisance. Ces stages leur permettent de découvrir le navire, ainsi que le milieu des gens de mer. Ils suivent également un stage d'une semaine à quinze jours sur la sécurité des navires, notamment au Bureau VERITAS, société de classification que vous connaissez.

Au fil de cette formation de dix-huit mois, les élèves acquièrent non seulement des connaissances données par les enseignants, mais également des connaissances qu'ils vont tirer eux-mêmes du milieu maritime par les stages, embarqués ou sur des chantiers à terre.

En résumé, les inspecteurs stagiaires n'ont aucune partie de cursus commun avec les auxiliaires de la marine marchande. Quant aux experts vacataires, ils ne suivent aucune formation.

M. Didier BAUDOIN : Nous pourrions certes les former, mais il n'y a aucune formation prévue.

M. le Président : Ils n'en ont pas nécessairement envie. Les experts vacataires font cela pour rendre service et atteindre le taux de contrôle de 25%. Ensuite, ils retournent à leur canot de pêche et leur retraite.

M. Didier BAUDOIN : C'est une population que l'on ne connaît pas bien, en tant qu'organisme de formation.

M. François PERCIER : Ils n'ont forcément une connaissance approfondie de la réglementation, car ce sont des officiers de la Marine marchande.

M. le Président : Mais ont-ils une check-list à respecter ?

M. Didier BAUDOIN : Il revient à chaque chef de centre de la sécurité des navires de définir une telle liste. Nous n'en savons rien.

M. François PERCIER : Ils sont là en tant qu'aides. C'est donc le chef de centre qui va définir leurs tâches.

M. le Président : Les chefs de centre ont-ils des check-lists à leur proposer ?

M. Didier BAUDOIN : Certes, cela existe dans certains centres, mais l'organisation revient à chaque chef de centre.

M. le Président : Je pensais qu'il existait des relations directes avec vous, ou tout au moins un cadre défini en ce sens en commun.

M. Didier BAUDOIN : Non. Lors d'une réunion de directeurs à Paris, j'avais posé la question de savoir s'il fallait prévoir une formation pour ces personnes. La réponse qui m'avait été faite était négative.

M. François PERCIER : S'agissant de la composition du corps enseignant, les professeurs d'enseignement maritime de l'école nationale de la Marine marchande donnent, par convention, des cours aux élèves et stagiaires de l'UFSM. Ensuite, vous avez des administrateurs des Affaires maritimes, des officiers du corps technique des Affaires maritimes, et des inspecteurs de la sécurité maritime. Ainsi, vous avez des inspecteurs en activité, qui interviennent dans la formation des élèves, et qui sont affectés à l'UFSM pour un certain temps. D'autres interviennent ponctuellement dans le cadre de conférences.

Dans leur formation, les élèves inspecteurs ont également l'occasion de travailler en collaboration avec les inspecteurs des sociétés de classification puisqu'ils font tous un stage d'une semaine à quinze jours dans une de ces sociétés, qui n'est d'ailleurs pas nécessairement toujours la même. Actuellement, nous travaillons avec le Bureau VERITAS.

En revanche, il n'y a aucune intervention des inspecteurs étrangers, ressortissants de pays signataires du Mémorandum de Paris, dans le cadre de la formation.

Parmi les outils de simulation dont dispose l'école, l'un d'entre deux n'a pas été mentionné. Il n'est pas utilisé dans le cadre de la formation des inspecteurs de la sécurité des navires, mais dans celui de la formation des officiers du corps technique ensuite affectés aux CROSS. Il s'agit d'un simulateur de CROSS, qui leur permet d'apprendre leur métier de chef de quart CROSS.

Les élèves ont accès aux différentes banques de données documentaires sur l'état de la flotte marchande. Ils se familiarisent ainsi avec ces systèmes lors de différents travaux pratiques organisés ici.

M. Didier BAUDOIN : S'agissant de l'insertion professionnelle des jeunes inspecteurs et de la façon dont se déroule leur première affectation comme inspecteur stagiaire, elle dépend du corps dont celui-ci est issu : le corps d'inspecteurs des Affaires maritimes ou le corps d'officiers du corps technique.

Les inspecteurs des Affaires maritimes sont affectés, au bout d'un an de formation, dans les centres de sécurité des navires. Au point de vue de la gestion, ils dépendent d'un centre de sécurité des navires. A partir de là, ils viennent en formation théorique et pratique à l'école nationale de la marine marchande à Nantes, mais dès la fin de leur formation théorique et pratique, ils retournent dans leur centre. Au bout de six mois, ils seront effectivement en service.

En ce qui concerne les officiers du corps technique, qui ont deux directions prédestinées -les centres de sécurité des navires ou les CROSS-, ils sont affectés à la fin de leur formation complète CROSS, ce qui permet de savoir s'ils sont mieux disposés pour travailler dans un CROSS ou dans un centre de sécurité des navires car, même si ces métiers sont tous deux orientés vers la sécurité des navires, ils demeurent très différents. En effet, les CROSS sont chargés du sauvetage en mer, mais également de la surveillance du trafic, de la lutte antipollution, etc.

M. le Président : Y a-t-il une formation particulière pour chacun de ces types d'activités ?

M. Didier BAUDOIN : Tout à fait. Les officiers du corps technique, quand ils sont intégrés dans un CROSS, ne sont pas aussitôt lâchés en tant coordonnateur de mission de sauvetage. Auparavant, ils ont deux à trois mois d'essai au terme desquels ils sont reconnus capables ou non coordonnateur de missions de sauvetage.

M. le Président : Y a-t-il des relations avec les autres pays européens, voire les pays d'Extrême-Orient ou les Etats-Unis, pour établir une ligne commune à suivre dans le cadre des inspections ?

M. Didier BAUDOIN : En tant qu'organisme de formation, nous avons très peu de relations de ce type. C'est la direction des Affaires maritimes et des gens de mer qui fait cela, à Paris. Au point de vue de la formation, nous avons commencé à avoir des relations avec le Royaume-Uni, mais surtout en ce qui concerne la coordination de missions de sauvetage.

M. le Président : Cela parait logique qu'il y ait un jour une coordination pour l'ensemble des formations des inspecteurs, quel que soit le port considéré dans le monde.

M. Didier BAUDOIN : Certes, mais encore faudrait-il déjà savoir quelles sont les administrations en charge de cela, car elles sont très différentes d'un pays à l'autre. Il en va de même pour les organismes de formation.

M. le Président : Actuellement, y a-t-il une continuité entre les différents pays quant aux formations elles-mêmes ?

M. Didier BAUDOIN : Non. De plus, les administrations sont très différentes.

M. le Président : J'entends bien, mais le principe de la vérification de l'inspection des navires devrait être le même partout, car on peut très bien imaginer que certains navires auraient plus intérêt à être inspecté dans tel port ou tel pays plutôt que dans tels autres. C'est la même chose avec les sociétés de classification.

M. François PERCIER : Il existe quand même un suivi de l'inspection des navires au niveau européen.

M. le Rapporteur : N'est-ce pas le rôle de la nouvelle Agence européenne de sécurité maritime ?

M. le Président : Nous commençons à appréhender l'énormité du travail qui reste encore à accomplir. Les inspecteurs qui existaient antérieurement avaient-ils une formation comparable à celle que vous venez de décrire ? Comment la formation se passait-elle avant l'ouverture de la formation unique à Nantes ?

M. Didier BAUDOIN : Il faut remonter à plusieurs années avant Nantes. Quand je suis rentré aux Affaires maritimes, il y avait ce qu'on appelait des techniciens experts dans la sécurité de la navigation maritime. C'étaient d'anciens navigants, qui étaient sous contrat de trois ans renouvelables. Nous disposions toute de suite de l'expertise du navigant. Il suffisait de leur faire suivre une formation administrative et sur la réglementation. Cette formation se déroulait au sein de l'école de Bordeaux.

Puis, en 1993, date de la création du corps des inspecteurs civils, ces derniers ont été recrutés sur concours. Il n'y avait pas d'universitaires. C'était toujours d'anciens navigants de la Marine marchande. Mais ils étaient recrutés en tant que fonctionnaires et non plus en tant que contractuels. Ils suivaient eux aussi leur formation à Bordeaux.

Ensuite, il s'est avéré que ce concours n'attirait plus aucun postulant, notamment pour des raisons pécuniaires. C'est alors que l'on a imaginé un recrutement chez les universitaires, avec une formation de A à Z, car il fallait tout leur apprendre au niveau pratique. C'est la raison pour laquelle nous disposons maintenant de ce nouveau dispositif. Il a fallu prévoir quelques années pour déterminer un référentiel complet de compétences qui a commencé à être appliqué en 1999.

Avant l'installation à Nantes, il y avait un recrutement sur concours avec option technique ou option administrative, à la suite duquel il y avait une formation d'un an à Bordeaux. La catastrophe de l'Erika a entraîné la mise en place d'une formation plus complète, notamment pour les universitaires.

M. le Président : selon vous, quelle est la meilleure formation : la mer d'abord ou l'université ?

M. Didier BAUDOIN : Il est certain qu'un officier de la marine marchande rentre plus facilement dans le métier.

M. François PERCIER : Pour moi, qui étais capitaine au long cours, la grande différence est l'expérience acquise. Ce n'est pas un combat perdu, car nos jeunes inspecteurs acquerront de l'expérience. Mais il est certain qu'il est plus facile de donner immédiatement des responsabilités fortes d'inspection de navires à un officier de la marine marchande, certes fraîchement recruté, mais qui a navigué pendant dix ans avant.

M. le Président : Les meilleurs mécaniciens ne sont pas toujours les pilotes de course !

M. François PERCIER : C'est le problème du recrutement. N'ayant plus de candidats officiers de la Marine marchande, il a fallu trouver une autre voie de recrutement.

M. le Président : Ces officiers venaient-ils du pont ou de la machine ?

M. François PERCIER : C'étaient des officiers polyvalents, ce qui simplifie beaucoup pour faire des inspections qui vont de la passerelle aux machines. Pour une deuxième carrière, cette formation polyvalente des officiers de la marine marchande constituait un plus.

M. le Président : Nous passons à un autre sujet. Que pensez-vous des inspections sur les navires à double coque ?

M. François PERCIER : Elles seront certainement très difficiles à faire. Même aujourd'hui, sur un navire à simple coque, il n'est pas aisé de visiter les citernes ou les ballasts. En passant à la coque double, on accroît l'importance et la difficulté de la visite de sécurité, sans compter les espaces qui peuvent être vides et sujets à corrosion. L'avantage du double coque se voit principalement lors d'un échouage. Mais il est certain que les visites sont très dangereuses à faire et que cela va compliquer le travail des inspecteurs.

M. le Président : Vous considérez donc que les inspections en elles-mêmes seront très difficiles à faire, du fait que l'espace est contraint ?

M. François PERCIER : Il est tellement facile d'avoir des citernes inaccessibles parce qu'elles sont pleines, ou pour toute autre raison... A moins d'y envoyer des hommes grenouilles !

M. le Rapporteur : Par rapport à nos ports français, quel serait le nombre idéal d'inspecteurs pour mener les inspections, au-delà du seuil minimum imposé aujourd'hui de 25%, que nous avons atteint ?

M. Didier BAUDOIN : Je ne peux pas vous donner de réponse directe. Nous mettons actuellement « sur le marché » un certain nombre d'inspecteurs issus de différents corps. En effet, au-delà des inspecteurs des Affaires maritimes, il y a également les administrateurs des Affaires maritimes qui participent à ce métier.

Pour les jeunes qui arrivent, il n'y a physiquement plus de place car cette arrivée massive n'avait pas été prévue. Toutefois, dans deux ou trois ans, nous parviendrons à un bon niveau en nombre d'inspecteurs, car il n'y a pas seulement l'inspection de l'Etat du port, il faut faire également toutes les inspections de sécurité concernant les navires français. Dans ce domaine, il y a beaucoup de travail à faire.

Il y a quelques années, a été volontairement réduit, par manque d'inspecteurs, le nombre des visites de certains navires de petite pêche ou de culture marine. Pourtant, c'est la sécurité au quotidien qui est en jeu pour les gens de la mer. L'arrivée sur le marché de nouveaux inspecteurs permettra de rétablir un niveau correct d'inspections tant pour le mémorandum de Paris que pour les autres inspections, dites nationales, qui sont importantes pour la sécurité et la prévention des risques professionnels maritimes. Je vous rappelle le titre exact du métier : inspecteur de sécurité des navires et prévention des risques professionnels maritimes.

En ce qui concerne le nombre idéal, je ne le connais pas. Cela dépend des ports. Pour ma part, il me semble que certains centres de sécurité auront trop d'inspecteurs, mais cela n'engage que moi. On installe des antennes un peu partout. Dans les prochaines affectations, j'en vois une à Paimpol dont je ne saisis pas l'utilité. Mais ce n'est pas un problème essentiel. Ce qui compte, c'est que les centres de sécurité seront bien pourvus, d'ici deux ou trois ans.

Il convient aussi de savoir que le métier d'inspecteur amène à faire des déplacements à l'étranger. En effet, il revient aux inspecteurs français de suivre la construction de navires commandés par des armateurs français à des chantiers étrangers. En la matière, on pourrait faire des économies de déplacement des inspecteurs des navires en demandant aux armements de recentrer leur demande d'inspection des navires plutôt vers l'Europe que vers l'Extrême-Orient ou le Chili, car les inspecteurs sont demandés par les armements pour procéder à des visites annuelles sur des navires en construction à l'autre bout du monde.

M. le Président : Pouvez-vous préciser le suivi opéré pendant la construction des navires, y compris des navires français construits à l'étranger ?

M. Didier BAUDOIN : L'armement dépose les plans pour un cargo ou un pétrolier à Paris, lesquels sont examinés par une commission centrale de la sécurité composée notamment de fonctionnaires, des représentants des armateurs. Cette commission est paritaire. Après approbation des plans, l'armement fait construire son navire dans le chantier naval de son choix. Les inspecteurs de la sécurité des navires sont alors amenés à faire plusieurs voyages sur ce chantier naval pour suivre les différentes étapes de construction et s'assurer de la conformité de la construction aux plans et à l'approbation des plans.

Au moment du lancement du navire, une commission se rend à l'endroit où le navire a été construit pour procéder à une visite de mise en service. Cette commission est relativement étoffée, car il lui faut contrôler l'ensemble du navire. Elle comprend même un médecin des gens de mer qui se déplace également pour contrôler si les conditions de logement de l'équipage sont respectées. Tel est le processus d'intervention de l'administration, préalable à celle des sociétés de classification.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué les contrôles des personnes. Nos amis pêcheurs ont l'impression d'être souvent contrôlés, notamment par les Affaires maritimes, avec deux problèmes majeurs aujourd'hui. En premier lieu, celui de l'amélioration de la sécurité à bord. A cet égard, ce sont des bateaux neufs qui sont nécessaires, mais ce n'était pas possible jusqu'au mois de décembre dernier. Le deuxième problème est que les techniques de pêche ont évolué.

Les pêcheurs nous font aussi fait remarquer qu'ils peuvent être surveillés par radar alors que les navires de marine marchande ne subissent pas les mêmes contraintes de surveillance en termes de sécurité des structures ou de dégazage et déballastage. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier BAUDOIN : La surveillance est différente. C'est la Commission européenne qui exige que l'on suive la pratique de la pêche de bout en bout. Il ne s'agit pas d'une question de sécurité, mais de production.

M. le Rapporteur : Toutefois, les moyens de contrôle, mis en place pour la pêche, pourraient l'être aussi pour d'autres activités ?

M. François PERCIER : Cela pourra se mettre en place quand les navires de commerce auront des signatures radar fiables.

M. Didier BAUDOIN : Pour en revenir à la sécurité de la pêche, il faut y veiller. Elle a été un peu délaissée du fait du non-renouvellement de la flottille de pêche.

M. le Rapporteur : Il y a aussi la flambée du prix des navires d'occasion qui oblige à pousser les rendements au maximum pour rentabiliser les bateaux.

M. Didier BAUDOIN : Certes, il y a des efforts faits en matière de sécurité, mais, par manque d'inspecteurs, il a fallu ralentir parfois certaines visites, notamment en culture marine où, pourtant, en réalité, les exploitants naviguent beaucoup.

M. le Rapporteur : Nous avons vu, dans certains ports, qu'il y a, d'une part, l'état de la structure du bateau, d'autre part, «l'état» et la formation des équipages. Dans certains ports, se mettent en place des binômes ou des trinômes composés d'inspecteurs chargés de contrôler la structure du navire et d'un inspecteur du droit du travail maritime. Comment voyez-vous cela se mettre en place ?

M. François PERCIER : Il ne faut pas oublier que les inspecteurs des Affaires maritimes ont aussi une mission liée à l'inspection du droit du travail. C'est vrai pour les navires français, mais surtout étrangers. Nous avons peu d'inspecteurs du travail maritime, car c'est une nouvelle fonction qui se met en place. Toutefois, il me semble que c'est dans la formation des Affaires maritimes qu'il conviendrait de faire des efforts pour renforcer leur formation sur le droit du travail maritime et les conditions sociales des marins. Peut-être la réforme actuelle n'a-t-elle pas été suffisamment loin. Dans cette réforme très technique, on a quelque peu oublié le volet social qui fait partie du métier.

Dans certaines conventions telles la convention STCW sur les normes de formation des gens de mer et de veille, la formation internationale comporte une partie que l'on appelle la veille, avec des critères de durée de travail des marins, d'affichage d'heure de quart, etc. Ce sont des normes réglementaires au niveau international, mais en réalité, tout ce domaine échappe un peu aujourd'hui à l'inspection, dans le cadre du travail de l'inspecteur des Affaires maritimes.

M. le Président : Combien d'heures de cours les inspecteurs techniques reçoivent-ils en formation dans le domaine du droit du travail ?

M. François PERCIER : Dans le cursus total, ils ont une trentaine d'heures. Mais c'est un élément que nous devons renforcer.

M. le Rapporteur : Sur les incidents de navigation, ont été évoquées, notamment dans le secteur du Nord-Pas-de-Calais, d'une part, l'augmentation du trafic, d'autre part, la technologie trop avancée au regard d'insuffisante formation des équipages. D'un côté, c'est trop sophistiqué, notamment pour les veilles, d'un autre, on a des équipages mal formés.

M. François PERCIER : Je vais vous donner un point de vue personnel. La formation des équipages a évolué dernièrement, notamment en raison de la mise en place d'évolution des normes internationales des gens de mer. Ces normes ne sont pas applicables à la pêche. De ce fait, la formation des marins embarqués à la pêche n'a pas encore évolué. Un certain nombre d'incidents sont peut-être dus à la faiblesse de leur formation. Ils n'intègrent pas tout à fait l'environnement technologique qui leur donne, à mon sens, une impression de fausse sécurité.

M. le Rapporteur : On peut évoquer l'épave du Tricolor qui a été heurtée à de multiples reprises par des navires de commerce.

M. François PERCIER : Entre 1995 et 2002, il y a eu une réforme internationale de toutes les formations maritimes du commerce. Ce fut l'occasion d'une refonte complète du système de formation, qui a constitué une opération gigantesque car elle a touché tous les pays maritimes. Au départ, la même réforme, baptisée SCWF, était envisagée pour la pêche, mais elle n'a pas été ratifiée. Par conséquent, il n'y a pas eu de mise en place de cette réforme mondiale des formations à la pêche, qui continuent de se faire dans un cadre strictement national.

M. le Rapporteur : Nous faisons souvent le parallèle entre l'aviation civile et la navigation marchande. L'aviation civile, tant sur le contrôle des appareils que sur la formation des équipages, opère dans un cadre beaucoup plus strict, en termes de contrôles et de formation.

M. François PERCIER : Avec cette convention internationale, nous convergeons en principe vers le même système, avec une remise à plat de tous les systèmes de formation à partir de 1995, où il y a eu des normes de formation internationales et où chaque pays maritime, doté d'un système de formation, a déposé à Londres, auprès de l'OMI, la réforme de son système. Ce sont des normes minimales.

M. le Président : Combien d'élèves avez-vous actuellement ?

M. François PERCIER : Pour la formation d'inspecteurs, nous avons vingt-cinq élèves en première année.

M. le Président : Quelle est votre capacité maximale ?

M. Jean-Claude DENAYER : Elle est sans limites, si nous avons une dotation suffisante en personnels. Les seules limites pourraient venir de problèmes de rotation sur des équipements très spécialisés comme les simulateurs, où les élèves ne peuvent travailler efficacement que par « bordée » de huit. La durée des séances est de trois heures en moyenne. C'est ce type de limites que nous pourrions rencontrer.

M. le Président : A quel moment est prévue la sortie des promotions de la « nouvelle formule » ?

M. Didier BAUDOIN : La première promotion « nouvelle formule » est sortie en avril.

M. le Président : Les candidats reçus ont-ils tous trouvé des affectations ?

M. Didier BAUDOIN : Il y a tellement de places que cela ne pose pas de problèmes réels. Les élèves se voient proposer une liste d'affectations, choisissent et s'arrangent entre eux à l'amiable. Comme ils sont fonctionnaires, ils sont déjà recrutés, et il n'y a plus qu'à procéder à leur affectation pour leur entrée en fonction.

M. le Président : Quelle que soit leur origine, le fait de rentrer dans l'école en fait des fonctionnaires ?

M. Didier BAUDOIN : Ils sont stagiaires pendant un an. Dans la fonction publique, quand vous réussissez un concours, vous avez un an de stage. Pendant cette année-là, on forme les gens mais on peut détecter aussi de grandes faiblesses, auquel cas les intéressés peuvent être remerciés au bout d'un an.

Audition conjointe de
M. Roger BOSC, Inspecteur général des Affaires maritimes,
de M. André GRAILLOT, Inspecteur général de l'Equipement
et de M. Pierre ROUSSEL, Secrétaire général de l'Inspection générale de l'Environnement


(extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

MM. Bosc, Graillot et Roussel et sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Bosc, Graillot et Roussel prêtent serment.

M. le Président : M. Bosc, inspecteur général des Affaires Maritimes, M. Graillot, inspecteur général de l'Equipement, et M. Roussel, secrétaire général de l'Inspection générale de l'Environnement, ont été chargés d'une mission interministérielle sur la question difficile de la détermination des lieux de refuge en France. Cette mission devrait prochainement toucher à son but et nos témoins devraient donc être en mesure de nous éclairer sur ce sujet constituant l'une des pierres angulaires de la politique de prévention et de lutte contre la pollution en mer et à terre. Nous sommes particulièrement désireux de savoir si le calendrier adopté au sein de l'union européenne, avec une mise en œuvre anticipée en juillet 2003 -donc dans quelques jours seulement- pourra être tenu par la France.

M. André GRAILLOT : La France doit transposer dans son droit national la directive européenne 2002/59. Celle-ci prévoit les dispositions suivantes : « Après avoir consulté les parties concernées en tenant compte des directives pertinentes de l'OMI, les Etats-membres établissent des plans en vue d'accueillir les navires en détresse dans les eaux relevant de leur juridiction. Ces plans comportent les dispositions et les procédures nécessaires, tenant compte des contraintes opérationnelles et environnementales, afin de garantir que les navires en détresse puissent se rendre immédiatement dans un lieu de refuge, sous réserve de l'autorisation de l'autorité compétente.

Lorsque les Etats-membres le jugent nécessaire et faisable, les plans comportent des arrangements pour la fourniture de moyens et d'installations adéquats pour l'assistance de sauvetage et la lutte contre la pollution.

Les plans pour l'accueil des navires en détresse sont rendus disponibles sur demande. Les Etats-membres informent la Commission au plus tard le 5 février 2004 des mesures prises en application du premier alinéa. »

Cette directive a été rendue plus pressante par un Conseil des ministres européens des transports du 6 décembre dernier, qui a imposé que la date de remise de ces plans soit fixée au 1er juillet de cette année. C'est ce pour quoi nous avons été nommés.

J'ajoute un point important, qui est l'article 26 alinéa 3 : « La Commission examine la nécessité et la faisabilité de mesures, au niveau communautaire, visant à faciliter le recouvrement ou le remboursement des frais et dommages encourus lors de l'accueil de navires en détresse, y compris les exigences appropriées en matière d'assurance et autres mesures de sécurité financière ».

Ce qui nous est demandé, ce n'est pas une liste de ports, mais des plans nationaux pour accueillir des navires, qualifiés de « en détresse », et que nous, nous avons qualifiés de « en difficulté ». Je m'explique : nous avons considéré que, dans la langue française, on dit qu'un navire est en détresse lorsque la vie humaine est en danger et, lorsque la vie humaine est en danger, cela passe avant tout, avant les aspects financiers, ou les aspects de pollutions. C'est un traitement spécial, ce sont des moyens spéciaux. Qui plus est, il existe des règlements, des conventions, sur la protection de la vie humaine en mer que la France applique, tout comme ses voisins d'ailleurs.

Ici, nous parlons de navires en difficulté, c'est-à-dire de navires qui se trouvent dans une situation dont on a toute raison de croire, qu'il s'agisse de son armateur ou des autorités françaises, qu'elle peut déboucher sur un accident de pollution, voire un accident plus grave, mais sans risque de pertes humaines.

Nous sommes allés au-delà de l'étude qui nous était demandée en incluant non seulement les problèmes de pollution, mais aussi le cas de tous les navires transportant des produits dangereux, c'est-à-dire des matières dangereuses proprement dites, des explosifs, des ammonitrates, ou le contenu des soutes. Il faut rappeler qu'un porte-conteneurs qui va en Extrême-Orient, à près de 10 000 tonnes de soutes de fioul lourd, donc un produit potentiellement très polluant. Il existe par ailleurs toutes sortes de produits toxiques que nous avons voulu traiter en même temps. Certains de ces produits toxiques, s'ils sont répandus à proximité des rivages, peuvent engendrer des dégâts importants et tenaces.

Notre travail a consisté à aider à la conception des plans pour traiter ce type de cas de figure. Concevoir des plans, cela suppose, au départ, s'inscrire dans le cadre légal en France. Nous ne partons pas de zéro : nous avons des préfectures maritimes, des pouvoirs établis. Il s'agit de se demander aujourd'hui quel est l'état de la situation en France et, du point de vue de la hiérarchie du commandement, d'analyser ce qu'il est souhaitable de prévoir par rapport au cadre existant.

Deuxièmement, avant de passer au plan lui-même, il convenait de s'intéresser aux aspects juridiques et financiers internationaux, car, si le problème financier ne donne pas l'impression d'être présent, pourtant il l'est indubitablement. Vous l'avez découvert avec l'affaire du Prestige, il est présent pour tous, il y a des décisions et des impacts financiers et, en général, ce sont les pays victimes qui paient lourdement.

Pour les autorités qui ont à prendre des décisions, il faut savoir quel budget va payer, comment cela sera éventuellement compensé. Le type de décisions dont nous parlons a nécessairement des incidences économiques et financières. Si on ne traite pas préalablement cette dimension financière, il ne sert à rien de réfléchir aux plans eux-mêmes. Nous avons donc fait des propositions pour traiter les aspects financiers

M. Pierre ROUSSEL : Pour les plans, nous sommes partis de différentes idées. En premier lieu, si un navire est en difficulté, quelle qu'en soit la cause, il faut pouvoir rapidement -c'est une question à traiter en temps réel-, évaluer la situation, déterminer la solution la moins mauvaise possible, -je le dis volontairement sous cette forme plutôt que de dire " la meilleure " car il n'y en a pas forcément de bonne, il en existe même rarement-, et la mettre en œuvre.

Evaluer la situation signifie que ce sont les « autorités maritimes » qui doivent apprécier les circonstances. Le nom « d'autorité maritime » recouvre l'autorité investie de l'autorité de l'Etat en mer, c'est-à-dire les préfets maritimes en métropole et le délégué du Gouvernement investi de l'autorité de l'Etat en mer outre-mer, - qui n'est pas un préfet maritime -, et éventuellement, ensuite, le préfet terrestre qui a son rôle à jouer dès lors que le bateau a rejoint la terre. Dans cette perspective, quels moyens faut-il donner, et de quels moyens dispose déjà cette autorité maritime pour apprécier la situation ? De quelles expertises supplémentaires doit-elle pouvoir disposer ou mobiliser instantanément ?

Ensuite, le fait de prendre cette décision suppose -et c'est une composante importante du plan- d'avoir préétabli une typologie des lieux de refuge possibles, une caractérisation de ces différents lieux, qui ne sont pas nécessairement des ports, mais qui peuvent être des rades abritées ou tout autre lieu, sachant que le fait d'amener le navire à terre n'est pas forcément la moins mauvaise solution.

En particulier, si le navire présente des dangers graves d'explosion ou de risque pour la vie humaine, il vaut peut-être mieux l'emmener au large et décider de le couler afin de diminuer les risques que l'on ferait courir à la population. De même, le remorquage d'un navire qui se passe mal et qui reste coincé à l'entrée d'un port est capable de bloquer l'activité économique du port et de toutes les entreprises qui en dépendent, et cela pendant un nombre de mois non négligeables. Cela ne fera peut-être pas de victimes mais pourra avoir un coût économique colossal.

Il convient d'apprécier la situation initiale, il conviendra de l'apprécier tout au long de son évolution, et ensuite, il faudra choisir la solution. Actuellement, instruction à été donnée aux préfets maritimes de préparer cette typologie des lieux de refuge possibles, port ou non, de façon à ce qu'ils aient toujours à leur disposition tel ou tel lieu capable d'accueillir tel ou tel type de navire.

Si la décision finale de recourir à un lieu de refuge est prise, il faudra revenir, premièrement, sur le processus de décision et, deuxièmement, sur la discussion entre les autorités maritimes et les autorités portuaires afin de savoir comment leur permettre de construire ensemble cette solution.

A partir du moment où la décision est prise, il faut amener le bateau au lieu de refuge avec, dans ce cas, une définition claire des pouvoirs juridiques de l'autorité qui a pris cette décision.

Après mûre réflexion, nous avons proposé que cette décision, compte tenu de son caractère politique global et de l'énormité des enjeux qui en découlent, qui peuvent se compter en milliards d'euros, relève d'une autorité politique et il semblerait que le gouvernement s'oriente vers le choix du ministre chargé des ports.

En effet, nous avons aujourd'hui une difficulté juridique : le préfet maritime n'a pas le pouvoir de requérir actuellement un port autonome car le directeur du port -je parle sous le contrôle d'André Graillot qui est plus expert que moi en la matière- peut s'opposer à l'entrée d'un navire dans son port, dès lors qu'il menace la sécurité du dit port.

M. le Président : N'avez-vous pas réfléchi à une solution comme le SOSREP britannique ?

M. Pierre ROUSSEL : Si, nous sommes allés voir comment les choses se passent au Royaume-Uni. Nous avons proposé qu'une autorité soit amenée à décider et que le préfet maritime et les autorités de terrain exécutent. Sachant qu'elles sont déjà raisonnablement bien armées, c'est-à-dire que les préfets maritimes ont déjà beaucoup de pouvoirs. En dehors de ce cas particulier du port autonome, les préfets maritimes peuvent requérir.

Le troisième volet porte sur le problème des dégâts et des indemnisations avec deux cas : le cas du pétrole avec le FIPOL et les autres, qui sont susceptibles de coûter pratiquement aussi cher, mais qui tombent sous le coup de conventions plus générales avec des limitations de responsabilité à des seuils dérisoires en regard des enjeux.

Le quatrième sujet à aborder concerne les aspects internationaux. Il est vrai qu'il peut apparaître comme une solution extrêmement simple, lorsqu'un bateau est en difficulté non loin d'une frontière, d'exporter le problème dans le pays voisin. Comme le pays voisin sera tenté de faire la même chose dans l'autre sens, il est indispensable que les autorités disposent des moyens de savoir quels sont les plans respectifs, au sens où l'on vient de l'exposer, par exemple, pour ce qui nous concerne, de l'Espagne, de la Belgique, de l'Italie ou de la Grande Bretagne. De même, il faudrait que les autorités espagnoles, belges, italiennes et britanniques disposent de nos propres plans.

Voilà, très schématiquement, ce que l'on peut dire après les analyses juridiques et financières qu'André Graillot vous a présentées. Notre rapport peut se résumer en quelques thèmes : comment caractériser les ports ? Comment désigner l'autorité compétente? Ce rapport a déjà été traduit par un projet de loi qui n'a pas été déposé, mais qui a été rédigé par les services du ministère de l'Equipement, indiquant notamment que c'est le ministre chargé des ports qui aura autorité pour prendre la décision.

Le rapport contiendra également des propositions relatives au fonds d'indemnisation, éventuellement européen, au titre de l'article 26 dont la lecture vous a été donnée. Il existe enfin d'autres sujets, notamment concernant la capacité à mobiliser des experts.

M. Roger BOSC : Je pourrais faire l'état des lieux parce que nous ne partons pas de zéro en France. Nous avons un cadre international qui ne prévoit -sans entrer dans le détail des dispositions internationales en vigueur- pas de mécanismes obligeant un port à accueillir un navire en difficulté. Internationalement, cela n'est pas prévu.

Même si existent des conventions très anciennes qui traduisent la vocation des ports à accueillir des navires, on ne va pas jusqu'à un mécanisme autoritaire imposant l'accueil d'un navire en difficulté dans un port.

C'est un point de départ essentiel que l'OMI se préoccupe actuellement de traiter, mais ses travaux s'orientent vers une simple méthodologie plutôt que vers une obligation d'accueil. C'est cette idée de méthodologie qui a été reprise par la directive communautaire évoquée tout à l'heure par M. Graillot.

Néanmoins, lorsque j'évoquais la vocation des ports à accueillir des navires en difficulté, on peut aujourd'hui probablement la traduire par une non-obligation juridique, mais il y a de plus en plus un engagement moral et les commentaires que la Commission a faits de la directive mentionnée précédemment, la 2002-59, tendent à induire un tel engagement moral des ports à d'accueillir les navires en difficulté au titre de la solidarité.

Je voudrais vous décrire quels sont les mécanismes existants que notre rapport va tendre à améliorer et à compléter. Le premier mécanisme est celui de l'obligation internationale de signalement d'événements qui se produisent en mer et qui sont susceptibles d'entraîner des pollutions. C'est le point de départ : s'il n'y a pas cette obligation, on ne sera pas informé de ce qui va se passer en dehors de notre portée de vue ou de notre portée radar.

Au plan national, nous avons une organisation qui découle de l'Amoco Cadiz en 1978. Cela paraît ancien mais le dispositif fonctionne tous les jours. Cette organisation a pour caractéristique essentielle de confier aux préfets maritimes en métropole et aux délégués du gouvernement outre-mer de larges pouvoirs d'appréciation et d'intervention, avec la limite sur laquelle nous reviendrons, de l'impossibilité de donner des ordres à un port puisque les pouvoirs du préfet maritime s'arrêtent à la limite administrative des ports. Toutefois, au-delà, le préfet maritime a tout pouvoir pour mettre en demeure un capitaine et un armateur de navires afin de faire cesser un risque de pollution.

C'est clairement écrit dans le code de l'environnement, sous la forme d'une disposition législative à laquelle il n'y a rien à changer avec, à la suite de cette mise en demeure, la menace pour le capitaine et l'armateur mis en cause d'une intervention d'office au frais de l'armateur.

Nous avons une obligation de signalement international, nous disposons surtout de tout un réseau de recueils d'informations : signalements volontaires émis par les navires eux-mêmes ; détection de situations anormales par divers moyens d'observation radar ou à vue. Ce réseau d'observations est constitué des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS), des sémaphores de la Marine, des divers navires à la mer. Nous avons sur nos côtes métropolitaines un réseau très dense capable de recueillir des informations.

Nous soulignerons néanmoins dans le rapport qu'il convient de peser sur les capitaines et les armateurs afin qu'ils se plient encore mieux aux obligations de signalement. Il est bien qu'il y ait obligation, il est mieux qu'elle soit respectée. Je n'évoquerai que brièvement, à cet égard, le cas de l'Erika.

Ensuite, le préfet maritime a à sa disposition des moyens d'intervention que vous connaissez puisque la Commission d'enquête parlementaire sur l'Erika a longuement détaillé ces moyens d'intervention qui comprennent, parmi d'autres moyens, les remorqueurs d'intervention positionnés à Brest, Cherbourg et Toulon. Ainsi, on a donné aux préfets maritimes la possibilité de mettre en œuvre ses pouvoirs, notamment ce pouvoir de mise en demeure que j'évoquais précédemment.

Le dernier point concernant l'état des lieux que je souhaitais vous décrire a trait à la problématique de l'entrée dans un port d'un navire en difficulté, problématique qui voit se heurter deux types de pouvoir : le pouvoir du préfet maritime et celui de l'autorité portuaire, qui tient du code des ports la capacité d'apprécier si elle peut ou non laisser entrer un navire dans le port, en veillant aux intérêts de sécurité et de sûreté du port, aux contraintes d'accès par les chenaux, de disponibilités des quais, etc..

Nous avons en France un véritable problème puisque nous avons le choc de deux responsabilités qui se heurtent. Ce problème s'est déjà posé depuis plusieurs années et a été résolu au cas par cas, mais il a donné lieu le 2 avril 2002 à une instruction du Premier ministre qui anticipe sur le plan que nous sommes en train de proposer et qui prévoit la façon dont l'autorité maritime d'une part, le préfet et l'autorité portuaire d'autre part, doivent se concerter face à un problème de navire en difficulté, pour dégager ensemble la meilleure solution possible - accueil du navire ou pas accueil du navire.

En cas de non-accord, un arbitrage a été prévu par l'instruction de 2002 du Premier ministre, arbitrage confié au directeur du transport maritime, des ports et du littoral. C'est cette instruction qui est en arrière-plan de nos réflexions, qui a été très utilisée et qui ne sera pas du tout infirmée mais confortée, complétée et précisée sur le problème de l'arbitrage entre les deux pouvoirs que nous avons plus spécialement traitée.

M. Pierre ROUSSEL : Je précise un point : lorsque l'on parle de plan de possibilité de refuge, cela ne signifie pas que l'on va communiquer la liste des ports concernés aux autorités communautaires.

Au demeurant, aucun Etat-membre n'envisage de le faire. Deux réunions d'experts ont été organisées par la Commission européenne depuis le début de l'année. La Commission ne s'attend pas à ce que les Etats communiquent la liste des plans, car ce sont des plans d'action et pas des listes-type.

Nous n'envisageons pas de rendre publique une telle liste parce que nous craignons deux types de réaction, soit le « n'importe où mais pas chez moi » classique pour tout événement susceptible d'être dangereux, polluant, etc., soit la demande inverse : « je suis d'accord si vous me payez tel et tel équipement ».

M. André GRAILLOT : Le SOSREP que nous sommes allés voir -c'est un exemple caractéristique- nous a dit : « Si on m'oblige à faire une liste, je donnerai la liste des 740 ports britanniques que je remettrai à Bruxelles ».

Nous sommes tous placés devant le même défi. D'une part, nous voulons laisser les mains libres au préfet maritime au moment où il va agir et, d'autre part, nous ne voulons pas nous faire supprimer la possibilité de recourir aux trois-quarts des ports par l'effet de la divulgation d'une liste, qui nous conduirait sans doute à devoir faire des enquêtes à l'issue desquelles on nous dira : « Nous sommes d'accord, mais si vous nous payez ».

Dans le plan, les préfets ont la charge de faire un inventaire de tous les critères, de toutes les ressources marines et terrestres, des risques pour les populations, pour la faune, la flore, etc..

Je n'ai pas abordé les propositions de nouvelles procédures. Les propositions sont le cœur de notre travail, et nous avons pris soin de les comparer, avant de conclure, à ce que faisaient nos voisins.

Je vais répondre à une question concernant le SOSREP, comparé à la situation française. Les préfets maritimes ont le même pouvoir que le SOSREP, y compris celui de faire des injonctions et le pouvoir de poursuivre une personne qui n'obéirait pas. Autrement dit, lorsqu'un navire est en difficulté, il faut comprendre que le réflexe n'est pas de l'envoyer immédiatement dans un lieu de refuge, il faut d'abord faire une évaluation et le traiter comme un navire en difficulté.

Il existe un métier pour traiter les navires en difficulté qui s'appelle l'assistance, et il y quatre ou cinq compagnies en Europe qui font cela : les Abeilles en France, SMIT-TAC, Weissmuller et d'autres, qui prennent en charge un navire en difficulté et s'occupent de lui. Quelquefois, ils ne peuvent pas le sauver, mais souvent ils le sauvent.

Pour résumer mon intervention, de façon à permettre de répondre à vos questions, je vais essayer de vous donner les grandes lignes de la procédure que nous préconisons. Il faudra :

- préparer la planification et apprécier la situation. C'est pour cela que nous avons besoin d'être prévenus tôt ;

- choisir une mesure de sauvegarde. Il peut s'agir d'aller en mer ou d'aller vers la terre. Il y a eu des exemples intéressants, notamment celui d'un navire en difficulté, rempli d'essence, qui a tourné un mois en Méditerranée. Il a été de bonne composition, on a pu le vider de son essence, ce qui était un risque considérable. La bonne solution, c'était de l'envoyer en mer et de le laisser brûler en mer. Car on n'amène pas dans un port avec des habitations relativement proches un navire en feu, avec des flammes de 700 mètres. Si vous avez un navire rempli d'ammonitrates, vous ne l'amenez pas à Toulouse ou à Brest, vous l'amenez en mer. La solution n'est pas toujours le port-refuge. Il faut donc analyser les mesures de sauvegarde et maintenir le navire en mer ou le couler. En droit, je crois que nous n'avons pas le droit de couler un navire, mais, en tout cas, on peut le laisser couler.

Il faut regarder les risques que l'on prend en amenant certains navires près du rivage. Dans la majorité des cas, il s'agira de le ramener près du rivage, mais nous ne voulons pas empêcher d'autres solutions, lorsqu'elles sont les meilleures, dans certains cas particuliers.

M. Roger BOSC : Je précise bien que c'est une fois que toutes les personnes ont été sauvées.

M. André GRAILLOT : En effet, je rappelle que nous ne traitons pas les navires en détresse, c'est-à-dire le sauvetage de la vie humaine en mer. Ce type d'opération se fait avec des zodiacs, des hélicoptères, d'autres navires, et constitue la priorité absolue. Notre navire en difficulté peut certes devenir dangereux, et il faudra alors peut-être évacuer les personnes à un certain moment car la situation du navire en difficulté évolue, mais nous allons essayer de le stabiliser. Il convient donc de choisir une mesure de sauvegarde, la terre ou la mer. Si c'est la terre, il faut proposer un lieu de refuge et, pour cela, il faut des sites potentiels.

Quel peut être ce lieu de refuge ? Nous disons tous les ports sont des lieux de refuge mais pas seulement les ports. Certaines rades sont des lieux de refuge naturels, où les navires vont se mettre à l'abri et, à l'entrée des ports, il existe également des zones d'attente, qui constituent aussi des lieux de refuge naturels, où les bateaux peuvent attendre plusieurs jours.

Dans l'inventaire, ces lieux-là seront examinés. Je ne dis pas que tous seront retenus.

M. Pierre ROUSSEL : Les Allemands ont envisagé de créer deux lieux de refuges artificiels simples au débouché de l'Elbe. Pour l'instant, on n'a pas d'idée concrète sur le sujet mais ce type d'idée pourrait aussi être envisagé en France.

M. André GRAILLOT : Cela a fait l'objet d'une question que nous avons posée aux préfets maritimes.

La question suivante sera celle des moyens à fournir. Nous nous sommes placés dans la situation dans laquelle il fallait proposer un lieu de refuge, mais, par hypothèse, cela correspond à une situation évolutive, où les décisions sont prises sans connaître à tout moment toutes les données et toutes les conséquences. En l'occurrence, il faut donc essayer de stabiliser le navire, pour choisir une solution donnée. Mais cette solution, l'autorité peut être amenée à la réévaluer au fur et à mesure du déroulement de l'affaire.

Il faut que la planification permette de répondre à toutes les questions le moment venu, et que l'on ait prévu toutes les questions et tous les paramètres nécessaires, afin de n'avoir ni à imaginer ni à improviser, le jour de la catastrophe.

Donc quels sont les moyens et les installations adéquats ? Nous avons prévu deux actions. En premier lieu, nous avons prévu de renforcer les capacités d'expertise des préfets maritimes, qui peuvent déjà mobiliser les administrations. Nous avons pensé, qu'autour des administrations, il était utile de proposer de renforcer les capacités d'expertise avec des experts des compagnies d'assistance, des experts en assurance, -car c'est très important pour rentrer dans ses fonds. Dans les cas qui nous intéressent, il s'agit de dépenser aux frais du gouvernement français, c'est aujourd'hui le ministère chargé de l'Environnement qui paye aujourd'hui pour les dégâts du Prestige, et il ne sait plus où trouver de l'argent pour faire face.

On peut également imaginer avoir comme experts des pilotes des ports voisins, des commandants de port des ports voisins, des institutionnels comme le CEDRE ou Météo France, ou encore les armements. Les armements nous ont proposé un certain nombre d'experts, notamment des capitaines d'armement. Les armateurs de France nous ont dit qu'ils avaient des personnels à notre disposition, mais ils nous ont fait remarquer que les chantiers navals étaient dans le même cas, et que le Bureau VERITAS pouvait également être associé.

L'idée, en tout cas, vise à constituer un vivier de personnes et d'universitaires connus à l'avance, avec lesquels on a signé des contrats de mobilisation à l'avance, et que l'on peut utiliser dans deux conditions.

Premièrement, pour l'établissement des plans. Pour examiner les avantages et les inconvénients de chaque site, les courants, la faune, la flore, la direction des vents, etc. Il faut se donner des moyens d'expertise en la matière.

Deuxièmement, il faut construire une capacité d'expertise pour avoir des personnes immédiatement à disposition, ou un réseau à disposition facilement, par exemple via internet, le jour où la catastrophe survient. Le préfet maritime ne peut pas avoir 25 personnes autour de lui ce jour-là, il doit décider avec seulement 5 ou 6 personnes et il a besoin de s'entourer. Nous avons obtenu une première décision du conseil interministériel de la mer (CIM) pour que soit affectée au préfet une ligne de crédit lui permettant d'embaucher des experts à l'année, par redéploiement des crédits prévus pour les plans POLMAR.

Pour la mise en œuvre en temps de crise, nous avons donc retenu une logique assez proche de celle du SOSREP.

Cela concerne le préfet maritime mais si les ports ont une autonomie jusqu'à ce que le ministre chargé de la mer dise : « J'impose l'entrée dans un port », il faut aussi que les ports se préparent à accueillir leurs propres navires en difficulté et à les traiter. Ils ont des plans POLMAR -il n'y en a pas en Seine-Maritime... Il faut que les ports soient préparés à accueillir à froid des navires qu'on leur enverrait de l'extérieur, sinon ils auront tendance à le refuser.

Vous avez parlé du SOSREP, c'est la seule différence de pouvoir entre la France et l'Angleterre. Après avoir vu le SOSREP, nous voulions proposer que le secrétaire général de la mer soit le SOSREP, car nous pensions qu'un fonctionnaire présente l'avantage d'être remplacé plus facilement. Mais on nous a indiqué que les traditions administratives ou politiques françaises faisaient que cette fonction d'arbitrage devait être donnée à un homme politique et pas à un haut fonctionnaire. C'est venu du cabinet du ministre, nous nous sommes inclinés : on nous a dit que ce serait le ministre chargé de la mer. Il est en tout cas satisfaisant qu'une décision ait été prise.

Ceci dit, vous ne résolvez pas le problème tenant au fait que le directeur des ports est compétent sur son port à partir des limites des eaux territoriales et, que, dans les eaux territoriales, il a également les zones d'attentes, des chenaux, des bassins intérieurs. Les commandants de port que j'ai rencontrés ces cinq derniers jours m'ont dit : « Si on nous impose de faire rentrer un navire, nous ne prendrons pas le risque d'avoir un Tricolor -le Tricolor qui a été coupé en deux, au large de Zeebrugge depuis 6 mois-, nous ne voulons pas de cela dans notre chenal, jamais !...Nous préférons le laisser au large quitte à supporter 400 kilomètres de pollution ».

Cela ne va pas du tout, cette attitude n'est pas possible.

On ne peut pas obliger un port à jouer à la roulette russe. Naturellement, le port est vraisemblablement la destination finale où le navire sera mis en cale sèche, etc. Certains ports ont des moyens de réparation. Mais nous ne pouvons pas, parce qu'il y a des moyens de réparation, l'obliger à jouer à la roulette russe. Même si l'ordre est donné par le ministre, cela signifie que nous avons la garantie de l'Etat, mais nous savons comment cela se passera. Le ministère des Finances dira : « Je vais vous indemniser, en le prenant sur le budget de la mer ». C'est ainsi que cela se passe. Autrement dit, tous les ports seront mis à contribution.

Donc ce sont des risques colossaux que l'on fait courir, que les ports ne pourront pas assurer, et que le ministère des finances interdira d'assurer. Cela signifie que l'on ne peut faire rentrer dans un port qu'un navire stabilisé et que le rôle du préfet maritime est de le stabiliser ou de le faire rentrer lorsqu'il est assuré que le risque de catastrophe à l'entrée d'un port sera minime. A ce moment, si c'est ainsi et si c'est cela la fonction du préfet, le port n'a pas de raison d'être méfiant.

La difficulté tient à ce que les uns prêtent au préfet maritime l'idée de vouloir envoyer le navire dans le port, qui n'est plus dans son domaine, et le port a peur qu'il lui arrive une catastrophe pour laquelle il se trouvera sans aucun « filet ». Dans notre logique, il y aura un ordre ministériel, on sera couvert juridiquement. Mais je pense qu'il faut aller au-delà, traiter le problème sur le fond et éviter d'aller à l'incident. On ne dispose pas du temps nécessaire, en situation de crise. Ce jour-là, il faut travailler avec des réflexes.

La solution n°1 est une prestation d'assistance, pour parvenir à stabiliser le navire en mer, ou alors on envoie le navire couler au large. Une fois le bateau stabilisé, avec un risque limité et raisonnable de l'ordre d'une chance sur cent, les ports sont des « citoyens » comme les autres, il faut qu'ils prennent ce risque en charge.

M. Pierre ROUSSEL : Je souligne une difficulté, qui provient de ce que cela signifie qu'il faut envoyer une équipe sur le navire pour apprécier son état. Mais il est très difficile de savoir, à bord, quel est l'état de la structure d'un navire qui peut être abîmé très profondément sous la ligne de flottaison alors qu'il est en charge, et que, en conséquence, il n'y a pas moyen d'y aller voir.

Il y a toujours une part d'aléas et il faut apprécier la situation avec les éléments dont on dispose, sachant que le compte-rendu n'est pas forcément extraordinairement fiable, lorsqu'il a été fait.

M. Roger BOSC : Toute l'affaire va se jouer dans l'évaluation, où les sociétés de classification auront un rôle à jouer, et l'expérience montre que nous sommes confrontés à des cas de figure divergents. Au demeurant, j'indiquerai que des navires accueillis dans des ports ou des lieux de refuge, il en arrive presque tous les jours, mais ce sont des affaires qui ont été bien traitées et qui ne retiennent pas l'attention.

Le système que je vous ai décrit fonctionne. Nous désirons préparer le cas de figure caractérisé par une menace anormale, afin de l'évaluer et d'éviter de prendre une mauvaise décision.

M. le Président : Je vous remercie, nous allons maintenant passer au débat.

Vous savez, j'étais brestois, dans mon enfance, et j'ai eu l'exemple, il y a longtemps, d'un navire qui a sauté en plein après-midi pendant les vacances. Cela marque pour une vie entière.

J'ai compris qu'il n'était pas question de faire un catalogue mais de faire un recensement des possibilités d'accueil d'un certain nombre de sites. Ce recensement sera à la disposition de qui ? Dans quelles conditions ? Comment le préfet maritime, qui doit être avec le politique dont vous parliez, le dernier acteur en cas de drame, pourra-t-il avoir accès à ces données ?

Je souhaiterais également vous interroger sur le problème spécifique de la Méditerranée. L'avez-vous étudié en particulier ? La Méditerranée est en effet un entrelacement de différents pays peu éloignés les uns des autres, où les décisions dans une mer aussi fermée seront extrêmement difficiles à prendre. Comment choisir ? Comment l'Europe peut-elle intervenir pour décider, avec les préfets maritimes et les différentes autorités internationales? A mon avis, cela pose un problème de fond.

Enfin, vous parliez du coût des indemnisations. Très justement vous pensez que le ministère des Finances pourrait se retourner vers le budget de la mer, ce qui n'est pas impossible, l'expérience le montre, mais il y a aussi le problème des assurances des navires elles-mêmes. Avez-vous étudié cela ? Comment peut-il y avoir conjonction, incluant le budget de l'état, le budget de l'Europe et les assurances des bateaux ?

M. Pierre ROUSSEL : Pour la première question, les préfets maritimes auront forcément accès à la caractérisation puisque c'est eux qui la feront.

M. le Président : Elle n'est pas faite pour l'instant ?

M. Pierre ROUSSEL : Elle est en cours.

M. André GRAILLOT : Notre plan donne le cadre de ce qu'ils doivent faire.

M. Pierre ROUSSEL : Elle est en cours et ce sont les préfets maritimes qui vont la faire et qui l'auront à leur disposition.

Sur la question relative à la Méditerranée, je crois qu'il faut l'aborder globalement dans le cadre de l'Europe.

Après l'extension de l'Europe aux dix nouveaux adhérents, on s'aperçoit que, au moins sur le versant Mer du Nord, Manche, Atlantique, tous les Etats appliqueront les systèmes européens. La Norvège a décidé de s'y associer, seule la Russie avec le port de Saint-Pétersbourg en est exclue. Sinon, l'ensemble de cette façade sera dans l'orbite européenne.

Ce n'est évidemment pas le cas de la Méditerranée. Celle-ci se sépare approximativement en deux trafics : un trafic qui va desservir les ports du Nord de la Méditerranée : Marseille, Gêne, Barcelone, etc., et un trafic qui est le plus abondant, qui fait Gibraltar-Suez et qui, lui, heureusement nous concerne beaucoup moins directement. Je ne sais pas ce que diraient les autorités algériennes ou tunisiennes. Mais, ceci dit, l'extension à Malte posera un problème.

M. le Président : Il y a Malte, en effet... et, plus généralement, l'expérience montre que les vents et les courants peuvent ramener vers nos côtes un certain nombre de drames. Le Prestige ne sortait pas d'un port français, il n'allait pas dans un port français et les décisions ont été prises par les Espagnols au large des côtes espagnoles. Voyez ce que cela donne.

Avez-vous réfléchi à une liaison entre les différents pays ceinturant le bassin méditerranéen ?

M. Pierre ROUSSEL : C'est bien ce qui nous différencie des Etats-Unis, qui peuvent prendre des décisions autoritaires seuls, dans la mesure où une part significative des navires croisant le long des côtes américaines font escale dans un port américain. Les Etats-Unis maîtrisent davantage que l'Europe, aussi bien sur la façade Atlantique que Pacifique, les conditions de transit des navires autour de leurs côtes.

M. Roger BOSC : Ce que je vais dire pour la Méditerranée s'étend également aux autres côtes. Raisonner nationalement dans cette problématique serait absurde, et il y a longtemps que cela a été traité, puisque nous disposons déjà de deux accords internationaux qui intéressent, d'une part, l'Europe du Nord -c'est l'accord de Bonn- et, d'autre part, la Méditerranée dans son ensemble -c'est la convention de Barcelone-, qui prévoient des mécanismes de coopération en matière de prévention et de lutte contre les pollutions. Ils le prévoient d'ores et déjà.

Mais le problème que vous abordez se pose également en Manche pour nous, pour les Anglais, les Belges et peut-être même pour les Hollandais si on étend la problématique à l' « entonnoir » de la Mer du Nord.

Nous avons des dispositions internationales et régionales, et nous avons également depuis très longtemps des plans de coopération bilatéraux ou multilatéraux, mais plutôt bilatéraux, qui sont le Manche-Plan en Manche, et le Biscaye-Plan, qui couvre le Golfe de Gascogne, et qui est un accord bilatéral franco-espagnol. Nous avons également une convention internationale qui s'appelle RAMOGEPOL entre les Anglais, Monaco et la France, qui prévoit un plan spécifique de lutte contre les pollutions et, assez récemment, le Lion-Plan qui est aussi franco-espagnol, mais qui concerne la Méditerranée.

Nous avons là le cadre convenable pour insérer des dispositions de réflexion, d'évaluation et d'action en commun dans le cadre d'une problématique lieu de refuge. L'une des préconisations de notre rapport suggérera de compléter ces accords bilatéraux par des dispositions pertinentes relativement aux choix à faire en commun dans le cadre d'une action à mener face à un navire en difficulté. Ceci en appliquant la même méthodologie que celle qui a été expliquée par André Graillot, c'est-à-dire l'évaluation, le choix de la mesure de sauvegarde, entre l'option de maintien au large -avec la difficulté que, en Méditerranée, la problématique sera différente du cas d'un événement qui se passe au large en Atlantique-, ou, au contraire, le choix de l'accès dans un port, et le choix de celui-ci.

Pour le bassin nord de la Méditerranée qui nous concerne, nous Français, ainsi que les Italiens et les Espagnols, nos choix ne pourront pas se limiter aux ports français.

M. le Président : Barcelone/Marseille, Marseille/Gêne, les distances ne sont pas énormes. Qui prendra la décision d'aller vers un port espagnol, français ou italien ?

M. Roger BOSC : C'est le type de dispositions que nous proposons de faire inscrire dans les accords déjà en vigueur, et qui devront être complétés sur ce point. Nous n'avons pas la solution, mais nous préconisons de compléter les plans avec ce type de dispositions. Ce faisant, nous nous inscrivons dans le processus communautaire, où les groupes d'experts qui ont déjà travaillé sur l'application des directives évoquées s'engagent dans la même voie, et ont souligné la nécessité d'une coopération bilatérale ou multilatérale régionale.

M. André GRAILLOT : Il y a deux étapes. Au plan international, nous demandons aux préfets maritimes de s'entendre sur un plan pratique avec leurs correspondants au-delà des frontières pour se communiquer leurs plans, prendre des décisions dans différents cas de figure de besoin de lieu de refuge pour pouvoir conclure, par exemple, que le meilleur port est Barcelone, ou Sète, de façon à le savoir à priori car, dans le feu de l'action, il n'y aura plus de temps à perdre pour faire ce choix.

Pour sa part, l'indemnisation comprend plusieurs systèmes : l'indemnisation par l'assurance du responsable, et les autres systèmes d'indemnisation. Je comprends bien l'attitude morale consistant à dire que le pollueur doit payer. En fait, les armements maritimes sont assurés par des assurances dont ils sont les actionnaires, que l'on appelle des « P&I Clubs », donc des sociétés qu'ils ont eux-mêmes constituées.

Les pays maritimes ont beaucoup influencé les règles du droit maritime international, ils se sont fait un droit à leur mesure. Mais il est exact qu'autrefois les risques n'étaient pas les mêmes que maintenant.

Concernant les assurances, les textes les plus importants datent de 1972 et 1976. Ils traitent des plafonds de responsabilités, et posent le principe que la responsabilité des armateurs est limitée à une certaine valeur assez faible. Dans le cas de produits chimiques, comme pour l'Ievoli Sun, si les produits n'avaient pas coulé au fond avec le navire, le plafond était de l'ordre de quelques millions de francs.

M. Daniel PAUL : 80 millions de francs pour l'Erika.

M. André GRAILLOT : Ce sont les systèmes d'assurance. Un avenant a été passé pour relever ces plafonds, mais la France ne l'a pas encore ratifié. Parmi les mesures que nous allons préconiser, nous allons dire qu'il convient de ratifier déjà les textes existants.

Par ailleurs, pour les autres produits, des conventions ont été négociées, notamment pour les soutes, les matières dangereuses et les substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD). Tout est encore à ratifier, sauf que le dernier a peu de chances de l'être car les représentants français et les représentants de l'industrie chimique ont estimé qu'il était délirant et que l'accord était inapplicable. Par conséquent, il faut le renégocier.

Quel est le but du système d'assurance ? C'est d'indemniser la victime. Le système « pollueur/payeur » -à moins que l'on arrive à augmenter un jour le plafond de responsabilité- est actuellement verrouillé. Il n'est applicable que si l'on fait intentionnellement exploser un navire rempli d'explosifs dans la rade de Brest. Dans ce cas, il n'y a effectivement pas de plafond de responsabilité. Mais, sinon, le plafond de responsabilité s'applique toujours.

C'est pour cela qu'à côté nous avons étudié des fonds qui ne sont pas payés par les assureurs, mais par les industriels. Un certain nombre de pays l'ont accepté : le FIPOL correspond à ce principe. Il s'écarte du principe « pollueur/payeur », et a été mis en place par des pays qui se sont groupés pour construire une assurance mutuelle, qui présente de meilleures garanties pour les victimes. Le meilleur exemple en est le FIPOL. A cet égard, il faut que la France ratifie rapidement la convention de mai 2003.

Pour les autres produits, il n'y a rien. Nous avons émis plusieurs propositions. Notamment, celle d'agir en commun au sein de l'OMI : mais ce sont les Etats avec de gros armateurs qui ont beaucoup de pouvoir, et, en conséquence, si on arrive à faire bouger l'organisation, ce sera un processus très lent. Comme nous étions dans une impasse, nous nous sommes dits que nous pouvions essayer de mobiliser tous les pays européens, sous réserve que je ne suis pas certain que l'Autriche ou le Luxembourg ait un droit de vote.

M. le Président : Le Luxembourg a une flotte sous son pavillon.

M. André GRAILLOT : Nous avons étudié d'autres alternatives, dont nous ne sommes pas certains qu'elles seront acceptées en France, parce que la France ne le proposera que s'il n'y a pas d'objections, et il y en a potentiellement un certain nombre. Mais nous n'avons pas trouvé d'autre idée que celle que nous avons retenue. A vrai dire, si nous nous sommes lancés vers autre chose, c'est aussi parce que les fonctionnaires de Bruxelles nous ont demandé si l'idée d'un fonds européen ne nous intéresserait pas.

M. Pierre ROUSSEL : Ce sont les fonctionnaires, nous n'avons pas rencontré les responsables politiques ou les commissaires européens aux transports ou à l'environnement.

M. André GRAILLOT : Ce fonds pourrait avoir deux aspects. Le premier, simple, de redistribution. Dans la mesure où on nous demande de faire preuve de solidarité en luttant contre la pollution, pourquoi ne pas effectivement créer un fonds commun de tous les pays européens ?

Pour nous, la solidarité est importante car, en Manche et dans l'Atlantique, les courants nous renvoient tout ce qui passe au large et quand il y a une catastrophe, avec le Torrey Canyon sur les îles Sorlingues, cela atterrit chez nous chaque fois. Tout ce qui se passe en Manche, côté Angleterre, finit sur les côtes françaises. Il en est de même également dans l'Atlantique. En Méditerranée, il y a moins de courants. En tout cas, nous sommes très intéressés par l'idée d'un fonds communautaire.

Il peut y avoir dans ce fonds européen un aspect de solidarité qui consisterait à dire qu'est délégué au fonds le soin de se substituer aux victimes, dans les actions contre les assurances et pour les demandes de remboursements aux fonds de type FIPOL. Si on donne un peu de trésorerie à ce fonds européen, on pourrait imaginer qu'il indemnise immédiatement les clients, soit directement, soit par le biais du Trésor français. Celui-ci, en effet, ne veut pas faire l'avance lui-même dans la mesure où il ne peut pas anticiper sur ce qu'il va récupérer.

Si vous permettiez d'indemniser plus rapidement par le biais d'un office qui disposerait d'une trésorerie suffisante à Bruxelles, vous auriez permis une avancée dans le domaine des paiements et des remboursements qui serait sûrement très appréciable.

M. le Président : Cela ne paraît pas tout à fait l''état d'esprit actuel des espagnols.

M. André GRAILLOT : Sur l'Atlantique, ils sont pourtant victimes comme nous.

M. le Président : Vous avez parlé des produits polluants hydrocarbures. En est-il de même pour les produits chimiques ?

M. André GRAILLOT : Pour tous ces produits, pourquoi ne pas faire un fonds commun qui ferait l'avance immédiatement et qui se substituerait aux ayants droit locaux sans attendre que l'assurance de l'armateur statue. En outre, le fonds permettrait de faire face au cas où il y aurait des moyens de remboursement insuffisants, au regard des dommages, car les plafonds vont jouer ?

On peut certes dire que c'est le contribuable européen qui va payer. Il y a une autre solution qui fait l'objet d'une vive controverse entre nous parce qu'on nous dit que le ministère des Finances va s'y opposer. Il s'agit d'imaginer, comme les Américains, de prélever un petit droit de port de quelques centimes anciens de francs à la tonne sur tous les ports européens, soit 2 à 3 milliards de tonnes, pour alimenter le déficit de ce fonds européen et le constituer. Ce serait assez facile à réaliser et cela permettrait d'indemniser totalement.

Qui serait indemnisé ? Tous les pays qui cotiseront. C'est un système d'assurance mutuelle entre pays, à savoir que même si la pollution vient d'un navire qui va de Suez à Gibraltar, sans entrer dans un port européen, et affecte l'Italie, celle-ci serait indemnisée. Tous les pays dont les ports cotiseraient pourraient avoir accès à cette indemnisation.

On peut ne pas vouloir augmenter le budget européen. De même, il ne faut pas appliquer le principe de ce fond au trafic de cabotage. Même si je préfère un taux bas appliqué à la plus grande assiette possible, je peux admettre d'exempter le cabotage, car ce ne serait pas écologique de le taxer.

Par ailleurs, on peut nous dire que ce prélèvement s'apparenterait à un droit de douane déguisé. Mais si ce droit est perçu à l'entrée et à la sortie, il ne peut pas être considéré comme un droit de douane. On peut également nous dire que cela serait contraire aux règles de l'OMC, mais je ne crois pas que ce soit vrai. Il me semble que toutes les objections qui viennent à l'esprit sont surmontables. Toutefois, je ne suis pas un spécialiste de droit fiscal. Il y a en effet de nombreuses objections, qu'il ne faut pas sous-estimer.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit que le choix du lieu de refuge serait un choix politique. Nous avons vu, en Espagne, le « responsable », serviteur de l'Etat espagnol, qui aurait été heureux d'être couvert par un homme politique, parce qu'il souffre beaucoup des conséquences de la décision qu'il a dû prendre.

Le rapport que vous allez remettre doit rester confidentiel, dites-vous. Cependant, dans le monde actuel où c'est la presse qui nous apprend les décisions politiques et l'évolution des enquêtes judiciaires, pensez-vous réellement que ce rapport puisse rester longtemps confidentiel, et que l'on ne trouve pas rapidement, dans la presse nationale ou régionale, des titres du type :« Le Guilvinec aura à gérer ceci, le port de Nantes Saint-Nazaire cela, etc... » ?

M. André GRAILLOT : Notre rapport comprend deux parties : le rapport lui-même et les annexes sur les textes, les accidents, .... Je pense que cette distinction sera utile.

M. Pierre ROUSSEL : Le rapport, qui est pratiquement finalisé, ne contient pas de listes. La décision de le diffuser ou non appartient à ses commanditaires, c'est-à-dire à M. Bussereau et à Mme Bachelot, qui en feront ce qu'ils voudront. Ils l'auront d'ici 10 jours. Pour notre part, je crois que nous ne verrions aucun inconvénient à ce qu'il soit relativement connu, mais il ne contient aucun élément factuel.

M. André GRAILLOT : Nous l'accompagnerons d'ailleurs d'une lettre d'envoi dans laquelle nous proposerons de le diffuser aussitôt.

M. le Président. Nous aimerions pouvoir y faire référence.

M. Pierre ROUSSEL : Si vous voulez y faire référence avant qu'il soit diffusé, la bonne solution supposerait un coup de téléphone aux cabinets des deux ministres qui l'ont commandé.

M. le Président. - Vous le remettez pour le 1er juillet, n'est-ce pas ?

M. André GRAILLOT : Avant !

M. Pierre ROUSSEL : Et vous ne lirez pas là-dedans « Le Guilvinec héritera de telle pollution... ».

M. Roger BOSC : Le rapport se place à un autre niveau. Il va simplement proposer une méthodologie, comme nous vous l'avons présentée, mais il appartiendra aux préfets maritimes de décliner cette méthodologie et de la traduire en mesures concrètes, parmi lesquelles l'inventaire, que je qualifierai d'exhaustif, des lieux potentiellement utiles pour servir de refuge. Par contre, je ne pense pas que ce plan-là sera diffusé.

M. Pierre ROUSSEL : Ceci dit, la majorité des éléments qui auront servi à l'élaborer sont déjà publics. Il s'agit de cartes marines, d'inventaires des équipements dont on dispose dans les ports ou dans les villes alentour. Ce sont les risques qu'il peut y avoir, relatifs à la conchyliculture, aux zones protégées, etc.. C'est davantage un travail de compilation et de réflexion à partir d'éléments publics, qu'un travail d'investigation pour découvrir des éléments qui ne seraient pas déjà publiés quelque part. Une personne qui voudrait refaire ce type de travail pourrait, à la limite, le faire.

M. Roger BOSC : Aujourd'hui, même si la méthodologie que nous allons préconiser n'est pas encore formalisée, les préfets maritimes et leurs états-majors ont déjà à l'esprit la connaissance des lieux de leur zone de compétence, la connaissance des ports de leurs secteurs, etc.. Ils n'inventeront rien, ils formaliseront simplement et surtout mettront les mécanismes de décision en place, en affinant la méthode de choix en fonction des critères qu'ils approfondiront. Ainsi, s'ils doivent être confrontés à l'événement, ils pourront éliminer un certain nombre de solutions et se retourner vers la solution, si elle existe, du choix d'un port-refuge.

M. le Président : Entre les préconisations qui seront diffusées et les cartes marines qui sont dans le commerce, tout un chacun pourra donc en retrouver les conclusions qui s'imposent ?

M. le Rapporteur : Nous avons reçu le Président du port autonome de Nantes Saint-Nazaire, qui était volontaire pour établir une bouée « off-shore », qui pouvait, tout en permettant de traiter une éventuelle pollution d'hydrocarbure, avoir d'autres utilisations plus intéressantes, du point de vue de l'activité du port, que la construction d'une halle à marée, pour laquelle il faut chercher la connexion de transport plus loin.

Logiquement, le rapport que vous allez remettre devrait permettre aux préfets maritimes de mener un travail différencié selon les produits : on a beaucoup focalisé sur le Prestige et l'Erika car il s'agissait dans les deux cas de fioul n°2, mais, en général, chaque cas est différent : on peut ainsi parler des chimiquiers ou des méthaniers. Chaque cas peut se traiter différemment. Par contre, au-delà des recensements, ferez-vous des préconisations en termes de moyens ?

Les plans POLMAR ont longtemps été fondés sur les moyens en barrages flottants. Le barrage flottant a peut-être un impact psychologique sur les populations, mais il n'a pas d'efficacité. Mais on peut au moins demander que, s'il y a un port-refuge qui soit utilisé, les moyens antipollution y soient affectés pour traiter ce navire et son contenu.

M. André GRAILLOT : Cela fait partie des plans. Il y a un volet intitulé «  moyens à mettre en œuvre -existants, à mobiliser, voire à acquérir- et leur financement ». Mais il n'y a pas énormément de possibilités. Les autorités responsables de la gestion du budget de la Marine nationale nous disent : « On va rapidement dans une impasse » , et les autorités en charge de la gestion des budgets du port répondent : « Cet argent risque d'être pris sur nos moyens ».

Il y a cependant une autre source possible de financement. Nous disons qu'après tout, l'article 26 alinéa 3, que je vous ai lu, indique bien qu'il s'agit là d'un problème communautaire. Il vise les frais et les dommages mais également...

M. le Rapporteur : Le fonds européen pourrait être un fonds d'investissement...

M. André GRAILLOT : Nous voulions qu'il soit un fonds d'indemnisation. Je pense que notre ministère n'a pas le pouvoir de faire des propositions de modification du budget européen, mais nous disons qu'il faut que les pays européens demandent à Bruxelles si l'on peut trouver des fonds européens pour faire les investissements nécessaires.

Parmi les investissements demandés par les préfets, ils ont souvent cité les hélicoptères, parce qu'ils nous ont dit que certains de leurs hélicoptères avaient 40 ans d'âge. Mais il faut aussi des moyens nautiques pour intervenir, des petits pétroliers pour permettre le transvasement. Comme ce sont des marins, ils veulent intervenir plutôt sur l'eau qu'à terre.

M. Pierre ROUSSEL : Nous avons donc demandé aux préfets maritimes de préparer une liste de besoins. Ceci dit, une fois qu'elle sera présentée au ministère du Budget, la discussion prendra peut-être un tour plus « comptable » !

M. André GRAILLOT : Nous leur avons dit de ne pas se limiter, de mettre tout ce qu'il faudrait.

M. le Rapporteur : N'est-ce pas là le rôle de l'Agence européenne de sécurité maritime ? Devant la Commission, nous a été présenté l'option de navires de dépollution à 100 millions d'euros l'unité. On peut penser que, tout comme les remorqueurs de haute mer, notamment en Méditerranée, ils doivent pouvoir servir pour plusieurs pays, -c'est là le principe de la mutualisation du coût de l'investissement et, ensuite, de la bonne gestion de ces matériels.

M. André GRAILLOT : Les ports ont droit au FEDER, pourquoi les militaires, s'ils ont des investissements à faire qu'ils estiment nécessaires, ne pourraient-ils pas avoir également droit au FEDER ? Le FEDER est bouclé jusqu'en 2005/2006. Au lieu de donner des idées précises, on va dire qu'il convient que les Etats déterminent à Bruxelles la façon la meilleure de financer les besoins.

M. le Rapporteur : On nous dit que les FEDER disparaîtront à compter de 2006, car il faudra aider à financer l'économie des nouveaux Etats membres encore en transition, mais que, pour autant, dans le domaine de l'environnement, il pourrait subsister une certaine « manne » financière au titre des fonds structurels du FEDER. C'est peut-être une idée à exploiter dans les prochaines années ?

M. André GRAILLOT : C'est ainsi que la question doit en tout cas être posée à Bruxelles. Il a été dit, dans le compte-rendu du Conseil des ministres européens du 6 décembre dernier, qu'il fallait traiter l'aspect financier, soit sous l'angle des indemnisations, soit sous celui des équipements préventifs ; or, si nous établissons des plans, c'est précisément à titre préventif. Les plans n'ont de sens que s'il y a des mesures préventives financières d'accompagnement. Il faut que l'Europe participe. Mais, d'un autre côté, nous craignons, en étant trop précis, de nous faire rejeter soit au plan français, soit au plan bruxellois. Aussi préférons-nous leur dire de déterminer les modalités financières précises.

M. Daniel PAUL : Je suis surpris par la notion de secret car tout cela me paraît appelé à devenir un secret de « Polichinelle ». A la première catastrophe, le préfet maritime, ou l'autorité compétente, orientera tel navire sur tel port, et on saura que celui-là fait partie de la liste. Au bout de quelques années, le secret, s'il a été gardé pendant quelques années, n'en sera plus un.

Qui plus est, j'ai le sentiment que les catastrophes successives que nous avons connues depuis quelques années ont montré -celle-là comme d'autre, on pourrait parler de la même chose pour AZF ou les inondations- que les personnes ne veulent plus de cela, qu'elles veulent être concernées. Je me mets à la place d'un maire qui va apprendre que le port qui est dans sa ville est susceptible d'accueillir tel ou tel type de navire en difficulté, qu'il n'est pas informé et que son Conseil municipal n'a pas pu en délibérer.

Je suis surpris par cette optique, et je pense que c'est un élément difficilement admissible. Les ministres vont peut-être devoir prendre la décision de rendre tout cela public, la liste des ports par spécialisation, en fonction de la façade maritime, les moyens à mettre en œuvre, etc. Sinon, je crains que cela pose des problèmes. De toute façon, cela en posera. Accueillir un navire susceptible d'être dangereux dans un port est de toute manière problématique, et le sera encore davantage si l'on doit y ajouter le fait que ce ne soit pas consensuel.

Je comprends les précautions, mais toutes ces prudences ne conduisent-elles pas à repousser aux calendes grecques le projet d'établir des ports refuges ? Face aux problèmes que cela pose, face au coût également, ne sommes-nous pas là face à une bonne idée qui me paraît nécessaire, mais qui doit être maniée avec précaution ? En sachant également que les ports sont des « havres », cela fait des milliers d'années que les ports accueillent des navires en difficulté. J'ai le sentiment que l'on dresse des barrières supplémentaires.

J'ai le sentiment que nous avons des possibilités le long de nos côtes parce que nous avons un plateau continental qui va assez loin, du moins en Manche. Peut-être est-ce également possible en Atlantique, je ne sais pas. Il y a eu une proposition de faire un dispositif en U dans lequel le navire en difficulté pourrait venir s'insérer. Ce dispositif a-t-il un quelconque avenir ? Cela vaut-il quelque chose d'un point de vue technique ?

Concernant les investissements, je partage l'idée du fonds européen et de la taxe de quelques centimes d'euros par tonne, mais on n'échappera pas, sur des questions comme celle-là, à des besoins financiers supplémentaires ; ou alors, cela signifierait que l'on traite l'environnement avec des queues de crédits et en allant prélever sur les autres crédits du budget de l'Environnement. Il faut arrêter avec ces méthodes.

Ne peut-on pas craindre que l'on nous dise que l'Europe paye les indemnisations et que chaque Etat-membre fait son affaire des investissements nécessaires et obligatoires, comme avec ce qui se passe pour les installations que les ports doivent mettre en place afin de recueillir les déchets de soutes ou les déchets courants des navires ?

Mme Hélène TANGUY : J'ai beaucoup de méfiance vis-à-vis de l'idée même de garder une liste secrète. Cela ne me semble pas réaliste. Je retiens que, plus qu'une liste, il est peut-être question d'une méthode d'appréciation et d'un problème de hiérarchie de responsables clairement identifiés. Cela, c'est intéressant. Mais, en réalité, on voit bien qu'il faut que, une fois les responsables les plus autonomes possibles identifiés, une fois les paramètres et les procédures de décisions posés -donc les différentes solutions trouvées puisqu'à chaque navire correspond une solution particulière-, le véritable problème reste celui que l'on évoque depuis quelque temps, c'est-à-dire le problème financier, le financement des moyens nécessaires pour permettre d'utiliser cette zone de refuge, qu'il s'agisse d'un port ou non.

Qui plus est, je crains que ce soit mal pris en charge après le sinistre, car on ne peut que déplorer les difficultés que nous avons rencontrées dans les derniers drames, et notamment celles que nous vivons actuellement, c'est-à-dire la question de savoir quelle est l'indemnisation réelle ?

La zone qui risque d'être touchée par des hydrocarbures, quels qu'ils soient, est une zone qui sera complètement sinistrée, que ce soit du point de vue du tourisme, de l'aquaculture, de la pêche, etc.. Plus l'image globale de cette zone-là pendant des années, peut-être 10, 15 ans 20 ans ! Cette notion est-elle bien appréhendée ? En tout cas, à mon avis, ce dossier des zones refuge est, avant tout, un problème financier.

Mme Marie-Hélène des ESGAULX : Je suis assez d'accord sur le fait que les deux dernières catastrophes ont modifié profondément la mentalité de nos concitoyens. Certes, les aspects financiers sont très importants et nous conduisent à nous tourner vers l'Europe, nous sommes tous d'accord.

Que ce soit sur le plan de l'indemnisation, le plan préventif ou les équipements, on se tourne vers l'Europe. Je voudrais toutefois insister sur le fait que cette liste me paraît difficile à établir, et qu'elle sera forcément insuffisante : on ne peut pas garantir qu'elle permettra de répondre au cas d'un nouvel Erika ou d'un nouveau Prestige, et que l'on ne se trouvera jamais dans une situation où cette liste ne résoudrait rien.

Pour moi, ce qui résoudra véritablement les choses, c'est l'autorité qui dira à un navire : « Vous faites ceci, vous faites cela » et non pas ce que nous avons connu avec le Prestige, avec le temps perdu pendant plusieurs jours, qui a conduit à une décision complètement aberrante. Je suis très sensibilisée sur ces questions d'autorité et je voudrais souligner que nos concitoyens sont tout à fait prêts, là aussi, à se tourner vers l'Europe et à accepter une autorité européenne en la matière.

J'ai regardé cela localement. Ce que je dis est peut-être surprenant car je viens d'une circonscription où l'autorité européenne est très contestée dans de nombreux domaines. Je pourrais ne citer que la chasse, mais nous ne sommes pas non plus tout à fait d'accord pour que l'Europe s'occupe de réglementer la taille du pruneau d'Agen.

En revanche, nous sommes, en Gironde, en plein dans la suite de la crise du Prestige, nous avons des arrivées d'hydrocarbures tous les jours, et nous sommes très sensibilisés et prêts à accepter une autorité européenne avec des garde-côtes européens car nous vivons à chaque marée des arrivées de « boulettes ».

Je n'accepte pas non plus le fait qu'aujourd'hui on nous dise que l'indemnisation par rapport au Prestige ne peut pas être rétroactive. Je conteste totalement cette réponse, et j'espère, demain, pouvoir poser une question d'actualité dans ce sens. Je ne demande pas que l'indemnisation pour le Prestige soit rétroactive par rapport au FIPOL. Mais, en l'occurrence, nous ne parlons pas d'un événement dépassé : je vis aujourd'hui dans l'événement et les conséquences du problème du Prestige apparaissent tous les jours et à chaque marée. Qu'on ne me dise pas que le naufrage a eu lieu dans le passé, car, actuellement, il a « lieu » tous les jours. Il y a plusieurs naufrages du Prestige, qui plus est, il reste des milliers de litres dans les cales.

Je souscris à ce qui a été dit mais je vais plus loin. Si on se contente de regarder uniquement les aspects financiers, on passe à côté d'éléments qui me paraissent essentiels. Le véritable problème sera de dire à un bateau : « Tu vas là » et l'obliger à y aller.

Mais je voulais surtout souligner la modification du comportement des personnes qui, actuellement, subissent ces problèmes de manière quotidienne.

M. le Président : Le recensement des lieux refuge sera-t-il contradictoire ?

M. André GRAILLOT : Il n'y a pas de liste ni de recensement de lieux de refuge, il y aura un simple inventaire des lieux de refuge. Il ne peut pas y avoir de liste établie indépendamment de tout autre aspect. Je vais vous donner un exemple. S'il y en avait une physiquement, vous verriez que ceci nous conduirait à la catastrophe.

Si je dois traiter un bateau de 300 tonneaux qui transporte 2 000 tonnes de fioul lourd, qui se trouve devant chez vous, à proximité des côtes landaises, et qui veut rentrer dans le bassin d'Arcachon, que fait-on ? Si le lieu de refuge est Saint-Nazaire ou le Pertuis Charentais, on n'y emmènera pas le bateau. Par conséquent, dans ce cas, il n'y a pas de lieu de refuge adapté, et on choisira la solution que l'on trouvera la meilleure, c'est-à-dire que l'on échouera le navire sur la plage. Au moins, ainsi, on pourra maîtriser ce qui se passe. Et nous aurons moult cas de ce type.

Il n'y a pas de liste possible de lieux de refuge : il y a unanimité de tous les spécialistes des pays européens pour le dire. Lorsque le SOSREP a dit qu'il fournira simplement la liste des 740 ports existants, il y a eu un article dans le journal " Loyd's list " qui a accusé le SOSREP d'avoir caché la liste. Le SOSREP a alors affirmé qu'il n'y avait pas de liste.

Il y aura donc un inventaire des sites, mais pas de liste. Si vous dites qu'il y a une liste, cela signifie que vous ne pourrez recourir qu'aux seuls lieux prévus par cette liste, et qu'il se trouvera de nombreuses raisons pour exclure certains ports de la liste. Nous disons au contraire que tout le littoral est concerné et, qu'en fonction du type d'accident auquel nous aurons à faire face, il faudra prendre la solution la moins mauvaise possible.

M. Roger BOSC : Pour répondre aux préoccupations de M. Paul, il est clair que, si on admet a priori que tout lieu peut être un lieu de refuge, dans la gestion de crise, il n'est pas exclu que les autorités terrestres soient consultées. Il n'y aura pas de décision ex abrupto sans avoir associé ou informé au minimum les autorités locales, les départements, mais aussi les maires des communes. Il ne s'agit pas de laisser à la seule autorité maritime le pouvoir d'imposer sans consulter et sans précaution. Dans la gestion de crise, cette consultation sera prévue, et je vous en donne un exemple très précis, qui a existé.

C'est l'exemple d'un porte-conteneurs qui s'appelait le Rosa M, qui au départ du Havre, a connu un brusque désarrimage de cargaison et s'est retrouvé avec 30 à 40 degrés de gîte, menaçant de chavirer. Le préfet maritime de Cherbourg a pris le navire en remorque et a voulu le faire entrer dans l'avant-port de Cherbourg, solution qui s'imposait techniquement et qui était d'autant plus simple pour lui qu'il était le gestionnaire de la zone portuaire ; il n'avait donc pas besoin de consulter l'autorité portuaire.

Au moment de faire rentrer le navire dans le port, on s'est aperçu qu'il ne pouvait plus y rentrer parce qu'il avait trop de tirant d'eau. Le préfet maritime a décidé -mais cela se décide en quelques minutes- d'échouer le navire sur une plage proche entre Cherbourg et la pointe de Barfleur. Evidemment, il n'a pas eu le temps de se concerter avec le maire de la commune, mais le premier souci du préfet maritime a été, au moins, d'informer. C'était effectivement un cas extrême. Dans le processus normal, l'autorité maritime aura à charge de consulter ou, à défaut, d'informer les autorités. Il est toujours très pénible d'être confronté à ce type de situation mais, si c'est à ce prix qu'on peut trouver la solution la moins mauvaise, je crois qu'il mérite d'être payé.

M. André GRAILLOT : Si on voit que le navire va couler très vite, le nombre de solutions est très réduit. Ou bien on le laisse couler, ou bien on l'amène au rivage pour sauver ce que l'on peut et éviter que tout se répande, qu'il coule mais que cela tourne mal.

M. Roger BOSC : Il y a deux points difficiles dans la communication à propos du rapport. Evidemment, nous sommes les conseilleurs, nous ne sommes pas les payeurs, c'est la position la plus simple, je l'admets volontiers. Il demeure cependant la question difficile du problème de la diffusion de la liste.

En la matière, il y a de votre part une préoccupation que l'on comprend, car c'est vous qui allez recevoir et devoir traiter les ennuis venant du large : c'est le premier point dur ! Le deuxième est l'idée de la « consensualité » sur une décision qui ne sera pas nécessairement la meilleure, mais seulement la moins mauvaise. Il y aura là une véritable difficulté, car, dans tous les cas où la problématique du lieu de refuge se posera et où l'on sera confronté à une situation d'une gravité et d'une complexité exceptionnelles, il n'y aura pas de solution parfaitement satisfaisante. Ce sont deux points très difficiles à faire passer en termes de communication, surtout à l'égard de ceux qui seront les victimes...

M. Pierre ROUSSEL : La situation n'est pas du tout la même lorsque nous préparons la caractérisation des sites, à froid, sans accident en cours à traiter, alors que l'on peut sans difficulté rassembler des critères techniques -sur les tirants d'eau, les vents dominants, les longueurs de quai, les matériels et les délais d'approche pour les équipements de dépollution, etc.- et lorsque l'on affronte la gestion de la crise proprement dite, où l'on dit que, non seulement on doit caractériser les lieux de refuge, mais qu'il faut également décider de l'endroit vers lequel le bateau est dirigé

Sans compter qu'il risque d'y avoir de temps à autre des intérêts forts qui vont entrer en jeu, qui ne seront pas nécessairement liés à la sécurité ou à l'environnement. Si on arrive à démontrer que la baie de Saint-Tropez est un site utilisable et si on a un crash le 15 août, je ne sais pas comment on gèrera le problème consistant à amener un bateau polluant dans cette baie. Or, c'est un site qui ne peut pas être rejeté a priori. Faut-il expliquer cela au maire de Saint-Tropez ? Quand le prévient-on ou quand discute-t-on avec lui ?

M. André GRAILLOT : S'il y a des vies humaines en danger, baie de Saint-Tropez ou pas, on le fera, c'est certain. Concernant l'équipement des ports, nous avons demandé aux préfets maritimes si la solution allemande, que nous avons évoquée tout à l'heure, leur paraissait satisfaisante.

Concernant l'indemnisation, ratifions enfin les textes que nous avons signés et rendons-les applicables. Cela encouragera la France à prendre parti et à engager ses voisins à faire de même.

Par ailleurs, il y a un texte à améliorer et à revoir. Il faudra se remettre à la tâche. Ensuite, nous avons proposé un système pour « déplafonner », en attendant que l'OMI fasse de même. Ce système est le fonds européen complémentaire, qui répondrait à toutes les situations hors limitation.

Mme Marie-Hélène DES ESGAULX : Conservez-vous le principe d'une autorité au plan national ?

M. André GRAILLOT : Au plan du préfet maritime.

Mme Marie-Hélène DES ESGAULX : Ce qui signifie que si les Espagnols font n'importe quoi, tout ce système ne sert à rien.

M. André GRAILLOT : Non, cela fait partie du rapport. Nous disons qu'il n'y a plus d'accident national, les accidents sont européens. Dans la Manche, ils sont franco-anglais ou belgo-français. L'Erika a représenté un cas particulier, mais les accidents ne peuvent plus être traités au seul plan national. Nous vous avons parlé des conventions : nous demandons au préfet maritime d'aller trouver son collègue espagnol, qui remplit les mêmes fonctions que lui, et de lui demander de signer des conventions prévoyant que, dans tel cas, on agit de telle sorte. Ceci afin que tout soit automatique et, in fine, pour permettre d'amener le navire dans une forme.

M. Roger BOSC : La première chose à régler est l'échange d'informations car cela ne prête pas à conséquence majeure dans un premier temps. Ce qui est peut-être plus difficile à acquérir -et c'est une démarche européenne intégrée qu'il faut construire, dans ce domaine comme dans d'autres- c'est de prendre une décision en commun ou consensuelle.

On a dit qu'il fallait compléter en conséquence les accords bilatéraux, c'est simple à énoncer comme principe et personne ne peut le contredire, mais je ne suis pas certain que cela rentrera dans les mœurs immédiatement. En revanche, il y a tout de même le contrôle supérieur de l'Europe et notamment de l'Agence européenne de sécurité maritime, qui aura un rôle à jouer pour faire rentrer en pratique en commun cet esprit de coopération et de décision.

Aujourd'hui, il n'existe pas de garantie sur le résultat mais nous sommes dans la voie de la mise en place d'un outil de ce type, ce qui répond à votre préoccupation.

M. André GRAILLOT : Ce qui justifie la mise en commun d'un fonds.

M. Roger BOSC : Et la mise en commun des moyens adéquats !

Audition de M. Henri de RICHEMONT,
Sénateur de la Charente


(extrait du procès-verbal de la séance du 10 juin 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

M. de Richemont est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. de Richemont prête serment.

M. le Président : M. le sénateur, nous avons souhaité vous auditionner à l'Assemblée nationale pour plusieurs raisons. D'une part, vous avez été rapporteur de la mission commune d'information du Sénat sur l'Erika en 2000. A ce titre, vous avez certainement des idées sur ce qui aurait dû et pu utilement être fait et qui ne l'a pas été.

Par ailleurs, en tant que parlementaire en mission, vous avez récemment remis au Premier ministre un rapport ayant pour objet le développement du cabotage et, ce qui nous intéresse plus encore pour l'amélioration de la sécurité maritime, le développement du pavillon français.

Enfin, en tant qu'avocat, vous faites partie des spécialistes reconnus dans ce domaine de la sécurité des transports maritimes et, plus généralement, de la politique maritime.

M. Henri de RICHEMONT : Je suis très impressionné de me retrouver devant vous. Il y a 4 ans, c'était moi qui posais les questions à votre Rapporteur, lors de la mission d'information du Sénat sur l'Erika. Il représentait alors les communes sinistrées par cette dramatique pollution.

Je commencerai mon exposé introductif, avant d'aborder les questions de sécurité maritime qui sont fondamentales, par le rapport que je viens de remettre à M. le Premier ministre. Je ne parlerai pas du cabotage car ce n'est pas la préoccupation de votre Commission, mais j'insisterai sur le développement du pavillon.

Pour moi -je l'indiquais déjà dans le rapport de la mission d'information du Sénat-, la question du pavillon est obligatoirement liée à celle de la sécurité maritime. La France aujourd'hui, avec 200 navires, représente 0,5% de la flotte mondiale et se situe au 28ème rang, c'est-à-dire que nous ne représentons que peu de chose, proportionnellement à notre importance maritime, dans les concerts et organisations internationales, que ce soit à l'OMI ou même dans l'Union européenne.

Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Premier ministre, je me suis rendu dans différents pays du Nord. Je suis allé au Danemark, j'ai interrogé le plus grand armateur danois et je me suis rendu compte qu'il avait déjà sur son bureau les dispositions communautaires en faveur de l'aide aux transports maritimes, et qu'il en savait davantage que les fonctionnaires de la Commission que j'étais appelé à interroger par la suite.

Ceci tend à démontrer que, dans ce domaine, ceux qui parlent, ceux qui sont entendus, sont ceux qui ont un pavillon important ou qui se trouvent à la tête de flottes importantes. Aujourd'hui en France, si nous avons la plus grand longueur de côtes de toute l'Union européenne, nous ne représentons rien et, souvent, compte tenu de la faiblesse de notre flotte, ce que nous disons nous rend inaudibles.

C'est pourquoi il est fondamental de re-développer le pavillon. J'ai donc proposé la création d'un registre international français, c'est-à-dire un registre bis semblable à tous les autres registres internationaux européens.

En effet, quasiment tous les pays européens ont créé un registre international bis parallèle au registre national, afin de pouvoir juguler la perte de bateaux et récupérer ceux qui étaient partis sous pavillon de complaisance. Ceci s'est révélé efficace, aussi bien en Norvège qu'au Danemark, avec les mesures que j'expose dans mon rapport et que je préconise d'adopter en France. Il s'agit de mesures permettant, non seulement de rapatrier les bateaux, mais également de développer l'emploi maritime.

Les armateurs danois et norvégiens m'ont indiqué que la philosophie du transport maritime dans l'Union européenne se résumait en deux mots qui sont encore dans le langage technique que nous utilisons : « tax free », c'est-à-dire hors taxe. Le « shipping » est une activité qui doit se faire sans aucune taxe. Si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris au problème du transport maritime.

Par une politique d'exonération fiscale du salaire des marins, d'exonération de charges sociales, par la possibilité de recruter des marins étrangers en limitant les exigences en nombre de marins danois ou norvégiens au seul commandant, non seulement ces pays ont permis de concurrencer les pavillons de complaisance mais, en étant souple, libéral et actif, aujourd'hui au Danemark, 70% des marins à bord des bateaux danois sont Danois alors que la loi n'impose comme règle minimum qu'un seul officier : le commandant.

J'ai adressé mon rapport à chacun d'entre vous, mais je vous indique que si on ne met pas en vigueur ce que je propose, c'est-à-dire le registre international français, on ne développera pas le pavillon français. Par conséquent, les 120 ou 150 navires aujourd'hui contrôlés par des Français sous pavillon de complaisance ou pavillon luxembourgeois ne reviendront jamais sous pavillon français et on assistera au contraire à un accroissement du « dépavillonnement » français.

J'attire votre attention sur le fait que si l'on supprimait le GIE fiscal et l'obligation par la loi de 1992 aux compagnies pétrolières d'avoir une capacité de transport d'au moins 5% de la capacité transportée, il n'y aurait plus un bateau sous pavillon, même Kerguelen.

Cela démontre bien qu'aujourd'hui le pavillon français avec 120 navires n'existe que par des artifices totalement anti-économiques et, si demain on les faisait tomber, nous nous retrouverions, comme la Belgique, avec absolument aucun bateau sous pavillon français.

Il y a 10 ans, compte tenu de la rigidité des lois en Belgique, a été créé le pavillon luxembourgeois, qui compte aujourd'hui davantage de bateaux contrôlés par des intérêts français que la France elle-même. Plusieurs pétroliers, plusieurs armateurs français ont aujourd'hui leurs bateaux armés sous pavillon luxembourgeois.

Si des mesures ne sont pas prises rapidement -et c'est ce qui risque de nous arriver-, si, pour une raison ou une autre, demain le GIE fiscal devait tomber ou si la loi de 1992 devait tomber, nous n'aurions plus un seul navire sous pavillon français, c'est-à-dire que la France ne représenterait plus rien du tout. Je rappelle que le GIE repose sur deux éléments, tenant, d'une part, aux modalités d'amortissement et, d'autre part, à l'exonération des plus-values.

La sécurité maritime, pour moi, passe avant tout par la nécessité de faire en sorte que la France redevienne une véritable puissance maritime, c'est-à-dire qu'elle puisse rapatrier des navires sous pavillon français, qu'ils soient d'ailleurs contrôlés par des Français ou des étrangers.

C'est fondamental pour la sécurité maritime car qui dit pavillons français dit emplois français. Lorsque l'on dit emplois français, on parle de « filières » françaises. Aujourd'hui, il est de plus en plus difficile de trouver des marins acceptant d'aller à bord, et en tout état de cause, leur durée d'embarquement est de plus en plus réduite. En effet, du fait des contraintes familiales et du fait que les femmes sont de plus en plus exigeantes et tolèrent de moins en moins que leur mari parte trop longtemps à la mer, la durée d'emploi à bord des navires est de plus en plus réduite. C'est pourquoi je propose de procéder à la défiscalisation afin de rendre plus attractif les métiers de marins et d'officiers.

Cela étant, compte tenu de la qualité de leur formation, aussi bien pour le pont que pour les machines, les navigants sont recherchés pour des emplois à terre, sans aucun problème. Aussi est-il fondamental qu'il existe une flotte française nombreuse, pour permettre que cette expérience maritime soit intelligemment utilisée à terre pour la gestion commerciale ou technique, ainsi que dans les centres de contrôle des navires.

Aujourd'hui, un inspecteur n'est véritablement opérationnel et fiable que si lui-même a navigué. En effet, un inspecteur qui n'aurait effectué que 2 ans d'école, face à un superintendant Grec ayant 20 ans d'expérience, aurait du mal à s'imposer. Si l'inspecteur n'a jamais été navigant, je peux vous confirmer que les inspections ne servent à rien.

Déjà, l'inspection par l'Etat du port est un superfétatoire, puisqu'elle contrôle ce qu'il y a au-dessus de la coque et jamais ce qu'il y a en dessous : c'est pourquoi on ne va jamais voir ce qui se trouve dans les ballasts. En outre, si un inspecteur n'a pas une idée générale de l'état d'un bateau, il ne peut poser les bonnes questions que s'il a déjà navigué, comme officier de pont ou officier-machines. Sinon, cela ne sert à rien.

Le développement du pavillon passe par le recrutement des personnels permettant de développer une filière. J'insiste sur ces domaines qui me paraissent fondamentaux.

Si l'on ne développe pas le pavillon français, si l'on ne rapatrie pas nos navires sous pavillon français, si l'on ne développe pas l'emploi maritime français, nous perdrons définitivement toute crédibilité et toute compétence en matière de contrôle et de sécurité maritimes.

Ce liminaire étant fait, je voudrais exprimer quelques idées concernant les questions de sécurité maritime. J'ai prêté serment de dire la vérité, donc je dirai exactement ce que je pense, ce qui vous paraîtra peut-être sortir parfois des « sentiers battus ».

Dans ces domaines comme dans d'autres, je ne crois pas que la réglementation soit la panacée car on en fait toujours ce que l'on veut : c'est l'économie qui prime.

J'ai relu la presse pendant le week-end pour préparer cette audition et pour une autre affaire parallèle. J'ai été étonné que tout le monde se félicite, -et je m'en félicite pour les victimes- de l'augmentation du plafond du FIPOL à un milliard d'euros. C'est une demande que nous formulions depuis très longtemps, et c'est très bien pour l'indemnisation des victimes, mais cela n'apporte rien à la sécurité maritime car le véritable problème est d'ordre économique.

Lorsque la convention CLC 969 a été révisée en 1992, on a augmenté le plafond de limitation de responsabilité du propriétaire du navire. Or je suis étonné de voir qu'on ne parle pas d'augmenter cette responsabilité, c'est-à-dire la limitation de responsabilité du propriétaire du navire. J'attire votre attention sur le fait que, pour l'Erika, le propriétaire du navire, par l'intermédiaire de son assureur, n'a payé que 7% des fonds disponibles, le reste était réglé par le FIPOL, c'est-à-dire par l'industrie pétrolière et, par voie de conséquence, par le consommateur. Le plafond de responsabilité est donc relativement bas.

On arrive alors à ce paradoxe invraisemblable que, aujourd'hui, ce sont les bateaux les plus petits qui polluent le plus. Le Tanyo, l'Erika, le Prestige étaient des bateaux moyens. 75 000 tonnes de fioul lourd pour le Prestige, à peu près la même chose pour le Tanyo, contre 250 000 tonnes de brut pour l'Amoco Cadiz, alors que la pollution du Tanyo a été plus importante que celle de l'Amoco Cadiz.

Le niveau de responsabilité de l'armateur est calculé en fonction de la jauge du navire : plus la jauge est faible, plus le plafond est bas. Ce système fait que n'importe quel propriétaire de navire, même s'il un navire particulièrement vétuste, trouvera toujours une assurance, compte tenu du fait que la limitation de responsabilité est relativement basse.

On ne peut certes pas aller à l'encontre du système de limitation de responsabilité, qui constitue l'essence même du transport maritime et qui est incontournable, mais il faut sortir de ce système de limitation de responsabilité calculé sur la jauge du navire. Il convient, à mon avis, de prendre deux éléments que l'on ne prend jamais en considération, qui sont l'âge du navire et la dangerosité des produits transportés.

Dans mon rapport sur l'Erika, j'avais indiqué que la limitation de responsabilité du propriétaire du navire devait être considérablement augmentée lorsque les navires pétroliers de plus de 15 ans d'âge transportaient systématiquement du fioul lourd n°2, des produits chauffés, des produits corrosifs, des produits qui fragilisent encore plus les navires.

A partir du moment où vous augmentez la limitation de responsabilité du propriétaire du navire, vous augmentez obligatoirement le taux d'assurance. Plus le plafond est important, plus l'assurance est chère et plus la compagnie d'assurance est regardante sur le bateau qu'elle assure, car à ce moment-là, le risque assuré est plus important.

En augmentant le plafond de limitation de responsabilité, on augmente les primes d'assurance. Ainsi, le taux de fret augmente, ce qui rend l'affrètement des navires âgés moins attractif. Tout est dans le taux de fret. Lorsque l'on paye un taux de fret élevé, les navires sont entretenus, lorsque l'on paye un taux de fret bas, les navires ne le sont pas !

Autrefois, lorsque les pétroliers étaient propriétaires de leurs navires, ils étaient très regardants sur la qualité de l'entretien, donc ils savaient quel était le coût afférant à la gestion du navire. Lorsqu'ils affrétaient, ils acceptaient de payer un fret important. Le jour où ils n'ont plus été propriétaires, ils ont cherché à baisser le taux de fret et, en le faisant, l'armateur s'est mis à moins bien entretenir.

Pourquoi avoir porté le montant du FIPOL à un million de dollars sans avoir augmenté en même temps le plafond de limitation de responsabilité du propriétaire du navire?

Je souhaiterais également évoquer la question du rôle des sociétés de classification, car on parle de l'Etat du pavillon, du contrôle de l'Etat du port, mais nos 54 inspecteurs, qui ne peuvent inspecter que 14 % des navires à ce titre, ne font qu'un contrôle superficiel, « cosmétique », ils regardent ce qui se passe au-dessus de la passerelle mais pas en dessous. La structure des navires ne peut être véritablement examinée que par la société de classification ou le « vetting » des sociétés pétrolières, et c'est la raison pour laquelle la société de classification joue un rôle si déterminant.

Aujourd'hui, les sociétés de classification honnêtes reconnaissent qu'après 15 ans d'âge, il est impossible de garantir à 100% la fiabilité d'un contrôle. C'est pourquoi, à partir de 15 ans d'âge, un navire -surtout lorsqu'il transporte systématiquement des produits lourds, des produits chauffés de fioul lourd numéro 2 ou d'autres produits noirs- est un navire potentiellement dangereux, une sorte de « bombe ambulante ».

Le paquet Erika 1 prévoit que l'Europe donne son agrément aux sociétés de classification qui peuvent procéder à la certification. C'est parfait, mais déjà l'IACS assure son propre contrôle des sociétés de classification. Ne serait-il pas préférable de dire que l'Union européenne refuse d'agréer une société de classification acceptant de classer un navire qui, au-delà de 15 ans d'âge, ne transporte systématiquement et régulièrement que du fioul lourd n°2 ou des produits noirs chauffés ?

En empêchant les sociétés de classification de donner la « classe » à un navire potentiellement dangereux, on empêche ce navire de trouver une assurance, et il sortira donc du marché.

C'est pourquoi je pense que si l'on était plus contraignant vis-à-vis des sociétés de classification, on obligerait celles-ci à être encore plus rigoureuses dans la sélection des navires auxquels elles acceptent de délivrer leur « classe ».

Par ailleurs, une lacune me paraît fondamentale. J'ai lu dans « Le Marin » de la semaine dernière que l'Etat espagnol avait engagé une procédure contre « l'American Bureau of shipping ». C'est très bien, mais je ne sais pas à quelle hauteur celui-ci est assuré. De nombreuses sociétés de classification, y compris parmi les meilleures, sont des sociétés de services qui n'ont aucun patrimoine, dont l'assurance de responsabilité civile ne correspond qu'à celle qu'elles veulent bien avoir.

Si vous vous retournez contre elles, certes elles peuvent être condamnées, mais s'il n'y a pas d'assurance obligatoire, elles déposent leur bilan demain et recommencent ensuite sous la forme d'une nouvelle société de classification.

J'ai toujours considéré qu'un élément déterminant, si l'on veut que les sociétés de classification soient plus rigoureuses non seulement dans leurs contrôles mais également dans la sélection des navires qu'elles contrôlent, consisterait à exiger une assurance obligatoire, avec un plancher à fixer, et avec la possibilité d'un recours direct de la victime contre la société de classification.

Avec ces deux éléments, je peux vous assurer que les sociétés de classification prendront un soin beaucoup plus particulier dans leurs décisions, non seulement parce qu'elles n'auront pas envie d'être condamnées, mais parce que leur assureur exercera sur elles un contrôle fondamental.

Le troisième point concerne la transparence. Ici, on a dû beaucoup vous parler d'Equasis, et du fichier Sirenac réunissant tous les renseignements nécessaires. En les consultant sur votre ordinateur, vous accédez à toute la généalogie et à beaucoup de renseignements utiles sur le navire, mais vous n'avez pas l'essentiel.

En effet, les compagnies pétrolières n'ont pas l'obligation de donner le contenu de leur fichier SIR qui est le résultat de leur propre « vetting » et, surtout, le dossier de la société de classification considéré comme un élément contractuel relevant de la confidentialité entre la société de la classe et l'armement n'est communiqué à personne. En fait, les éléments fondamentaux sur l'état du navire restent confidentiels.

C'est la raison pour laquelle j'avais également proposé, dans le cadre des mesures de sécurité prises par l'Union européenne, d'interdire l'entrée dans les ports européens aux navires dont les armateurs n'ont pas accepté de communiquer le contenu du dossier de la société de classification à la société Equasis.

Si vous n'avez pas tous ces éléments, si vous n'avez pas le cœur même des informations que la « classe » seule connaît, comment les affréteurs et les inspecteurs peuvent-ils connaître la situation réelle d'un navire ? Equasis constitue certes déjà un progrès. Mais nous ne sommes pas allés jusqu'au bout.

Deux mots concernant les Américains. Je m'insurge contre le fait que l'on critique la convention CLC, le FIPOL et que l'on dise que l'OPA américain est un modèle dont nous serions beaucoup trop éloignés. C'est une erreur totale, et je peux veux bien vous dire que la convention CLC du FIPOL, qui est sûrement perfectible, est quasiment aussi bonne que le système américain.

Celui-ci est à double étage. Le premier est le système fédéral de l'OPA. Vous y trouvez la même chose que dans la convention CLC de 1969 et de 1992, et en premier lieu la responsabilité objective, c'est-à-dire la responsabilité sans faute, sous la réserve, il est vrai, qu'elle n'est pas limitée aux seuls armateurs concernant le système fédéral. La différence tient à ce que le système du FIPOL comprend une responsabilité limitée et que, de leur côté, comme les Américains ont refusé d'adhérer et de ratifier la convention CLC de 1969, pour pénétrer dans les eaux américaines, vous devez délivrer un certificat remis par le correspondant d'une société d'assurance qui s'engage à payer au cas où il y aurait pollution.

J'entends des personnes dire : « C'est génial, eux ont un certificat, pourquoi n'avons-nous pas cela ? ». On oublie de dire que les conventions de 1969 et de 1972 constituent un progrès considérable en présentant une assurance obligatoire, une responsabilité objective du propriétaire du navire, c'est-à-dire une responsabilité sans faute, et un recours direct de la victime contre la compagnie d'assurance. Dans tous les cas de pollution, c'est l'assureur, le « P&I Club », qui verse le montant du fonds de limitation. Cela signifie que la convention CLC conduit au même résultat que le système de l'OPA américain, voire même en mieux.

On dit qu'en Amérique il existe une responsabilité illimitée. D'abord, ce n'est pas le système fédéral de l'OPA qui le prévoit, car celui-ci définit une responsabilité objective avec un montant limité, mais ce sont certains des Etats américains, qui ont retenu le principe d'une responsabilité illimitée. Mais, en pratique, la non-limitation de responsabilité en droit maritime n'existe pas et n'existera jamais ! Dans les Etats américains où existe cette responsabilité illimitée, celle-ci ne repose que sur l'armateur et pas sur l'affréteur. C'est la raison pour laquelle aucun navire se rendant dans les eaux américaines n'est propriété d'une compagnie américaine -compagnie pétrolière ou banque par l'intermédiaire d'un G.I.E fiscal. Les banques refusent d'ailleurs le G.I.E fiscal du fait de cette responsabilité illimitée. Tous les navires qui vont en Amérique dans les Etats où existe la responsabilité illimitée sont la propriété de sociétés étrangères n'ayant aucun bien aux U.S.A, ou de « single ship company » dont la responsabilité illimitée n'est illimitée qu'à hauteur de la valeur du bateau ! Ainsi, les compagnies pétrolières propriétaires de cargaisons destinées aux Etats-Unis ne sont pas propriétaires du navire, mais affrètent un bateau navire sur lequel repose une responsabilité illimitée ne dépassant jamais la valeur du navire lui-même.

C'est la raison pour laquelle passer son temps à dire que le système américain est meilleur que le système international que nous connaissons démontre souvent une ignorance totale de la manière dont cela fonctionne aux U.S.A.

Voilà un autre point sur lequel je voudrais attirer votre attention et qui me paraît important. A partir du moment où les sociétés de classification ne peuvent pas garantir, pour des bateaux âgés de plus de 15 ans, qu'il n'y a pas de vice caché dans le bateau, que le risque zéro n'existe pas, et que, même si votre bateau est impeccable c'est l'erreur de navigation qui est malheureusement très souvent -dans 80% des cas- à l'origine, comme pour l'Exxon Valdez, de la catastrophe naturelle, il y aura malheureusement toujours des accidents maritimes et il y a aura encore d'autres pollutions.

C'est pourquoi se pose pour moi la question essentielle du port-refuge. Tout a été dit, je n'entrerai pas dans la question du Prestige, mais nous sommes tous plus ou moins élus locaux et nous savons parfaitement que, lorsque l'on veut mettre une décharge dans votre commune ou à proximité de celle-ci, cela engendre un tollé de la population locale contre la décharge. Si demain, vous deviez choisir tel endroit de France pour en faire un port-refuge, cela ne pourrait pas fonctionner.

Nous avons un système incohérent par le fait que le préfet maritime qui a la responsabilité du plan POLMAR-mer va sauver le bateau et a tous les droits en mer. Il amène le bateau sur la côte, mais l'officier de port peut lui refuser l'entrée dans son port.

Lorsque vous avez une pollution maritime en France, on ne sait plus qui prend la décision et qui doit faire quoi. On se retrouve alors dans la situation du Prestige en Espagne, où tout le monde dit : « Le navire n'aurait jamais dû être remorqué en haute mer, revenir près des côtes ou dans un port... »

Je peux vous dire que c'est ce qui avait été envisagé par la société de sauvetage SMIT, mais tous les pêcheurs, toutes les populations locales et tous les élus espagnols ont refusé que le bateau revienne sur la côte. En tout état de cause, on n'a jamais vu un bateau, en train de se briser en deux, remorqué sur une côte. Peut-être que l'on peut le sauver, - si c'est le cas tant mieux -, mais si on ne le sauve pas, il y a un risque de pollution massive.

Celui qui prend une telle décision de remorquer un navire qui se casse en deux et qui va se casser en deux à un point déterminé risque une mise en examen immédiate. Cette affaire est donc très complexe.

Je vous ai apporté un document, en anglais, décrivant le système du SOSREP, qui fonctionne apparemment très bien. Le SOSREP est un haut fonctionnaire désigné par le gouvernement, il est complètement indépendant et ne rend de comptes à personne, ni au gouvernement qui l'a nommé, ni au ministre, à personne.

Il s'entoure de tous les conseils techniques nécessaires, d'experts des sociétés de sauvetage, des armateurs, des assureurs et, après avoir recueilli toutes les décisions, toutes les informations nécessaires, c'est lui seul qui prend la décision de ce qu'il faut faire avec un navire en difficulté.

Soit on le remorque en haute mer, soit on le mène vers la côte : c'est sa décision, il n'a à rendre compte à personne. Il n'y a pas de port-refuge anticipé, c'est lui qui décidera, soit de mettre le navire sur une plage, soit de le faire entrer dans un port et toutes les autorités portuaires ou maritimes anglaises devront s'incliner devant la décision du SOSREP.

Je trouve cette formule remarquable car c'est la seule solution permettant de régler ces problèmes et de savoir comment agir en cas d'incident. Ainsi, dans le cas d'un bateau qui a pris feu en Manche et dont on ne savait pas quoi faire, le SOSREP a accepté de le faire entrer à Portsmouth, compte tenu de la qualité de la société de sauvetage qui avait éteint l'incendie à bord du navire, ainsi que du fait des précautions qui avaient été prises. C'était donc sa décision : il a donc imposé au port de Portsmouth de recevoir le navire en difficulté.

Je peux vous remettre cette documentation concernant la façon dont fonctionne le SOSREP en Angleterre. Nous devrions nous en inspirer car, s'il y a aujourd'hui unité de commandement lorsque le plan POLMAR-mer s'applique, lorsqu'il y a des problèmes à terre, le préfet maritime n'a pas d'autorité ni sur le port, ni à terre, et le secrétaire général de la mer n'a pas d'autorité non plus, il coordonne sans ordonner.

On ne sait pas qui doit prendre la décision. Lorsqu'une décision est prise, c'est aujourd'hui directement le ministre qui en subit toutes les conséquences, et je pense que cette situation n'est pas satisfaisante. Il n'est certes pas bon de dire ce qu'il faut faire à l'avance, indépendamment des circonstances. Une approche plus pragmatique est nécessaire, mais il faut permettre à une personne de prendre la décision après s'être entourée de tous les avis techniques nécessaires afin de prendre la décision idoine.

A partir du moment où cette personne a recueilli tous les avis, si cela fonctionne, tant mieux ; si ce n'est pas le cas, tant pis, mais sa responsabilité ne peut être engagée en aucune façon, sauf si elle a commis une faute grave.

Voilà ce que je voulais vous dire sur mes propres conceptions de la sécurité maritime. Je suis peut-être sorti de beaucoup de « sentiers battus », mais je vous ai livré ma conviction profonde.

M. le Président : Je vais commencer par vous poser une question très générale. Vous avez été Rapporteur de la mission commune d'information du Sénat sur l'Erika en 2000 : estimez-vous que des enseignements ont été tirés de la catastrophe de l'Erika et que les actions menées après le naufrage du Prestige ont été plus efficaces ? D'une manière générale, quelles recommandations préconiseriez-vous par ordre de priorité afin de renforcer la sécurité maritime et d'améliorer les actions d'indemnisation et de lutte contre la pollution lors d'un naufrage tel que celui du Prestige ?

Sur les lieux de refuge, nous allons recevoir après vous les inspecteurs généraux des ponts et chaussées, des Affaires maritimes et de l'environnement, en charge d'une mission interministérielle à ce sujet.

M. Henri de RICHEMONT : Vous connaissez tous les paquets Erika I et Erika II. J'ai déjà parlé des sociétés de classification. Je précise que les double-coques sont un « attrape-nigaud », qui ne sert à rien. Les double-coques seront plus dangereuses que les simple-coques car elles sont plus fragiles. C'est médiatique : c'est aberrant, mais c'est de l'illusionnisme total. Aucune pollution majeure n'aurait pu être évitée par une double coque. Tous les navires qui se sont cassés en deux depuis 10 ans l'ont été en raison de problèmes structurels qui n'auraient pas pu être évités par une double coque et qui auraient même pu être aggravés.

Du moment où la double coque sert de ballast et que les inspections à l'intérieur des ballasts sont impossibles, lorsque les double-coques commenceront à vieillir, elles seront plus dangereuses que les simple-coques avec des épaisseurs de tôle plus fines.

Les Américains ont inventé les double-coques après l'Exxon Valdez et, comme nous avons un complexe vis à vis d'eux, nous nous sommes engouffrés dans cette voie, mais j'affirme que c'est une bêtise totale. Qu'on arrête de parler des double-coques !

Je ne sais pas ce que va donner l'Agence européenne de sécurité maritime : on en parle beaucoup mais on ne fait pas grand'chose. C'est bien, mais on sait comment cela fonctionne aujourd'hui. Même si vous harmonisez les règles, un port où on contrôle trop est un port qui a mauvaise réputation. C'est pourquoi nos amis des ports d'Anvers et de Rotterdam, lorsqu'ils supputent qu'il y a un problème, disent : « Vous pouvez partir mais vous devez vous faire inspecter avant de franchir l'Atlantique ». Le navire en question arrive alors dans un port français où il est inspecté ou arrêté, ce qui est évidemment mal perçu par les armateurs et les affréteurs, mais qui permet aux ports étrangers voisins de se développer.

Un jour, il faudra européaniser, mais est-ce possible ? Je ne le sais pas. Les cultures sont tellement diverses que, lorsque l'on touche au domaine maritime, au pavillon de contrôle, on touche à l'essence même de la souveraineté. Je me demande de ce fait s'il pourra y avoir un jour un corps d'inspecteurs européens. Il serait au moins satisfaisant qu'on essaie d'harmoniser les normes du contrôle, même si elles seront appliquées en fonction des cultures de chacun des états devant contrôler.

Je trouve cependant que les normes qui ont été prises à la suite de l'Erika n'ont pas été élaborés en tenant vraiment compte de là où le bât blesse, c'est-à-dire le domaine économique, comme je l'énonçais dans mon exposé liminaire. Lorsque vous ne visez pas l'endroit où cela fait mal, c'est-à-dire à l'argent, vous ne touchez à rien du tout.

Du moment où l'on n'augmente pas systématiquement la limitation de responsabilité du propriétaire du navire en fonction de l'âge, de la dangerosité du produit, pour rendre l'assurance plus chère, on ne touche en réalité à rien. Aujourd'hui, n'importe quel vieux bateau trouve dans la journée l'assurance qu'il souhaite pour naviguer.

Si, aujourd'hui, toutes les grandes compagnies pétrolières affrètent des navires de moins de 15 ans d'âge -elles payent quasiment le même prix, il n'y a plus aucun problème pour les compagnies pétrolières-, il n'en demeure pas moins que les « traders » continuent à affréter des vieux navires qui sont dans un état épouvantable et continuent malgré tout à trouver une assurance sans difficulté.

On arrive ainsi au paradoxe suivant : les sociétés pétrolières qui commencent à racheter des navires par l'intermédiaire de filiales pour éviter les problèmes rencontrés avec les navires affrétés, parfois mal entretenus, achètent aujourd'hui de plus « à l'arrivée », c'est-à-dire à des « traders » qui eux affrètent des navires à un taux de fret le plus bas possible, et qui sont donc souvent dangereux car âgés et souvent mal entretenus.

C'est la raison pour laquelle ceux qui critiquent le système de la CLC en disant que c'est épouvantable, qu'il y a une responsabilité canalisée uniquement sur l'armateur sans toucher l'affréteur, doivent considérer que c'est une chance dans l'affaire de l'Erika que l'affréteur ait été Total. Si l'affréteur avait été libérien, les victimes n'auraient rien reçu de lui, même si vous aviez une responsabilité de l'affréteur, parce que sa surface financière est nulle.

Avec les bateaux affrétés par des « traders », on ne sait pas qui est l'affréteur et la propriété de la marchandise circule plusieurs fois au cours du voyage par le changement d'endossement des connaissements. C'est pourquoi la seule cible véritablement crédible reste l'armateur et sa compagnie d'assurance.

En voulant viser l'affréteur, vous ouvrez la possibilité de procès sans fin qui ne mèneront nulle part. C'est pourquoi je pense que les mesures qui sont aujourd'hui prises à Bruxelles pour l'Erika I et II sont imparfaites. Elles ont permis de répondre aux lacunes que nous avions constatées, mais elles ne vont toutefois pas au cœur des choses.

A mon avis, elles ne vont pas suffisamment loin concernant le contrôle des compagnies. Elles conduisent à dire que les autorités communautaires vont contrôler les sociétés de classification pour leur donner un agrément. Mais connaissez-vous un inspecteur européen qui soit plus compétent qu'un inspecteur de société de classification, de façon à pouvoir lui dire s'il a, ou non, bien fait son travail ? Non, cela n'existe pas.

La seule façon de contrôler une société de classification consiste à rendre leurs assurances obligatoires et en permettant le recours direct contre la compagnie d'assurance ; celle-ci saura alors prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que le travail de classification soit fait le mieux possible.

Pour le Prestige, je pense que l'on ne peut pas comparer les deux cas. La seule similitude porte sur le fait que, pour les deux bateaux, si dès le début les dispositions nécessaires avaient été prises -au lieu de dissimuler la vérité pour l'affaire de l'Erika, au lieu de tergiverser pour le Prestige- pour les amener immédiatement dans un port-refuge, je pense que les deux navires auraient pu être sauvés.

C'est la raison pour laquelle je me permets d'insister sur la question du port-refuge qui me paraît fondamentale et, afin d'éviter ces questions de savoir « si on y va » ou « si on n'y va pas », il faut désigner une personne qui puisse prendre la décision sous sa seule responsabilité sans avoir de comptes à rendre à personne.

M. le Rapporteur : Vous parliez de l'Espagne. Nous nous y sommes rendus dernièrement et nos interlocuteurs nous disaient que dans la législation espagnole, il y avait apparemment un article selon lequel un navire en difficulté n'avait pas le droit d'être remorqué dans les ports. Ils nous ont fréquemment avancé cela comme justification du choix effectué pour le Prestige.

M. Henri de RICHEMONT : Comme chez nous. Le préfet maritime sauve votre bateau, si le port refuse le bateau, le préfet maritime se retrouve avec son bateau et ne sait pas quoi en faire.

M. le Rapporteur : C'était l'un de leurs arguments assez forts pour justifier la gestion du Prestige vers le large.

On a parlé de l'Erika, où en est-on au point de vue judiciaire sur cette affaire actuellement ?

M. Henri de RICHEMONT : J'étais Rapporteur de la mission d'information du Sénat, je ne suis pas impliqué personnellement dans les procédures de l'Erika. Je peux toutefois dire que la procédure pénale est toujours pendante et que, pour la procédure commerciale, les experts n'ont toujours pas déposé leur rapport. Ce sont des procédures longues.

Vous avez évoqué les questions d'indemnisation : ce sont des sujets qui me sont chers, parce que je pense que le système actuel est bien supérieur au système antérieur. Il faut rappeler que la procédure pour l'Amoco Cadiz a duré 15 ans ; les frais d'avocat à Chicago se sont élevés à 20% du milliard de francs accordé par la juridiction de Chicago au gouvernement français, les communes et départements ont reçu 130 millions de francs, les honoraires d'avocat se sont élevés à la même somme. C'est l'Etat français qui a dû payer les honoraires d'avocat, donc c'est l'Etat français qui a indemnisé les communes.

La logique de la convention CLC consiste à faire primer l'indemnisation sur la recherche de la responsabilité, c'est-à-dire à éviter des procédures judiciaires. On peut aimer ou pas le système mais, 3 ans après la procédure de l'Erika, on arrive quasiment à une indemnisation totale, compte tenu du fait que l'Etat français et Total ont renoncé à produire au fonds près de 90 % des sommes acceptées par les parties dans le cadre de la procédure du FIPOL.

M. le Président : Ce que l'Etat espagnol n'a pas l'intention de faire. Le comisionado chargé de la gestion du Prestige, M. Martin Villa nous l'a clairement fait comprendre l'autre jour.

M. le Rapporteur : Vous parliez des changements de sociétés et de sociologie, du poids croissant et de l'influence des femmes sur les marins. Vous préconisez dans votre rapport le recours aux sociétés de placement. Comment se situent-elles par rapport au droit international du travail ? Comment voyez-vous les conséquences éventuelles de ce mode de gestion des personnels ?

M. Henri de RICHEMONT : M. le Rapporteur, vous connaissez comme moi le pavillon de Kerguelen. Nous l'avons créé parce que nous sommes une Nation honnête, mais par contre un peu hypocrite. Au début, nous avons voulu immatriculer, créer un registre à Djibouti, mais Djibouti a eu la mauvaise idée de devenir indépendante. Il a donc il a fallu trouver une terre lointaine où créer un registre international dispensait d'appliquer le code du travail français.

Nous avons donc préconisé la création du pavillon Kerguelen et nous avons envisagé d'y embaucher des marins étrangers, mais avec l'exigence d'un minimum de 35% de marins français. Ceci est quasiment impossible à atteindre aujourd'hui et beaucoup plus contraignant, donc cher, que pour les autres registres internationaux. C'est pour cette raison que le registre Kerguelen ne fonctionne pas. Il a alors été prévu d'appliquer le code du travail applicable outre-mer. Le problème est que le code du travail d'outre-mer n'existe pas. Tout cela se traduit par le fait qu'aujourd'hui, tous les armateurs sous registre Kerguelen embauchent leurs marins étrangers par l'intermédiaire de sociétés de placement. C'est ce qui se passe sous le pavillon Kerguelen, mais il n'y a pas là vraiment matière à critiquer, car c'est ce qui se passe partout.

Je me suis rendu à l'étranger afin de savoir comment les mécanismes en place y fonctionnaient. Au Danemark, en Norvège, en Italie, armateurs et syndicats nationaux vont aux Philippines et en Inde et y négocient des accords tripartites avec les syndicats locaux (conditions de travail, horaires de travail, salaire, protection sociale, etc.), qui s'appliquent aux armateurs, soit parce que c'est un contrat, soit sous la forme d'une convention collective : contrat pour les Norvégiens, convention collective pour les Danois et les Italiens qui appliquent tous les normes ITF. Donc les marins étrangers sont embauchés par la société de placement, mais le contrat est régi par ces conventions tripartites.

Par conséquent, le recrutement international par des sociétés de placement constitue aujourd'hui la norme dans le « shipping » international et en Europe, c'est pourquoi je dis que, si vraiment nous voulons développer un registre international français, nous sommes obligés de faire comme les autres, c'est-à-dire d'accepter le recrutement par l'intermédiaire de sociétés de placement, ce qui se fait déjà.

Le dialogue social en France n'étant pas ce qu'il est en Norvège, au Danemark, en Italie, je ne vois pas le Président d'Armateurs de France s'envoler vers la Roumanie ou Madagascar avec la CGT et la CFDT pour négocier avec les syndicats de Roumanie et de Madagascar les conditions de travail des marins étrangers ressortissants de ces pays, à bord de nos navires.

Je me suis donc posé la question suivante : Comment faire en sorte que les contrats qui seront conclus entre les compagnies enregistrées sous registre international français et les sociétés de placements soient des contrats décents ? Je propose, pour ma part, de n'immatriculer sous registre international français que les bateaux dont les armateurs s'engagent à appliquer les normes internationales en vigueur en matière de salaires, qui ne sont pas les normes OIT trop basses, mais les normes ITF.

Si vous supprimez la société de « manning », vous n'aurez pas de registre international, vous ne rapatrierez pas de navires sous pavillon français. On peut vouloir avoir les mains plus blanches mais, à force, on n'a plus de mains du tout ! Et on n'existe plus...

Regardons ce qui se passe ailleurs, faisons en sorte que cela fonctionne aussi bien chez nous qu'ailleurs, mais faisons également en sorte qu'il existe une protection digne de ce nom pour les marins étrangers à bord de navires qui seront immatriculés sous registre international français.

M. le Rapporteur : Vous préconisez des solutions pour redorer le pavillon français par rapport à d'autres...

M. Henri de RICHEMONT : Je préfère l'expression « rendre le pavillon français attractif ».

M. le Rapporteur : Que faut-il faire alors des pavillons de complaisance ? On aura toujours les bons pays et les moins bons, même si l'entrée dans l'Europe de Chypre et de Malte pourra peut-être reporter un peu le problème ailleurs ?

M. Henri de RICHEMONT : Vous touchez là un véritable problème. De savoir que, demain, Malte et Chypre seront considérés comme des pavillons européens pose un réel problème. Ils n'ont rien, ils n'ont aucune infrastructure en ce qui concerne le contrôle ou l'inspection, ils délèguent tout aux sociétés de classification qui délèguent elles-mêmes à leurs antennes locales au bout du monde. C'est un réel problème.

Je souhaite d'abord rapatrier les bateaux français qui se trouvent sous les pavillons de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, du Libéria ou de Panama sous pavillon français et faire en sorte que le registre national français soit quasiment identique aux autres registres internationaux européens, et que le registre international européen soit aussi attractif que les pavillons de complaisance. Il n'y aura alors plus d'intérêt pour les armateurs d'immatriculer un navire sous pavillon de complaisance.

Tout le monde sait que le Libéria est finalement le deuxième pavillon américain et que d'excellents navires sont sous pavillon du Libéria, cependant que d'autres navires « horribles » sont sous des pavillons qui ne sont pas des pavillons de complaisance, mais des pavillons standard.

M. Daniel PAUL : Oui, mais les mauvais navires sont aussi sous pavillon Libérien !

M. Henri de RICHEMONT : Oui, mais inversement, tous les pétroliers américains qui sont sous pavillon du Libéria sont les navires les plus modernes et les plus performants. Les pétroliers, les gaziers qui valent des sommes astronomiques et qui transportent des matières très chères, sont sous pavillon Libéria. Le pavillon Libéria a d'excellents navires. On ne peut pas dire : « pavillon de complaisance = navire poubelle », car ce lien automatique n'existe pas.

M. le Rapporteur : Par rapport à l'Erika et au Prestige, dans le rapport de la Commission d'enquête sur l'Erika, était en particulier évoquée l'impréparation du plan POLMAR-terre. Quel est votre regard sur la gestion comparée de ces deux catastrophes ?

Quelle est votre opinion sur d'éventuels garde-côtes français ou européens ?

M. Henri de RICHEMONT : Le préfet maritime a quasiment tous les pouvoirs, il peut mobiliser la douane, la gendarmerie maritime, les Affaires maritimes, donc le système du préfet maritime, à mon sens, est aussi efficace que le système des garde-côtes américains.

Le Prestige a été accepté par les garde-côtes américains. Comme l'Erika, il avait eu un coefficient de ciblage de 8 au fichier Sirenac, c'est-à-dire un excellent coefficient, et le Prestige avait été jugé apte par les garde-côtes américains.

Tout le monde parle des garde-côtes américains et, en matière de sécurité maritime, tout le monde pense que les Américains ont « découvert la lune » et que nous n'avons rien découvert, mais ce n'est pas vrai, nous avons un bon système avec le préfet maritime. Les autres Etats européens n'ont d'ailleurs pas du tout le même système, chacun fait comme il l'entend.

Il y a des divergences fondamentales en Europe entre les différents systèmes nationaux de contrôle, de protection et de mesures à prendre en cas de problème. C'est là que se trouve la difficulté. Notre système, avec quasiment tous les pouvoirs entre les mains du préfet maritime, me paraît excellent.

Concernant POLMAR-mer, dans mon rapport sur l'Erika, j'avais expliqué qu'il avait fonctionné convenablement. Mais, pour POLMAR-terre, c'était en réalité une véritable catastrophe. Les plans POLMAR-terre de chaque département étaient obsolètes et n'avaient pas été révisés depuis 20 ans, démontrant une impréparation totale et une gestion trop localisée des crises.

Je me souviens des propos du préfet maritime de l'époque et même de ceux d'un Anglais me disant qu'ils avaient l'impression que la pollution était survenue dans 15 pays différents. En effet, chaque fois qu'on s'adressait à un sous-préfet différent, chacun avait sa propre conception, il n'y avait aucune uniformisation de la lutte contre la pollution, alors qu'en cas de pollution maritime, il n'existe plus ni département ni région.

C'est la raison pour laquelle j'avais proposé que le préfet de zone de défense soit le préfet coordinateur, qu'il centralise les moyens, de façon que chacun ne garde pas les moyens lorsque ce n'est pas nécessaire, tandis que les autres en manqueraient, etc.

Dans l'affaire du Prestige, le plan POLMAR n'a quasiment pas été déclenché, à part quelques exceptions, et je regrette qu'au lieu de parler de pollutions maritimes, on ait parlé de « marée noire ». J'ai pensé que vis-à-vis des personnes habitant la Galice et des victimes de l'Erika, il n'était pas correct de mettre les deux situations sur le même plan. Des galettes sur les plages n'ont rien à voir avec ce que nous avons connu avec l'Erika.

M. le Rapporteur : Nous le voyons tous les week-end depuis un moment. Cela se gère différemment.

M. Henri de RICHEMONT : Pour avoir été mêlé à plusieurs affaires de pollution à l'étranger, en Afrique, au Maroc et même en France, je prétends que la presse fait des dégâts épouvantables. La moindre petite chose est montée en épingle. Certains pays étrangers, que je ne citerai pas ici, lorsqu'il y a un problème de pollution sur leurs côtes, font un « black-out » total : à la presse, ou à la télévision, rien n'est dit ; en revanche, ensuite, le montant des indemnisations est considérable, mais rien n'est dit afin de protéger l'image touristique de la côte.

En faire systématiquement un drame peut être problématique. Certes, ces phénomènes sont insupportables et inadmissibles, mais il faut savoir aussi raison garder. On peut nettoyer facilement les « boulettes » et on fait davantage de mal en en parlant beaucoup trop, alors qu'il vaudrait mieux quelquefois préférer présenter des plages propres.

Mme Hélène TANGUY : C'est ce que nous faisons actuellement.

M. Henri de RICHEMONT : Dans ma région, c'était catastrophique. Au moment de l'Erika, on a placé Marennes Oléron en Bretagne ! Lorsque les journalistes parlaient d'Oléron en Bretagne, c'était un dommage collatéral car, alors qu'il n'y avait pas de pollution à Marennes Oléron, les ostréiculteurs ont subi un préjudice considérable de par l'ignorance de certains journalistes.

Je vous tiens des propos très personnels. Il y a une pollution inadmissible. Mais c'est une forme d'inflation verbale que de parler de marée noire pour ce qui s'est passé sur les côtes françaises avec le Prestige. Mais, je le répète, c'est là une pensée très personnelle.

M. Jacques LE GUEN : J'aurais voulu revenir sur deux points. Premièrement, vous avez parlé d'assurances douteuses : ne croyez-vous pas qu'avec le découplage entre les limitations de niveau de responsabilité, on n'ait pas une orientation de la part d'affréteurs et de navires vers de telles assurances de complaisance?

M. Henri de RICHEMONT : Il n'y a pas vraiment d'assurance « bidon ». Les assurances fonctionnent plutôt bien. Aujourd'hui, avec la convention CLC, vous ne pouvez pas avoir de pétroliers qui naviguent sans avoir un certificat du « P&I club ». Ce certificat est obligatoire, j'ai plutôt parlé d'assurance obligatoire.

L'assurance obligatoire, c'est l'apport de la convention CLC par rapport au droit commun. En droit commun, vous n'avez pas d'action directe de la victime contre l'assureur, donc vous devez vous retourner contre l'assuré et c'est celui-ci qui est condamné et qui doit payer ; ensuite le club ou l'assureur le rembourse. L'apport de la convention CLC porte sur la responsabilité objective sans faute du propriétaire du navire -il est objectivement responsable-, l'assurance obligatoire -elle ne peut pas être bidon- et le recours direct contre la compagnie d'assurance qui est obligée de verser le montant du fonds de limitation.

Dans l'affaire de l'Erika, le club a payé deux fois, il a ouvert le fonds de limitation conformément aux termes de la convention de 1992 et, pour permettre une indemnisation rapide, il a mis à la disposition des victimes le montant du fonds. C'est pour cela que lorsque les victimes étaient indemnisées dans le cadre de la procédure du FIPOL et du fonds, il y avait une subrogation des victimes au profit du club, afin de permettre à ce dernier de se rembourser auprès du fonds qu'il avait lui-même ouvert.

Il n'y a pas d'assurance « bidon », il y a une assurance objective ; par contre, si vous voulez retenir la responsabilité de l'affréteur, c'est là que vous êtes dans un système très compliqué parce qu'aujourd'hui, plus de la moitié des pétroliers qui naviguent sont affrétés par des « traders » et ceux-ci vendent de « traders » à « traders »", donc savoir qui est l'affréteur et le propriétaire de la cargaison est quasiment impossible.

Même si vous le savez, comme dans l'affaire du Prestige, certaines sociétés de « traders » sont basées dans un paradis fiscal avec aucune surface financière très faible. Donc, cela ne sert à rien : l'important est d'avoir une assurance obligatoire importante de l'armateur contre lequel vous pouvez vous retourner sans avoir à chercher à identifier préalablement qui est qui.

Lorsque vous lisez dans la presse, au moment de l'Erika ou du Prestige, que c'est compliqué, qu'on ne sait pas qui est qui, c'est en réalité relativement simple puisque le responsable objectif est le propriétaire enregistré. C'est lui qui est obligatoirement et objectivement responsable, peu importe si le navire est sous-affrété. Peu importe s'il y a une cascade d'affrètements, c'est le propriétaire enregistré qui est responsable, il est assuré et son assureur devra payer. C'est pour cela que le système CLC permet une indemnisation rapide et certaine.

M. Jacques LE GUEN : Par quel mécanisme pourrait-on arriver à l'harmonisation des normes de contrôle ?

M. Henri de RICHEMONT : Par l'Agence européenne à qui on donne actuellement simplement le pouvoir de contrôler les sociétés de classification. Contrôler avec quoi et comment ? Je n'en sais rien.

Pour moi, il est difficile de trouver des inspecteurs plus compétents que les inspecteurs des sociétés de classification. A mon avis, c'est par l'économie que vous arriverez à contrôler et pas par le système des contrôles administratifs.

Cela étant, s'il existait des normes drastiques sur les contrôles de l'Etat du port -qui seront toujours superficiels- il conviendrait au moins qu'on empêche un navire de partir sans pouvoir être certain que sa citerne de résidus soit vide. Il est également important de regarder les contrats d'embauche des marins, etc.... Ce sont des questions primordiales.

Que ce soit fait systématiquement de la même façon dans tous les ports serait une bonne décision, mais le problème est que l'on sait que les règles européennes, même si elles existent, ne sont pas appliquées dans tous les pays de la même façon et vous aurez malheureusement toujours une disparité entre les Etats.

M. Daniel PAUL : Je dois dire que je me retrouve dans un certain nombre de points énoncés par mon collègue. Nous nuançons sur un certain nombre d'analyses, sans doute nous faisons même plus que nuancer sur un certain nombre de propositions, mais c'est autre chose.

Lorsque nous nous étions rendus à Anvers pour un tout autre objectif, dans le cadre de la délégation à l'Union européenne, j'avais été surpris par la quantité phénoménale de véhicules d'occasion qui y transitaient. C'est le premier port européen pour le transfert vers les autres pays, africains en particulier, des véhicules d'occasion venant de l'ensemble des pays européens.

Les responsables portuaires m'avaient dit qu'ils avaient une parfaite connaissance du fait qu'une grande partie de ces véhicules étaient volés, mais ils ne voulaient surtout pas que les enquêtes viennent jusqu'à leurs quais, car cela créerait un préjudice pour leur trafic.

M. Daniel PAUL : Sur le double coque, j'ai le même sentiment que vous, mais je serais plus prudent, je n'appliquerais pas cette condamnation, qui semble générale, du double coque. Un double coque mal entretenu est un danger, un simple coque bien entretenu est un navire qui peut durer.

M. Henri de RICHEMONT : Absolument !

M. Daniel PAUL : Dans votre région, il y a eu un projet qui s'appelle l'E3. Dès lors que le double coque ne serait plus vu comme perspective, est-ce que l'E3, qui semble avoir subi quelques coups, ne pas devrait pas être de nouveau défendu ?

Je suis d'accord avec vous pour toucher à l'argent et je souhaite que votre phrase portant sur cet aspect soit gravée à l'encre rouge dans l'audition de notre collègue. Je pense en effet que c'est le nœud du problème : on pourra toujours faire les meilleurs textes...

Lorsque l'on rencontre des autorités américaines, c'est ce qu'elles nous disent, avec d'autres mots évidemment, mais elles rencontrent des difficultés, elles aussi, malgré les moyens considérables qu'elles ont mis en place.

Responsabiliser le propriétaire du navire, oui, mais, en même temps, me vient une question : ne faudrait-il pas revenir sur un certain nombre de possibilités de décisions qui ont été prises par certains pays producteurs de fioul n°2, de produits très polluants ? L'Académie de marine vient de sortir un excellent rapport. S'il faut responsabiliser les propriétaires de navires, peut-être faut-il responsabiliser également les pays autorisant la production sur leur sol de fioul n°2, mais qui interdisent son utilisation sur leurs terres, donc, qui obligent les sociétés pétrolières à l'exporter. Si vous produisez du fuel n°2, utilisez-le !

Par ailleurs, je suis d'accord avec vous sur le fait que nous n'avons rien à envier au « coast-guards », et qu'il faut arrêter de les citer en exemple. Qui plus est, je dirais que si tous les moyens des différents pays européens étaient mis en commun de façon correcte, nous disposerions aujourd'hui de moyens supérieurs à ceux des « coast-guards », en termes réglementaires et quantitatifs.

Concernant le plan POLMAR, je ne sais pas où cela en est mais il serait intéressant de savoir si l'une des recommandations qui avaient été faites est appliquée. A ma connaissance, vous l'aviez également faite. Nous avions constaté que les plans POLMAR-terre n'avaient pas été expérimentés -vous parliez de 20 ans, je pense que c'est à peu près cela- et nous avions demandé qu'ils le soient tous dans les années qui suivaient.

Je pense qu'il serait intéressant de vérifier si toutes les régions maritimes ont vérifié la faisabilité de leur plan. Nous avions constaté des choses surprenantes !

M. Henri de RICHEMONT : Je voudrais répondre sur le fioul lourd n°2. Je ne connais pas une raffinerie ne produisant pas de fioul lourd n°2. 50% des centrales électriques italiennes sont alimentés par du fioul lourd n°2. Le problème que vous mentionnez est de savoir quoi en faire.

Vous avez au large de Gibraltar de vieux navires poubelles emplis de fioul lourd n°2 où des navires viennent se ravitailler et nous nous étions demandés si le Prestige n'allait pas à Gibraltar pour s'y ravitailler.

Lorsque vous dites que nous devons utiliser le fioul lourd n°2 dans notre pays, le problème est que c'est horrible pour l'effet de serre. C'est très polluant et on ne sait pas quoi en faire.

Jusqu'à présent tous les raffineurs en produisent, on cherche le débouché parce qu'on ne sait pas quoi en faire. C'est une source d'énergie, c'est un produit qui se vend, c'est un hydrocarbure. Il est utilisé par les centrales électriques italiennes et par celles du tiers monde.

Or, le jour où toutes les centrales seront nucléaires -cela me paraît moins polluant, mais beaucoup de personnes ne sont pas d'accord avec moi- je ne sais pas ce que l'on fera du fioul lourd n°2 et, si vous nous demandez de l'utiliser en France, je ne saurais pas dire à quel usage.

M. Daniel PAUL : On dit qu'il faut l'utiliser dans le pays pour limiter les exportations, et on le peut. Vous parlez du port du Havre, il y a une raffinerie où l'on est en train d'installer un système qui permettra de consommer le fioul n°2 jusqu'au fond du baril de pétrole. Alors que là, lorsque l'on produit du fioul n°2, cela signifie que l'on ne va pas jusqu'au bout de la distillation.

M. Henri de RICHEMONT : En tout état de cause, je crois pouvoir dire que du fioul lourd n°2 transporté dans des navires neufs, qui passent à des produits tantôt « blancs », tantôt « noirs », qui sont lavés et entretenus, permet de réduire sensiblement le danger lié au transport.

M. Daniel PAUL : Nous sommes d'accord.

Mme Hélène TANGUY : En vous entendant, M. le sénateur, j'ai une inquiétude lorsque vous parlez de l'entrée de Chypre et de Malte dans l'Union européenne. J'ai reçu dans ma commune le ministre des Affaires étrangères de Chypre, il y a peu de temps, qui venait avec notre ministre Noëlle Lenoir et qui nous promettait beaucoup de sévérité à l'avenir, et faisait des promesses de sérieux.

Je suis très inquiète et je voudrais avoir votre sentiment. Quel peut être le poids demain d'une politique européenne approfondie dans ce domaine, si elle doit intégrer la politique de tels pays ?

M. Henri de RICHEMONT : Je crois que cela sera fait en mai 2004, ils seront dans l'Union européenne et devront appliquer toutes les conventions de l'OMI ainsi que toutes les autres conventions. Malte ne représente que 200 000 habitants. S'ils n'ont pas les inspecteurs, tout le système et l'infrastructure pour contrôler la flotte, comme nous le faisons avec les Affaires maritimes ou les Douanes, je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner. Mais il faut avoir l'honnêteté de le dire. Nous aurons parmi les pavillons européens un véritable pavillon de complaisance.

Les registres bis dont je parle, les registres internationaux danois, norvégien, italien, ou français que je veux créer, ne correspondent pas à des pavillons de complaisance, car les normes de sécurité sont appliquées de façon rigoureuse, mais si vous n'avez pas une compétence et une infrastructure afin d'appliquer les normes de sécurité, il y a alors un réel problème.

Audition conjointe de
Mme Marjorie OBADIA, Magistrat, Chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement à la sous-direction de la Justice pénale spécialisée du ministère de la Justice
et de M. François NICOT, Procureur de la République
auprès du Tribunal de grande instance de Brest


(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2003)

Présidence de M. Edouard LANDRAIN, Président

Mme Obadia et M. Nicot sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux Commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Obadia et M. Nicot prêtent serment.

M. le Président : Cette audition s'inscrit dans la problématique importante de la répression des dommages à l'environnement résultant des pollutions accidentelles suite à des sinistres maritimes ou délibérés comme dans le cas des dégazages sauvages. Cette problématique a notamment trouvé une nouvelle actualité, il y a une quinzaine de jours, avec le cas du navire affrété par la CMA-CGM qui a été pris en flagrant délit de dégazage et sur lequel nous reviendrons tout à l'heure.

Mme Marjorie OBADIA : Sur la présentation du dispositif pénal général en matière de répression des pollutions marines, il faut d'abord noter l'évolution législative récente, et notamment les réactions législatives consécutives au dossier de l'Erika, au mois de décembre 1999, puis la réamorce législative qui s'est enclenchée notamment à l'initiative du Garde des Sceaux, à la suite du dossier du Prestige, dont le naufrage a causé des dommages environnementaux considérables.

Le dispositif pénal général et son évolution doivent être examinés sous deux aspects :

- des articles répressifs en matière de pollution, qui constituent le droit pénal de fond. Dans le cas de pollution par hydrocarbures, la majorité des infractions sont dites intentionnelles ou quasi-matérielles, à savoir que l'infraction est constituée par la présence d'un rejet illicite qui crée de fait une pollution marine ;

- un article spécifique sur les pollutions dites accidentelles.

C'est sur ces deux aspects que le législateur s'est penché au fil des années.

Pour dresser un rapide historique de la législation pénale, il convient tout d'abord d'insister sur le caractère éminemment international de cette législation. Le droit maritime est essentiellement un droit international et, en matière de pollutions marines, c'est la convention dite MARPOL (1973-1978) qui est l'inspiratrice directe de notre arsenal répressif.

Cette convention, extrêmement technique, constitue en fait une convention d'interdiction des rejets. Elle donne la définition des substances nuisibles qui sont « toute substance dont l'introduction dans la mer est susceptible de mettre en danger la santé de l'homme, de nuire aux ressources biologiques, à la faune et à la flore marines, de porter atteinte à l'agrément des sites ou de gêner toute autre utilisation légitime de la mer, et notamment toute substance soumise à un contrôle. »

Cette convention définit également -et c'est une définition essentielle- la notion de rejet : en l'espèce, « tout déversement provenant d'un navire quelle qu'en soit la cause et comprenant tout écoulement, évacuation, épanchement, fuite, déchargement par pompage, émanation ou vidange ». Ensuite, la convention MARPOL pose la définition de ce qu'est un navire. En l'occurrence, la législation pénale française ne s'applique pas uniquement aux navires au sens strict, mais également aux plates-formes et autres engins. Etant donné que cette convention internationale a des incidences en matière d'entraide et de compétences pénales et juridictionnelles, elle définit, au vu d'ailleurs de la convention portant droit international de la mer -la convention de Montego Bay-, quelles sont les autorités, sachant que le principe est que la première autorité responsable est l'autorité du pavillon, mais qu'il peut y avoir d'autres intervenants, notamment l'Etat côtier souhaitant protéger les eaux placées sous sa juridiction à l'égard des autres navires.

La convention pose le principe que toute violation de ses dispositions est sanctionnée par la législation de l'Etat dont dépend le navire, quel que soit l'endroit où se produit l'infraction. La convention impose l'engagement de poursuites si les preuves sont suffisantes : soit l'Etat partie poursuit lui-même si sa juridiction est établie, soit l'Etat partie fournit à l'Etat dont dépend le navire les preuves qui sont en sa possession, et l'Etat concerné informe l'autre partie des mesures prises.

Il y a lieu d'ajouter que, s'agissant des sanctions, même si la convention en elle-même n'est pas une convention pénale en ce sens qu'elle ne fixe pas un seuil de répression minimale, elle pose le principe des sanctions pénales qui doivent être de nature à décourager les contrevenants éventuels ; elle est d'une sévérité égale quel que soit l'endroit où l'infraction est commise.

A cet égard, on peut faire un parallèle entre cette convention et le projet européen en cours, à l'initiative de la Commission européenne, qui est constitué d'un projet de directive et d'une décision cadre visant à établir des seuils de sanction pénale en la matière.

Pour en revenir à la dichotomie infraction volontaire/infraction non volontaire, l'esprit de la convention MARPOL vise à sanctionner le rejet en mer décidé en toute connaissance de cause par le capitaine d'un navire.

Cette convention, principalement axée sur les rejets volontaires, envisage néanmoins les pollutions dites accidentelles. Il n'en est pas fait état dans le corps même de la convention, mais dans deux de ses cinq annexes. La règle 2 de l'annexe 1, consacrée aux hydrocarbures, et la règle 6 de l'annexe 2, consacrée aux substances liquides nocives en vrac, mentionnent une exception à la poursuite pénale en cas de rejet en mer dans les cas suivants :

- pour assurer la sécurité du navire,

- pour sauver les vies humaines en mer,

- lors d'une avarie survenue au navire ou à son équipement, sous réserve toutefois que les précautions raisonnables aient été prises après l'avarie ou la découverte du rejet pour l'empêcher et le réduire, et sauf si le propriétaire ou le capitaine a agi avec l'intention de provoquer le dommage, ou témérairement, ou avec conscience qu'un dommage en résulterait probablement.

Par ces exceptions à l'exception, les annexes à la convention MARPOL posent le principe qu'en dehors des cas de rejets volontaires, s'il est établi que celui qui a la responsabilité de la marche du navire, après un accident de mer -avarie, collision ou naufrage-, ne prend pas toutes les précautions utiles pour éviter la pollution, il peut être pénalement sanctionné, au vu de notre législation, par une infraction d'imprudence.

C'est le mécanisme international qui a été transposé par la loi du 5 juillet 1983 -loi codifiée dans le code sur l'environnement-, laquelle s'est totalement adossée à la convention MARPOL. De ce fait, la lecture de nos articles législatifs, qui sont très techniques, est très malaisée dans la mesure où la répression se fait en fonction de la jauge du navire -plus ou moins de 150 tonneaux, etc. De plus, cette loi se référant à la convention, il est préférable d'avoir au préalable une bonne connaissance de la convention pour pouvoir appréhender l'infraction pénale. Mais c'est l'aspect extrêmement technique de la convention MARPOL qui a exigé cette rédaction de la loi.

Les infractions prévues par le code de l'environnement sont fonction de la taille du navire. S'agissant du délit de pollution accidentelle, il a été prévu par l'article 8 de la loi de 1983, aujourd'hui codifié à l'article L.218-22. Cette infraction non intentionnelle, qui correspond à celle des dossiers de l'Erika et du Prestige, sanctionne l'imprudence, la négligence ou l'inobservation des règlements qui ont eu pour conséquence un accident de mer imputable au capitaine ou au responsable de la conduite ou de l'exploitation qui a provoqué un tel accident ou qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'éviter lorsque cet accident a entraîné une pollution des eaux territoriales, des eaux intérieures et des voies navigables.

Il y a donc plusieurs éléments constitutifs dans cette infraction : l'accident de mer, l'absence de précaution, l'imprudence qui doit être caractérisée, et l'effet. En ce concerne ce dernier, l'imprudence doit avoir pour effet les pollutions observées dans nos eaux territoriales.

A cet égard, on peut prendre pour exemple le dossier de l'Ievoli Sun. Le naufrage de ce chimiquier, transportant du styrène, avait donné lieu à l'ouverture d'une information auprès d'un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris. Le parquet de Paris avait ouvert une information dans la perspective de retenir éventuellement une infraction d'imprudence pour cet accident ayant donné lieu à des pollutions. En l'occurrence, ce dossier a donné lieu à une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction dans la mesure où il a été observé que le naufrage de l'Ievoli Sun en zone économique exclusive (ZEE), en raison du caractère volatile du styrène, n'avait donné lieu à aucune pollution constatée dans nos eaux territoriales. De ce fait, l'infraction n'était pas constituée, puisque l'élément de cette infraction est aussi constitué de l'existence d'une pollution des eaux territoriales françaises.

Il s'agit donc d'une infraction complexe qui donne lieu à l'application de la loi dite Fauchon du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels. Celle-ci exige désormais, pour les personnes physiques, lorsqu'il n'y a pas un lien de causalité directe entre la faute et le préjudice, l'exigence d'une faute davantage caractérisée que la faute d'imprudence, c'est-à-dire soit une faute délibérée, soit une faute caractérisée. Désormais, les magistrats ont donc un travail de preuve supplémentaire à effectuer en la matière.

Pour continuer dans l'historique du processus législatif, est intervenue, après la loi de 1983, celle du 13 mai 1990 qui a renforcé cette infraction de pollution accidentelle. Cette dernière stipulait expressément que l'infraction était applicable à bord des navires et des plates-formes français ou étrangers. Il y a, dans la gestion de ces procédures, différents éléments d'extranéité dans la mesure où l'on est souvent, d'une part, dans des zones sous juridiction française, mais au-delà de notre territoire au sens du code pénal, d'autre part, face à des navires pour la plupart étrangers.

Par ailleurs, la loi pénale doit fixer tous les critères : les zones que l'on protège par la loi pénale, les personnes étrangères que l'on peut punir, les peines que l'on peut appliquer, etc. Cette complexité résulte du fait qu'il s'agit d'une matière qui, par nature, est éminemment internationale.

Au stade des responsabilités pénales, le processus législatif fixe comme premier responsable pénal le capitaine ou le responsable à bord. Cela étant dit, il y a eu une évolution législative due à la proposition de loi de M. Le Bris, qui est devenue la loi du 3 mai 2001, laquelle a considérablement renforcé la répression des pollutions marines et a accru, en particulier, pour l'infraction de pollution volontaire, la responsabilité des personnes morales. Il s'agit d'un élément très important parce qu'au-delà du capitaine, il faut rechercher le propriétaire et les sociétés marines ou nautiques. Derrière la responsabilité de l'exploitant, on peut maintenant rechercher celle des personnes morales.

Le deuxième aspect renforçant considérablement cette répression dans un sens utile pour l'efficacité de la loi pénale est l'élargissement du champ des responsables pénaux à toute personne autre que le capitaine ou le responsable à bord qui exerce, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire.

Le monde maritime étant un monde complexe au regard des multiples acteurs du secteur commercial maritime, cela permet au juge recherchant les éventuelles responsabilités pénales de ne pas s'arrêter à la personne du propriétaire ou de l'armateur. Dès lors qu'il établit l'existence d'une faute, il peut aller rechercher toute personne, y compris une société de classification, un affréteur, dont il pourrait prouver qu'elle a joué un rôle dans le contrôle et la gestion de la marche du navire et qu'elle a contribué à l'infraction de pollution marine.

Cet élargissement des responsabilités pénales, tant au niveau des responsables -personne morale ou physique-, de la liste des responsables pénaux que de l'extension du délit qui peut être un délit de commission ou d'omission, a sensiblement renforcé l'arsenal pénal.

Au niveau des pénalités en elles-mêmes, il faut de nouveau faire intervenir des notions de droit international, notamment la convention de Montego Bay, et plus particulièrement son article 230 qui a été reproduit dans le code de l'environnement à l'article L.218-21. Selon cet article, dès lors que le responsable pénal est une personne étrangère et que l'infraction a été commise hors de nos eaux territoriales, c'est-à-dire en ZEE ou en zone de protection écologique (ZPE), les peines pouvant être prononcées ne peuvent être que pécuniaires.

Il s'agit d'un élément important à retenir qui n'a pas échappé à la Chancellerie quand, dans le projet de loi actuel du Garde des Sceaux, il a été prévu un renforcement considérable des peines d'emprisonnement encourues. En l'état du droit international, ce renforcement de peines ne sera pas applicable aux navires étrangers qui commettront ces délits en ZEE et en ZPE.

Par ailleurs, un autre aspect important, qui existe depuis la loi de 1983, tend à rechercher à améliorer l'exécution des sanctions pénales. Il s'agit d'un article du code de l'environnement qui dispose que les amendes qui peuvent être prononcées, en particulier lors de rejets intentionnels, contre le capitaine ou le responsable à bord, peuvent être mises à la charge du propriétaire ou de l'exploitant. Tout d'abord, cela prend acte des conditions de travail du capitaine. Souvent, l'on constate que le capitaine, malgré l'adage selon lequel il est « seul maître à bord », est soumis de fait à des conditions de travail et à des contraintes fortes, et est sous la pression de certaines sociétés maritimes. De fait, il était important de pouvoir poser un principe de responsable civil de droit et de dire que les amendes, qui sont de plus en plus importantes, pourraient être placées à la charge du propriétaire, ou de l'exploitant, qui doit être préalablement cité devant le tribunal.

Voilà pour l'exposé général de l'état du droit.

La loi du 3 mai 2001, issue de la proposition de loi de M. Le Bris, augmentait déjà les peines, mais uniquement s'agissant des pollutions volontaires -dégazage ou déballastage. Cette proposition de loi est issue du constat, qui a suivi la catastrophe de l'Erika, de l'urgente nécessité de renforcer la répression et de pouvoir appliquer des peines dissuasives. Mais justement, les données statistiques démontraient que les pollutions subies par nos côtes sont proportionnellement beaucoup plus importantes avec les déballastages ou les dégazages, qu'avec les marées noires consécutives à des accidents de mer. Cette proposition de loi avait nettement pour objet de renforcer la répression des déballastages et des dégazages.

L'actuel projet de loi du Garde des Sceaux va dans le même sens. Il renforce ces peines, mais aussi la répression des pollutions accidentelles, c'est-à-dire du délit utilisé dans les dossiers type Erika ou Prestige. Auparavant, les peines allaient jusqu'à quatre ans d'emprisonnement pour le délit le plus grave, pour les navires d'une jauge supérieure à 150 tonneaux, et à 600 000 euros d'amende. Ces peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 1 million d'euros d'amende.

En ce qui concerne les peines complémentaires, il en existait déjà un certain nombre, notamment la peine d'affichage, de publication du jugement, de mise sous surveillance d'une personne morale, puisque les délits sont applicables aux personnes morales. Le projet de loi instaure de nouvelles peines complémentaires, notamment celle qui nous paraît dissuasive, et qui prévoit que les tribunaux correctionnels peuvent avoir la possibilité, plutôt que de prononcer une peine d'amende, de prononcer une peine équivalente aux deux tiers de la cargaison du navire. Tout dépend bien sûr de la valeur de la cargaison du navire, car on sait aussi que le problème de certains transports maritimes est que la qualité du fioul ou du pétrole transporté n'a pas une énorme valeur. Mais pour peu que les substances transportées aient une valeur certaine, cette peine aura un intérêt.

Au titre des peines complémentaires, sont également introduits l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, la fermeture des établissements, l'exclusion des marchés publics, la confiscation de tout ou partie des biens de la personne physique ou morale. Cette dernière peine est appliquée pour les infractions les plus graves, notamment en matière de stupéfiants ou de criminalité organisée.

Ceci concernait l'aspect droit pénal de fond.

Il convient maintenant d'aborder maintenant un autre aspect : celui de la procédure. On en vient à la compétence juridictionnelle et notamment au renforcement de la compétence des juridictions spécialisées qui ont également été créées par la loi Le Bris du 3 mai 2001.

Ce sont là encore des questions complexes car elles comportent des éléments d'extranéité. Les espaces maritimes, au vu de la convention de Montego Bay, sont définis en différentes zones. Nos eaux territoriales ont toujours été partie intégrante du territoire de la République, au sens du code pénal. En revanche, dès lors qu'on dépasse nos eaux territoriales, ZEE ou ZPE équivalente, ou haute mer, on tombe dans des problématiques plus complexes. Il revient alors au législateur de fixer la compétence juridictionnelle et territoriale, au vu de la convention de Montego Bay, pour savoir si nos tribunaux correctionnels sont en capacité juridique ou pas d'appréhender ces infractions.

Je rappellerai les deux principes qui apparaissent dans le code pénal :

- le principe de compétence territoriale, c'est-à-dire le territoire de la République ou les parties placées sous juridiction pénale française ;

- la loi du pavillon, qui avalise le grand principe de Montego Bay, c'est-à-dire nos navires où qu'ils soient.

Cela conduit à ce que nous ayons une compétence pour nos navires, même dans des espaces maritimes qui sont hors de toute juridiction du type de la haute mer, qui n'appartient à personne et où règne le principe de la liberté.

La loi de 1983, au fil des dispositions législatives, a été modifiée et complexifiée, mais dans le sens d'une bonne administration de la justice. La loi de 1983 fixait comme compétence :

- le tribunal du lieu de l'infraction,

- le tribunal du lieu où le navire est attaché en douane,

- le tribunal du lieu où le navire est immatriculé, c'est-à-dire l'Etat du pavillon,

- le tribunal du lieu où le navire est trouvé s'il est étranger. Par exemple, si le navire fait naufrage, et qu'il dérive avant d'être trouvé dans un port, il y a alors compétence du tribunal du port ;

- à défaut d'autre compétence, le tribunal de Paris. Ce dernier recevait ainsi une compétence résiduelle en droit, mais très importante en fait.

C'est la raison pour laquelle le dossier de l'Erika, qui fait suite à un naufrage en ZEE française, a été ouvert au tribunal de grande instance de Paris. En revanche, ce n'est pour cette raison que le dossier du Prestige est ouvert à Brest, mais j'y reviendrai au fil des modifications législatives.

La principale modification législative est donc la loi du 3 mai 2001 qui, prenant acte de la nécessité d'une spécialisation des juridictions, a créé les juridictions du littoral maritime spécialisées. Ces dernières ont été créées par un décret du 11 février 2002. L'objectif principal était le rapprochement, dans le souci d'une meilleure efficacité de l'action pénale et d'une meilleure coordination des préfectures et administrations maritimes et des juridictions pénales. C'est pourquoi a été créé le tribunal de Brest pour le littoral atlantique, le tribunal du Havre pour la Manche Nord et celui de Marseille pour la Méditerranée (hors l'outre-mer).

S'il n'y a pas de concordance parfaite entre préfecture maritime et tribunal de grande instance, en l'occurrence Le Havre ou Marseille, c'est parce que le ministère de la justice s'est aussi attaché à donner à ces tribunaux une compétence adaptée à la taille des tribunaux, de façon à ce qu'ils soient en mesure d'absorber le contentieux nouveau.

La compétence était réservée aux pollutions commises dans les eaux territoriales, sachant que le tribunal de grande instance de Paris conservait la compétence juridictionnelle pour toutes les infractions commises en ZEE et pour les infractions commises en haute mer par les navires étrangers. C'est assez complexe au niveau procédural, mais pour chaque espace maritime, il est nécessaire de fixer une compétence juridictionnelle.

L'évolution suivante est la loi du 15 avril 2003, qui a créé la Zone de protection écologique, la ZPE. Elle crée cette zone en Méditerranée pour des motifs liés à l'absence de zone économique exclusive en Méditerranée, notamment en raison de difficultés liées aux activités de pêche. Dans la même logique de la création de cette ZPE, le législateur a étendu la compétence des tribunaux spécialisés, pour avoir une répression plus efficace, non seulement face aux infractions commises dans les eaux territoriales mais également face à celles commises en ZPE, -en l'occurrence le tribunal de Marseille-, et en ZEE.

J'en viens au projet de loi du Garde des Sceaux qui reprend ce dispositif, suite au travail accompli par la commission des Lois avant l'examen en première lecture par l'Assemblée, et affine les compétences juridictionnelles, en prenant en compte la dimension financière des dossiers de pollution.

Pour résumer, le projet de loi, d'une part, crée des juridictions spécialisées en matière de criminalité organisée et, dans le fil de ces juridictions spécialisées, qui existent déjà en matière de santé publique, coordonne l'ensemble de ce dispositif en « déplaçant » les juridictions spécialisées dans le code de procédure pénal, et crée désormais ces juridictions du littoral -Le Havre, Brest, Marseille et l'outre-mer- dans le code de procédure pénal. Il étend la compétence territoriale de ces tribunaux en leur donnant, en termes de procédure, beaucoup plus de facilité pour appréhender leurs compétences, techniquement et judiciairement, dès l'origine de la pollution, et pour pouvoir agir de concert avec les autorités chargées de la répression de ces infractions -Affaires maritimes, Douanes, Marine nationale...-, pour pouvoir prévoir une meilleure coordination entre les autorités chargées du pouvoir de police judiciaire et l'autorité judiciaire elle-même dès l'enquête de flagrant délit.

De plus, le projet de loi modifie ce qui existait dans le code de l'environnement. En effet, l'instruction et la poursuite étaient données concurremment aux juridictions spécialisées et à d'autres juridictions, mais exclusivement aux juridictions spécialisées pour le jugement. Or les magistrats n'ont pas l'habitude de « naviguer » entre des compétences facultatives, exclusives, etc. Ou ils sont compétents ou ils ne le sont pas. S'ils le sont, autant qu'ils appréhendent l'affaire dès le début, qu'ils dirigent l'enquête de flagrant délit et exercent les poursuites le plus efficacement possible. Cet aspect est corrigé dans le projet de loi.

L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une autre correction sur la différence que j'évoquais au début de ma présentation, entre les pollutions volontaires et les pollutions involontaires. Sans empiéter sur l'exposé de M. Nicot, en matière de preuve et de complexité pour la gestion des procédures pénales, un naufrage, comme celui de l'Erika ou du Prestige, et un déballastage sauvage n'ont aucun point commun. Pour ce qui est des dégazages ou déballastages, le problème est la constatation de ces infractions.

A cet égard, les différentes administrations -Marine nationale, Affaires maritimes, Douanes- se sont données les moyens de mieux constater ce type d'infraction avec les radars, les avions POLMAR. Ceci devrait permettre une grande réactivité de l'autorité judiciaire, -le parquet en l'occurrence-, l'engagement des poursuites le plus efficacement possible et l'intervention d'un jugement le plus rapidement possible. Mais tout est dans la preuve, à savoir soit les prélèvements, soit les photographies. Sur ce point, on a fait de gros efforts sur la qualité et la force probante des photographies qui démontrent les traces d'hydrocarbure. Les responsables des administrations que vous avez auditionnés ont certainement dû vous exposer la certitude que l'on peut avoir aujourd'hui pour évacuer tout doute quant à l'imputabilité d'une trace d'hydrocarbure que l'on aperçoit nettement sur une photo couleur, à un navire, même s'il a changé sa route.

Pour autant, le principal problème reste bien celui de la preuve : soit on a les preuves, soit on ne les a pas, auquel cas il appartient au parquet d'identifier au plus vite le navire, au besoin de faire diligenter, avec des gendarmes maritimes, une équipe d'enquête qui se transporte par hélitreuillage sur le navire, qui procède à l'audition du capitaine, qui va examiner le registre des hydrocarbures et les différents documents sur la gestion des jauges, qui fait éventuellement des prélèvements pour comparer avec ceux faits dans les eaux marines, qui prend contact avec le parquet pour qu'au plus vite soit délivrée une convocation en justice. S'agissant de navires étrangers, il faut connaître au plus vite l'identité du capitaine, celle de son propriétaire ou de son exploitant pour pouvoir le citer à l'audience, puis exercer les poursuites rapidement. Nous utilisons, à cet égard, la convocation par officier de police judiciaire qui consiste, pour un officier de police judiciaire, à délivrer directement une convocation en justice reprenant toutes les infractions retenues et valant citation d'huissier à personne. Dès lors que la personne a connaissance de son jugement, le jour de l'audience, le jugement aura un caractère contradictoire. Il sera donc d'autant plus exécutoire au niveau de l'application des peines.

C'est à la fois très complexe parce que les preuves sont complexes, mais aussi très simple, car si on a les preuves, on poursuit les auteurs devant le tribunal correctionnel.

En revanche, quand il s'agit de pollutions accidentelles, la dimension est totalement autre. L'autorité judiciaire, notamment le juge d'instruction, parce que l'on ouvre toujours une information judiciaire, est confronté à un naufrage dont il faudra établir les causes nautiques, pour lequel il faudra identifier la route du navire, les produits transportés, l'état de navigabilité du navire, sa classification, sa certification, trouver l'identité du gestionnaire nautique, du gestionnaire commercial, de l'affréteur, identifier également l'Etat du pavillon, la nationalité des différentes sociétés intervenantes. On entre là dans la complexité du monde commercial maritime, et la commission des Lois de l'Assemblée nationale a bien pris en compte le fait que l'on se trouve face à des dossiers à forte dimension financière.

Au vu du constat de la complexité financière qui recouvre des enjeux économiques énormes, la commission a proposé, et l'Assemblée nationale a adopté, une différenciation entre les pollutions volontaires et les pollutions involontaires. Pour les pollutions volontaires, on reste sur le principe des tribunaux du littoral maritime spécialisés qui seront à même de juger les déballastages, qu'ils soient commis en ZEE ou en ZPE. En revanche, pour les pollutions accidentelles, l'Assemblée nationale a opéré un retour à la compétence du tribunal de grande instance de Paris qui a les capacités et le savoir-faire des commissions rogatoires internationales, des investigations financières vers des Etats du pavillon, qui sont rarement des Etats européens, mais qui ne sont pas toujours très coopératifs sur le plan de la coopération judiciaire internationale. Le tribunal de Paris a, au titre de son pôle économique et financier, la capacité de gérer des dossiers aussi complexes. C'est donc en ce sens que va le projet de loi, tel qu'il sera prochainement soumis au Sénat.

M. le Président : Merci de nous avoir rappelé l'évolution de l'arsenal des peines et des procédures applicables en l'occurrence. M. le procureur, vous avez maintenant la parole pour nous dire ce qu'il en est de ces déballastages dont vous avez été saisis.

M. François NICOT : Le parquet de Brest que je représente a une expérience relativement restreinte de la gestion des infractions au code de l'environnement concernant les rejets polluants. En effet, jusqu'à l'application de la loi du 3 mai 2001, qui a créé les tribunaux maritimes spécialisés, la circonscription de Brest avait une façade maritime particulièrement étroite. Certes, elle est exposée à l'entrée du rail montant d'Ouessant. Mais fort heureusement, sauf exceptions majeures, peu d'infractions étaient constatées dans les eaux territoriales de la seule circonscription de Brest.

Depuis le 3 mai 2001, date de création des juridictions spécialisées, je constate que très peu d'infractions supplémentaires sont commises dans les eaux territoriales nationales qui couvrent, pour la nouvelle juridiction spécialisée de Brest, la côte Atlantique de Hendaye jusqu'à Saint-Malo.

Il faut citer dans les eaux territoriales une exception importante pour la juridiction : l'affaire majeure du Prestige. Le drame du Prestige a eu lieu au large dans la ZEE espagnole, mais les courants marins du Portugal, qui nous avaient été annoncés par les uns et les autres, ont progressivement agi. A partir du 31 décembre 2002, les « boulettes » d'hydrocarbure du Prestige ont atteint les côtes du Sud-Ouest de la France, et depuis cette date, nous en recevons régulièrement ; des procédures de constatation sont faites par les gendarmes maritimes. Les courants marins du Portugal ont amené ces « boulettes » jusqu'aux côtes bretonnes. Depuis, la situation a encore évolué puisque les dernières « boulettes » du Prestige ont été retrouvées sur les côtes du Cotentin. Pour résumer, nous avons donc constaté peu d'infractions, hormis une affaire majeure qui est gérée par la juridiction spécialisée depuis le 31 décembre 2002.

Cependant, l'extension de compétence territoriale, après le 15 avril 2003, a donné, à mon sens, une véritable justification à l'existence de la juridiction spécialisée. Nous avons en effet un domaine de compétence territoriale beaucoup plus étendu dans la zone de 200 milles marins, zone de navigation importante dans laquelle se passe l'immense majorité des pollutions volontaires.

La loi du 15 avril 2003 est toute récente, mais une modification législative est actuellement en cours de discussion. Elle a été votée en première lecture par l'Assemblée nationale après avoir été amendée par la commission des Lois. Je suis très respectueux des décisions de l'Assemblée et il ne me viendrait pas à l'idée d'y apporter la moindre critique. Néanmoins, on ouvre peut-être une fenêtre de contentieux, car lorsque plusieurs juridictions sont compétentes, il est bien évident que des discussions surgiront concernant les compétences respectives des juridictions spécialisées suivant que l'une ou l'autre juridiction se saisira de l'infraction. Les difficultés concerneront la définition de l'accident de mer, bien sûr.

Je peux vous livrer une expérience de terrain et le vécu quotidien des pollutions volontaires ou accidentelles. Le premier constat que je peux faire, c'est qu'une grande majorité des personnes qui s'intéressent à ce problème ont une connaissance très imparfaite de l'importance des pollutions volontaires. A cet égard, nous avons des chiffres très divers à notre disposition. Le CEDRE, qui est un centre de documentation, a la charge de relever toutes les observations utiles pour quantifier le phénomène des pollutions volontaires ou accidentelles. Il nous donne, pour l'année 2002, des chiffres qui me paraissent assez restreints, soit 159 pollutions, dont 18 auteurs identifiés. Le ratio donne déjà un élément intéressant pour nourrir une réflexion.

Les CROSS, qui ont la charge de coordonner l'action de l'Etat en mer et d'informer l'autorité judiciaire des infractions qui peuvent se commettre, auraient relevé, en 2002, 32 pollutions. Je constate la diversité des chiffres. Or nous ne pouvons avoir une politique d'action publique que si nous quantifions parfaitement le phénomène.

J'aurai une seconde observation. Depuis le 31 décembre 2002, sur le vaste territoire qui est de maintenant de la compétence de la juridiction spécialisée de Brest, nous faisons procéder à des analyses de toutes les « boulettes » d'hydrocarbure retrouvées sur le rivage. Ces analyses, sur cinq mois, ont concerné 234 affaires sur lesquelles 201 analyses étaient identifiées comme issues du Prestige. Il en restait 33 autres qui étaient des pollutions autres, c'est-à-dire que 14% des constatations qui ont été faites sur les côtes depuis le 31 décembre ne sont pas des constatations estampillées Prestige. C'est un chiffre intéressant pour essayer d'évaluer le nombre des pollutions volontaires au large des côtes françaises.

Ma première réflexion est donc celle du constat d'une connaissance insuffisante du phénomène pour apprécier les politiques publiques que nous devons mener.

Le deuxième constat que je peux faire, en tant que magistrat de terrain, c'est que, par rapport à ces chiffres, il y a, semble-t-il, un très fort sentiment d'impunité. Mme Obadia vous a présenté les sanctions qui sont susceptibles d'être prononcées. Elles sont tout de même impressionnantes. Dans l'arsenal législatif, on peut faire des comparaisons, il y a peu de domaines où les sanctions sont aussi importantes par rapport à des actes accidentels ou volontaires, mais qui ne concernent que les biens. Le législateur a l'intention de durcir encore l'arsenal répressif.

Mais cet arsenal et ces sanctions, qui sont dissuasives ou qui sont supposées l'être, n'empêchent pas les pollutions d'exister. On continue à les constater. Alors que nous étions en pleine affaire du Prestige, alors qu'il y avait cette émotion particulièrement forte dans toutes les communes du littoral, nous avons observé, au mois de mars, dans le Finistère Nord, des pollutions majeures qui provenaient de dégazages ou de déballastages. C'est tout de même le signe que les pollueurs ont le sentiment qu'ils courent peu de risques d'être pris lorsqu'ils commettent de telles infractions.

Le taux d'élucidation, dans l'exercice de l'action publique, me parait insuffisant. Sans doute est-ce facile de dire que ce taux est insuffisant, qu'il faut augmenter les moyens. C'est vrai que les services de l'action de l'Etat en mer possèdent des techniques et des moyens tout à fait modernes et performants. L'administration des Douanes a, à sa disposition, des avions susceptibles de prendre des photographies ou de faire des observations qui vont entraîner la conviction des juges. Mais il y en a très peu par rapport à l'immensité du territoire qui doit être observé.

Pour un exercice efficace de l'action publique, les contrôles doivent absolument se multiplier. On peut faire un parallèle avec les politiques publiques qui sont menées en matière de circulation routière. Nous commençons à avoir des résultats significatifs parce qu'il y a une volonté très affichée de multiplier les contrôles et de faire exécuter les sanctions. Le taux d'élucidation des infractions doit augmenter. C'est le premier pas de la dissuasion, c'est le premier pas de la lutte contre le sentiment d'impunité.

La deuxième réflexion que je voudrais faire concerne l'efficacité judiciaire. Il y a un certain nombre d'auteurs d'infractions qui ne sont jamais interpellés parce que jamais identifiés. Mais lorsqu'ils sont identifiés et que nous possédons des preuves suffisantes pour les poursuivre, ils sont systématiquement poursuivis. Mais nos méthodes sont-elles suffisamment dissuasives ? Le risque de se faire prendre est une chose, ensuite le risque d'être sanctionné et de voir exécuter une sanction en est une autre. Je ne suis pas certain que l'objectif d'exécution des sanctions soit suffisamment pris en compte par l'autorité judiciaire et par les services de l'action de l'Etat en mer.

De mon point de vue, dans le code de l'environnement, un article est totalement incontournable et efficace. Il s'agit de l'article L.218-30 qui dispose que le navire qui a servi à commettre l'une des infractions définies aux articles L.218-10 à L.218-22 du code de l'environnement peut être immobilisé sur décision du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi. En l'espèce, ce sera le procureur de la République parce que c'est lui qui est directement au contact avec l'événement qui vient de se produire et qui a, dans la majorité des cas, été observé en flagrance.

Cet article est extrêmement précieux pour l'efficacité judiciaire car une fois que le navire est arrivé dans le port qui lui a été désigné, un cautionnement est fixé par le procureur. Une fois ce cautionnement payé, le navire peut reprendre sa route. Mais nous avons une garantie pour l'avenir. C'est le principe qui consiste à faire payer d'abord et à discuter ensuite.

A partir du moment où la garantie financière existe, l'autorité judiciaire va avoir tout le temps nécessaire pour que le processus judiciaire se déroule normalement. Si les précautions utiles ont été prises, l'autorité judiciaire est garantie dans le paiement des amendes qui vont être prononcées par la juridiction de jugement. Cet article constitue vraiment un outil incontournable pour lutter contre le sentiment d'impunité.

Certes, la caution n'est pas toujours facile à mettre à exécution. Des difficultés peuvent exister. Je ferais un parallèle avec les dispositions de la circulation routière, dans le cadre de la coordination communautaire des transports, qui prévoient également un cautionnement pour les camions étrangers. Il me semble que c'est la seule disposition de notre arsenal pénal qui soit de même nature que les dispositions prévues par l'article L.218-30 du code de l'environnement.

Il est certain que les camionneurs étrangers échapperaient totalement aux contraintes de la coordination des transports, aux règles sociales et fiscales si, lorsque leurs chauffeurs sont interpellés sur le bord de la route, on n'exigeait pas qu'ils paient immédiatement un cautionnement pour que le camion puisse repartir. C'est la seule mesure efficace qui puisse exister, à l'égard des entreprises étrangères, pour qu'elles respectent la législation française. C'est la même chose en ce qui concerne les pollutions volontaires ou accidentelles.

Il existe deux hypothèses pour l'application des dispositions de l'article L.218-30 du code de l'environnement.

La première est une situation idéale, à savoir celle où le navire étranger est pris en flagrant délit de pollution et envisage de faire escale dans un port français. Les gendarmes maritimes qui sont généralement chargés des enquêtes en la matière attendront l'arrivée du bateau et procéderont, dans la foulée, à toutes les vérifications utiles. La situation est idéale pour l'enquête et la visite à bord des inspecteurs de sécurité. Il est facile de procéder à des vérifications dans un port, alors qu'il est souvent aléatoire de faire hélitreuiller des enquêteurs en pleine mer pour leur faire constater, dans des conditions parfois à risques pour eux, un certain nombre de faits, indispensables au déroulement de l'enquête.

La visite à bord des inspecteurs de sécurité est un regard qui nous est absolument indispensable pour nourrir notre dossier de poursuite. La vérification de la tenue du registre des hydrocarbures sera facilitée lorsque le navire est au port. L'observation de traces notables d'hydrocarbure à proximité des orifices de rejet à la mer est également un élément précieux susceptible d'entraîner la conviction des juges, au-delà des observations photographiques ou aériennes qui ont pu être faites et qui se trouvent dans le dossier de la procédure.

Le juge sera également extrêmement sensible au résultat de l'inspection de la salle des machines et de toutes les vérifications qui concernent la tenue du navire de manière générale, ainsi qu'au passé du navire et de la compagnie. Tous ces contrôles peuvent se faire alors que le navire se trouve dans un port du territoire national.

De plus, pour délivrer une citation par officier de police judiciaire, il est beaucoup plus facile, lorsqu'un navire est au port, d'interroger le capitaine ou de trouver un interprète car, dans la plupart des cas, la présence d'un interprète officiel est indispensable. Les procédures en matière de rejets volontaires ou accidentels, lorsque des étrangers sont susceptibles d'avoir commis des infractions, sont beaucoup plus longues que des procédures ordinaires. Les auditions durent deux ou trois fois plus longtemps que lorsqu'il s'agit de l'audition d'un Français par un officier de police judiciaire, et ce pour des raisons pratiques de traduction.

Dans cette hypothèse, il convient également d'avoir une situation et une information précises de la route suivie. Il appartient aux CROSS et aux préfets maritimes de coordonner toutes ces informations et de les transmettre à l'autorité judiciaire. Ensuite, lorsque des charges existent contre un auteur potentiel d'infractions, il convient de faire appliquer systématiquement les dispositions de l'article L.218-30 du code de l'environnement, d'ordonner l'immobilisation, de fixer le montant d'un cautionnement et de lever l'immobilisation dès que le cautionnement est payé.

La seconde hypothèse est certainement la plus fréquente : le navire en infraction ne prévoit aucune escale dans un port français.

J'évoquais tout à l'heure l'immensité du territoire maritime et les difficultés que cela suppose pour intervenir en mer. Les investigations pourraient se poursuivre dans le cadre de la coopération internationale. Mais je suis un homme de terrain et je vois comment les choses se passent. On peut faire de beaux jugements, qui seront rendus par défaut, qui ne verront jamais d'exécution. De plus, le cadre international pour une coopération est largement insuffisant si l'on veut avoir une politique d'action publique digne de ce nom.

Dans cette hypothèse, il n'y a qu'une seule solution : celle du déroutement vers un port français. Ce déroutement me semble tout à fait indispensable pour l'efficacité de la procédure. La loi du 15 juillet 1994, qui fixe les modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer, constitue le support juridique du déroutement. Le préfet maritime a tous les pouvoirs pour décider du déroutement, en concertation avec le procureur de la République, et ordonner à un navire pollueur de rejoindre un port français.

Malgré mon peu de recul et d'expérience en la matière, j'imagine que, sur injonction, le capitaine du navire va obtempérer. C'est la meilleure des solutions. Statistiquement, nous verrons les résultats, mais nous devrions avoir un nombre de réussites important. Il n'est pas nécessaire d'envisager systématiquement des moyens de coercition importants. Je l'ai vécu dans une autre affaire, sur l'application de l'article 17 de la convention de Vienne concernant le trafic des stupéfiants en haute mer. Quand il s'est agi d'arraisonner un navire au large des îles du Cap Vert, j'ai pu constater l'énorme difficulté qu'il y avait à interpeller un navire et à le dérouter vers un port français, face à une volonté délibérée d'échapper aux poursuivants.

Je suis donc tout à fait conscient des problèmes que pose un déroutement. Mais il faut absolument que l'autorité judiciaire fasse cette demande auprès du préfet maritime. Nous aurons des réponses diverses. L'immense majorité des capitaines obtempérera, d'autres pas. Il appartiendra alors aux autorités qui exercent l'action de l'Etat en mer de prendre leurs responsabilités. Chacun a sa part de responsabilité dans cette gestion des politiques d'action publique, mais nous devrions tous aller dans le même sens.

Dans la plupart des cas, les navires qui remontent le rail d'Ouessant vont vers l'Europe du Nord et passent obligatoirement par le Pas-de-Calais. Ils rentrent dans les eaux nationales au niveau du détroit du Pas-de-Calais qui est un endroit stratégique tout particulier, et où il est peut-être plus facile d'appréhender un navire fautif.

Je peux vous citer une affaire, qui est maintenant jugée. J'ai lu dans la presse que le Nada III est actuellement immobilisé au port de Nantes pour des raisons de sécurité, ce qui ne m'étonne pas. Ce navire a pollué les eaux territoriales du ressort du Brest alors qu'il remontait vers la mer du Nord. Le parquet de Brest a exigé qu'il soit dérouté vers un port français. Lorsque nous lui avons notifié ce déroutement, le capitaine a fait la sourde oreille pendant un temps assez long puisqu'il est remonté dans la Manche. Néanmoins, il a obtempéré à la hauteur de Dunkerque, le cautionnement a été fixé et la caution a immédiatement été versée. Le capitaine ne s'est jamais présenté à l'audience du tribunal lorsque l'affaire a été jugée, mais il est certain que le Trésor public se paiera sur le cautionnement, en ce qui concerne l'amende qui a été infligée. Voilà une illustration de l'application que l'on peut faire des dispositions de l'article L.218-30 du code de l'environnement.

Le paiement du cautionnement se fait auprès du régisseur du tribunal. Les conditions d'affectation et d'emploi de restitution du cautionnement sont réglées conformément aux dispositions de l'article 142 et suivants du code de procédure pénale. Le procureur fixe le montant du cautionnement, qui n'est soumis à aucune limite, en fonction de l'analyse qu'il peut avoir de l'importance de la pollution, du passé du navire et de la jurisprudence de la juridiction. Le maximum légal de l'amende, qui peut être prononcée par le juge en ce qui concerne les pollutions volontaires, est de 600 000 euros pour les navires les plus importants. Mais le parquet peut fixer un cautionnement supérieur à 600 000 euros, car le cautionnement garantit non seulement la représentation du prévenu et le paiement des amendes, mais aussi la réparation des dommages.

Dès lors que le procureur, dans sa décision, aura affecté les différents montants du cautionnement, les parties civiles - en général des associations - qui interviennent dans le cadre des infractions à la législation sur l'environnement, pourront être reçues concrètement dans leur action en dommages et intérêts et les percevoir.

L'expérience que j'en ai est, encore une fois, restreinte, mais chaque fois que j'ai eu l'occasion de le faire, j'ai appliqué les dispositions de l'article L.218-30 et je dois me louer des résultats obtenus. J'observe d'ailleurs que les cautionnements sont payés avec une rapidité impressionnante. J'ai bien conscience qu'immobiliser un navire marchand pendant plusieurs jours dans un port représente un coût économique tout à fait considérable. C'est une chose bien comprise par les armateurs et éventuellement aussi par les compagnies d'assurance.

Voilà donc, me semble-t-il, une piste concrète provenant du quotidien, du terrain, pour l'application des dispositions en vigueur du code de l'environnement.

Ensuite, il appartient au procureur de la République de citer les personnes contre lesquelles il existe des charges suffisantes devant la juridiction de jugement. La citation par officier de police judiciaire est la meilleure solution. Elle est délivrée en l'espace de quelques jours, voire quelques heures, le temps que les gendarmes maritimes mènent à bien leurs investigations. Une fois que la citation est délivrée, rien ne peut être ajouté à la procédure.

Les gendarmes maritimes, qui sont des gens d'expérience, répondent aux exigences du parquet qui dirige l'action publique et qui souhaite que les procédures soient bouclées le plus rapidement possible. Ensuite, nous avons du temps pour envoyer l'affaire devant le tribunal. Je considère que, dans un délai de quatre à six mois après l'infraction, l'affaire peut être raisonnablement renvoyée car la citation par officier de police judiciaire ne suffit pas dans la majorité des cas si l'on veut citer le civilement responsable du capitaine poursuivi pénalement, pour l'application éventuelle des dispositions du code de l'environnement qui permettent au juge de mettre une partie de l'amende prononcée à la charge du civilement responsable. Dans ce cas, nous allons devoir délivrer une citation à l'étranger, par les voies ordinaires, ce qui prendra un délai assez important.

Mais nous aurons, au départ, pris toutes nos précautions. Nous nous serons assurés que les décisions susceptibles d'être rendues par les juges seront de toute manière exécutées.

Par ailleurs, je voudrais vous soumettre une autre réflexion. En ce qui concerne l'ensemble des dispositifs répressifs, je considère qu'il n'y a pas forcément une bonne cohérence dans les dispositifs répressifs sur la sécurité en mer. Il existe, d'une part, des infractions de droit commun qui sont de la compétence des juridictions de droit commun ou des juridictions spécialisées en matière maritime. D'autre part, certaines infractions qui concernent la sécurité en mer sont de la compétence exclusive du tribunal maritime commercial pour lequel je crois savoir qu'il y a en cours des projets de réforme.

Cette incohérence dans l'organisation des poursuites est susceptible de nuire à l'efficacité de l'action publique dans un certain nombre de cas. En effet, la juridiction de droit commun ne peut pas connaître des infractions à la loi pénale qui sont de la compétence du tribunal maritime commercial, alors que pour certains délits d'imprudence, il y a un seul fait générateur. J'imagine, par exemple, un délit d'imprudence en mer qui aura entraîné mort d'homme, donc compétence des juridictions de droit commun, mais à la suite d'une faute de navigation, susceptible d'être sanctionnée par le code pénal et disciplinaire de la marine marchande qui est appliqué par le tribunal maritime commercial.

Deux procès sont alors possibles :

- un procès pour homicide involontaire devant le tribunal de droit commun,

- un procès pour une infraction spécifique au code pénal et disciplinaire de la marine marchande devant le tribunal maritime commercial.

Je vous l'indique puisque votre domaine d'investigation est la sécurité en mer. Il est difficile pour la juridiction de droit commun qui doit apporter des démonstrations spécifiques sur des violations de texte concernant des infractions pour des délits d'imprudence, d'homicide ou de blessure, alors qu'elle n'a pas compétence pour l'application de ces règles spécifiques. J'ajoute que les tribunaux maritimes commerciaux ne se réunissent pas très souvent. Leurs procédures sont extrêmement lourdes et compliquées. Je constate d'ailleurs que toutes les violations concernant le dispositif de séparation du trafic du rail d'Ouessant sont de leur compétence et semblent échapper aujourd'hui à toute répression.

M. le Rapporteur : M. le procureur, quels sont les moyens actuels humains et logistiques dont vous disposez au TGI de Brest pour les affaires que vous aurez à traiter ? Quel état des lieux pouvez-vous faire aujourd'hui de ces moyens ?

M. François NICOT : Brest est une petite juridiction, essentiellement urbaine. Sa circonscription compte 360 000 habitants. Le nombre de magistrats du siège et du parquet est en rapport direct avec l'importance de la population. Il est certain que cette compétence d'attribution change un peu la donne. Nous avons donc soumis à l'autorité centrale un certain nombre de propositions, dont certaines ont dès à présent été agréées.

Elles portent sur des moyens matériels, notamment dans le cadre de l'affaire du Prestige qui est une affaire difficile à gérer pour une petite juridiction. Des moyens en personnels ont également été mis à notre disposition pour renforcer le greffe et notamment le greffe de l'instruction, ce dont je me réjouis.

En ce qui concerne le nombre de magistrats, tout chef de juridiction a normalement des demandes d'augmentation. Elles ont été formulées à Brest, et, si elles n'ont pas encore été satisfaites, je ne désespère absolument pas qu'elles le soient. Cela dépend de décisions budgétaires qui peuvent être un peu lentes, mais je suis persuadé que ces moyens viendront au fur et à mesure que les affaires arriveront.

Pour l'instant, sur le contentieux le plus ordinaire, c'est-à-dire les pollutions volontaires, nous avons peu de dossiers. La juridiction de Paris nous en a promis au moins une quinzaine qui sont dans ses stocks et que nous allons devoir gérer. Mais peut-être n'aurons-nous qu'à transmettre les dossiers au juge. Pour l'avenir, je pense pouvoir absorber, sans la moindre difficulté, avec quelques renforts que j'espère, toutes les pollutions volontaires.

Il est vrai que le dossier du Prestige est un dossier tout à fait exceptionnel qui demande des investigations considérables et qui est susceptible d'occuper à plein temps un juge d'instruction. Il appartient donc à l'autorité centrale de tirer toutes les conséquences utiles de cette situation.

M. le Rapporteur : La Commission européenne a fait une proposition de directive pour infliger des sanctions pénales à certains types de contrevenants. Cette proposition de directive semble en contradiction avec le droit maritime international. Que pensez-vous de cette directive et de ce qui pourrait découler de la mise en place d'un tribunal pénal maritime ?

Mme Marjorie OBADIA : Sur la proposition de directive, pour être très précise, elle est désormais associée à une proposition de décision cadre. Au départ, l'initiative de la Commission consistait uniquement en une proposition de directive qui fixait des peines suffisamment dissuasives et déterminait les comportements interdits.

La France et d'autres pays ont ensuite dû rappeler les règles des premier et troisième piliers, et notamment le fait qu'il n'appartenait pas au domaine d'une directive concernant la politique unique des transports de déterminer ce qu'il en était de l'harmonisation des sanctions pénales. Il était important de prévoir un double instrument européen. C'est un peu, si j'ose dire, la « cuisine » de la technique européenne, mais il n'empêche que c'est important, pour ce qui concerne la fixation des seuils que les Etats européens se fixent pour harmoniser leur législation pénale.

Alors que la directive fixe en quelque sorte le champ d'application de l'interdiction, les comportements interdits et le principe de sanctions dissuasives et proportionnées, la proposition de décision cadre, pour sa part, fixe les échelles de sanctions et les types de peines, notamment le principe de la responsabilité des personnes morales, des peines complémentaires, d'un seuil. En l'état, la proposition de décision cadre fixe un seuil de cinq à dix ans d'emprisonnement, ce qui est d'ailleurs compatible avec les dispositions prévues par notre actuel projet de loi. Elle fixe également les principes de coopération en matière d'entraide répressive internationale, incluant, entre autres, les règles d'extradition.

Actuellement, ces deux textes parallèles sont en cours de discussion, article par article. Côté français, c'est vrai que dans le principe, on y est favorable, à un point tel que la France compte, parmi les Etats européens, parmi ceux qui ont la meilleure législation pénale. L'application effective et l'intervention de jugements exécutés constituent un autre problème. Mais en termes de législation pénale, la France est l'un des pays le mieux doté et le plus cohérent pour ce qui concerne son dispositif répressif.

En outre, la France est entièrement favorable à l'instrument européen actuellement envisagé, dans la mesure où il incitera les autres Etats européens à faire de même. On s'est rendu compte, notamment à l'occasion de l'affaire du Prestige, que l'Espagne, par exemple, n'a pas un dispositif pénal aussi précis que la France. Nous discutons donc les propositions communautaires article par article, avec quelques petits problèmes notamment les questions relatives au domaine de la haute mer. En effet, la directive et la décision cadre ne pourront intervenir que dans le respect de la convention internationale de Montego Bay portant droit international de la mer. A cet égard, s'agissant de la reconnaissance mutuelle entre les Etats et des pouvoirs juridictionnels réciproques, il faudra examiner les articles relatifs à la haute mer puisque le principe est celui de la liberté et de la souveraineté totale du pavillon en haute mer. C'est le droit international maritime de l'ONU qui le fixe pour l'instant.

Il reste donc quelques précisions et discussions à faire valoir, mais dans le principe, voire dans la forme, la France est tout à fait favorable aux instruments européens que je viens d'évoquer.

M. le Rapporteur : M. le procureur, vous parliez des 14% d'apports extérieurs par rapport aux analyses. Nous avons rencontré l'amiral Jacques Gheerbrant, qui nous expliquait que sur 100 navires qui dégazaient de manière sauvage, 10 étaient repérés et un seul était condamné ; ce taux de 1% choque, évidemment, l'opinion publique. Comment pouvons-nous l'améliorer? La zone à surveiller est immense, puisqu'elle s'étend du Golfe de Gascogne jusqu'à Saint-Malo, et nous sommes très inquiets, pour la Méditerranée, pour ce qui concerne le plan POLMAR-terre. Comment voyez-vous cette nouvelle de notion de ZPE, par rapport à la ZEE qui va s'appliquer à la Méditerranée ?

M. François NICOT : Nous devons mettre en œuvre des politiques publiques où chacun a sa part. Les autorités qui exercent l'action de l'Etat en mer y ont une part essentielle ; et je me permets de le dire sans aucune critique car les choses sont difficiles - il convient d'augmenter le nombre de constatations. Les opérations « rail propre » existent, même s'il convient de les multiplier ; ce sont des opérations à la fois préventives et répressives. Mais tout dépend de la priorité que l'on donne à la constatation des infractions dans l'exercice de l'action de l'Etat en mer, et en particulier dans les actions de la Marine nationale.

Nous avons notre part de responsabilité et devons l'assumer absolument. Dès lors que les éléments constitutifs d'une infraction sont réunis, que nous avons suffisamment de preuves, il n'est pas admissible que nous n'obtenions pas de jugement - et de jugement exécuté ! Dès lors que l'on nous fournit un dossier et des preuves, il nous appartient de suivre l'affaire et d'obtenir des résultats. C'est le juge qui a le pouvoir de décision. Mais le parquet doit prendre toutes les précautions utiles pour que les jugements soient exécutés.

M. le Président : A ce propos, je souhaiterais avoir votre sentiment sur la notion de preuve. Au cours de nos précédentes auditions, certains se sont plaints que des photographies, par exemple, même très nettes -voire des films- n'aient pas été jugées suffisantes pour apporter la preuve d'une infraction. Comment améliorer les moyens de preuves ?

M. François NICOT : La jurisprudence a évolué en ce domaine, de manière importante dans le temps. Les juges sont comme tous les citoyens, ils sont particulièrement sensibles à ces infractions. Les sanctions qu'ils prononcent désormais -pour les dossiers que j'ai pu leur soumettre- en sont la démonstration.

La preuve en droit français se fait par tout moyen. Je le dis à mes interlocuteurs marins : tous les moyens sont admissibles devant le juge français. L'important, par rapport aux constatations techniques qui sont faites, c'est que le juge ait des explications claires. Chaque fois que les explications sont données à l'audience, les enquêteurs et le parquet emportent la conviction du juge.

Il ne suffit pas de présenter des photographies : il faut venir expliquer de quelle manière elles ont été prises, comment elles doivent être interprétées, etc. Il s'agit d'un travail pédagogique de la part des autorités qui constatent ; il s'agit d'un effort particulier, car venir à l'audience en qualité de témoin n'est pas un exercice forcément facile. Mais cet effort doit être fait, et dans ce cas, les résultats sont très encourageants.

Les dossiers, aussi bien présentés soient-ils, sont susceptibles de discussions sans fin s'il n'y a pas de techniciens pour donner des explications. C'est la raison pour laquelle nous citons désormais, en qualité de témoins, devant la juridiction, certaines autorités de constatation, et notamment les pilotes ou les personnes qui les accompagnent et qui ont pris les photographies ; nous leur demandons d'expliquer devant le juge les photographies qui sont dans le dossier. La photographie est une preuve essentielle et toutes les objections qui peuvent être faites tombent lorsque les techniciens sont présents et qu'ils font cet effort d'explication.

Bien entendu, tout cela alourdit les procédures : un dossier de pollution volontaire, constitué d'une simple constatation aérienne avec des procès-verbaux, prend trois à quatre heures de débats. Cela représente un coût dans la gestion judiciaire quotidienne, mais qui vaut la peine par rapport au résultat obtenu.

Je vous parle des photographies aériennes, mais il peut y avoir d'autres moyens de preuves. En revanche, je suis très prudent quant aux prélèvements qui sont effectués dans le cadre des enquêtes ; les prélèvements dans l'immensité de l'océan ne sont pas susceptibles d'apporter des preuves déterminantes. Par ailleurs, l'excès de constatations est susceptible de nuire à l'efficacité de l'enquête, d'ouvrir des fenêtres de contestations importantes, qui ne se justifient pas. Les prélèvements au milieu de l'océan ne me paraissent pas indispensables pour emporter la conviction du juge, je ne le conseille donc absolument pas aux enquêteurs.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué tout à l'heure le paiement de cautions. Nous pouvons effectivement penser que pour des bateaux relativement récents, dont le Voltaire qui a été dernièrement pris en flagrant délit, les cautions soient vite payées. Mais nous avons des exemples dans nos ports, concernant des navires poubelles qui ne paient pas leur caution et qui restent à quai avec l'équipage. De quelles armes disposons-nous pour lutter contre cela ?

Par ailleurs, on nous a également rapporté que s'il y a des déballastages sauvages, c'est parce que les installations portuaires ne sont pas adaptées pour les organiser ou les rendre obligatoire dans les ports. Quel est l'argument de la défense en ce domaine ?

M. François NICOT : Ce sont effectivement des arguments de défense. Nous venons de participer à un colloque au Havre, organisé par l'Ecole nationale de la magistrature, où l'on nous a présenté un panorama très complet des évolutions législatives et pratiques. Nous en avons, les uns les autres, tiré des enseignements précieux que nous allons mettre en application.

En ce qui concerne le cautionnement appliqué à des navires poubelles, vous mentionnez un vrai risque ! Mais le procureur de la République n'est jamais obligé de fixer un cautionnement. Il va le fixer en fonction des éléments de fait qui vont lui être apportés par les enquêteurs, en fonction de l'état du navire, de sa valeur, en fonction peut-être également de la valeur de la cargaison -car si le navire est immobilisé, la cargaison aussi-. Je suis conscient qu'une politique de cautionnement systématique a des limites, et que l'on peut arriver à des effets inverses de ceux qui étaient envisagés -comme se retrouver avec un navire immobilisé dans un port. Il nous appartient donc de prendre quelques précautions, étant entendu qu'un cautionnement peut toujours être levé à n'importe quel moment par l'autorité qui a pris la décision, notamment si elle considère qu'elle était mal informée.

Mme Marjorie OBADIA : Il convient de préciser que la décision d'immobiliser un navire dans un port n'est pas forcément le fait d'une décision judiciaire. L'autorité maritime -et je pense notamment à une affaire récemment médiatisée, dans le port de Sète-, chargée du contrôle de la sécurité du navire poubelle concerné peut également prendre une décision de détention du navire - car il existe un contrôle administratif spécifique.

Mais vous évoquez un véritable problème de fond : on parle des « marins abandonnés ». Lorsque la cargaison et le navire sont immobilisés, quel est le statut social des marins abandonnés ? Cette question est loin d'être simple, et les procédures civiles se multiplient pour tenter de mettre en cause les employeurs. 

M. Jean-Pierre DUFAU : S'agissant des pollutions volontaires, le tableau qui ressort de votre exposé est assez sombre. Il convient tout d'abord de repérer les bateaux qui agissent de manière illégale ; ensuite, lorsque par chance nous les avons repérés, qu'une instruction est ouverte que l'on aboutit à une décision, on s'aperçoit que très souvent cette dernière n'est pas très lourde ; enfin, l'exécution n'est pas automatique ! De ce fait, l'opinion publique ne s'y retrouve pas. Il existe, entre le discours et la réalité des faits, plus qu'une distorsion.

Vous avez fait une comparaison avec ce qui se passait sur la route. Mais ce n'est pas du tout la même chose ! A l'heure actuelle, l'appréhension de la délinquance routière est claire et chacun peut s'en rendre compte. En mer, nous sommes dans une situation où l'impunité règne, avec toutes les conséquences que vous avez soulignées et avec les difficultés qu'il ne faut pas méconnaître : immobilisation du navire, cautionnement, équipage, etc.

Compte tenu de ce constat, existe-t-il des pistes qui soient plus constructives pour tenter d'améliorer ce système ? Il conviendrait, dans un premier temps, lorsque les décisions de justice sont prises, qu'elles soient exécutées, c'est certain.

Autre point, les pollutions accidentelles, notamment celle du Prestige. Nous sommes là devant un cas particulier puisque l'accident s'est produit dans les eaux espagnoles mais que la pollution a dépassé la limite des eaux territoriales espagnoles. Et ce cas de figure, sauf erreur de ma part, est tout à fait nouveau. Face à ce phénomène nouveau, l'on applique des règles anciennes. Ce serait donc l'occasion de renouveler à la fois notre réflexion et l'arsenal législatif et européen.

Vous avez évoqué, madame, les commissions rogatoires internationales. Ma question est la suivante : quelles sont les pouvoirs d'un juge, après une commission rogatoire internationale, et ses limites en termes de responsabilité ? Que peut-il explorer, qui peut être rendu responsable et où s'arrêtent les limites de son jugement -je veux parler, par exemple, de l'Etat espagnol ?

Devant ces pollutions internationales -situons-nous au niveau européen-, n'est-ce pas le moment de dépasser nos législations nationales pour arriver à une autorité judiciaire européenne, avec des sanctions qui pourraient s'appliquer aux Etats s'ils étaient, le cas échéant, responsables d'avoir mal traité le problème ? Sinon, cela est trop simple : l'Etat espagnol ne pourrait pas être attaqué même s'il a commis des erreurs -qui ont des répercussions sur d'autres Etats !

Cela est d'autant plus vrai, sauf erreur de ma part, qu'un jugement du tribunal de la Corogne avait condamné l'Etat espagnol pour la pollution d'un navire qui avait souillé les côtes régionales de Galice. Cela veut dire qu'un tribunal national peut condamner son Etat, mais que cela n'est pas possible au niveau européen !

M. François NICOT : Le cas du Prestige est significatif et intéressant. Il pose des problèmes de droit majeurs. Nous nous sommes rendus en Galice voilà quelques jours et nous avons rencontré les autorités judiciaires espagnoles avec qui nous avons évoqué toutes les difficultés qui pouvaient se présenter.

Il n'y a qu'un seul fait générateur : le naufrage du Prestige au large de la Galice ; mais, à partir de ce fait, des infractions ont été commises sur le territoire espagnol, d'autres sur le territoire portugais, et enfin, d'autres encore sur le territoire français. Par rapport aux principes généraux du droit, il pourrait y avoir, à terme, quelques difficultés -j'en conviens volontiers. Si la justice espagnole jugeait certains responsables avant la justice française, la règle du non bis en idem s'appliquerait éventuellement et nous poserait des problèmes juridiques. Cela étant dit, si nous sommes plus rapides qu'eux, le problème serait le même, mais inversé.

L'autre difficulté tient à ce que nous pourrions attraire des responsables différents devant les juridictions.

Enfin, le troisième problème est celui des victimes. Actuellement, elles ont le choix : elles peuvent se constituer devant le juge espagnol -nous avons longuement évoqué cette possibilité, car nous ne savons pas comment elles seront reçues- ou devant le juge français, selon qu'elles ont pensé que l'un ou l'autre serait plus rapide. Il est vrai que le cas est juridiquement intéressant, le phénomène n'étant pas national. Mais nos règles de droit et nos procédures sont ce qu'elles sont, nous les appliquons et nous réfléchissons à la meilleure façon de le faire.

Pour répondre à la question, une commission rogatoire internationale sert à obtenir, pour le juge français, la totalité de la procédure espagnole -ce qui l'aide à avancer. Les Espagnols ont subi le préjudice bien avant les Français, la justice espagnole a donc un dossier d'instruction important. La coopération, par l'intermédiaire d'une commission rogatoire a permis aux deux justices de travailler de concert. Et cela me paraît incontournable en l'espèce -car les méthodes ne sont pas forcément les mêmes, les recherches de responsabilité non plus.

Concrètement, dans cette coopération, dans ce travail de justice des deux Etats, les commissions rogatoires internationales ont produit, jusqu'à présent, leurs premiers effets. Je ne sais pas ce qu'elles produiront de concret s'il devait y avoir des approches trop différentes, des susceptibilités...

Mme Marjorie OBADIA : Il est utile de souligner le rôle d'une nouvelle instance européenne, dénommée Eurojust, qui a organisé le colloque du mois de mai en Corogne ; il s'agit vraiment d'une instance de coordination interjudiciaire. Les juges d'instruction de Brest et de la Corogne se sont rencontrés, ainsi que les procureurs, les Chancelleries,...

Le dossier du Prestige est particulièrement compliqué, du fait de l'aspect pénal, de la recherche des responsabilités pénales avec la démarche et l'approche judiciaire de chaque juge. Cela étant dit, pour l'instant, nous savons que les juges communiquent, nous savons quelles commissions internationales ils diligentent. Ils avancent donc dans le cadre de leur souveraineté juridictionnelle respective, mais en connaissance des actes de chacun. Eurojust, elle, coordonne l'action. Mais il est certain qu'il conviendra, un jour ou l'autre, de décider clairement où l'on va...

J'ajouterai que la complexité de ce type de dossier est également liée à l'aspect civil. Par ailleurs, l'Espagne est en train de se positionner par rapport au FIPOL. Tout est lié : victimes, indemnisations, réparations, parties civiles ; la position de chacun des Etats est liée également à ses demandes d'indemnisation. Le jour où l'on voudra appréhender tout cela de manière globale, il conviendra de tenir compte de l'ensemble des dispositifs de responsabilités civiles, indemnitaires, etc. C'est loin d'être simple.

M. le Président : Cela est d'autant plus nécessaire que les vents et les courants jouent toujours contre nous. Qu'il s'agisse d'une pollution espagnole, anglaise ou autres, elle arrive toujours sur nos côtes !

Mme Marjorie OBADIA : En ce qui concerne la juridiction environnementale européenne, il s'agit d'une idée qui a été lancée par les autorités politiques françaises et sur laquelle travaillent plusieurs groupes internationaux. Ce n'est pas pour tout de suite, dans la mesure où un dispositif juridictionnel européen suppose, au départ, un corpus juridique pénal uniformisé. En ce moment, de par la directive et la décision cadre, nous travaillons à élaborer ce corpus répressif uniformisé ; ensuite, nous pourrons peut-être envisager l'aspect juridictionnel.

J'ajouterai un point en ce qui concerne l'exécution effective des décisions, pour vous dire qu'au niveau européen, nous progressons. Une décision cadre a été approuvée politiquement -elle est passée au conseil des ministres « JAI » le 8 mai dernier ; il s'agit d'un projet de directive de reconnaissance mutuelle entre les Etats européens des décisions judiciaires pécuniaires.

Actuellement, la grande difficulté est de mettre à exécution, à l'étranger, nos décisions pécuniaires - qui sont en la matière les plus dissuasives. Au sein de l'Europe, dans quelque temps, nous aurons une simplification complète des procédures de reconnaissance mutuelle : nous ne serons plus obligés de passer par un processus d'entraide, de demandes de Chancellerie à Chancellerie. La peine française sera automatiquement exécutable en Espagne, par exemple. Cette décision est d'autant plus importante que Malte et la Grèce vont bientôt faire partie de l'Union européenne.

M. Alain VIDALIES : S'agissant de ce que vous avez dit à propos du Prestige, je souhaiterais que vous m'apportiez deux précisions.

D'une part, avez-vous eu le sentiment, en Galice, que le juge d'instruction espagnol disposait de moyens plus importants que celui de Brest ?

D'autre part, il y a aujourd'hui un travail de coopération au niveau de l'instruction. Mais que se passera-t-il lorsque nous allons passer à la phase pratique : qui va « tirer » le premier -sachant que si ce sont les autres, ils vont en même temps épuiser nos propres « cartouches » ? Si nous aboutissons à un cafouillage, j'imagine aisément quelle sera l'incompréhension des victimes. S'il n'y a pas de réponse, y compris dans la transparence du discours, il vaudrait mieux le dire aujourd'hui.

Du côté espagnol, nous savons bien que des autorités administratives peuvent être mises en cause ; en France, nous n'avons que des victimes. Or, étant donné qu'ils font faire le même raisonnement que nous, ils peuvent arriver, par des décisions d'opportunité, à nous mettre devant le fait accompli, ce qui serait désastreux pour l'ensemble des victimes. Cette difficulté majeure est-elle appréhendée au niveau de votre parquet ? Existe-t-il des instructions très précises de la Chancellerie ?

M. François NICOT : Nous sommes dans le cadre de l'expertise technique, de l'expertise juridique, préalable à l'application des textes français et espagnols ; nous n'avons pas encore conclu. Cela nécessite une réflexion très approfondie.

Nous avons aujourd'hui une légitimité juridique à instruire ce dossier du Prestige -même si les autorités espagnoles peuvent peut-être être parfois tentés de nous la contester !- et nous devons progresser dans notre réflexion. Mais quelle est la base légale de l'infraction pour laquelle le juge d'instruction français est saisi : une pollution qui a été reçue dans les eaux françaises ? Ceci dit, il est vrai que l'on reviendra toujours au fait générateur : cette pollution est due à un naufrage, qui n'a pas eu lieu en France.

Pour apprécier les responsabilités, il convient tout de même de s'interroger au premier chef sur les circonstances de ce naufrage. Des expertises doivent être effectuées -ce qui n'est pas simple quand le navire est au fond de l'eau. Il s'agit d'un aspect que le juge français a appréhendé, mais pas par les autorités judiciaires espagnoles, à ma grande surprise : aucune expertise n'a été réclamée par le juge d'instruction espagnol sur les circonstances du naufrage. Pourtant, ce fait générateur est susceptible d'expliquer un certain nombre de responsabilités.

Par ailleurs, vous avez raison de dire que, quelque part, nous sommes paralysés. Si le juge d'instruction français veut mettre en examen le capitaine du bateau pour une infraction à la législation française -infraction au code de l'environnement-, il doit le faire venir sur le territoire national. Or le capitaine est actuellement placé sous contrôle judiciaire par le juge espagnol, et n'a donc pas le droit de quitter le territoire. Vous pouvez ainsi imaginer les difficultés que nous rencontrons... Nous sommes donc obligés de passer par les procédures de coopération.

La réflexion -quant aux choix à venir- dépasse très largement le parquet et le juge d'instruction de Brest.

M. Alain VIDALIES : C'était bien le sens de ma question.

M. le Président : Il reste manifestement beaucoup à faire au plan européen !

*

* *

Déplacements à l'étranger

Sont présentés ci-après les comptes-rendus synthétiques des entretiens et échanges de vues qui ont eu lieu à l'étranger, successivement en Grèce, à Bruxelles, à Londres et en Espagne, avec une délégation de la Commission d'enquête, conduite par M. Edouard LANDRAIN, Président.

Ces comptes-rendus ont été soumis aux personnes rencontrées, qui les ont, pour la plupart, validés dans le délai qui leur était proposé.

* *

*

Compte-rendu de l'entretien au Ministère de la marine marchande de Grèce(

(
Athènes, mardi 22 avril 2003)

Personnes rencontrées :

- Amiral Christos DELIMICHALIS, Chef du Corps portuaire et des garde-côtes,

- Contre Amiral Georges PAPACHRISTODOULOU, Directeur de la navigation maritime océanique,

- Capitaine Michaïl MANTZAFOS, Directeur de la régularisation et de l'organisation et son adjoint M. VASSILIADIS,

- Capitaine Konstantinos PALIERAKIS, Directeur de la police portuaire,

- Commandant Antonios VIDALIS, unité de la police maritime,

- Commandant Konstantinos AMARANTIDIS, unité des organisations internationales.

* * * * * * *

En introduction, l'amiral Delimichalis a précisé qu'à l'issue du Conseil des ministres de l'Union européenne du 27 et 28 mars derniers, le ministre grec de la Marine marchande a exprimé sa satisfaction pour l'accord politique qui a été trouvé, relatif à l'élimination accélérée des pétroliers à simple coque et à l'interdiction du transport de fioul lourd pour les pétroliers à simple coque. Ces mesures permettront de prévenir plus efficacement les pollutions maritimes, sujet qui préoccupe particulièrement la Grèce, pays maritime par excellence avec 16 000 kms de côtes et 3 500 îles.

L'amiral Delimichalis a ensuite fait remarquer que la Grèce, en tant qu'Etat assumant la Présidence de l'Union européenne, avait fait tout son possible pour parvenir à un accord politique sur la question de la généralisation des pétroliers à double coque et sur l'interdiction du transport des fiouls lourds par des pétroliers à simple coque, même si, à l'origine, la Grèce était réservée sur l'initiative de la Commission européenne.

Il faut cependant veiller à ce que ces mesures communautaires ne soient pas contraires aux intérêts des armements européens et n'affaiblisse pas la puissance maritime des différents Etats européens. La Grèce a exprimé à plusieurs reprises ses réserves sur une politique de sécurité maritime unilatérale décidée par l'Union européenne sans concertation avec l'OMI, et la politique communautaire ne devrait pas se limiter à des mesures coercitives mais devrait aussi prévoir des mesures incitatives pour soutenir les armements européens.

Selon la Grèce, la politique de sécurité maritime menée par les Etats-Unis depuis l'Oil Pollution Act et par l'Union européenne avec les mesures Erika I et II, renforce la compétitivité des puissances maritimes de l'Extrême Orient et de l'Inde et il devient urgent de proposer une politique maritime pour conforter les pavillons européens. La Grèce fera prochainement des propositions en la matière et elle espère pouvoir bénéficier du soutien de la France.

Cette proposition de directive, qui a fait l'objet d'une présentation par Mme de Palacio au dernier Conseil des transports, constitue une initiative intéressante car elle permettrait d'intégrer au droit communautaire les règles internationales applicables sur les rejets polluants provenant des navires (convention MARPOL) et harmoniserait la répression contre les pollutions maritimes. L'amiral Delimichalis a cependant fait part de certaines réserves quant à la définition des infractions et a expliqué qu'un long travail restait à accomplir pour rendre ce texte compatible avec les conventions internationales sur la responsabilité civile des armateurs.

Pour les autorités grecques, il est légitime que des sanctions pénales puissent être prononcées à l'encontre de tous les acteurs impliqués dans l'exploitation d'un navire : l'armateur, le gestionnaire nautique, le capitaine du navire, et ceci conformément aux préconisations de l'International Safety Management Code (alors qu'en matière de responsabilité civile la convention CLC prévoit la responsabilité exclusive de l'armateur).

Les autorités grecques ont fait observer qu'il ne fallait sans doute pas être trop dogmatique dans les positions.

En effet, un bateau à double coque permet d'éviter la pollution s'il y a un « heurt » -léger- du bateau. Mais, dans le cas du naufrage du Prestige, un système de double coque n'aurait pas permis d'éviter la pollution.

Les autorités grecques ont précisé qu'à leur sens, la double coque favorise la corrosion du métal et que les navires à double coque sont plus sensibles à la déformation des matériaux. De surcroît, il n'existe pas de peinture qui permette de se garantir de manière efficace contre la corrosion.

Durant la période intermédiaire -liée aux délais d'application de la directive- la régularisation sera faite grâce à un règlement qui interdira -avec effet immédiat- aux bateaux à simple coque d'approcher les ports communautaires.

La Grèce est favorable à la création d'un fonds complémentaire du FIPOL doté d'un budget de 1 milliard d'euros pour l'indemnisation des dommages causés par les pollutions dues aux seuls produits pétroliers. En réponse aux remarques des parlementaires qui ont fait part de leur scepticisme sur les chances d'aboutir rapidement à créer un tel fonds dans le cadre du FIPOL, l'amiral a, au contraire, déclaré que la prochaine conférence diplomatique de l'OMI permettrait de progresser efficacement sur ce dossier et qu'il ne fallait pas exagérer la difficulté de dégager des majorités au sein de cette organisation internationale.

Sous l'influence des nouvelles normes communautaires, les propriétaires grecs sont en train de constituer une nouvelle flotte et d'importantes commandes ont été passées aux chantiers de Corée, d'Extrême Orient et de Croatie.

Actuellement, 62% des bâtiments sous pavillon grec ont déjà des double-coques.

A la question de savoir si la Grèce disposait d'une administration de garde-côtes similaire à celle des Etats-Unis, le contre-amiral a répondu que les compétences de la garde-côtes grecque étaient similaires à celle des Etats-Unis, et a souligné l'originalité de la situation de la Grèce qui est le seul pays à disposer en Europe d'un ministère de la Marine marchande autonome par rapport au ministère des Transports.

Le corps des garde-côtes grecs a des compétences très étendues qui vont de la lutte contre le terrorisme au contrôle de l'immigration clandestine, en passant par le contrôle des bateaux de plaisance et de commerce et la régulation des activités de pêche.Cette administration comprend 7 000 personnes et dispose, entre autres moyens, de 235 navires et de 4 hélicoptères polyvalents.

Le contre-amiral a ensuite donné des précisions sur l'organisation de la certification des bateaux battant pavillon grec et sur la politique de contrôle de l'Etat du port.

a) Concernant la certification :

Neuf sociétés de Classification sont mandatées par le gouvernement grec pour des missions d'inspection et de délivrance des certificats, parmi lesquelles figure le Bureau VERITAS.

Des postes de contrôle, implantés dans les ports grecs, permettent également d'inspecter les navires battant pavillon étranger.

b) Concernant l'inspection des navires :

La Grèce dispose, dans son organisation des garde-côtes, d'une direction spécifique chargée de l'inspection des navires. Cette direction est pilotée par un directeur général assisté de trois directeurs. Le service central se trouve au Pirée, et comprend 150 personnes (mécaniciens et officiers maritimes). Il lui est associé un réseau -considéré comme satisfaisant- avec des relais dans 150 villes côtières, permettant d'inspecter tous les types de bateaux.

Des inspections ont lieu à fréquence irrégulière dans les grands ports du pays. La Grèce figure d'ailleurs sur la liste blanche des inspections, d'après les estimations publiées par le Mémorandum de Paris.

A la question portant sur la mise en oeuvre des inspections systématiques tous les 2,5 ans et de l'inspection en cale sèche tous les 5 ans, la Grèce respecte ces engagements y compris pour les petits bateaux (qui doivent déjà se conformer à ces prescriptions depuis un an).

Les parlementaires ont évoqué les risques spécifiques de la Méditerranée en cas de pollution, en raison de son caractère de mer fermée et ont expliqué que la France venait de se doter d'un nouvel outil juridique pour prévenir les pollutions avec la création d'une zone de protection écologique.

En réponse les autorités grecques ont fait observer que, compte tenu de la structure insulaire du territoire grec, l'instauration d'une zone protégée de 200 milles limiterait considérablement la navigation, les navires devant alors se diriger vers la Turquie. L'amiral a cependant reconnu que, compte tenu des risques spécifiques en Mer Egée, il serait très utile d'instaurer une procédure de séparation de trafic dans cette zone au moins pour le transport de produits dangereux.

Les autorités grecques ont estimé disposer de moyens suffisants en termes de remorqueurs et ont indiqué qu'elles disposaient de 16 stations de dépollution. Quant aux installations pour traiter des résidus de déballastage, la situation est satisfaisante dans les petits ports, mais plus difficile dans les ports plus importants.

S'agissant de la question de la coopération entre les différents pays riverains de la Méditerranée, les échanges noués par la Grèce avec les pays limitrophes dans le cadre du REMPEC apparaissent très satisfaisants.

Un long débat a été mené sur les lieux refuge. Les autorités grecques ont déploré que le Prestige n'ait pu être remorqué vers un port ou une zone de refuge. Une coopération européenne en la matière serait particulièrement utile, mais il convient de reconnaître la difficulté politique de désigner telle zone de refuge plutôt que telle autre pour recueillir un navire en difficulté. L'AESM pourra utilement intervenir pour gérer les situations de crise et peut-être décider du lieu de refuge le mieux adapté selon les caractéristiques du bateau en perdition.

Par ailleurs, la directive 99/35 offre la possibilité d'inspections conjointes entre pays voisins, ce qui permettrait d'améliorer le niveau des inspections et d'harmoniser la méthodologie des contrôles.

Chypre et Malte sont respectivement les 5ème et 6ème flottes mondiales par la capacité de leurs bateaux.

L'élargissement de l'Union Européenne à Chypre et Malte fera de la flotte communautaire la plus grande flotte maritime, à compter du 1er mai 2004 (si l'on se réfère aux données de 2001).

Le Liberia sera dépassé de quelques tonnes. La Grèce n'éprouve aucune crainte de perte de compétitivité de ses armements grecs face à ces deux puissances maritimes L'intégration de ces deux pays constitue au contraire une chance pour l'Europe, car elle lui confèrera une légitimité plus grande pour faire évoluer les normes internationales du transport maritime.

Compte-rendu de l'entretien au Bureau VERITAS en Grèce(

(
Le Pirée, mercredi 23 avril 2003)

Personnes rencontrées :

- M. Bernard ANNE, Directeur de la Division Marine du groupe (France)

- M. Lambros A. CHAHALIS, Directeur du Département Grec - Le Pirée (Grèce)

- M. Tassos ANGELOPOULOS, Directeur opérationnel - Le Pirée (Grèce)

- M. Georges-Paul PERANTZAKIS, Coordinateur ventes et Marketing (Grèce)

* * * * * * *

M. Anne, directeur de la Division marine du Bureau VERITAS, a présenté un bref historique précisant que les sociétés de classification sont nées il y a environ 2 siècles, à l'instigation des sociétés d'assurance qui souhaitaient disposer d'une évaluation sur l'état des navires à assurer. Le paiement de l'intervention était alors réalisé par les sociétés d'assurance ou les armateurs.

Il y a environ 50 ans, une organisation internationale a été créée pour harmoniser la méthodologie des sociétés de classification et adopter un référentiel reconnu mondialement qui permette d'apprécier le risque assurable à partir d'une batterie de critères objectifs (âge du navire, type de cargaison, historique des sinistres...).

Progressivement les sociétés de classification ont défini des standards pour la construction et l'entretien des navires qui ont été reprises notamment dans la convention Solas. Ces normes professionnelles sont donc devenues des règles de droit dont le respect conditionne, par exemple, la délivrance des certificats statutaires prévus par la convention Solas.

Abordant la question du rôle des sociétés de classification en Grèce, M. Chahalis a expliqué que la Grèce ne déléguait pas à des sociétés de classification sa compétence pour délivrer les certificats statutaires. La Grèce travaille cependant en étroite collaboration avec les sociétés de classification qui sont chargées de procéder à des inspections pour le compte de l'Etat du pavillon. Toutefois, ces sociétés de classification se limitent à recueillir les éléments techniques sur la base desquels les services de garde-côtes helléniques délivrent les certificats statutaires.

La Grèce a recours essentiellement aux sociétés de classification membres de l'IACS, mais elle travaille aussi avec la société de classification « Hellenic Register of shiping », société grecque non reconnue par l'IACS mais agréée par l'Union européenne. Cette société de classification ne correspondrait pas aux critères de l'IACS, car elle aurait une activité spécialisée dans le cabotage (navires de faible tonnage) et ne posséderait pas un nombre suffisant d'inspecteurs exclusifs.

Les représentants du bureau VERITAS ont relevé que l'Agence européenne de sécurité maritime a sans nul doute un rôle à jouer dans le contrôle des sociétés de classification, mais que les critères techniques demeurent à préciser.

L'Agence européenne (AESM) sera vraisemblablement un bras technique au service de la Commission.

Jusqu'à présent la Commission européenne donnait son agrément à des sociétés de classification qui étaient présentées par des Etats membres et dont ils se portaient en quelque sorte « garants ».

Il est vraisemblable que, progressivement, la Commission européenne s'appuiera sur l'expertise menée par l'AEM pour apprécier la qualité des sociétés de classification qui ne seront plus « parrainées » par des Etats membres.

En réponse à la question de savoir si les activités de certification et de classification devraient être nettement distinguées, M. Anne a souligné que le rôle joué par délégation des Etats du pavillon répondait à un véritable besoin, car aucun Etat n'est en mesure d'entretenir un réseau mondial d'inspecteurs capables de procéder à des mission de contrôle très variées.

A titre d'exemple, il a indiqué que sa société avait un réseau de 1 000 inspecteurs et architectes navals répartis dans le monde entier, cette équipe étant beaucoup mieux à même de mener des contrôles de qualité que les services des Affaires maritimes qui n'auraient pas la possibilité de contrôler directement des navires immobilisés à des milliers de milles.

M. Anne a reconnu que la situation était très contrastée selon les pays, certains Etats de libre immatriculation n'ayant pratiquement aucune administration maritime et déléguant totalement aux sociétés de classification le pouvoir de délivrer des certificats statutaires alors que d'autres gardent leurs prérogatives régaliennes, les sociétés de classification se bornant à préparer les éléments techniques sur la base desquels les certificats sont délivrés par l'Etat du pavillon.

M. Anne a souligné qu'en contrepartie de ces délégations, les sociétés de classification étaient auditées par les Etats du pavillon selon les règles posées par l'OMI, les pavillons de libre immatriculation conservant d'ailleurs l'intégralité de leur responsabilité comme autorité certifiant la navigabilité des bâtiments immatriculés à leur registre.

A la question portant sur les relations entre les sociétés d'assurance et les sociétés de classification, et sur le fait de savoir si l'IACS contrôlait effectivement la qualité du travail mené par les sociétés de classification, les responsables du Bureau VERITAS ont répondu que, au sein de l'IACS, les procédures de contrôle de la qualité des prestations des sociétés de classification sont très rigoureuses.

Des « auditeurs » de l'IACS vérifient l'application des règles en vigueur, ce qui conduit à une autoévaluation dont le sérieux ne peut être contesté. Une société polonaise qui ne respectait pas ces critères a été exclue de l'IACS.

M. Anne a aussi fait remarquer que cette autoévaluation menée par l'IACS était complétée par l'action des Etats par l'intermédiaire des contrôles de l'Etat du port. De plus, il a indiqué que la pérennité des sociétés de classification dépendait de leur rigueur professionnelle : tout incident mettant en cause un bâtiment certifié par une société de classification reconnue met à mal l'image de marque et la crédibilité de la société de classification.

S'agissant des double-coques, l'un de leurs mérites est d'éviter les micro-fuites. Toutefois, il faut souligner que les navires à double coque ne sont pas véritablement plus solides que les navires à simple coque. L'un des mérites de l'imposition des navires à double coque est d'accélérer le renouvellement du parc.

Les représentants du Bureau VERITAS ont rappelé que, lorsque les Etats-Unis ont imposé les double-coques, tous les navires satisfaisant à cette exigence ont été envoyés vers les Etats-Unis. Il risque sans doute de se produire le même mouvement de translation lorsque le règlement bannissant les navires à simple coque entrera en vigueur en Europe.

En ce qui concerne la nouvelle réglementation européenne, les représentants du Bureau VERITAS ont fait observé qu'en 2010, certains navires à simple coque n'auront que 14 ans d'âge et seront peut être moins dangereux que certains navires à double coque plus anciens. A la date butoir de 2010, bon nombre de navires ne pourront plus être utilisés alors qu'ils seront encore techniquement en état de fonctionner.

Le Bureau VERITAS a souligné que, techniquement, envoyer un navire de 14 ans à la casse est une « ineptie ». Au lieu de bannir tous les bateaux à simple coque construits antérieurement à une certaine date, il faudrait offrir la possibilité aux bateaux anciens, mais bien entretenus, de demander un contrôle spécifique approfondi afin de s'assurer de l'état de fatigue de leur structure et d'apprécier s'ils sont encore aptes à naviguer.

L'interdiction du transport du fioul lourd dans des navires à simple coque est une bonne chose. Il peut en effet exister un risque de microfissures.

Le Bureau VERITAS a souligné que, pour un bateau, l'élément essentiel est sans doute l'entretien. Contrairement à un avion, on ne peut pas démonter un navire. Le contrôle, lorsqu'il est réalisé, est forcément fondé sur un contrôle statistique. Certains points ou problèmes peuvent parfaitement ne pas avoir été vus. La question de la réparation des navires est délicate et le contrôle des réparations effectuées constitue un aspect sur lequel il faudrait se mobiliser pour améliorer la sécurité maritime.

Compte-rendu de l'entretien avec l'Union des Armateurs Grecs(

(
Athènes, mercredi 23 avril 2003)

Personnes rencontrées :

M. Nikos D. EFTHYMIOU, Président de l'Union des Armateurs Grecs.

M. Yannis C. LYRAS, ancien Président de l'Union des Armateurs, actuel responsable des Relations internationales

M. Eftratios A. XINOS, Directeur Général

M. Geroges D. KANAKIS, Conseiller Technique

M. Demetrios J. PROKOPIOU et M. Georges GRATSOS, membres du Conseil d'Administration

* * * * * * *

La flotte marchande grecque représente 37.30% du total de la flotte des 15 Etats membres de l'Union Européenne (en tonnage), selon les données du Lloyd's Register of Shipping, de janvier 2003.

La flotte immatriculée au registre maritime hellénique s'élève à 1529 navires mais on estime que la flotte sous pavillon national ne représente que 42% de la flotte contrôlée par les armateurs grecs En effet 60% des navires immatriculés à Malte et 70% de ceux immatriculés à Chypre sont contrôlés par des armateurs grecs.

La flotte hellénique comprend tous les types de bâtiments de plus de 3 500 tonnes; seuls les bateaux assurant le transport de passagers ne sont pas représentés au sein de l'Association des armateurs grecs.

Pour l'Union des armateurs, il n'y a pas de discussion en la matière : elle se conformera aux exigences de la réglementation en vigueur.

Les armateurs ont toutefois fait remarquer que lorsqu'un bateau est bien entretenu, fait l'objet de contrôles réguliers de classification et relève d'une très bonne administration, le nombre de coques ou l'âge du navire importent peu.

L'obligation de construire des double-coques date, pour les pétroliers, de 1996. Cette décision a conduit à un renouvellement assez important de la flotte. Actuellement, on estime que 60 % de la flotte des pétroliers battant pavillon grec, est à double coque. Ce pourcentage augmente. La moyenne d'âge de la flotte diminue également, cette moyenne a été ramenée de 21 ans (il y a quelques années) à 16-17 ans, compte tenu des nouvelles commandes qui ont été passées.

M. Lyras a fait observer que les Etats-Unis avaient imposé les bateaux à double coque après le naufrage de l'Exxon Valdez en 1989. Ce bateau avait 4 ans, et la plupart des bateaux qui ont fait naufrage au cours de la période récente avaient moins de 10 ans.

Lorsque le trafic de marchandises augmente (2 milliards de tonnes transportées par an), la réalité statistique conduit à ce qu'aient inéluctablement lieu des accidents.Le problème vient de ce que l'opinion publique a une tolérance nulle pour les accidents et qu'elle est beaucoup plus sensible aux pollutions qu'aux pertes en vies humaines résultant de naufrages.

M. Lyras a relevé que, lorsque les Etats-Unis ont imposé les double coques, ils ont cherché à ce qu'une mesure similaire soit décidée sous l'égide de l'OMI, considérant qu'il était primordial de lutter contre les micro-pollutions chroniques dont les conséquences néfastes pour l'environnement étaient beaucoup plus dommageables que les marées noires.

Par contre, on ne connaît pas tous les inconvénients que peuvent présenter les double-coques. En effet, le système de navires à double coque peut, suite à des fuites de gaz, entraîner des risques d'explosion. De plus, les facteurs de corrosion sont alors aggravés notamment dans la partie entre les deux coques.

Il a conclu son propos en soulignant que la décision américaine d'imposer les double-coques était avant tout politique. Et que compte tenu du poids économique des Etats-Unis, personne ne pouvait se permettre de s'abstenir de commercer avec les Etats Unis.

En ce qui concerne la question des zones de refuge, selon le Président des armateurs, il manque de telles zones bien équipées en Europe et il faut souligner la nécessité de faire une distinction entre zones et ports refuges, ces derniers devant comporter des équipements adaptés au traitement de plusieurs types de pollution. Ceci qui pose de délicats problèmes de financement car il n'existe pas en Grèce de financements publics suffisants pour procéder à ces investissements.

Les armateurs grecs ont relevé que, dans le cas particulier du Prestige, il n'y aurait pas eu de problème si les autorités espagnoles avaient géré différemment le problème et n'avaient pas décidé d'éloigner, à plus de 250 milles des côtes un navire qui avait déjà un problème.

Il s'agit cependant là d'une question politiquement sensible, car elle revient à privilégier l'intérêt général (limitation de l'étendue de la pollution) par rapport à l'intérêt particulier (la pollution est alors quasi-certaine pour la zone de refuge).

Il existe des zones de refuge en Méditerranée. La Grèce doit également en disposer, mais il est nécessaire que les Etats réalisent, en permanence, des investissements pour prévenir les risques de pollution. Ces investissements doivent également concerner les systèmes de récupération des déchets en mer et la mise à disposition de remorqueurs pour assister les navires en détresse.

Pour expliquer la nécessité de procéder à des investissements réguliers pour la sécurité maritime, M. Lyras a indiqué, à titre d'exemple, qu'il y a dix ans, un remorqueur de 1500 chevaux permettait le remorquage de ce qui était considéré comme un grand tanker transportant 20 000 tonnes. Aujourd'hui, il y a des tankers de 160 000 tonnes et il est nécessaire que les remorqueurs aient une puissance de 12 000 chevaux. La capacité de remorquage existe en Grèce, mais appartient à des remorqueurs privés et il serait souhaitable que les pouvoirs publics investissent davantage dans ce domaine.

A la question de M. Landrain sur l'opportunité de publier la liste des zones refuge nos interlocuteurs n'ont pas répondu directement mais ils ont noté que la publication d'informations sur l'équipement de certains ports pouvait nuire à l'image de marque de la zone surtout s'il s'agissait d'une région touristique.

A la question de M. Landrain sur la légitimité d'élaborer une politique communautaire de sécurité maritime en raison de la difficulté de faire évoluer les règles du transport maritime au sein de l'OMI, les armateurs ont répondu qu'ils condamnent la mise en oeuvre de mesures régionales unilatérales.

Rappelant qu'ils s'étaient ainsi élevés, à l'époque, contre les mesures prises unilatéralement par les Etats Unis -à la nuance prêt que ce pays, lorsqu'il a adopté cette réglementation, n'avait pas encore signé la convention MARPOL-, ils ont estimé que le comportement des Etats européens est beaucoup moins cohérent car tous les Etats membres ont signé la convention MARPOL et ont montré leur attachement au multilatéralisme symbolisé par l'OMI

En revanche les armateurs grecs ne voient aucune objection à la constitution d'une Agence européenne pour la sécurité maritime. De même, ils considèrent qu'un corps de garde-côtes européen serait sans doute souhaitable, mais soulignent que ce type de mesure n'est sans doute pas aussi simple à mettre en oeuvre en Europe qu'il peut l'être aux Etats-Unis compte tenu de la diversité des organisations administratives nationales.

M. Priou a souhaité connaître la position des armateurs grecs sur le développement d'une concurrence exacerbée entre la flotte européenne et celle battant pavillon des pays de libre immatriculation et demande à nos interlocuteurs si l'entrée de Chypre et de Malte dans l'Union européenne serait un facteur important pour harmoniser les conditions d'exploitation des flottes marchandes au niveau communautaire.

En réponse, M. Lyras a souligné que plus de 60% de la flotte mondiale correspond à des navires battant pavillon de libre immatriculation. Il faut s'élever contre l'idée que, pour ces armateurs, seul compterait le profit. A 80 %, les propriétaires de la flotte marchande mondiale, sous pavillon de libre immatriculation, sont ressortissants des pays de l'OCDE : le recours à ce type de pavillon est une nécessité imposée par la concurrence très agressive des pays du Sud est asiatique.

Au plan mondial, la concurrence la plus forte se joue entre les armateurs de l'Occident, d'une part, et de l'Orient d'autre part (Chine, Inde, Philippines qui disposent de la 2ème flotte mondiale), alors que les pays tels que l'Inde ou la Chine bénéficient d'une main d'œuvre à bon marché.

Loin de constituer une réalité qu'il faut combattre, l'immatriculation de bateaux européens sous des pavillons étrangers est un facteur de pérennité du savoir-faire européen dans le domaine du transport maritime, alors que l'Europe est dans une situation déjà très délicate pour la survie de ses chantiers navals.

M. Lyras a conclu son propos en indiquant que, pour un armateur, il n'y a pas de différence dans la manière de gérer les bateaux selon leur pavillon, et que les armateurs grecs possèdent des bateaux battant pavillon de différents Etats, l'essentiel de la flotte relevant des registres chypriote, maltais ou grec.

L'entretien s'est terminé en évoquant les risques spécifiques de pollution en Méditerranée et la nécessité de lutter contre les dégazages sauvages. Après avoir rappelé le contenu de la convention MARPOL, qui interdit tout rejet de résidus d'hydrocarbures en Méditerranée, les armateurs ont fait part de leur satisfaction quant au fonctionnement actuel du FIPOL, après que les parlementaires français ont évoqué l'émotion suscitée chez les populations du littoral français par la répétitions des marées noires provoquées par des armateurs peu scrupuleux.

Le Président des armateurs grecs a alors compati avec la population française pour les dommages qu'elle a subies, mais a souligné que tout le monde avait un besoin vital du transport maritime, qui assure l'essentiel du commerce international et qu'il faut donc en assumer les risques.

Echange de vues au Parlement européen

(
Bruxelles, mardi 20 mai 2003)

Un échange de vues a eu lieu, au Parlement européen, avec une délégation de membres des différentes commissions permanentes concernées par les questions relatives au naufrage du Prestige et à ses conséquences.

Cette délégation était composée de :

- M. Dirk STERCKX, rapporteur de la Commission de la politique régionale, des transports et du tourisme sur le naufrage du Prestige,

- Mme Margie SUDRE, membre de la Commission de la politique régionale, des transports et du tourisme,

- Mme Sylviane AINARDI, membre de la Commission de la politique régionale, des transports et du tourisme,

-  M. Hugues MARTIN, vice-président de la commission de la pêche,

- Mme Rosa Miguelez RAMOS, vice-présidente de la commission de la pêche,

- Mme Marie-Anne ISLER BEGUIN, Rapporteur pour avis de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la politique des consommateurs sur l'affaire du Prestige

- Mme Françoise GROSSETETE, membre de la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la politique des consommateurs.

* * * * * * *

Durant cet échange de vues, ont notamment été abordées diverses questions relatives :

- aux moyens de contrôle du Parlement européen sur les circonstances du naufrage du Prestige,

- aux mesures prises ou recommandées par la Commission européenne, concernant notamment la perspective de création d'une garde-côtes européenne et la lutte contre les dégazages et déballastages sauvages,

- aux perspectives de l'Agence européenne de sécurité maritime,

- aux fonds communautaires éventuellement mobilisables au profit des victimes de la pollution.

Compte-rendu de l'entretien avec M. Willem de RUITER,
Directeur exécutif de l'Agence européenne de sécurité maritime


(
Bruxelles, mardi 20 mai 2003)

Personne rencontrée :

- M. Willem de RUITER

en présence de Mme Virginie DUMOULIN, pour la représentation permanente de la France.

* * * * * * *

M. de Ruiter a rappelé la chronologie de la création de l'AESM (Agence européenne de sécurité maritime), décidée le 25 août 2002 avec l'objectif d'être opérationnelle dans un délai d'un an. Le premier conseil d'administration s'est ensuite réuni en décembre 2002, avant la nomination du directeur exécutif et la mise à disposition de locaux modestes, à Bruxelles, dans l'attente du choix du siège de l'Agence. Actuellement, M. de Ruiter, qui était jusqu'alors chef de l'unité Sécurité maritime de la direction générale de l'énergie et des transports, est encore le seul expert de l'Agence, mais il vient de publier des appels à candidatures pour trois postes de chefs d'unité (deux techniques, un administratif), correspondant à l'organigramme adopté par le Conseil. Afin de mettre en place la structure administrative de l'Agence, M. de Ruiter est actuellement assisté d'une équipe de six auxiliaires.

Les effectifs de l'Agence devraient atteindre environ 30 personnes en septembre prochain, 40 à Noël, et -dans le cadre d'une Union comptant quinze membres et de missions correspondant à celles actuellement prévue par le règlement communautaire concerné-, environ 55 personnes à terme.

Compte tenu de l'élargissement prochain à vingt-cinq Etats-membres, les effectifs devraient cependant logiquement se rapprocher plutôt de 80 personnes. Par ailleurs, à la suite du naufrage du Prestige, l'Agence pourrait se voir confier de nouvelles fonctions, notamment dans la lutte antipollution en mer, comme le souhaitent le Président de la Commission et sa Vice-Présidente chargée des transports, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme, au titre d'une mission de sûreté, -pour l'instant non prévue par le règlement régissant l'AESM-, consistant à organiser une coopération technique entre Etats membres pour l'application uniforme des textes de l'OMI portant sur ce sujet.

En ce qui concerne la lutte contre la pollution, il serait demandé à l'Agence de se doter de navires dépollueurs de grande capacité, ce qu'elle pourrait faire notamment en recourrant à la technique de la maîtrise d'œuvre plutôt qu'en procédant à des acquisitions. Le projet de budget pour 2004, proposé par la Commission, prévoit 20 millions d'euros destinés à l'AESM dans ce cadre. L'Agence pourrait également s'appuyer sur le Cèdre.

En revanche, il paraît difficile, compte tenu des moyens prévus, de confier à l'Agence des contrôles très opérationnels tels que la vérification, sur place et dans tous les Etats du monde, de la qualité des brevets maritimes délivrés par les Etats tiers.

Actuellement, la lutte antipollution en mer repose, au plan communautaire, sur un dispositif de coordination, sur la base du volontariat des Etats. Plusieurs Etats membres, dont la France, l'Allemagne et les Pays-Bas notamment, y ont participé dans le cadre de l'affaire du Prestige. Pour aller plus loin, l'Agence devrait procéder en premier lieu à une analyse de la productivité respective des divers moyens mobilisés efficacement, malgré les conditions météorologiques difficiles, pour la récupération du fioul en mer, avant de choisir les navires dont elle pourrait disposer contractuellement en propre, utilisant les meilleures techniques connues, et qui pourraient être positionnés dans des lieux stratégiques, comme le Cap Finisterre ou le large d'Ouessant... Pour ce qui concerne les navires des Etats, ils devraient naturellement demeurer propriété de ceux-ci, mais le mécanisme de coopération communautaire devrait être renforcé.

A la question de M. Landrain sur la possibilité pour l'AESM de contrôler l'application des normes édictées par l'Union sur l'initiative de la Commission, M. de Ruiter a répondu que l'Agence n'était dotée d'aucun pouvoir supranational pour sanctionner les Etats fautifs, celui-ci appartenant à la Commission et à elle seule. Soulevant la question du taux de contrôle par l'Etat du port, en rappelant le niveau requis de 25%, et la nécessité de faire en sorte d'éviter de créer des « ports de complaisance », il a mentionné l'insuffisance de données cohérentes et exhaustives disponibles au sein de l'unité Sécurité maritime de la Commission. En ce qui concerne l'agrément des sociétés de classification, c'est à la Commission, là aussi, qu'il revient d'agréer ou de suspendre une société défaillante, l'Agence ayant seulement vocation à réaliser des audits et des analyses pour éclairer la Commission sur ce point. Il s'agira, quoi qu'il en soit, d'une tâche de grande ampleur, qui ne pourra être effectuée de manière exhaustive, du moins dans un premier temps. A titre d'illustration, une grande société comme Lloyd's Register, dont on ne peut se contenter d'inspecter uniquement les méthodes du siège, possède des bureaux locaux dans plus de 50 pays. Enfin, s'agissant de la directive sur les lieux de refuge, dont la détermination est prévue par les paquets Erika, mais n'a pas encore été transposée, la responsabilité de les choisir reste aux Etats côtiers. L'Etat côtier prendra également la décision finale sur l'accès d'un navire en détresse au cas par cas. Il s'agit à l'évidence de décisions difficiles, que personne ne peut prendre aisément, car elles sont du type « perdant-perdant ». En effet, soit l'opération réussit et personne n'en parle, soit elle échoue et l'impopularité consécutive est majeure.

Aux questions de M. Priou sur le positionnement du siège de l'Agence, et sur la problématique des capacités de dégazages et déballastages à terre, M. de Ruiter a répondu que l'Agence et son directeur exécutif n'avaient aucune part dans le choix du siège, celui-ci revenant aux chefs d'Etat, qui devaient se déterminer dans le cadre d'une décision globale portant sur l'ensemble des agences européennes. Il a cependant rappelé que le choix serait rendu plus difficile encore s'il était opéré après l'élargissement, et que cette incertitude pouvait être source de difficultés pour recruter rapidement, comme il était souhaité, des personnes compétentes, à qui il était aujourd'hui impossible de dire où elles allaient ensuite travailler et résider.

En ce qui concerne les dégazages, la Commission a présenté une proposition de directive introduisant des sanctions pénales pour tous ceux qui ont contribué à une pollution de mer par négligence grave, qui ressortit à la fois à la politique des transports, dans le cadre du 1er pilier communautaire, et à celle de la sécurité intérieure. Mme Dumoulin a précisé que la décision-cadre attendue pour cette deuxième partie du dispositif avait été présentée récemment, et que l'ensemble pourrait sans doute être examiné lors du Conseil d'octobre, sous la présidence italienne.

M. de Ruiter a ajouté que, en tout état de cause, l'Agence pourrait inviter des experts sur lesquels elle s'appuierait, afin de comparer les dispositifs de surveillance existants. Mais la surveillance ne servira à rien en l'absence de sanctions efficaces et dissuasives. Il serait, à cet égard, et de manière générale, utile de profiter pleinement du sentiment d'urgence actuellement éprouvé par les Etats membres dynamiques pour convaincre les plus réticents. Mme Dumoulin a, pour sa part, indiqué que la présidence italienne serait sans doute très allante sur les questions de sécurité maritime, mais que la présidence grecque avait également permis des progrès, par exemple avec l'adoption dans un délai très court, inférieur à trois mois, du règlement concernant le retrait des navires à simple coque.

Mme Tanguy a souligné que le Gouvernement français venait de déposer au Parlement un projet de loi portant sur le durcissement des sanctions pénales à l'encontre des dommages à l'environnement, dont l'Assemblée nationale allait discuter très prochainement. A sa question concernant la perspective de créer des garde-côtes européens, M. de Ruiter a répondu qu'il s'agissait d'un thème délicat, qui ne pouvait être envisagé qu'à moyen ou long terme, du moins s'il était abordé par référence aux 40 000 gardes-côtes américains à statut militaire. Dans une telle perspective, une garde-côtes européenne serait sans doute, conceptuellement, aussi nécessaire que pourrait l'être une armée européenne. La question, à plus court terme, se pose dans des termes différents, dans une perspective pragmatique de « petits pas » correspondant à la logique générale de la construction européenne. Il serait sans doute plutôt contre-productif pour le développement de l'Agence de considérer dès le départ qu'elle devrait constituer un embryon de garde-côtes.

A plus court terme, l'Agence pourrait en revanche jouer un rôle de coordination technique, de façon à éviter la juxtaposition de dispositifs incompatibles ou de plans nationaux incohérents entre eux, ou du moins mal articulés. A cet effet, l'Agence a élaboré une grille de critères méthodologiques pour la mise en place, dans chaque Etat, d'une procédure de détermination de lieux refuges, fondée sur six points clés communs. Ainsi, l'AESM devrait pouvoir jouer un rôle efficace de plateforme de structuration de la coordination des politiques et des mesures de sécurité maritime des différents Etats.

En réponse à une question de M. Priou sur d'éventuels moyens de financement communautaires pour pallier notamment les insuffisantes capacités portuaires de dégazages-déballastages et les remboursements très limités des dommages causés par la pollution résultant du naufrage du Prestige, M. de Ruiter a indiqué que l'Agence n'aurait pas elle-même de budget pour intervenir financièrement.

En ce qui concerne le problème de la Méditerranée, il a reconnu qu'il restait beaucoup à faire dans ses Etats riverains, mais que l'Afrique du Nord n'appartenait pas au territoire de compétence de l'Agence. La Commission, en revanche, notamment avec le programme Méda, vise à exporter vers les pays du pourtour de la Méditerranée des structures de contrôle de l'Etat du port qui permettraient de mieux maîtriser la qualité des navires naviguant sur cette mer.

Globalement, l'Agence doit maintenant, en tout état de cause, établir un plan d'action et de développement à moyen terme, avec un calendrier précis et des priorités hiérarchisées.

Compte-rendu de l'entretien avec M. François LAMOUREUX,
Directeur général de la Direction générale Transports-Energie de la Commission européenne


(
Bruxelles, mardi 20 mai 2003)

_____________

Personnes rencontrées :

- M. François LAMOUREUX, Directeur général de la DG Transports-Energie

- M. Fotis KARAMITSOS, directeur des transports maritimes

- M. Laurent MUSCHEL, collaborateur du directeur général

- en présence de Mme Virginie DUMOULIN, pour la représentation permanente de la France.

* * * * * * *

I. Missions de l'Agence européenne de sécurité maritime (AESM)

M. Lamoureux a indiqué que l'articulation des compétences de la DG TREN et de l'AESM était bien définie. L'AESM est en effet un organisme technique, au service de la Commission, chargé de tâches précises : la réalisation d'études et d'expertises sur mandat de la Commission et l'assistance à celle-ci pour la vérification du travail des inspecteurs. Elle est chargée d'aider les Etats membres dans leurs contrôles et de coopérer avec eux. Le contrôle des sociétés de classification, auparavant assumé par la Commission, relève également de sa compétence.

L'AESM est une agence autonome, mais c'est la Commission qui assumerait la responsabilité d'éventuels dysfonctionnements.

La Commission a proposé d'élargir les compétences de l'AESM à la dépollution en cas de sinistre. En effet, l'Union européenne doit disposer de moyens de dépollution immédiate, en s'appuyant sur les technologies les plus modernes et les plus adaptées. Le budget de l'AESM pour 2004 prévoit 20 millions d'euros pour cette tâche. C'est à l'AESM qu'il reviendra de déterminer s'il est préférable de louer ou d'acheter des navires de dépollution. De tels navires pourraient également servir à nettoyer des zones maritimes souillées, comme en Mer du Nord ou dans le Golfe de Gascogne, indépendamment de sinistres ponctuels.

L'AESM assume un triple rôle de conseil, d'expertise et de contrôle, comme l'ont souhaité les Etats membres. Elle ne dispose pas d'un pouvoir de régulation autonome mais pourra proposer des améliorations de la réglementation sur la base d'un mandat de la Commission.

II. Les raisons de la succession à bref intervalle de deux catastrophes maritimes majeures.

La survenance de deux sinistres successifs a démontré que l'effort de réglementation ne suffit pas : il faut assurer son application.

Les Etats membres portent une partie des responsabilités dans ces domaines. En effet, certaines mesures proposées par la Commission dans le cadre des paquets Erika I et II avaient été écartées et n'ont été reprises qu'après le naufrage du Prestige, notamment des dispositions concernant l'accélération du retrait des bateaux à simple coque et l'obligation d'appliquer des sanctions pénales en cas de pollution volontaire.

A titre d'exemple, si les mesures proposées par la Commission dans le cadre du paquet Erika I avaient été adoptées par les Etats membres, le Prestige n'aurait pas pu naviguer en novembre 2002. Les délais initialement proposés par la Commission ont été refusés ; les Etats membres ont même accepté à l'unanimité de concéder à Rotterdam un délai supplémentaire de 6 mois en matière de contrôle de l'Etat du port.

De plus, se pose un problème juridique : les Etats membres préfèrent l'adoption de directives, préservant les prérogatives des Parlements nationaux, plutôt que de règlements. Cependant, la Commission tire les leçons de l'expérience des paquets Erika : l'adoption de règlements est plus rapide et plus efficace. Les délais de transposition des directives sont trop longs, d'autant que certains ont été allongés par les Etats membres à l'unanimité.

La création de l'AESM a été retardée de plusieurs mois en raison des divergences des Etats membres sur le choix du siège : c'est pourquoi la Commission a pris l'initiative d'héberger provisoirement l'agence dans ses locaux à Bruxelles. Sa mise en place est en cours, le recrutement de trois directeurs adjoints est imminent et elle sera pleinement opérationnelle au début de l'année 2004. Son action constitue une priorité pour la Commission, et si des moyens supplémentaires apparaissent nécessaires, ils lui seront accordés.

M. Lamoureux a indiqué que, dès 2001, il avait suggéré à M. Gayssot de recourir à des officiers retraités de la marine pour pallier le manque d'inspecteurs titulaires. Cette proposition a d'ailleurs été mise en œuvre par la France, mais plus tardivement. Il a évoqué l'exemple de Chypre qui a recruté des inspecteurs étrangers (danois et britanniques, notamment) pour assurer le contrôle de l'Etat du port, les négociations d'adhésion de Chypre ayant conduit cet Etat à prendre conscience de l'importance aux yeux de l'Union de la question de la qualité de la flotte sous le pavillon chypriote.

Plus généralement, il a souligné l'important relâchement intervenu dans le domaine des contrôles de sécurité des transports dans de nombreux Etats membres. Souvent, les moyens fournis par les Etats membres ne sont pas à la hauteur de leurs engagements politiques, comme l'illustre la question du contrôle de l'Etat du port (exemple de la France et l'Irlande). De plus, la concurrence entre les ports a abouti à des comportements de complaisance dans certains ports afin d'attirer davantage de trafic. De même, les sociétés de classification, qui assument depuis près de deux siècles des tâches relevant du domaine régalien, sont insuffisamment contrôlées par les Etats. A cet égard, la Commission a finalement obtenu le droit de suspendre l'homologation accordée à une société de classification dont le travail est insatisfaisant ; par exemple, le retrait de l'agrément d'une société de classification grecque a été demandé par la Commission et des experts ont été envoyés pour évaluer les activités de la société italienne RINA.

III. Mesures envisagées ou en cours pour renforcer la sécurité maritime

Il serait souhaitable que l'Union européenne devienne membre en tant que telle de l'OMI, même si les Etats membres n'y sont guère favorables à ce jour.

La Commission préconise que les Etats membres exploitent davantage les rapports réalisés par les pilotes, qui sont les premiers à monter sur un navire et peuvent à ce titre bien évaluer son état.

En réponse à une question de M. Priou sur la pertinence du recours à des pilotes hauturiers dans des zones difficiles et très fréquentées, M. Lamoureux a indiqué que la Commission y était favorable mais que les Etats membres ne manifestaient guère de détermination dans ce domaine. Cette question doit être traitée à titre principal au sein de l'OMI et par les Etats membres ; en effet, l'Union européenne n'a pas de compétence dans la définition des rails et des routes maritimes. De plus, elle a adopté la directive sur le suivi du trafic maritime : les Etats membres doivent prendre des mesures pour assurer sa transposition et le recours à des pilotes hauturiers peut être décidé dans ce cadre. Il a noté qu'un million de bateaux, toutes sortes confondues, empruntaient la Manche chaque année et qu'on ne pourrait pas faire intervenir un pilote sur chacun d'entre eux.

La directive proposée en janvier 2003 sur la formation des gens de mer devrait être définitivement adoptée d'ici à l'automne. Chacun des Etats membres disposent de bonnes réglementations dans ce domaine, mais il faut vérifier leur application. Sur ce sujet, la Commission est en contact avec l'Organisation internationale du travail (OIT), qui lui a demandé de relayer ses propositions : en effet, l'OIT est dépourvue de moyens de contrôle de l'application des normes qu'elle édicte.

M. Lamoureux a noté que la création de l'AESM allait permettre d'appuyer les inspecteurs nationaux dans leur activité de contrôle. Ces derniers sont en effet souvent soumis à de fortes pressions lorsqu'ils décèlent un problème sur un navire. L'AESM, disposant notamment des rapports des sociétés de classification et des données de la base Equasis, pourra conforter la position de l'inspecteur face aux différentes autorités.

M. Lamoureux a évoqué la proposition de directive de la Commission sur l'obligation de sanctions pénales en cas de pollution volontaire, soutenue en particulier par la France, l'Espagne et le Portugal. Cette mesure avait déjà été envisagée lors de la discussion des paquets Erika I et II mais avait été écartée. La directive a été complétée par une décision cadre, afin de tenir compte de la répartition des compétences des institutions européennes en matière pénale selon le pilier concerné. Les dispositions sur les sanctions pénales se sont heurtées à certaines réticences des Etats membres. Le texte n'a d'ailleurs pas été inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres par la présidence grecque mais il va sans doute l'être sous peu.

En réponse à une question de M. Priou sur l'indemnisation des dommages liés au transport maritime de produits chimiques, M. Lamoureux a rappelé que la Commission a demandé aux Etats membres de ratifier la convention HNS.

A propos de l'obligation pour les navires de déballaster dans les ports, évoquée par M. Landrain, M. Lamoureux a indiqué qu'une réglementation prévoyant un système de taxation des navires pour financer le développement des investissements d'installations portuaires de déballastage était entrée en vigueur depuis le 28 décembre dernier.

La Commission avait proposé aux compagnies pétrolières de s'engager à appliquer par anticipation la réglementation communautaire, concernant notamment le transport de fioul lourd dans des navires à double coque. Cela aurait présenté un grand avantage : en effet, la réglementation communautaire ne s'applique qu'aux navires entrant dans les ports communautaires, et non à ceux transitant dans les zones économiques exclusives des Etats membres. La Commission aurait souhaité que les compagnies s'engagent unilatéralement à ne pas affréter des navires ne respectant pas les règles communautaires en la matière (que leurs navires entrent ou pas dans les ports des Etats membres), mais elle est dépourvue de moyens juridiques pour les contraindre. Les compagnies ont préféré être soumises à la réglementation communautaire, arguant d'éventuels risques de distorsion de concurrence avec des compagnies des Etats tiers.

En réponse à une question de M. Landrain, M. Lamoureux a indiqué qu'aucun risque de rupture d'approvisionnement en pétrole n'était à craindre du fait de l'application de la réglementation communautaire sur les navires à simple coque. L'augmentation du coût du pétrole liée au renforcement de la sécurité du transport maritime est faible au regard de celle due aux variations du prix du baril. Par ailleurs, des dérogations aux règles communautaires applicables sont prévues pour les pétroliers de moins de 5 000 tonnes, qui ravitaillent certaines îles ou jouent le rôle de transbordeurs.

Une réflexion sur le suivi satellitaire des navires est en cours mais M. Lamoureux a insisté sur le fait que la priorité de la Commission est d'assurer l'application des mesures déjà adoptées. Ce n'est qu'à moyen terme que la Commission envisage de formuler des propositions sur le renforcement des normes sociales et des obligations des Etats du pavillon.

IV. La question des fiouls lourds

Au sein de la direction générale des transports et de l'énergie, une réflexion sur l'élimination du fioul lourd à moyen terme est en cours. Ce type de fioul représente 7 à 8 % du marché des produits pétroliers et a actuellement deux fonctions :

- l'alimentation de centrales thermiques, en voie d'extinction en Europe, où ne restent que deux centrales thermiques, en Italie, ce pays ayant décidé d'abandonner la production d'énergie d'origine nucléaire. Le fioul transporté par l'Erika était d'ailleurs destiné à la centrale de Livourne ;

- l'utilisation comme carburant par les navires de commerce (mais non par les navires de guerre ni les navires de plaisance).

Il serait possible d'interdire ce dernier usage en imposant l'adaptation des moteurs des navires, qui ne semblerait pas très coûteuse. Reste le problème du traitement du fioul lourd, résidu du raffinage : si l'on peut en réduire le volume, il faut cependant définir les modalités de son traitement et de son stockage. Des études techniques sont actuellement menées sur ce sujet.

V. Rôle du CEDRE

M. Lamoureux a salué la compétence du CEDRE, avec lequel la Commission a été en contact dès le début de la crise, notamment pour connaître la nature exacte de la pollution. Lors de l'élaboration du règlement sur le retrait des navires à simple coque, le CEDRE, représenté dans la délégation française, a fourni des indications essentielles pour définir la notion de fioul lourd.

L'AESM pourra établir des relations avec le CEDRE par le biais d'une convention ou par d'autres moyens plus informels ; en application du principe de subsidiarité, le CEDRE sera appelé à jouer un rôle important. A cet égard, la Commission recommande d'ailleurs à l'Espagne et au Portugal de créer un équivalent du CEDRE.

VI. Aides aux régions touchées par la crise

M. Priou a demandé si la Commission envisageait un plan de relance économique, qui pourrait être financé par les fonds structurels européens, pour les régions touchées par le sinistre. M. Lamoureux a répondu qu'il lui était difficile de répondre car il ne gère pas les fonds structurels européens : de plus, il existe des critères spécifiques d'éligibilité des régions à ce type d'aides. M. Barnier, commissaire européen en charge de la politique régionale, a proposé, lors des inondations survenues notamment en Allemagne et en Pologne, la création d'un fonds pour les catastrophes ; mais le règlement envisagé prévoit qu'un tel fonds ne pourrait intervenir qu'après la pleine application du principe pollueur-payeur.

VII. Lieux de refuges

Mme Tanguy a évoqué la question des lieux de refuge, en indiquant que la définition de procédures de désignation de tels lieux semblait préférable à la publication d'une liste. M. Lamoureux a indiqué que les textes adoptés par le Conseil et le Parlement européen prévoient la désignation de lieux de refuge par les Etats membres. A cet égard, la Grèce et la Grande-Bretagne estiment préférable de ne pas communiquer le nom des ports désignés comme lieux de refuge, mais ce ne doit pas être un moyen de se soustraire à leurs obligations. En revanche, l'Espagne a déjà proposé comme lieu de refuge La Corogne et a demandé des crédits au titre des fonds structurels pour aménager le port.

L'AESM devra jouer un rôle de coordination sur cette question.

VIII. Aides d'Etat à la construction navale et sécurité maritime

En réponse à une question de M. Priou sur les aides et subventions à la construction navale, M. Lamoureux a précisé que le commissaire en charge de la politique de la concurrence, M. Monti, n'envisageait pas de revoir l'encadrement actuel des aides d'Etat dans ce secteur. Actuellement, les règles sont plus souples pour la construction de navires spécifiques, notamment des petits pétroliers ne transportant pas de fioul lourd, qui sont souvent construits dans des chantiers européens. La question des aides d'Etat dans ce secteur n'a pas été abordée lors du dernier conseil des ministres mais la Commission étudie ce sujet, afin de savoir si l'absence d'aides aux chantiers européens ne conduit pas, à l'échelle mondiale, à construire des navires plus fragiles, comme certains experts l'affirment.

IX. Coopération avec les Etats tiers

A la question de M. Priou sur les risques particuliers de pollution en mer Méditerranée, M. Lamoureux a répondu que cette question était abordée dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen, dont elle constituait une des priorités. La Commission demande aux Etats riverains de la Méditerranée, non membres de l'Union, un alignement sur la réglementation communautaire en contrepartie d'une assistance financière et technique. Cette question sera abordée lors de la prochaine réunion du partenariat euro-méditerranéen le 5 juillet prochain à Naples.

De plus, des discussions sur le renforcement de la sécurité maritime sont actuellement menées avec la Russie et commencent à porter leurs fruits. Des compromis peuvent être conclus sur des contreparties à un alignement russe sur la réglementation communautaire. La Commission est disposée à fournir une assistance technique conditionnée à un tel alignement.

Compte-rendu (de l'entretien avec
M. William O'NEIL, Secrétaire général de l'Organisation Maritime Internationale

(
Londres, jeudi 22 mai 2003)

Personnes rencontrées :

- M. William O'NEIL, Secrétaire général

Amiral Efthimios MITROPOULOS, Secrétaire général-adjoint et Directeur de la division de la sécurité maritime

M. Koji SEKIMIZU, Directeur de la division de l'environnement marin

Docteur Rosalie BALKIN, Directrice de la division juridique et des relations externes

- en présence de  M. Gérard GASC, représentant permanent de la France auprès de l'OMI

* * * * * * *

L'OMI en tant qu'institution internationale

Après un rappel par M. Landrain des objectifs de la Commission d'enquête sur la sécurité maritime, M.O'Neil a insisté sur le fait que les décisions de l'OMI, organisation intergouvernementale et institution spécialisée des Nations Unies, étaient le fruit d'un compromis entre les États et qu'il ne fallait pas faire de faux procès à l'encontre de l'immobilisme de cette institution. En effet, chaque Etat membre, quelle que soit la puissance de sa flotte, peut avancer des propositions de réforme et chercher le soutien d'autres Etats pour faire évoluer le droit maritime.

Le Secrétariat général de l'OMI ne dispose pas d'un pouvoir d'initiative pour proposer des modifications aux conventions internationales en vigueur, mais travaille sous le contrôle du Conseil, composé de quarante membres élus pour deux ans par l'Assemblée de tous les États membres.C'est d'ailleurs le Conseil qui prépare un programme de travail prévisionnel fixant les grands objectifs de l'organisation sur une période de deux ans et que l'Assemblée avalise lors de sa réunion en séance plénière.

Les résultats de la dernière Conférence diplomatique de l'OMI (12-16 Mai 2003)

M. O'Neil s'est déclaré très satisfait des décisions prises lors de la dernière conférence diplomatique des 12 au 16 mai 2003, puisque les Etats contractants ont créé un fonds additionnel au Fonds FIPOL de 1992, afin de mieux indemniser les victimes de pollution par hydrocarbures.

Ce fonds complémentaire fonctionnera selon des mécanismes similaires au fonds FIPOL de 1992, mais il présentera un caractère volontaire dans le sens où les Etats adhérents à la convention de 1992 pourront décider de ne pas adhérer à ce fonds complémentaire.

Il a donc été décidé de porter à 750 millions de DTS, soit près de 900 millions d'euros, le plafond d'indemnisation (cumul de l'indemnisation en vertu du protocole de 1992 et du protocole complémentaire de 2003) pour un évènement déterminé.

Comme pour le protocole de 1992, les contributeurs au fonds complémentaire sont les réceptionnaires de pétrole dans les Etats parties au Protocole (contribution exigible si les importations annuelles ont dépassé 150 000 tonnes d'hydrocarbures), mais un plafonnement temporaire a été prévu, les contributions dues par les importateurs d'un Etat contractant ne pouvant dépasser 20% du total des contributions annuelles dues au fonds. Si ce plafond est dépassé, les contributions sont réduites au prorata, de telle sorte que le montant total maximal d'une contribution soit égal à 20%. Cette clause a été incluse pour convaincre le Japon, qui est le plus important contributeur au fonds de 1992, d'adhérer au protocole.

Ce fonds complémentaire pourrait être opérationnel très prochainement puisque les conditions de son entrée en vigueur sont très peu contraignantes : il suffit que huit Etats le ratifient et qu'ils représentant un volume d'importation d'hydrocarbures de 450 millions de tonnes.

Les premières réactions suscitées par cette conférence diplomatique, comme par exemple celle de la Commission européenne, sont très favorables. Ainsi, en se félicitant de la création de ce fonds complémentaire, Mme Loyala de Palacio a pressé les Etats membres de l'Union européenne de ratifier immédiatement ce protocole pour que le fonds complémentaire puisse être créé d'ici la fin de l'année.

En réponse à M. Landrain qui lui demandait si ce mécanisme serait rétroactif et s'il serait possible de cumuler plusieurs mécanismes de dédommagement au cas où l'Union européenne maintiendrait son intention de créer son propre fonds d'indemnisation dénommé COPE, M. O'Neil a précisé que la conférence diplomatique avait exclu toute forme de rétroactivité. Quant à la possibilité de créer un mécanisme spécifique à l'Union européenne, il a fait remarquer que les États étaient tout à fait libres de créer d'autres instruments financiers, qui pourraient éventuellement se cumuler avec les indemnisations du système international de compensation, mais il a estimé que ce protocole 2003 démontrerait rapidement sa pertinence, rendant sans doute inutile toute initiative concurrente qui, de plus, ne pourra qu'avoir un champ d'application géographique beaucoup plus restreint.

Les initiatives de l'Union européenne en matière de sécurité maritime

Une discussion s'est ensuite engagée sur les initiatives prises par l'Union européenne pour se doter d'une réglementation régionale en matière de sécurité maritime et sur son implication pour infléchir la législation maritime internationale dans le cadre de l'OMI.

Pour clarifier le débat sur le rôle de la Commission européenne dans les négociations en cours entre l'OMI et les États membres de l'Union européenne M. O'Neil a expliqué que l'Union européenne ne pouvait pas, en tant que telle, être membre de l'OMI car la convention constitutive de l'OMI réserve cette possibilité aux seuls États. Pour rendre cette adhésion juridiquement possible, il faudrait que l'article 4 du texte fondateur de l'OMI soit modifié à la majorité des deux tiers et qu'ultérieurement deux tiers des Etats membres ratifient cette modification. L'Union européenne dispose aujourd'hui d'un poste d'observateur auprès de l'OMI, et apparaît très impliquée dans les travaux de l'Organisation, en sachant tirer un excellent parti de sa position d'observateur.

Abordant la question du calendrier du retrait des pétroliers à simple coque, M. O'Neill a rappelé que l'OMI avait adopté le 27 avril 2001 une résolution qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2002, fixant un calendrier de retrait de ces pétroliers à simple coque. Cette résolution prévoit un retrait échelonné entre au plus tard 2007 pour les pétroliers dits « pré-MARPOL », et, en principe, 2015 pour les pétroliers dits MARPOL.

L'OMI a pris acte des initiatives prises par l'Union européenne pour accélérer le retrait des pétroliers à simple coque, interdire immédiatement le transport de fioul lourd par ce type de navire et étendre le système d'évaluation de l'état des navires (contrôle approfondi de l'intégrité structurelle des navires). A ce propos, l'OMI a saisi les autorités politiques de l'Union européenne pour leur indiquer qu'il n'était pas souhaitable que l'Union européenne adopte ses propres règles de retrait des pétroliers qui ne soient pas conformes au droit international alors que tous les Etats membres sont signataires de la convention MARPOL (règle 13 G de l'annexe I).

Des contacts suivis, établis tant au niveau technique que politique, entre l'OMI et l'Union européenne ont abouti à ce que les Etats membres et la Commission européenne présentent des propositions d'amendements à la convention MARPOL tendant à ce que les mesures communautaires adoptées lors du Conseil -Transports- des 27 et 28 mars derniers (modification du Règlement (CE) n°417/2002) soient avalisées par l'ensemble des pays membres de l'OMI. Cette proposition de réforme de la convention MARPOL sera d'abord examinée en Juillet 2003 par le Comité de protection du milieu marin, puis par l'Assemblée de l'Organisation en décembre prochain.

M. O'Neil a insisté sur l'importance de travail préparatoire d'instruction de ces amendements. Avant de fixer toute date butoir pour accélérer le bannissement des pétroliers à simple coque et interdire le transport des fiouls lourds sur des navires à simple coque, il est indispensable de procéder à une analyse détaillée des capacités de construction de la flotte marchande et des délais nécessaires à son renouvellement, sans se limiter à une simple estimation globale des tonnages disponibles, mais en étudiant les flux de trafic par zones géographiques et en prenant en compte la capacité de l'industrie de recyclage des navires.

Sans préjuger de l'issue des négociations qui vont s'ouvrir au sein de l'OMI, il ne paraît pas souhaitable d'accélérer les discussions au sujet de l'élimination des bateaux à simple coque, en premier lieu parce que la convention MARPOL prévoit un délai de 16 mois entre l'adoption d'une modification à la convention et son entrée en vigueur, et en second lieu parce qu'il est indispensable de ménager une période transitoire pour permettre aux chantiers navals de s'adapter à cette nouvelle demande, sachant que le niveau des commandes de pétroliers à double coque est déjà élevé. Quant aux armateurs, ils doivent être en mesure de trouver les montages financiers adéquats pour financer ces nouveaux investissements.

L'Union européenne doit donc maintenant chercher à convaincre les autres puissances maritimes de la justesse de son analyse pour que la convention MARPOL soit modifiée dans le sens voulu par la Commission européenne et par les États membres.

M. Priou ayant fait remarquer que les initiatives des Etats-Unis avec l'OPA et de l'Union Européenne avec le retrait accéléré des navires à simple coque risquaient de conduire à « exporter » des bateaux sous normes dans les pays en voie de développement, M. O'Neil a répondu que ce risque plaidait en faveur de l'intervention de l'OMI, qui est la seule organisation capable d'harmoniser au niveau mondial les conditions d'exploitation de la flotte marchande, alors que les réglementations régionales adoptées unilatéralement conduisent à faire supporter à d'autres les risques inhérents aux navires vétustes.

Évolution du droit de la mer

M.  O'Neil a tout d'abord indiqué que l'OMI n'est pas compétente pour traiter de la réforme du droit de la mer, et notamment de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer. Toutefois, il a indiqué que son organisation avait mis en place des groupes de travail sur des questions plus techniques, qui ont une incidence directe sur la sécurité maritime, comme par exemple les mécanismes de suivi du trafic maritime ou la formation des gens de mer. Le travail de l'OMI dans ces domaines, comme dans d'autres, a souvent été repris, ou complété par la convention de 1982.

A la question de savoir s'il n'était pas indispensable de s'orienter vers une organisation de la navigation maritime comparable à la celle du trafic aérien avec des mécanismes de contrôle des routes maritimes empruntées, M.O'Neil a indiqué que la convergence avec le système du contrôle aérien lui paraissait impossible à court et moyen terme, d'abord pour des raisons techniques, mais aussi en raison de l'attachement culturel du monde maritime à la liberté de navigation. Il a noté cependant une réelle évolution dans la connaissance des trafics en soulignant que le système de l'AIS (« automatic identification system »), qui sera généralisé et rendu obligatoire à partir de 2004, permettra de connaître les données caractérisant les navires en mer. Les préoccupations de lutte contre le terrorisme et contre l'immigration clandestine ont d'ailleurs conduit les Chefs d'État du G8 à demander une accélération de la mise en oeuvre de l'AIS afin d'accroître les dispositifs de sûreté dans le trafic maritime.

A titre personnel M. O'Neil a fait part de sa conviction de la nécessité d'étendre les zones de suivi et/ou de séparation de trafic pour prévenir les accidents dans les zones particulièrement dangereuses et particulièrement encombrées.

La problématique des lieux de refuge

M. Deflesselles ayant demandé quel rôle pouvait jouer l'OMI dans la mise en œuvre des lieux de refuge, le Secrétaire général a précisé que l'OMI soutenait cette démarche, après qu'il soit lui-même intervenu en 2000, après l'affaire du Castor. Il s'est réjoui de ce que la prochaine Assemblée puisse délibérer d'un projet de résolution sur la méthodologie à prévoir pour des lieux de refuge pour des navires ayant besoin d'assistance. Il a d'ailleurs fait remarquer que la France avait demandé que la prochaine Assemblée puisse débattre de la question des prestations d'assistance maritime.

Souhaitant évoquer d'autres moyens de prévention des accidents maritimes M. Landrain a interrogé M. O'Neil sur le point de savoir si le droit international maritime prévoyait la possibilité de bloquer un navire au port en raison de conditions météorologiques dangereuses. M. O'Neil a précisé que cette possibilité existait pour les bateaux de passagers, mais qu'en revanche, rien de comparable n'était prévu pour les bâtiments de marine marchande, sauf en ce qui concernait la reconnaissance de la capacité du capitaine à décider de laisser le bateau en mer ou de le ramener à terre, sur la base de son jugement professionnel.

Les possibilités de renforcer les obligations de pilotage, comme c'est déjà le cas dans certains détroits, ont ensuite été évoquées. M. O'Neil a répondu que le droit applicable aux détroits était tout à fait spécifique, mais que l'OMI avait formulé des recommandations pour que les Etats adoptent, au besoin par le biais d'accords bilatéraux, des mesures rendant obligatoire le recours au service de pilotes pour le passage dans des zones particulièrement fréquentées et dangereuses.

Les spécificités de la Méditerranée

M. Deflesselles a souhaité savoir si l'OMI avait mené une réflexion sur les risques spécifiques de pollution en Méditerranée, compte tenu de son caractère de mer quasi fermée et eu égard à l'augmentation du trafic de pétrole avec des bateaux souvent vétustes (trafic à destination de la Mer noire ou cabotage le long du littoral d'Afrique du Nord). M. Deflesselles a évoqué plusieurs pistes possibles pour prévenir les accidents : multiplier les zones de séparation de trafic ; étendre les obligations de signalement des navires à risque ; renforcer la surveillance des dégazages sauvages ; etc...

M. O'Neil a tout d'abord souligné que la convention MARPOL avait conféré à la Méditerranée le statut de zone spéciale, ce qui conduisait par exemple à interdire tout rejet d'hydrocarbures, même avec un fort degré de dilution, en Méditerranée. En revanche, aucune règle spécifique à la Méditerranée n'est actuellement à l'étude au sein de l'OMI.

Les domaines d'intervention de l'OMI pour les prochaines années

Pour conclure cet entretien, les parlementaires ont demandé à M. O'Neil quels seraient les grands axes de travail de l'OMI pour les prochaines années.

Soulignant que de nouveaux risques étaient apparus ces dernières années, M. O'Neil a estimé qu'il était primordial d'améliorer la sûreté du trafic maritime non seulement pour prévenir les actes de terrorisme, mais aussi pour freiner le développement de trafics d'êtres humains dont l'immigration clandestine est la manifestation la plus patente. Sur ces deux thèmes, des groupes de travail ont été créés pour proposer des projets de convention.

Pour répondre à la question de M. Priou sur la manière de lutter contre les pollutions chimiques, M.O'Neil a fait simplement remarquer qu'il existait une convention traitant de cette question (la convention HNS), mais que très peu de pays l'avaient ratifiée, la France n'ayant pas mené à terme son intention d'adhérer. Selon lui les critiques adressées à ce texte, que d'aucuns jugent trop complexe, ne justifient pas l'inaction des Etats qui sont pourtant confrontés à des risques majeurs en matière chimique.Il espère donc que les Etats européens ne tarderont plus à ratifier la convention HNS, l'OMI étant tout à fait disposée à étudier les possibilités d'améliorer ce texte.

M. O'Neil a enfin abordé deux points sur lesquels il a reconnu que des progrès importants restaient à faire. Sur la question du niveau de qualification des gens de mer, il a admis que l'application des normes posées par la convention STCW était très inégale selon les armements. Selon lui, les contrôles de l'Etat du port sont essentiels, car les inspecteurs peuvent interroger directement les marins et apprécier concrètement les conditions de vie et le niveau professionnel des équipages.

L'autre question sur laquelle l'OMI travaille depuis de longues années dans le cadre du sous-comité de l'application des instruments par l'Etat du pavillon (FSI), est celle de la responsabilité de l'Etat du pavillon. Le problème des déficiences des pavillons de libre immatriculation est un problème complexe mais crucial car l'Etat du pavillon délivre les certificats statutaires, c'est-à-dire qu'il décide si un navire est en mesure de naviguer ou non. Certains Etats délèguent totalement leurs responsabilités de certification à des sociétés de classification sur lesquelles ils n'exercent aucun contrôle. Jusqu'à présent l'OMI a plutôt choisi d'apporter un concours technique aux Etats de libre immatriculation pour les inciter à assumer leurs responsabilités et à créer des services des Affaires maritimes compétents pour contrôler les navires immatriculés dans leur registre. Des carences évidentes subsistent. Pour inciter les Etats à changer leur pratique, l'OMI a adressé un formulaire d'autoévaluation listant les obligations de l'État du pavillon, pour faire prendre conscience aux États de leurs éventuels manquements aux conventions de l'OMI qu'ils ont pourtant ratifiées. A titre personnel, M. O'Neil estime que l'OMI devrait adopter une attitude plus répressive à l'encontre des pavillons de libre immatriculation qui ont délibérément enfreint les règles du droit maritime international.

Il a conclu son propos en indiquant que l'OMI devait poursuivre son action pour aider les PVD et les anciens pays du bloc soviétique à se doter d'administrations maritimes, et, à cet égard, il a salué le rôle joué par la France en la matière vis-à-vis des pays d'Afrique.

Compte-rendu de l'entretien avec M. Hans JACOBSSON, Administrateur du FIPOL

(
Londres, jeudi 22 mai 2003)

Personnes rencontrées :

- M. Mans JACOBSSON

M. Masamichi HASEBE, Conseiller Juridique

Mme Jill MARTINEZ, Assistante personnelle de M. Jacobsson

- en présence de M. Gérard GASC, représentant permanent de la France à l'OMI

* * * * * * *

M. Jacobsson, dans un exposé introductif sur le fonctionnement du FIPOL, a souhaité d'emblée souligner que ce fonds est une organisation intergouvernementale à vocation mondiale, ce qui signifie que ce sont les États qui ont décidé de sa création. Il a voulu ainsi démentir les idées fausses qui ont cours selon lesquelles le FIPOL serait un instrument géré ou contrôlé par les compagnies pétrolières.

Il a ensuite rappelé que le système actuel d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures fonctionnait dans le cadre de deux conventions internationales étroitement complémentaires : la convention de 1992 sur la responsabilité civile, dite convention CLC, et la convention portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (la convention FIPOL).

La convention CLC prévoit un régime de responsabilité objective qui repose exclusivement sur le propriétaire du navire, sa responsabilité étant engagée même s'il n'a commis aucune faute, dès lors que les dommages résultent d'une fuite ou d'un rejet d'hydrocarbures provenant de son navire. En contrepartie de ce régime de responsabilité sans faute, l'étendue de la responsabilité de l'armateur est plafonnée, selon un barème qui est fonction du tonnage du navire (soit un montant allant de 4 à 80 millions d'euros, celui applicable à l'armateur du Prestige s'élevant à 24 millions d'euros).

La convention CLC impose à l'armateur de souscrire une assurance, chaque navire de l'armateur devant disposer à bord d'une attestation. Cette obligation est également exigée des navires battant le pavillon d'un Etat qui n'est pas partie à la convention CLC lorsque ces navires font escale dans un port d'un Etat partie à la convention.

Le système ayant été conçu pour permettre une indemnisation rapide des victimes, il est possible d'engager une action directe contre l'assureur de l'armateur pour se faire indemniser des dommages de pollution. Le FIPOL n'intervient que si les dommages sont d'un montant supérieur au plafond prévu par la convention CLC, la mise en oeuvre de ce mécanisme n'intervenant que s'il est patent que l'assurance de l'armateur ne sera pas en mesure de régler l'intégralité des dommages indemnisables.

Le FIPOL dispose de fonds plafonnés pour chaque sinistre, dont les montants maximum ont été plusieurs fois revus à la hausse. La dernière décision en ce sens est très récente, puisqu'elle résulte de la dernière conférence diplomatique de l'OMI, qui a décidé de créer un fonds complémentaire qui permettra de porter le montant total de l'indemnisation disponible à 920 millions d'euros, à comparer au plafond applicable pour le sinistre du Prestige, qui est de 171 millions d'euros.

Pour donner un ordre de grandeur des indemnisations versées, le Fonds de 1992 et son prédécesseur, le Fonds de 1971, sont intervenus dans le cadre de 120 sinistres d'importance variable, dans une vingtaine de pays et pour un montant de près de 560 millions d'euros. Dans la grande majorité des cas les demandes d'indemnisation ont fait l'objet d'un règlement amiable.

Les paiements les plus conséquents effectués à ce jour sont intervenus pour les sinistres du Aegean Sea (42 millions d'euros), du Braer (62 millions d'euros), du Sea Empress (42 millions d'euros), du Nakhodka (153 millions d'euros) et de l'Erika (47 millions d'euros).

Règles de fonctionnement du FIPOL

Abordant les règles d'organisation du FIPOL, M. Jacobsson a donné les éléments d'information suivants :

Le Fonds de 1992 est doté d'une Assemblée qui se compose des représentants de tous les Etats contractants. L'Assemblée est l'organe suprême qui administre le Fonds et se réunit en session ordinaire une fois par an. L'Assemblée élit un Comité exécutif qui se compose de 15 États contractants, avec pour principale fonction d'approuver le règlement des demandes d'indemnisation. La France et l'Espagne siègent actuellement au Comité exécutif : il n'apparaît pas choquant, selon M. Jacobsson, que des pays ayant subi des pollutions se prononcent sur les demandes d'indemnisation les concernant. Il a ajouté que les décisions ont toujours été prises par consensus, sans vote.

Les Fonds de 1992 et de 1971 ont un secrétariat commun, dirigé par l'Administrateur auquel sont délégués de larges pouvoirs pour approuver les demandes d'indemnisation, dans le cadre des orientations décidées par l'Assemblée et le Comité exécutif. Il est probable que le Fonds supplémentaire sera administré par ce même secrétariat.

Le secrétariat permanent du FIPOL est une structure réduite de 25 personnes qui travaillent à Londres, le fonds ayant recours à des consultants extérieurs lorsque des sinistres importants nécessitent de dépêcher sur place des experts pour évaluer l'étendue des dommages. Dans le cas de l'Erika par exemple, 50 consultants, ayant des compétences très diverses, sont intervenus en France.

Financement du FIPOL

Ce sont les compagnies pétrolières qui assurent le financement du FIPOL. En effet le Fonds est financé par les contributions versées par toute personne qui, au cours d'une année civile, a reçu à la suite d'un transport par mer des quantités totales supérieures à 150 000 tonnes de pétrole brut et de fioul lourd dans un État partie à la convention portant création du Fonds de 1992.

Le FIPOL procède au calcul de la contribution de chaque société à partir des éléments statistiques communiqués par chaque État adhérent, sur les quantités d'hydrocarbures reçus des différents contributaires. Cette contribution s'applique à tous les importateurs quel que soit leur statut juridique (autorité publique, entreprise publique ou société commerciale)

Le secrétariat permanent du FIPOL est chargé du recouvrement des contributions, les États adhérents se limitant à adresser au FIPOL des éléments statistiques. Le taux de recouvrement est très satisfaisant (99%), bien que certains États ne transmettent pas régulièrement les éléments statistiques.

Le montant global à percevoir est fixé chaque année par l'Assemblée à partir d'une estimation des indemnisations à verser pour les différents sinistres et des dépenses administratives prévisibles pour l'année en cours. A partir de ces éléments, chaque contributaire verse un montant donné par tonne d'hydrocarbures reçus.

Gestion des Sinistres 

Dès qu'il semble qu'un sinistre risque d'entraîner des dommages d'un montant supérieur au plafond à la charge de l'armateur, le FIPOL contacte le club P&I concerné pour qu'une enquête commune soit ouverte sur les circonstances du sinistre et l'évaluation des dommages. Cette instruction conjointe permet un partage des frais d'expertises et présente surtout l'avantage d'accélérer les procédures d'instruction des demandes d'indemnisation.

Lorsque le sinistre est important, le FIPOL décide de la création d'antennes locales pour permettre de recevoir les victimes à proximité du sinistre et les aider à présenter leur dossier de demande d'indemnisation. Mais ni les experts locaux désignés, ni les antennes locales ne sont habilités à prendre de décisions sur la recevabilité des demandes.

Critères de recevabilité des demandes

M. Jacobsson a indiqué un certain nombre de critères exigés pour qu'un dommage puisse être indemnisé dans le cadre du FIPOL. En particulier, figurent parmi les critères le caractère « raisonnable » des mesures de sauvegarde prises pour lutter contre les effets de la pollution.

Le FIPOL ne verse des indemnités à un demandeur que dans la mesure où sa demande est justifiée et répond aux critères énoncés dans la convention portant création du Fonds de 1992, et précisés dans le Manuel des demandes d'indemnisation adopté par l'Assemblée. A cette fin, le demandeur est tenu de fournir, à l'appui de sa demande, des notes explicatives, des factures, des reçus et d'autres éléments de preuve. Le Fonds de 1992 ne peut accepter une demande que s'il est établi que celle-ci se fonde sur des dépenses effectivement encourues, s'il existe un lien de causalité entre les dépenses et l'événement et si la dépense se rapporte à des mesures raisonnables.

*La référence aux précédents

Pour déterminer si une dépense est indemnisable le Fonds se réfère à des précédents. Le Comité exécutif a élaboré certains principes quant au sens des termes « dommage par pollution », qui désignent le « dommage causé par une contamination ».

En 1994, un Groupe de travail a étudié de manière approfondie les critères applicables à la recevabilité des demandes d'indemnisation et ses conclusions constituent encore aujourd'hui « la doctrine »  du FIPOL, même si elles ont été réalisées sur la base des conventions antérieures à celles aujourd'hui en vigueur. Une résolution de l'Assemblée du Fonds de 1992 a décidé de se reporter à ce document de référence.

Les Assemblées du Fonds de 1971 et du Fonds de 1992 ont été d'avis qu'une interprétation uniforme de la définition du « dommage par pollution » était indispensable pour le fonctionnement du régime d'indemnisation mis en place par les conventions.

M. Jacobsson a justifié cette référence aux précédents dans la mesure où elle permet une application homogène, quelle que soit la localisation du sinistre. Une application uniforme est particulièrement importante, dans la mesure où l'industrie pétrolière d'un État Membre assume le coût des opérations de nettoyage effectuées et des pertes économiques subies dans d'autres États Membres. En l'absence d'un degré raisonnable d'uniformité et de cohérence, de graves tensions pourraient surgir entre les États Membres, d'autant que les principaux contributeurs ne sont pas toujours dans les pays qui ont le plus souvent bénéficié d'indemnisations.

Cependant, M. Jacobsson a nuancé son propos en précisant que le FIPOL examinait chaque demande d'indemnisation à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, adoptant une démarche pragmatique qui permet de tenir compte, le cas échéant, de situations et de demandes d'indemnisation d'un type nouveau, l'objectif demeurant toujours de favoriser les solutions amiables.

Le FIPOL publie un manuel des demandes d'indemnisation qui énumère les critères généraux de recevabilité des demandes. De plus, lorsque la « doctrine » du FIPOL évolue, les décisions novatrices font l'objet d'une mise à jour du Manuel des demandes d'indemnisation.

Selon M. Jacobsson, il n'existe pas de difficulté notable pour l'indemnisation des biens endommagés, ni pour la prise en charge des opérations de nettoyage en mer et à terre.

*Les mesures de sauvegarde

Les demandes portant sur les mesures dites de sauvegarde, c'est-à-dire les demandes d'indemnisation au titre d'opérations visant à prévenir ou limiter un dommage par pollution, posent plus de difficultés. En effet, le Fonds évalue dans ce cas s'il existe une corrélation « raisonnable » entre le coût de ces mesures antipollution et les avantages obtenus ou escomptés. Bien évidemment pour cette estimation, le Fonds tient compte des circonstances particulières de l'évènement (météo, proximité de la saison touristique, nécessité de recourir à des matériels » prototypes,...etc).

Les demandes d'indemnisation au titre de pareils coûts ne sont pas acceptées lorsque l'on aurait pu prévoir que les mesures prises seraient inefficaces. En revanche, ce n'est pas parce que des mesures se sont révélées inefficaces que la demande relative aux coûts encourus sera nécessairement rejetée.

Les opérations d'assistance en mer se rapprochent parfois des mesures de sauvegarde. Elles ne peuvent cependant être considérées comme telles que si leur objectif essentiel a consisté à prévenir un dommage par pollution. Si ces opérations ont eu un autre but, comme par exemple de sauver la coque et la cargaison de navire, les frais encourus ne sont pas recevables en vertu des conventions de 1992. Si elles ont été entreprises à la fois dans le but de prévenir la pollution et de sauver le navire et la cargaison sans qu'il soit toutefois possible d'en établir l'objectif essentiel avec certitude, les coûts sont répartis entre les actions de prévention et celles qui ont une autre finalité. L'évaluation des indemnités à verser pour des opérations considérées comme étant des mesures de sauvegarde ne se fait pas sur la base des mêmes critères que ceux qui servent au calcul de la rémunération d'assistance; les indemnités se limitent au coût des opérations, avec une part « raisonnable » de profit.

* L'indemnisation des coûts fixes

Une autre source de litige concerne l'indemnisation des coûts fixes.

Les demandes d'indemnisation formées par les pouvoirs publics au titre des opérations de nettoyage et des mesures de sauvegarde englobent souvent des frais qui auraient été encourus même si l'événement ne s'était pas produit (par exemple les traitements ordinaires du personnel permanent). Ces coûts fixes se distinguent des coûts additionnels, c'est-à-dire des coûts qui résultent exclusivement d'un événement et n'auraient pas été engagés si l'événement et les opérations qu'il a entraînées n'avaient pas eu lieu (paiement d'heures supplémentaires, par exemple).

Le FIPOL estime qu'une partie « raisonnable » des coûts fixes doit être recevable, sous réserve que ces coûts correspondent strictement à la durée des travaux de nettoyage et qu'ils ne comportent pas de frais généraux n'ayant qu'un rapport éloigné avec l'événement.

Cette question de l'indemnisation des personnels permanents des collectivités locales est un point sensible. A cet égard, M. Priou a cité, à titre d'exemple, le cas des sommes qui restent en litige avec le FIPOL concernant les opérations de dépollution suite au naufrage de l'Erika, réalisées par les agents de la commune du Croisic.

* L'indemnisation des préjudices économiques indirects

M. Jacobsson a ensuite reconnu que l'indemnisation des préjudices économiques purs, c'est-à-dire des pertes de recettes subies par des personnes dont aucun bien n'a été pollué mais dont l'activité économique a été perturbée en raison du sinistre de pollution, posait problème et que les Etats adhérents au FIPOL souhaitaient faire évoluer les critères d'indemnisation à cet égard.

Il a indiqué comme exemple le cas d'un hôtelier ou un restaurateur dont l'établissement se trouve à proximité d'une plage publique contaminée et qui enregistre une baisse de ses bénéfices en raison de la chute du nombre de ses clients pendant la période où la pollution a sévi. Actuellement, les demandes d'indemnisation pour préjudices économiques purs ne sont recevables que si elles portent sur des pertes ou des dommages causés par une contamination. Le point de départ est la pollution et non pas l'événement lui-même.

Pour qu'un préjudice économique pur ouvre droit à réparation, il doit y avoir un degré « raisonnable » de proximité entre la contamination et la perte ou le dommage subi par le demandeur. Une demande n'est pas jugée recevable pour la seule raison que la perte ou le dommage considéré ne serait pas survenu s'il n'y avait pas eu de déversements d'hydrocarbures. Pour déterminer si le critère de la proximité raisonnable se trouve rempli, on prend en considération les éléments suivants:

- la proximité géographique entre l'activité du demandeur et la contamination,

- le degré de dépendance économique du demandeur par rapport à la ressource atteinte,

- la possibilité pour le demandeur d'avoir d'autres sources d'approvisionnement ou d'autres perspectives commerciales,

- le degré d'intégration de l'activité commerciale du demandeur dans l'économie de la zone touchée par la pollution.

* L'évaluation des dommages à l'environnement

La question des dommages à l'environnement est particulièrement sensible lors des grandes marées noires.

Cet aspect, selon M. Jacobsson, s'avèrera le plus délicat à faire évoluer. En effet, selon la convention de 1992, le terme «dommage par pollution» est défini comme «dommage causés par une contamination». Le libellé de la définition contient une disposition selon laquelle les indemnités versées au titre de l'altération de l'environnement (autres que le manque à gagner dû à cette altération) seront limitées au coût des mesures « raisonnables » de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront.

Le FIPOL ne peut donc indemniser les atteintes à l'environnement et à la diversité biologique. La difficulté essentielle est liée à l'évaluation en termes monétaires du préjudice, alors même qu'aucun état des lieux de la faune et de la flore n'existait avant le sinistre.

M. Jacobsson a conclu sa présentation en se félicitant des avancées de la dernière conférence diplomatique de l'OMI qui a créé un fonds complémentaire facultatif, mais il a souligné que des voies discordantes s'étaient faites entendre parmi les pays adhérents de la convention FIPOL et que ceci expliquait le caractère facultatif de ce fonds complémentaire. Dans le contexte de la révision générale des conventions de 1992 qui est en cours, certains Etats ont souligné que le FIPOL avait pour seul objectif d'assurer une indemnisation des victimes de la pollution et ne devait pas chercher à améliorer la sécurité maritime en adoptant des mesures différenciées selon la qualité de la flotte utilisée.

Indemnisation du naufrage du Prestige

M. Jacobsson a expliqué la décision du Comité exécutif du 7 mai dernier qui a été contraint de déclarer que, pour le moment du moins, compte tenu des estimations provisoires des conséquences économiques du sinistre faites par les délégations française, espagnole et portugaise, les paiements par le FIPOL devaient être limités à 15% du préjudice subi par chaque demandeur au titre des dommages causés à la suite du naufrage du Prestige. En effet, à la différence du naufrage de l'Erika, plusieurs Etats (Espagne, France et Portugal de manière plus limitée) sont concernés, et les États ayant subi des préjudices n'ont pas décidé de se mettre « à la fin de la queue » en ce qui concerne leurs propres créances. Il convient de souligner que les seules créances de l'Etat espagnol sont estimées à 700 millions d'euros, sans même compter les frais concernant le traitement de l'épave. De surcroît, les préjudices liés aux manques à gagner de la saison touristique ne pourront être connus avant plusieurs mois. Ces raisons expliquent le taux de 15%, beaucoup moins élevé que pour l'Erika, pour lequel il avait pu progressivement passer de 50 % à 80 %, puis à 100 % à la fin avril. Le taux de 15% représente, après arrondi, la proportion du total des dommages prévisibles, de 900 millions à un milliard d'euros, susceptible d'être remboursée compte tenu du plafond de 171 millions d'euros. Le choix du taux a été effectué par les quinze Etats membres du Comité exécutif, sur proposition technique de l'Administrateur.

M. Priou a cependant tenu à rappeler que le taux de 100 % pour l'Erika ne concernait que les dommages reconnus comme éligibles. Par ailleurs, il a souligné qu'il demeure de nombreux dossiers en litiges, notamment de montants intermédiaires (300 000 à 400 000 euros), en particulier relatifs aux salaires et charges de personnels des communes. De même, si les communes ont parfois présenté tardivement leurs demandes, jusqu'en décembre 2002, c'est aussi parce qu'elles se sont souvent effacées devant les créanciers privés, notamment les professionnels du tourisme.

M. Jacobsson a indiqué, à cet égard, que pour l'Erika, sur les 82 demandes de remboursement des communes, 56 sont totalement réglés, et 16 le sont partiellement.

Il a par ailleurs rappelé que, pour le sinistre du Prestige, le plafond restait fixé à 170 millions d'euros : il est impossible de considérer que, le sinistre continuant à produire des dommages, il pourrait être fait application du nouveau plafond, car le texte de la convention indique très clairement que le plafond applicable est celui en vigueur à la date de l'accident ayant provoqué la pollution.

M. Landrain a souligné le profond sentiment d'injustice ressenti par les populations riveraines, victimes d'une marée noire à laquelle ils n'étaient pour rien, et qui ne s'expliquaient pas la faiblesse du taux de 15% retenu par le FIPOL, ni pourquoi la question de l'application rétroactive du nouveau plafond d'indemnisation n'avait pas été abordée par les autorités politiques du FIPOL. M. Jacobsson a répondu qu'il comprenait d'autant mieux la colère des populations concernées qu'il résidait lui-même au bord de la mer en Suède, se sentait donc personnellement potentiellement concerné, et qu'il avait vu les attaques physiques lancées parfois contre les bureaux du FIPOL. Il est cependant loisible d'espérer que les autorités politiques espagnoles, françaises et portugaises arriveraient à se mettre d'accord pour décider que les créances privées devraient être réglées en priorité.

Mme des Esgaulx et M.Deflesselles ont alors interrogé M. Jacobsson sur la question de savoir pourquoi le Comité exécutif du FIPOL était obligé d'annoncer le taux provisoire de 15% de prise en charge des demandes d'indemnisation.

En réponse, l'Administrateur a insisté sur le caractère provisoire de ce taux, sans se prononcer sur l'obligation pour le Comité exécutif d'annoncer un taux provisoire de prise en charge des dommages indemnisables. Le Comité a cependant pris cette décision par consensus, le recours au vote n'étant plus pratiqué, depuis 25 ans, dans cette instance. En tout état de cause, la seule alternative consistait à ne rien rembourser pour l'instant, le taux de 15% constituant le maximum, après arrondi, possible. L'ampleur du différend franco-espagnol doit également être relativisé, car, sur 125 sinistres intervenus depuis la création du premier FIPOL, une dizaine seulement avaient posé problème en raison du fait que les plafonds existants n'avaient pas permis de prendre en charge la totalité des dommages.

M. Gasc a souligné que le représentant de la France s'était néanmoins insurgé contre le taux de 15%.

M Jacobsson a ajouté que la délégation française a fait observer que personne ne pouvait raisonnablement récuser la décision de limiter à 15% à ce stade le niveau des paiements.

M. Jacobsson a aussi indiqué, en réponse à une question de Mme des Esgaulx, que le FIPOL considérait comme très important d'engager des contentieux judiciaires, mettant en cause la responsabilité des différents acteurs du monde maritime (armateurs, affréteurs, société de classification) pour contribuer à promouvoir un transport maritime de qualité. Le régime d'indemnisation du FIPOL ne doit pas en effet occulter les responsabilités de chaque partie prenante dans la chaîne du transport maritime. Le FIPOL a ainsi ouvert des contentieux en ce sens, en décembre 2002, suivant une décision du Comité exécutif, contre l'ensemble des acteurs de la chaîne du transport concerné dans le cas du naufrage de l'Erika (y compris le RINA, le Bureau VERITAS, le groupe Total, le propriétaire, l'armateur, l'assureur et l'exploitant de l'Erika).

Par ailleurs, en réponse également à Mme des Egaulx, M. Jacobsson a indiqué que le remboursement de dommages par le FIPOL n'exclut pas a priori la possibilité pour les Etats concernés de mettre en place des systèmes d'aides complémentaires. Ainsi, la France a mis en place un dispositif couvrant, temporairement, les montants agréés initialement non pris en charge par le FIPOL au titre du naufrage de l'Erika.

En ce qui concerne la convention HNS sur les pollutions par les produits chimiques, M. Jacobsson a indiqué qu'une réunion était prévue prochainement à Ottawa pour préparer son entrée en vigueur.

Compte-rendu( de l'entretien avec
M. GAVIN, directeur du Lloyd's register of shipping et président du conseil de l'IACS (International association of classification societies),
et M. R. LESLIE, Secrétaire permanent de l'IACS


(
Londres, jeudi 22 mai 2003)

Personnes rencontrées :

- M. GAVIN, Directeur du Lloyd's register of shipping, Président du conseil de l'IACS

- M. R. LESLIE, Secrétaire permanent de l'IACS

- M . C.L. MAGILL, Membre du conseil de l'IACS

- M. C.D. L. WRIGHT, Secrétariat de l'IACS

- en présence de M. Gérard GASC, représentant permanent de la France à l'OMI

* * * * * * *

M. Gavin a tout d'abord rappelé que la présidence, tournante dans le temps, de l'IACS, ne s'accompagnait d'aucune fonction autre que celle de porte-parole et de représentation. La présidence est actuellement exercée par le Lloyd's register of shipping, membre de l'IACS depuis sa création en 1969, et actif dans le domaine du contrôle des navires depuis deux siècles. Cette société suit aujourd'hui 7.000 navires, représentant 108 millions de tonnes, et compte environ 2.000 enquêteurs.

Signalant que des réponses écrites aux thèmes des questions intéressant la délégation étaient remises à chacun des parlementaires présents, il a présenté les grandes lignes du fonctionnement de l'IACS, association constituée de 10 sociétés membres, représentant 95 % du tonnage mondial, comptant au total environ 6 000 enquêteurs, avec un secrétariat permanent à Londres de 12 personnes, y compris le représentant permanent de l'association auprès de l'OMI.

Sept groupes de travail permanents mobilisent, au sein de l'IACS, les experts des différentes sociétés de classification pour préparer des « exigences unifiées » (« unified requirements »), qui permettent au conseil des dix membres de l'association de définir des référentiels de règles communes aux sociétés membres, pour les navires en construction et pour les navires déjà utilisés en mer. Cent vingt projets portant sur la sécurité des navires sont actuellement en cours d'études. Chaque projet fait l'objet de publications sur internet, avec la possibilité de prendre contact par courrier électronique avec l'IACS pour ceux qui le souhaiteraient. Ces travaux attestent du souhait de l'IACS de répondre favorablement aux demandes des gouvernements dans ces domaines sensibles, notamment en utilisant et en mettant à disposition les riches banques de données de ses membres. A titre d'exemple, l'IACS a notamment pu étudier les modalités de remplacement du stock de pétroliers à coque unique, envisagé par l'OMI et constater, à cet égard, que le calendrier initialement proposé pouvait poser quelques difficultés au regard des capacités de construction navale mondiales de pétroliers. L'IACS pourra également fournir un panel technique pour l'Agence européenne de sécurité maritime, si celle-ci le désire.

En ce qui concerne le financement de l'association, les cotisations sont proportionnelles au nombre et au tonnage de bateaux contrôlés par chaque société membre, mais chacune d'entre elles ne dispose pour autant que d'une voix.

S'agissant du contrôle de la Commission européenne sur les sociétés de classification, l'IACS est une association reconnue par celle-ci, et doit naturellement respecter les directives communautaires relatives à la sécurité maritime.

Les performances des sociétés membres de l'association sont évaluées à partir de multiples audits menés à différents niveaux : audit interne, audit de qualité réalisé par les inspecteurs de l'IACS, sous forme d'audits systèmes et d'audits de type « vertical », avec analyse de la piste d'audit (« audit track ») partant du navire jusqu'aux documents d'inspection archivés. S'y ajoute éventuellement la vérification par les organismes gouvernementaux responsables de la certification, et par l'Union européenne. Globalement, et en tenant compte des différentes catégories d'audits, chaque société membre fait l'objet d'un démarrages d'un nouvel contrôle, au titre de l'une ou l'autre de ses structures, toutes les deux à trois semaines.

En terme de niveau de qualité, sept des dix membres de l'IACS devraient être certifiés ISO 9002 d'ici la fin de l'année 2003, la vérification de la norme ISO incombant à l'Etat du siège de chaque société de classification concernée.

A la question d'Edouard Landrain concernant les conditions d'adhésion à l'IACS, M. Gavin a répondu que ces critères sont définis dans la section 6 de la Charte de l'IACS. En particulier, sont exigés :

-une participation active aux groupes de travail de l'association pendant une durée préalable à l'adhésion d'au moins trois ans ;

-trente ans d'expérience en tant que société de classification dotée de ses propres règles ;

-une clientèle d'au moins 1.500 navires de haute mer (de plus de 100 tonnes brutes), représentant un total cumulé d'au moins 8 millions de tonnes brutes ;

-au moins 150 inspecteurs exclusifs et 100 techniciens spécialisés, formés et qualifiés conformément aux normes de l'IACS ;

-la détention d'un certificat valide de conformité au regard du système de qualité de l'IACS ;

-le respect du code d'éthique de l'association.

M. Gavin a également répondu à M. Landrain que les sociétés de classification non membres de l'IACS, qui ne représentent que 5% du total, avaient néanmoins accès aux « exigences unifiées » et aux règles générales de l'association, accessibles en tout état de cause sur le site internet de l'IACS.

A la question générale de M. Landrain sur les sentiments que pouvait inspirer à l'IACS l'occurrence de naufrages du type de celui de l'Erika puis du Prestige, qui pouvaient sembler mettre en cause les contrôles par les sociétés de classification, M. Gavin a répondu qu'il s'agissait là de deux cas bien précis, encore soumis à des enquêtes judiciaires non closes. En dehors de ces deux cas particuliers, la société membre de l'IACS qui a contrôlé la structure du navire ayant fait l'objet du sinistre doit systématiquement transmettre des informations aux autres membres, pour leur permettre d'en tirer des enseignements pour l'avenir, en modifiant aux besoins leurs procédures communes. En ce qui concerne le Prestige, l'ABS (American Bureau of shipping) a demandé à l'IACS de réaliser un audit. Celle-ci a envoyé une équipe d'inspecteurs au siège de l'ABS, ainsi qu'à Dhubaï, à Houston et en Chine, où avaient eu lieu les contrôles du Prestige. L'IACS a ensuite publié son rapport sur son site internet. Cet audit était ouvert à d'éventuels observateurs extérieurs, qui ne se sont pas particulièrement manifestés.

Il est difficile de répondre de manière autre à la question posée sur ce dossier. M. Gavin a indiqué avoir assisté aux auditions organisées par le Parlement européen à Bruxelles, et a rappelé la chronologie des faits connus : en particulier, il a souligné que la société d'assistance néerlandaise Smit Salvage, qui a pris en charge le Prestige après que le navire a pu être éloigné des côtes espagnoles, n'a pu monter à bord qu'après s'être engagée vis-à-vis du Gouvernement espagnol à remorquer le navire dans l'Atlantique en haute mer. Le sinistre ne serait sans doute pas arrivé si le navire était resté dans des eaux calmes, compte tenu de ce que sa structure a pu résister plusieurs jours, bien que très endommagée, dans une mer formée. La question à laquelle il est difficile de répondre est celle de l'état réel des réservoirs, normalement contrôlés par ABS.

Tant que l'épave se trouve par 3.500 mètres de fond, il est difficile de proposer autre chose que des conjectures, qui pourraient être démenties par la suite. Il rappelle à cet égard le cas du naufrage d'un navire de la Lloyd's, dans les années 1990 à la suite d'un ouragan dans la mer de Chine, pour lequel avait initialement été incriminé un défaut de structure, mais dont, en réalité, une fois l'épave analysée, la cause du sinistre a finalement été imputée à des tuyaux d'air, dont le percement involontaire a permis à l'eau d'envahir le navire par l'arrière. Ainsi, l'analyse réalisée sur l'épave elle-même a conduit à des résultats très différents de ceux initialement imaginés, ce qui doit inciter à la plus grande prudence.

M. Priou a indiqué que l'on est malgré tout en état de s'interroger sur la manière dont des navires comme l'Erika, voire le Prestige, navires anciens transportant le même type de produit, sont contrôlés.

M. Bernard Deflesselles a ajouté que, s'il pouvait comprendre la réponse de M. Gavin, cette situation pourrait malgré tout conduire à durcir les règles applicables aux sociétés de classification, parce qu'il faut trouver une réponse aux questions que se posent les populations qui subissent les conséquences des naufrages de pétroliers en mauvais état. Il s'agit là d'un problème réel, exigeant un traitement à sa racine.

En réponse, M. Gavin a indiqué son accord sur ce point, en insistant sur le fait que l'IACS collabore activement aux travaux de l'OMI, avec les gouvernements, ainsi qu'avec l'Union européenne, en fournissant toutes les informations dont elle dispose. Par ailleurs, il faut conserver à l'esprit que, statistiquement, la proportion de navires perdus en mer avait très sensiblement diminué sur les deux dernières décennies. Ainsi, en vingt ans, la proportion de pertes de navires parmi les navires estimés à risques est-elle passée de 4,5 pour mille, à 1,5 pour mille par an, alors que, dans le même temps, la flotte mondiale augmentait de 70.000 à 90.000 navires, ce qui correspond globalement à des statistiques de sécurité d'un meilleur niveau que celui de l'aviation civile.

M. Bernard Deflesselles a relevé que ce jugement quantitatif était fondé sur une appréciation rationnelle, mais que, dans le cas de catastrophes comme celles de l'Erika ou du Prestige, l'exaspération prenait le pas sur la raison, et que chacun devait alors faire un effort sur soi pour comprendre l'état de l'opinion publique. C'est pourquoi, en l'absence de réaction adéquate, les gouvernements seraient inévitablement conduits à passer par la voie d'un durcissement de la réglementation.

M. Gavin a répondu qu'il était difficile, dans le domaine maritime, de penser pouvoir atteindre le « risque zéro » pour une flotte mondiale de 90.000 navires. Dans une telle perspective, quelles voies peuvent être explorées ? L'Union européenne privilégie actuellement la solution technique des lieux de refuge, se fondant notamment sur un exemple récent en Irlande, pour lequel la pollution avait effectivement pu être relativement circonscrite par l'accueil d'un navire en détresse dans un port-refuge. L'autre moyen consisterait en des mesures très prescriptives et objectives, consistant à interdire le passage dans les eaux territoriales de pétroliers âgés de plus d'un certain nombre d'années, par exemple dix ans. Mais, dans ce cas, il existe un fort risque d'effet pervers, si les constructeurs et les armateurs intègrent cette contrainte en construisant les navires seulement pour cette durée, et en s'abstenant de s'astreindre aux opérations de maintenance nécessaires pour dépasser cette durée. Il y a là un danger potentiel qui ne doit pas être sous-estimé. Tout en comprenant naturellement le problème politique qui se pose aujourd'hui aux élus, il est difficile de proposer une bonne solution. Par ailleurs, sanctionner très lourdement les sociétés de classification, comme semble le vouloir l'Union européenne, est sans doute également difficile.

M. Landrain a souligné qu'il y a tout de même un caractère profondément inacceptable à ce que des populations littorales ne puissent être que spectatrices et subir, sans y être pour quoi que ce soit, les conséquences des défaillances des acteurs du transport maritime. De manière plus ponctuelle, il a demandé si le passage aux pétroliers à double coque constitue une bonne réponse aux problèmes évoqués.

M. Gavin a répondu que la double coque est une bonne solution en cas de collision à faible vitesse, mais que, au-delà de 7 nœuds, la collision peut conduire au percement des deux coques. Et si seule la coque extérieure est percée, l'eau remplit alors l'espace entre les deux coques, entraînant un enfoncement plus important du navire dans l'eau du fait de sa perte de flottabilité, aggravant particulièrement le problème en cas d'échouage.

En tout état de cause, pour ces navires plus encore que pour les autres, tout dépend de la qualité de la maintenance. A cet égard, il convient de rappeler que les sociétés de classification voient les navires 2 à 3 % du temps, alors que l'armateur en a une connaissance permanente, toute l'année. Malheureusement, en cas d'accident, il n'y a souvent plus d'armateur, et ne reste que la société de classification qui, elle, a pignon sur rue, et qui contribue, comme ses consoeurs, à aider les gouvernements dans leur lutte contre les naufrages.

Enfin, il faudrait sans doute prendre garde à relativiser les problèmes, car on pourrait finalement penser que, aujourd'hui, la pollution est plus importante que les pertes humaines en mer.

Compte-rendu de l'entretien avec
M. Adolfo MENENDEZ MENENDEZ, Sous-Secrétaire d'Etat chargé des Transports


(
Madrid, mardi 27 mai 2003)

Personnes rencontrées :

- M. Adolfo MENENDEZ MENENDEZ, Sous-secrétaire d'Etat chargé des Transports

- M. José Luis LOPEZ-SORS, Directeur général de la Marine marchande

- M. Luis Miguel GUEREZ, Sous-directeur de la direction générale de la Marine marchande

- Son Exc. M. Manuel PINEIRO SOUTO, Ambassadeur en mission spéciale

- M. José-Luis RAMOS PRIETO, Directeur de cabinet du sous-secrétaire d'Etat chargé des Transports

- en présence de M. Bernard HEULIN, Conseiller scientifique à l'ambassade de France

* * * * * * *

M. Menendez a indiqué en introduction que l'accident du Prestige illustrait une fois de plus les conséquences du transport maritime international, en l'absence d'une véritable politique de sécurité maritime globale, et a mis en exergue l'importance de l'instauration d'une réglementation dans le cadre de l'Union européenne comme dans celui de l'OMI.

Il a souligné la responsabilité des institutions politiques européennes et internationales dans la survenance de cette catastrophe : en effet, l'Espagne et la France avaient appuyé la proposition initiale de calendrier de retrait des pétroliers à simple coque faite par la Commission européenne en 2000 : si elle avait été retenue, le Prestige n'aurait pu naviguer en novembre 2002.

Les institutions politiques internationales doivent assumer leurs responsabilités dans l'établissement de normes appropriées ainsi que dans leur application. Au-delà des pouvoirs de chaque Etat, il est nécessaire de renforcer les instances veillant au respect des normes instaurées : des initiatives positives ont d'ailleurs été mises en œuvre à cet égard, telles que l'Agence européenne de sécurité maritime ou le Mémorandum de Paris.

Le transport maritime est absolument fondamental pour l'économie internationale et européenne ; il repose sur le principe de liberté de navigation. Cependant, si cette liberté n'est pas soumise au respect de normes éthiques, elle sera remise en cause par les Etats riverains, qui, pour défendre leurs intérêts, vont imposer des restrictions.

Il a évoqué la directive européenne sur les lieux de refuge, approuvée sous la présidence espagnole en  2002 ; les travaux sur l'établissement d'un protocole de recours à un lieu de refuge et sur la protection de ces lieux doivent être poursuivis conjointement par tous les Etats membres. La position de l'Espagne sur ce point est la suivante : les dommages causés aux lieux de refuge doivent être intégralement compensés et seuls les navires sûrs, respectant les règles établies et disposant d'une couverture de responsabilité illimitée peuvent être accueillis, sans quoi les compagnies irresponsables seraient encouragées à envoyer de véritables bombes à retardement sur les mers, en laissant les Etats riverains confrontées aux risques économiques, politiques, juridiques et écologiques.

L'organisation de la lutte contre la pollution après l'accident a été très efficace. La composante internationale a d'ailleurs joué un rôle fondamental : le plan Biscaye a parfaitement fonctionné à tous points de vue. La Commission européenne a également activé l'instrument d'assistance multilatérale, qui a permis la mobilisation de barrages et de navires en un temps record pour lutter contre la pollution. A été regroupée, sur les côtes de Galice, la plus grande flotte antipollution jamais déployée en Europe, ce qui a permis de recueillir une quantité de fioul maximale. A cet égard, les enseignements de la catastrophe de l'Erika ont été tirés. Ainsi, les experts du CEDRE ont souligné que la pollution est beaucoup plus dangereuse lorsqu'elle arrive sur les côtes qu'en haute mer.

Pour leur part, les organismes de sauvetage espagnols avaient conclu de nombreux contrats de collaboration, qui ont permis de faire intervenir de multiples experts internationaux lors de la crise.

Les moyens de lutte contre la pollution ne sont jamais suffisants lors d'une telle catastrophe : la prévention est donc à cet égard fondamentale.

M. Menendez a ensuite exposé l'organisation et les moyens dont dispose l'Espagne : un plan d'urgence a été approuvé en 2001 et la société nationale SASEMAR, dépendant directement de la direction générale de la Marine marchande, est chargée des opérations de sauvetage en mer. Cette direction générale est l'autorité maritime la plus élevée en Espagne et est chargée de prendre les décisions en suivant un protocole d'action établi par avance.

La responsabilité des opérations de sauvetage en mer relève de l'Etat espagnol, et ce pour deux raisons : les engagements internationaux sont contractés par l'Etat, qui doit assurer leur respect ; les moyens de sauvetage sont répartis géographiquement afin d'assurer la protection de l'ensemble des côtes espagnoles et sont mobilisés au niveau national en cas de sinistre.

Il a rappelé qu'en Espagne, se superposaient trois échelons de compétences : l'Etat, les Communautés autonomes et les collectivités locales. La répartition des compétences, déterminée par la Constitution, réserve la compétence de sauvetage en mer à l'Etat et accorde certaines compétences aux gouvernements régionaux sur la zone des 12 milles, prévues par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel espagnol ; certains pouvoirs relèvent également des autorités portuaires ainsi que des entités locales dans le cadre de leur territoire.

La coordination entre ces trois niveaux de compétences est assurée par le plan adopté en 2001, évoqué précédemment, ainsi que par la Commission nationale de sauvetage maritime : cet organisme se réunit pour approuver les plans et assurer la bonne articulation des pouvoirs des différents échelons.

D'un point de vue opérationnel, des plans spécifiques ont été établis avec les gouvernements régionaux pour mettre en œuvre les opérations de sauvetage en cas de sinistre : à titre d'exemple, la Galice a conclu un accord avec les autorités centrales en 1991, lequel a permis de lancer très rapidement les opérations lors du naufrage du Prestige. Ce plan a très bien fonctionné, même si des améliorations sont toujours possibles. Ainsi, le premier hélicoptère intervenu sur le lieu du sinistre pour hélitreuiller l'équipage était un hélicoptère de la junte de Galice, conformément à ce qui était prévu par le plan général de sauvetage maritime. Le second hélicoptère arrivé sur les lieux appartenait au Gouvernement central. Ils sont intervenus dans cet ordre pour des raisons techniques et de proximité géographique.

M. Menendez a insisté sur le fait que face à un sinistre d'une telle ampleur, les moyens ne sont jamais suffisants. Dans le cas spécifique du Prestige, les moyens dont disposait l'Espagne, conjugués aux moyens internationaux mobilisés, ont permis de faire face à l'urgence de façon efficace. Il faudra ensuite analyser si, au regard de l'expérience, ces moyens doivent être adaptés, notamment concernant les types de navires disponibles et les besoins techniques.

En réponse à une question de M. Landrain sur les modalités de prise de décision lors du sinistre, M. Menendez a indiqué que la décision d'éloigner le navire a été prise par le directeur général de la Marine marchande, autorité maritime la plus élevée en Espagne, en application des procédures établies. Le directeur général a considéré toutes les options envisageables : tout d'abord, a été étudiée la solution du remorquage du navire jusqu'au port de la Corogne, qui était impossible en raison du tirant d'eau excessif du navire ; le pilote du port concerné a émis un avis négatif sur cette option, se fondant sur des raisons techniques, et cette solution a été écartée. La deuxième option envisagée était le transbordement du fioul en haute mer vers un autre navire ; mais cette solution s'est avérée impraticable en raison des conditions météo. En s'appuyant sur ces différents éléments techniques pour son appréciation, le directeur général a donc pris la décision d'éloigner le navire.

Le directeur général, M. Lopez-Sors, a souligné qu'au début de la crise, sa priorité a été de faire en sorte que le navire ne se rapproche pas davantage des côtes espagnoles, afin d'éviter le déversement de 70 000 tonnes de fioul sur le littoral. Les autorités espagnoles se sont ensuite efforcées de contrôler le navire, et ce sans aucune collaboration du capitaine, de l'équipage et de l'armateur. Ils sont parvenus à maîtriser le Prestige le 14 novembre 2002 à 8 heures, réussissant à le remorquer après une nuit de tentatives infructueuses. Il a ensuite été décidé d'envoyer un expert afin de procéder à l'inspection du navire et de faire redémarrer son moteur, lequel avait été arrêté pour des raisons inconnues. La structure du navire commençait à fléchir, ce qui constituait un symptôme très inquiétant et amenait à écarter la solution du remorquage du navire vers un port. Le pilote du port de la Corogne a souligné qu'il était impossible de rentrer dans le port un tel bateau en grande difficulté, qui ne présentait aucune garantie de sécurité.

M. Landrain a demandé si l'expérience de l'Erika avait été examinée par les responsables espagnols, car elle présentait des similitudes avec le sinistre du Prestige. M. Menendez a indiqué avoir beaucoup étudié le cas de l'Erika : lors de ce naufrage, les autorités françaises ont pris une décision en étant mal informées par le capitaine, lequel a essayé de les tromper. Si le capitaine avait fourni toutes les informations dont il disposait, notamment sur la structure du bateau, la décision adoptée aurait sans doute été différente. Là réside une grande difficulté de la prise de décision des autorités nationales en cas de crise : ils ne peuvent pas s'appuyer sur les personnes qui connaissent le mieux le navire, car les intérêts de chacun des acteurs sont différents.

M. Lopez-Sors a souligné qu'il avait décidé de fixer le cap du navire à 330 ° afin de protéger son flanc le plus endommagé. La société de sauvetage SMIT Salvage s'est engagée à ne pas rapprocher le navire à moins de 120 milles des côtes à la demande des autorités espagnoles. La distance de 120 milles a été fixée pour permettre au navire de rester à la portée des moyens de sauvetage disponibles, et correspondait à l'autonomie des hélicoptères, dans le cas où il aurait fallu évacuer les personnes restant sur le navire. L'objectif était d'amener le navire dans des eaux plus tranquilles afin de procéder au transbordement du fioul ; cependant, en raison du mauvais état structurel du navire, il n'a pas été possible d'atteindre une zone plus calme, comme cela avait été fait pour le pétrolier Castor en 2001 en Méditerranée.

La comparaison de cette crise avec le sinistre de l'Erika est très significative : lors du naufrage de l'Erika, seulement 1 000 tonnes de fioul ont été recueillies en mer, contre 30 000 tonnes pour le Prestige, et 260 000 tonnes de fioul mêlé de déchets ont pollué les plages, contre 70 000 tonnes dans le cas du Prestige. La politique d'éloignement du Prestige a donc été efficace et positive.

Evoquant la procédure en cours devant le tribunal de Corcubion, devant lequel il a déposé, M. Lopez-Sors s'est interrogé sur la pertinence de soumettre des décisions très techniques prises lors d'une telle crise à l'appréciation d'un juge.

M. Menendez a indiqué que les accords de Malaga portent leurs fruits : beaucoup de navires ne respectant pas les conditions requises modifient spontanément leur route. D'autres Etats, tels que l'Italie ou l'Allemagne, ont également signé cet accord par la suite. La notion de zone maritime particulièrement vulnérable permettrait également d'améliorer la protection de zones fragiles. En ce qui concerne les contrôles de l'Etat du port, l'Espagne a déjà transposé la directive européenne concernée, en fixant un seuil minimal de 30 % d'inspections, supérieur au taux de 25 % prévu par la directive. Les visites sont assurées par des gens de mer, notamment des ingénieurs et des capitaines. A cet égard, l'insuffisance d'experts techniques maritimes en Europe est préoccupante et cette question doit être résolue.

En réponse à une question de M. Landrain portant sur la possibilité pour l'Espagne de présenter ses demandes de remboursement en second rang au FIPOL, de façon à améliorer le taux de remboursement des créanciers privés et des collectivités locales, M.  Menendez a également indiqué que la position de l'Espagne n'avait pas changé par rapport à ce qui avait été indiqué lors de la récente réunion du Comité exécutif du FIPOL.

Les autorités espagnoles ont contacté le propriétaire de la cargaison pour récupérer le fioul restant dans l'épave : il ne s'est pas manifesté depuis six mois. Par ailleurs, certains responsables du sinistre ne sont même pas connus. Un groupement d'entreprises travaille actuellement sur trois options principales pour sécuriser définitivement l'épave : l'extraction par gravité, la mise en place d'une « marquise » sur l'épave pour recueillir le fioul, et, enfin, le pompage. Le sous-marin Nautile réalise en ce moment une troisième campagne pour étudier l'état du navire et des obturations réalisées ainsi que les fuites éventuelles.

M. Menendez a conclu en insistant sur le fait que la seule façon d'éviter de telles pollutions est d'empêcher des navires « poubelles » de transiter devant les côtes européennes. De même, les responsables de ces accidents ne doivent pas fuir leur responsabilité en se dissimulant derrière des sociétés écrans.

Echange de vues au Congrès des députés,

(
Madrid
, mardi 27 mai 2003)

Un échange de vues a eu lieu, au Congrès des députés espagnol, avec une délégation de membres de la commission des infrastructures, compétente pour les questions de transport.

Cette délégation était composée de :

- M. Francisco Luis MARQUINES, Président de la commission,

- M. Juan José Otxoa de ERIBE ELORZA, Député

- M. Jose Segura CLAVELL, Député

- en présence de Son Exc. M. Manuel PINEIRO SOUTO, Ambassadeur, responsable du plan Galice au Ministère des affaires étrangères.

* * * * * * *

Durant cet échange de vues, ont été abordées les questions relatives au naufrage du Prestige, à la gestion de la crise par les autorités nationales espagnoles, ainsi qu'aux mesures prises par le gouvernement espagnol en faveur de la communauté autonome de Galice, notamment en matière d'investissement et d'infrastructures de transport. Ont également été évoquées les raisons de l'absence de création d'une Commission d'enquête par le Parlement espagnol.

Une contribution écrite a été remise à la délégation de parlementaires français par M. José Segura Clavell, membre de l'opposition, sous la forme d'une proposition de loi, discutée l'après-midi même en séance publique, et visant en particulier à créer une agence nationale de garde-côtes.

Le représentant du Pays Basque, M. Juan José Otxoa, a exprimé une position critique vis-à-vis des mesures prises par le gouvernement espagnol.

Compte-rendu de l'entretien
avec M. Domingo MENENDEZ, Directeur de cabinet de M. Rodolfo MARTIN-VILLA, Haut-commissaire (comissionado) chargé de la gestion du Prestige


(
Madrid, mardi 27 mai 2003)

Personnes rencontrées :

M. Domingo MENENDEZ, Directeur de cabinet de M. Rodolfo MARTIN-VILLA, Haut-commissaire (comissionado) chargé de la gestion du Prestige

- Son Exc. M. Manuel PINEIRO SOUTO, Ambassadeur en mission spéciale, responsable du plan Galice au Ministère des affaires étrangères

- en présence de M. Bernard HEULIN, Conseiller scientifique de l'ambassade de France à Madrid

* * * * * * *

M. Menendez a présenté l'ensemble des actions menées par le gouvernement espagnol pour traiter le problème de l'épave du Prestige, à partir de la constitution par le Gouvernement, dès le 9 décembre, d'un conseil scientifique indépendant, à la fois pour contrôler le scellement des fissures du navire, et pour évaluer les options possibles la neutralisation du pétrole restant dans l'épave.

En premier lieu, la SASEMAR, société chargée de la lutte contre la pollution en mer et à terre, a engagé début décembre le petit sous-marin Nautile appartenant à l'IFREMER, pour constater les fuites provenant de l'épave, et prendre les mesures nécessaires. Le gouvernement espagnol ne peut, en l'occurrence, que louer le travail réalisé par Le Nautile, et plus généralement par l'IFREMER.

La première campagne du sous-marin, qui s'est déroulée du 1er au 9 décembre 2002, a permis de constater que le débit des fuites s'élevait à environ 120 tonnes/jour. Le Nautile a ensuite été choisi pour colmater les brèches de la coque.

La deuxième campagne, du 11 au 18 décembre, a permis, avec 10 plongées d'observation et 15 plongées de travail de scellement, de réduire le débit à quelques tonnes/jour.

Une nouvelle campagne du Nautile, entamée le 26 mai, a permis de constater que les fuites avaient encore diminué, et que la quantité de fioul qui s'échappe quotidiennement de l'épave est inférieure à une tonne, en raison vraisemblablement d'une augmentation de la viscosité du fioul.

Le comité scientifique estime que 37 500 tonnes de fioul environ restent dans le navire au fond de l'océan. Pour ceux-ci, la firme Repsol va entreprendre, en juin ou en juillet au plus tard, des travaux visant à estimer le volume précis à traiter. S'agissant du traitement de ce volume considérable, le conseil scientifique a constaté qu'aucune opération de pompage n'avait jusqu'à présent été réalisée à une profondeur de 3 800 mètres, le seul cas comparable étant celui du Nakhodka, échoué en janvier 1997 au large du Japon, à 55 milles de la côte, par 2 500 mètres de fond, avec des fuites de 3 à 15 tonnes/jour, et pour lequel le gouvernement japonais a finalement décidé de laisser l'épave en l'état.

Pour sa part, dans le cas du Prestige, le gouvernement espagnol a décidé, dès le départ, de trouver une solution technique au problème de l'épave, notamment pour éviter les effets négatifs potentiels sur l'image touristique de la Galice, comme sur les consommateurs de produits de la mer pêchés au large de la Galice, et sans se limiter à des réponses purement rationnelles ou raisonnables. Il est vrai que le phénomène social qui est apparu en Galice est en effet très spécifique à cette Autonomie, et peut être difficile à comprendre de l'extérieur.

En l'occurrence, plusieurs options ont été initialement envisagées, incluant le renflouement de l'épave. Finalement, les solutions retenues ont été celles du pompage du pétrole, ou celle du confinement de l'épave dans un sarcophage de béton si le pompage devait s'avérer impossible. Le Conseil scientifique a soumis au Gouvernement ses recommandations dans la 2ème semaine de février 2003. Le conseil des ministres a fixé son choix le 14 février, et a confié l'étude de faisabilité sur les deux solutions à la société Repsol IPF, qui s'était d'ailleurs proposée pour une intervention à titre gratuit.

Pour la mise en oeuvre de ce projet, Repsol a réuni, du 10 au 14 mars, à Avila, quarante techniciens des plus grandes compagnies pétrolières mondiales (BP, Statoil, TotalElfFina, Petrobraz, ENI, etc...). En conclusion de cette réunion, les options sont, dans l'ordre de préférence de faisabilité, la remontée du pétrole par des « poches-navettes » utilisant la différence de densité entre le fioul lourd et l'eau, ou l'enveloppement de l'épave sous une sorte de auvent (« marquise ») permettant le pompage, ou, à défaut, l'extraction par pompage simple par un tuyau allant du fond à la surface.

Le gouvernement a décidé de commencer par essayer la récupération par les « poches-navettes », avant de tenter la « marquise » si la première technique ne fonctionne pas, et, éventuellement, le pompage classique si aucune des deux premières méthodes n'est efficace. Le gouvernement a ensuite décidé de passer une convention avec Repsol via la Sasemar, en retenant l'ordre de priorité précité.

A la question de M. Landrain sur les délais prévisibles, M. Menendez a répondu que la première option conduirait sans doute à la fin de l'année 2003 ou au printemps 2004, la deuxième à l'été 2004, et la dernière à l'été 2005.

Une nouvelle réunion des 40 techniciens a eu lieu à Mostres, près de Madrid, les 20 et 21 mai, pour étudier plus avant les difficultés techniques à résoudre. Pour la mise en oeuvre concrète des différentes options, dix techniciens sont employés en permanence par Repsol, et une réunion hebdomadaire entre Repsol et les représentants de l'Etat permet aux pouvoirs publics de suivre le dossier de manière régulière. Il apparaît, aux yeux de l'ensemble des experts, que les délais précités devraient pouvoir être tenus.

A la question de M. Landrain sur l'hypothèse, parfois évoquée, consistant à faire exploser le fioul encore contenu dans les citernes du navire, M. Menendez a répondu qu'elle avait été complètement éliminée, et que cette idée n'avait même jamais été vraiment envisagée par le gouvernement espagnol. En tout état de cause, celui-ci ne s'éloignera pas des recommandations du conseil des scientifiques.

Au plan financier, le projet est considéré comme prioritaire par le gouvernement espagnol, qui n'a posé aucune limite d'ordre budgétaire, tout en demandant à Repsol de faire au vite que possible, dans des conditions de sécurité maximale.

Pour la première technique, le coût estimé s'élèverait à 56 millions d'euros, et pour la deuxième, à 70 millions d'euros. Le coût de la troisième option n'a pas été évalué, car tout porte à penser que soit la première soit la deuxième fonctionnera, la troisième soulevant plus de difficultés. Ces estimations ont été effectuées par Repsol, qui dispose de l'information la plus complète possible, sous la réserve que ces techniques n'ont malgré tout jamais été mise en œuvre à cette échelle et à cette profondeur.

M. Menendez a ensuite présenté une animation audiovisuelle simulant la mise en œuvre des deux premières solutions techniques retenues, et a remis un fascicule présentant les grandes lignes du plan Galice.

Il a précisé que des robots sont en cours de développement pour pouvoir supporter une charge sur des bras articulés nettement supérieure à la capacité du Nautile, qui était de 100 kilogrammes (1), même si les scientifiques avaient été particulièrement impressionnés par le travail réalisé par le sous-marin pour colmater les brèches. Par ailleurs, la principale inquiétude sur la technique des poches-navettes porte sur la viscosité du fioul, et sur sa capacité à sortir des citernes par simple effet de différence de densité. Des essais sur le comportement du fioul sont en cours par Repsol, et les opinions semblent actuellement globalement plutôt optimistes .

Il a ajouté que tous les avis ne sont pas strictement identiques sur l'évolution de la viscosité du fioul restant dans le Prestige dans ses conditions très particulières de forte pression et de basse température, mais que, si ce fioul est devenu relativement solide, il devrait demeurer suffisamment visqueux pour pouvoir sortir des citernes, surtout si l'on y ajoute des dissolvants.

S'agissant des fonctions du comisionado, M. Menendez a indiqué qu'elles ont été confiées à M. Martin-Villa, qui a été trois fois ministre, y compris pendant la transition espagnole, vice-président du gouvernement, président de la compagnie d'électricité publique, première société espagnole, et que le choix par le gouvernement de M. Martin-Villa était sans doute le meilleur possible, tant en terme de prestige que de dimension personnelle.

A la question de M. Guédon, portant sur l'origine des boulettes de pétrole parvenant actuellement sur les rivages de Bretagne, M. Menendez a répondu que, pour la Galice, il s'agit de fioul ancien, provenant des 1ère et 2ème vagues de marée noire de novembre et de décembre 2002, détaché des rochers par l'action de la mer et revenant ensuite sur les plages. Pour la Cantabrie et le pays basque, et sans doute aussi pour la France, il s'agit plutôt des restes de la première grande nappe, qui a continué de circuler dans le Golfe de Biscaye.Le fioul s'échappant aujourd'hui de l'épave correspond, en flux, à une simple opération de dégazage.

M. Heulin a ajouté que, à son avis, les fuites limitées actuelles du Prestige paraissent difficilement pouvoir être responsables des arrivées de fioul en France, car, avec un flux ne dépassant pas une tonne par jour, le fioul doit pouvoir se biodégrader dans le milieu marin. M. Guédon s'est, pour sa part, interrogé sur la réelle biodégradabilité du fioul n°2, surtout à une grande profondeur.

Dîner de travail

(
Saint-Jacques de Compostelle, mardi 27 mai 2003)

Un dîner de travail a eu lieu, à Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, en présence de:

- M. Rodolfo MARTIN-VILLA, Haut-commissaire (« comisionado ») chargé de la gestion du Prestige

- M. D. Enrique LOPEZ VEIGA, Conseiller de la Junte de Galice chargé de la pêche,

- M. José Manuel BARREIRO FERNÁNDEZ, Conseiller de la Junte de Galice chargé de l'environnement,

- Son Exc. M. Manuel PINEIRO, Ambassadeur en mission spéciale, responsable du plan Galice au Ministère des affaires étrangères.

Compte-rendu de la présentation de la gestion de la crise en Espagne(

(
La Corogne, mercredi 28 mai 2003)

Personnes rencontrées :

- M. Antonio VAZQUEZ GUILLEN, Avocat d'Etat de La Corogne

- M. Xoan NOVOA-RODRIGUEZ, Commissaire du ministère de l'Environnement

- son Exc. M. Manuel PINEIRO SOUTO, Ambassadeur en mission spéciale

- Colonel NAVA, Représentant du ministère de la Défense

- M. Pedro GARCIA MARIA, Représentant du ministère de l'Equipement

- M. Xaquin MACEIRAS, SASEMAR

- Porificacion MORANDEIRA, ministère de l'Equipement

- en présence de M. ROUDIÈRE, Consul général de France à Bilbao

* * * * * * *

[Il a tout d'abord été procédé à une présentation par projection de la gestion du sinistre, qui est jointe en annexe au rapport.

Cette présentation a été suivie d'un échange entre les membres de la délégation de la Commission et les responsables présents.]

M. Landrain s'est interrogé sur les objectifs de l'éloignement du navire vers des eaux tranquilles, alors que les conditions météo étaient très mauvaises dans toute la zone et a demandé si l'éventualité de la pollution des côtes françaises a été prise en compte lors de la gestion de la crise, compte tenu des connaissances en courantologie disponibles.

M. Novoa, commissaire de l'Environnement, a indiqué que le bateau avait mis le cap sur le Sud afin d'atteindre des eaux plus tranquilles. M. Landrain ayant remarqué que le navire avait tout d'abord fait route vers le Nord, M. Novoa a indiqué qu'il était difficile de maîtriser le navire, qui était en grande difficulté, et qu'il avait été fait tout ce qui était possible pour diriger le navire vers le Sud.

M. Vasquez Guillen a précisé que le but de sa présentation initiale consistait à fournir des informations et non à justifier les opérations mises en œuvre. En l'occurrence, trois options étaient envisageables : alléger le navire dans la mer, ce qui était techniquement quasi impossible ; ramener le navire vers les côtes ; ou l'éloigner.

Faire entrer dans un port un navire souffrant d'une grave avarie était concrètement et juridiquement impossible. En revanche, il existe de nombreux exemples d'éloignements réussis de navires vers des eaux tranquilles ; c'est d'ailleurs pourquoi le Prestige avait demandé l'autorisation d'entrée à un port du Cap Vert. Par exemple, en 1975, le navire Kharg V, en difficulté au large du Maroc, avait parcouru 2 000 milles et avait atteint la Sierra Leone, où avait été effectué le transbordement de sa cargaison ; il était ensuite revenu à Gibraltar pour y être réparé.

M. Priou a évoqué les nombreuses marées noires survenues au large du cap Finisterre et a demandé, d'une part, quelle était l'organisation des plans d'urgence en Espagne, et, d'autre part, quelle était l'articulation des compétences du Gouvernement central et des Communautés autonomes.

M. Vasquez Guillen a indiqué que l'organisation administrative espagnole était très différente de celle de la France : par exemple, il n'y existe pas d'équivalent des préfectures françaises. Les compétences sur le domaine public maritime et terrestres relèvent exclusivement de l'Etat espagnol et sont exercées par le ministère de l'Environnement (pour les plages) et de l'Equipement (pour la mer). Pour améliorer l'organisation existante, la société publique SASEMAR, chargée d'assurer les opérations de sauvetage, a été créée en 1992. Son président est le directeur général de la Marine marchande. Cette organisation est complétée par des centres locaux de sauvetages dépendant de la SASEMAR. Le plus important centre de Galice est celui de Finisterre. C'est la SASEMAR qui dispose de tous les moyens de remorquage et de lutte contre la pollution. Son statut de société publique indépendante lui confère une grande souplesse d'action.

En réponse à une question de M. Priou sur la mobilisation des personnels dans la lutte contre la pollution, M. Vasquez Guillen a indiqué qu'à ce jour, cette lutte a représenté 800 000 journées de travail, dont 32 % par des volontaires (comprenant également des personnels spécialisés, tels que des pompiers) et 28 % par des militaires. Les 40 % restants ont été effectués par des personnels embauchés par l'administration : les autorités ont recouru à des personnels spécialisés et à des entreprises de nettoyage. Ces personnels ont été rémunérés par l'administration espagnole d'Etat.

En réponse à une question de M. Priou sur la coordination des opérations de nettoyage et les modalités d'élimination des déchets, M. Novoa a indiqué que le recueil du fioul en mer avait été coordonné par le ministère de l'Equipement et que le nettoyage des côtes l'avait été par le ministère de l'Environnement. Des structures ont été créées au niveau territorial pour assurer la distribution des matériels, coordonner les opérations et fournir les informations disponibles. En Galice, région la plus affectée par la pollution, huit centres de distribution et de contrôle ont été constitués. Les autres provinces disposaient chacune d'un centre.

Par ailleurs, les plages françaises sont beaucoup plus étendues qu'en Espagne, où le sable constitue un bien rare. Le dispositif de nettoyage retenu en Espagne a été conçu pour retirer le moins de sable possible des plages : c'est pourquoi les autorités ont choisi de pratiquer un recueil manuel du fioul, permettant un tri très sélectif des déchets et du sable mais requérant l'intervention de nombreux personnels. La question du traitement des déchets est encore en suspens à ce jour : les 56 000 tonnes recueillies sont accumulées dans trois lieux, en attendant de déterminer le processus de traitement. Une délégation espagnole s'est rendue en France pour visiter les installations de stockage et de traitement des déchets utilisées pour l'Erika. Le processus français pourrait être retenu par l'Espagne, compte tenu de la similarité des fiouls de l'Erika et du Prestige.

Une des particularités de la catastrophe du Prestige est la très grande quantité de fioul recueilli en mer aussi bien par les navires antipollution que par les navires de pêcheurs. Le fioul ainsi récupéré a été traité par une raffinerie de pétrole de la Corogne.

Le représentant de l'armée pour la gestion de la lutte à terre contre la pollution issue du Prestige a indiqué qu'un coordinateur de défense était en contact avec les casernes militaires de l'armée de terre, avec la Marine et avec l'armée de l'air ; parallèlement, une cellule de contrôle était chargée de coordonner l'action de tous les avions en vol. Deux avions étaient présents en permanence sur zone, ainsi que deux hélicoptères. Cent-vingts militaires sont encore mobilisés pour le nettoyage des plages.

Echange de vues avec des représentants des élus locaus et des marins pêcheurs

(
Finisterre, mercredi 28 mai 2003)

Un échange de vues a eu lieu, à la mairie de Finisterre, en Galice, avec une délégation de représentants des élus locaux et des marins pêcheurs.

Cette délégation était composée de :

- M. Manuel MARTINEZ, patron pêcheur, maire de Finisterre

- M. Juan BAUTISTA RODRIGUEZ, pêcheur à pied

- M. Juan BAUTISTA LOUTAU, patron-pêcheur

-M. Gervanio ROMENO, patron-pêcheur

- en présence de Son Exc. M. Manuel PINEIRO SOUTO, Ambassadeur, responsable du plan Galice au Ministère des affaires étrangères.

* * * * * * *

Durant cet échange de vues, ont été abordées les questions relatives à l'implication des marins pêcheurs de Galice dans les opérations de collecte de la pollution en mer, au dédommagement financier des pertes d'exploitation dues à l'interdiction de pêcher, aux modalités financières de rémunération des pêcheurs réquisitionnés pour les opérations en mer, et à l'incidence économique générale de la pollution sur le tissu économique des communes du littoral.

Voir le sommaire du premier volume des auditions (1ère à 4ème parties)

Voir le sommaire du second volume des auditions (5ème à 8ème parties)

( Ce compte-rendu n'a pas été validé dans le délai proposé.

( Ce compte-rendu n'a pas été validé dans le délai proposé.

( Ce compte-rendu n'a pas été validé dans le délai proposé.

( Traduction du compte-rendu validé en anglais.

( Traduction du compte-rendu validé en anglais.

1 () Selon les données fournies de l'IFREMER.

( Ce compte-rendu n'a pas été validé dans le délai proposé.


© Assemblée nationale