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AUDITIONS (SUITE)

Audition de M. Charles BUTTNER,
Président du conseil général du Haut-Rhin,
accompagné de M. Joseph SPIEGEL,
Président du Groupe socialiste des élus du conseil général,
M. Michel CHOCHOY, Directeur général adjoint des services,
Mme Nicole FELLY, Chef du service Insertion et développement local,
et M. René JACQUES, Directeur des infrastructures routières


(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Charles Buttner, Michel Chochoy, Mme Nicole Felly, MM. René Jacques et Joseph Spiegel sont introduits.

M. le Président : Nous poursuivons maintenant nos auditions de la matinée en entendant M. Charles Buttner, Président du conseil général du Haut-Rhin, accompagné de M. Michel Chochoy, Directeur général adjoint des services du département, Mme Nicole Felly, Chef du service Insertion et développement local, M. René Jacques, Directeur des infrastructures routières, et M. Joseph Spiegel, Président du Groupe socialiste des élus du conseil général.

Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez votre stratégie fiscale et les différents postes de dépenses qui pèsent le plus sur votre budget, notamment dans la perspective de l'acte II de la décentralisation.

M. le Président rappelle à MM. Charles Buttner, Michel Chochoy, Mme Nicole Felly, MM. René Jacques et Joseph Spiegel que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. le Président : M. Charles Buttner, vous avez la parole pour un exposé introductif.

M. Charles BUTTNER : Nous vous remercions de votre invitation, et sommes très honorés que vous ayez pensé à nous...

Le département du Haut-Rhin reste dans une situation financière saine, due notamment à la structure de sa fiscalité, qui repose à 61 % sur les entreprises, et dépend donc largement du niveau de l'activité économique. Les taux d'imposition sont restés stables jusqu'en 2002, année où a dû être mise en place l'APA, ce qui aurait justifié une hausse de nos impôts de près de 9 %. Nous nous sommes néanmoins limités à 6 % en 2002, ce qui a permis néanmoins d'équilibrer le compte administratif et d'adopter un budget qui s'est révélé efficace, dans la mesure où nous avons eu une dotation compensatrice de l'État en cours d'année. Nous nous sommes de nouveau limités à 6 % en 2003, puis à 3 % en 2004 et à 2,9 % pour 2005.

Notre situation est tout à fait convenable aussi en ce qui concerne l'endettement, puisque nous sommes en situation de nous désendetter sur deux ans. Le recours à l'emprunt est traditionnellement prévu à hauteur de 80 millions d'euros, mais nous n'en avons réalisé que 30 millions en 2004. Les perspectives sont donc tout à fait sereines.

Ces éléments nous permettent d'avoir une stratégie proche des préoccupations de la population du Haut-Rhin. Depuis trois ans, le taux de chômage a fortement augmenté dans la région, jusqu'à rejoindre la moyenne nationale. Cela signifie aussi qu'il ne faut pas exiger d'efforts supplémentaires de la population, mais modérer la pression fiscale. Cela dit, nous n'en avions pas réellement besoin de l'augmenter davantage.

Le coût de l'APA reste maîtrisé et, s'agissant de l'acte II de la décentralisation, il est vrai qu'une part du RMI n'est pas couverte : il manque 7 millions d'euros. Mais il y a un engagement du Gouvernement, qui devrait nous permettre de ne pas avoir un déficit aggravé de ressources. Nous sommes donc à même d'assurer les compétences que nous avons à exercer, sans que cela justifie une augmentation supérieure à celle qui a été décidée.

Pour les années à venir, et sans tenir compte des lois non encore appliquées - comme celle sur le handicap -, nous ne pouvons faire de vraie projection, même si la charge s'annonce extrêmement lourde. Ce que nous constatons, c'est que le transfert des TOS et des personnels de la DDE devrait nous amener à compenser le surcoût par deux points ou deux points et demi de fiscalité supplémentaires. Il ressort des réunions que nous avons eues, notamment avec le Premier ministre, que la négociation reste à mener avec l'État, mais je pense que nous ferons encore quelques progrès.

Pour avoir vécu de très près l'acte I de la décentralisation, notamment celle des collèges, je tiens à souligner que la part de la DGF « collèges » représente aujourd'hui moins du septième de ce que le département y consacre, et que c'est à peu près la même chose partout, mais aussi qu'il y a aussi une satisfaction générale vis-à-vis du service public assuré par les départements. Pourquoi dis-je cela ? Parce qu'à mon avis, les compétences transférées devront s'accompagner de mesures d'amélioration du service public. En Alsace, académie traditionnellement sous-dotée en postes TOS, il faudra sûrement faire un effort important de recrutements supplémentaires, mais cela ira dans le sens d'une qualité de service renforcée, d'une plus grande proximité par rapport aux préoccupations du terrain. Je le dis sans ambages : je suis personnellement très favorable à une décentralisation qui n'en est sans doute qu'à ses balbutiements, car le service public sera certainement mieux assuré, à un coût lui-même mieux maîtrisé - mais cela reste naturellement à vérifier.

J'ajoute que, si notre maîtrise budgétaire semble bonne ou très bonne, avec des ratios qui peuvent paraître surprenants, notamment celui du nombre de fonctionnaires par rapport à la population - pour lequel nous sommes très au-dessous de la moyenne nationale -, nous sommes très au-dessous également - à 73 % exactement - pour le niveau de la fiscalité. Le Haut-Rhin, comme d'ailleurs l'Alsace dans son ensemble, est donc relativement sous-fiscalisée. Je crois qu'il y a, d'assez longue date, une recherche de productivité dans nos services publics territoriaux, et que cela explique en grande partie les stratégies financières de nos collectivités, comparées à celles d'autres régions. Cela explique aussi leur bonne santé financière.

M. le Rapporteur : Avez-vous des indicateurs ?

M. Charles BUTTNER : Nous devrions pouvoir vous les fournir. Nous sommes parmi les dix départements - le sixième ou le huitième, je crois - dont la fiscalité est la moins forte.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Quelle est votre population ? Et combien avez-vous de fonctionnaires ?

M. Charles BUTTNER : Nous avons 708 000 habitants, et environ 1 180 fonctionnaires, plus 230 assistantes maternelles. Ce n'est pas beaucoup !

M. Jean-Pierre GORGES : Et ça marche quand même ?

M. Charles BUTTNER : Mais oui.

M. le Rapporteur : Il nous faudrait les ratios comparés avec ceux des autres départements.

M. Charles BUTTNER : Je suis très sensible à cette question, car je suis toujours étonné moi-même de constater que le service public est apprécié par la population, alors même que la fiscalité est largement inférieure à la moyenne nationale. La raison en est qu'il y a moins de fonctionnaires.

M. le Rapporteur : Pourquoi retombez-vous, alors, dans l'idée très banale qu'il y a sous-encadrement des TOS et qu'il faudra augmenter leurs effectifs ? Vous apprêteriez-vous à trahir votre vertu historique ?

M. Charles BUTTNER : J'userai, pour ma part, de formulations plus prudentes... Je suis chef d'établissement scolaire depuis une bonne vingtaine d'années, et je continue d'ailleurs d'exercer mes fonctions de proviseur au lycée polyvalent régional de l'automobile, ce qui étonne souvent les gens. Je suis donc bien placé pour dire que les collèges et les lycées du département sont propres, bien entretenus, et ce malgré le sous-encadrement.

M. le Rapporteur : Alors, pourquoi voulez-vous embaucher ?

M. Charles BUTTNER : Parce que nous avons la conscience que, compte tenu de la charge demandée au personnel et de la nécessité d'améliorer le service dont la compétence nous est transférée - accueil, hébergement, entretien, restauration -, nous souffrons d'une sous-dotation endémique.

M. le Rapporteur : Mais n'est-ce pas le cas aussi pour les fonctions que vous exercez déjà, de manière pourtant satisfaisante à vos propres dires ? L'objectif n'est pas forcément de rejoindre la moyenne nationale.

M. Charles BUTTNER : Je m'explique. Dans un département voisin, que je ne citerai pas - je dirai seulement qu'il est montagneux -, la tendance est plutôt à la fermeture des collèges car la population décroît. Il est pourtant difficile d'y supprimer des postes, et quasiment impossible d'en transférer à d'autres départements. L'Éducation nationale y maintient donc les effectifs parce qu'il n'y a pas d'autre solution. Inversement, il est tout aussi impossible, à budget constant, de créer les postes nécessaires dans les académies où on construit plusieurs collèges par an. C'est de là que vient ce déficit croissant, et nous ne pourrons pas continuer à faire comme avant, c'est-à-dire demander des effectifs au recteur, faire avec ce qu'on nous donnait et recruter, pour le reste, des contractuels ou des CES - qui représentent encore une part très importante des TOS. Dans cette affaire, nous sommes vraiment sur le fil, et nous ne pourrons pas éviter, du fait de la proximité qu'il y a désormais entre les responsables et le public, de faire des efforts pour ce secteur particulier.

Au niveau de l'administration départementale, c'est autre chose. Nous avons directement la responsabilité de quelque 1 183 fonctionnaires, et l'encadrement, la direction générale sont à même de mettre l'accent là où il y aurait déficit. Pour l'administration des TOS, ce n'est pas la même musique. Cela dit, je ne mets pas en cause, contrairement à d'autres, leur productivité : je ne suis pas de ceux qui tirent sur les TOS, d'autant que je les connais.

M. le Rapporteur : M. Dominique Antoine, le directeur compétent pour les TOS au sein du ministère de l'Éducation nationale, nous a dit qu'au moment du passage aux 35 heures, il avait paru quasiment impossible de porter la durée du travail des TOS à ce niveau, car elle était très au-dessous. C'est ce qui a motivé, d'ailleurs, la circulaire Lang de février 2002. Il y a donc bien un problème de durée du travail par rapport aux autres personnels dont vous avez la charge, ce qui risque d'être un peu crucifiant pour vous, étant donné que vous êtes à la fois proviseur de lycée et président de conseil général.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Nous avons la chance d'avoir en votre personne quelqu'un qui connaît bien la question, et qui la voit d'un double point de vue. La semaine dernière, on nous a laissé entendre que, compte tenu du niveau de rémunération relativement modeste des TOS, leur moindre durée de travail, consacrée par la circulaire Lang, constituait une sorte de compensation. Mais nous avons du mal à comprendre comment tout cela fonctionne, compte tenu notamment des vacances scolaires. Vous êtes sûrement en mesure de nous en parler très concrètement, sachant naturellement que ce n'est pas forcément la même chose pour la restauration scolaire, qui n'a pas lieu en été, ou du nettoyage, qui est moins nécessaire en période de congés.

M. Charles BUTTNER : Je suis étonné de vous entendre dire que les TOS auraient des horaires incompatibles avec ceux de la fonction publique territoriale. Les miens font 1 580 heures, ou plutôt 1 575 heures par an ; ils ont des semaines de 41 heures 30 ; ils sont en totalité en congé du 13 juillet au 20 août, quand l'établissement est fermé, et partiellement pendant les petites vacances, avec des jours de permanence. Il faut enlever aux 1 600 heures nationales les deux jours du statut local, ce qui donne 1 580 heures ou 1 575, mais ils les font, en tout cas dans mes établissements.

M. le Rapporteur : Ce doit être une exception haut-rhinoise, car M. Dominique Antoine nous disait que la circulaire Lang de février 2002 avait été prise pour répondre à la difficulté d'arriver aux 35 heures. Or cette circulaire dit : pas plus de vingt-cinq jours de travail pendant la période des vacances scolaires. Etant donné qu'il y a au maximum 150 jours de classe dans l'année, et compte tenu notamment des temps de pause, on semble aujourd'hui assez loin de 1 600 ou même de 1 580 heures par an. Mais il semble que ce ne soit pas le cas chez vous ?

M. Charles BUTTNER : Nous avons constitué un groupe de travail à l'échelle de l'académie, avec la région et le département du Bas-Rhin, car je souhaitais justement que la question soit éclaircie.

M. le Rapporteur : Dans votre lycée, les agents font, nous dites-vous, 1 580 heures. Et ceux que vous allez avoir comme président du conseil général, font-ils 1 580 heures aussi ?

M. Charles BUTTNER : Je pense que oui, sous la foi du serment, mais cela mérite d'être éclairci, et c'est pourquoi nous avons constitué ce groupe de travail.

M. le Rapporteur : Peut-être n'appliquez-vous pas la circulaire Lang ? Ce n'est pas grave, elle ne paraît pas légale...

M. le Président : On nous a dit qu'il y aurait un statut pour les TOS. Fixera-t-il la durée du travail à 1 580 heures, à 1 600 heures, à un autre niveau ? Et l'appliquerez-vous ?

M. Charles BUTTNER : Nous attendons aussi de savoir quel sera le corps d'emploi spécifique qui sera créé pour les TOS dans le cadre de leur intégration.

M. le Rapporteur : Il peut y avoir débat sur l'écart entre le temps de travail des agents et les 35 heures. Mais, jusqu'à présent, tous nos interlocuteurs nous ont dit que les TOS sont assez mal payés, que leur régime indemnitaire est médiocre, mais que leur temps de travail est très inférieur aux 1 607 heures annuelles ordinaires, et qu'il y aura donc peut-être une marge de négociation entre, par exemple, une augmentation du temps de travail et une revalorisation des indemnités. Vous nous dites que votre situation à vous est différente, que vous êtes déjà à l'horaire normal, mais cela risque de vous poser une difficulté particulière, car vous n'auriez pas cette marge de négociation. Comment allez-vous faire ?

M. Charles BUTTNER : Nous leur demanderons de continuer à travailler la même durée.

M. le Rapporteur : Mais les indemnités resteront-elles au niveau minimum ? S'ils ne peuvent pas travailler plus, ils ne seront donc pas plus payés ?

M. Charles BUTTNER : C'est une question que nous nous posons aussi dans le cadre du groupe de travail que les trois collectivités ont constitué pour clarifier celle du temps de travail des TOS dans l'académie de Strasbourg.

M. le Rapporteur : Mais dans votre lycée, le temps de travail est bien de 1 580 heures ?

M. Charles BUTTNER : Je persiste à croire que oui.

M. Jean-Pierre GORGES : Quand on divise le nombre annuel d'heures légales par rapport au nombre de jours où les gens sont effectivement à leur poste de travail, on arrive à plus de 10 heures par jour, ce qui n'est matériellement pas possible. La restauration scolaire, par exemple, fonctionne 143 jours, ce qui voudrait dire 11 heures et demie de travail par jour !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Sauf si les personnels de restauration, par exemple, font autre chose lorsqu'il n'y a pas d'élèves.

M. Charles BUTTNER : Nos personnels ont effectivement des services mixtes, sauf le cuisinier, naturellement.

M. le Rapporteur : Certes, mais la circulaire Lang ne permet pas d'ajouter plus de 25 jours aux jours scolaires, et encore y a-t-il un certain nombre de règles relatives aux jours de congé, si bien qu'au total on ne dépasse pas 160 jours. Vous êtes bien le premier à nous dire que vos TOS font 1 580 heures.

M. Charles BUTTNER : L'organisation de leur service repose sur cette base. Mais je vais quand même vérifier tout ça.

M. le Rapporteur : Je souhaite que vous nous reprécisiez ce que vous appelez maîtrise de la dépense. Vous nous dites d'abord que vous avez moins de fonctionnaires par habitant, et nous serions preneurs, soit dit en passant, d'un tableau comparatif par rapport aux autres collectivités. Et vous nous dites ensuite que le transfert des TOS va vous amener à recruter, mais que la décentralisation a la vertu de contribuer à la maîtrise des dépenses.

M. Charles BUTTNER : Il y a différents niveaux de service. Je me souviens du temps où les collèges étaient de la responsabilité de l'État. Les structures y étaient parfois délabrées, les équipements inexistants, notamment pour les enseignements spécialisés, et cela sans que nous puissions interpeller un quelconque responsable. Nous étions bien obligés de nous accommoder de cette situation. Depuis que, le 1er janvier 1986, les collèges lui ont été transférés, le département du Haut-Rhin a d'abord décidé, dans les deux ans, la reconstruction d'un premier collège - qui était d'ailleurs le mien, mais je n'étais pas encore conseiller général -, après quoi il y a eu ensuite un plan pluriannuel d'investissement.

M. le Rapporteur : C'est sans doute très bien, mais ça a dû plutôt augmenter les dépenses ?

M. Charles BUTTNER : Oui, mais ça a amélioré le service.

M. le Rapporteur : Mais vous parliez de maîtrise de la dépense...

M. Charles BUTTNER : Maîtrise, oui, mais dans le cadre d'un service amélioré. La maîtrise, ça ne consiste pas à en faire le moins possible, mais à trouver une évolution des ressources qui soit supportable à la fois par le contribuable et par l'économie, tout en permettant de fournir un service satisfaisant à la population.

M. le Rapporteur : Quelle différence faites-vous entre ce que serait l'exercice par le conseil général d'une compétence déléguée et celui d'une compétence décentralisée ? Sur le RMI, plus précisément, comment gérez-vous la compétence, y compris au regard du nombre, des problématiques d'insertion, du type de décisions que peuvent prendre les commissions locales d'insertion ? Une attitude possible consiste à constater qu'il y a tant d'allocataires et que, donc, ça coûte tant, et de demander de temps à autre un reconventionnement à l'État au motif que ça coûte plus cher que la ressource transférée. Une autre attitude est d'essayer d'agir sur le nombre des allocataires, grâce à la qualité de l'insertion, grâce à l'offre d'emplois, y compris celle sur laquelle vous pouvez avoir une influence, comme l'APA, ou grâce à la gestion des problèmes d'abus ou de fraudes. Comment vous situez-vous, entre cette conception d'une décentralisation au sens fort du terme et celle d'un guichet qui aurait simplement changé de drapeau, passant de l'État au département ?

M. Charles BUTTNER : L'exercice d'une compétence doit être pleine. Nous devrions, à la limite, avoir aussi une latitude d'action sur les critères d'entrée dans le dispositif. Gérer juste un guichet est appauvrissant, ce n'est pas ma démarche, même si ça ouvre un droit à compensation. Aujourd'hui, l'État a ses critères, ses règles, nous les appliquons et nous constatons qu'il y a un différentiel à compenser. Voilà la situation où nous sommes. Nous gérons le guichet et nous attendons la compensation. Nous avons saisi le préfet il y a trois ou quatre mois, peut-être même six, car, pour 2004, il nous manque 7 à 8 millions d'euros : 37 millions d'euros ont été dépensés, et 30 millions d'euros seulement nous ont été transférés.

M. le Président : Et depuis le 1er janvier dernier ?

M. Charles BUTTNER : Nous voyons le coût augmenter constamment. Nous en sommes déjà à 3,5 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Comment envisagez-vous de passer du guichet à la compétence ?

M. Charles BUTTNER : Nous attendons cela de l'État tout-puissant... Plus sérieusement, si nous sommes dans une situation où nous exerçons une compétence à la place de l'État, il doit y avoir compensation. En revanche, si nous étions dans le plein exercice de la compétence, figée sur une dotation de base, et que nous puissions être maîtres sur toute la ligne, de l'initialisation à la conclusion, ça pourrait devenir une responsabilité budgétaire totale du département. Mais en attendant, nous sommes dans une logique de demande de compensation du déficit de la compétence RMI.

M. le Rapporteur : Mais aujourd'hui, avez-vous dans les textes la marge qu'il vous faut pour passer d'une logique de guichet à la dynamique de compétence ? Attendez-vous la réponse de l'État, ou avez-vous la capacité de trouver vous-même la réponse ?

M. Charles BUTTNER : Je ne crois pas. À mon sens, nous n'avons pas la possibilité de faire évoluer le dispositif.

M. le Rapporteur : Vous pouvez réguler le nombre. Nous avons entendu le Président du conseil général du Rhône, M. Michel Mercier, nous expliquer qu'il avait convoqué les bénéficiaires du RMI, à la fois pour contrôler et pour mobiliser, pour conseiller, pour responsabiliser. Il nous a également parlé de mettre en relation la compétence RMI et la compétence APA. Vous avez déjà cette possibilité. Qu'attendez-vous donc de plus, par rapport à la situation juridique actuelle, pour dire : nous sommes passés du guichet à une compétence qu'on maîtrise mieux ?

M. Charles BUTTNER : Nous sommes là au cœur des enjeux de la cohésion sociale. J'ai présidé une commission locale d'insertion pendant des années. Nous sommes, dans le département, à plus de 50 % de RMIstes couverts par un contrat d'insertion, et même à 85 %, voire 95 % dans les zones les plus rurales. Le respect du contrat d'insertion conditionne le maintien du RMI, et je salue tous les acteurs du dispositif, nos services, ceux des communes, les élus, dont l'activité tend à maîtriser les flux de nouveaux RMIstes. J'aurais besoin de pouvoir comparer avec d'autres départements, car dans le Haut-Rhin le taux de chômage, depuis six ans, est passé de 4 ou 5 % à un peu plus de 9 %, mais le nombre des RMIstes, lui, n'a pas doublé : il est seulement passé de 7 000 ou 7 500 à 8 200. Nous agissons donc, c'est vrai, mais cela dit, je n'avais pas encore abordé cette question sous l'angle où vous l'avez posée. Aujourd'hui, notre attitude est de constater que le RMI nous a été transféré, qu'il se solde par des déficits importants, et d'en demander le remboursement. Pour ma part, je serais favorable à l'exercice entier de la compétence par le département, et sans doute le faisons-nous déjà pour notre politique de contrats d'insertion. Ce qui serait intéressant, c'est de regarder, à situation de chômage équivalente, combien il y a d'allocataires du RMI dans les autres départements, et dans quelle proportion ils sont couverts par des contrats d'insertion.

M. le Rapporteur : Il serait très intéressant que notre Commission d'enquête puisse comparer le pourcentage de chômeurs et le pourcentage d'allocataires du RMI dans chaque département.

Pour en revenir aux TOS, M. Dominique Antoine nous a dit que le problème, au moment du passage aux 35 heures, avait été d'allonger leur durée de travail pour la rapprocher de 35 heures par semaine. Le régime actuel national est de 1 607 heures, qui « s'apprécient » - tout est dans cette expression - compte tenu de neuf semaines ou 45 jours de congé, avec cette contrainte qu'on ne peut imposer plus de 25 jours de travail par an pendant les vacances scolaires, que les jours fériés légaux sont considérés comme jours de travail effectifs lorsqu'il suivent ou précèdent un jour de travail ordinaire, que vingt minutes de pause par jour sont comptés comme temps de travail, et enfin que, sauf pour les personnels d'accueil, c'est-à-dire les concierges des établissements, on ne peut pas dépasser 40 heures de travail par semaine. Si on additionne toutes ces contraintes, il n'y a aucun moyen d'atteindre, même à 100 heures près, 1 580 heures par an.

M. le Président : Si je comprends bien, M. le proviseur ne respecte pas la légalité, puisqu'il parlait de 41 heures 30 ?

M. le Rapporteur : Il respecte la loi. C'est la circulaire qui n'est pas légale !

M. Jean-Pierre GORGES : Tout à l'heure, le Président du conseil régional d'Alsace nous disait qu'il était assez strict sur les compétences, et que 2 % seulement de son budget était utilisé hors compétences obligatoires, souvent d'ailleurs sous la forme de fonds de concours pour aider des projets spécifiques. Vous êtes dans une gestion assez saine, avec un nombre de fonctionnaires assez réduit. Quelle part de votre budget est utilisée hors compétences obligatoires ? C'est d'ailleurs un pourcentage qu'il serait intéressant d'avoir pour chaque région ou département.

M. Charles BUTTNER : Hors compétences obligatoires, il y a en premier lieu d'abord l'aide aux communes, pour les bâtiments publics, la voirie, etc. Je le dis très volontiers, car c'est un vrai enjeu au sein du projet départemental. Cela représente un peu plus de 100 millions d'euros sur un budget de 600 millions d'euros environ, soit un peu plus de 15 % ; M. Michel Chochoy pourra vous donner les chiffres exacts. S'ajoutent à cela les compétences en matière de développement économique, qui sont importantes, d'aide aux universités, qui sont importantes aussi. Au total, nous ne sommes pas loin, sinon du tiers, du moins du quart des dépenses.

M. Michel CHOCHOY : Le montant précis des dépenses hors compétences obligatoires s'élève à 145 millions d'euros en fonctionnement.

M. Charles BUTTNER : Autrement dit, en effet, 25 %.

M. Jean-Pierre GORGES : C'est colossal. Il serait intéressant que notre Commission ait un éclairage sur ce qui se passe au niveau national, car je répète depuis le début que ce qui conduit à la hausse de la fiscalité, c'est que, pour des raisons politiques évidentes, tout le monde s'occupe de la même chose - du développement économique, de la culture, des sports, etc. - et qu'il s'ensuit une gabegie monstrueuse. Je serais partisan de ramener tout le monde à ses compétences propres.

M. le Président : Il ne faut pas oublier que ce que l'État ne fait pas, ce sont les départements qui le font... Nous aurons l'occasion d'interroger les ministres à ce sujet.

M. Jean-Pierre GORGES : Ce qui est un peu contradictoire, c'est de reprocher à l'État de ne pas compenser les transferts de compétences, et d'utiliser le budget et l'impôt pour faire tout autre chose.

M. Charles BUTTNER : J'étais en passe de devenir Président du conseil général quand le précédent Directeur général des services m'a parlé de réunions qui se tenaient de façon centralisée, voici deux ou trois ans, et au cours desquelles des représentants de Bercy développaient l'idée que les départements, et les collectivités territoriales en général, sortaient trop souvent du champ de leurs compétences, notamment pour ce qu'on appelle l'aide aux tiers. Or cette aide, qui a des fondements historiques, relève de l'autonomie des assemblées délibérantes. Les énarques de Bercy nous disent : « on sait bien qu'on va étrangler les départements, mais ils ont une poire pour la soif qu'ils peuvent comprimer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une goutte pour payer la décentralisation, et après, on verra bien... » Je trouve ce discours, je n'hésite pas à le dire, inadmissible. Ce n'est pas le champ des compétences qui détermine l'investissement d'un département, surtout quand il y a, comme chez nous, une fiscalité maîtrisée et des dépenses publiques largement inférieures à la moyenne nationale. Je ne puis donc pas accepter votre propos.

M. Jean-Pierre GORGES : Ma remarque ne s'adressait pas à vous. Au contraire, je vous citais en exemple. Vous êtes un département bien géré, avec peu de fonctionnaires, et en plus vous distribuez un quart de votre budget hors compétences obligatoires. Cela signifie que, dans les autres départements, la marge doit être encore plus considérable.

M. le Président : Peut-être l'une des propositions de notre Commission sera-t-elle de réformer la Constitution de façon à ce que les collectivités n'aient plus la liberté de s'administrer de façon autonome !

M. Jean-Pierre GORGES : Pourquoi pas ?

M. le Président : On verra alors qui fera ce qu'elles ne font plus...

M. Alain GEST : En tant qu'ancien président de conseil général, je voudrais réagir à ce qu'a dit notre collègue. Il a raison de demander quelle est la part du budget consacrée, je ne dirai pas à des dépenses hors compétences, mais plutôt à des dépenses complémentaires non imposées par la loi. Mais il faudrait le faire aussi pour les régions, les communes et leurs groupements. Car le département est une institution ancienne, qui pâtit de son ancienneté du fait de ce qu'exigent de lui, le mot n'est pas trop fort, les communes et leurs groupements, qui ne tolèrent pas, par exemple, qu'il ne les soutienne pas pour les écoles primaires, alors même qu'il est seul à assumer la charge des collèges, de même que la région assume celle des lycées.

M. le Rapporteur : Depuis un petit nombre d'années pour les collèges...

M. Alain GEST : C'est depuis 1999, en effet, que la loi les met intégralement à la charge des départements. Depuis, il y a des charges en moins pour les structures intercommunales, qui n'ont absolument pas été répercutées sur les budgets communaux. Si on veut faire une opération vérité, il faut la faire en entier. Le département est beaucoup plus sollicité que la région parce qu'il est beaucoup plus ancien, et il y a toute une tradition de partenariat avec les communes, qui explique beaucoup de choses. Je suis de ceux qui pensent qu'on n'aboutira pas nécessairement à la recommandation évoquée par notre Président, mais que chaque niveau devra, inévitablement, s'habituer à respecter davantage ses compétences, sans quoi il ne s'en sortira pas : il voudra faire un meilleur service, certes, mais à un coût toujours croissant.

Par ailleurs, M. le président Charles Buttner, vous n'avez pas du tout évoqué le coût induit par les mesures liées aux SDIS. Avez-vous fait évaluer l'incidence de la prime de fidélisation et de reconnaissance récemment accordée aux sapeurs-pompiers volontaires ? Ne pensez-vous pas que, là où les charges augmentent pour les collectivités territoriales, c'est plus du fait de mesures sociales nouvelles plus que de compétences nouvelles ? Et seriez-vous favorable à ce qu'on identifie clairement, par une taxe ad hoc figurant sur la feuille d'impôts locaux, le coût des SDIS ?

Enfin, sur le RMI, j'ai besoin de mieux comprendre la façon dont vous avez fait votre évaluation. La loi vous confie l'intégralité de la gestion, mais ce que vous ne maîtrisez pas, évidemment, c'est le nombre de personnes qui vont entrer dans le dispositif, car cela dépend de la situation de l'emploi. Par contre, sauf conventionnement avec la CAF et peut-être la MSA pour la gestion informatisée du système, vous avez l'intégralité de la gestion, que vous ne partagez plus avec l'État ; or ce partage expliquait largement, selon moi, que le coût du dispositif ne soit pas maîtrisé. Avez-vous prévu les mesures à prendre, maintenant que vous contrôlez tout, pour vous assurer de l'efficience des contrats d'insertion ? Il peut y avoir, en effet, ne le prenez pas mal, des taux de couverture très importants, mais toute la question est de savoir comment évaluer l'efficience du dispositif. Plus que le volume financier total de l'aide, ce qui compte, c'est le nombre de personnes à qui elle permet de sortir du dispositif. Pensez-vous que la loi nouvelle favorise un meilleur contrôle et, à terme, une meilleure gestion, sachant naturellement que vous ne pouvez pas faire autrement que de prendre en charge les nouveaux allocataires, qui sont la résultante des difficultés économiques que le pays rencontre ?

M. Charles BUTTNER : S'agissant du RMI, Mme Nicole Felly vous donnera des indications, mais je voudrais ajouter un constat à la fois préoccupant et intéressant : celui de la non-compatibilité, a priori, entre le contrat d'avenir et la démarche RMI.

M. le Président : Pouvez-vous vous en expliquer davantage ? C'est très intéressant.

M. Charles BUTTNER : C'est un constat récent que nous avons fait chez nous. Alors même qu'il s'agit de deux dispositifs nationaux, tous deux extrêmement complexes il est vrai - surtout le contrat d'avenir -, force est de constater qu'ils ne sont pas reliés entre eux.

M. le Président : Avez-vous évalué le surcoût du contrat d'avenir et celui du RMA pour le département ?

M. Charles BUTTNER : Oui, nous avons fait un travail là-dessus.

Mme Nicole FELLY : Nous avons lancé un appel d'offres public pour le RMA, que nous avons mis en œuvre à compter de 2005, car lorsque nous avons « récupéré » le RMI en 2004, cela nous a demandé un très gros travail.

M. le Rapporteur : Vous n'avez donc fait aucun RMA dès 2004 ?

Mme Nicole FELLY : Non, seulement en 2005, car notre chantier prioritaire pour 2004 était de réorganiser et d'harmoniser le RMI sur tout le département.

M. le Rapporteur : Quel est votre objectif en matière de RMA ?

Mme Nicole FELLY : Notre objectif est d'arriver à 300 en 2005 et à 600 fin 2007, selon le contrat passé avec les prestataires. Cela peut paraître modeste, mais l'important est de faire un travail de qualité, un travail de dentelle, avec les artisans, le monde économique, que nous rencontrons tout les mois dans le cadre du comité de pilotage, pour arriver à des emplois pérennes. Il ne s'agit pas de placer des gens pour dire qu'on a placé des gens. Nous avons donc mis beaucoup de moyens sur l'accompagnement.

M. le Président : Des moyens qui vous ont été transférés, ou des moyens en plus ?

Mme Nicole FELLY : Des moyens en plus. Nous avons divisé le département en trois grands territoires, constituant trois lots, nous avons procédé à la mise en concurrence, et nous avons donc trois prestataires : l'ANPE et deux associations, chacun opérant sur un territoire. Avec l'ANPE, nous avons frôlé la rupture, mais une dynamique d'émulation s'est maintenant instaurée, de façon très intéressante.

M. le Président : Comment cela s'est-il passé avec l'ANPE ?

M. Charles BUTTNER : J'ai écrit à ce sujet au Premier ministre et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, qui s'est montré très intéressé. En fait, l'ANPE était surprise, et même interloquée, qu'on puisse la mettre en concurrence, et elle a eu une réaction bizarre : elle a retiré ses agents de certaines commissions locales. C'était presque une mesure de rétorsion. Les choses se normalisent, mais...

M. le Président : Pouvez-vous nous expliquer en quoi le contrat d'avenir est contradictoire avec le RMI-RMA ?

M. Charles BUTTNER : Je trouve dommage qu'il n'y ait pas de ponts clairement établis entre deux dispositifs mis en œuvre par le Gouvernement.

M. le Président : Comment financez-vous le surcoût ? En réduisant les crédits d'insertion, comme certains l'ont préconisé ?

M. Charles BUTTNER : Non. Par des dépenses nouvelles, le cas échéant par une hausse de la fiscalité. Nous nous préparons tout de même, pour 2006, à une augmentation de la fiscalité qui prenne en compte tous ces paramètres, et qui pourrait être à deux chiffres...

M. le Rapporteur : À quoi cette augmentation importante est-elle liée ?

M. Charles BUTTNER : À la poursuite de l'augmentation du nombre des bénéficiaires de l'APA, à l'évolution prévisible de la prestation de compensation du handicap, au RMI-RMA, à la mise en place du contrat d'avenir, et aussi, bien sûr, au transfert des TOS et des personnels de la DDE très probablement, ne serait-ce qu'en raison de l'encadrement à mettre en place ainsi que de notre projet de territorialisation du service public départemental au niveau des bassins de vie.

M. le Rapporteur : Quelles économies, quels progrès de productivité la décentralisation permettra-t-elle, selon vous ?

M. Charles BUTTNER : Je ne suis pas sûr qu'elle permette des économies au sens strict, mais on pourra faire mieux sans y mettre beaucoup plus d'argent. J'ai évoqué d'emblée, tout à l'heure, la structure de la fiscalité du département : 61 % de ses produits reposent sur les entreprises, notamment à travers la taxe professionnelle. Cela suppose une certaine richesse, et la possibilité de moins imposer les ménages qu'ailleurs. Cette relative richesse, il faut donc la considérer avec plus de précaution que jamais, car si l'activité économique continue de décroître, les effets se feront sentir dans deux ou trois ans sur la taxe professionnelle, indépendamment même de la modification éventuelle de l'assiette et de sa compensation.

Quant au SDIS, son coût a été décuplé entre le début des années 1990 et 2000-2001, pour passer aujourd'hui à près de 9 millions d'euros en fonctionnement, plus quelque 5 millions d'euros en investissement pour 2005. Nous avons dans le département 7 000 à 8 000 sapeurs-pompiers volontaires, qui ne nous coûtent, si je puis dire, « que » 120 000 euros pour les vacations, ce qui explique que la départementalisation ait rencontré, à l'époque, une relative hostilité du département. La compétence nous a été transférée, mais nous n'avons pas de référentiel de besoins d'équipement par habitant, ni en moyens humains ni en matériels. Comment savoir s'il nous faut, et où, un nouveau fourgon-pompe-tonne, une autre grande échelle, etc. ? Faute d'avoir une idée précise des standards, il y a un risque que la dépense explose sous la pression des demandes.

M. Alain GEST : Présidez-vous vous-même le SDIS ?

M. Charles BUTTNER : Non, il est présidé par l'un des vice-présidents.

M. Alain GEST : Quelle est votre opinion sur l'éventuelle matérialisation du coût des sapeurs-pompiers par une taxe identifiée sur la feuille d'impôt ?

M. Charles BUTTNER : Cela ne m'interpelle pas particulièrement, dans la mesure où la dépense est a priori intégrée et maîtrisée. Je ne suis pas sûr que, compte tenu du montant, le jeu en vaille la chandelle, ni que cela apporte beaucoup de lisibilité. Mais je comprends qu'ailleurs cela puisse être différent.

Par ailleurs, sans doute M. Jean-Pierre Gorges et moi-même nous sommes-nous mal compris tout à l'heure. Mon propos ne s'adressait pas à lui, mais partait d'un vécu qui m'avait blessé, car je trouve toujours étonnant qu'on puisse juger de l'activité d'une collectivité et vouloir figer sa destinée par des législations et réglementations qui s'imposeraient à elle, comme, par exemple, sur l'aide aux communes. Quand j'entends dire qu'il faut se recentrer exclusivement sur ses compétences, j'ai envie de demander : lesquelles ? Qu'est-ce qui est de notre compétence et qui ne l'était pas avant ? Qu'est-ce qui a généré des coûts ? Le développement économique est évidemment une compétence régionale, mais que faire de notre investissement traditionnel - et attendu - en faveur des universités, du soutien à l'investissement, à la création et à l'extension des entreprises ?

M. le Président : Il faudrait interdire à l'État de demander aux départements d'intervenir dans des compétences qui ne sont pas les leurs...

M. Alain GEST : Supprimons alors les contrats de plan !

M. le Président : Quel est, cette année, le coût supplémentaire des sapeurs-pompiers volontaires, et quelle est la compensation de l'État ?

M. Charles BUTTNER : A priori, nous ne sommes pas en mesure de vous le dire maintenant, mais nous pourrons vous faire parvenir les données cet après-midi.

M. le Président : Le transfert des routes entraîne-t-il des coûts supplémentaires ? Quelle est la longueur de la voirie transférée ? Et quelle est la compensation par l'État ? Nous avons quelques chiffres à ce sujet, mais sommes demandeurs de plus d'informations.

M. Charles BUTTNER : Mon approche globale est que l'État conserve les autoroutes, qui sont rares chez nous car il n'a pas cru bon de s'engager plus avant, ces dernières décennies, dans une région aussi éloignée de la centralité... C'est d'ailleurs l'une des raisons de mon engagement en faveur de la décentralisation.

Aux 2 400 kilomètres de la voirie départementale actuelle devraient s'en ajouter 140 supplémentaires.

M. le Président : Cela pose-t-il des problèmes particuliers ?

M. Charles BUTTNER : Il faudra bien financer...

S'agissant des routes, peut-être le Directeur des infrastructures routières pourrait-il ajouter quelques éléments...

M. René JACQUES : Nous devrions récupérer entre 140 et 122 kilomètres, selon les cas, qui s'ajouteront aux 2 390 kilomètres de la voirie départementale actuelle.

M. le Président : Pour tout dire, et pour préciser ma question, l'un des vos voisins nous a dit : on nous transfère beaucoup de routes, mais pas les personnels de catégorie A nécessaires, seulement ceux de catégorie C. Êtes-vous dans la même situation ?

M. René JACQUES : Pour le personnel qui entretient les routes nationales qui nous seront transférées, nous aurons le ratio normal, représentatif de celui des routes départementales qui sont gérées par la DDE pour notre compte. Le prorata sera convenable, mais la difficulté sera de déterminer et de calculer objectivement les personnels qui nous seront transférés au titre des investissements. À l'origine, le discours du ministère était qu'il n'y aurait pas de transfert financier au titre des investissements, donc pas de personnels d'ingénierie, ce qui était déraisonnable. Aujourd'hui, il semble qu'il y aura bien des personnels d'ingénierie, en charge des missions d'investissements, mais dans une proportion qui reste à déterminer, selon une méthode qui n'est pas connue. Toute la question est de savoir si nous aurons une quantité de « matière grise » en rapport avec l'importance des réseaux qui nous sont transférés.

M. le Rapporteur : Il y aura bien transfert du financement des investissements par décroisement du contrat de plan ?

M. René JACQUES : On pourrait considérer a priori que notre département sortira gagnant de ce décroisement, dans la mesure où il apportait, et continue d'apporter, des contributions élevées dans le cadre du réseau qui va rester à l'État, et qui comprend une autoroute importante. En y regardant de plus près, c'est moins évident, car nous avons devant nous des investissements très attendus, et donc à faire très rapidement, sur des routes nationales transférées, investissements dont certains étaient prévisibles mais n'ont pas pu être inscrits au contrat de plan actuel parce que l'enveloppe budgétaire était bouclée.

M. le Rapporteur : Mais la région vous aidera ?

M. René JACQUES : C'est la bonne question !

M. le Rapporteur : On nous l'a dit tout à l'heure.

M. René JACQUES : Peut-être pas partout, mais sur les opérations les plus lourdes, oui. Et nous aurons soin de faire comprendre à nos partenaires qu'ils peuvent, grâce à la récupération du FCTVA, apporter la même contribution nette et donc inscrire plus, en brut, que ce qu'ils faisaient avant, notamment dans le cadre du contrat de plan. Cela étant, nous devrions avoir, sur le réseau transféré, une charge supplémentaire de l'ordre de 5 millions d'euros par an les premières années, et qui atteindra 10 millions d'euros par an en 2009-2011 - indépendamment des efforts faits par ailleurs par le département pour son réseau actuel. La difficulté que nous aurons, c'est que les besoins du réseau nouveau vont se télescoper avec la fin du contrat de plan, qui débordera, c'est évident, au-delà de 2006 et pour lequel nos engagements s'élèvent à 4 millions d'euros par an.

Nous aurons aussi une autre difficulté, c'est que les routes transférées sont généralement des routes importantes, fréquentées, bruyantes, et que le plan de lutte contre le bruit récemment adopté comporte des mesures assez exigeantes. Cela fait des années qu'on évoque les points noirs et leur résorption, et c'est justement maintenant que l'on transfère aux départements les parties du réseau concernées, avec une demande sociale de plus en plus forte et des contraintes quasi législatives qui ne sont que rarement évaluées. Et l'État nous dit : ça tombe bien, je suis en train de faire des études phoniques sur trois villages le long de la route qui va vous être transférée, je vous passerai les dossiers juste avant le transfert, et vous n'aurez plus qu'à vous débrouiller pour financer... Et c'est une situation qui risque de s'amplifier avec les années.

M. le Président : Je me tourne maintenant vers le président du groupe des élus socialistes au conseil général pour lui demander quelles sont ses observations sur le coût de la décentralisation. M. Charles Buttner nous dit que les TOS coûteraient entre 2 % et 2,5 % de supplément de fiscalité, et qu'en 2006 il y avait lieu de craindre, pour toute une série de raisons, une augmentation à deux chiffres. Vous ne seriez d'ailleurs pas les seuls... Confirmez-vous ce propos ? Avez-vous connaissance d'autres désengagements de l'État ? Et quelles sont, selon vous, les raisons qui peuvent conduire à une telle augmentation ?

M. le Rapporteur : Aucune !

M. le Président : Que pensez-vous, enfin, de la compensation de la RMI par la TIPP ? Cette dernière constitue-t-elle, à votre avis, une recette évolutive ?

M. Charles BUTTNER : Si je puis me permettre un mot, c'est une recette qui n'est pas souple du tout, pas évolutive, et qui est très clairement en dessous de nos attentes. Il faudra diversifier les sources de financement. La baisse de la consommation était pourtant prévisible, compte tenu des prix et des progrès technologiques.

M. Joseph SPIEGEL : J'ai souffert, tout au long de cette audition, pour mon président de conseil général, jusqu'à ce qu'il se libère et évoque, avec la franchise qu'on lui connaît, une augmentation à deux chiffres de la fiscalité. Les conseils généraux ont deux attitudes possibles : soit on décide de répondre, sans aller plus loin, aux difficultés du présent, ce qui est un peu la posture choisie par le département du Haut-Rhin dans son budget 2005, lequel, selon ses termes, traduit une maîtrise des charges courantes de gestion qui n'augmentent que de 2,2 % ; soit on anticipe sur les transferts de charges - dont on n'a d'ailleurs pas mesuré l'impact au niveau départemental, et l'embarras de mon président et de ses collaborateurs, malgré toute l'amitié que je lui porte, montre qu'il y a bien une vraie difficulté d'évaluation. Le cabinet Ernst and Young a montré, cela dit, les trois impacts fondamentaux de la décentralisation sur la fiscalité, le désendettement et la maîtrise des dépenses, qu'il s'agisse des TOS, des routes, des handicapés...

M. le Rapporteur : Des départements nous font une autre réponse.

M. Alain GEST : Vous parlez là, me semble-t-il, d'un impôt de précaution, et non pas des impôts 2005. Ou est-ce que je me trompe ? L'objectif de notre Commission était d'expliquer l'augmentation brutale de la fiscalité. Pouvez-vous donc nous dire clairement si, dans le budget 2005 de votre département, il y a un impact de la nouvelle loi de décentralisation ?

M. Joseph SPIEGEL : La vérité doit être entre les deux. Vous avez vu la difficulté qu'avait le Président du conseil général à répondre à cette question. N'attendez donc pas que je le fasse à sa place ! Je pense que toute compétence décentralisée entraînera une exigence de qualité de service différente. De deux choses l'une : soit on est sourd aux préoccupations des habitants, soit cette exigence se traduira par une augmentation des dépenses. Pour être au conseil d'administration de cinq collèges, je puis affirmer que les TOS y sont en nombre insuffisants.

M. le Rapporteur : Comment cela se passera-t-il dans les départements où le nombre des TOS est excessif ?

M. Joseph SPIEGEL : Chez moi, en tout cas, ça ne marche pas bien. Le département fait - tout le monde le reconnaît - des investissements colossaux dans les collèges, mais il y a un décalage entre l'investissement dans la pierre et l'investissement dans l'humain. Ne raisonner qu'en termes de résultats, c'est se moquer de la politique, car nous sommes tout de même au service de la population. Sommes-nous en mesure, aujourd'hui, d'avoir une vraie démarche de projet, quand les questions que vous nous posez sont dénuées de tout indicateur ? Il aurait fallu commencer par proposer des indicateurs à la fois observables et comparables d'un département à l'autre.

M. le Rapporteur : Excellente proposition !

M. le Président : J'ai tout de même entendu, pour ma part, deux choses marquantes. D'une part, le transfert des TOS se traduira par 2 % à 2,5 % de fiscalité en plus, ce qui va dans le même sens que les propos tenus par M. Adrien Zeller tout à l'heure. Et deuxièmement, du fait du RMI-RMA et du contrat d'avenir, responsabilité que n'a pas la région, l'augmentation sera sûrement à deux chiffres l'an prochain. Pourquoi ? Parce que si certains ont considéré qu'il fallait faire tant de contrats d'avenir cette année et prévoir la dépense en conséquence, d'autres ont choisi de ne les faire que l'an prochain.

M. Alain GEST : Ce n'est pas le problème ! Vous parlez du futur, or le Directeur général des collectivités locales, que nous avons entendu la semaine dernière, n'avait pas tout à fait le même avis sur l'impact. Je veux bien que l'on parle de 2006, de 2010, de 2020, et on peut, si l'on veut, faire des impôts de précaution en attendant. Mais ce que j'attends, moi, ce n'est pas de la prospective, c'est une réponse à ma question précise : y a-t-il, dans le Haut-Rhin, un effet de la loi de décentralisation de 2004 sur le budget 2005, comme on l'a écrit dans les quotidiens régionaux ?

M. le Président : Les réponses qui nous sont faites sont tout aussi précises. J'ai tout de même entendu que le département se préparait à dépenser 5, bientôt 10 millions d'euros en plus pour les routes nationales.

M. Joseph SPIEGEL : Plus 7 millions d'euros, non compensés, pour le RMI !

M. Alain GEST : On verra comment il le gérera.

M. le Rapporteur : Il ne faut pas sur-solliciter la synthèse de tous ces éléments. J'entends ce qu'on nous dit aujourd'hui, j'ai entendu aussi, la semaine dernière, les présidents des conseils généraux de l'Orne et du Rhône nous dire que leur stratégie ne les conduisait pas aux mêmes choix fiscaux. Mais chaque collectivité est libre de ses choix de fiscalité.

M. le Président : Le Rhône augmente régulièrement ses taux !

M. le Rapporteur : Quand vous évaluez la charge du RMI pour votre département dans les années à venir, est-ce que vous tenez compte des assurances que vous a récemment données le Premier ministre ? Et si ces engagements sont tenus, est-ce que vous augmenterez moins les impôts ?

M. Charles BUTTNER : Nos calculs tiennent déjà compte de ces engagements. Sans refaire tout l'exposé liminaire, je redis seulement que nous sommes en bonne santé financière, que nous arriverons à faire un budget 2005 totalement équilibré, que nous l'exécuterons jusqu'à son terme, que nous avons une première décision modificative en prévision, ainsi qu'une deuxième, et que nous n'envisageons pas de bouleverser la structure générale du budget. Et je redis que, pour l'année prochaine, si l'on additionne toutes les dépenses nouvelles possibles, nous devrons proposer à l'assemblée départementale de ne pas écarter l'hypothèse d'un pourcentage d'augmentation à deux chiffres. Ensuite, il faudra bien discuter, rechercher une solution qui tienne compte de l'environnement économique, de la situation des ménages... Ce sont des choix politiques.

M. le Président : Je vous remercie de cette franchise, que j'apprécie.

M. le Rapporteur : Il y a des choix à deux chiffres, mais il y a des choix qui ne sont pas à deux chiffres...

M. Joseph SPIEGEL : Vos questions se situent dans l'ordre du conjoncturel, or la vraie question de fond est que nous risquons de devenir, année après année, de simples observateurs de l'augmentation de la fiscalité locale, si nous ne passons pas, en France, d'un système vertical, fonctionnant par empilement et cloisonnement, à davantage d'horizontalité. Il faut, selon moi, commencer par réfléchir à une plus grande spécialisation du conseil général, dont on ne peut tout de même pas attendre qu'il aille au-devant de tous les souhaits des habitants dans tous les domaines. Actuellement, il y a trois niveaux qui ont une compétence générale : la commune, le département, la région. Dans une perspective - peut-être lointaine car je ne suis guère suivi lorsque je l'évoque -, d'« évaporation » du conseil général, il faudrait dans un premier temps attribuer au département des compétences spécialisées : l'action sociale, les routes, le SDIS, les collèges. Ce serait à la fois plus lisible et plus démocratique, et cela permettrait aux intercommunalités de prendre davantage de compétences de proximité. Le département, en effet, est trop loin des gens et pas assez structurant.

Il faudrait ensuite réfléchir à une restructuration du puzzle institutionnel, qui consisterait à transférer les compétences fortes au conseil régional et les compétences de vie aux intercommunalités, et à donner aux communes des marges de manœuvre grâce à une DGF qui soit vraiment de répartition, afin qu'elles ne soient plus tributaires des subventions du conseil général. Comment voulez-vous mener des politiques, lorsque vous êtes perçu comme un distributeur de subventions ? Je revendique donc une autre façon de faire. Il faut passer de la subvention au contrat et de l'à-peu-près au projet, sans quoi nous irons droit dans le mur, quels que soient les gouvernements et quelles que soient les majorités départementales. Nous avons trop tendance à discuter d'institutions et de résultats au lieu de partir des besoins des habitants. Le cas du RMI est éloquent : nous avons en France plus de cent dispositifs pour l'emploi, et l'un des taux de chômage les plus dramatiques d'Europe ! La question qui est posée est celle de la méthode, bien plus que de la dépense.

Mme Arlette GROSSKOST : L'utilité des subventions n'est-elle pas faible au regard de leur coût ? La question qui nous occupe n'est pas de savoir comment réformer les institutions, encore que nous puissions avoir certains points d'accord, mais d'examiner s'il est nécessaire, au regard des compétences dévolues, d'augmenter la fiscalité locale. Je voudrais savoir ce qui motive une perspective d'augmentation à deux chiffres, au regard des vraies compétences du conseil général.

M. Joseph SPIEGEL : Posez la question à mon président, c'est lui et non pas moi qui a évoqué cet hypothèse ! Je ne suis pas dans l'exécutif départemental, même si j'aime bien mon président...

M. Charles BUTTNER : Sans vouloir porter de jugement ni donner de leçons à personne, car je ne suis ni parlementaire ni spécialiste des institutions, il me semble néanmoins que la décentralisation devait avoir son pendant : la réforme de l'État ...

M. le Rapporteur : Cela n'a échappé à personne ! Mais de grâce, essayons d'appréhender ces problèmes complexes morceau par morceau...

M. Charles BUTTNER : Pour conclure sur ce point, autant le projet de la décentralisation reste enthousiasmant - et important pour notre pays, - autant sa déclinaison est devenue plutôt une affaire d'épiciers, un calcul au plus juste, qui n'a plus rien à voir avec la volonté politique. Il aurait fallu une déclinaison plus volontariste.

M. le Rapporteur : Sans reprendre à mon compte les termes que vous avez employés, je voudrais souligner qu'il existe un exercice un peu aride et pénible, qui est l'ajustement des transferts de ressources, et sur lequel il ne faut pas faire preuve de naïveté, car il n'est pas impossible - et il serait même assez logique - que l'Etat cherche à ne pas en transférer trop. Il y a donc une dialectique, mais celle-ci est gérée sur une période assez longue, qui permet à notre Commission d'enquête, ainsi qu'à d'autres commissions comme la Commission consultative d'évaluation des charges, de vérifier que les choses se font convenablement, afin d'éviter que ne prédomine la logique de l'impôt de précaution, consistant à augmenter les impôts plus qu'il n'est strictement nécessaire parce qu'on n'est pas sûr que les transferts de ressources se fassent à due concurrence.

M. Alain GEST : Il faudra peut-être vérifier l'utilisation et la consommation des crédits 2005.

M. le Président : Ce sera l'objet d'une autre commission d'enquête...

Madame, messieurs, je vous remercie.

Audition de Mme Fabienne KELLER,
Maire de Strasbourg,
et M. Robert GROSSMANN,
Président de la communauté urbaine de Strasbourg,
accompagnés de M. André THOMAS, Directeur général délégué des services,
et M. François KUSSWIEDER, Directeur des finances et de la programmation


(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

Mme Fabienne Keller et MM. Robert Grossmann, André Thomas et François Kusswieder sont introduits.

M. le Président : Nous poursuivons cet après-midi nos auditions sur l'Alsace en accueillant Mme Fabienne Keller, sénateur-maire de Strasbourg, et M. Robert Grossmann, Président de la communauté urbaine de Strasbourg, accompagnés de M. André Thomas, Directeur général délégué des services, et de M. François Kusswieder, Directeur des finances et de la programmation.

Je vous rappelle que notre Commission d'enquête a pour objet d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée de l'ensemble des décideurs. Nous souhaiterions donc que vous nous présentiez votre stratégie fiscale et les différents postes de dépenses qui pèsent le plus sur votre budget, ainsi que les avantages et inconvénients du recours à l'intercommunalité dans la forme très intégrée qui est la vôtre.

M. le Président rappelle à Mme Fabienne Keller et MM. Robert Grossmann, André Thomas et François Kusswieder que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

Mme Fabienne KELLER : Je suis venue en compagnie de MM. Robert Grossmann, Maire délégué et Président de la communauté urbaine de Strasbourg (CUS), André Thomas, Directeur général délégué des services, et François Kusswieder, Directeur des finances et de la programmation. Nous traiterons simultanément de la ville et de la CUS, qui sont deux structures très intégrées, et comme nous avons l'habitude de gérer à deux voix, cette présentation se fera de la même façon.

M. Robert GROSSMANN : Vous avez bien voulu nous convoquer, et nous sommes très impressionnés par l'intérêt que suscite notre audition... Mais le Président et le Rapporteur sont là, et nous en sommes très heureux !

Comme nous aimons à le dire, Strasbourg est, en quelque sorte, « l'autre capitale ». Elle a des obligations particulières qui découlent de son statut diplomatique, avec quarante ambassades, autant de consulats, le Conseil de l'Europe et ses 2 000 agents, le Parlement européen, la Cour européenne des droits de l'homme. Nous faisons face à ces obligations avec beaucoup de conviction et de conscience, mais cela n'est évidemment pas sans implications financières. Nous avons des dépenses spécifiques liées à l'accueil des institutions européennes, et le problème le plus important est d'ordre protocolaire : réceptions, liaisons aériennes et autres. Au-delà, nous avons la nécessité de disposer d'équipements d'une dimension supérieure à la taille propre de l'agglomération, car nous sommes une capitale dont la population n'a pas la taille critique d'une capitale. Cela se manifeste en matière de transports - avec l'effort que nous faisons pour la ligne TGV - et de culture - avec l'opéra, les théâtres, la philharmonie et plusieurs dizaines d'institutions culturelles importantes, qui font de nous la première ville de France pour la part du budget (près de 30 %) consacrée à la culture, et l'État ne nous aide que très moyennement sur ce plan. Mme le Maire vous parlera du TGV, je dirai donc simplement que nous avons eu à souffrir, car Strasbourg aura attendu un quart de siècle pour un TGV qui s'arrête aujourd'hui en Lorraine. La ligne est espérée pour 2008 et encore aurons-nous dû y mettre beaucoup d'argent, alors qu'il a été offert aux autres villes ou régions desservies. J'insiste d'ailleurs pour dire qu'il ne s'agit pas d'un TGV pour Strasbourg, mais d'un TGV Centre-Europe, destiné à aller jusqu'à Budapest.

S'agissant de l'organisation des services, nous avons, depuis 1972, une seule administration pour la ville et la CUS. La communauté urbaine avait été créée par la loi en 1967. La fusion a été imposée par un très grand maire et président de la CUS, qui fut aussi Président du Conseil, M. Pierre Pflimlin, et son heureuse idée est largement saluée aujourd'hui. On peut simplement regretter qu'il n'existe pas d'outil permettant de mesurer l'intérêt financier de cette fusion, mais elle a permis, d'évidence, des économies importantes, puisqu'il y a une seule direction générale des services, une seule direction des finances, une seule direction des ressources humaines, un seul service du contrôle de gestion, un seul service de gestion du patrimoine, un seul service informatique, etc. Cette fusion permet en outre de concilier de façon automatique l'intérêt communautaire et l'intérêt municipal, puisque ce sont les mêmes agents qui travaillent sur les mêmes compétences et qu'il s'ensuit une absence de conflits d'intérêt, de projets redondants et de mesures contradictoires. D'une façon générale, il convient d'avoir à l'esprit que les services municipaux sont, par nature, des services de proximité, la contrepartie de cette proximité étant un plus grand besoin d'agents pour remplir les missions au contact de la population. En effet, à l'exception de la propreté, qui relève de la CUS, les activités exercées au niveau municipal sont celles qui nécessitent les plus gros effectifs, 61 % du total : école, social, sport, sécurité. En revanche, les compétences communautaires sont surtout des compétences d'ingénierie et d'études, qui ont davantage pour objet de planifier l'agglomération que de délivrer des services quotidiens.

Et maintenant, en stéréophonie, je redonne la parole à Mme le Maire...

Mme Fabienne KELLER : S'agissant de la gestion des effectifs, nous avons notamment dû, à partir de 2001 - date à laquelle nous avons pris en charge la ville et la communauté urbaine -, faire fonctionner un certain nombre d'équipements nouveaux et compenser la réduction du temps de travail opérée par nos prédécesseurs, qui avaient fixé contractuellement l'horaire annuel à 1 522 heures, soit moins que le minimum réglementaire. Les délais de recours étaient, hélas, expirés.

Depuis 2003, nous avons engagé de nombreuses actions pour stabiliser la masse salariale. Néanmoins, les collectivités territoriales sont soumises de façon automatique aux décisions de l'État, tant en ce qui concerne les évolutions statutaires, l'augmentation des traitements, que les mesures à caractère social - augmentation des contributions à la CNRACL, retraite additionnelle, contribution sociale pour les personnes âgées - ce qui entraîne, à effectif constant, une augmentation automatique de 2 % à 3 % par an, sans même compter le GVT, dont on peut considérer qu'il peut être en partie maîtrisé. Cela se traduit par un nombre à peu près équivalent de points supplémentaires de fiscalité sur les ménages, étant donné que la masse salariale représente, pour les raisons que vous a exposées le président Robert Grossmann, un peu plus de la moitié des dépenses de fonctionnement de la ville. J'ajoute que nos activités revêtent une dimension profondément humaine, qu'il s'agisse des 900 agents de la culture, comme les musiciens de l'orchestre, ou des travailleurs sociaux, de sorte que la notion de gains de productivité est à manier avec douceur... Je précise en outre que, pour la seule année 2005, l'augmentation des cotisations patronales décidée à l'échelon national coûtera à la ville et à la CUS 1,9 million d'euros, s'ajoutant à une masse salariale de 270 millions d'euros. Quant à la fin des contrats jeunes, elle a conduit les associations à caractère social à reprendre ces contrats à leur charge et à se tourner, in fine, vers les collectivités pour qu'elles les subventionnent en proportion.

Les mesures prises pour contrôler la masse salariale concernent avant tout la gestion des effectifs. Ainsi, les services ont pour instruction de ne plus créer de postes sans en compenser l'équivalent, même lorsque l'ouverture d'équipements nouveaux nécessite de nouveaux emplois. Nous avons mis en place une gestion par objectifs, différencié le régime indemnitaire en fonction du niveau de responsabilité exercé - ce qui nous a valu une grève des éboueurs à Noël, mais nous avons tenu bon - et instauré progressivement des entretiens d'évaluation pour tous les agents, dans une collectivité qui en avait quelque peu perdu l'habitude.

Tout cela a eu pour effet de faire repartir l'autofinancement à la hausse, permettant ainsi un meilleur financement de la section d'investissement. La ville, pour mettre en conformité son patrimoine, et la CUS, pour se doter des grands équipements structurants nécessaires à son rayonnement, ont entamé en 2001 un ambitieux programme d'investissement, de l'ordre de 200 millions d'euros de crédits opérationnels par an. Cet effort a été opportunément effectué alors que l'économie locale connaissait un net ralentissement. Nous sommes en effet en tête, depuis deux ans, pour la hausse du taux de chômage, alors que nous étions jusqu'alors en tête pour la faiblesse de ce taux.

À ce meilleur autofinancement s'ajoute le fait que le recours à l'emprunt est plus facile, les deux collectivités étant peu endettées et les taux étant historiquement bas. Conformément aux engagements pris pendant la campagne électorale, la municipalité a réduit de 5 % le taux de la taxe d'habitation en 2002. Toutefois, le diagnostic des équipements publics réalisé en début de mandat a révélé que le patrimoine communal était très dégradé : 80 % des écoles n'étaient pas aux normes de sécurité, et il en était de même pour les crèches, les équipements sportifs et culturels. Il était donc indispensable de mener un important programme de remise aux normes de ce patrimoine, conduisant à augmenter à nouveau les impôts ménages. Au total, la fiscalité aura augmenté, en quatre ans, de 9 %, soit 2,2 % en moyenne annuelle. Et je rends la parole à M. Robert Grossmann, afin qu'il vous entretienne de la fiscalité de la CUS...

M. Robert GROSSMANN : Nous avons adopté, rapidement et volontairement, ce que la loi nous obligeait à faire d'ici 2006 : le passage à la taxe professionnelle unique, réalisé dès 2002. Cela n'est pas sans nous causer de grosses angoisses, car on parle aujourd'hui de réformer cet impôt, dont nous sommes entièrement dépendants. Nous comprenons bien qu'il faille rassurer les entreprises, mais nous sommes inquiets de la façon dont les collectivités territoriales seront alimentées.

Depuis 2002, la CUS a un impôt assis sur l'investissement des entreprises, et dont le produit est utilisé pour financer des infrastructures, tandis que la ville ne bénéficie que des impôts ménages, dont les bases évoluent moins rapidement que la taxe professionnelle - nous le constatons cette année. Il convient donc d'être attentif au projet de réforme, qui ne doit pas se traduire par une moindre capacité d'évolution des bases alors que les collectivités se sont engagées sur le fondement de projections de recettes connues à l'avance. Toute notre politique d'investissement est fondée sur ces prévisions, avec une taxe professionnelle importante.

S'agissant des subventions provenant de partenaires publics, les deux collectivités travaillent actuellement à une meilleure identification et à un meilleur recouvrement des recettes correspondantes. Des contacts sont établis avec le conseil général et avec le conseil régional pour programmer ces recettes et en obtenir le versement. La situation est plus complexe lorsqu'il s'agit de recettes attendues de l'État, car celui-ci change parfois la règle du jeu en cours de projet et sans avertissement. C'est un problème douloureux, que nous ne manquons jamais de souligner. Un exemple parlant en est le financement des transports en commun en site propre, dont l'État avait vivement incité les villes à se doter. Nous avons donc financé des études et établi toutes nos prévisions sur un certain volume de recettes fournies par l'État. Mais celui-ci a décidé, à l'échelon national, de rayer d'un trait de plume la ligne de crédits de 69 millions d'euros qu'il avait inscrite pour les tramways et n'en promet plus, à titre de compensation, que 25 millions, à charge pour les collectivités d'emprunter le reste auprès de la Caisse des dépôts, au taux de 3,5 % - ce qui ne fait pas notre affaire. Cette attitude a été unanimement réprouvée par les présidents de communautés urbaines, toutes tendances confondues, entraînant une réponse prometteuse, mais intelligemment formulée de façon à ne pas être trop précise, par le ministre délégué au Budget.

Enfin, les nouvelles normes environnementales, tant européennes que nationales, empilées sans souci de simplification, ont un coût induit considérable, et rarement calculé. Nous y consacrons beaucoup d'énergie sans pour autant que l'impact réel puisse être mis en regard du but recherché. C'est ainsi que la construction d'un Zénith à Strasbourg a nécessité pas moins de quatre enquêtes publiques ! Et c'est la même chose pour tous les grands projets - grande bibliothèque, gare TGV... -, sous l'œil attentif et vigilant des juridictions administratives.

Alors que les responsabilités des élus locaux sont de plus en plus grandes, tant au point de vue politique que financier ou pénal, et que les citoyens demandent de plus en plus de démocratie de proximité, l'État a conservé des structures de gestion parfois redondantes et fixe des réglementations peu applicables à l'échelon local. Les collectivités territoriales, quant à elles, n'ont pas les moyens de leurs responsabilités. Aussi est-ce vers la simplification et vers une meilleure affectation des moyens que devraient s'orienter les pouvoirs publics. C'est dire l'espoir que nous plaçons dans votre Commission d'enquête, et combien nous souhaitons que vous interpelliez qui de droit pour que la vie nous soit facilitée.

M. le Rapporteur : J'ai bien compris la logique de l'organisation des services entre la ville et la communauté urbaine, et l'optimisation qu'elle permet. Mais comment cela se passe-t-il avec les autres communes ?

M. Robert GROSSMANN : Remarquablement bien !

M. le Rapporteur : L'optimisation, la mutualisation se font certes naturellement entre la ville-centre et la CUS, mais, par définition, le positionnement des autres communes est sans doute différent.

Mme Fabienne KELLER : Il y a plusieurs types d'activités : les prestations pour le compte de la CUS et pour le compte de la ville elle-même. La ville n'a pas de personnel en propre, sauf quelques collaborateurs de cabinet, et tout le monde est refacturé, le cas échéant de façon partielle. Il y a des gens, par exemple, qui travaillent à 70 % pour l'une et à 30 % pour l'autre.

M. le Rapporteur : Donc, sauf exception, tout le personnel est employé par la CUS ?

M. Robert GROSSMANN : Oui. Mais chaque commune a tout de même un certain nombre d'agents.

Mme Fabienne KELLER : Chaque commune a des agents en propre pour ses propres compétences : scolaires, sociales...

M. le Rapporteur : Toutes les communes, donc, sauf Strasbourg ?

Mme Fabienne KELLER : Oui. Mais il y a aussi des prestations de la communauté urbaine. Ainsi, pour l'instruction des permis de construire, la compétence reste communale, mais la CUS s'est dotée d'un service qu'elle met à la disposition des communes qui le souhaitent. Les plus grandes disposent d'un service propre, les plus petites préfèrent faire appel au service de la CUS, qui a une masse critique et une compétence reconnue. Il y a aussi, et c'est lié à l'histoire, des compétences communautaires, comme l'urbanisme, qui continuent d'être assez largement contrôlées au niveau communal, mais auquel la gestion communautaire donne une forte cohérence : pour la gestion des plans d'occupation des sols, compétence communautaire où une large place est toutefois donnée aux communes dans les commissions d'élaboration, un vice-président de la CUS y participe dans chaque commune pour assurer la cohérence d'ensemble. Ce dispositif subtil de mutualisation des moyens permet un transfert très souple des compétences, sans changement d'agents.

M. le Rapporteur : Entre la ville et la CUS, certes, mais avec les autres communes, par définition, ce ne sont plus les mêmes agents ?

Mme Fabienne KELLER : Vous avez raison.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de procès en favoritisme contre Strasbourg ?

M. Robert GROSSMANN : Il y a un baromètre assez objectif : depuis quatre ans, le budget de la CUS est voté par 75 ou 76 conseillers communautaires sur 90. C'est dire le climat de confiance qui règne, et qui est peut-être même unique dans l'histoire de la CUS. Il y a évidemment une opposition strasbourgeoise irréductible, mais les maires et les conseillers des communes autres que Strasbourg sont très heureux de ce système, qui a provoqué, en quarante ans, la sympathie de tout le monde. Si vous me permettez une petite anecdote, je me souviens que la communauté urbaine a été créée l'année où le Général de Gaulle a fait son fameux voyage au Québec, et qu'au retour, on voyait partout, dans la commune de La Wantzenau, des banderoles : « Vive La Wantzenau libre ! » Eh bien, aujourd'hui, cette commune est l'une des plus attachées à la communauté urbaine, et les inquiétudes de départ se sont largement dissipées.

M. le Rapporteur : Combien de communautés de communes ou d'agglomération se sont inspirées de votre schéma d'organisation ?

Mme Fabienne KELLER : C'est la volonté de M. Pierre Pflimlin qui a rendu possible cette fusion, qui ne s'est d'ailleurs pas faite sans difficultés, au prix de quelques concessions quant au statut des personnels. La fusion n'a pas fait école, mais il faut dire qu'elle a bénéficié d'une conjoncture favorable au moment où cette grande administration s'est créée et développée et où les services ont pu être regroupés dans un grand bâtiment neuf.

M. le Rapporteur : Savez-vous si, à l'occasion de l'évolution de telle ou telle structure intercommunale, récemment, ce modèle a été étudié ? Les responsables ont-ils été tentés, et si oui, pourquoi ne l'ont-ils pas adopté ? La commission d'enquête s'interroge beaucoup sur la réalité des économies d'échelle permises par l'intercommunalité. L'exemple de Strasbourg pourrait être mis en avant. Pourquoi n'a-t-il pas fait davantage école ?

Mme Fabienne KELLER : Il nous arrive souvent de le présenter à l'extérieur, et cela suscite généralement beaucoup d'intérêt, comme, la dernière fois, à Francfort et dans les Kreise voisins. Il faudrait certes interroger les gens pour savoir pourquoi ils ne nous ont pas imités, mais je crois qu'il faut un sacré courage pour fusionner deux administrations, qu'il vaut mieux, donc, le faire en période de développement, et que cela suppose aussi un certain consensus politique.

Pour répondre à votre question sur le favoritisme, j'ai au contraire le sentiment que la ville centre craint tellement de se voir reprocher par les autres communes de leur faire supporter des charges indues qu'elle assume à 98 % les charges lourdes telles que l'opéra, l'orchestre ou les personnes en grande précarité.

M. Robert GROSSMANN : S'agissant de notre prestigieux Opéra national du Rhin, qui existe depuis trente ans, je précise qu'il associe les trois grandes villes de la région : Strasbourg, Colmar et Mulhouse.

M. le Rapporteur : La fiscalité communale, dites-vous, a augmenté de 9 % sur quatre ans, mais de combien la fiscalité intercommunale a-t-elle augmenté ?

Mme Fabienne KELLER : De 4 %, compte non tenu de l'effet de convergence de la TPU. L'évolution a été étalée sur douze ans, à la hausse pour les uns et à la baisse pour les autres. À Strasbourg, donc, ça baisse de 6 %. La ville était à 20,21 %, le taux moyen étant de 18,2 %. Comme nous avions décidé de relever de 4 % le niveau de base, la baisse qui aurait dû être de 10 % a été de 6 % pour le contribuable strasbourgeois de la taxe professionnelle. Bien sûr, pour d'autres communes, la hausse peut être de 4 % + 10 %.

M. le Rapporteur : Quelles sont les perspectives pour les années qui viennent ?

Mme Fabienne KELLER : Nous travaillons sur une perspective pluriannuelle. Nous comptons être très modérés sur la fiscalité, tant vis-à-vis des ménages que des entreprises, car nous perdons beaucoup d'emplois industriels, et nous essayons donc d'être attractifs, non seulement en termes d'impôts, mais aussi de service, par exemple dans le domaine de l'assainissement des eaux usées, qui est vital pour l'industrie, agro-alimentaire notamment.

M. le Rapporteur : Je vois que votre notation est AAA pour la CUS et AA+ pour la ville. En revanche, l'évaluation faite par Public Evaluation System est plus nuancée...

M. Robert GROSSMANN : Je vous remercie beaucoup d'aborder cette affaire. Un article récent d'un journal réputé sérieux, Les Échos, a repris l'évaluation, ce qui nous a interpellés... Il faut savoir que Public Evaluation System est géré par M. Yves Marchand, avocat à Paris, qui est ancien député-maire de Sète. Je tiens à dire - et j'ai prêté serment - que le 20 août 2001, quelques mois après notre élection, j'ai reçu un appel téléphonique de M. Yves Marchand, qui se disait spécialiste des questions ferroviaires et de tramway, et qui souhaitait me rencontrer pour me proposer ses services pour le tramway de Strasbourg et l'arrivée du TGV. Au bout de quelques minutes de conversation avec lui au téléphone, j'ai cru comprendre qu'il s'agissait pour lui de nous offrir ses services dans tous les sens du terme, et je n'y ai absolument pas donné suite. Puis il y a eu cette probable reconversion de M. Yves Marchand dans l'évaluation des collectivités territoriales, et c'est ainsi que nous avons eu droit à cette note, mais Mme le Maire va vous raconter la suite, qui est tout aussi pittoresque.

Mme Fabienne KELLER : L'histoire pourrait être drôle, mais quand nous avons lu cette publication, cela ne nous a pas fait rire. En bonne matheuse que je suis, j'ai appelé Les Échos pour savoir à partir de quelles données chiffrées on avait pu aboutir à un tel résultat, mais malgré mes appels répétés, à l'auteur de l'article, au chef du service économique, au rédacteur en chef, je n'ai jamais pu avoir les sources de l'étude, car Les Échos ne l'avaient pas achetée. Et nous avons dû gérer la panique médiatique.

M. Robert GROSSMANN : Tu as même demandé à un journaliste, qui t'a dit : « on ne peut pas vous communiquer les sources, sauf si vous payez 10 000 ou 20 000 euros » !

Mme Fabienne KELLER : Le lendemain, l'étude m'est arrivée par courrier, sans les calculs ni les critères, mais accompagnée du mot suivant : « J'imagine votre déception en découvrant cette note. Elle est le résultat mathématique de paramètres indiscutables et pourtant assez facilement orientables. En ma qualité d'ancien député-maire de Sète (UDF), co-fondateur de cette agence, je suis tout à fait disposé à vous en parler pour vous permettre d'avoir les éléments de réponse à une communication qui pourrait être négative. » À la suite de cette publication, l'AMGVF a publié un communiqué critiquant la méthodologie, et Les Échos ont renoncé, compte tenu de ce qui s'était passé, à publier une autre étude, qui portait sur les communautés urbaines. C'était d'ailleurs dommage, car nous étions très bien classés, mais elle était très médiocre en termes de méthodologie...

Je dénie le droit à cette société de s'appeler « agence de notation », ce qu'elle n'est pas : elle n'a pas les agréments. Et nous avons rappelé le journal à ses responsabilités, en faisant valoir que la publication de ratios en contradiction complète avec les éléments de la notation de Fitch Rating nous a porté un préjudice réel.

M. le Rapporteur : Qui s'est traduit comment ?

Mme Fabienne KELLER : Sur le plan politique et vis-à-vis de nos financiers, des banques, à qui nous avons dû expliquer que l'étude reposait sur des bases scientifiques très faibles.

M. Robert GROSSMANN : Le fait même qu'une commission d'enquête comme la vôtre l'ait relevé, peut-être sans savoir ce qu'il y avait derrière, montre bien que le préjudice est réel. Et si l'on fait l'explication de texte de la lettre manuscrite, elle signifie à mes yeux : « Écoutez, on peut arranger les choses, je suis prêt à venir vous voir et modifier quelques paramètres pour que votre notation soit meilleure ». Je tiens cela, noir sur blanc, à votre disposition, et j'ai la date précise du coup de fil que j'ai reçu.

M. le Rapporteur : Est-ce que cette pénible affaire et vos propres réflexions vous amènent à faire certaines propositions méthodologiques sur la communication financière des collectivités territoriales ?

Mme Fabienne KELLER : La notation est un bon outil si elle prend en compte des éléments assez complets, et sur une durée assez longue, pour permettre une analyse plus pertinente et plus équilibrée qu'un regard ponctuel. Ces gens ont fait, en plus, des erreurs grossières liées à leur ignorance de notre système de refacturation des personnels, qui aurait exigé un retraitement des données. Nous sommes habitués, car la plupart des palmarès nous sont soumis, non pas pour que nous les validions, mais pour que nous puissions répondre si quelque chose nous paraît erroné, et tout cela signifie beaucoup de temps passé avec les notateurs.

M. André THOMAS : La communication financière est possible si on le souhaite, mais il faut faire appel à des agences de notation reconnues, soumises à des règles de concurrence très solides. À ce jour, il n'est nullement obligatoire pour les collectivités territoriales d'y être affilié, ce qui est pourtant le cas de Strasbourg depuis plusieurs années. Plusieurs communautés urbaines nous ont consulté, et nous les encourageons à choisir une société sérieuse et reconnue, notamment dans l'optique du recours au marché financier. L'important est que l'évaluation soit publique et contradictoire. L'association qui regroupe les quatorze communautés urbaines a lancé, en 2004, un emprunt obligataire groupé qui a été très bien reçu par le monde bancaire, et qui a permis de lever 100 millions d'euros. Cet emprunt apporte donc un exemple de bonne communication financière, car il faut être crédible et solide pour venir sur le marché obligataire.

M. le Rapporteur : S'agissant des transferts financiers, j'ai cru comprendre que Public Evaluation System avait évoqué, avec sans doute des erreurs que vous avez dénoncées, le poids des dépenses de personnel mais aussi celui des subventions. Vous avez évoqué la charge résultant de la fin des emplois-jeunes, compte tenu de l'implication des associations dans ce dispositif et du fait que la commune, in fine, est amenée à se substituer assez largement à elles. Mais c'est un dilemme qui vaut pour toutes les collectivités territoriales. Avez-vous donc fait le choix d'assumer la continuité de ces financements ?

Mme Fabienne KELLER : Nous avons à Strasbourg des missions qui sont assumées traditionnellement par des structures caritatives de type associatif, là où d'autres communes gèrent ces services en régie : crèches, sports, services sociaux, éducatifs, etc. Nous avons soit des délégations formelles de service public, soit des partenariats, et c'est là que le mécanisme des emplois-jeunes, recrutés en principe pour de nouveaux services, mais souvent, en fait, pour le fonctionnement courant des structures, a été assez délicat. Nous avons été vigilants, nous nous sommes limités à 40 ou 50 %, mais nous n'avons pas pu faire moins.

M. André THOMAS : Au départ, ils étaient recrutés pour des fonctions nouvelles, expérimentales, mais parfois aussi pour des choses pas si nouvelles. Et quand l'État, qui couvrait 85 % des dépenses, s'est retiré, la commune n'a pas pu supprimer complètement certaines actions qui avaient un caractère social. Dans certains cas, l'implication financière était très faible, mais lorsqu'un emploi-jeune est supprimé dans un domaine faisant l'objet d'une délégation de service public, les associations viennent naturellement réclamer un financement. Cela dit, le volume total de subventions municipales aux associations - la CUS, quant à elle, subventionnant plutôt les transports - s'est stabilisé autour de 34 millions d'euros depuis trois ans.

M. le Président : J'ai cru comprendre que vous étiez un peu inquiets de la réforme de la taxe professionnelle. M. Adrien Zeller nous a dit la même chose ce matin. Que suggéreriez-vous ?

M. Robert GROSSMANN : Il y a une commission qui y travaille.

M. le Président : Elle a même rendu ses conclusions...

M. Robert GROSSMANN : Je ne suis pas à la place du Gouvernement pour dire : voilà ce qu'on va faire. Ce que je peux dire, en revanche, et que je veux dire fortement, c'est que nous ne pourrons pas supporter une baisse des recettes qui nous sont assurées aujourd'hui par la taxe professionnelle. Si demain cet impôt devait être modifié substantiellement, il faudrait une mesure de substitution intelligente.

Mme Fabienne KELLER : On ne peut pas réduire les difficultés de l'industrie au poids de la seule taxe professionnelle, même si c'en est un élément. Nous avons, par exemple, une grosse entreprise, General Motors, qui apprécie la mesure de défiscalisation de l'investissement pendant deux ans, puisqu'elle a décidé d'investir 150 millions d'euros sur notre zone portuaire, ce qui permet de stabiliser l'emploi sur la fabrication de boîtes de vitesse, mais ce n'est pas le seul élément de l'attractivité du territoire : il y a aussi le temps de travail, le droit du travail, l'environnement institutionnel, les relations avec les centres de recherche et de développement - les pôles de compétitivité constituant à cet égard un élément de réponse.

Deuxième réflexion : la taxe professionnelle occupe une place importante dans les ressources de la CUS. Notre engagement dans les transports publics, qui sont très coûteux mais très structurants, nécessite des prévisions pluriannuelles. S'il devait y avoir substitution par l'État, il n'y aurait plus de recette dynamique. Mais aujourd'hui déjà, la DGF ne suit même pas les évolutions réglementaires qui pèsent sur la masse salariale. Elle augmente, certes, mais très doucement.

M. le Président : La DGF des communautés urbaines n'est pas la plus mauvaise des DGF !

M. Robert GROSSMANN : C'est que les autres sont encore pires !

Mme Fabienne KELLER : Mais les compétences sont considérables : nous gérons les eaux, l'urbanisme, la voirie, la lecture publique, le transport en totalité, l'économie, les universités, les centres de recherche, etc. Nous savons aussi que, s'il y a substitution d'une dotation de l'État à une recette fiscale, nous ne serons plus tout à fait dans la même démarche. Quand on investit dans une station d'épuration ou dans des infrastructures de transport, on investit pour le public, mais aussi pour les industriels, pour les entreprises. Nous sommes donc très inquiets, mais heureusement ce n'est pas à nous qu'il incombe de définir la nouvelle base fiscale.

M. le Président : Hormis cette inquiétude que nous serons à même de traduire, auriez-vous une suggestion à nous faire ? Après tout, c'est le rôle d'une commission comme la nôtre que de faire des recommandations...

M. Robert GROSSMANN : Je ne m'attendais pas à cette délicatesse de votre part. Peut-être pourrions-nous y réfléchir à tête reposée et vous écrire ?

M. le Président : Bien entendu.

M. Alain GEST : Avez-vous des données sur l'évolution des dépenses cumulées de votre ville et de votre communauté urbaine depuis la création de celle-ci ? Et peut-on faire la comparaison avec d'autres agglomérations ? Si je pose la question, c'est qu'en regardant, la semaine dernière, l'évolution générale de ces dépenses cumulées, nous avons constaté une inflation assez importante des dépenses. À chaque fois, il nous est répondu naturellement que les services rendus ne sont pas les mêmes qu'auparavant, mais le fait que les recettes des groupements de communes aient, si je me souviens bien, quadruplé, porte à croire que ce qu'on avait annoncé lors de l'adoption de la loi sur le développement de l'intercommunalité, à savoir l'absence de répercussion fiscale, ne s'est pas vérifié.

M. Robert GROSSMANN : Nous ne sommes peut-être pas un bon exemple : nous avons près de quarante ans d'existence, nous avons des administrations fusionnées, et le développement a été progressif. Il n'y a donc pas eu d'inflation brutale des dépenses.

Mme Fabienne KELLER : Pour alimenter votre réflexion à ce sujet, je citerai le cas de l'état-civil. Il y a huit ans, nous gérions huit procédures simples ; nous en gérons aujourd'hui une cinquantaine, dont les cartes d'identité et les passeports. Grâce à un important effort d'informatisation, de rationalisation, il n'y a pas eu progression des effectifs, même si la masse salariale a quelque peu dérivé. Mais ce transfert s'est-il traduit par une réforme des services de l'État ?

Autre exemple : l'eau. Nous nous efforçons de respecter les normes, ce qui coûte très cher, et en face, du côté de l'État, nous avons affaire à cinq interlocuteurs, peut-être même plus : la DDASS, la DRASS, l'agence de bassin, l'ADEME, la DRIRE, la DDA, et j'allais oublier la DIREN. Nous pourrons vous donner les chiffres sur vingt ans, dont il ressortira sûrement que les dépenses ont augmenté, mais il faut mettre en regard quelques indicateurs d'activité, car la population nous demande plus de services, et une partie de ceux que nous assurons était autrefois assurée par d'autres.

Enfin, les normes draconiennes de sécurité des équipements sont certainement une très bonne chose, mais on en est arrivé à des coûts considérables.

M. le Rapporteur : Que faites-vous pour maîtriser cela ? Les normes ne tombent pas du ciel... Nous serons volontiers d'accord avec vous, mais les collectivités et leurs associations prennent-elles part aux processus de définition des normes ? Revendiquent-elles d'y être associées ? Si elles le sont, s'expriment-elles à temps ? Suffisamment ? Utilement ? Les outils sont-ils pleinement utilisés ? Et comment tout cela peut-il évoluer ?

M. Robert GROSSMANN : Ma préoccupation est de gérer la CUS. Je participe à toutes les réunions des présidents de communautés urbaines, et je ne sache pas que nous soyons associés à la définition des normes au niveau national. En revanche, quand, sur le terrain, les commissions de sécurité vont d'équipement en équipement, c'est généralement le pompier qui dit ce qu'il faut faire, et les élus que nous envoyons sont tellement terrorisés par lui qu'ils peuvent se laisser imposer des dépenses d'équipement colossales.

M. le Rapporteur : Nous sommes aussi élus locaux, et sommes assez d'accord avec ce que vous venez de dire, mais les pompiers ne sont pas nécessairement malicieux. Ils n'inventent pas toujours les choses, même s'ils en rajoutent. Il y a aussi des textes au statut variable et plus ou moins bien défini, et un certain nombre de procédures qui impliquent - ou n'impliquent pas - les élus locaux. C'est un point qui mériterait qu'on s'y arrête un instant.

Mme Fabienne KELLER : Sur le terrain, nous n'avons pas le sentiment d'être associés à chaque décision. Prenons un exemple. L'an dernier, il y a eu un tragique incendie au cours d'un stage d'équitation en Savoie, des jeunes sont morts. Une directive de la Jeunesse et des sports est aussitôt tombée, pour interdire toute activité destinée aux jeunes dans des bâtiments qui ne soient pas aux normes. Or, c'est le cas des deux tiers des écoles ! On ne pouvait donc plus y faire fonctionner les CLSH, mais elles continuaient à fonctionner comme écoles, et les vingt ou trente personnes du service entretien ont dû, toutes affaires cessantes, s'occuper de la mise aux normes. Était-ce la meilleure allocation possible des ressources ? Sûrement pas. La vérité, c'est que dès qu'il y a un accident, on sort le parapluie. Aujourd'hui, pourtant, le risque principal n'est pas qu'un enfant se blesse dans une école ou dans un équipement sportif, où il est généralement encadré, mais qu'il fasse une mauvaise rencontre dans la rue.

M. le Rapporteur : Lundi dernier, je posais la question au Directeur général des collectivités locales, dont la réponse nous renvoyait aux réunions de normalisation AFNOR ou du Conseil supérieur de normalisation, où les élus sont censés être représentés, mais manifestement ça ne fonctionne pas.

M. Alain GEST : Il serait quand même intéressant de savoir les effets qu'a produits, en longue période, votre mode particulier d'organisation, car il est susceptible, depuis la loi du 13 août 2004, d'être imité, avec une mutualisation possible et une collaboration dans les deux sens entre communautés et communes. Peut-être votre exemple sera-t-il donc source d'économies potentielles.

M. Denis MERVILLE : Nous venons de faire, pour la mission d'évaluation et de contrôle de la Commission des finances, d'ailleurs coprésidée par le Président Augustin Bonrepaux, un rapport sur les conséquences financières des normes édictées par les fédérations et ligues sportives, normes dont nous souffrons à tous les niveaux, en particulier lorsqu'un club local accède à la division supérieure, ce qui est source d'obligations et de dépenses supplémentaires. Nos vingt recommandations tendent à accroître le rôle du politique.

D'autre part, puisque le Président de la CUS a évoqué la simplification, je voudrais savoir s'il partage notre sentiment que tout le monde en parle, mais que sur le terrain rien ne se fait, parce que l'État lui-même n'a pas tiré les conséquences de la décentralisation ? Quand, en face d'un service public local, l'État a cinq services différents, ainsi que l'a pointé Mme le Maire, il faut bien que ces services s'occupent, tous veulent donc intervenir. Mais les gens que nous auditionnons en Commission des finances nous expliquent qu'il ne faut surtout pas y toucher.

Votre communauté urbaine a près de quarante ans, et vous avez des services intégrés qui refacturent leurs prestations aux communes, ce que la loi autorise, mais ce qui est rarement pratiqué. Or les communautés urbaines reçoivent quatre fois plus, par tête d'habitant, qu'une communauté de communes sans fiscalité propre. Aussi voudrions-nous avoir des comparaisons entre les communautés urbaines créées il y a quarante ans et celles créées plus récemment, comme Alençon. Si vous avez modérément augmenté vos impôts, peut-être est-ce parce que vous étiez partis d'un certain niveau déjà, alors que là où le mouvement a commencé plus tard, il n'y a pas de mutualisation ni d'économies d'échelle. Lorsque l'on additionne communes et communauté d'agglomération, on voit que la fiscalité globale augmente, et je ne parle pas de certains organismes créés récemment, comme les conseils de développement ou les conseils économiques et sociaux départementaux... Sur le terrain, il y a des services nouveaux, c'est vrai, mais la direction générale des collectivités territoriales se vante dans un bulletin que 110 000 emplois aient été créés dans les agglomérations depuis quatre ou cinq ans, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu transfert de postes, et que globalement, donc, ça fait plus de charges.

M. Robert GROSSMANN : Pour nous, simplifier, c'est presque vital. Ce matin, nous avons réuni, Mme le Maire et moi, les 130 chefs de service de la ville et de la CUS pour leur présenter des projets. Ils nous ont dit que la complexification et la judiciarisation de la vie publique sont devenues telles qu'on ne peut plus monter de projets comme il y a encore quelques années, que sur chaque projet il faut, à côté des ingénieurs et des techniciens qui se donnent à fond, des juristes pour détecter si tel texte, telle virgule est conforme à ce qu'attendent les tribunaux administratifs, sans quoi le projet risque de se heurter à des obstacles pour des raisons de forme, comme c'est arrivé récemment avec le tramway.

Il faut simplifier ce maquis juridique. Quand nous évoquons le sujet avec nos avocats, ils nous disent : nous ne sommes pas le législateur, c'est lui qu'il faut interpeller ! Nous souhaitons un vrai toilettage de tous les codes : celui de l'urbanisme, celui des collectivités territoriales, pour que ce soit plus compréhensible par tout le monde.

Pour ce qui est des comparaisons que vous avez souhaitées, M. André Thomas et M. François Kusswieder pourraient dire un mot de l'évolution de la taxe professionnelle...

M. André THOMAS : Les quatorze communautés urbaines de France disposent d'outils agrégés de comparaison, mais surtout entre elles. Si l'augmentation des dépenses y est plus importante qu'ailleurs, c'est parce que l'intercommunalité a justement pour objectif de réaliser des équipements que les villes ne pouvaient faire seules. En matière d'environnement, par exemple, des infrastructures très coûteuses sont nécessaires, notamment pour le traitement des eaux usées ou pour l'incinération des ordures, compétences traditionnelles des communautés urbaines, et que des agglomérations constituées autour de petites villes et n'ayant pas ce statut ne peuvent financer. S'il y a un effort pour respecter les normes de pollution, c'est grâce aux communautés urbaines. Il en va de même des transports en commun : le financement du tramway n'aurait jamais eu lieu si la communauté urbaine n'était pas intervenue. Certes, la dépense publique a augmenté, mais la demande a évolué, on n'est plus à l'époque du tout-voiture, on fait davantage attention aux normes de pollution, et la qualité de vie s'accroît. Marseille, par exemple, est en train de se doter enfin d'une usine d'incinération grâce à sa nouvelle communauté urbaine, après avoir eu pendant très longtemps un site de grande taille qui n'était pas aux normes, et qui posait même des problèmes de santé et de sécurité publiques.

M. François KUSSWIEDER : Il y a quarante ans, la DGF des communautés urbaines a été constituée par éclatement de celle des communes membres, ce qui n'est plus le cas maintenant. Si son niveau est ce qu'il est aujourd'hui, c'est parce que les compétences dévolues aux communautés urbaines par la loi de 1966 étaient extrêmement étendues. Le niveau actuel n'a donc rien de choquant : il a une justification historique.

M. le Rapporteur : Une dernière question : la notation de Fitch mentionne un effort de réduction des dépenses en 2003, qui aurait permis de renforcer la capacité d'autofinancement. De quel type de dépenses s'agissait-il ?

Mme Fabienne KELLER : Le Président de la CUS a créé un groupe de travail sur les subventions. Toutes les subventions y ont fait l'objet d'un examen interservices approfondi, et des choses jusqu'alors considérées comme acquises ont été remises en cause.

Un effort a également été conduit sur les dépenses de personnel. Nous demandons que les nouveaux services soient assurés à effectif constant, ce qui suppose des remises en cause, des réorganisations. C'est ainsi que la nouvelle déchetterie fonctionne avec un horaire réduit de moitié par rapport à celui des autres déchetteries, mais qui permet de couvrir 95 % des besoins, par exemple en ouvrant le samedi matin, ou à des moments où les gens sont plus disponibles. Nous profitons des nouveaux projets pour mettre les fonctionnaires dans une démarche dynamique, qui permet au passage à certains d'entre eux, gagnés par la lassitude, d'évoluer dans leur emploi.

Sur les normes des installations sportives, j'aurai un propos quelque peu iconoclaste. La Ligue nationale de football a récemment bénéficié d'une véritable manne en négociant un contrat sur les droits de diffusion télévisée des rencontres. Une partie de cette manne ne pourrait-elle être attribuée à ceux à qui on impose de nouvelles normes, d'éclairage en particulier, qui servent surtout à ce que les télévisions puissent mieux filmer ?

Enfin, s'agissant du personnel, je souligne que les collectivités ont besoin de cadres de qualité. L'État en a beaucoup, alors qu'il a moins de compétences. Il y a peut-être des flux à encourager, des évolutions de carrière à valoriser plus qu'elles ne le sont actuellement, de meilleures synergies à assurer entre les niveaux de compétence, de façon à limiter les surcroîts de charges liés à la méconnaissance mutuelle ou à l'insuffisante optimisation de l'organisation institutionnelle.

M. Robert GROSSMANN : Un mot pour conclure. Mme Fabienne Keller a raison de dire que nous avons fait un gros travail sur les associations, mais c'est presque un problème interne. Il y avait beaucoup de choses à faire quand nous sommes arrivés. Il fallait notamment faire comprendre qu'il ne suffit pas de demander pour obtenir... Cela dit, plutôt qu'une « commission de la hache », je dirais qu'il s'agit d'une « commission de la loupe », car nous sommes justes et équitables.

Je voudrais enfin rappeler, et je prie qu'on m'en excuse, quelque chose d'élémentaire. Depuis des décennies, les collectivités territoriales sont contraintes de faire un acte impopulaire, qui est de dire elles-mêmes, chaque année : nous allons augmenter les impôts de tant. L'État, lui, n'a pas besoin de le faire, car ses impôts sont fondées sur des éléments évolutifs : revenus, TVA ou autres prélèvements. C'est donc nous qui sommes montrés du doigt, et d'une façon assez inéquitable.

M. le Rapporteur : Comment essayez-vous d'avoir, avec les services compétents de l'État, une meilleure connaissance des bases et de leur évolution ?

M. François KUSSWIEDER : Nous avons un observatoire fiscal qui est un peu théorique, mais je serais tenté de dire, sur le ton de la plaisanterie, qu'il faut monter tout en haut de cathédrale de Strasbourg et regarder où ça bouge alentour... Le sujet est particulièrement sensible depuis que nous avons la TPU et qu'elle est la seule ressource de la CUS. Nous essayons donc d'anticiper l'évolution. Un jour, nous avons demandé aux services fiscaux comment ils appréhendaient la matière imposable et en assuraient le suivi, et nous avons reçu des réponses très satisfaisantes, très réactives, par exemple sur la recherche des divers éléments imposables dans le bilan des entreprises. Nous pouvons ainsi suivre le cheminement des services fiscaux dans la recherche de la matière imposable, et nous en servir pour la préparation du budget. Comme nous votons le budget en décembre, avant la communication des bases fiscales, qui n'a lieu qu'en janvier ou février, nous essayons d'avoir quelques éléments rassurants dès le mois de décembre. Ce n'est pas toujours facile.

M. Robert GROSSMANN : Je vous remercie, pour conclure, du très vif intérêt provoqué par notre audition, en tout cas chez le Président de la Commission, son Rapporteur et les parlementaires qui nous ont fait l'honneur de venir...

M. le Président : Il est vrai que l'audition aurait mérité un peu plus de monde...

M. le Rapporteur : Mais l'audition est diffusée sur le canal de télévision interne de l'Assemblée !

M. Robert GROSSMANN : Je suis sûr que tout le monde était devant son écran...

M. le Président : Madame, messieurs, nous vous remercions.

Audition de M. Michel GUILLOT,
Préfet du département du Haut-Rhin,
accompagné de M. Michel LOYER,
Trésorier payeur général du département du Haut-Rhin
M. Alain LORRIOT, Directeur départemental de l'équipement,
M. Patrick L'HÔTE, Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales,
et M. Gilles PETREAULT, Inspecteur d'académie du Haut-Rhin


(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Michel Guillot, Michel Loyer, Alain Lorriot, Patrick L'Hôte et Gilles Pétreault sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous souhaiterions que vous nous indiquiez, en tant que représentants de l'État, comment vous appréciez l'évolution de la fiscalité locale du département du Haut-Rhin et comment se sont déroulées les négociations avec le conseil général, mais également avec la région, en vue des transferts de compétences prévus par l'acte II de la décentralisation.

M. le Président rappelle à MM. Michel Guillot, Michel Loyer, Alain Lorriot, Patrick L'Hôte et Gilles Pétreault que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. le Président : J'indique à nos collègues que M. le Préfet sera obligé de nous quitter avant la fin de l'audition, mais ses services seront là pour répondre à nos questions.

M. Michel GUILLOT : M. le Président, je vous remercie de votre compréhension : une réunion agite en ce moment même les cabinets ministériels, à laquelle je ne peux pas me dérober. J'y arriverai un peu en retard, mais je tenais à venir devant vous.

Le Haut-Rhin, que je ne connais que depuis cinq mois, est un département très industriel qui a longtemps connu une forte attractivité, un niveau élevé d'investissements étrangers - allemands, japonais, suisses, américains - et une démographie positive, en termes tant de solde naturel que de solde migratoire. La densité est élevée - 200 habitants au kilomètre carré, 400 en plaine - et la population assez bien répartie sur le territoire, sommets des Vosges exceptés. C'est enfin un espace géographique restreint, donc contraint, dans lequel cohabitent des activités ayant chacune leur logique propre : industrie, tourisme, agriculture, élevage, grandes cultures, sans oublier les spécificités de la montagne et des vallées.

Ce département très industrialisé est exposé aux risques technologiques et industriels - nous comptons 24 « établissements Seveso », dont 14 « seuil haut » - mais également aux risques d'inondation du fait d'un bassin hydrographique particulièrement important. Ce territoire restreint est donc soumis à de fortes contraintes environnementales, mais avec des résultats malgré tout satisfaisants grâce à un bon dialogue entre l'administration, les élus et les associations : ainsi les sites Natura 2000, dossiers souvent « exposés », y sont traités dans le meilleur esprit.

Le Haut-Rhin se caractérise également par des infrastructures globalement denses - autoroutes, routes, aéroports -, mais souffre d'une saturation Nord-Sud et d'un enclavement Est-Ouest, en passe de se réduire grâce notamment aux futurs chantiers TGV Est et Rhin-Rhône. Département frontalier, le Haut-Rhin a pu bénéficier pour ses quelque 30 000 travailleurs transfrontaliers des économies suisse et allemande, mais subit également la pression d'une immigration irrégulière croissante, avec un flux d'environ 800 demandeurs d'asile par an et un coût d'hébergement de plus en plus élevé, de l'ordre de 8 millions d'euros par an.

Reste que, depuis trois ans, l'économie de ce département s'est notablement dégradée. Le taux de chômage y est passé de 4,2 % à 9,3 %, d'où un risque de réduction de la richesse fiscale à venir ; 3 200 emplois ont été perdus en 2004, dont 2 800 emplois industriels. Enfin, le Haut-Rhin se caractérise par la présence de poches de pauvreté : plus de 50 000 personnes vivent en ZUS ou dans les fonds de vallées vosgiennes, qui contrastent avec des zones plus favorisées. Le nombre de bénéficiaires de minima sociaux a augmenté de 8,2 % entre 2003 et 2004, ce qui montre le décalage entre l'image d'une Alsace riche et une réalité beaucoup plus nuancée.

Le département du Haut-Rhin compte 377 communes, 30 EPCI à fiscalité propre qui couvrent pratiquement tout le territoire - à l'exception d'une dizaine d'irréductibles restés dans un syndicat intercommunal, mais qui finiront par se joindre au mouvement - et deux communautés d'agglomération : Colmar et Mulhouse. Toutes ces collectivités disposent de ressources stables - pour le moment -, malgré un léger effritement dû à la dégradation de l'économie. On ne connaît pratiquement pas d'incidents de paiement ni de situations financières ponctuelles très difficiles.

La situation du conseil général du Haut-Rhin est également saine et l'épargne départementale satisfaisante ; après une pause de trois ans, le département a augmenté en moyenne sa fiscalité de 6 % entre 2002 et 2003 et d'un peu plus de 2 % entre 2004 et 2005 afin de faire face à certaines dépenses nouvelles - APA, RMI et recrutements induits de personnels. Entre 1999 et 2004, les bases ont crû de 17,5 % pour la taxe d'habitation et de 15,7 % pour la taxe professionnelle. Le conseil général s'est vu attribuer par Standard and Poor's la note AA+, autrement dit de bonne facture, sur une période de dix ans.

Pour ce qui est des autres collectivités et EPCI, les bases ont crû entre 1999 et 2004 de 19 % pour la taxe d'habitation et de 28 % pour la taxe professionnelle. Quant aux dégrèvements, ils ont atteint 138,5 millions d'euros pour 2001, soit 21,24 % des impôts locaux émis par voie de rôle, 158,7 millions d'euros, soit 23,77 %, pour 2002, puis 82 millions d'euros, soit 13,24 %, pour 2003 - année à partir de laquelle les salaires versés n'ont plus été pris en compte dans la détermination de la base de taxe professionnelle des entreprises - et 80,6 millions d'euros, soit 14,7 %, pour 2004.

J'en viens enfin à la décentralisation et aux transferts de compétences. Sans aucune flagornerie ni démagogie, je veux attester des très bonnes relations entre l'État et le conseil général du Haut-Rhin dans la mise en œuvre de la loi du 13 août 2004. Les échanges sont permanents et les groupes de travail opérationnels. Il y a même des binômes : non seulement le Préfet et le Président se concertent très fréquemment, mais il en va de même avec le Directeur général des services et le Secrétaire général. Nos administrations travaillent ensemble et conjointement, ce qui est naturel dans la mesure où elles ont le même périmètre d'intervention.

Entre autres illustrations de cette bonne entente, relevons la signature de toutes les conventions de mise à disposition des personnes - équipement, TOS, FSL, culture -, ainsi qu'une délibération favorable sur le réseau de routes nationales à transférer, moyennant quelques observations.

S'agissant des routes, nous sommes finalement parvenus à un équilibre, avec 140 kilomètres de routes transférables et 147 kilomètres qui restent à l'État, ces dernières supportant 80 % du trafic. Pour ce qui est des 140 kilomètres cédables, 69 % du réseau est coté de moyen à excellent, 93 % des ouvrages d'art et 76 % des murs de soutènement sont classés entre bon et excellent. Aucune dégradation irréversible ou qui réclamerait des travaux d'urgence n'a été recensée. S'agissant du personnel, nous n'avons pas à ce jour de chiffres définitifs sur les équivalents temps plein et les crédits transférés, mais les discussions sont en cours. Les organigrammes respectifs de la DDE et du service des routes du conseil général sont en cours d'élaboration, parallèlement et en discutant ensemble, en essayant de suivre une politique d'aménagement du territoire intelligente : là où sont les uns, il n'y a pas besoin que les autres soient nombreux, mais il faut savoir compléter là où les uns comme les autres ne sont pas suffisamment.

S'agissant des TOS, 425 personnes sont concernées ainsi que des équipes mutualisées d'entretien communes aux deux conseils généraux et au conseil régional. Des réserves ont été émises à propos des contrats aidés, des services supports, notamment les services de la paie, et des personnels de remplacement. À partir de janvier 2006, comme le prévoit la loi - dont le calendrier devrait être respecté -, commencera à jouer le délai d'option de deux ans.

S'agissant du « bloc social », FSL notamment, l'État se cale sur la clé de partage prévue par la loi, autrement dit sur les dernières années ; mais comme l'abondement a varié au cours des ans, le conseil général demande davantage. C'est plus un grand classique qu'un réel sujet de tension entre nous : mais le décor est campé et les discussions engagées à partir de ces positions. Pour le personnel, la convention signée pour le FSL a fixé un niveau de 1,3 équivalent temps plein, mais le conseil général a souhaité une compensation financière égale à  0,2 ETP en plus, ce qui ne l'a toutefois pas empêché de signer la convention de mise à disposition. Le transfert du fonds d'aide aux jeunes, celui des CLIC pour les personnes âgées et celui du CODERPA ont fait l'objet d'un accord entre l'État et le conseil général.

S'agissant de l'APA, le mandatement avait représenté au total 18,7 millions d'euros en 2002 et la part du conseil général 11,9 millions d'euros, soit 63,3 % ; il est passé à 24,3 millions d'euros en 2003, dont 14,7 millions d'euros - 60,5 % - abondés sur les fonds propres du conseil général. Pour 2004, les chiffres encore provisoires font apparaître un ordre de grandeur de 29 millions mandatés dont 18 à 19 millions - plus de 60 % - pour le conseil général.

L'évolution des chiffres du RMI est à mettre en relation avec la dégradation de l'économie : 7 734 bénéficiaires étaient recensés fin mars 2005. Les dépenses totales de RMI en 2004 ont été de l'ordre de 37 millions d'euros, soit 27 % de plus que les 29 millions enregistrés en 2003. Soixante-six conventions ont été passées avec les associations et les communes durant les quatre premiers mois de 2005, contre soixante-sept pour toute l'année 2004. Autrement dit, le conseil général est plutôt en avance sur le tableau de marche. On notera une très forte implication sur les CLI, sans compter le contrat d'insertion-RMA, opérationnel depuis janvier 2005 ; il faut à cet égard souligner le très fort partenariat entre l'État et le conseil général à propos des CLI. Une présentation conjointe devant la presse est d'ailleurs prévue fin juin afin de décrire l'organisation du dispositif des contrats d'avenir avec la mise en œuvre d'une convention cadre État-département ; 1 300 contrats d'avenir sont d'ores et déjà prêts.

À noter encore, une recentralisation dans le domaine des vaccinations, des maladies sexuellement transmissibles, de la tuberculose et du dépistage du cancer. Le conseil général ne souhaitait pas a priori se voir « redéléguer » certaines de ces compétences d'État ; cela dit, additions faites, la question est posée de savoir s'il ne reprendra finalement pas, par le biais de la délégation, certaines attributions qu'il avait jusque-là exercées à la satisfaction générale. De son côté, l'État n'est pas davantage enclin à réclamer cette compétence, au risque de bouleverser un système qui fonctionnait correctement dans le Haut-Rhin. Nous laisserons le conseil général en décider en toute autonomie.

Qu'il s'agisse des compétences décentralisées où de celles sur lesquelles il se positionne en tête de réseau, le conseil général du Haut-Rhin a choisi de continuer à travailler avec l'État, qu'il s'agisse du schéma gérontologique, devenu compétence pleine du département, ou du secteur du handicap, plus partagée, ou encore de l'intervention judiciaire en direction de la jeunesse, plutôt de la compétence du conseil général - qui souhaite pouvoir disposer de notre capacité d'expertise, ce dont nous sommes bien d'accord. Tout cela témoigne de la qualité des relations qu'auront su nouer des personnes de bonne volonté et désireuses de travailler ensemble au service de tous les Haut-Rhinois.

M. le Rapporteur : En entendant ce matin le Président du conseil général du Haut-Rhin, nous avons pu nous demander, particulièrement à propos du RMI, s'il s'agissait de l'exercice d'une responsabilité décentralisée ou d'une délégation de compétences. Ne nous a-t-il pas répondu qu'il attendait de plus amples éléments de la part de l'État - autrement dit, de voir ce que l'État allait lui dire - alors que la compétence en question, me semblait-il, était bel et bien décentralisée ? Un transfert de compétence se résume-t-il, selon vous, à un guichet qui se déplace, ou ne doit-il pas plutôt aboutir à l'exercice effectif d'une responsabilité ? Ne trouvez-vous pas curieux que l'on attende les instructions du préfet ? Sinon, quelle épaisseur devons-nous donner à la décentralisation ? Certains présidents de conseils généraux ont déjà arrêté leur position en matière de dépenses de RMI et d'APA, y compris dans leurs relations avec les bénéficiaires du RMI pour mieux les aider, voire mieux les responsabiliser tout en luttant contre les abus et les fraudes. Que représente pour vous la décentralisation de cette compétence ? Quel est désormais le degré d'autonomie du département dans la gestion de cette compétence ?

M. Michel GUILLOT : Depuis 1983, j'ai été élevé dans la religion de l'autonomie des collectivités territoriales et je me garderai de me mettre à la place de M. Charles Buttner. Nous avons connu depuis quelques années des phases de décentralisation successives, qu'il nous faut prendre le temps de digérer. Suivant les cas et la nature des dossiers, mais également l'histoire et la nature des hommes, certains conseils généraux peuvent être un peu en avance, d'autres moins. Je ne crois pas que la décentralisation doive signifier « chacun chez soi et chacun pour soi ». Cette vision juridique des choses me paraît parfaitement suicidaire. Je respecte totalement l'autonomie du conseil général et de son président, mais à chaque fois que je transfère une compétence, je m'assure que le conseil général est bien en mesure de l'accueillir. S'il a ce qu'il faut, très bien ; s'il souhaite un appui, nous appuyons ; si les conditions de l'accueil ne sont pas définitivement acquises, les services de l'État restent à disposition pour que le client final, le Haut-Rhinois, le citoyen, ne pâtisse d'aucune rupture dans la continuité. Et cela vaut pour tous les départements et pour toutes les structures. Il serait inadmissible de se débarrasser d'un dossier ; ce serait scandaleux et non conforme à l'esprit de la loi. Il faut transférer juridiquement, mais également intelligemment et pragmatiquement. L'État, le conseil général, les autres collectivités doivent pouvoir travailler ensemble dans le cadre de pouvoirs ciblés, mais qui ne peuvent fonctionner correctement qu'ensemble. Sur le RMI, il se peut que le Président du conseil général juge que son organisation manque de maturité ; après tout, cela m'est égal. L'essentiel est de l'aider s'il en a le besoin et de faire en sorte que tout se passe en douceur. Je n'imagine pas un transfert de compétence sans moyens autour ; si l'État conserve du savoir-faire, son devoir est de le mettre à disposition des départements pour que l'usager ne voie aucune différence, si ce n'est une amélioration.

M. le Rapporteur : Effectivement, la qualité ne se mesure pas forcément à la longueur du circuit.

M. Michel GUILLOT : Vous avez parfaitement raison. La décentralisation est également l'occasion de savoir s'il est possible de faire des économies.

M. le Rapporteur : Précisément, on en entend assez rarement parler. Quelles marges d'économies voyez-vous dans les compétences actuellement décentralisées ?

M. Michel GUILLOT : Nous sommes en plein processus, mais ce qui s'administre bien s'administre de près. Sur bon nombre de sujets, force est de reconnaître objectivement que les choses se passent mieux qu'avant, grâce à des circuits plus courts. Les besoins ont été mieux appréhendés sur le terrain que depuis Paris. Certaines décentralisations réussissent mieux que d'autres, mais qui n'essaie rien n'a rien.

M. le Président : Je suis curieux de connaître vos informations sur les TOS... Il semblerait que tout se passe pour le mieux dans le Haut-Rhin : nous avons appris ce matin que vous connaissiez exactement le nombre de postes, de TOS et de contrats aidés auquel vous aurez droit ; peut-être même auriez-vous droit à un supplément pour combler un déficit... Il m'a fallu auditionner les représentants au niveau central du ministère de l'Éducation nationale pour en apprendre autant ! Y a-t-il eu des informations à plusieurs vitesses ? Les circuits ont-ils été interrompus quelque part ? Je ne sais...

M. Gilles PÉTREAULT : Précisons que le dossier des TOS est géré techniquement au niveau de l'académie, autrement dit du recteur. L'identification des emplois et des personnels a fait l'objet d'un travail important et régulier entre les services du rectorat et ceux des collectivités territoriales concernées, et notamment d'une série de réunions mensuelles depuis septembre. Il a notamment fallu définir où commençait et où s'arrêtait la dénomination de TOS ; les questions des effectifs mobiles et des services supports, notamment, ont fait l'objet d'âpres discussions. Tout ce travail nous a permis de déterminer très précisément les emplois et les agents concernés, les flux de personnels, les départs en retraite, les effets sur les concours, etc., afin de parvenir à une gestion en douceur de ce dossier.

M. le Rapporteur : Le Président du conseil général nous a confié qu'il serait amené à envisager l'an prochain une augmentation d'impôt à deux chiffres du fait de la décentralisation : progression du nombre de bénéficiaires de l'APA, RMI-RMA, contrats d'avenir, TOS, personnels DDE...

M. le Président : Sans compter l'entretien des routes : si, à vous entendre, le réseau routier transféré dans le Haut-Rhin est en bon état, j'ai entendu ce matin qu'il nécessiterait 5 à 10 millions d'euros par an...

M. le Rapporteur : On n'a tout de même pas parlé d'une augmentation à trois chiffres...

De l'avis de certains présidents de conseils généraux, pour peu que tous les engagements de l'État soient tenus - la compensation supplémentaire pour le RMI, par exemple -, il n'y aurait pas d'augmentations particulières à attendre de la décentralisation ; or nous n'avons rien entendu de tel ce matin. Quelle est l'appréciation du représentant de l'État dans le Haut-Rhin ?

M. Michel GUILLOT : Je n'ai pas le pouvoir d'augmenter les impôts...

M. le Rapporteur : Mais vous pouvez évaluer l'impact de la décentralisation. Le Président du conseil général fait évidemment ce qu'il veut, sous réserve de respecter les contraintes légales existantes. Mais, dans le cas présent, il estime que la liste de tous ces transferts amène une augmentation à deux chiffres. Cela ne doit pas laisser l'État indifférent...

M. Michel GUILLOT : Certes, mais encore faudrait-il que les chiffres en question me soient communiqués ! Le Président du conseil général m'est très sympathique et je m'entends bien avec lui - par tempérament et parce que nous sommes condamnés à nous entendre -, mais il ne m'a jamais posé la question. Il m'est donc difficile de vous répondre...

Je peux en revanche - c'est même mon devoir - vous dire ce qui, dans ce que je cède au département, est en bon ou en mauvais état. L'évaluation transmise au conseil général sur la base du critère IQOA (image qualité des ouvrages d'art) fait ainsi apparaître que 22 % des ponts sont en excellent état, 71 % en bon état, 4 % présentent des défauts mineurs à surveiller et 3 % des défauts nécessitant des réparations sans caractère d'urgence ; aucun ne présente de dégradation nécessitant une intervention urgente. Pour les murs de soutènement, ces pourcentages sont respectivement de 42 %, 34 %, 10 % et 9 %. Toutefois, 5 % des murs présentent des dégradations nécessitant des réparations rapides.

M. le Rapporteur : Le Président du conseil général nous a dressé toute une liste de compétences dont le transfert ou l'aggravation pouvait l'amener à envisager une augmentation d'impôt à deux chiffres. Je ne vous demande pas de vous prononcer sur la logique d'une telle décision, mais de nous fournir d'ici à quelques jours votre propre évaluation de l'impact de ces transferts afin que nous sachions si, du point de vue de l'État que vous représentez dans ce département, il y a matière à augmentation d'impôts. C'est un des points clés de la mission de notre Commission d'enquête.

M. Michel GUILLOT : J'en prends note. Ne connaissant pas les hypothèses de départ de M. Charles Buttner, je ne saurais vous répondre aujourd'hui.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Avez-vous constaté des hausses d'impôts liées aux hausses de bases, les impôts augmentant alors que les bases n'augmentent pas et inversement ?

M. Michel GUILLOT : Je vous ai donné les évolutions de bases de 1999 à 2004. Il n'y a pas eu a priori de sauts. Le Trésorier-payeur général pourra vous le confirmer.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Le Président du conseil général n'a pas dit que la hausse de la fiscalité serait due à la décentralisation, mais que, pour faire mieux, il faudrait y consacrer un peu plus d'argent, donc augmenter la fiscalité. C'est tout l'intérêt de la question du Rapporteur : quel est le coût réel estimé de la décentralisation et quel est le « plus » qui justifie les hausses d'impôt ? Autrement dit, quel est le coût de la volonté politique de faire mieux que l'État, si tant est que l'on ait envie de faire mieux ?

M. Michel PIRON : Cela fait déjà assez longtemps que nous nous débattons dans cette ambiguïté... J'ai l'impression qu'un certain éloignement volontaire permet à l'État de ne pas être soumis à la pression immédiate de l'électeur au moment d'arrêter les choix de dépenses. Mais s'il n'est pas sans avantages en termes d'économies, ce manque de proximité n'est pas pour autant sans inconvénients. Incontestablement, on voit moins bien de loin. À l'inverse, lorsqu'on décentralise, on voit forcément mieux les besoins, on entend mieux les demandes, mais on est tenté d'y répondre davantage. Ne trouvez-vous pas que la proximité des collectivités territoriales, comparativement à l'État, induit forcément, sinon par principe, un risque de dépense supplémentaire ? Vous est-il possible de faire la part entre les dépenses découlant d'actions décentralisées conduites selon les mêmes modalités qu'auparavant, et les dépenses décentralisées ayant généré des services supplémentaires ? Il est de fait que, grâce à la décentralisation, on a fait beaucoup mieux dans le domaine des collèges. On a donc mieux répondu aux besoins, mais au prix, évidemment, d'efforts et de dépenses supplémentaires. Toute la difficulté consiste à arbitrer entre le supplément d'impôt, visible par le contribuable et peut-être susceptible d'être mieux accepté, et l'amélioration de l'efficacité de la gestion, peut-être moins lisible dans la mesure où l'on fait plus avec tout de même un peu plus...

M. Michel GUILLOT : J'ai la très forte impression que le conseil général du Haut-Rhin est géré en bon père de famille, sans problèmes financiers structurels, et qu'il lui reste encore de l'épargne disponible. Par tradition, il n'a jamais pratiqué la fuite en avant. De ce fait, je ne crois pas qu'il sera porté à des hausses déraisonnables - mais je ne suis pas le conseil général.

Quant à savoir les éventuels surcoûts de la décentralisation, prenons l'exemple des routes : non seulement nous mettons à la disposition du département un réseau globalement convenable, et non bradé parce que de mauvaise qualité, mais nous transférons les personnels dans la plus grande transparence, dans le cadre d'un accord portant sur les crédits, évidemment transférés à l'euro près, mais également sur les emplois à temps plein. Si l'État a jusqu'ici réussi à gérer convenablement le réseau routier dans le Haut-Rhin, nul doute que le département fera aussi bien. S'il veut faire mieux, c'est un autre problème.

M. le Rapporteur : Il nous suffirait donc de connaître exactement le bilan côté État pour distinguer la part des services supplémentaires envisagés par le département.

M. Michel GUILLOT : Nous pouvons vous le faire par grand type d'activité de l'État, en précisant bien l'état du service transféré - si, pour les routes, c'est tout à fait convenable, ce peut l'être moins dans d'autres domaines. Autrement dit, nous vous indiquerons la valeur et la bonne ou mauvaise qualité de ce que nous transférons.

M. le Rapporteur : Et les ressources en face.

M. Michel GUILLOT : Exactement.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Sur les TOS, comme sur la DDE, demeure l'éternel débat : les fonctions d'encadrement suivent-elles les fonctions d'exécution au point près ? Il est très difficile de couper les personnes en morceaux...

M. Gilles PÉTREAULT : Ce point notamment a fait l'objet de discussions assez serrées avec les collectivités. La difficulté de l'évaluation tenait au fait que ces personnels faisaient l'objet d'une gestion d'ensemble. Vingt-deux agents ont finalement été identifiés pour l'ensemble de l'académie de Strasbourg, qui suffisent à assurer la paie et l'ensemble des tâches liées à la gestion des personnels.

M. le Président : Vingt-deux pour le conseil régional et les deux départements ?

M. Gilles PÉTREAULT : La partition n'a pas encore été réalisée. La discussion a porté sur le taux d'encadrement, le ratio étant de 1 % environ dans les services de l'État, mais beaucoup plus élevé - 3 % - dans les collectivités. D'où une petite divergence, que nous devrions pouvoir résoudre.

M. le Président : Seront-ils intégralement transférés aux collectivités territoriales, ou une partie restera-t-elle dans les services de l'académie ?

M. Gilles PÉTREAULT : Non, tous ces personnels, jusque-là du rectorat ou des inspections académiques, seront transférés en équivalents temps plein. Nous verrons ensuite ce qu'il en sera au niveau des mouvements des personnels administratifs.

M. le Rapporteur : Le temps de travail des TOS est un sujet qui mérite intérêt. M. Dominique Antoine a évoqué devant nous la « circulaire Lang » - pas plus de vingt-cinq jours dans les périodes de vacances scolaires, durée hebdomadaire plafonnée à quarante heures, prise en compte des jours de congés lorsque ceux-ci sont encadrés par des temps scolaires, etc.... De l'avis de M. Charles Buttner, les agents travaillaient selon le droit commun alsacien. Comment parvient-on à caser 1 580 heures dans le cadre de la circulaire Lang ?

M. Gilles PÉTREAULT : Le texte qui s'applique en l'espèce est le décret de 2000, lequel prévoit une durée de travail de 1 607 heures, ramenées à 1 593 heures en Alsace.

M. le Rapporteur : Vous n'appliquez pas la circulaire Lang ?

M. Gilles PÉTREAULT : Il nous semble qu'un décret a une plus grande valeur...

M. le Rapporteur : Nous sommes d'accord et c'est tout à la gloire de l'Alsace... Mais je crains que, dans le reste de la France, ce ne soit la circulaire Lang qui s'applique !

M. Gilles PÉTREAULT : Aucune difficulté particulière ne m'est remontée sur ce point des chefs d'établissements, qui sont en quelque sorte les employeurs directs de ces personnels.

M. le Rapporteur : Y a-t-il, à votre connaissance, des endroits en France où la circulaire Lang s'applique ?

M. Gilles PÉTREAULT : Je ne me permettrais pas de parler d'endroits que je ne connais pas.

M. le Rapporteur : À défaut d'endroits, vous connaissez tout de même des collègues... M. Dominique Antoine nous a exposé les problèmes que posait l'application des 35 heures, dans la mesure où le temps de travail usuel était significativement inférieur. Cela a abouti à la circulaire Lang. À vous entendre, il en va différemment en Alsace. Comment cette question est-elle appréciée chez vos collègues ?

M. Gilles PÉTREAULT : Je n'ai jamais eu connaissance de difficultés particulières sur ce sujet.

M. Alain GEST : Il nous a été dit ce matin que les TOS étaient en sous-effectif dans le Haut-Rhin. La question du Rapporteur était d'autant plus importante que bon nombre d'élus prétendent que la décentralisation des TOS se traduira par une augmentation de la fiscalité compte tenu de l'insuffisance des effectifs ; c'est en tout cas un des motifs avancés. Pouvez-vous nous confirmer que vos TOS sont réellement en sous-effectif ? Quelles en ont été les conséquences sur l'entretien des collèges et des lycées ?

Toujours à propos de personnel, le Président du conseil général estimait ce matin que l'effectif des agents du conseil général n'était pas très élevé. Avez-vous une idée des ratios couramment observés dans les autres conseils généraux par comparaison avec le Haut-Rhin ? Certaines embauches vous paraissent-elles nécessaires ?

S'agissant des routes enfin, combien de kilomètres sont transférés ? Certains tronçons sont-ils dans un état tel qu'ils appelleront des travaux de réparation dès 2006 ? À l'inverse, d'autres interventions pourront-elles être étalées dans le temps ? Peut-on se faire une idée globale de ce que deviendra le nouveau réseau routier départemental ?

M. Alain LORRIOT : Le transfert s'est à peu près fait moitié-moitié : 140 kilomètres transférés pour 147 gardés. L'État conserve dans le Haut-Rhin une grande partie de ses nationales et les autoroutes.

M. Alain GEST : Combien compte-t-on actuellement de routes départementales ?

M. Alain LORRIOT : Entre 2 400 et 2 500 kilomètres7. Sous réserve que le décret confirme les modalités arrêtées dans le projet, l'État garderait notamment l'autoroute A35, sillon Nord-Sud alsacien et même européen - 55 000 véhicules-jour, auxquels sont venus s'ajouter entre 1 500 et 2 000 poids lourds supplémentaires depuis l'instauration d'une taxe en Allemagne -, l'autoroute A36, pour sa partie non concédée mais également pour la traversée de Mulhouse - 100 000 véhicules-jour - jusqu'à son raccordement à l'autoroute allemande à Forbach, ainsi que deux routes nationales transvosgiennes très fréquentées : la N66 Mulhouse-Remiremont via le col de Bussang, sans doute une des plus difficiles à gérer sur le plan tant des investissements que de l'entretien courant, et la N59, à la limite des deux départements, qui donne accès au tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, actuellement fermé pour mise en sécurité.

Ajoutons que nous ne transférons pas de routes en ruine, ni même de routes particulièrement abîmées : ainsi la N83, à deux fois deux voies, l'une des plus belles du département - de l'avis même du conseil général - ou la N415 sur laquelle nous avons réalisé, dans le cadre du contrat de plan, des travaux très importants autour de Colmar, qui seront terminés fin 2006. Nous aurons également achevé fin 2006, à la suite de la fermeture du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, toute une série d'opérations entre le col du Bonhomme et Colmar ; entre Colmar et la frontière allemande, des travaux ont également été réalisés au début du contrat de plan et la route est en bon état. Peut-être n'a-t-elle pas une capacité extraordinaire, mais tout ce qui devait y être fait a été fait.

M. Alain GEST : Il semblerait qu'une série d'études aient été entreprises sur les problèmes de bruit, mais que la réalisation des travaux nécessaires serait laissée à l'appréciation du conseil général...

M. Alain LORRIOT : Un trafic aussi important, dans un département de surcroît très urbanisé, pose effectivement des problèmes de bruit. Dans la traversée de Mulhouse et des communes avoisinantes, l'essentiel du contrat de plan a porté sur la réalisation de murs antibruit le long de l'A36, pour environ 50 millions d'euros, financés par l'État, la région, la ville et le département. La N83, juste en bas du vignoble alsacien, pose des problèmes similaires, particulièrement dans trois communes. Des études de bruit sont réalisées par l'État, mais les mesures à prendre seront effectivement de la compétence du nouveau gestionnaire de la voirie. Au demeurant, la dépense, par comparaison avec les autoroutes urbaines dans les zones de Mulhouse ou de Colmar, sera mineure.

M. le Président : Qui fixe ces normes en matière de bruit ?

M. Alain LORRIOT : Elles ont été fixées par la Direction des routes, sur la base des études réalisée par le SETRA.

M. le Président : Pourquoi a-t-on attendu pour réaliser les protections ?

M. Alain LORRIOT : Nous étions, à l'époque, en dessous des seuils ; le trafic augmentant, nous en venons à les dépasser.

M. Alain GEST : À combien s'élève le budget du conseil général consacré aux infrastructures routières ?

M. Alain LORRIOT : Je ne puis vous répondre de façon précise.

M. Alain GEST : A-t-on pour le moins une idée de ce que représentent les travaux relativement urgents par rapport à ce qui est déjà dépensé pour le réseau routier départemental ?

M. Alain LORRIOT : Les crédits que l'État consacre aujourd'hui à ce réseau seront transférés à l'euro près au conseil général, selon exactement les mêmes modalités de calcul. Ces chiffres ont été donnés au conseil général, et ils n'ont pas fait bondir...

M. le Président : Sur la base des mêmes critères ?

M. Alain LORRIOT : Avec les mêmes critères, selon un barème que nous avions d'ailleurs donné avant même de parler de décentralisation.

M. le Président : De quelles caractéristiques tient-il compte ?

M. Alain LORRIOT : De la largeur de la route, du trafic supporté, du nombre de voies, mais également de la viabilité hivernale, particulièrement lorsqu'il s'agit de routes de montagne, communes en Alsace sitôt que l'on franchit les cols.

M. le Président : Pensez-vous que les coefficients ont été calculés suffisamment larges pour les routes de montagne ? Mon collègue Michel Bouvard, élu de Savoie, s'en inquiète...

M. Alain LORRIOT : Jusqu'à présent, nous avons, avec ce qu'on nous a donné, toujours répondu aux besoins. Nous gardons la N66 et la N59, et nous ne rétrocédons que la N415, qui passe par le col du Bonhomme. Le département recevra les crédits que nous avions jusque-là pour la N415, à l'euro près, en appliquant exactement le même barème. Cela viendra abonder la DGD du département à partir du 1er janvier 2006, si nous parvenons à mener l'opération dans le courant de cette année.

M. le Rapporteur : Le transfert des personnels pourrait-il entraîner un surcoût pour le département ?

M. Alain LORRIOT : Les personnels sont, exactement dans le même esprit, transférés à l'unité près. Les agents qui ont toujours travaillé sur l'actuel réseau du département sont au nombre de 170. Une convention a été passée en application de la loi du décembre 1992, dite de sortie de l'article 30 de la loi du 2 mars 1982. Le nombre d'équivalents temps plein au 1er janvier 1993 a été réévalué, catégorie par catégorie, suivant des coefficients que vous déterminez chaque année dans la loi de finances - en tenant compte, bien entendu, des suppressions de postes, systématiquement compensées sur la DGD du département, suivant des calculs fort compliqués arrêtés en accord entre l'Assemblée des départements de France et l'État. Ce qui nous donne ce chiffre de 170 personnes, que le département ne conteste pas.

M. le Président : Cent soixante-dix agents pour 2 400 kilomètres ?

M. Alain LORRIOT : Exactement. S'y ajouteront les personnels transférés en fonction des routes nouvellement rétrocédées, soit une quarantaine de personnes supplémentaires - notre administration centrale ne nous a pas encore donné les modalités de calcul -, les services supports correspondants, soit une douzaine de personnes - informatique, formation, gestion des carrières, paie, etc. -, et enfin l'ingénierie routière, bureaux d'études et service des grands travaux qui travaillent dans le cadre du contrat de plan sur les routes nationales appelées à être transférées et pour lesquels les critères de détermination n'ont pas encore été arrêtés ; il devrait s'agir de cinq à dix personnes.

M. le Rapporteur : De nombreux présidents de conseils généraux déplorent un sous-transfert des personnels d'encadrement.

M. Alain LORRIOT : Je sais : c'est déjà ce que l'on disait lors de la première décentralisation... J'y ai moi-même participé avant de travailler dans un département.

M. le Président : Est-ce vrai ou pas ?

M. Alain LORRIOT : Ce n'est pas vrai. J'ai moi-même travaillé pendant cinq ans dans le département du Calvados, où j'ai créé la direction générale des services techniques départementaux et procédé aux « extractions » correspondantes de la DDE, ce qui s'était fait sans difficulté et dans des conditions parfaitement honnêtes. Il en sera exactement de même cette fois-ci, y compris pour les personnels d'encadrement : on sait parfaitement totaliser les catégories A, les catégories B et faire les additions au bout du compte.

M. Alain GEST : M. le Trésorier-payeur général peut-il nous indiquer les ratios de personnel du conseil général du Haut-Rhin par rapport à la moyenne nationale ? S'agissant des TOS, le différentiel d'encadrement, objet de discussions entre vos services et ceux du département, ne tient-il pas au fait que le ministère lui-même compte, dans ses services, des personnels qui contribuent à la gestion des TOS sans pour autant faire l'objet d'un transfert ?

M. le Président : M. l'Inspecteur d'académie, à quel moment avez-vous pu promettre 15, 20 ou 22 emplois supports ? De même, à partir de quelle date avez-vous pu annoncer une compensation de l'État pour les contrats aidés ?

M. Gilles PÉTREAULT : La question de l'encadrement est encore en débat, car si l'effectif a été arrêté, il reste à le répartir entre les trois collectivités concernées. Les discussions entre l'administration centrale, le rectorat et les collectivités ont commencé en février ou mars. La gestion des tâches des TOS étant totalement déconcentrée au niveau des rectorats, le ministère s'occupe principalement de la répartition des moyens et de la gestion des aspects réglementaires et financiers, autrement dit de la régulation générale. Quant à la question de l'entretien des collèges et lycées et de l'état du bâti...

M. Alain GEST : On nous a parlé d'une sous-dotation en TOS. Pouvez-vous en attester et, si oui, a-t-elle eu des conséquences sur la gestion des collèges et des lycées ?

M. Gilles PÉTREAULT : Chacun sait qu'il existe des déséquilibres au niveau national en matière de dotation en TOS. Toutes les régions n'ont pas été loties de la même façon. Pour ce qui est des éventuelles incidences sur l'entretien, le département du Haut-Rhin se caractérise par d'excellentes relations et une grande proximité de travail entre les chefs d'établissement et le conseil général. Une nomenclature très complète détaille très précisément, pour chacun des travaux, ce qui relève de l'établissement ou du conseil général. Les choses sont à cet égard claires depuis une dizaine d'années. Quant aux inégalités de traitement entre les régions, elles sont connues de tous.

M. Alain GEST : Votre situation de sous-dotation a-t-elle été cause de problèmes majeurs dans la gestion et l'entretien des collèges du Haut-Rhin ?

M. le Rapporteur : Autrement dit, vos collèges sont-ils propres ?...

M. Gilles PÉTREAULT : Non seulement ils sont propres, mais ils ont fait l'objet de nombreux investissements. Ajoutons que le Haut-Rhin est un département qui construit de nouveaux collèges - le fait n'est pas si courant. Deux établissements sont ainsi en cours de construction. Le patrimoine est plutôt, dans l'ensemble, en bon état.

M. le Président : Mais quand avez-vous pu annoncer ces chiffres ?

M. Gilles PÉTREAULT : Le nombre d'emplois a été arrêté en février-mars. Mais je n'ai pas assisté à toutes les phases techniques de la discussion.

M. le Président : C'est seulement au cours de nos auditions que j'ai entendu parler du financement des emplois supports - autrement dit avec beaucoup de retard.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Ils sont plus sérieux en Alsace que dans le Midi...

M. le Président : Peut-être le Président du conseil général de l'Ariège aurait-il signé s'il avait eu toutes ces informations !

M. Alain GEST : Il était donc utile de créer cette Commission d'enquête !

M. le Président : Ne serait-ce que pour cela, en effet... Quoique la Commission consultative d'évaluation des charges aboutisse à peu près au même résultat.

M. Michel PIRON : Je reviens sur les TOS. La question du choix du statut, nous a-t-on dit ce matin, n'était pas indifférente dans la détermination du taux d'encadrement.

M. Gilles PÉTREAULT : En effet.

M. Michel PIRON : Avez-vous une idée du choix statutaire retenu dans le Haut-Rhin ? Vos évaluations de mars en matière d'encadrement et de carrières ne devront-elles pas être corrigées au vu des choix des personnels entre le statut territorial et le statut national ?

M. Gilles PÉTREAULT : Le délai d'option entre le détachement de longue durée et le statut de la fonction publique territoriale ne prendra effet qu'à compter du 1er janvier 2006.

M. Michel PIRON : Mais n'avez-vous aucune estimation ?

M. Gilles PÉTREAULT : Il est difficile d'aller interroger les personnels sur la façon dont ils feront jouer leur droit d'option individuel alors que les choses ne sont pas encore fixées.

M. Michel PIRON : Je ne parlais que d'estimations...

M. Gilles PÉTREAULT : En tout cas, cela n'a pas encore été fait.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : On nous dit que le transfert des personnels - DDE comme Éducation nationale -, qui se traduira automatiquement, tout au moins pour un certain nombre, par un changement de statut, coûtera de l'argent aux collectivités. Avez-vous une idée de ce que coûtera le passage des quelque 200 agents ou plus de la DDE au département, dans la mesure où vous les transférez sur la base du coût réel pour l'État ?

M. Alain LORRIOT : Environ 230 personnes sont concernées, qui seront transférées selon un barème par catégorie, l'État reconnaissant, par exemple, qu'un ingénieur divisionnaire coûte tant pour la paie, plus tant pour le régime indemnitaire. Tout cela est facile à vérifier. Il ne reste plus qu'à multiplier par le nombre d'ingénieurs divisionnaires transférés et l'argent sera versé sur la DGD du département. Il en sera de même pour toutes les autres catégories.

M. le Rapporteur : En appliquant les taux de cotisations sociales des collectivités territoriales ?

M. Alain LORRIOT : Ah ?

M. le Rapporteur : C'est ce qu'on nous a dit.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : D'où ma question !

M. Alain LORRIOT : Je ne saurais pas vous le dire. Il y a peut-être une différence.

M. le Président : Autrement dit, il faudra verser davantage que vous n'avez dans votre budget.

M. Alain LORRIOT : C'est bien possible. Toujours est-il que cette opération se fait à l'euro près, comme pour les crédits de fonctionnement des routes. Cela ne pose aucune difficulté. Ajoutons que, tant qu'ils n'auront pas exercé leur droit d'option - ils ont deux ans pour le faire - les personnels continueront d'être payés par l'État pour la totalité des prestations qu'ils exécuteront pour le compte du département. Et comme il n'est pas question de compenser sur la DGD à chaque fois qu'un agent aura fait son choix, c'est seulement à l'issue du droit d'option que tout sera définitivement réglé. Or ce droit ne sera ouvert que lorsque le décret aura été pris et la convention passée, autrement dit dans plus d'un an. Au final, les éventuelles charges supplémentaires pour le département n'apparaîtront pas avant 2009 - mais, à mon avis, il n'y en aura pas.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Le statut départemental ou régional étant plus favorable que le statut d'État, tout porte à croire que bon nombre d'agents transférés demanderont logiquement à changer de statut, ce qui se traduira par des coûts supplémentaires. De surcroît, deux instances paritaires devraient, nous a-t-on dit, être mises en place pour les TOS, qui pourraient inciter à une coûteuse surenchère aux avantages sociaux. Un tel risque est-il envisageable dans le Haut-Rhin ? Peut-on d'ores et déjà estimer cette dépense supplémentaire ?

M. le Président : Plus prosaïquement, les indemnités des agents de l'Équipement sont-elles identiques à celles des agents du département ?

M. Alain LORRIOT : Tout à fait. J'ai déjà travaillé dans un département et j'ai vécu cette expérience. En réalité, les statuts de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale sont parfaitement équivalents, qu'il s'agisse de la paye ou du régime indemnitaire - y compris ce qu'on appelait autrefois les « honoraires ». La différence porte sur la promotion des agents dans leurs corps, beaucoup plus linéaire et aisée dans la fonction publique territoriale. C'est cela qui peut provoquer des surcoûts. J'avais ainsi recruté des ingénieurs des travaux publics dans le département du Calvados ; sitôt qu'ils ont opté pour la territoriale, ils sont passés ingénieurs principaux dans la foulée... Le surcoût pour les collectivités territoriales tient au fait que la promotion va beaucoup plus vite dans la fonction publique territoriale que dans la fonction publique de l'État.

M. le Rapporteur : Pour les TOS en revanche se pose un réel problème de niveau indemnitaire. Dans d'autres départements, cela pouvait se gérer par le temps de travail - ce qui nous ramène à la particularité alsacienne...

M. le Président : À entendre ces explications, dont nous n'avons aucune raison de douter, et pour peu que l'encadrement soit correctement transféré, le problème ne se pose objectivement pas dans le cas des personnels de l'Équipement. Pour les TOS en revanche, la question demeure, à laquelle s'ajoute celle des emplois non pourvus qui ne seront pas transférés. Or, si les postes existent, c'est qu'il y a un besoin ; et s'ils ne sont pas pourvus, c'est qu'il y a des manques. S'ils ne sont pas transférés, comment fera-t-on ?

M. Gilles PÉTREAULT : La convention distingue bien les équivalents temps plein et les personnels, en prévoyant d'ailleurs un plus grand nombre de personnes à transférer que d'équivalents temps plein. L'identification a été faite à partir de tous les emplois ouverts dans l'académie.

M. le Président : Comme l'a fait remarquer le Rapporteur, il y a une grande différence entre les indemnités des TOS et celles des autres personnels. Ces agents auront un statut particulier, peut-être un temps de travail particulier, lui-même fixé par un cadre que nous ne connaissons pas,...

M. Gilles PÉTREAULT : C'est bien le problème...

M. le Président :...et des indemnités beaucoup plus faibles.

M. Gilles PÉTREAULT : Nous ne connaissons le cadre d'emploi que globalement. Il sera défini dans chaque collectivité territoriale par référence à d'autres emplois de même catégorie, avec alignement ou non des régimes indemnitaires. Je n'ai aucune information sur ce point...

M. le Rapporteur : M. Dominique Antoine nous a dit la semaine dernière qu'il y aurait une marge de négociation entre le temps de travail et le régime indemnitaire : les TOS ont un mauvais régime indemnitaire, mais un temps de travail très inférieur à la norme. L'employeur peut donc essayer de négocier un temps de travail plus long en contrepartie d'un régime indemnitaire plus favorable. Mais si le Haut-Rhin est déjà au plafond, la marge de négociation disparaît.

M. Alain GEST : En plus de ma question à M. le Trésorier-payeur général, j'en ai une autre à l'adresse de M. le Directeur des affaires sanitaires et sociales sur la décentralisation du RMI. Le Président du conseil général restait, nous a-t-il déclaré, dans l'expectative sur ce sujet. A-t-on constaté une différence dans la gestion de cette compétence depuis son transfert, ou le changement s'est-il limité à un changement de tutelle ? Des initiatives se sont-elles fait jour pour mesurer l'efficience de l'insertion, par exemple ? Le président du conseil général du Rhône reçoit individuellement tous les allocataires du RMI du département pour faire le point sur la situation. Avez-vous connaissance d'actions de ce genre ? Ressent-on une différence entre l'avant et l'après-décentralisation ?

M. Michel LOYER : Je n'ai malheureusement pas connaissance du ratio des dépenses de personnels sur les dépenses totales de fonctionnement du département. Le payeur départemental comme le préfet, auxquels j'en avais fait part, ont confirmé que le Haut-Rhin présentait un fonctionnement tout à fait correct, sans difficultés financières. Le paiement des mandats s'effectue dans un délai inférieur à la semaine et jamais nous n'avons connu de blocage du fait d'absence de trésorerie : si le département mobilise de temps en temps une ligne de trésorerie, le remboursement s'effectue dans les trois jours, ce qui est le signe d'une excellente santé financière.

M. le Président : Nous demanderons à l'Association des départements de France un rapport sur l'année 2004, dans lequel figureront toutes ces comparaisons.

M. Patrick L'HÔTE : Le transfert du RMI, engagé fin 2003-début 2004, s'est déroulé en douceur et les choses se sont relativement bien passées. Le problème des fins de droits ASS, notamment, s'est négocié d'un commun accord entre l'État, les services concernés et le conseil général, en très bonne entente, sans aucune polémique, même si le conseil général a souhaité retrouver ses billes. Contrairement à d'autres départements, où la situation était très tendue, je peux témoigner que cette affaire s'est passée de manière très satisfaisante dans le Haut-Rhin. Les personnels de la DDASS qui s'occupaient du RMI ont tous été mis à disposition et travaillent désormais intégralement pour le conseil général, suivant ses instructions ; je n'ai plus aucun lien fonctionnel avec eux. Le conseil général a pris le relais dans un très grand esprit de continuité, tout en renforçant certains dispositifs comme les CLI afin d'améliorer le service rendu. Cela dit, dès lors qu'une compétence est décentralisée, je n'ai plus aucun droit de regard, hormis dans le cadre du contrôle de légalité. Cette affaire est désormais de la seule responsabilité des collectivités territoriales.

M. Alain GEST : Confirmez-vous l'existence d'un écart de 7 millions d'euros entre ce qui a été attribué au conseil général pour 2004 et le coût réel, du fait de l'augmentation du nombre des RMIstes ?

M. Patrick L'HÔTE : Une lettre du conseil général adressée au préfet au début de cette année parlait d'un différentiel de 5 millions d'euros.

M. le Président : On nous a dit 8 millions ce matin ! Quel est le coût du RMI dans le département ?

M. Patrick L'HÔTE : 37 millions d'euros.

M. le Président : Et pour vous, le différentiel serait de 5 millions d'euros ?

M. Patrick L'HÔTE : Le courrier reçu par le préfet, en date du 10 février 2005, faisait état de 37 millions d'euros de dépenses et de 28,9 millions d'euros de recettes de l'État, d'où une différence que le Président du conseil général souhaite voir compenser à hauteur de 5,6 millions d'euros.

M. le Président : Soit. Et connaissez-vous le montant de ce différentiel pour les quatre premiers mois de 2005 ?

M. Patrick L'HÔTE : Non.

L'APA est souvent évoquée par les conseils généraux. Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une compétence décentralisée, puisque l'État ne l'assumait pas auparavant. L'APA a été créée pour répondre à un besoin lié au vieillissement de la population. Ce serait un raccourci abusif, sinon une erreur de la considérer comme une compétence décentralisée. L'APA mériterait un traitement à part dans la mesure où ce n'est pas une conséquence de la décentralisation, mais une nouvelle prestation que les conseils généraux ont d'ailleurs revendiquée.

M. le Président : Vous avez raison et vous faites bien de le rappeler. Je l'ai moi-même souvent dit. J'étais alors dans la majorité et je trouvais que l'on n'était pas assez exigeant...

M. Patrick L'HÔTE : Rappelons également que l'augmentation de l'APA tient principalement à l'évolution démographique.

M. Alain GEST : Je ne conteste pas le fait que l'APA soit une nouvelle compétence et non un transfert - encore qu'elle soit venue remplacer une prestation existante, la PSD, dont le montant différait d'un département à l'autre. Reste que, personne ne l'a du reste jamais contesté, les évaluations du coût prévisionnel de l'APA étaient totalement erronées. Tout le problème vient de là, notre Président lui-même en est d'accord.

M. le Président : Nous en reparlerons.

M. le Rapporteur : La fiscalité locale est affaire de taux, mais également de bases. Pouvez-vous nous donner quelques éléments d'appréciation sur la connaissance et le suivi des bases, le travail qu'elles appellent de la part des collectivités, de quelque nature qu'elles soient, autrement dit sur la qualité du « système bases » ?

M. le Président : J'ai senti ce matin, et encore cet après-midi, une certaine inquiétude chez tous les intervenants à propos de la taxe professionnelle, tant du fait des possibles pertes de bases liées aux difficultés des entreprises que d'une éventuelle réforme de la taxe. Les problèmes économiques vous paraissent-ils de nature à provoquer une perte de bases de taxe professionnelle ?

M. Michel LOYER : L'évolution des bases de taxe professionnelle, année par année, montre une baisse de 2 % entre 2001 et 2002, puis une baisse de 0,76 % entre 2002 et 2003, suivies d'une nette progression en 2004 et 2005, si bien que, sur les cinq dernières années, la hausse est finalement de 5,89 %. En fait, c'est surtout au début de la période de référence qu'elles ont légèrement baissé. L'évolution est régulière et tout à fait comparable dans d'autres départements de même catégorie : Finistère, Loire, Maine-et-Loire, Meurthe-et-Moselle, Oise, Haute-Savoie, etc., qu'il s'agisse du reste de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation ou du foncier bâti ou non bâti.

Mon collègue des services fiscaux attestera que notre connaissance des bases n'a guère varié sur la période et ne devrait guère évoluer. Les mouvements à la baisse des bases de la taxe professionnelle ont été essentiellement dus à la disparition progressive de la part salaires. D'où la remontée constatée en 2003, certainement liée au dynamisme des équipements et biens immobiliers, qui avaient continué à croître pendant la période précédente. Il arrive aux services fiscaux d'effectuer, à la demande du conseil général, des opérations de contrôle ponctuelles sur un secteur géographique donné, lesquelles ont permis de vérifier l'absence d'écarts importants entre les renseignements détenus par les services de l'État et les diverses collectivités. Il n'en est pas de même partout ; du reste, les divergences tiennent le plus souvent à des problèmes d'enseignes, de dénomination ou d'identification des entreprises.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions, et passons sans plus tarder à l'audition suivante.

Audition de M. Michel THÉNAULT,
Préfet de la région Alsace,
accompagné de M. Dominique ABRAHAM,
Trésorier payeur général de la région et du département,
M. Jean-Claude FESTOR, Directeur régional et départemental de l'équipement,
Mme Corinne WANTZ, Directrice départementale des affaires sanitaires et sociales
et M. Gérald CHAIX, Recteur de l'académie de Strasbourg


(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Michel Thénault, Dominique Abraham, Jean-Claude Festor, Mme Corinne Wantz et M. Gérald Chaix sont introduits.

M. le Président : Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je vous rappelle que notre Commission d'enquête a pour objet d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée de l'ensemble des décideurs. Nous souhaiterions donc que vous nous indiquiez, M. le préfet, en tant que représentant de l'État, mais aussi en votre qualité d'ancien directeur général des collectivités locales, comment vous appréciez l'évolution de la fiscalité locale dans la région Alsace. Nous souhaiterions aussi faire le point sur les négociations avec le conseil régional en vue des transferts de compétences prévus par l'acte II de la décentralisation. Nous pourrions également évoquer l'exécution du contrat de plan État-région.

M. le Président rappelle à MM. Michel Thénault, Dominique Abraham, Jean-Claude Festor, Mme Corinne Wantz et M. Gérald Chaix que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Michel THÉNAULT : Le volume budgétaire de la région Alsace est de 607 millions d'euros hors revolving. Il a fortement progressé ces dernières années, qu'il s'agisse des dépenses de fonctionnement ou des dépenses d'investissement. Mais quand bien même les dépenses de fonctionnement - 323 millions d'euros - ont crû plus rapidement que la masse budgétaire - +11 % contre +5 % environ -, cette modification apparente n'a pas fondamentalement modifié ni obéré le montant des interventions régionales, assez bien ciblées autour de quatre priorités : les transports, la formation, l'économie et l'enseignement supérieur, la recherche et la technologie. Elle n'a pas davantage obéré l'effort assez considérable mené par la région, aux côtés d'autres collectivités, dans la réalisation des grandes infrastructures, notamment ferroviaires. Rappelons que la région Alsace avait été l'une des premières à expérimenter les TER depuis 1997.

Dans un contexte économique désormais porteur de contraintes, parfois ignorées mais réelles, la région poursuivra à l'évidence son action dans ces quatre domaines d'intervention, mais elle devra très certainement recourir à l'emprunt de façon plus importante que durant la période précédente, et elle sera conduite à opérer des arbitrages en jouant sur les marges de manœuvre non négligeables dont elle dispose encore.

L'évolution de la structure des dépenses est significative, mais peut-être moins qu'apparemment. Si la section de fonctionnement représente désormais 45 % du volume budgétaire contre 40 % il y a quelques années encore, cette évolution, pour une région, n'a qu'une signification toute relative et je me garderai d'en tirer des conclusions techniques ou politiques du type « administration de gestion » ou « administration de mission ». Du reste, une comparaison pertinente exigerait un retraitement assez sophistiqué, les normes comptables ayant notablement changé. Demain, lorsque l'acte II de la décentralisation aura atteint son plein régime, avec le transfert des TOS notamment, les masses salariales seront totalement déformées, rendant pratiquement impossible toute comparaison avec la moyenne période sans un retraitement approprié. Celui-ci sera sans doute nécessaire, mais dans les cas les plus difficiles.

Mieux vaut donc, me semble-t-il, raisonner en termes de programmes et s'attacher à l'évolution des dépenses dites d'intervention, qui sont aussi bien des dépenses d'investissement que des dépenses de fonctionnement, autour des quatre ou cinq priorités déjà évoquées : les transports pour 220 millions d'euros, l'éducation et la formation pour 205 millions d'euros, les interventions économiques pour 20 millions d'euros, 40 millions en y ajoutant l'agriculture, l'environnement et le tourisme, la recherche pour 20 millions d'euros, et l'approche territoriale, importante en Alsace, pour 10 millions d'euros. Encore faudrait-il y ajouter, pour mémoire, les interventions contreparties au titre du FEDER, dans la mesure où la région est reconnue autorité de gestion et de paiement en matière de fonds européens pour l'objectif 2.

Quatre éléments sont à retenir : les interventions progressent de 5 % en valeur ; les priorités déjà citées mobilisent 90 % des crédits d'intervention ; le transport par fer est une priorité régionale très affirmée, qu'il s'agisse des TER, avec l'amélioration des dessertes comme du matériel qui a mobilisé 40 millions d'euros en crédits de paiement cette année, ou encore des TGV et des trams-trains ; enfin, l'effort de formation et les interventions économiques progressent de 17 %.

Ces orientations sont toutes cohérentes avec la situation régionale. Région tout à la fois territorialement très compacte et démographiquement très dense - 400 habitants au kilomètre carré en plaine -, l'Alsace a un énorme besoin de transport. Les transports pendulaires journaliers sont extrêmement importants et la plaine d'Alsace est très encombrée et très fréquentée, y compris par nos voisins et par tout ce qui transite par l'axe Nord-Sud. Ajoutons que dans cette région excentrée, les dessertes aériennes comme ferroviaires n'ont jusqu'à présent pas été des plus performantes.

L'Alsace connaît également de fortes mutations sur le plan économique, qui tranchent avec l'idée généralement répandue d'une région prospère et riche : si son potentiel est incontestable, le nombre des chômeurs de longue durée, par exemple, y est beaucoup plus élevé qu'ailleurs. Mutations d'autant plus fortes que l'Alsace se situe, en termes de valeur ajoutée, à 7 à 8 points au-dessus de la moyenne nationale ; autrement dit, c'est une région très industrielle.

Hors remboursement du capital de la dette, les investissements directs représentent 46 % du volume budgétaire et se maintiennent à un niveau élevé : environ 280 millions d'euros, dont 28 % au profit des lycées, ce qui peut surprendre - mais l'Alsace a gagné plus de 60.000 habitants entre 1999 et 2004 -, et 24 % au profit du ferroviaire, ce à quoi il faut ajouter 50 millions d'euros d'opérations de modernisation prévues au contrat de plan, les TGV et les trams-trains. L'annuité de la dette se situe un peu en dessous de 30 millions d'euros en capital, soit 37 millions d'euros au total.

Du côté des recettes, les dotations classiques de l'État - DGF, DGD, DRES, etc. - s'établissent à 250 millions d'euros, en progression de plus de 5 millions d'euros, auxquels il faudrait ajouter 25 millions d'euros au titre de l'apprentissage. Le produit de la fiscalité locale, compensations comprises, s'établit à 154 millions d'euros, dont plus de la moitié est issu de la taxe professionnelle. La progression de ce produit - 7 millions d'euros de 2004 à 2005 - s'inscrit dans une évolution tout à fait comparable à celle des années précédentes, qui résulte d'une évolution modérée des bases - 2 % en moyenne et en valeur - et d'une progression très contenue des taux de fiscalité : 2,5 % cette année en moyenne pondérée.

Au total, les recettes s'établissent en 2004 à 419 millions d'euros et les dépenses de fonctionnement à 323 millions d'euros, ce qui dégage un résultat de 95 millions, en recul assez net, de l'ordre de 15 millions d'euros, par rapport à 2003. Aussi, pour mener à bien son programme d'investissements, et compte tenu des recouvrements de participations diverses, la région va être amenée à opérer un emprunt de l'ordre de 150 millions d'euros, peut-être un peu moins, comparable à celui de l'an dernier. Ce recours à l'emprunt est important depuis 2004, mais il fait suite à une politique de désendettement menée de façon systématique durant la période précédente.

Partant de là, quelles équations pour l'avenir ? Avec quelles marges de manœuvre ? Ma perception ne doit guère différer de celle des élus régionaux et de leurs services.

S'agissant des dépenses, on peut raisonnablement tabler sur une progression globale des crédits d'intervention de l'ordre de 2 à 3 % par an en valeur sur le moyen terme. Seuls les crédits de formation pourraient connaître une augmentation de l'ordre de 6 %.

Les investissements devraient rester très soutenus au moins jusqu'en 2010, notamment pour le ferroviaire dans les deux à trois ans qui viennent avec l'achèvement de la première phase du TGV Est - mais la « bosse », autrement dit l'effort principal de financement qui portait sur 2004 et 2005, est presque passée -, le renouvellement du matériel TER - 40 millions d'euros -, la deuxième phase du TGV Est, le TGV Rhin-Rhône, plus une série de projets contractualisés dans la mesure ou, en plus du contrat de plan, l'Alsace a signé un contrat triennal avec Strasbourg, compte tenu de son statut de capitale européenne. Ces investissements devraient se poursuivre après 2008. Le TGV Rhin-Rhône devrait quant à lui mobiliser vraisemblablement une centaine de millions d'euros, même si le plan de financement n'est pas encore bouclé. Le matériel roulant du tram-train de Mulhouse aura lui aussi un coût très élevé, entre 60 et 100 millions d'euros. Les dépenses d'amélioration des routes connaîtront un rythme de croissance de 6 % environ. Il y a du reste de quoi nourrir un nouveau contrat de plan - la question se posera à l'occasion d'un CIADT qui se réunira probablement d'ici 2006 - à peu près du même montant que le CPER en cours en matière d'infrastructures routières.

Globalement, sur la période 2004-2010, la région connaîtra, du fait de cette progression soutenue de ses interventions et de ses investissements, un besoin de financement conséquent.

Les dotations et compensations versées par l'État devraient évoluer au même rythme que l'inflation, plus un tiers de croissance : tout porte donc à croire que cette évolution sera modérée. Reste que ces dotations représentent, compte tenu des compensations et de la réforme des dotations, 48 % du total des recettes de la région. Les recettes fiscales propres, dont la part est de l'ordre de 27 %, sont très déterminées par le produit de la taxe professionnelle. Tout porte à croire, au vu du contexte conjoncturel national et compte tenu des spécificités de l'Alsace sur le plan industriel, mais également géographique, qui la rendent partiellement tributaire des économies voisines - les exportations alsaciennes sont à 30 % conditionnées par la demande allemande et 70 000 frontaliers travaillent pour moitié en Allemagne, pour moitié en Suisse -, que les bases de taxe professionnelle n'évolueront que modérément. Dès lors, l'encours de la dette connaîtra vraisemblablement jusqu'en 2008-2010 une forte croissance, évaluée à plus de 350 euros par habitant, cependant que la capacité de désendettement, en imaginant que l'on puisse mobiliser la marge brute d'autofinancement, passerait de deux ans et demi à cinq, voire six ans en 2008-2010.

La région Alsace dispose à l'évidence de réelles marges de manœuvre. Son potentiel fiscal direct est, avec la région Rhône-Alpes, le plus fort de métropole - hors Île-de-France - et Corse : 61 euros par habitant en 2004, soit 25 % de plus que dans les autres régions. Sa pression fiscale est modérée, la plus faible de toutes les régions. L'encours de la dette a baissé jusqu'en 2003 et sa capacité de désendettement était, il y a peu encore, de moins de deux ans.

Pour autant, je ne prétends pas que ces marges de manœuvres soient toutes utilisables avec le même niveau d'intérêt et d'efficacité. La structure des recettes - 25 % de fiscalité pour 50 % de dotations - limite évidemment les conditions d'une modulation fiscale. L'incertitude demeure également en matière d'évolution des bases et il faut en tenir compte. Il est donc possible de jouer sur trois paramètres au moins : le recours à la fiscalité, le recours à l'emprunt, mais peut-être aussi, compte tenu du fort degré d'implication de l'Alsace au niveau contractuel et du niveau de ses investissements, une possible révision du calendrier de certains investissements tels que les lycées - 76 millions d'euros en crédits de paiement sont déjà programmés sur cinq ans.

Sans doute peut-on également songer - c'est une suggestion personnelle - à relocaliser la fiscalité. L'exemple de la TIPP est tout à fait démonstratif quant à son orientation : la loi a prévu à terme la localisation intégrale de la TIPP, aujourd'hui répartie entre les régions selon des modalités qui accordent à l'Alsace 3,3 % de l'enveloppe, soit 13,5 millions d'euros. Avec une assiette totalement régionalisée, le produit serait, toutes choses égales par ailleurs, de 19 millions d'euros, du fait que la consommation alsacienne de carburants est largement supérieure à 3,3 % de l'ensemble. Sans doute aussi faudra-t-il tenir compte dans ces arbitrages de la possibilité donnée aux régions de moduler les taux sur ces nouvelles bases.

S'il vous plaisait de m'inviter d'ici à un an ou dix-huit mois pour discuter de ces questions avec le président du conseil régional, sans doute commencerais-je la conversation en appelant à utiliser un cocktail de toutes ces marges de manœuvre et à jouer donc sur l'emprunt bien sûr, sur l'évolution des bases de TP sans doute, sur l'élasticité des bases de fiscalité transférée régionalisée avec modulation des taux, et enfin sur l'étalement de certains investissements non indispensables, qui ne relèvent ni des investissements de sécurité, ni des investissements inscrits en contrat de plan, ni des investissements productifs. Voilà comment se présente, à mes yeux, l'équation globale de la région Alsace.

M. le Rapporteur : On entend souvent évoquer le désengagement de l'État. Le préfet de la région Languedoc-Roussillon, que nous avons soumis au même exercice il y a un mois, a ouvert une autre approche : celle d'un effort accru de l'État sur le territoire régional, pris globalement, celui-ci pouvant s'exercer ou non par l'intermédiaire des collectivités territoriales. Cet agrégat vous paraît-il présenter un intérêt ? Pouvez-vous l'évaluer ? Comment évolue l'effort de l'État sur le territoire de la région Alsace ?

M. Michel THÉNAULT : C'est une approche que je ne réfuterai pas. J'en ai également une, personnelle, dont je vous ferai part après avoir répondu à votre question.

Nous ne manquons pas d'instruments pour évaluer l'effort de l'État, à commencer par les contrats de plan, leurs taux d'exécution et les conditions de l'équation financière pour terminer - il n'est un secret pour personne ici que les contrats de plan sont toujours un peu surbookés et chronologiquement optimistes, pour refinancer certaines opérations écornées par le surbooking.

Le taux d'exécution du contrat de plan État-région en Alsace est aujourd'hui de 52 à 55 % selon les rubriques, de 57 % pour les routes et de 40 % pour le ferroviaire - sachant que l'on ne comptabilise pas de la même façon les engagements de la SNCF et les engagements routiers. Au total, le taux d'engagement paraît tout à fait comparable à celui des années précédentes ; à noter que le conseil régional n'en discute ni le rythme, ni le montant.

S'agissant des opérations inscrites au contrat de plan mais arrêtées pour cause de surbooking, les tunnels par exemple, personne, fût-il ingénieur, élu ou préfet, n'a jamais réussi à tenir les devis, sauf énorme coup de chance avec la géologie. Les surcoûts sont inévitables. Ce genre d'opérations écorne notablement la masse financière restante. Nous avons pu reclasser en catégorie 1 de financement la troisième voie ferrée dans la plaine d'Alsace, indispensable pour accueillir le TGV et faciliter l'insertion des TER, au prix certes d'un léger décalage chronologique, l'effort financier allant au-delà des échéances du contrat de plan.

D'autres éléments ne pourront être chiffrés que dans quelque temps : ainsi pour le plan de cohésion sociale qui, dans une certaine mesure - formation via l'insertion, etc. - s'inscrit également dans le cadre régional, l'effort de l'État ne pourra être mesuré qu'au bout du bout, c'est-à-dire lorsque les contrats aidés auront été passés : cela se présente plutôt bien et ils sont plutôt mieux rémunérés que certains autres contrats auparavant. Le logement est également une variable importante en termes de levier économique : dès cette année, nous faisons 40 % de plus. Autant d'exemples, et donc d'agrégats que je serais capable de vous calculer, au moins provisoirement : je ne réfute donc pas l'approche de M. Francis Idrac.

J'ajoute que l'expression « désengagement de l'État », souvent et depuis longtemps entendue à propos des finances locales, ne me paraît pas toujours mesurée comme il faudrait. La décentralisation correspond au transfert de certaines compétences, avec les ressources afférentes à l'euro près. Mais elle ne peut pas se limiter à faire faire par d'autres, elle doit faire plus, peut-être mieux, que ce que l'État faisait jusque-là ; le but profond est bien de prendre en compte des besoins auxquels l'État était incapable de répondre ou entre lesquels il lui était impossible d'arbitrer. Entre un lycée à Brive-la-Gaillarde et un autre à Molsheim, soit il n'en faisait aucun, soit il décidait lequel... Aujourd'hui, les deux sont faits. La satisfaction du besoin de service local a été nettement améliorée ; reconnaissons pourtant que la DGD était loin d'être à la hauteur... Malgré cela, aucun lycée en France n'est en ruine ; c'est donc bien la preuve que la décentralisation a permis de répondre à un besoin exprimé.

Certes, nous avons connu quelques problèmes de crédits de paiement sur certaines rubriques - la culture, par exemple -, mais cela ne nous a pas conduits à arrêter les chantiers, seulement à « lever le pied » pendant quelques mois sur certains d'entre eux qui n'avaient pas démarré ou dont les deuxièmes tranches étaient conditionnelles. La situation a finalement été rétablie et les engagements contractuels intégralement respectés.

Enfin, il ne faut pas être grand clerc pour deviner que l'actuel contrat de plan, pour des raisons financières mais également techniques, ne sera pas achevé dans les délais, quand bien même nous sommes à près de 60 % d'engagements et probablement l'une des régions métropolitaines les mieux placées. Se poseront dès lors les questions de son allongement à enveloppe constante et de son articulation avec la phase qui suivra l'acte II de la décentralisation, notamment le décroisement des routes - compétence départementale certes, mais quelle région n'intervient pas sur des routes départementales dans le cadre d'un contrat de plan ? La question de l'après-contrat de plan ne viendra qu'ensuite.

M. le Rapporteur : Sait-on mesurer la totalité des dépenses de l'État sur un territoire donné, qu'il s'agisse du salaire des enseignants ou de la contribution aux investissements inscrits en contrat de plan ? Autrement dit, combien la République a-t-elle mis sur l'Alsace, année après année, depuis dix ans ? Sait-on répondre à cette question simple ?

M. Michel THÉNAULT : Oui, on sait le mesurer et à l'euro près. Ce chiffre est cité dans le rapport des services de l'État.

M. le Rapporteur : Et il intègre tout ?

M. Michel THÉNAULT : Peut-être pas les rémunérations, mais par choix, non par impossibilité. Il suffit de faire l'addition.

M. Dominique ABRAHAM : L'exercice est un peu particulier, mais il a été déjà fait en Bretagne. Reste que nous en avons une idée précise.

M. le Rapporteur : Il nous intéresserait d'avoir ce chiffre, car c'est une mesure parmi d'autres de l'effort de l'État.

M. Michel THÉNAULT : Y compris les dotations, DGD, DGF ?

M. le Rapporteur : Tout compris. Il s'agit en effet d'un moyen d'appréhender l'effort de l'État sur un territoire et durant une période donnée. Il faudra intégrer - ou non - les dépenses de personnel, mais également de pensions. Peut-être sera-t-il bon de définir plusieurs agrégats pour répondre à ces précautions méthodologiques.

M. Michel THÉNAULT : Pour certaines interventions dans le domaine agricole, par exemple, comme les crédits transitant par les offices via le CNASEA, il faudra plus que quelques jours...

M. le Rapporteur : Mettez toutes les précautions méthodologiques que vous voulez, mais, au-delà du débat nécessairement récurrent sur le niveau d'engagement de l'État, il ne serait pas inintéressant que celui-ci puisse s'appuyer sur un ensemble d'indicateurs un tant soit peu cadrés.

M. Alain GEST : Les dépenses de formation devraient croître, avez-vous dit, de 6 %. Indépendamment des facteurs démographiques propres à la région Alsace, n'est-ce pas également lié à la décentralisation de la formation continue, de l'apprentissage notamment ? Pour les routes, quelles sont les raisons de la croissance, elle aussi de 6 %, des dépenses d'amélioration du réseau ?

Le contrat de plan a, comme c'est effectivement la coutume, pris du retard : un an environ, tout comme le précédent. Mais ce retard a-t-il eu des incidences sur les dépenses déjà engagées par le conseil régional d'Alsace ?

Enfin, les régions ont désormais la possibilité de participer à des investissements dans le domaine de la santé. La région Alsace a-t-elle ou non des intentions dans ce domaine ?

M. Michel THÉNAULT : Contrairement à un cliché répandu, l'Alsace n'est pas la région de France où les gens sont le mieux formés. Dans cette région industrielle, on travaille assez jeune, on entre en stage très tôt et, sitôt qu'on est bon, on est embauché par l'entreprise. Et lorsqu'on a dix-huit ou dix-neuf ans, on est content d'avoir un travail et l'on se dit que l'on n'en aurait peut-être pas un meilleur avec un BTS...

M. Alain GEST : Je connais bien cela dans mon propre département !

M. Michel THÉNAULT : Malheureusement, qu'arrive-t-il sitôt que survient un pépin, une difficulté, une moins bonne conjoncture économique, comme c'est le cas aujourd'hui ? L'Alsace a une industrie très diversifiée, mais sept salariés sur dix sont employés par des groupes dont 40 % sont sous management étranger, autrement dit au sein de grosses unités, parfois internationales, soumises à des arbitrages d'actionnaires. Or, lorsqu'on se retrouve à trente-cinq ou quarante ans à rechercher un emploi, il faut bien passer par la formation. D'où des besoins et un volume de dépenses de formation accrus, d'autant que la région ne lésine pas sur les moyens de sa politique en la matière : elle va au-devant des besoins, ce qui est très bien, tout en développant parallèlement avec l'État des programmes tels que la lutte contre l'illettrisme, étonnamment répandu en Alsace.

M. Alain GEST : Pour parler clair, l'augmentation de ces dépenses est-elle d'abord due à une politique volontariste de la région, compte tenu du contexte que vous avez décrit ?

M. Michel THÉNAULT : Parfaitement. S'il est une priorité à retenir de la stratégie du conseil régional et de son président, c'est l'économique - autrement dit les infrastructures et un peu d'aide aux entreprises, soit 20 millions d'euros - et la formation. Le reste, c'est du supplément.

S'agissant des routes, j'aurais peut-être dû être un peu plus nuancé. Les 6 % d'augmentation recouvrent non seulement des « saccades » de crédits de paiement, mais aussi des autorisations de programme et d'autres opérations arrivées à maturité ; par ailleurs, nous allons signer avec la région et les autres collectivités participantes un avenant au contrat de plan pour élaguer le surbooking, confirmer ou reclasser certaines opérations, décroiser les routes départementales et accorder les actions des diverses collectivités pour voir ce que nous ferons après. Autrement dit, nous avons déjà une feuille de route. Et, quoi qu'il en soit, la région poursuivra son effort sur les axes majeurs, aux côtés des autres collectivités. D'où cette progression des dépenses, due à un « millefeuille » de crédits de paiement, mais également à la volonté de poursuivre des opérations parfois non totalement programmées, mais d'ores et déjà identifiées.

M. Alain GEST : Certaines régions ont expliqué l'augmentation de leur fiscalité par la mauvaise exécution du contrat de plan ou du programme ferroviaire, ce qui les auraient contraintes à faire des avances. En a-t-il été de même pour l'Alsace, même si elle n'a pas augmenté sa fiscalité régionale ?

M. Michel THÉNAULT : Autrement dit, les régions ont-elles été tendanciellement en avance sur leurs fonds de concours et ont-elle fait la trésorerie de l'État en préfinançant délibérément certaines de ses opérations ?

M. Alain GEST : Voilà !

M. Michel THÉNAULT : Je n'irai pas jusqu'à dire que l'on a définitivement renoncé à ce type d'arrangement : il est exact que les collectivités territoriales en Alsace, toutes catégories confondues, ont, par rapport aux engagements de l'État sur l'ensemble des infrastructures, 7 millions d'euros d'avances en fonds de concours. Mais l'an dernier, c'était le contraire... Autrement dit, même si c'est un peu cavalier, nous sommes dans l'épaisseur du trait par rapport aux volumes d'investissements inscrits dans le contrat de plan, en ce qui concerne le rythme d'appel de fonds.

Je ne nie pas en revanche, M. le Recteur le confirmera, que nous avons ce type d'arrangement sur l'IUFM, que le département du Bas-Rhin a délibérément choisi de préfinancer - nous avons obtenu l'accord du ministre pour rembourser ensuite. Mais nous n'avions rien demandé ; si le département l'a fait tout de suite, c'est parce qu'il en avait le désir et les moyens. La situation que vous ont rapportée certaines régions n'existe pas ici.

La région Alsace a choisi de participer à la commission exécutive de l'ARH, mais seulement avec voix consultative, sans participation financière.

M. Alain GEST : C'est ce que prévoit la loi...

M. Michel THÉNAULT : Elle participe avec voix consultative, parce qu'elle a décidé de ne pas apporter d'argent.

M. Michel PIRON : En fait de désengagement, il s'agirait plutôt, à suivre votre exemple des lycées, d'un non-engagement de l'État face à des choix difficiles. Mais si les régions s'engagent désormais là où l'État ne s'engageait pas, elles doivent évidemment y consacrer des crédits supplémentaires... Disposez-vous de ratios montrant qu'à dépense égale, la région ferait plus, ou mieux, ou moins, ou moins bien ?

M. Michel THÉNAULT : La région s'est délibérément engagée dans un ambitieux programme pluriannuel de modernisation et d'investissement sur les lycées : 76 millions d'euros sont prévus au budget 2005 au titre de la rénovation des lycées. Loin d'être un minimum minimorum - l'application de la norme de sécurité, le capot sur les machines dans les lycées professionnels, le désenfumage, etc. -, il s'agit d'une politique très volontaire du président Adrien Zeller.

M. Michel PIRON : J'ai bien compris. Mais existe-t-il un ratio capable d'indiquer que, à dépense égale, la région ferait plus ou moins bien que l'État ?

M. Michel THÉNAULT : Je ne sais pas répondre à cette question, mais je crois qu'on peut difficilement faire mieux qu'elle. Lorsqu'elle décide d'investir sur un lycée, la région y installera le panneau solaire le plus approprié, la chaufferie au bois si possible, bref, tout un équipement 30 % plus cher, mais très performant, ce que jamais l'État n'aurait fait, sauf à récupérer une subvention de la région...

M. Gérald CHAIX : Le Préfet a rappelé à juste titre que la décentralisation n'était pas seulement un phénomène de transfert, mais de passage d'une échelle nationale, qui se confond avec celle de l'État, à une échelle régionale, donc de proximité. Ce que fait la région ne peut pas, en l'occurrence, se comparer à ce que fait l'État, dans la mesure où elle ne se substitue pas à lui, mais traite le problème d'une autre façon.

M. le Rapporteur : Comment le contribuable s'y retrouve-t-il à la sortie ?

M. Michel PIRON : Il doit tout de même être possible d'établir un comparatif des crédits d'entretien et de maintenance, personnels compris, afin d'en mesurer l'efficacité.

M. le Rapporteur : Nous avons souvent entendu dire, et encore ce matin par le président du conseil général du Haut-Rhin, que, dès lors qu'elles auront la responsabilité des TOS, les collectivités territoriales devront en recruter davantage, du fait notamment de la « pression citoyenne ». De tels recrutements vous paraissent-ils justifiés dans la mesure où les lycées et collèges, à vous entendre, sont propres ? On peut discuter à l'infini des sous dotations ; nous n'avons pas encore rencontré de départements ou de régions avouant être surdotés alors qu'en bonne logique il devrait s'en trouver ! Sommes-nous en train de nous engager dans un mouvement où la dépense publique croîtrait mécaniquement ?

M. Michel PIRON : Qu'est-ce que la pression citoyenne, M. le Rapporteur ?

M. le Rapporteur : C'est l'expression que l'on a utilisée devant nous, mon cher collègue.

M. Michel PIRON : J'entends bien, mais j'aimerais être éclairé sur ce que pourrait être une pression non citoyenne !

M. Gérald CHAIX : Je ne peux préjuger de ce que feront la région et le département une fois qu'ils seront en charge du fonctionnement de ces établissements ; pour l'heure en tout cas, celui-ci est bien assumé par l'État. Libre au département d'augmenter ensuite la présence des TOS dans les collèges s'il le juge nécessaire : c'est un libre choix ; le contribuable étant un électeur, nul doute que le président du conseil général prendra sa décision en toute connaissance de cause.

M. le Président : Y a-t-il dans la région des postes non pourvus ? Et s'ils existent, pourquoi ?

M. Gérald CHAIX : Il n'y a pas de postes de TOS non pourvus dans l'académie de Strasbourg.

M. le Président : C'est bon à savoir... En entendant les responsables de l'Éducation nationale expliquer que l'on ne transférait pas les postes de TOS non pourvus, j'en avais déduit qu'il en existait. Mais s'il s'y en pas en Alsace, c'est tant mieux.

M. Gérald CHAIX : J'avoue ne pas bien comprendre le sens de la question.

M. le Rapporteur : J'avais pour ma part compris la même chose que le Président Augustin Bonrepaux. Les TOS sont pour nous un vaste sujet d'intérêt... Je ne sais pas s'il existe dans chaque collège ou lycée l'équivalent d'un « plan d'armement », à l'instar de ce qui se passe pour les bateaux, mais il doit certainement y avoir un effectif théorique et un effectif pourvu.

M. Michel THÉNAULT : Il y a une référence mathématique et elle figure dans la convention de mise à disposition. Il y a chez nous 2 400 postes...

M. le Rapporteur : Il doit bien y avoir un plan d'armement théorique. Si M. Dominique Antoine nous a parlé de postes pourvus, c'est bien qu'il y en a qui ne le sont pas !

M. Michel THÉNAULT : Tel ou tel poste dans un lycée peut, à un moment, n'être pas physiquement pourvu parce que Mme Untel attend un bébé, que M. Untel est en congé maladie ou que tel autre est en vacances ou en congé parental, ce qui perturbe évidemment la vie d'un établissement. Pour faire face à cette difficulté récurrente, mais incontournable sur un effectif de 2 400 personnes, M. le Recteur a dû, dans un certain nombre de cas, mettre à disposition des personnels auxiliaires...

M. le Rapporteur : Ceux-là font partie de la photo, nous a-t-on dit.

M. Michel THÉNAULT : De la photo et du prix de la photo.

M. le Président : Tout à fait.

M. Michel THÉNAULT : Cela représente une centaine de personnes. Rapportées à un effectif de 2 400, cela fait 5 %. Ce n'est pas rien.

M. le Rapporteur : Mais il peut y avoir des emplois théoriques non pourvus.

M. Michel THÉNAULT : Non. Pas sur la photo.

M. le Président : C'était bien le sens de ma question.

M. Gérald CHAIX : Le recteur dispose de postes de titulaires d'un côté, et d'un crédit pour recruter des contractuels de l'autre.

M. le Rapporteur : N'y a-t-il pas de troisième notion ? Un plan d'armement théorique ?

M. Gérald CHAIX : C'est autre chose. C'est peut-être à ce troisième élément que M. Dominique Antoine faisait référence, et cela mérite une longue discussion. Lorsqu'il compare les académies, il est fatalement amené, pour assurer une certaine équité, à les classer en fonction de leur nombre de TOS. On se retrouve ainsi avec, au sommet, la Corse, la mieux dotée, et tout à la fin, l'académie de Nice. Celle de Strasbourg est en vingt-sixième position sur trente... Cette situation est perçue par les collectivités territoriales comme une sorte de déficit, qu'elles vont jusqu'à chiffrer très concrètement à 255 postes. Mais c'est une pure illusion statistique...

M. le Rapporteur : Soit. Mais lorsque les syndicats disent qu'il manque tant de postes dans tel établissement ?

M. Gérald CHAIX : Cela ne veut rien dire. Par rapport à quoi ?

M. Alain GEST : Par rapport au tableau.

M. Gérald CHAIX : Par rapport à ce tableau qui, à partir d'un classement des académies de 1 à 30, permet de calculer une moyenne, ou plus exactement une médiane, en fonction de laquelle telle académie apparaîtra surdotée et telle autre sous-dotée. Mais rien de concret n'autorise à affirmer que, dans tel collège, il faudrait deux postes de plus ou de moins.

M. Michel THÉNAULT : J'ajoute qu'une fois le transfert opéré et le financement effectué, on ne pourra plus rien comparer. Les agents en question seront basculés dans un cadre d'emploi déterminé. La rémunération sera fixée par la loi ou par le décret, mais il y aura le reste : or aucune collectivité n'a le même régime indemnitaire que l'autre... Je suis certain que cela coûtera plus cher, mais tout aussi certain qu'aucune comparaison ne sera possible sans retraitements.

M. le Rapporteur : C'est une des vertus sociales de la décentralisation !

M. Michel PIRON : Cette obscure clarté...

M. le Rapporteur : Sur le coût et les indemnités justement, j'y vois de moins en moins clair. Le recteur de l'académie de Montpellier nous a déclaré ne pas connaître le temps de travail des TOS. M. Dominique Antoine nous a expliqué toute la difficulté pour faire respecter les 35 heures à cause des prescriptions de la circulaire Lang : pas plus de 40 heures par semaine en période scolaire, pas plus de 25 jours pendant les vacances scolaires, vingt minutes de pause, les conditions propres aux jours fériés, etc. Tant et si bien que l'on est très loin des 1 607 heures prévues par la loi, ou même des 1 593 heures du régime alsacien. Or tout à l'heure, l'inspecteur d'académie comme le président du conseil général du Haut-Rhin...

M. Alain GEST : Lui-même proviseur !

M. le Rapporteur :... nous ont l'un et l'autre déclaré que le régime des 1.593 heures était appliqué en Alsace, soit nettement plus que ce que permet la circulaire Lang.

M. Gérald CHAIX : Il y a deux jours de moins !

M. le Rapporteur : Deux jours de onze heures ! ?

Quel est donc réellement le temps de travail effectif en Alsace ? Si l'on est effectivement proche des 1 607 heures, les collectivités territoriales ne pourront pas bénéficier de l'élément de souplesse avancé par M. Dominique Antoine : les TOS étant mal payés mais ne travaillant pas beaucoup, les collectivités pourraient négocier avec eux une meilleure indemnité en contrepartie d'un temps de travail plus important. Mais si la vertu alsacienne fait qu'ils sont déjà au maximum du temps de travail, que pourront-elles proposer ?

M. Gérald CHAIX : En Alsace comme dans le reste du pays, les conditions dans lesquelles le service des TOS est effectué dans les établissements, telles qu'elles sont définies dans la circulaire du 21 janvier 2002, ne correspondent sans doute pas au service accompli dans les collectivités territoriales.

M. le Rapporteur : Pourquoi l'inspecteur d'académie du Haut-Rhin et le président du conseil général, lui-même proviseur, nous disent-ils le contraire ?

M. Gérald CHAIX : Je ne connais que la position de la région.

M. Alain GEST : Il est tout de même assez extraordinaire que sur ce sujet,...

M. le Rapporteur : Un sujet à 100 000 agents !

M. Alain GEST :... nous ne parvenions pas, après avoir pourtant auditionné nombre de personnes, à obtenir des indications aussi carrées et précises que celles fournies dans d'autres domaines par M. le préfet tout à l'heure ! À croire que ce sujet est totalement interdit de débat, la faiblesse de la rémunération de ces personnels ayant, semble-t-il, donné lieu à une sorte de compensation non dite, tant et si bien qu'il nous est impossible d'obtenir le moindre chiffre précis.

M. Michel THÉNAULT : Il serait effectivement bon de connaître le temps de travail effectif et je comprends votre reproche ; mais il va bien falloir le connaître au moment du transfert effectif. La négociation que vous esquissez et à laquelle M. Charles Buttner a fait référence rejoint exactement la position de la région : entre un temps de travail dont il faudra discuter, le versement dans un cadre d'emploi qui n'existe pas encore, un régime indemnitaire inconnu faute de cadre d'emploi...

M. Alain GEST : On nous a assuré que le cadre d'emploi serait intégralement couvert par l'État. Encore pourra-t-on en sortir par la suite pour intégrer purement et simplement la fonction publique territoriale.

M. le Rapporteur : Si le temps de travail est dès à présent au taquet, il n'y a plus de marge de discussion sur ce point, mais seulement sur celui de savoir si l'on est à 1 ou 8 sur la grille indemnitaire. Cela devient très inconfortable pour les collectivités...

M. Michel THÉNAULT : C'est une vraie négociation...

M. le Rapporteur : Mais sans la contrepartie temps de travail.

M. Michel THÉNAULT : Le cadre d'emploi sera probablement un cadre d'emploi de la filière technique ou de maîtrise, disons du « C », échelle 4 ou 5. Ce à quoi viendra s'associer un régime indemnitaire, fixé par décret par comparaison avec celui de l'État. La collectivité a son propre régime indemnitaire, qu'elle a elle-même déterminé en fonction de situations d'avant 1984 : pas une n'a le même et c'est tout à fait légal. Que va faire la région ? Elle va simplement vérifier si son contremaître ou son menuisier et le TOS sont astreints à la même pénibilité en termes de temps de travail, puisqu'ils appartiennent au même cadre d'emploi. Si tel n'est pas le cas, elle modulera le régime indemnitaire en conséquence. C'est en tout cas la position qu'a fait connaître le président Adrien Zeller.

M. le Rapporteur : Me confirmez-vous que, à votre connaissance, le temps de travail des TOS est inférieur à la norme alsacienne ?

M. Gérald CHAIX : En toute franchise, je ne sais pas vous répondre. Mais nous avons bien conscience que cela peut poser un problème.

M. le Rapporteur : Ce serait bien de savoir, M. le recteur !

M. Michel PIRON : Séduit par la complexité du sujet, j'aurais aimé savoir si vous aviez un éclairage sur ce qui, au-delà de l'Alsace, se pratique en termes de temps de travail dans des régions plus méridionales...

M. Michel THÉNAULT : Non. L'Alsace suffit à mon bonheur...

M. le Président : Nous interrogerons le ministre : il est censé tout savoir !

M. Alain GEST : Mme Ségolène Royal nous a indiqué que, dès 2005, son budget régional prenait en compte des éléments financiers liés au transfert des TOS, notamment pour des problèmes d'assurance.

M. le Rapporteur : Elle nous a dit qu'elle devait les assurer.

M. Alain GEST : Cela vous paraît-il possible ? Est-ce le cas en Alsace ?

M. Gérald CHAIX : Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.

M. le Président : En 2006, les personnels de l'Équipement, comme ceux de l'Éducation nationale, seront mis à disposition, mais totalement pris en charge par l'État. Autrement dit, les départements et les régions n'auront rien à payer. Le confirmez-vous ?

M. Michel THÉNAULT : Les situations diffèrent selon les départements, y compris sur le plan chronologique. Au jour d'aujourd'hui, le transfert des routes nationales n'est pas encore effectif : un projet de décret a été soumis aux conseils généraux, lesquels ont émis ou non des réserves. Le Gouvernement va analyser toutes les réponses avant de publier le décret ; les routes nationales seront alors transférées. À ces routes seront affectés des crédits d'entretien, calculés sur les cinq dernières années - pour le Bas-Rhin, c'est réglé : cinq millions d'euros par an - et les personnels qui travaillaient sur ces routes.

Partant de là, il y a trois types de départements : ceux qui sont quelque peu en difficulté, faute de bien connaître l'actuel régime de mise à disposition des personnels travaillant sur les routes départementales et nationales - je crois que le Haut-Rhin est concerné ; ceux qui ont choisi le régime de l'article 7 et ont réalisé la scission parfaite des personnels ; ceux enfin qui sont sous le régime de l'article 6, c'est-à-dire avec mise à disposition de personnels de l'État aux départements. Le Bas-Rhin étant dans ce dernier cas, la première chose à faire, avant le 4 avril, était de décroiser nos personnels par une convention de mise à disposition. C'est chose faite : la convention prévoit explicitement le nombre d'équivalents temps plein (ETP), l'effectif correspondant - 260 ETP, soit un peu plus de 400 personnes -, plus les fonctions supports. Tout cela donnera lieu à compensation financière.

M. le Président : Tout est calculé ?

M. Michel THÉNAULT : Absolument.

M. Jean-Claude FESTOR : Cette opération, réalisée avant le 4 avril, s'inscrit dans le dispositif de l'article 6 de la loi de 1992 ; il ne s'agit pas du transfert de compétences - il y a bien longtemps qu'il est fait pour les routes départementales -, mais de la mise à disposition des personnels travaillant sur les routes concernées. L'objectif est que ces services soient effectivement transférés au conseil général fin 2006. La mise à disposition concerne à peu près 500 agents, mais, la mise à disposition portant pour certains sur des temps de travail très réduits, l'équivalent temps plein correspondant à cette compétence se chiffre exactement à 261 agents, auxquels s'ajoutent 11 agents au titre des fonctions supports. Tout cela est d'ores et déjà écrit dans la convention. Il ne saurait être question de confondre le nombre d'agents travaillant sur les routes départementales, certains à 100 %, d'autres pour une fraction minime de leur temps de travail, et le nombre d'équivalents temps plein.

Pour ce qui est maintenant du transfert des routes nationales, nous sommes pratiquement arrivés à un accord, M. le Préfet l'a dit, sur la quantité de routes à transférer : 140 kilomètres environ sur un total de 403 kilomètres dans le Bas-Rhin. Reste une quinzaine de kilomètres de « routes orphelines », des tronçons en zone urbaine qu'il faudra déclasser. À ces 140 kilomètres transférés au département correspondent précisément 43 agents pour l'entretien et l'exploitation, 15 agents environ pour les études et travaux, plus quatre ou cinq agents au titre des fonctions supports. Tout cela est parfaitement clair et précis. Il ne restera plus qu'à le finaliser, une fois le décret publié. Il est toutefois préférable d'éviter deux transferts à six mois d'intervalle, le premier pour les routes départementales, le second pour les routes nationales, et de tout transférer en même temps. Quant à savoir à partir de quand cela coûtera à la collectivité, ce sera plutôt pour l'année 2007...

M. le Président : C'est bien ce qu'il me semblait.

M. Jean-Claude FESTOR : L'objectif est de faire en sorte que les services soient en situation de travailler avant la période des travaux de viabilité hivernale : on ne va pas transférer les moyens et les services au 1er janvier, au moment où il neige, au risque de semer la panique dans un service essentiel au fonctionnement d'une région.

Le transfert aux collectivités territoriales se traduira-t-il par des dépenses de personnel plus élevées ? Je ne peux pas répondre à cette question. Je sais en revanche, depuis quinze ans que je travaille dans les services de l'Équipement, que nous perdons en moyenne 1 % de nos effectifs par an, sans que la qualité du service ait baissé outre mesure. Du côté des agents travaillant pour le compte du département, nous sommes passés de 25 à 27 millions d'euros au titre de l'entretien, des grosses réparations, etc., avec des effectifs qui ont baissé en moyenne de 1 % par an. Certes, il est des endroits où il devient difficile d'assurer correctement la viabilité hivernale sans déroger aux règles applicables en matière de temps de travail. C'est un réel problème et il se posera tout autant demain, d'autant que les collectivités territoriales, contrairement à l'État, ne sont pas leur propre assureur. Nous sommes parfois obligés de recourir à des entreprises privées qui ont le plus grand mal à répondre à nos demandes. La viabilité hivernale nous pose ainsi de réelles difficultés, du fait de la baisse continue des effectifs de l'État.

M. Michel PIRON : Les effectifs ont peut-être baissé, mais il y a des gains de productivité et les techniques s'améliorent. Dans quantité de métiers, ce pourcentage n'a rien d'extraordinaire.

M. Jean-Claude FESTOR : La réduction du temps de travail s'applique également à la fonction publique, et nous n'avons pas reçu de moyens supplémentaires pour y faire face.

M. Michel PIRON : J'avais oublié ce « détail » !

M. Jean-Claude FESTOR : Ce à quoi est venue s'ajouter la directive européenne sur le temps du travail, qui elle aussi s'applique désormais dans la fonction publique. Ma plus grande difficulté est de faire en sorte que les personnels ne travaillent pas plus de dix heures pendant la période de viabilité hivernale. Cela nous pose de sérieux problèmes d'organisation.

M. Michel THÉNAULT : Nous n'excluons pas, dans l'organisation territoriale - pratiquement négociée - que nous sommes en train de mettre en place avec le département, de faire de l'article 6 à l'envers pour certaines tâches, comme le département l'a lui-même proposé.

La gestion de crise est une priorité à laquelle il nous faut dès maintenant nous attacher. Aujourd'hui, c'est le préfet qui est responsable, qu'il s'agisse du plan hivernal ou autre. Demain, avec une responsabilité limitée à une minorité de routes, avec des pouvoirs partagés sur le réseau routier, il sera hors de question qu'il prenne systématiquement la main. Or aucun protocole n'a, à ma connaissance, été prévu dans la loi à cet effet, hormis peut-être dans la loi sur la modernisation de la sécurité civile. Il va bien falloir mettre en place une convention fixant les conditions d'intervention de chacun, y compris de la gendarmerie et des polices, en appui aux services de l'équipement, ce que la décentralisation n'avait pas prévu.

M. Alain GEST : Un article avait été bien été prévu, mais rédigé de telle manière qu'il était particulièrement désagréable pour les collectivités territoriales... Il a donc été supprimé.

M. Michel THÉNAULT : J'ignorais ce détail...

M. le Président : Il aurait été bon de le rédiger d'une autre façon !

M. le Rapporteur : Notre Commission d'enquête étudie également les conséquences de l'évolution de la fiscalité locale pour les ménages et les entreprises. Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Dominique ABRAHAM : Le préfet vous a déjà donné la plupart des éléments. Mon analyse personnelle est que l'Alsace jouissait en 1999, date de mon arrivée, d'une excellente santé économique et financière, ce qui lui assure des bases solides et dynamiques, particulièrement pour le foncier bâti et non bâti, en forte progression de 2001 à 2005, et une taxe professionnelle dont le produit, bien qu'en progression faible, reste supérieur de 17 % à la moyenne de la strate.

De surcroît, la fiscalité locale a pu être maintenue à un niveau raisonnable. Les taux étant inférieurs aux moyennes nationales, il reste des marges de fiscalité relativement larges, exception faite de la ville de Strasbourg. L'indice de pression fiscale étant de 0,87, il y a vraiment de la marge, même si les taux progressent.

Cette situation favorable, qui a perduré jusqu'en 2001-2002, a également été mise à profit par bon nombre de collectivités pour se désendetter à un rythme soutenu. L'année 2003 a vu un retournement ; même si l'endettement reprend un certain allant, les marges 2004 restent vraiment très larges, puisque six mois de recettes de fonctionnement courant suffisaient pour apurer la dette. Le préfet, dont l'analyse ne se fonde pas seulement sur les comptes 2004, vous a parlé tout à l'heure de deux ans en 2005. Le niveau d'endettement, de 87 euros par habitant en 2002, est passé à 167 euros par habitant en 2004 et devrait atteindre, si l'on en croit le dernier débat d'orientation budgétaire de la région, 397 euros en 2010 - autrement dit, il sera multiplié par cinq.

Cette situation tient d'abord aux fondamentaux historiques de l'économie alsacienne. Je ne vois pour ma part pas de trace des incidences de la décentralisation dans les comptes 2003, 2004 et 2005, comme cela vient d'être dit pour ce qui est des routes et des TOS. Le ferroviaire a été bien absorbé en fonctionnement ; sur l'investissement, le discours mérite d'être un peu plus nuancé, notamment pour ce qui touche au renouvellement du parc, car il y a des attentes.

La région, tout en privilégiant l'économie et la formation, me semble déterminée à attendre de connaître le coût définitif de la décentralisation en adoptant une attitude pragmatique, qui consiste à privilégier l'emprunt pour ne pas toucher à l'impôt et à ne dépenser qu'à hauteur de ce qui est transféré. C'est ainsi en tout cas que j'analyse la politique du président Adrien Zeller. Le même pragmatisme se retrouve dans tous les domaines : ainsi en a-t-il été pour la gratuité des livres scolaires - la presse a fait des comparaisons avec Montpellier - qu'il a tenu à lier au revenu. Le président Adrien Zeller souhaite aussi des expérimentations ; elles auront un coût, que je ne peux chiffrer pour l'instant. La situation de l'économie donne lieu à une émulation entre les départements et la région, certes positive, mais qui coûtera de l'argent.

M. le Rapporteur : Émulation ou double emploi ?

M. Dominique ABRAHAM : Précisément, la région et les départements entendent tous deux essayer de sauver l'emploi et de soutenir l'investissement.

M. le Rapporteur : Si toutes les régions et tous les départements adoptent la même stratégie d'endettement, cela pourrait avoir un réel impact sur les déficits, pour peu que l'on s'en tienne à une vision « maastrichtienne » des choses...

M. Michel THÉNAULT : Le recours à l'emprunt n'est pas inscrit dans le marbre, mais il est inéluctable pour financer des investissements qui, à l'image du TGV à Strasbourg, finiront par rapporter, pour peu que l'on sache s'y prendre. Il n'est qu'à se référer à l'expérience du passé : en 1993, les collectivités territoriales avaient, de mémoire, 46 milliards d'euros de besoins de financement. Nous étions loin des critères de Maastricht. 1995 a vu le plan de stabilisation : blocage des dotations ou presque, réforme de la DGF, tant et si bien que les collectivités ont touché moins. On aurait pu s'attendre à une explosion de l'emprunt. Au bout du compte, les capacités de financement des collectivités étaient rétablies dès 1998... Autrement dit, le pire n'est jamais sûr.

Je crois aux capacités de rétablissement des collectivités, en différant simplement quelques investissements. Pour la région, l'investissement forme une bosse, non un millefeuille. Tout le problème pour la région sera de la gérer après 2008. Va-t-elle refaire ses lycées tout de suite après le TGV ou un peu plus tard ? Je suis presque certain que, dès 2012, sa capacité de désendettement sera revenue à des niveaux raisonnables. Je n'ai évidemment pas une vision macro-économique, mais je ne suis pas enclin au pessimisme. Quant au département du Bas-Rhin, ce n'est pas la peine d'en parler : tout va bien, la situation primaire est bonne.

M. le Président : Si tout va bien, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

Audition de M. Olivier ORTIZ,
Président de la Chambre régionale des comptes d'Alsace,
et M. Roberto SCHMIDT, Président de section


(Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Olivier Ortiz et Roberto Schmidt sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue en vous rappelant que notre Commission d'enquête a pour objet d'examiner l'évolution récente de la fiscalité locale, ses causes et ses conséquences, ainsi que les conditions d'une responsabilité mieux assumée de l'ensemble des décideurs. Vous êtes ici les représentants de la juridiction financière chargée en Alsace, non seulement de vérifier la régularité des comptes locaux, mais aussi d'apprécier la qualité de la gestion des ordonnateurs. Nous souhaiterions donc que vous nous indiquiez quelles sont, selon vous, les causes de l'évolution de la fiscalité locale pour les différentes collectivités - région, départements, communes et intercommunalités les plus significatives - relevant de votre ressort. Sans doute devrez-vous nous préciser les périodes sur lesquelles vous pouvez vous exprimer.

M. le Président rappelle à MM. Olivier Ortiz et Roberto Schmidt que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Olivier ORTIZ : Nous sommes heureux de venir répondre aux questions de votre Commission. Cependant, du fait de la date très récente de ma prise de fonctions, mais aussi et surtout des obligations auxquelles nous sommes soumis, nous avons conscience que notre apport apparaîtra plutôt limité par comparaison avec vos précédentes auditions durant lesquelles vous avez pu entendre les principaux acteurs locaux.

Deux éléments me paraissent devoir être rappelés en préambule. Premièrement, nous appartenons à une juridiction dont le principe de fonctionnement collégial nous amène à ne pouvoir engager la collégialité que sur les éléments définitifs, tels qu'ils résultent une fois la procédure contradictoire intégralement menée à son terme. Deuxièmement, et dans le même esprit, la conduite des contrôles en cours oblige les magistrats de la Chambre et en premier lieu son président à respecter le secret et à garder le silence sur les éléments en cours d'instruction. Or quatre des collectivités auxquelles vous vous intéressez - la région Alsace, le département du Haut-Rhin, la commune de Strasbourg et la communauté urbaine - font actuellement l'objet de contrôles de la Chambre pour la période qui vous intéresse. Les ayant entamés début 2005, nous ne sommes pas encore parvenus au terme de la procédure contradictoire. Ils devraient pour l'essentiel être achevés l'hiver prochain ; nous pourrons alors vous communiquer des éléments détaillés. En attendant, les éléments définitifs et contredits que nous vous avons communiqués sur ces collectivités portent évidemment sur des exercices anciens au regard de vos préoccupations. Nous nous efforcerons de les compléter dans la mesure de nos moyens.

Les missions de la Chambre régionale des comptes s'exercent essentiellement dans le cadre d'un contrôle financier a posteriori, ce qui explique le délai de traitement des exercices, mais la Chambre a également l'occasion d'agir de manière un peu plus contemporaine dans le cadre du contrôle des actes budgétaires. Cette procédure, moins contrainte par les règles d'une pleine et totale contradiction, s'exerce dans un délai relativement bref et nous autorise à une parole relativement plus libre. Le contrôle des actes budgétaires est notamment l'occasion pour les chambres d'examiner certaines situations de tension, de constater les choix fiscaux arrêtés par les collectivités, de les analyser et de formuler des propositions, transmises sous forme d'avis aux intéressées et au représentant de l'État. Ce pourrait être pour vous un terrain plus fructueux, à ceci près que les quatre collectivités déjà mentionnées n'ont pas été appelées au contrôle des actes budgétaires dans la période qui vous intéresse. Ce constat est toutefois par lui-même assez révélateur de leur situation, dans la mesure où il prouve l'absence de tensions budgétaires ou financières importantes, qui auraient pu se traduire par des saisines budgétaires. D'une manière générale, cela illustre assez bien la situation des collectivités alsaciennes qui, dans l'ensemble, ont su jusqu'à présent maîtriser la croissance de leurs éléments de fiscalité locale.

M. Roberto SCHMIDT : M. le Président, vous avez, dans votre propos introductif, ajouté les intercommunalités à l'échantillon que vous nous aviez soumis. Sans doute aborderez-vous de sujet de façon plus approfondie lorsque vous auditionnerez M. Jean-Philippe Vachia, Président de la Chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, chargé de la synthèse d'une enquête nationale sur l'intercommunalité.

La Chambre régionale des comptes d'Alsace, pour avoir elle-même abordé le sujet, peut d'ores et déjà attester que l'intercommunalité se développe autour de la fiscalité propre, en l'occurrence la taxe professionnelle unique, mais également en termes d'activité par la production grandissante de services à la population. Sans doute peut-on relever des insuffisances dans la concertation et la coordination entre la ville-centre et l'intercommunalité, qu'il s'agisse de la mise en commun ou de la réflexion sur l'évolution des structures : dès lors qu'elle perd des compétences, la ville-centre doit chercher à adapter sa structure en conséquence. L'adéquation entre la structure de l'intercommunalité et celle de la ville-centre pourrait être un thème de réflexion susceptible d'aboutir à une meilleure organisation permettant une meilleure maîtrise des charges et donc, le cas échéant, des deux fiscalités additionnées.

Les quatre grandes collectivités alsaciennes se caractérisent par une base fiscale importante et dynamique, avec certes des variations que vous avez pu mesurer, chacun des responsables ayant dû avant nous vous décrire en détail la constitution de leur patrimoine et de leur masse fiscale. Mais nous pouvons rapidement vous indiquer ce que nous avons observé dans le passé sur chacune d'elles.

Ainsi, la région Alsace, comme le relate le rapport de la Chambre régionale des comptes de mai 2000, pensait que son programme d'investissements très conséquent - il comprenait notamment la réalisation de l'hôtel de région - pourrait être financé par la seule progression des bases : 4 % par an en moyenne au cours des exercices 1997 à 2000. C'est précisément ce dynamisme qui explique que les taux n'aient pas augmenté de façon importante. Toutefois, l'inflexion que semble connaître l'économie régionale à partir de 2004 - le taux de chômage atteint 8,5 % de la population active, certes encore inférieur à la moyenne nationale, mais en forte progression - appelle à une réflexion sur les conséquences d'un relatif ralentissement économique sur l'évolution des bases et, partant, sur la fiscalité des collectivités territoriales.

À propos de la ville de Strasbourg, la Chambre écrivait, dans sa lettre du 27 juillet 2000, qui portait sur la même période : « la marge d'autofinancement courant a permis à la collectivité de recourir modérément à l'emprunt. » Cette phrase résume plusieurs considérations, à commencer par le fait que la ville n'est pas endettée, non plus que la région ; mais sa marge de manœuvre est moins importante et sa fiscalité relativement sollicitée : le coefficient de mobilisation du potentiel fiscal était passé de 1,17 en 1995 à 1,28 en 1998. De son côté, la communauté urbaine de Strasbourg jouit d'une situation financière remarquable qui lui assure un autofinancement élevé. Elle aussi a des programmes d'investissements importants, avec notamment l'extension du tramway, mais elle pourra les financer, au moins partiellement, par autofinancement.

Le département du Haut-Rhin, enfin, me semble un exemple représentatif d'un département moyen, avec des taux d'évolution de la fiscalité départementale assez significatifs - 6 % et 3 % en 2005, 2004 et 2003 - qui témoignent de l'accroissement des charges auxquelles les départements ont dû faire face depuis 2003.

M. le Rapporteur : Les collectivités vous semblent-elles avoir des stratégies bien arrêtées en matière de ressources fiscales, qui consisteraient à majorer l'impôt en jouant sur les dégrèvements et les exonérations, c'est-à-dire sur ce qui, au final, est payé par l'État ? De telles stratégies sont-elles lisibles ? Leur intensité ou leur évolution dans le temps sont-elles repérables ?

M. Olivier ORTIZ : Nous sommes bien évidemment attentifs à ces aspects. Au moment d'engager un contrôle, nous prenons toujours comme point de départ une analyse financière qui nous donne une appréciation d'ensemble de la situation de la collectivité, de sa qualité ou éventuellement de sa dégradation qui a pu motiver une saisine. Nous nous appuyons naturellement sur les comptes de la collectivité, mais également sur les considérations parfois véritablement stratégiques qui se dégagent des débats d'orientation budgétaire. Tous ces éléments nous permettront d'orienter le contrôle sur les thèmes où les opérations engagées par la collectivité nous font pressentir un risque.

Au fil des années, une réflexion stratégique s'est fait jour, illustrée notamment dans le champ fiscal. Nous sommes pleinement conscients du problème général posé par la réforme de la fiscalité locale, mais force est de reconnaître, la plupart des observateurs se plaisent à le souligner, que l'État est devenu aujourd'hui le principal contribuable local. Cette dimension ne peut être ignorée.

Ces analyses de stratégies peuvent également être conduites dans le cadre du contrôle des actes budgétaires, dans la mesure où, pour assurer le rétablissement des équilibres, la Chambre est amenée à évaluer précisément des choix et éventuellement à proposer un recours à la fiscalité. L'irruption des transferts de compétences, voire de nouvelles charges hors transfert, a pu poser des problèmes d'évaluation : ainsi en est-il du traitement des déchets, où la mise aux normes européennes fait peser sur les collectivités des charges auxquelles elles ne sont pas toujours à même de répondre dans les délais prévus par le cadre communautaire, ce qui peut les amener à développer certaines stratégies. Pour certaines collectivités, la hausse des bases est telle qu'elles font appel à la hausse des taux à titre strictement complémentaire. D'autres, au contraire, compte tenu du caractère moins dynamique de leurs bases, peuvent en arriver à remettre en cause leurs orientations en la matière.

M. Roberto SCHMIDT : Il ne me semble pas que les collectivités territoriales soient amenées à orienter leur stratégie financière en fonction des seuls éléments de compensation. Cela ne me paraît pas, en tout cas, l'élément déterminant. Certaines ont évidemment pu adapter leur stratégie en matière de logements sociaux, par exemple, afin de bénéficier d'un abondement de DGF ; c'était du reste la raison d'être de cette incitation financière, qui pour elles s'apparente un peu à une incitation fiscale. J'ai tendance à penser, par expérience, que les collectivités ajustent d'abord leurs politiques fiscales à leurs charges, quitte à arbitrer ensuite au vu des incitations décidées par le législateur.

M. le Rapporteur : Au-delà des collectivités que nous avons entendues aujourd'hui, revenons sur la question des relations entre l'intercommunalité et la ville-centre. Au début de notre travail, un des experts entendus avait appelé notre attention sur les risques d'explosion financière, ou tout au moins d'accidents sérieux, pouvant survenir dans des intercommunalités plutôt polarisées autour de petites villes. C'était à ses yeux une des principales pathologies à craindre pour les finances locales au cours des années à venir. Avez-vous eu à connaître de telles situations en Alsace ou dans les régions dans lesquelles vous travailliez auparavant ? Ce type de configuration signifie-t-il quelque chose pour vous ?

M. Michel PIRON : Entre l'intercommunalité à fiscalité additionnelle et l'intercommunalité à TPU, laquelle vous semble la plus fragile - la plus sensible notamment à la volatilité de l'assiette, mais également à la capacité d'acceptation du contribuable ? Le problème ne se pose guère pour la TPU, dans la mesure où les entreprises ne votent pas en tant que telles, mais il peut en aller tout autrement dans le cas d'une imposition additionnelle à laquelle les ménages seront plus sensibles.

M. Roberto SCHMIDT : Sur la volatilité, la réponse n'est pas facile et ne vaut qu'au cas par cas. Dans un secteur où se développent des industries de pointe ou, à l'inverse, des industries sans risques, on peut compter sur les bases. Mais dans une vallée textile des Vosges, il en ira tout autrement.

M. Michel PIRON : Ma question était plus relative qu'absolue. Pour une intercommunalité avec un périmètre relativement restreint, et donc un parc d'entreprises par essence réduit, le risque doit être beaucoup plus grand que dans le cas d'intercommunalités disposant d'entreprises beaucoup plus nombreuses et d'un tissu économique capable de se renouveler beaucoup plus rapidement. Avez-vous des éléments de réponse ?

M. Roberto SCHMIDT : Pas vraiment, hormis quelques analyses générales. Je voudrais insister sur l'idée que, finalement, l'évolution de la fiscalité est d'abord déterminée par l'évolution de l'ensemble des charges - qu'elles soient propres, nouvelles ou transférées - des collectivités territoriales. Le cas de la ville moyenne m'a souvent préoccupé : la nouvelle communauté de communes à TPU qui se crée va souvent, pour se faire connaître dans la vallée ou la zone, chercher à imprimer sa marque sur le paysage par un équipement important, tel qu'une médiathèque, une piscine, un centre nautique, etc., et qui la plupart du temps répond du reste à un besoin. En voyant apparaître ce nouvel équipement structurant, on peut effectivement craindre l'enclenchement d'un cycle « mégalomaniaque ». Reste que, si ces équipements coûtent cher, ils sont souvent payants et génèrent donc des ressources. Au demeurant, on devrait moins s'inquiéter du coût de l'investissement initial - qui peut s'amortir sur une longue période - que des charges de fonctionnement non maîtrisées que peuvent induire de telles installations.

Il faut également se méfier de l'idée selon laquelle, dès lors que la ville-centre dispose d'un ensemble de services, toutes les communes membres devraient bénéficier du même niveau de services, au risque de conduire à la création d'une structure intercommunale très importante, cependant que la ville-centre ne cherchera pas à réajuster ses services supports en conséquence. Or, dès lors que la collectivité centre se défait d'une partie de ses compétences, il est logique que ses services se redimensionnent en fonction des seules compétences qui lui restent. Quoi qu'il en soit, je maintiens qu'il est toujours difficile d'augmenter la fiscalité : une collectivité ne s'y résout que lorsque le niveau de ses charges l'exige.

M. Olivier ORTIZ : Il faut rappeler que la commune de Strasbourg et la communauté urbaine ont réalisé un rapprochement de leurs services. Cet élément n'est pas indifférent lorsqu'on sait les doublons, et donc les surcoûts qui peuvent apparaître. La situation strasbourgeoise est, de ce point de vue, tout à fait remarquable.

M. Michel PIRON : On a souvent accusé l'intercommunalité de ne générer que des frais de personnels, les nouveaux effectifs liés à l'intercommunalité ne remplaçant que très rarement, sinon jamais, les personnels dits communaux. Mais peut-on établir que si les intercommunalités n'avaient pas existé, la multiplication des attentes, auxquelles les communes auraient bien été contraintes de répondre, aurait probablement conduit à une inflation des postes communaux, sans même le bénéfice de la mutualisation ? Le développement des intercommunalités s'est-il accompagné d'une stabilité des effectifs communaux ? A-t-on des courbes retraçant l'évolution comparée des effectifs communaux et de ceux liés à l'intégration intercommunale ? J'ai tendance à penser que les emplois créés dans le cadre des intercommunalités ont peut-être épargné à bien des communes membres la création de nouveaux postes à temps plus ou moins partiel.

M. Roberto SCHMIDT : La question a été posée dans le cadre de l'enquête actuellement menée par les chambres régionales des comptes sur l'intercommunalité. Il est encore un peu tôt pour y répondre précisément. Je vous suggère de la reposer à M. Jean-Philippe Vachia, qui aura une vue d'ensemble au niveau national.

M. le Rapporteur : Nos travaux devraient nous amener à réfléchir sur ce que pourraient être des règles sur la communication financière des collectivités territoriales. On peut également s'interroger, au moment où l'État met en œuvre la LOLF, sur la mise en place d'indicateurs de performance dans le cas des collectivités. Avez-vous quelques analyses sur ces deux questions ?

M. Olivier ORTIZ : La loi du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes a eu pour effet de donner une définition et un contenu à l'examen effectué par les chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités territoriales - ce qui, en fait d'innovation, a surtout abouti à conforter des pratiques existantes. Reste que cette définition légale a précisé certains concepts et les chambres régionales des comptes auraient tout intérêt à pouvoir identifier précisément des objectifs, des moyens et des résultats afin de dégager une série d'éléments mesurant l'économie, l'efficience, l'efficacité, en un mot la performance. Tout en appelant cette démarche de nos vœux, nous nous efforçons nous-mêmes de la traduire dans le déroulement de nos instructions et dans les observations que nous formulons à l'adresse des collectivités.

Force est de constater, au fil des années, dans les collectivités importantes, mais parfois dans de plus petites, une prise de conscience de ces préoccupations, avec notamment un développement sensible des procédures de contrôle interne, que nous nous attachons à articuler avec le contrôle externe que nous-mêmes effectuons. Certains champs de l'action territoriale sont peut-être un peu plus difficiles à évaluer sur le plan des performances : la collectivité elle-même nous semble parfois avoir quelque mal à définir, non les objectifs, mais le référentiel qui lui permettra d'évaluer elle-même sa performance dans le domaine considéré. C'est du reste la raison pour laquelle nous nous efforçons, dans le cadre d'un dialogue avec la collectivité, de voir si elle-même est parvenue à mettre au point de tels outils et, à défaut, de bâtir quelques éléments de mesure que nous lui proposons de valider. Cet exercice est évidemment très difficile à mener sans un accord sur les termes du référentiel. Reste que ces éléments de performance sont de plus en plus déterminants ; et si la LOLF a contraint l'État a s'engager dans cette démarche, celle-ci commence à se répandre dans les collectivités territoriales, et nous nous attachons à appuyer autant que nous le pouvons toutes les initiatives allant dans ce sens.

M. le Rapporteur : Les indicateurs sur lesquels vous travaillez sont-ils standardisés ?

M. Olivier ORTIZ : En plus des approches méthodologiques conduites dans le cadre du ressort de chaque chambre régionale des comptes, nous avons des structures de concertation interne, entre chambres régionales des comptes, mais aussi entre chambres régionales des comptes et Cour des comptes. Des travaux conjoints sont de plus fréquemment menés entre la Cour et les chambres, tant les politiques publiques sont de plus en plus imbriquées, faisant souvent appel à des crédits d'État, voire des crédits européens, et des crédits locaux. Certes, nous avons bien conscience que, dans des secteurs tels que le social, il pouvait être très difficile pour la collectivité d'élaborer elle-même des outils allant au-delà des seuls indicateurs d'activité ou procéduraux - nombre de dossiers, etc. Le dialogue qui s'établit avec nous dans le cadre de l'instruction a précisément pour objet de lui permettre de progresser dans ce domaine et d'être à même de valider l'appareil méthodologique sur lequel s'appuiera la chambre pour formuler ses observations. Si les chambres régionales des comptes n'ont pas formellement une mission de conseil au sens strict du terme, nous avons bien conscience que nos recommandations peuvent être utiles et accompagner une démarche qui, pour certaines collectivités, est déjà bien engagée.

M. le Rapporteur : Il serait bon que vous nous fassiez part de vos propositions et de vos réflexions sur les indicateurs.

M. Roberto SCHMIDT : Les chambres régionales des comptes ont leur pratique propre et la loi définit très précisément leurs compétences. Il leur est parfois arrivé d'avoir l'impression de manquer de standards de contrôle ; d'où une certaine envie d'aller recopier un modèle préexistant. Mais si la LOLF est parfaitement adaptée aux problèmes posés par les finances publiques de l'État, n'oublions pas que les collectivités territoriales ont la nomenclature M14, laquelle, désormais bien digérée, s'avère être un bon outil comptable. En permettant de présenter les services à caractère industriel et commercial de façon individualisée, certains services sous forme de budget annexe, etc., la M14 fournit toute l'information financière souhaitable. Pour ce qui est de la diffusion de l'information financière aux citoyens, il y a le programme électoral des élus, sur lequel les chambres ne formulent évidemment aucune observation. Nous avons enfin le débat d'orientation budgétaire, une fois par an ; l'État lui-même s'est résolu à reprendre cette bonne pratique des collectivités territoriales dans sa propre procédure budgétaire.

M. le Rapporteur : Le débat d'orientation budgétaire des collectivités n'est pas toujours très riche.

M. Roberto SCHMIDT : J'ai trouvé dans de nombreuses collectivités territoriales un véritable débat d'orientation budgétaire, avec la tranche annuelle du programme. Le vote du budget lui-même est public ; certes, les ratios y sont en nombre limité mais, pour peu qu'on les explique, ils prennent, me semble-t-il, une réelle consistance et une signification pour le citoyen. On pourra toujours faire mieux en termes de critères de performance, mais la base locale existe d'ores et déjà.

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions de votre participation aux travaux de notre Commission.

Audition de M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE,
Directeur de la défense et de la sécurité civiles,
accompagné de M. Bertrand CADIOT,
Sous-directeur des sapeurs-pompiers et des acteurs du secours,
et M. Philippe DESCHAMPS, Chef du bureau des services d'incendie et de secours


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Christian Galliard de Lavernée, Bertrand Cadiot et Philippe Deschamps sont introduits.

M. le Président : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Notre Commission d'enquête ayant été interpellée sur le coût croissant des SDIS pour les départements, nous souhaitons vous entendre nous expliquer les causes de cette augmentation, nous faire part des perspectives d'évolution, et nous indiquer s'il est possible de mieux maîtriser les coûts, mais aussi quelles sont les possibilités pour les départements d'obtenir de meilleures aides à l'investissement. Celles de l'État se sont en effet fortement réduites puisque la part correspondante de DGE a disparu et que, contrairement à ce qui avait été dit, elle n'a pas été remplacée. D'autre part, l'entrée en vigueur du nouveau statut des sapeurs-pompiers se traduit par un effort important pour les départements ; or, les présidents de conseil général que nous avons entendus ont indiqué que l'aide de l'État n'est pas à la hauteur.

M. le Président rappelle à MM. Christian Galliard de Lavernée, Bertrand Cadiot et Philippe Deschamps que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Avant de vous faire part des éléments dont nous disposons sur les dépenses des services départementaux d'incendie et de secours et sur leur évolution probable, j'exposerai les conditions institutionnelles dans lesquelles la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a rénové leur organisation.

Après qu'à l'automne 2003 l'Assemblée des départements de France (ADF) avait adopté une motion demandant l'étatisation des SDIS, l'examen du projet de loi de modernisation de la sécurité civile a donné lieu à des débats très nourris sur la situation de ces services historiquement communaux, et dont la départementalisation n'a été engagée qu'en 1996. Lors de la préparation de la loi, nous avons suggéré de corriger les quelques défauts de la départementalisation plutôt que de choisir l'étatisation, solution qui nous paraissait contraire à l'histoire de ces services et contraire, aussi, au mouvement de décentralisation que le Gouvernement entendait poursuivre à cette époque. Certaines mesures ont donc introduit dans la loi le principe d'un contrôle politique sur l'ensemble de la vie des SDIS.

La première mesure a consisté à modifier les règles de désignation des membres du conseil d'administration du SDIS - pour que chaque conseil général soit désormais assuré d'y avoir la majorité politique, ce qui n'était pas le cas auparavant, et ce dans une dizaine de départements. Il a aussi été inscrit dans la loi que le président du conseil d'administration du SDIS est, de droit, le président du conseil général, sauf s'il souhaite désigner un autre membre du conseil d'administration du SDIS pour assumer cette fonction ; en tout état de cause, il en est désormais la source de l'autorité politique. Ensuite, les dépenses ne sont plus votées librement par le conseil d'administration du SDIS pour se traduire en dépenses obligatoires du département : c'est au contraire le conseil général qui détermine librement sa contribution et indique au conseil d'administration du SDIS dans quel cadre budgétaire il doit exercer ses responsabilités de gestion. En outre, le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques est désormais soumis à l'avis du conseil général, et non plus seulement à celui du conseil d'administration du SDIS, avant son adoption par le préfet. Enfin, la loi donne aux conseils généraux qui le souhaitent la faculté de passer avec le SDIS une convention pluriannuelle qui s'apparente au mode de tutelle moderne des établissements publics qu'est le contrat d'établissement. C'est donc un contrôle nouveau par le conseil général qui a été instauré, son président devenant l'unique autorité de gestion.

En créant par ailleurs la conférence nationale des SDIS, la loi institue un second contrôle politique : celui du pilotage national des SDIS. La conférence est en effet composée d'élus, de représentants des sapeurs-pompiers et de représentants de l'État, mais les élus, avec vingt sièges sur trente-deux, dont quatorze pour l'ADF, y disposent de la majorité. Et, même si les constitutionnalistes ont souligné qu'une commission administrative ne peut émettre des avis conformes sur la préparation de projets de loi, MM. Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin se sont successivement engagés à respecter les avis de la conférence. En d'autres termes, le Gouvernement ne veut pas imposer des réformes ou des mesures nationales coercitives pour les SDIS sans avoir recueilli l'avis favorable de la conférence, où les élus sont majoritaires. On a donc créé l'expression nationale du pouvoir local qui manquait à un pilotage harmonieux et responsable des SDIS. La gestion départementalisée demeure, car il s'agit d'un optimum pour la gestion ; mais les présidents des conseils généraux ont désormais les moyens de contrôler les mesures nationales qui peuvent s'imposer pour des raisons de qualité ou d'interopérabilité du service, ou en raison du statut unique des sapeurs-pompiers professionnels, lesquels font partie de la fonction publique territoriale.

Enfin, la loi a été l'occasion pour l'État de clarifier les responsabilités financières entre lui et les conseils généraux. La volonté a été affirmée de laisser aux collectivités territoriales une responsabilité qui, historiquement, a toujours été la leur mais qui, dans le prolongement de l'option retenue par la loi relative à la démocratie de proximité, reviendra entièrement aux départements à partir du 1er janvier 2008. À cette date, la totalité des « contingents incendie » communaux sera remise sous forme de DGF aux départements, désormais seuls contributeurs aux SDIS au nom de la communauté de vie du département.

Dans le même temps, l'État a voulu marquer sa responsabilité dans deux domaines. En premier lieu, lors de circonstances exceptionnelles dans lesquelles un département ne se suffit pas à lui-même pour porter secours, la chaîne opérationnelle de l'État (avec les préfets de zone) organise les secours extérieurs et les finances : c'est la solidarité nationale qui s'exprime. En 2003, année lourde avec des feux de forêt et des inondations, cet effort lui a coûté 30 millions d'euros. D'autre part, l'État a substitué la même année au versement de DGE pour les SDIS un fonds d'aide à l'investissement, doté de 45 millions d'euros en 2003 et qui s'élève à 65 millions d'euros en crédits de paiement en 2005. La voie est donc celle d'une progression tranquille mais obstinée, l'objectif à cinq ans étant une dotation de 90 millions d'euros. L'objet de ce fonds est de faciliter l'adhésion de tous les SDIS aux projets d'investissement d'importance nationale, tel le projet ANTARES qui vise à assurer la modernisation des transmissions des SDIS et leur interopérabilité avec le réseau de transmission des services de police et bientôt des SAMU et de la gendarmerie.

Au delà, l'État a considéré que, comme pour les dépenses de santé, il convenait de prévoir une progression des dépenses de sécurité civile supérieure à l'augmentation moyenne des autres dépenses. La loi de finances pour 2005 prévoit donc l'attribution aux départements d'une fraction de taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, correspondant à 900 millions d'euros, en échange de DGF. Cette ressource étant de 2,5 % plus dynamique en moyenne sur les cinq dernières années que la part de la DGF à laquelle elle se substitue, les départements en retireront chaque année un surcroît de recettes de quelque 22 millions d'euros au départ qui les aidera à supporter l'évolution des charges liées aux SDIS - lesquelles représentent 2,9 milliards d'euros au total.

J'en viens à ce que nous savons des dépenses des SDIS et à leur évolution possible. On comprend que l'impressionnant taux de croissance annuelle des dépenses, après la départementalisation, ait pu contrarier tous les gestionnaires et les responsables politiques de ces services. Il s'est en effet établi à 10 % en 1998 puis, successivement, à 26 %, 44 %, 17 %, 11 %, 8 % et enfin 6,4 % en 2004. Pour 2005, l'estimation fondée sur les budgets primitifs est encore de 6,2 %. La tendance est donc marquée, mais elle résulte pour partie d'une comptabilisation complète des dépenses, auparavant inexistante. Cela étant, une augmentation de 6,2 % en 2005, c'est encore beaucoup.

Il convient toutefois de relativiser cette dépense, car la contribution aux SDIS représente 3,25 % des recettes de fonctionnement des départements et 2,05 % des recettes de fonctionnement des communes et des EPCI, soit une contribution de 26 euros par habitant pour les conseils généraux, à comparer aux 379 euros de dépenses d'aide sociale. Si, donc, les dépenses liées aux SDIS ont évolué extrêmement vite et continuent d'évoluer de manière significative, elles ne représentent pas un budget aussi considérable qu'on s'en inquiète souvent. Pour autant, le fait que ces dépenses de sécurité soient indispensables ne doit pas dissuader de chercher à les maîtriser.

La loi de modernisation n'a aucun impact financier significatif, exception faite de la création d'un régime de retraite par capitalisation pour les sapeurs-pompiers volontaires. Cette mesure a été décidée avec la conviction que le tarissement du volontariat aurait des conséquences financières désastreuses sur l'organisation de la sécurité civile française. Cette politique de fidélisation a aussi pour avantage d'éviter de devoir répéter, à l'issue de chaque engagement de cinq ans, les frais que représentent l'équipement de chaque volontaire et les 240 heures de formation qui font un sapeur-pompier. Le coût de cette mesure, 60,3 millions d'euros, correspond, à très peu de chose près, à l'estimation initiale. L'État, comme promis, en financera la moitié par de la DGF supplémentaire ; 20 millions d'euros ont été provisionnés à cette fin dans la loi de finances initiale pour 2005 et le PLF 2006 devra prévoir un complément de 10 millions d'euros pour garantir l'accord politique et financier intervenu entre l'État et les départements.

Après le matériel, les camions, les équipements de sécurité, les SDIS sont aujourd'hui confrontés à des problèmes immobiliers. Il faut prendre la mesure des casernements nécessaires en redéfinissant le maillage territorial, la départementalisation ayant permis de réorganiser des centres communaux parfois trop nombreux. Bien des bâtiments sont à refaire, mais le rythme des travaux relève de la libre administration des collectivités.

Une autre préoccupation des gestionnaires tient aux effectifs. Nous travaillons, je l'ai dit, au maintien du volontariat, mais l'effectif doit évidemment correspondre à l'activité et aux missions. Or, l'accroissement très important de l'activité des SDIS - qui se stabilise depuis deux ans - tient essentiellement aux secours à personnes. Aussi convient-il de travailler à une bonne répartition des tâches entre SDIS, SAMU et professionnels libéraux de santé, notamment les ambulanciers privés. La singularité du dispositif tient à ce que les interventions des SDIS sont gratuites, alors que celles des intervenants de la santé sont payées par la sécurité sociale sur l'ONDAM. Aussi le contrôle des dépenses des SDIS passe-t-il également par la régulation de leur activité, pour éviter que la gratuité des secours qui les caractérise n'entraîne trop de sollicitations pour les sapeurs-pompiers au regard de leur vocation, qui est le prompt secours.

M. le Rapporteur : Peut-on évaluer précisément la part de l'augmentation des dépenses des SDIS qui se traduit, depuis dix ans maintenant, en augmentation de la fiscalité locale ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Depuis 2002, il n'y a plus d'impact pour les communes et les EPCI, dont la contribution est plafonnée au taux d'évolution de la DGF, et je ne pense pas qu'il y ait davantage d'incidence en matière immobilière, sauf dispositions particulières de certaines conventions de transfert.

Les départements contribuent pour 50 % en moyenne au budget des SDIS, ce qui représente 3,25 % de leurs recettes de fonctionnement. On sait que l'accroissement de la dépense a été de 6,4 % en 2004 et qu'il est estimé à 6,2 % pour 2005, mais le plafonnement des contributions des communes se répercute mécaniquement avec un effet de levier sur les contributions des départements, qui doivent payer l'excédent. De ce fait, l'augmentation de leur contribution est de l'ordre de 10 % à 11 %, et il leur faut donc trouver 0,32 point de recettes supplémentaires pour les SDIS.

M. Michel PIRON : Le calcul ne peut se faire qu'en rapportant l'augmentation de la dépense des SDIS à la masse fiscale départementale préexistante. C'est le seul ratio qui vaille. En effet, on utilise les hausses de recettes fiscales, concomitantes avec l'évolution des dotations, pour financer aussi d'autres dépenses obligatoires qui ont augmenté, notamment le social.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Pour procéder à ces calculs, il faut bien entendu raisonner toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire en considérant que les autres dépenses n'augmentent pas.

M. le Rapporteur : Si je vous ai bien compris, l'État ne finance pas les SDIS, exception faite du fonds d'aide à l'investissement.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : C'est exact, et il ne l'a jamais fait avant. On dit beaucoup qu'il s'agirait d'une compétence transférée, et qui devrait donc être financée, mais ce n'est pas le cas : l'État n'a jamais financé les SDIS.

M. le Rapporteur : Alors, comme le dit notre collègue Michel Piron, l'impact de l'augmentation des dépenses se mesure bien par rapport aux recettes fiscales. Un tableau retraçant l'évolution par département des dépenses des SDIS nous serait utile. Par ailleurs, les communes contribuent-elles au financement des programmes immobiliers des SDIS ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : L'immobilier des SDIS a été départementalisé, mais certaines conventions de transfert ont laissé en 1996 à la charge des communes ou de leurs syndicats l'amortissement d'emprunts contractés pour les centres de secours.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il des programmes neufs ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Les communes n'ont plus d'autres dépenses obligatoires, pour deux ans encore, que le « contingent incendie ». Tout le reste est entièrement départementalisé.

M. le Rapporteur : Pour ce qui est des avis de la conférence nationale des SDIS, mesurez-vous la contrainte imposée au législateur ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Oui. C'est pourquoi une consultation conduite par le Président de la Commission des lois de votre Assemblée a conclu à l'interdiction constitutionnelle d'inscrire dans la loi que les avis de la conférence sont des avis conformes. Mais deux ministres de l'intérieur successifs ont affirmé qu'ils ne passeraient pas outre la volonté de la majorité de la conférence. Il s'agit d'un engagement politique, à défaut de pouvoir être juridique.

M. le Rapporteur : Pourquoi la part du financement du SDIS assumée par le conseil général de l'Hérault est-elle particulièrement faible ? Un rattrapage est-il prévu ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Le ruban bleu n'appartient pas à l'Hérault mais au Nord, dont la participation est inférieure à 20 %, mais avec un rattrapage dû au plafonnement de la contribution des communes depuis la loi relative à la démocratie de proximité. À l'autre extrémité de la courbe, il y a l'Essonne, avec une participation de 99 %. On retrouve ainsi l'histoire des libertés locales et les habitudes prises dans chaque département. Le plus souvent, la répartition est de 40 % pour les communes et de 60 % pour les départements, mais l'on constate de grandes variations, et la participation de nombreux départements ne dépasse pas 30 %.

M. le Rapporteur : Autrement dit, l'augmentation de la dépense est d'autant plus importante pour les départements que leur participation antérieure était faible.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Bien sûr, l'effet de levier est plus puissant.

M. le Rapporteur : Pourquoi l'augmentation soutenue des dépenses de sécurité civile serait-elle une fatalité ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Il existe une très forte attente sociale de pouvoir sauver des vies, d'atténuer des accidents et de mieux protéger les biens et l'environnement. Un effort pédagogique est nécessaire pour faire comprendre à nos concitoyens que la sécurité civile est l'affaire de tous et que le risque zéro n'existe pas, mais la pression qui s'exerce est si vive qu'elle conduit souvent les conseils généraux à faire de ces dépenses une priorité. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'elles ne doivent pas être régulées mais je constate, pour rester dans le registre de la litote, qu'elles ne sont pas vouées à rester étales. Voilà pourquoi la décision a été prise de leur affecter le transfert d'une part de TSCA : à dépense dynamique, recette dynamique.

M. le Rapporteur : L'organisation des SDIS fait souvent penser à une armée mexicaine. Cela traduit-il la volonté du législateur ou le libre choix de l'administration locale ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : J'ai trop de respect pour les sapeurs-pompiers, dont je sais la valeur, pour reprendre à mon compte le terme que vous avez employé, mais je conçois que l'on puisse s'interroger sur les effets combinés, ici où là, des deux facteurs que vous venez de citer. En effet, si le décret de 2001 sur la réforme de la filière a prévu d'appliquer un nouveau mode de calcul de l'effectif d'encadrement des sapeurs-pompiers avec un repyramidage par grade, les conseils d'administration des SDIS ne sont jamais obligés d'atteindre les plafonds d'officiers définis.

M. le Rapporteur : Mais ils s'en approchent souvent.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Oui.

M. le Rapporteur : L'évolution constante des normes de sécurité a un fort impact sur les budgets des collectivités territoriales, sans qu'elles soient beaucoup associées à leur élaboration. Comment cette évolution peut-elle être régulée ? Pouvez-vous en mesurer l'impact financier et envisager que les élus soient mieux associés à l'évolution normative future ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Aucune normalisation concernant les matériels d'intervention et l'équipement des sapeurs-pompiers ne se fera sans l'avis favorable de la conférence nationale des SDIS. Reste ce qui relève de la politique de prévention dans les établissements ouverts au public. Il y a là deux approches : celle de la commission centrale de sécurité présidée par le ministre de l'intérieur d'une part, l'activité des innombrables comités de normalisation français, européens et internationaux d'autre part. Aucun obstacle de principe ne s'oppose à une meilleure représentation des collectivités territoriales au sein des comités de normalisation, qui fonctionnent sur le mode du consensus entre fournisseurs et clients, et je suis tout prêt à examiner comment elle pourrait être favorisée.

M. le Rapporteur : Il faudra quand même éviter de créer une nouvelle bureaucratie à l'AMF !

M. Denis MERVILLE : À propos des normes de sécurité, je souhaite appeler votre attention sur certains errements, dans le prolongement du rapport que j'ai rédigé récemment pour la MEC sur les normes sportives. Dans mon canton de Seine-Maritime, alors qu'aucun problème n'avait été décelé l'année dernière, le responsable des pompiers a changé et quatre salles ouvertes au public ont été menacées de fermeture après le passage de la commission de sécurité. Vous imaginez les difficultés que cela pose, les salles étant, de longue date, louées pour des mariages, des communions ou d'autres manifestations. Pourquoi cette décision ? Parce que la desserte en eau ne serait pas suffisante, alors qu'elle l'était l'année précédente. Les maires m'interpellent en tant que député, mais je dois leur avouer que je n'ai jamais rien voté de tel. Bien entendu, le sous-préfet, ouvrant grand le parapluie, répercute l'avis défavorable de la commission, mais laisse aux maires le choix de passer outre. Comment serait-il possible de changer les canalisations d'eau en trois semaines, alors qu'il faut faire des études et demander des subventions au conseil général ? On ne sait pas où sont élaborées ces normes imposées et qui coûtent très cher, mais on en impute la responsabilité aux députés, qui n'en peuvent mais, puisqu'ils n'ont jamais rien voté à ce sujet.

M. le Président : Dans pareils cas, le maire est obligé d'assumer la responsabilité.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Faites-moi connaître les noms des communes concernées et je me renseignerai. Je sais que les exigences des sapeurs-pompiers en matière de débit d'eau suscitent très souvent des protestations des élus, notamment lors des demandes de permis de construire. Un groupe de travail national va être constitué de manière imminente, auquel seront associés des parlementaires, pour retravailler un très vieux texte et chercher des formules mieux ciselées, destinées à éviter ce qui est parfois ressenti comme un couperet.

M. le Président : On était moins exigeant autrefois, quand un cours d'eau passait à proximité. Serait-ce que les sapeurs-pompiers sont moins bien équipés qu'ils ne l'étaient pour pomper dans les rivières ?

M. le Rapporteur : Elles peuvent être asséchées...

M. le Président : Pas dans l'Ariège !

M. Denis MERVILLE : Ni la Seine !

M. Philippe DESCHAMPS : Que les instances soient nationales, européennes ou internationales, la normalisation est toujours un acte volontaire, et ceux qui y sont représentés sont toujours les mêmes : utilisateurs, industriels et autorités publiques. Or, les utilisateurs sont peu présents, les pouvoirs publics font de leur mieux - mais, malheureusement, la participation à ces instances doit être financée - et les industriels sont présents en masse, notamment au niveau européen.

M. le Rapporteur : Ce qui s'explique fort bien, puisque toute modification des normes crée du business. J'entends bien que l'élaboration de normes est un processus volontaire, mais celles-ci peuvent ensuite servir de base à des contraintes prudentielles ou réglementaires.

M. Philippe DESCHAMPS : Pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers, nous ne formulons que des préconisations ; les seules contraintes concernent leurs tenues.

M. le Rapporteur : Mais les normes de sécurité en vigueur pour les terrains de jeu, par exemple, ont un coût extravagant.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Cela relève de la responsabilité des ministères de la santé et de la jeunesse et des sports.

M. Michel PIRON : Il n'y a rien de plus dangereux qu'un bac à sable...

M. le Président : Les élus sont-ils représentés dans les comités de normalisation ?

M. Philippe DESCHAMPS : Ils en ont le droit mais ils n'y sont malheureusement pas.

M. le Rapporteur : Il faut acheter son ticket d'entrée !

M. Philippe DESCHAMPS : Oui, malheureusement.

M. Michel PIRON : J'insiste sur la nécessaire distinction entre les normes techniques et ce qui relève véritablement de la sécurité. J'en donnerai pour exemple cette maison de retraite de soixante lits, restée ouverte parce que je l'ai assumé malgré l'avis défavorable du préfet, lequel suivait un avis également défavorable de la commission de sécurité après qu'un directeur en mal de reconnaissance eut voulu faire procéder à un contrôle total, où l'on a tout mélangé. Aux termes du rapport remis par un certain cabinet, la remise aux normes supposait de reconstruire le bâtiment aux deux tiers ! L'approche normative est incertaine. Dans ce cas, j'ai fait de la résistance pour laisser ouverte la maison de retraite et obtenu que l'on distingue normes de sécurité et normes techniques, mais il a fallu que le colonel des pompiers se déplace pour affirmer que cette maison de retraite était l'une de plus sûres du département.

Une distinction claire s'impose entre normes techniques et normes de sécurité. Et leur définition a beau se faire, en théorie, en partenariat, les élus n'y participent pas. À supposer qu'ils y participent, ils doivent peser d'un poids suffisant pour rétablir l'équilibre face à des producteurs de normes intéressés, qui ne se livrent pas simplement à un exercice éthéré.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Les textes applicables aux établissements recevant du public sont clairement identifiés : il s'agit du « règlement incendie », seul fondement des avis des commissions de sécurité, qui évolue régulièrement et dont l'objet est d'éviter le risque de panique. Après l'incendie survenu au centre équestre des Bauges, en Savoie, au cours duquel des jeunes gens ont péri carbonisés dans un gîte d'étape où ils dormaient à proximité immédiate du fourrage, le contrôle périodique des établissements de cinquième catégorie est devenu obligatoire. Ce drame a fait déplorer l'extraordinaire cloisonnement mis à jour entre services, car le gîte avait reçu la visite d'inspecteurs de différents corps (impôts, travail, vétérinaire, jeunesse et sports), mais aucun n'avait jugé utile de prévenir la commission de sécurité incendie du risque. Quoiqu'il en soit, il faut éviter tout système de précaution paralysant et s'appuyer sur des textes précis.

Pour ce qui est de la normalisation, nous ne participons qu'aux comités qui traitent des équipements des sapeurs-pompiers et de tout ce qui permet de mieux protéger les bâtiments contre les incendies, tels que les matériaux résistants au feu. Les industriels poussent à la normalisation car ils y trouvent un intérêt direct dans le besoin de renouvellement des équipements, mais aussi parce que c'est un moyen d'éliminer des concurrents. L'aspect positif, c'est qu'une standardisation de la demande peut contribuer à la maîtrise des coûts.

M. Michel PIRON : On ne s'en est pas encore aperçu...

M. Jean-Pierre GORGES : La réforme des SDIS a, dans un premier temps, conduit au plafonnement de la contribution des communes selon un dispositif tenant compte du potentiel fiscal de chaque commune au sein du département et, menée à son terme, elle se traduira par le basculement complet du financement vers les conseils généraux. Ce système me paraît doublement pervers. Non seulement il n'y a plus aucune relation, pour les communes, avec le service rendu, mais aussi, sachant que les départements utilisent de 25 % à 30 % de leur budget pour financer d'autres activités que leurs compétences obligatoires, le risque est patent que les sommes ainsi transférées via la DGF soient utilisées à autre chose qu'aux dépenses des SDIS. L'augmentation de la fiscalité, elle, demeurera...

Pourquoi ne pas créer un système à fiscalité propre, avec une ligne « services de secours » clairement définie, comme il existe une ligne « eau » ou « ordures ménagères » ? Avec le système actuel, le risque est réel que l'on explique l'augmentation de la fiscalité par les dépenses liées au SDIS mais qu'une partie des sommes considérées serve à bâtir un rond-point, alors qu'il aurait fallu acheter deux camions de pompiers.

M. le Rapporteur : Y a-t-il une garantie que ce transfert de DGF ira aux SDIS ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Non. Il s'agit là de la libre administration des collectivités territoriales.

M. le Président : On pourrait, en effet, prévoir pour les SDIS un budget autonome, le taux d'imposition étant voté par les élus du département.

M. Jean-Pierre GORGES : Il faudrait surtout avoir la garantie de l'utilisation des fonds, une sorte de traçabilité.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Les SDIS sont une compétence obligatoire des départements, seuls contributeurs. J'imagine mal qu'ils ne l'assument pas.

M. le Rapporteur : Un conseil général de mauvaise foi pourrait expliquer devoir augmenter sa fiscalité parce qu'il ne reçoit plus de contribution des communes...

M. le Président : Les choses doivent être clarifiées pour que les citoyens se rendent compte qu'une part de l'impôt va aux SDIS. Pour le reste, la responsabilité des conseils généraux en ces matières est si importante qu'ils y mettront les moyens. Mais la traçabilité est nécessaire.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Lors de la discussion de la loi de modernisation de la sécurité civile, le ministre de l'intérieur a fait valoir que singulariser le budget des SDIS s'expliquerait mal. S'engager dans un dispositif tel qu'à chaque politique publique serait affecté un budget propre conduirait aussi à restreindre la liberté des conseils généraux de fixer leurs priorités. M. Nicolas Sarkozy avait aussi refusé l'idée d'une fiscalité propre, car il était certain qu'elle serait perçue comme un impôt nouveau. Il considérait cette option comme l'expression de la résignation à une augmentation trop forte des dépenses, où on dirait aux citoyens qu'il faut augmenter les impôts car c'est la faute aux SDIS...

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Une grande part des dépenses des SDIS est liée aux politiques nationales de sécurité ou de gestion du personnel. Ne peut-on donc imaginer que les SDIS se transforment en agences de sécurité civile, auxquelles seraient versées une dotation de l'État et une dotation locale ? Ainsi expliquerait-on les différences de conception de la sécurité selon les départements et les risques spécifiques (incendies de forêt, inondations, circulation) auxquels ils sont exposés. Au lieu d'envisager que la charge revienne à l'État seul, ce qui serait une renationalisation, ou seulement aux départements dans une fausse décentralisation, on peut imaginer une externalisation des services et un système mixte de financement. L'inquiétant, c'est la hausse naturelle de la dépense, quels que soient les départements considérés. Cela montre qu'il ne s'agit pas d'un problème local mais bien d'un problème national, et donc d'une responsabilité collective. On ne peut pas se satisfaire que ce qui relève d'une responsabilité nationale se traduise par l'augmentation de la fiscalité locale.

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Par application du principe de subsidiarité et dans un souci d'efficacité, les problèmes de sécurité sont l'affaire de tous les citoyens - de la base et, de plus en plus exceptionnellement, du sommet. D'ailleurs, l'article du code général des collectivités territoriales relatif à la police générale confie toujours au maire la sécurité de ses concitoyens.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Il n'a plus les moyens de l'exercer !

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Les moyens sont mis à sa disposition, à chaque fois qu'il en a besoin, par le SDIS, dont la gestion mutualisée a permis des progrès considérables. Je rappelle qu'en intervention, les sapeurs-pompiers ne sont pas sous l'autorité du président du conseil général mais sous celle du directeur des opérations de secours, qui est le maire au quotidien et le préfet en cas de sinistre grave. La fiscalité locale finance le risque courant et le contribuable national les risques exceptionnels, par solidarité.

M. le Président : Certes. Seulement, ceux qui paient ne participent en rien à la prise de décision ! Je reçois des notes me commandant de payer, mais je ne suis responsable de rien ! On me demande d'augmenter le nombre de sapeurs-pompiers, sans recevoir de compensation financière de l'État. Est-ce un bon système que celui dans lequel on ne sait plus aujourd'hui à qui revient la responsabilité ?

M. Michel PIRON : Pour les sapeurs-pompiers professionnels, quels sont les interlocuteurs lors des négociations relatives aux horaires de présence, de veille et de repos ?

M. le Rapporteur : Le Président du conseil général du Rhône nous a entretenu des discussions qui ont eu lieu dans son département sur la réorganisation du temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels. Dans le respect des règles statutaires, de la liberté de gestion des collectivités territoriales et des règles propres aux SDIS, y a-t-il ou non service fait, au regard du temps de travail légal ?

M. Christian GALLIARD de LAVERNÉE : Au niveau national, l'application de la loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail s'est faite, pour les sapeurs-pompiers, par un décret spécifique. Il prévoit, par dérogation aux 1 600 heures annuelles, de 95 à 100 gardes de 24 heures par an, soit 2 400 heures, les sapeurs-pompiers devant pouvoir dormir 8 heures à chaque fois qu'ils sont de garde. Le régime n'est donc pas aussi exorbitant qu'il y paraît, et l'on aurait même matière à s'étonner qu'il y ait eu jusqu'à 145 gardes annuelles auparavant. Cela dit, il y a garde et garde car si, dans certains centres de secours, on compte deux ou trois appels par 24 heures, dans d'autres, le minimum de repos physiquement nécessaire est à peine envisageable.

Tel est le cadre réglementaire national ; ensuite, les discussions sont à la discrétion des présidents des SDIS, et il leur est loisible de passer à d'autres cycles (12 heures, 9 heures ou 8 heures) que le cycle de 24 heures pour permettre, dans chaque caserne, une présence proportionnelle à l'activité. Il serait en effet absurde d'avoir un effectif constant à toute heure du jour ou de la nuit. Une étude récente que nous avons effectuée dans le domaine des transmissions a montré que la période active court de 8 heures du matin à 9 heures du soir, et que l'activité est très faible entre 11 heures du soir et 6 heures du matin. Voilà pourquoi de nombreux présidents de SDIS ont entamé un dialogue social - difficile - avec les syndicats de sapeurs-pompiers professionnels, tendant à instaurer, dans le cadre réglementaire, un système modulé. Mais un tel décret ne sera dorénavant pas soumis à la signature du Premier ministre avant d'avoir reçu l'avis favorable de la conférence nationale des SDIS.

M. le Président : J'ai pris acte que vous avez évalué à quelque 60 millions d'euros la dépense liée au régime de retraite complémentaire des sapeurs pompiers volontaires, et que l'Etat compte en prendre 30 millions d'euros à sa charge. Le problème, c'est que tous les conseils généraux indiquent que cette somme ne représente qu'un tiers de ce que la mesure leur coûte !

Par ailleurs, le fonds d'aide à l'investissement a l'inconvénient de ne pas financer les gros investissements, et notamment pas les constructions. Ainsi, dans mon département, où nous avons fait rénover presque tous les bâtiments, le taux d'aide n'a été que de 2 %, ce qui ne me paraît pas très sérieux. Si les sommes affectées au fonds augmentent pour atteindre 90 millions d'euros, nous nous en féliciterons mais, pour l'instant, ce n'est pratiquement rien.

Je vous remercie des précisions que vous nous avez apportées et j'espère que vous tiendrez compte des inquiétudes que nous avons manifestées, particulièrement pour ce qui concerne l'application des normes.

Audition de M. Hervé BRAMY,
Président du conseil général de Seine-Saint-Denis,
accompagné de M. Gildas BARRUOL, Directeur général administratif,
et M. Ronan KERREST, Vice-président du conseil général chargé des finances


(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 mai 2005)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

MM. Hervé Bramy, Gildas Barruol et Ronan Kerrest sont introduits.

M. le Président : Nous accueillons M. Hervé Bramy, Président du conseil général de Seine-Saint-Denis, accompagné de MM. Gildas Barruol, Directeur général administratif, et Ronan Kerrest, Vice-président de la commission des finances du conseil général.

Au cours de l'audition des représentants de l'Assemblée des départements de France, chacun a souligné la diversité des situations. Nous avons donc décidé d'entendre des présidents de conseils généraux venus aussi bien de départements où la fiscalité augmente beaucoup que de départements où elle est plus contenue, et issus de diverses tendances politiques. Vous êtes pour votre part, M. Hervé Bramy, membre du Parti communiste français.

Vous avez publié, dans le journal Le Monde du 8 mars dernier, un article dans lequel vous mettiez en cause le « retrait de l'État », qui, sous couvert d'une « pseudo décentralisation, [...] pousse à une hausse continue de la fiscalité locale, sauf à diminuer les services et les prestations ». Puis, vous présentiez un chiffrage de la « facture libérale » de votre département en 2005. Enfin, en réponse à une lettre du Rapporteur, vous nous avez adressé des précisions bienvenues.

M. le Président rappelle à MM. Hervé Bramy, Gildas Barruol et Ronan Kerrest que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, ceux-ci prêtent serment.

M. Hervé BRAMY : Je vous remercie d'avoir pensé à auditionner les représentants de notre conseil général. Je m'attacherai, au cours de ces échanges, à montrer notre souci permanent d'une grande transparence sur les enjeux de la décentralisation, notamment de celle du RMI.

En effet, comme j'ai eu l'occasion de le dire au Premier ministre, les conséquences financières de la décentralisation du RMI sont lourdes pour un département comme le nôtre. Le décalage constaté en 2004 entre les sommes versées aux allocataires et les compensations de l'État est de 26 millions d'euros, lui ai-je exposé dans un courrier du 6 mars 2005.

L'augmentation du nombre des allocataires - ils sont aujourd'hui près de 48 000 - nous conduit à estimer à 50,6 millions d'euros ce même décalage pour l'année en cours : 48 millions d'euros au titre de l'allocation et 2,6 au titre du personnel et de la logistique.

Nous avons pris bonne note des évolutions dans les déclarations du Premier ministre après la protestation des présidents de conseils généraux et les actions de sensibilisation, comme la campagne de pétitions menée en Seine-Saint-Denis. Nous prenons acte de sa volonté de procéder à une compensation intégrale à l'euro près, et nous nous refusons à tout procès d'intention.

Des incertitudes demeurent toutefois sur le montant effectif de ces compensations et sur la date de versement aux conseils généraux.

J'ajoute que la prise en compte, pour la régularisation, du compte de gestion impose que le compte administratif et le compte de gestion s'accordent sur le respect du rattachement des charges à l'exercice réel. Or, si le conseil général de Seine-Saint-Denis se trouve en harmonie avec les recommandations du sénateur Michel Mercier, rapporteur de l'Observatoire de la décentralisation, tel n'est pas le cas de Bercy qui impose, dans notre département, le rattachement du RMI de décembre à l'exercice de l'année suivante. Cela revient pour 2004, année de référence pour la commission Mercier, à ne prendre en compte que onze mois au lieu de douze ! Cette étrange mathématique nouvelle de Bercy est éloignée de la réalité comme de la justice sociale et nous nous estimons sur ce point dans notre bon droit.

Forts des annonces du Premier ministre, nous avons inscrit en recettes, lors du vote du budget 2005, 25,1 millions d'euros correspondant à une grande partie de la compensation. Néanmoins, il nous a fallu procéder pour atteindre l'équilibre, à une hausse de la fiscalité locale, de 12,07 % pour la taxe professionnelle et de 8,11 % pour la taxe d'habitation.

L'examen attentif de nos dépenses de fonctionnement témoigne d'une rigueur de gestion incontestable, puisque les dépenses de fonctionnement, hors charges nouvelles, n'augmentent que de 4%, et celle afférentes au personnel de 3,7 %, soit moins que la moyenne des départements.

J'insiste aussi sur le fait que, contrairement à d'autres collectivités territoriales, nous n'avons nullement voté une hausse des impôts par anticipation des transferts de charges à venir : routes nationales, personnels des DDE, agents, techniciens et ouvriers de service des collèges - alors que ce sont entre 30 et 50 millions d'euros selon les estimations qu'il nous faudrait intégrer dans le budget 2006. Au contraire, nous avons pratiqué la plus totale transparence, tant auprès de la population que de l'ensemble des conseillers généraux, qui ont bénéficié, en temps utile, de l'ensemble des éléments d'appréciation.

Tous les parlementaires de Seine-Saint-Denis ont également reçu un dossier complet, rassemblant l'ensemble des éléments que nous vous avons transmis, avec copie des courriers adressés au Premier ministre et à ses ministres.

Nous avons par ailleurs maintenu à un niveau supérieur à 19 % les crédits consacrés aux actions d'insertion afin d'obtenir, en lien avec les villes et avec l'ensemble des services publics, des résultats tangibles dans le retour à l'emploi des allocataires du RMI. Il est pour autant exclu qu'un conseil général à la fibre sociale comme le nôtre se lance dans une chasse aux allocataires du RMI. Dans 70 % des cas, les contrôles exercés par la CAF, aboutissent non à une diminution, mais à une augmentation des droits des allocataires au RMI comme aux autres droits sociaux.

Le poids du transfert du RMI s'ajoute à d'autres compensations insuffisantes comme celle de l'APA, notablement inférieure dans notre département à la moyenne nationale : 25,7 % contre 33 %, soit un différentiel de 4,8 millions d'euros en 2005. Notre assemblée a d'ailleurs adopté un vœu unanime à ce propos. S'ajoutent à cette somme 5 millions d'euros au titre du Fonds d'aide à la jeunesse et du Fonds de l'énergie. Il convient aussi de noter le coût croissant - 11 millions en 2005 - de l'accueil des enfants mineurs étrangers, particulièrement nombreux en raison de la proximité de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, qui relève pourtant clairement de la solidarité nationale.

Au total, nous estimons pour 2005 à plus de 60 millions d'euros le poids des compétences transférées non compensées, du désengagement de l'État ou de la faiblesse de la solidarité nationale, dont, je le répète, 50,6 millions d'euros pour le seul RMI. L'impact du transfert du RMI sur notre fiscalité locale paraît difficilement contestable.

Il aurait fallu, pour que ce transfert se révèle neutre, diminuer les prestations et les services, repousser des projets ou renoncer à des investissements co-décidés avec la population. Ce serait d'autant plus injuste que la Seine-Saint-Denis fourmille de projets de développement, qu'elle veut participer pleinement à la croissance de l'Ile-de-France et qu'elle montre une belle envie d'avenir, que doivent venir dynamiser les interventions publiques.

Or, force est de constater, malgré l'effort consenti, l'incapacité du département à renforcer son autofinancement et le risque d'accroissement de la charge d'une dette déjà importante avec près de 800 millions d'euros. Quand les comptes des sociétés du CAC 40 font apparaître, selon La Tribune, 57 milliards d'euros de profits en 2004, cela appelle à l'évidence une réforme de la fiscalité locale et nationale qui prenne enfin en compte l'importance des actifs financiers. J'ai la conviction que l'État y trouverait les moyens nécessaires à une amélioration des dotations des départements et au financement des grandes politiques publiques nationales qui font aujourd'hui défaut.

M. le Rapporteur : Quel est le total des impôts prélevés par le conseil général de Seine-Saint-Denis ?

M. Gildas BARRUOL : 450 millions d'euros.

M. le Rapporteur : Quelle a été l'évolution des droits de mutation ces dernières années ?

M. Ronan KERREST : Ils sont passés de 90 à 113 millions d'euros de 2003 à 2004. Je précise à ce propos que nous avons pris la décision politique d'aller jusqu'au bout de la possibilité de limiter l'augmentation des impôts et donc d'inscrire dans le budget 2005 l'intégralité de la recette des droits de mutation en 2004. Nos voisins ne l'ont pas toujours fait. Ainsi, les Hauts-de-Seine ont perçu 300 millions d'euros en 2004 mais n'ont inscrit que 250 au budget 2005.

M. le Rapporteur : Dans votre article du Monde, que j'ai lu avec intérêt, vous estimiez, M. Hervé Bramy, le besoin de financement lié à la décentralisation à 70 millions d'euros. Or, vous venez de parler de 60 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart ?

M. Hervé BRAMY : Cet article a été publié le 22 février et il avait été écrit quelques jours plus tôt. Depuis lors, nous avons travaillé, nous avons eu des recettes supplémentaires, nous avons fait de nouvelles économies. C'est ainsi qu'on aboutit à ce nouveau chiffre.

Ce calcul est fait à partir des transferts et de la compensation insuffisante, mais aussi en tenant compte de certains désengagements, par exemple en ce qui concerne les 250 mineurs isolés que le département a été contraint d'accueillir et qui ont été confiés à l'Aide sociale à l'enfance.

M. le Rapporteur : Mais si, quand je vous demande comment vous êtes passés de 70 à 60 millions d'euros, vous expliquez que vous avez fait des économies et mobilisé d'autres ressources, nous ne parlons plus de la même chose. Or, dans les deux cas, vous avez parlé du surcoût.

M. Ronan KERREST : Après que vous avez interrogé M. Hervé Bramy, à la suite de l'article du Monde, nous vous avons adressé, le 8 avril dernier, une lettre qui comportait un certain nombre de réponses, notamment un tableau qui indiquait comment se décomposaient ces 60 millions d'euros, dont 50,6 y figurent au titre du RMI.

S'ajoutent à cette somme les 4,5 millions d'euros dont nous considérons que l'État nous les doit pour l'APA, parce que nous en contestons les critères de répartition. En effet, la situation d'un département comme la Seine-Saint-Denis ne lui permet pas de contribuer plus que la moyenne nationale à l'effort en faveur des personnes âgées. Il y a à ce propos un consensus au sein de notre assemblée, qui a d'ailleurs adopté un vœu.

Si nous en sommes arrivés un moment à un besoin estimé de financement de 75 millions d'euros, c'est parce que nous avons intégré 15 millions d'euros au titre de l'accueil des enfants étrangers. Mais il s'agit d'une revendication, de ce que l'État nous devrait s'il y avait plus de justice dans la répartition des charges. Ce qu'il nous doit effectivement au titre des compétences transférées, c'est 60 millions.

M. le Rapporteur : Je vous ai aussi interrogés, en vain, sur le fait que vous mentionniez dans l'article le surcoût lié aux routes nationales et aux TOS. Or, alors que cela n'a pas d'impact sur le budget 2005, vous en teniez bien compte pour arriver à 70 millions. Mais je prends acte que vous n'en parlez plus dans votre réponse du 8 avril. Pouvez-vous me dire comment vous arrivez à 20 millions d'euros de surcoût pour les routes et à 5 millions d'euros pour le transfert des TOS ?

M. Hervé BRAMY : Ce que je fais est toujours conforme à mon éthique d'élu, c'est pourquoi j'ai décidé de jouer la transparence. La population de Seine-Saint-Denis peut témoigner que je n'ai jamais cherché à faire de procès d'intention sur l'ensemble des transferts de la décentralisation. Nous distinguons donc clairement les transferts qui se sont déjà produits, comme celui du RMI, et ceux qui restent à venir et qui entraîneront de nouvelles difficultés importantes au cours des prochaines années.

M. le Rapporteur : Je prends acte de ce que vous venez de dire, mais cela n'apparaît pas clairement dans le papier du Monde...

M. Hervé BRAMY : Si j'ai cru bon de réagir, c'est parce que je sentais que, dans le débat national, on parlait très peu des départements et parce que le débat qui s'instaurait entre les régions et le département n'était pas celui des conseils généraux, en particulier pas de celui de Seine-Saint-Denis. En effet, les premiers transferts n'ont pas pesé sur les régions comme celui du RMI sur un département comme le nôtre.

M. le Président : Quel est votre taux d'allocataires du RMI par rapport à la moyenne nationale ?

M. Gildas BARRUOL : Avec 48 000 allocataires, il est de plus de 6 %, pour une moyenne nationale de 3 %.

M. Hervé BRAMY : Pour revenir aux routes nationales, nos estimations ont été réalisées au regard des compétences que nos services exercent sur les routes départementales. Dans un département urbain comme le nôtre, le mode de traitement des routes n'est pas le même que dans un département rural.

M. le Rapporteur : Comment arrivez-vous à ces montants de 20 millions d'euros pour les routes et de 5 millions d'euros pour les TOS ?

M. Gildas BARRUOL : Nous sommes partis de l'investissement actuel de 30 millions d'euros par an pour les routes départementales. Le réseau national ayant vocation à être transféré double cette surface et nous avons donc retenu la même somme, même si son état justifiera sans doute des investissements plus importants. Nous avons fortement surévalué aussi, à hauteur de 10 millions d'euros, les recettes prévisibles en provenance de l'État, dont nous pensons qu'elles pourraient en fait se situer à 2 ou 3 millions d'euros. C'est ainsi que nous arrivons à 20 millions.

Pour les TOS, nous sommes partis des 300 CES (Contrats Emploi Solidarité) existants et nous nous sommes interrogés sur les éléments de prise en charge...

M. le Rapporteur : Le Gouvernement a répondu qu'il compensait les charges patronales des emplois aidés.

M. Gildas BARRUOL : Mais il reste la charge employeur complémentaire.

Nous avons également tenu compte des besoins exprimés par les conseils d'administration, l'évaluation ayant été faite sur la base d'un TOS supplémentaire par collège.

M. le Rapporteur : Vos collèges sont-ils correctement entretenus ?

M. Gildas BARRUOL : Ce sont les conseils d'administration qui ont fait remonter ce besoin.

M. le Rapporteur : Mais le payeur, c'est vous, et c'est à vous qu'il incombe non pas de faire l'addition des demandes mais de procéder à des arbitrages !

M. Hervé BRAMY : Nous le faisons, mais nous sommes aussi présents au sein des conseils d'administration, ce qui nous conduit à penser que cet effort est incontournable.

M. le Rapporteur : S'agissant du RMI, vous nous dites que les contrôles aboutissent parfois à un résultat contraire à celui escompté en termes de maîtrise des coûts. Pour sa part, M. Michel Mercier, président du conseil général du Rhône, nous a expliqué qu'il cherchait à mettre en relation la compétence APA et la compétence RMI, par exemple en faisant en sorte que des allocataires du second trouvent un emploi dans le cadre du dispositif de la première, afin de ne pas être obligé de procéder à une simple addition des deux. En effet, il ne suffit pas de dire qu'on augmente le nombre de bénéficiaires et d'envoyer la facture à l'État. Pouvez-vous nous indiquer les évolutions comparées du nombre de RMIstes et du nombre de chômeurs ? Nous avons vu, dans certains départements, une augmentation du nombre de RMIstes inférieure à celle du nombre des chômeurs.

M. Hervé BRAMY : Nous vous donnerons les chiffres précis. Mais je veux insister sur le paradoxe de la Seine-Saint-Denis, que vous constatez quand vous traversez le département, ce que vous devez bien faire de temps à autre pour vous rendre à Charles-de-Gaulle.

Cela m'amène à vous rappeler, à propos des routes nationales, que la loi dispose que l'État peut conserver la compétence sur celles qui présentent une importance d'ordre stratégique. J'ai donc interrogé M. Gilles de Robien car, si nous sommes persuadés qu'un certain nombre de voies doivent intégrer le réseau départemental, il nous semble qu'il faudrait refuser le transfert des RN 1, 2 et 3, qui desservent Roissy et la capitale, et qui sont éminemment d'ordre stratégique. On le constatera d'ailleurs dès qu'un cortège présidentiel les empruntera quand les autoroutes seront saturées.

Pour en revenir au RMI, il est évident que nous sommes déterminés à tout faire pour réduire le nombre des chômeurs comme celui des allocataires d'autant que le RMI ne donne pas, selon moi, accès à une vie digne.

M. le Rapporteur : Le nombre des RMIstes augmente-t-il plus ou moins rapidement que celui des chômeurs ?

M. Gildas BARRUOL : Leurs évolutions sont parallèles. Celle de l'Île-de-France est supérieure à la moyenne nationale, celle de Seine-Saint-Denis est inférieure à celle de l'Île-de-France.

M. le Rapporteur : Ce qui serait intéressant, c'est de mettre en relation l'augmentation du nombre de RMIstes et celle du nombre des chômeurs, qui sont bien liées à la politique du RMI conduite dans un département.

M. Ronan KERREST : N'oublions pas que la Seine-Saint-Denis se situe dans un bassin d'emploi de 12 millions d'habitants. Alors que, dans un département de province, l'économie locale tourne à 90 % au sein du département, chez nous, plus de 60 % des salariés qui habitent le département travaillent ailleurs. Quand une entreprise ferme dans un département voisin, cela a donc des répercussions en Seine-Saint-Denis. C'est une particularité de l'Île-de-France.

M. Hervé BRAMY : Je disais que le paradoxe c'est que, quand vous traversez la Seine-Saint-Denis, vous apercevez un département qui se développe économiquement autour du Stade de France - merci au passage à l'État : quand il investit chez nous, les activités se développent !

M. le Président : Je souhaite que vous nous fournissiez vos bases d'imposition.

M. le Rapporteur : Quelle est l'augmentation entre 2003 et 2004 ?

M. Gildas BARRUOL : 2,3 % pour la taxe professionnelle.

M. le Président : Ce qui nous intéresse, ce sont les bases globales par habitant. Si le Val-de-Marne a moins de difficultés, il y a sans doute un problème de répartition des ressources fiscales...

M. Ronan KERREST : Les bases par habitant sont inférieures à la moyenne de l'Île-de-France. Quant au Val-de-Marne, il compte 27 000 RMIstes, les Hauts-de-Seine 23 000 et nous 48 000...

M. Hervé BRAMY : Notre société d'économie mixte, en dix ans d'interventions pour favoriser l'implantation d'entreprises, a facilité celle de 15 000 emplois. C'est un département qui bouge mais dont le taux de chômage reste, avec 14 %, le plus élevé d'Île-de-France. Vous imaginez bien que le président du conseil général s'interroge sur ce décalage. C'est pour cela que nous maintenons une enveloppe d'insertion confortable, qui atteint presque 22 %, afin d'utiliser plus efficacement les dispositifs pour faciliter le retour à l'emploi, y compris les contrats d'avenir. Mais cela ne suffira pas.

Comment expliquer que, dans un département où se situent les deux plus grands aéroports français, l'aéroport d'affaires du Bourget et celui de Roissy Charles-de-Gaulle, il n'existe aucune formation initiale aux métiers de l'aérien ? Il va bien falloir combler ces décalages pour que la Seine-Saint-Denis participe, comme nous en avons l'ambition, au développement de l'Île-de-France.

M. le Rapporteur : Sur le décalage entre dépenses et compensation pour le RMI, vous mettiez 48 millions au titre de l'allocation. Quelle part de cette somme l'ajout auquel le Premier ministre s'est engagé couvre-t-il ?

M. Ronan KERREST : Pour l'instant, cet ajout est pour 2004. S'il est pérennisé, il faudra retirer entre 23 et 25 millions d'euros au total de 48 millions d'euros.

M. Hervé BRAMY : La différence tient au fait qu'en raison du problème de l'imputation du mois de décembre, nous n'avons pas voté le compte administratif en accord avec le compte de gestion. Il y a donc un deuxième contentieux avec l'État, qui porte sur 2,3 millions d'euros.

M. Éric RAOULT : Je vous ai entendu parler de « paradoxe » et de « décalage ». Il est vrai que le département de Seine-Saint-Denis est difficile et que le travail du président de son conseil général l'est aussi. Mais il y a eu parfois beaucoup de retard dans la gestion du dossier du RMI et M. Claude Bartolone a par exemple constaté que, de 1989 à 1992 - M. Hervé Bramy n'était pas président du conseil général - le département n'avait pas contribué comme il aurait dû le faire à une véritable politique d'insertion.

Et puis, quand on est dans un département difficile, il ne faut ni accroître les difficultés, serait-ce au nom d'un internationalisme revendiqué, ni tenir un double langage. Or c'est bien ce qui est fait quand Le Parisien de ce matin titre sur le parrainage de 24 sans-papiers par la municipalité de Pierrefitte et quand il annonce en page intérieure que M. Gilles Granier, vice-président du conseil général chargé de l'enfance, a reçu une délégation de Roumains pour étudier leur cas.

Pour en revenir au RMI, il est quand même difficile à la fois de réclamer davantage à l'État et d'avoir une attitude pas toujours très responsable vis-à-vis des flux migratoires. Vous ne pouvez, à moins de vouloir jouer les « docteur Hervé et Mister Bramy », tenir à la fois le discours du dirigeant départemental et celui du militant...

Je m'étonne, enfin, que le service du courrier du conseil général fonctionne de telle façon qu'une lettre qui a été envoyée par le Premier ministre le 2 mars n'ait été lue que 15 jours plus tard, puisque le président Hervé Bramy n'en était pas informé...

M. Hervé BRAMY : Cette lettre était adressée à tous les maires et pas seulement aux présidents de conseils généraux, auxquels il n'est fait allusion que dans un seul paragraphe. M. Michel Teulet, l'élu d'opposition qui m'a épinglé à ce propos, l'avait donc reçue en tant que maire. Cela étant, il est vrai qu'il y a eu un dysfonctionnement, mais qui ne remet nullement en cause notre volonté de transparence.

M. le Rapporteur : C'est ce dysfonctionnement de quinze jours qui a entraîné une augmentation des impôts locaux supérieure à ce qu'elle aurait été ?

M. Hervé BRAMY : Nous espérons sincèrement une compensation à hauteur de notre inscription dans le budget 2005, mais nous n'avons aucune certitude.

M. le Président : Faute d'un arbitrage, personne ne peut dire si la base sera celle de 2003 ou celle de 2004. Ce qui signifie, pour la Seine-Saint-Denis, soit 24, soit 48 millions d'euros...

M. Éric RAOULT : M. le Président, il me semblait que votre rôle était de présider, pas de vous engager...

M. le Président : Je ne m'engage pas, je rappelle les faits ! Et je constate simplement que, quand nous l'avons auditionné, M. Dominique Schmitt n'a pas pu s'engager lui-même sur cette question des bases.

M. Hervé BRAMY : S'agissant des jeunes mineurs, si nous avons engagé un travail, sous l'égide du ministère des Affaires étrangères, avec des représentants de la région de Satu Mare, d'où sont originaires de nombreux jeunes Roumains accueillis dans notre département, c'est justement pour endiguer le phénomène à la source.

M. le Rapporteur : Comment contrôlez-vous que les enfants étrangers que vous accueillez sont véritablement mineurs ? Le conseil général du Calvados, parce qu'il veut vraiment réguler le flux, demande une évaluation de l'âge réel à partir de radiographies du poignet.

M. Hervé BRAMY : Ce n'est pas nous qui décidons de les prendre en charge, ils nous sont confiés par la justice. Vous voudriez que nous vérifiions après elle ?

M. le Rapporteur : Oui, car c'est vous qui payez !

M. Gildas BARRUOL : Nous respectons les décisions de justice qui peuvent s'appuyer sur de telles radiographies.

M. le Président : Le président du conseil général du Rhône nous a expliqué que ce sont les juges des enfants qui prennent les décisions. Tout conseil général a le droit de contester ces décisions. Je le fais régulièrement mais je n'ai que rarement gain de cause...

Mais la vraie question n'est-elle pas de savoir si les mineurs étrangers sont de la responsabilité des départements ?

M. le Rapporteur : En effet, mais j'observe que les politiques de gestion et de vérification des flux varient selon les départements.

M. Hervé BRAMY : Je ne vois pas bien où est le problème quand notre département, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et l'ADF, cherche à faire en sorte que ces jeunes, qui sont de futurs Européens, puissent intégrer l'Europe de la meilleure des façons et rentrer chez eux dans de bonnes conditions, avec une formation qualifiante.

M. Éric RAOULT : Vous ne pouvez vous contenter de tenir un langage social, il faut aussi faire passer le message que nous ne pouvons plus accueillir ces jeunes. Or un article comme celui du Parisien a des effets destructeurs à Bamako !

M. Hervé BRAMY : Nous sommes là bien au-delà des compétences du conseil général.

M. le Rapporteur : Si ce n'est qu'à un moment, il faut bien qu'il assume.

M. Hervé BRAMY : Je le répète, ces mineurs nous sont confiés par la justice. Mais je ne m'étais pas préparé à un débat sur l'immigration... J'observe toutefois à ce propos que j'ai aussi lu dans Le Parisien l'appel du MEDEF à faire venir de la main-d'oeuvre étrangère en plus grand nombre car les entreprises françaises ont du mal à recruter.

De ce point de vue, nous prenons le taureau par les cornes puisque nous signerons la semaine prochaine avec la SNCF et Véolia des conventions destinées à favoriser le recrutement d'allocataires du RMI, qui recevront une première formation grâce à l'enveloppe destinée à l'insertion.

M. Éric RAOULT : Ce sera le contrat d'accès à l'emploi à la sauce Seine-Saint-Denis...

M. Hervé BRAMY : Je constate que de nombreuses entreprises qui travaillent en Seine-Saint-Denis ont du mal à satisfaire leurs besoins en recrutement alors que nous avons 48 000 RMIstes, dont au moins un tiers devrait pouvoir retrouver immédiatement un emploi. Je crois donc que nous nous engageons sur la bonne voie.

M. Éric RAOULT : Mais chaque collectivité a-t-elle vocation à proposer son propre contrat au lieu de s'associer à la politique globale conduite par les services publics ?

M. Hervé BRAMY : Il ne s'agira pas de contrats particuliers.

M. le Rapporteur : Quels seront le régime du temps de travail et le niveau indemnitaire que fixera votre conseil général pour les TOS ?

M. Hervé BRAMY : Ces questions n'ont pas encore été tranchées. Elles ne le seront qu'après avis du comité pour la transparence des transferts et le suivi de la décentralisation, qui associe des représentants des administrations d'État - s'ils souhaitent en être membres, des syndicats du conseil général comme des services de l'État transférés, des usagers et des associations représentatives.

M. le Rapporteur : Envisagez-vous que les TOS relèvent des instances paritaires actuelles ou d'un CTP spécifique ?

M. Hervé BRAMY : Je ne puis répondre à cette question, dans la mesure où les décisions n'ont pas encore été prises, mais je vous tiendrai informé le moment venu. J'ajoute que je militerais volontiers pour qu'on revienne sur cette décision de transfert qui ne va guère faciliter le travail des communautés éducatives. Mais il semble que les conditions politiques ne soient pas réunies...

M. Gildas BARRUOL : Nous sommes dans la phase d'élaboration d'un projet cadre de convention entre l'établissement public local d'enseignement et le département, avec comme référence le maintien des règles aujourd'hui fixées par l'éducation nationale.

M. le Rapporteur : On en resterait donc au temps de travail actuel ?

M. Gildas BARRUOL : C'est pour l'instant la base de notre réflexion.

M. le Président : Je n'ai pas vu, dans vos évaluations des dépenses, la prise en compte des surcoûts qu'entraîneront certainement le RMA et les contrats d'avenir...

M. Hervé BRAMY : Le RMA ne m'a guère semblé soulever l'enthousiasme des organisations patronales et syndicales, et nous n'avons que deux demandes.

S'agissant des contrats d'avenir, j'ai fait savoir à l'État que j'étais disposé à examiner la mise en place de ce dispositif. Mais il est clair qu'il ne saurait être une fin en soi, et nous ne le concevons que comme un moment dans un parcours destiné à ramener vers un emploi consolidé, à temps complet et bien rémunéré. Dans un certain nombre de secteurs comme l'aide à domicile, il faut structurer un système de formation qui permette des débouchés. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur l'expérience acquise avec les emplois jeunes et tendre, grâce aux contrats d'avenir, vers le même objectif.

N'étant pas encore engagés dans le dispositif, nous n'en avons pas évalué le surcoût, mais il est certain qu'il y en aura un, puisque l'allocation est forfaitaire et que le département participera.

M. le Président : Il n'y a pas eu de proposition chiffrée du préfet ?

M. Hervé BRAMY : Si, mais je l'ai refusée. Comme pour les emplois tremplins, nous avons accepté de travailler à une mise en œuvre concrète du dispositif, mais pas d'annoncer des chiffres.

M. Éric RAOULT : Il faut avoir un discours responsable : on ne peut pas faire croire que la Seine-Saint-Denis est à la fois accueillante pour les entreprises et pour les sans-papiers... Ne renouez pas avec les erreurs du passé !

M. Hervé BRAMY : Je ne suis pas convaincu que les sans-papiers de Seine-Saint-Denis soient allocataires du RMI.

M. Éric RAOULT : Pas tous. Mais ils ont vocation à le devenir en cas de régularisation.

M. Hervé BRAMY : Je suis prêt à étudier avec vous cette question, dans la plus totale transparence. Le préfet a félicité pour son travail la principale association, qui joue un rôle de médiateur et qui a montré que la plupart des sans-papiers sont des salariés. Je crois que cela devrait amener la représentation nationale à s'interroger à ce propos.

M. Ronan KERREST : Je rappelle en outre que ce n'est pas le conseil général qui prend la décision de régulariser, mais le préfet et l'État. Très souvent, en effet, ces personnes travaillent et, soit elles continueront, soit elles perdront leur emploi parce qu'elles étaient jusque-là rémunérées deux à trois fois en dessous du salaire minimum. Il conviendrait donc que les employeurs soient plus souvent mis en cause dans la gestion de ce dossier, d'autant que cela peut avoir un impact sur les dépenses sociales du département. La présence de plusieurs dizaines de milliers de sans-papiers en Seine-Saint-Denis a donc un impact sur les budgets départementaux, mais pas forcément sur celui du RMI. Ne nous faites donc pas ce procès.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous revenir aux routes et aux éléments qui justifient votre prévision de surcoût ?

M. Ronan KERREST : Nous sommes défavorisés parce que nous sommes le seul département de la petite couronne auquel l'État se propose de transférer l'intégralité des routes nationales, et parce que c'est la longueur qui est prise en compte et non la surface. Or la RN1, la RN2 et la RN3, dont une toute petite partie sera déclassée vers les communes, sont des voies extrêmement larges. C'est dans ces conditions que nous jugeons ce transfert inacceptable.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné le Directeur des routes, qui nous a montré que, quand une part plus faible des routes nationales était transférée, les départements gagnaient à cette décentralisation, et qui nous a semblé ouvert à une évolution des critères.

M. Ronan KERREST : Nous demandons simplement qu'on puisse prendre en compte la surface au lieu de la longueur.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir participé à cette audition.

Deuxième audition de M. Dominique SCHMITT,
Directeur général des collectivités locales


(Extrait du procès-verbal de la séance du 25 mai 2005)

(Des documents fournis par M. SCHMITT à l'appui de cette intervention sont reproduits en page 375 du tome III du présent rapport)

Présidence de M. Augustin BONREPAUX, Président

M. Dominique Schmitt est introduit.

M. le Président : Nous entamons nos auditions de ce jour en accueillant pour la seconde fois M. Dominique Schmitt, Directeur général des collectivités locales, que je remercie pour sa disponibilité.

Nous avons prévu de centrer notre propos de ce jour sur la fiscalité des communes et des intercommunalités, après avoir principalement évoqué, le 10 mai dernier, les régions et les départements. Vous aviez alors brossé un tableau très complet de l'ensemble de la fiscalité territoriale et sans doute serons-nous appelés à y revenir en fonction des nouvelles évolutions. Peut-être souhaiterez-vous aujourd'hui ajouter un mot d'introduction.

M. le Président rappelle à M. Dominique Schmitt que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, celui-ci prête serment.

M. Dominique SCHMITT : Je souhaite approfondir aujourd'hui l'analyse de l'intercommunalité, mais aussi répondre aux questions que m'avait posées le Rapporteur sur la gouvernance et sur la régulation.

Il n'est malheureusement pas possible de projeter les documents que j'avais prévu de vous montrer, mais ils vous ont été remis.

L'intercommunalité et notamment les structures à fiscalité propre ont connu une montée en charge soutenue, puisque nous sommes passés de 232 groupements à fiscalité propre en 1992 à 456 dès 1993 - on voit là l'impact des débuts de la décentralisation et de la loi relative à l'administration territoriale de la République de 1992 -, puis, comme vous le montre le graphique de la page 6, à 1 678 en 1999, le processus s'accélérant à partir de la « loi Chevènement », puisque nous sommes désormais à 2 525 groupements à fiscalité propre.

Le dispositif s'est aussi considérablement simplifié : on compte 14 communautés urbaines, 162 communautés d'agglomération, 2 443 communautés de communes, les six syndicats d'agglomération nouvelle qui continuent à exister ayant vocation à intégrer des communautés d'agglomération. L'intercommunalité couvre ainsi en 2005 52,2 millions d'habitants, 88 % des communes faisant partie d'un EPCI à fiscalité propre. Les aires urbaines, qui constituaient le coeur de cible de la « loi Chevènement », sont pratiquement toutes couvertes - 120 aires urbaines sur 141 sont couvertes par une communauté d'agglomération ou une communauté urbaine.

Le même tableau fait apparaître l'évolution de la part des groupements à TPU, qui sont 1 101 sur le total de 2 525, mais qui couvrent les deux tiers de la base de la taxe professionnelle. Le nombre des communes regroupées en 2005 est de 32 311.

Mais il convient d'analyser en profondeur cette réussite quantitative à partir de l'évolution comparée des recettes fiscales entre collectivités. Le tableau de la page 9 montre que les dépenses totales des groupements à fiscalité propre représentent 22,3 % des dépenses totales des communes et de leurs groupements, soit près de 20 milliards d'euros. Les dépenses des communes étant plutôt stables, la progression vient donc principalement des groupements. Ce constat vaut d'ailleurs également pour les dépenses d'équipement, qui représentent environ 5 de ces 20 milliards.

M. le Président : Il serait intéressant de mettre en parallèle ce qu'auraient été les dépenses des communes s'il n'y avait pas eu d'intercommunalité.

M. Dominique SCHMITT : Je vais y venir.

On constate en 2003 un écart moyen de dépenses par habitant de l'ordre de 22 %, entre les communes isolées de plus de 10 000 habitants, dont le volume budgétaire par habitant est de 1 809 euros, et celles qui appartiennent à une communauté d'agglomération. L'écart est de 27 % par rapport à celles qui appartiennent à une communauté de communes en TPU, de 26 % par rapport à celles d'une communauté de communes quatre taxes, de 23 % par rapport aux communes membres d'un syndicat d'agglomération nouvelle, de 16 % par rapport aux communes membres d'un syndicat à contribution fiscalisée. Plus important, on constate que ces écarts ont tendance à croître et que l'évolution est favorable aux intercommunalités puisque, en 2002, ces écarts étaient respectivement de 17, 21, 21, 24 et 13  %. Autrement dit, non seulement il y a un écart significatif du volume budgétaire par habitant entre communes isolées et communes membres d'un groupement à fiscalité propre, mais cet écart a tendance à s'accroître dans le temps.

M. le Rapporteur : Cet écart croît au sens d'un volume budgétaire moindre. Mais quid du volume agrégé communes et intercommunalité ?

M. Dominique SCHMITT : C'est ce que montre le diagramme de la page 12.

M. Jean-Pierre GORGES : Il faudrait comparer la pente d'évolution des dépenses des communes qui ne sont pas dans des agglomérations et la pente des dépenses de l'ensemble « communes plus agglomération ».

M. Alain GEST : Pourriez-vous également faire une distinction entre les communes de plus ou moins de 2 000 habitants ?

M. Dominique SCHMITT : Nous essaierons de vous fournir tous les documents demandés.

Le diagramme de la page 11 montre l'évolution des dépenses d'équipement des communes depuis 1968, en euros constants. La partie en pointillé montre comment se serait prolongée la tendance qui se manifestait avant 1992, et on constate bien une rupture à cette date. On observe, page 12, une rupture identique pour les dépenses totales comme pour les dépenses de fonctionnement.

M. le Rapporteur : Mais cela ne nous donne toujours pas de chiffres agrégés...

M. Jean-Pierre GORGES : C'est, en effet, la seule chose qui nous intéresse !

M. Dominique SCHMITT : J'ai bien enregistré votre demande. Mais vous n'aurez pas de surprise. Et le tableau de la page 9 présente quand même des données agrégées : vous avez en plus clair les communes et en plus foncé l'intercommunalité.

M. le Rapporteur : Mais nous n'avons pas le volume budgétaire par habitant et la spécification des dépenses d'équipement. Nous n'avons que la substitution.

M. Dominique SCHMITT : Pour nous, il apparaît assez nettement que ce qui est en clair est complètement stabilisé en dépenses totales, alors que ce qui est en foncé - et qui correspond aux groupements à fiscalité propre - continue à évoluer. L'évolution globale communes plus groupements a été principalement portée par les groupements.

M. le Rapporteur : On ne voit pas tout à fait si la courbe de dépenses globales communes plus intercommunalité s'accélère avec la montée en puissance de l'intercommunalité. On observe une décélération de la courbe des dépenses communales mais y a-t-il une accélération de la courbe globale ?

M. Dominique SCHMITT : Cela figurait sur le tableau que je vous ai remis lors de ma précédente audition.

M. le Rapporteur : Il montre bien une accélération.

M. le Président : On pourrait se demander si la progression des dépenses par habitant est de même nature pour l'ensemble agrégé intercommunalité et communes et pour les communes seules si l'on veut démontrer que l'intercommunalité permet de faire moins de dépenses. Je pense que c'est plutôt le contraire, notamment parce que on ne peut pas faire tout seul ce qu'on fait à plusieurs.

La progression que montre votre document est-elle identique quand les communes restent seules ?

M. Dominique SCHMITT : On voit très bien que l'essentiel de la progression des dépenses globales de l'ensemble vient des intercommunalités, que les budgets des communes restent relativement stables, qu'il y a une différence de 22 % entre les dépenses des communes isolées et celles des communes qui sont en intercommunalité et que cette différence a tendance à croître. Tout ceci est incontestable.

M. le Président : C'est ce que montre le diagramme de la page 10.

M. Dominique SCHMITT : Ce qui relève des groupements, et qui est plus foncé sur la page 9, correspond à la différence entre la tendance et la courbe effectivement observée sur la page 12.

M. le Rapporteur : On constate donc bien une accélération.

M. Jean-Pierre GORGES : Notre Commission d'enquête se demande si la décentralisation entraîne une inflation de la fiscalité. S'agissant de l'intercommunalité, il me semble qu'il y avait quand même à l'origine le souci de réduire les coûts. Il serait donc utile que nous disposions d'un tableau qui nous présente les évolutions dans le temps d'une commune qui appartient à un groupement et d'une commune qui est à l'extérieur.

On sait bien que, parmi les élus municipaux, certains rechignent à entrer dans l'intercommunalité parce qu'ils la jugent inflationniste. On constate aussi, comme le Président vient de le dire, que le fait même d'être dans l'intercommunalité entraîne des dépenses qui ne seraient jamais intervenues si la commune était restée seule, puisqu'elle ne se serait, par exemple, jamais lancée dans la construction d'une piscine. Du coup, parce que l'activité n'est pas la même, la comparaison devient pratiquement impossible.

M. Dominique SCHMITT : Oui et non. Sur le document de la page 12, on voit bien que s'il n'y avait pas eu d'intercommunalité, les budgets des communes auraient suivi la tendance antérieure. Et j'appelle votre attention sur le fait qu'en revanche, des communes en intercommunalité voient leurs dépenses stabilisées, voire diminuées par rapport à la même tendance.

On retrouve d'ailleurs cela pour les SIVOM. Parallèlement au développement de l'intercommunalité à fiscalité propre, leur nombre a chuté de 2 472 en 1992 à environ 1 500 en 2005. La constitution des intercommunalités a permis de supprimer un certain nombre de SIVOM, leurs dépenses globales passant en dix ans de 2 231 millions à 1 447 millions d'euros. Cette réduction est perceptible aussi bien sur le fonctionnement que sur l'investissement, comme on le voit page 13.

M. le Rapporteur : Mais pourquoi n'y a-t-il pas eu de diminution de 1999 à 2002 ?

M. Dominique SCHMITT : Nous parlons de communes rurales sur lesquelles la loi ATR a eu un gros impact entre 1992 et 1999. Le nombre des SIVU a également décru de 14 885 en 1999 à 13 500 en 2005, mais cette baisse a été moins marquée car le périmètre de la plupart d'entre eux était contraint par leur vocation spécifique, qu'il s'agisse du transport scolaire, de l'aménagement de berges ou de l'adduction d'eau. Il ne leur était donc pas facile de se fondre dans des EPCI dont les périmètres n'étaient pas nécessairement les mêmes.

Si on essaie de voir ce que tout cela donne en termes de fiscalité, on constate que la pression fiscale des EPCI est restée relativement stable dans le temps. En particulier, la TPU ne semble pas être un facteur d'inflation fiscale. Les taux sont calculés automatiquement pour la première année d'exercice et ils sont par la suite rarement et peu relevés, même quand la possibilité est offerte par l'évolution du taux d'imposition ménages des communes.

Le tableau de la page 14 offre une comparaison intéressante de la dispersion des taux de taxe professionnelle en 2004, selon la nature fiscale. Chacune des « boîtes » est délimitée par le premier et par le troisième quartile, le trait au milieu de la « boîte » représente la médiane, les traits situés à l'extrême correspondent au premier et au neuvième déciles. Plus la boîte est haute, plus les taux sont dispersés, la boîte recouvrant elle-même 50 % des communes.

On constate que la convergence des taux écrase le sommet et relève la base.

M. Jean-Pierre SOISSON : C'est normal...

M. Jean-Pierre GORGES : C'est obligatoire et mathématique !

M. le Rapporteur : Mais le troisième quartile n'est pas écrasé. Et il y a un décalage vers le haut pour la boîte TPU.

M. Dominique SCHMITT : En effet. On voit là apparaître l'adhésion d'un nombre croissant de communes à la TPU, qui permet de favoriser progressivement les convergences. On voit aussi que les taux de TPU pratiqués par les communes du groupement sont assez stables. On constate également une réduction des écarts entre les taux pratiqués par les groupements eux-mêmes.

J'observe que l'augmentation de la fiscalité directe est bien plus importante si l'on prend en compte la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Non seulement l'instauration de cette taxe et sa prise en charge par les groupements s'est développée dans le temps, mais la recette a progressé rapidement.

M. le Rapporteur : À la différence du Trésor, la DGCL n'intègre pas la TEOM dans les niveaux de fiscalité.

M. Dominique SCHMITT : Je l'ai signalé dans un document que j'ai distribué lors de la précédente audition et j'ai expliqué ce que cela donnerait si l'on intégrait la TEOM.

Le tableau de la page 16 montre que, pour l'ensemble des structures de coopération intercommunale à fiscalité propre, cette taxe représentait 325 millions d'euros en 1995 et qu'elle a atteint 1 827 millions d'euros en 2003, sur un total prélevé de 3 675 millions.

M. le Rapporteur : Ce qui serait intéressant, ce serait de disposer de l'évolution de la TEOM par habitant et de son niveau relatif quand on est en intercommunalité et quand on n'y est pas. À combien d'habitants doit-on respectivement rapporter les chiffres de 325 millions et de 2 153 millions, et de 1 827 et de 3 675 millions ?

M. Dominique SCHMITT : Dans l'immédiat, il est intéressant de constater que les 325 millions d'euros de TEOM collectés en 1995 dans le cadre de l'intercommunalité représentaient 15 % d'un total de 2 153 millions d'euros, alors que le montant de 1 827 millions d'euros collecté en 2003 représente la moitié des 3 675 millions de la TEOM totale. On voit bien que les structures de coopération intercommunale à fiscalité propre ont tendance à prendre une part de plus en plus importante de cette taxe, qui croît elle-même de façon significative, en raison des dépenses liées à la mise aux normes et de l'augmentation du volume des déchets.

M. le Rapporteur : Quand on parle de décentralisation, de transferts de compétences, on s'interroge en particulier, on l'a bien vu avec les conseils généraux, sur l'évolution du mode de gestion de la collectivité locale. Selon qu'une compétence sera exercée par l'État ou par une collectivité territoriale, quelles économies pourra-t-on réaliser ? Quelle sera, au contraire, la pression supplémentaire sur la dépense ? Aura-t-on par exemple tendance à recruter davantage si ce sont les conseils généraux qui s'occupent des TOS ? Géreront-ils autrement que l'État les flux du RMI ? La même question vous paraît-elle avoir un sens s'agissant de l'intercommunalité ?

Au-delà des observations sur le fait qu'une ville aura du mal à construire un Zénith alors que la communauté d'agglomération pourra le faire, ou sur le fait qu'une commune ne pourra pas réaliser une crèche alors que la communauté de communes pourra le faire, une autre gestion sera-t-elle possible ? Il s'agit ici de productivité, au sens non pas des économies d'échelle et de la mutualisation des moyens, mais d'une nouvelle approche. On peut même penser que l'intercommunalité peut permettre, en s'éloignant de la pression citoyenne, de faire des économies.

Bien sûr, l'intercommunalité, ce n'est pas la décentralisation, c'est au contraire une remontée vers le haut, mais c'est aussi un changement de l'échelon de compétences. Avez-vous des choses à dire à ce propos ?

M. Dominique SCHMITT : S'agissant de l'évolution des dépenses respectives des budgets communaux et intercommunaux, on se rend bien compte que la mise en place de l'intercommunalité, sur des sommes plus importantes que nous ne le pensions, a d'abord permis aux communes de réduire considérablement leur propre budget et de stabiliser l'évolution de leurs dépenses. Si l'intercommunalité n'avait pas été faite, la progression des dépenses de ces communes aurait été beaucoup plus forte, sans doute de 15 milliards d'euros sur les 20.

M. le Rapporteur : Vos courbes montrent que, s'il n'y avait pas eu l'intercommunalité, les communes auraient dépensé 15 milliards d'euros de plus. Le delta absolu est donc de 5 milliards d'euros.

M. Dominique SCHMITT : Si on intègre ce que j'ai dit tout à l'heure sur la TEOM, on se rend compte qu'elle prend une part non négligeable - un peu plus de d'1,5 milliard d'euros - dans la progression des dépenses de l'intercommunalité.

À partir de là, il est évident que le reste doit résulter de l'amélioration du service rendu à la population. La réduction de la progression des budgets communaux est extrêmement significative, de même que l'écart de dépenses par habitant entre les communes, selon qu'elles sont ou non en intercommunalité. Qui plus est, avec le temps, cet écart se creuse en défaveur des communes isolées.

Tout cela permet d'avoir une image assez précise de la façon dont les dépenses augmentent.

M. le Rapporteur : D'un point de vue qualitatif, y a-t-il des choses à dire sur la nature des dépenses et de la gestion ? Au vu de votre expérience, certaines pratiques vous paraissent-elles plutôt économes ou plutôt dispendieuses ?

M. Dominique SCHMITT : Sur la question des modes de gestion publics et privés, je vous renvoie à un intéressant rapport que vient de publier l'Institut de la gestion déléguée que préside M. Claude Martinand, Vice-président du Conseil général des ponts et chaussées, que vous pourriez peut-être auditionner.

Nous n'avons pas, par ailleurs, d'éléments comptables précis qui nous permettraient de mesurer l'impact de la mutualisation. Il nous semble que, si l'on prend les effectifs, elle permet d'avoir un personnel plus qualifié, donc capable d'offrir des prestations de meilleure qualité. L'appartenance à une structure intercommunale tend en outre à modérer l'augmentation des effectifs communaux qui a été, en moyenne, de 2000 à 2002, de 2,1 %, soit 3,4 % pour les communes hors intercommunalité et 1,5 % pour les communes appartenant à une structure intercommunale.

M. Michel PIRON : Dans la comparaison des comptes consolidés, ne serait-il pas intéressant d'avoir la consolidation en fonctionnement et en investissement de l'ensemble communes plus intercommunalité ?

M. Dominique SCHMITT : Ce document vous a maintenant été distribué.

M. Michel PIRON : Je n'ai jamais cru que l'intercommunalité pourrait faire baisser la fiscalité ; je ne m'attendais même pas spécialement à ce qu'elle permette de la stabiliser. Je pense simplement qu'en ouvrant des capacités supplémentaires par la mutualisation, elle ne peut que conduire à prendre en compte des besoins qu'on était incapable d'appréhender à l'échelle communale : il y a des projets qui ne viennent même pas à l'idée quand on n'en a pas les moyens.

S'agissant de la TEOM, on assume aussi bien des coûts fixes que des coûts d'amortissement et de fonctionnement qui peuvent varier beaucoup, en particulier en fonction du mode de collecte. Disposez-vous de chiffres sur la dispersion des coûts liés à ce service qui est en train d'exploser, et sur les modalités de collecte ? Ce serait d'autant plus utile qu'on a beaucoup insisté, au niveau national, avec Eco-emballage, à développer considérablement le tri alors qu'on s'interroge maintenant sur la filière incinération... Il y a vraiment une évaluation à faire, car si on ajoute cela à l'ensemble de la pression fiscale des collectivités territoriales, on atteint maintenant les limites du supportable pour de très nombreux ménages.

M. Dominique SCHMITT : Je ne puis répondre à votre question car une analyse rétrospective n'est pas possible, faute de données individualisées dans les comptes. Vous avez en revanche institué, en loi de finances, un état spécial annexé aux comptes qui permettra de comparer les dépenses et les recettes. Ce que vous demandez sera donc possible à l'avenir.

M. Alain GEST : Je ne veux pas choquer mes collègues pro-intercommunalité, et je suis d'ailleurs moi-même favorable à son développement. Mais mon département compte deux fois plus de communes que la moyenne nationale et je sais ce que signifie l'émiettement communal car je suis député d'une circonscription qui en compte 230...

M. le Rapporteur : Et la mienne 241...

M. Alain GEST : La loi n'a jamais eu pour objectif de faire baisser la fiscalité. Et les phénomènes que vous constatez, comme la baisse du nombre de SIVOM, sont tout simplement logiques. Je pense qu'il devrait même y en avoir encore moins, car certains résistent de façon inutile et continuent à peser sur les budgets communaux.

On a pu observer un ralentissement de certaines dépenses, mais en aucun cas on ne peut dire que celles des communes diminuent. Vous avez dit que les dépenses des intercommunalités n'intégraient pas les ordures ménagères.

M. Dominique SCHMITT : J'ai simplement dit pourquoi les tableaux que j'avais commentés lors de ma première audition n'intégraient pas la TEOM et je vous ai indiqué les corrections éventuellement nécessaires. Mais la TEOM figure bien dans les tableaux que je vous ai distribués aujourd'hui.

M. Alain GEST : Est-ce le cas quand vous traitez, page 9, des dépenses totales des communes et de leurs groupements à fiscalité propre ?

M. Dominique SCHMITT : En effet.

M. Alain GEST : Si j'ai parlé tout à l'heure des communes en dessous d'un certain seuil de population, c'est parce qu'on constate, s'agissant des prestations supplémentaires que peuvent fournir les structures intercommunales, qu'il y a de nombreuses compétences que n'assumaient pas jusqu'ici les petites communes isolées. On ne peut, par conséquent, parler de « dépenses en moins ». Il y a une différence nette entre les communautés d'agglomération, qui intègrent souvent des villes d'une certaine taille, et les communautés de communes rurales. Pour ces dernières, ce qui était auparavant pris en compte dans le SIVOM, par exemple les ordures ménagères, a été transféré au groupement de communes à fiscalité propre, et ce qui se fait en plus a des répercussions sur les dépenses du bourg centre et des communes importantes, mais aucune sur les autres communes, ce qui explique que leurs budgets continuent d'augmenter parce qu'elles ne peuvent pas faire baisser leurs dépenses.

M. le Rapporteur : Les dépenses communales ont moins augmenté qu'elles ne l'auraient fait sans l'intercommunalité. Ce que souhaite M. Gest, c'est qu'on distingue les dépenses des villes-centres de celles des autres communes.

M. Alain GEST : Vous avez indiqué qu'en moyenne les dépenses de personnel augmentaient de 2,1 % par an, mais de 3,4 % là où il n'y a pas d'intercommunalité et de 1,5 % seulement dans les communes qui ont intégré une intercommunalité. Mais il faut y ajouter, pour les secondes, l'augmentation des dépenses de personnel de l'intercommunalité. C'est pour cela que je pense qu'il faut toujours faire apparaître l'agrégat des deux. À défaut, les comparaisons ne sont pas possibles. On dira que le groupement de communes rend davantage de services. Certes, mais ce n'était pas exactement l'objectif de départ de la loi.

M. le Président : On s'éloigne de la question précédemment posée, qui était : la dépense des communes diminue-t-elle quand il y a intercommunalité ?

M. Dominique SCHMITT : Le Rapporteur souhaitait aussi savoir s'il était possible de connaître l'importance de la diminution des dépenses selon la taille des communes. Il apparaît assez clairement qu'elle est plus forte pour les communes de plus de 10 000 habitants.

M. Alain GEST : Vous voulez dire « diminution de la progression ». Cela apparaît bien dans les tableaux, mais les dépenses continuent d'augmenter quand même.

M. Michel PIRON : Disposez-vous de mesures de l'évolution des dépenses transférées des communes à l'intercommunalité ?

M. Dominique SCHMITT : Cela semble impossible au regard de la dispersion des communes et de la variété des choix qui ont été faits en matière d'intercommunalité

M. Jean-Pierre GORGES : Cela dépend aussi du contexte économique. Ainsi, toute la croissance économique intervenant dans ma propre commune, si elle n'était pas en intercommunalité, j'aurais pu réduire sa fiscalité de 20 %.

M. Denis MERVILLE : J'ai malheureusement manqué le début de cette audition, mais je puis comparer les tableaux qui ont été distribués avec ce que je vois sur le terrain.

Pensez-vous vraiment que vous aidez à diminuer les dépenses publiques quand vous écrivez dans une des publications de la DGCL que 110 000 emplois ont été créés grâce à l'intercommunalité ?

Par ailleurs de nombreux avantages ont été accordés au personnel des intercommunalités par rapport à celui qui est resté dans les communes. J'ai siégé au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et je me souviens très bien des primes qu'on accordait pour pousser le personnel à aller vers l'intercommunalité. Il est vrai aussi qu'on n'y a pas toujours envoyé les meilleurs...

Vous nous dites qu'il y a peut-être moins de dépenses d'équipement des communes. Mais ne croyez-vous pas que la lourdeur administrative est aussi un frein à l'investissement des collectivités territoriales ? En cinq ans, l'intercommunalité à laquelle je participe n'a pas réussi avancer. Voyez, par exemple, la complexité des procédures dans le cadre de la loi sur l'eau. N'est-ce pas une des principales raisons de la moindre augmentation des dépenses ?

Avez-vous par ailleurs des chiffres sur les dépenses de communication des intercommunalités ? Dans mon département, plusieurs d'entre elles se paient des directeurs de la communication, des bulletins luxueux. Le conseil général ne faisait pas cela, il n'employait pas autant de personnel. Quand un conseiller général réalisait un bulletin, c'était grâce au concours de la publicité. Et je ne parle pas des dépenses de bureau : nous inaugurons tous régulièrement des locaux pour les intercommunalités.

Avez-vous des chiffres sur les dépenses nouvelles liées aux intercommunalités ? Certaines organisent des festivals, ce qui n'a pas grand-chose à voir avec les transferts de compétences... C'est parce qu'il y a plus de gens qui ont des responsabilités, donc plus d'idées, qu'on engage des dépenses nouvelles. Peut-être le service rendu est-il meilleur, mais cela contribue à l'augmentation des dépenses.

Avec le volet territorial des contrats de plan, la région s'est mise à faire des choses - chemins de randonnée, aires de pique-nique - que faisait très bien le conseil général. Personne n'y comprend plus rien. Surtout, l'exemple de mon propre pays montre que cela coûte plus cher en études qu'il n'y a d'apports financiers de la région.

J'en viens à vos tableaux sur la TEOM. Je suis attaché à l'environnement mais il est évident qu'à partir du moment où l'on passe en intercommunalité cela coûte plus cher ! Venez donc voir sur le terrain ce qui se passe ! Quand cela relevait du SIVOM, le ramassage se faisait trois fois par semaine dans le chef-lieu de canton et une fois dans les communes rurales. Aujourd'hui, tout le monde pense que c'est l'autre qui va payer et demande qu'on passe trois fois. Le service est meilleur : on vient, en zone rurale, devant la porte des administrés ramasser la poubelle grise ou la poubelle jaune, mais, ce faisant, on assiste encore un peu plus les gens et cela coûte cher.

C'est pour cela que je souhaite que vous nous indiquiez quelles sont les dépenses nouvelles auxquelles les intercommunalités n'étaient pas tenues et quelles sont leurs dépenses de communication.

Les technocrates parlent, à propos du volet territorial des contrats de plan, d'« effet multiplicateur ». Autrement dit, la région apporte 1 et la collectivité de base dépense 10, mais cela veut dire qu'il faut trouver 9 auprès du contribuable local !

On en est arrivé à un quatrième et à un cinquième échelons d'administration. Le citoyen n'y comprend plus rien, il ne sait plus qui est responsable. Je suis dans un SIVOM qui avait fait une piscine, un collège, une école de musique, mais aujourd'hui tout le monde s'occupe de tout et les dépenses publiques augmentent. Sortez donc un peu de vos statistiques pour aller voir ce qui se passe vraiment !

M. le Rapporteur : M. Jean-Pierre Gorges demande avec insistance qu'on distingue, pour chaque niveau de collectivité, la part consacrée aux dépenses obligatoires. S'agissant de l'intercommunalité, il n'y a pas de compétence générale. Vous allez me dire : « par construction, les dépenses devraient être consacrées aux compétences ». La réalité est un peu différente : le contrôle de légalité est pour le moins souple sur ces choses-là, la définition de la compétence est parfois compliquée et on voit bien les délais qui sont demandés pour la définition de l'intérêt communautaire. Peut-on évaluer ce que les structures intercommunales font en réalité hors champ de compétence, même si ce n'est pas censé être légal ?

Vous avez rappelé par ailleurs que l'intercommunalité s'était substituée en partie à des dépenses que les SIVOM engageaient. Pouvez-vous comparer l'efficacité respective des SIVOM et des structures à fiscalité propre ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Je suis venu dans cette Commission afin de clarifier mes idées. J'en sors avec le sentiment d'un embrouillamini dans les compétences locales, dans lequel le conseiller de base à la Cour des comptes que je suis ne s'y retrouve pas. Et cette complexité s'est aggravée au cours des dernières années.

Je me demande s'il ne faudrait pas en fait s'intéresser à un critère dont personne n'a tenu compte jusqu'ici, celui des mètres carrés occupés par les différents « étages » des collectivités territoriales. J'aimerais avoir ces chiffres, depuis 1999. Je ne parle pas des voitures de fonction, qui suivent les mètres carrés, ni des personnels, qui suivent les deux. Mais disposer d'un tel critère incontestable nous serait fort utile. J'ignore si la collecte de ces données relève des compétences du ministère de l'intérieur, mais je sais que certaines chambres régionales des comptes se sont posé la question.

Je souhaite également vous poser une question un peu plus précise. Auxerre est toujours en communauté de communes, doit-elle passer en communauté d'agglomération ? J'ai des communes viticoles de 200 ou 300 habitants et, pour parler franchement, je ne veux pas perdre mon vignoble. J'aimerais donc savoir si l'incitation fiscale à passer à la communauté d'agglomération est véritablement pérenne ou si elle risque d'être un jour remise en question.

M. Dominique SCHMITT : Je ne puis répondre à la question sur Auxerre sans avoir analysé en détail l'ensemble des éléments. Dans l'esprit de ceux qui l'ont conçue, l'incitation par la DGF est stable, sous réserve que le Parlement ne remette pas en cause les différents modes de calcul de la DGF des communautés urbaines, des communautés d'agglomération, des communautés de communes.

Ce qui est également intéressant dans ce dispositif, c'est la réduction, au sein d'une agglomération, de la concurrence entre les collectivités. Cela apparaît assez nettement dans les tableaux que j'ai distribués. Et ce n'est pas neutre en termes de stratégie d'aménagement du territoire. Cela permet à des équipements d'être réalisés là où ils doivent l'être, avec une rentabilité optimale. On se souvient, avant l'instauration d'une TPU, de la concurrence entre des zones d'activité largement sous commercialisées, avec plus de terrains offerts que le marché ne pouvait en absorber.

Je ne vois pas à quoi M. Denis Merville a fait allusion à propos des 110 000 emplois créés, mais une telle formule n'est guère dans le style de la DGCL. La plupart des ouvrages statistiques sur le personnel émanent du CNFPT. Si vous me fournissez celui dont vous parlez, je pourrais vous apporter une réponse plus précise.

M. Denis MERVILLE : Vous avez juré de dire toute la vérité...

M. Dominique SCHMITT : Mais je ne sais pas où vous avez lu cela ! Je dis simplement qu'il n'est pas dans le style de la DGCL de faire des commentaires de ce type sur une approche statistique.

M. Alain GEST : Ce n'est certainement pas vous qui avez fait cette observation, mais l'essentiel, ce sont les chiffres.

M. Dominique SCHMITT : Une de vos principales préoccupations, que je partage pleinement, a trait à la façon d'améliorer le dispositif de contrôle des communes et des élus communaux sur les intercommunalités. Nous sommes en train de regarder s'il serait possible d'appliquer un dispositif un peu semblable à celui qui est envisagé dans le projet de traité constitutionnel pour le contrôle exercé par les parlements nationaux sur l'Union européenne.

Par ailleurs, plus vite l'intérêt communautaire sera défini, plus vite on aura une vision précise de la réalité de l'intercommunalité et de l'intégration, par rapport à des dispositifs d'aubaine destinés à capter des surcroîts de dotations. Mais je comprends aussi - c'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne s'est pas opposé à l'amendement reportant d'une année la définition de l'intérêt communautaire qui aurait dû intervenir au plus tard cet été - qu'on puisse avoir intérêt à ne pas précipiter les choses. Il importe en effet de conserver un dialogue de qualité et de confiance et de garantir la dynamique de l'intercommunalité et la qualité des relations de confiance entre les groupements et les communes membres. Nous avons donc répondu à M. Jacques Pélissard, Président de l'Association des maires de France, que nous comprenions bien la nécessité de ce report. Mais on ne pourra pas aller au-delà d'un an, car il faut désormais absolument clarifier le concept d'intérêt communautaire.

S'agissant des indemnités, si on prend la région par rapport au département, ou ce dernier par rapport aux intercommunalités et aux grandes villes, ces dernières enfin par rapport aux petites communes, on constate d'importantes différences entre collectivités, qui se traduisent par des indemnités très élevées dans les structures qui en ont les moyens, et donc par une très grande difficulté de recrutement des petites communes quand elles sont en concurrence avec elles sur le marché de l'emploi pour recruter des personnels. C'est un de nos sujets de réflexion dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la fonction publique territoriale.

M. le Rapporteur : J'ai moi-même constaté qu'un attaché pouvait avoir intérêt à aller s'occuper de choses microscopiques dans une structure intercommunale où il trouvera un régime indemnitaire et un déroulement de carrière favorables, plutôt que de s'occuper de choses plus intéressantes dans une petite communes, dans des conditions moins bonnes pour lui.

M. Dominique SCHMITT : Mais cette concurrence joue aussi entre communes d'une part, départements et régions d'autre part, ainsi qu'entre départements riches et pauvres et à de multiples autres niveaux. Cela tient au fait que la gamme des indemnités est très large, en raison du principe de libre administration des collectivités. Il est évident que les petites communes n'ont pas les mêmes possibilités de rémunération que les plus grandes.

C'est aussi le principe de libre administration qui empêche de porter un jugement sur l'utilité de telle ou telle dépense des collectivités territoriales. Les élus, qu'ils soient communaux ou intercommunaux, apprécient les besoins de leur population et prennent démocratiquement les décisions. Pouvoir disposer de crédits d'études pour les pays était ainsi une demande très forte des élus, qui a été satisfaite grâce au FNADT. Mais c'est bien à la collectivité qu'il appartient de décider de faire procéder ou non à une étude.

M. le Président : Je vois, comme M. Denis Merville, augmenter le nombre des études, mais cela ne vient pas toujours des collectivités territoriales : dans les contrats de plan, c'est souvent l'État qui en demande.

M. Dominique SCHMITT : M. Denis Merville parlait des pays, pour lesquels il n'y a pas obligation de mener une étude, la « petite loi SRU » ayant beaucoup simplifié le processus, puisqu'il n'est même plus nécessaire d'avoir la personnalité juridique pour contractualiser.

S'agissant des festivals, il n'y a aucune identification comptable qui me permette d'apporter une réponse sur ce type de dépenses.

Nous ne disposons pas non plus d'outils comptables pour comparer l'efficacité du service rendu respectivement par les SIVOM et par les structures à fiscalité propre. Les seules données dont je dispose sont celles que je vous ai fournies sur la baisse du nombre des SIVOM et des SIVU.

M. le Rapporteur : Le changement d'échelle permet de se lancer dans un certain nombre d'actions et de calmer en même temps l'évolution de dépenses communales, mais ce changement aurait pu se faire par des structures qui n'auraient pas été à fiscalité propre. Un autre système aurait-il eu les mêmes effets ? Sans doute : l'exemple des SIVOM le montre.

M. Jean-Pierre GORGES : Mon dada, ce sont les compétences. Je pense qu'il y a eu une inflation terrible parce que tout le monde fait tout. D'ailleurs, les responsables du conseil général du Bas-Rhin nous ont montré qu'avec un effectif très faible de 1 100 personnes, 25 % de son budget était utilisé à des compétences non obligatoires. Les choses sont un peu mieux cadrées pour la région Alsace, cette part ne représentant que 2 %. J'insiste donc, même si c'est difficile pour l'intercommunalité, pour qu'on sache, pour chaque type de collectivités, ce qui est utilisé pour les compétences obligatoires et pour des compétences non obligatoires. D'ailleurs, nous sommes plusieurs à avoir interrogé le Gouvernement sur ces questions, qui mettent en difficulté les maires et les présidents de communauté d'agglomération. On peut prendre l'exemple de la politique de la ville : même si elle est de la compétence des intercommunalités, chaque maire souhaite mener sa propre politique dans sa commune et les dépenses s'additionnent.

Il faut donc bien redéfinir les compétences obligatoires et ne pas laisser subsister ce niveau subsidiaire que l'on va d'ailleurs retrouver dans l'intérêt communautaire. À cela s'ajoute l'ambiguïté de la « loi Chevènement » qui fait que le président de la communauté d'agglomération peut être une autre personne que le maire de la commune centre. Cela peut amener, là encore, faute d'avoir tenu compte dans la loi des particularités du contexte politique local, à une addition des dépenses.

L'intercommunalité s'est construite de manière sympathique : on se réunit et on fait une communauté de communes... Chez moi, autour de la communauté d'agglomération qui est réduite à l'espace urbain, il y a trois communautés de communes qui se sont montées de manière défensive, parce que la couleur politique de l'agglomération n'était pas la même. On en arrive donc à des rapprochements fondés sur des critères de personnalité, au prix d'une multiplication des structures et des effectifs. Ne pensez-vous pas que, dans ces conditions, le système de l'intercommunalité peut être inflationniste ? La loi ne devrait-elle pas donner des définitions plus précises, d'autant que la loi SRU nous demande pour sa part de construire des SCOT, lesquels pourraient recouper totalement les communautés d'agglomération et faire ainsi disparaître les structures redondantes ?

M. Dominique SCHMITT : Les questions de la gouvernance d'un territoire et des rapports entre communes et intercommunalité sont très importantes. Il est vrai que nous sommes passés d'un principe d'exclusivité et de spécialité des établissements publics par rapport aux compétences générales des collectivités territoriales, à des notions plus floues, avec des frontières plus imprécises que dans la doctrine classique. On se dirige vers une nouvelle gouvernance entre communes et intercommunalité, qu'il est intéressant d'étudier complètement. Je vous enverrai la note d'analyse juridique que j'ai rédigée à ce propos lorsqu'une autre commission de votre Assemblée m'a auditionné.

N'y apparaît toutefois pas tout ce qui touche à la position de la ville centre dans ses relations avec l'intercommunalité, en particulier quand la composition des organes dirigeants de cette dernière n'est pas représentative de la répartition de la population.

M. Denis MERVILLE : Un certain nombre de questions vous ont été aussi posées sur les dépenses nouvelles, notamment en ce qui concerne la communication, les études, les locaux. Si vous ne disposez pas des données statistiques, il vous est assez facile de procéder à des sondages.

L'intérêt communautaire suscite aussi l'apparition sur le terrain de bureaux d'études qui nous proposent de traiter cette question. Mais il faut être pragmatique : dans mon intercommunalité, avec le conseil général, on a fait Ludisport, on a créé un relais assistance maternelle, il n'y a pas eu de problème, tout le monde était d'accord. Mais si on nous dit, dans une intercommunalité de 18 000 habitants, qu'il faut définir une politique culturelle, touristique, etc. l'idée de devoir encore payer des études va effrayer les gens...

M. le Rapporteur : Il est toujours possible de dire non.

M. Denis MERVILLE : Certes, mais l'État poussant à ce que l'intérêt communautaire soit défini très rapidement, les bureaux d'études exercent une véritable pression.

S'agissant de la gouvernance, vous dites qu'il faut un meilleur contrôle des communes sur l'intercommunalité...

M. le Président : Je rappelle quand même que la Constitution interdit la tutelle d'une collectivité sur une autre...

M. Denis MERVILLE : Mais, sur le terrain, on voit apparaître, dans les conseils de développement des pays, des gens qui n'ont pas été eux-mêmes élus, qui sont parfois des opposants à la municipalité en place, qui ont beaucoup d'idées et qui poussent les élus à les mettre en œuvre.

M. le Président : Je vous invite à être plus concis afin que davantage de questions puissent être posées.

M. Dominique SCHMITT : Les courbes que j'ai analysées tout à l'heure montrent à l'évidence une rupture de la croissance des dépenses des communes, dans des proportions telles qu'il ne peut s'agir ni de dépenses de communication ou d'études, ni de dépenses somptuaires des exécutifs locaux. On voit bien qu'une part importante des dépenses qui étaient auparavant engagées par les communes a maintenant basculé vers l'intercommunalité.

Je ne disconviens pas qu'il puisse y avoir, çà et là, des abus comme ceux que vous rapportez, mais ce n'est certainement pas l'explication première de l'évolution des dépenses des communes et de l'intercommunalité.

M. Michel PIRON : N'y a-t-il pas, à la source de nos questions et de nos problèmes, le fait que, contrairement à tous les pays européens, nous n'avons pas trois niveaux en dessous de l'État mais quatre : commune, intercommunalité, département et région ?

M. Jean-Pierre GORGES : Sans compter le pays...

M. Dominique SCHMITT : Il y aurait beaucoup à dire si on se lançait dans les comparaisons européennes. On peut déjà se demander si le fait d'avoir 36 000 communes est ou non une richesse. Nous sommes convaincus que tel est bien le cas, en termes de démocratie comme de mobilisation de l'esprit citoyen et de représentation de l'État. Mais il est dès lors évident qu'une toute petite commune rurale ne dispose pas des mêmes moyens qu'une grande agglomération pour assumer ses compétences. La mutualisation des moyens est donc incontournable. Et on constate aujourd'hui qu'avec les 2 625 intercommunalités, on a une couverture très satisfaisante, qui assure cette mutualisation des moyens et permet d'offrir aux citoyens, où qu'ils se trouvent sur le territoire, des services de même qualité. On mesure là l'importance de l'intercommunalité et on comprend mieux ses relations avec les communes.

S'agissant des pays, le Gouvernement comme le Parlement ont clairement indiqué qu'il ne s'agissait pas d'un quatrième niveau territorial mais d'un lieu de mise en commun pour pouvoir contractualiser avec l'État. Il faut rappeler ce concept pour éviter qu'on fasse des pays ce qu'ils n'ont pas vocation à être et qu'on rende ainsi illisible l'ensemble du dispositif.

S'agissant des comparaisons européennes, nous avons procédé à l'étude sur la fiscalité que vous nous aviez demandée lors de l'audition précédente. Elle montre des organisations différentes. Il y a tout d'abord des pays où la part des transferts financiers est prépondérante dans les recettes locales. Elle est ainsi de 55 % en Allemagne, de 46 % en Belgique, de 59 % en Espagne, de 60 % en Grèce, de 62 % aux Pays-Bas, de 63 % en Italie. Il y a ensuite les pays où les transferts jouent très modestement : le Danemark, avec 18 %, la Finlande, avec 23 %, et la Suède. Enfin, avec respectivement 40 et 39 %, la France et l'Autriche ont une part de transferts importante mais relativement équilibrée par rapport à la fiscalité. Il est intéressant de constater qu'il n'y a donc pas toujours de lien entre le niveau de décentralisation et les ressources fiscales, comme le montre clairement la comparaison avec l'Allemagne ou l'Espagne.

Vous aviez également souhaité que je fournisse des précisions sur les outils de régulation. Il convient de distinguer deux outils de régulation : la régulation par la ressource et la régulation par la dépense.

La Grande-Bretagne a eu recours à la régulation par la ressource à la suite de la quasi-cessation de paiements de grandes cités comme Liverpool et Londres, de même que la Belgique, en raison des difficultés de ses provinces. Un tel système, qui ne peut emprunter que la voie législative, doit être utilisé avec la plus grande précaution. En France, il se heurterait au principe de libre administration des collectivités territoriales et à l'article 72 de la Constitution, ainsi qu'à la grande hétérogénéité de nos collectivités territoriales.

La régulation par la dépense paraît en revanche assez efficace. Elle n'a pas été prévue immédiatement par les premières lois de décentralisation, faute d'une présentation des documents budgétaires qui aurait permis un mécanisme de contrôle démocratique de la dépense. La loi ATR de 1992 a corrigé cela en introduisant dans le budget des communes de plus de 3 500 habitants une série d'indicateurs synthétiques qui font l'objet d'une analyse par la DGCL et par la Direction générale de la comptabilité publique, et qui permettent, par le jeu démocratique de l'opposition dans une collectivité territoriale, d'engager un débat sur l'évolution de la dépense.

Le législateur a également prévu des annexes budgétaires très utiles quant à l'engagement budgétaire de la collectivité, en termes de garanties d'emprunt et d'état des concours financiers à des tiers. Il a également institué le débat d'orientation budgétaire qui est très important, en amont du vote du budget primitif, pour faire jouer cette régulation.

J'ajoute que les nomenclatures comptables ont évolué, puisqu'on a cherché à les rapprocher des principes de la comptabilité générale, et elles intègrent une approche patrimoniale.

C'est donc sans doute sur cette piste de la régulation démocratique par la dépense qu'il convient aujourd'hui de travailler.

Un certain nombre de dispositifs ont aussi été récemment mis en œuvre : nous allons vous fournir dans les jours qui viennent les ratios d'autonomie financière des collectivités territoriales. Apparaît aussi désormais, dans la DGF, la notion d'effort fiscal, destinée à limiter le plus possible l'obligation dans laquelle se trouvent certaines communes très défavorisées de relever leurs taux. La prise en compte de cet effort fiscal et son écrêtement constituent un dispositif de régulation qui n'est pas inintéressant.

M. René DOSIÈRE : À partir des schémas qui nous ont été remis et de vos remarquables publications régulières, on constate que l'intercommunalité aboutit à un certain nombre de dérives, notamment en matière de recettes, et à une aggravation de la fiscalité. C'est ce qui nous amène à vous interroger sur la régulation. J'admets qu'un certain nombre de progrès ont été faits en la matière mais ils sont sans doute, compte tenu de leur application sur le terrain, nettement moins significatifs que vous voulez bien le dire.

La démarche citoyenne de transparence me paraît bonne, mais peut-être faudrait-il aller plus loin, c'est-à-dire vers une régulation des recettes par le citoyen - à condition qu'il ait la possibilité de s'exprimer démocratiquement devant des élus qui lui rendraient des comptes sur leur gestion et sur l'augmentation de la fiscalité. Tel n'est pas le cas. Dans la mesure où votre ministre y est opposé, je ne veux pas vous mettre en difficulté en vous demandant si vous seriez favorable à l'élection au suffrage universel des intercommunalités... Je souhaite néanmoins savoir si vous conduisez des études permettant de voir si ce système citoyen régulerait mieux les choses.

M. Dominique SCHMITT : Sans me mettre en porte-à-faux par rapport aux déclarations de M. Jean-François Copé au congrès de l'Association des maires de France, je puis vous dire sereinement, puisque je suis sous serment, l'intime conviction qui est la mienne. L'intercommunalité est aujourd'hui une réussite quantitative indiscutable grâce notamment à une bonne couverture du territoire. Nous avons encore quatre à cinq années de travail pour l'améliorer qualitativement. Mais nous ne pourrons y parvenir si subsiste chez les élus une ambiguïté sur le devenir des communes. Il est ainsi catastrophique pour le parachèvement de l'intercommunalité qu'un élu se soit déclaré convaincu, devant l'Association nationale des élus de la montagne, que les communes allaient disparaître à terme. De même, évoquer trop tôt l'élection au suffrage universel des présidents ou des responsables de l'intercommunalité peut alimenter cette confusion dans l'opinion des maires.

M. René DOSIÈRE : L'élection n'implique pas la disparition des communes...

M. le Président : Je constate que vous répondez à la question qui n'a pas été posée...

M. Dominique SCHMITT : Et qui ne se posera plus dans quatre ans parce que les élus seront totalement rassurés sur le devenir de la commune.

M. le Président : Au terme de cette audition, je rappelle à mes collègues que nous sommes une Commission d'enquête, pas une chambre d'accusation. Au lieu de se demander pourquoi on avait fait l'intercommunalité, quel était son rôle et s'il était possible de l'améliorer, un certain nombre d'entre eux ont préféré la mettre en cause et envisager d'en réduire les moyens. Revenons donc à notre mission, qui est de rechercher des informations objectives et d'essayer d'en tirer des conclusions !

Le document de la page 12 montre un infléchissement de dépenses des communes, il faudrait que vous y fassiez figurer aussi les dépenses de l'intercommunalité. Nous verrons bien alors si on dépasse la tendance de 1975 à 1994 et de combien.

M. le Rapporteur : De 5 milliards d'euros !

M. le Président : Nous le verrons si on nous fournit ce schéma. Ensuite, si vous estimez que c'est trop et que la libre administration des collectivités territoriales est remise en cause, eh bien, vous ferez des propositions pour modifier la Constitution. J'ai quand même entendu dire qu'on voulait donner aux communes le pouvoir de contrôler l'intercommunalité !

M. le Rapporteur : C'est la subsidiarité...

M. le Président : Et pourquoi pas aussi donner au département le pouvoir de contrôler la région ?

On a aussi dit qu'il fallait en revenir à des compétences strictes. Mais vous les avez élargies et améliorées récemment, décision qui emporte, une fois n'est pas coutume, mon assentiment.

M. René DOSIÈRE : C'est la confusion la plus totale !

M. le Président : Il ne faudrait pas changer les règles chaque année...

Je suis un peu surpris que, dans une audition consacrée à la fiscalité, il n'y ait pas eu une seule question sur la taxe professionnelle. Pourtant, sa réforme pourrait, du jour au lendemain, donner un coup d'arrêt à l'intercommunalité.

Vous dites aussi que le budget de l'intercommunalité augmente et celui des communes également. Mais quand vous avez un projet ou un service d'utilité locale, il vous faut des moyens. Et si vous voulez des moyens, il faut augmenter les impôts locaux. Et quand vous n'avez que la TPU, il faut augmenter la TPU. Vous êtes donc obligé de demander aux communes membres d'augmenter leurs impôts ménages pour pouvoir mener à bien votre projet. N'y a-t-il pas là une incitation à l'augmentation fiscale ? Si nous voulons être objectifs, il faudra faire état de tout cela dans notre rapport.

J'ai apprécié les propos de M. Dominique Schmitt, qui voit dans la commune une richesse. Je constate, moi aussi, tout le dévouement qu'il y a dans les petites communes. Si on supprimait tous ces élus qui ne dépensent pas beaucoup et qui s'investissent énormément, ce serait une perte.

Je souhaitais que tout ceci figure dans le procès-verbal pour pouvoir être utilisé au moment de la préparation du rapport.

J'ai encore une question, qui ne concerne pas l'intercommunalité mais les départements, à propos du transfert des routes. J'ai reçu une lettre dans laquelle notre collègue Michel Bouvard, député de la Savoie, me fait part de son inquiétude devant le transfert de tunnels qui ne sont pas en conformité, ce qui imposera d'importants travaux de mise aux normes. N'est-ce pas aussi une source d'augmentation des dépenses, et donc de la fiscalité ? Je ne vous demande pas de répondre immédiatement, mais d'y réfléchir puisqu'un décret relatif à ces transferts doit paraître. Les exemples cités par notre collègue montrent qu'il peut y avoir un important transfert de charges pour certains départements.

M. le Rapporteur : Vous demandez, M. le Président, quel est l'écart entre l'augmentation des dépenses de l'intercommunalité et la diminution de celle des communes. Il me semble qu'en soustrayant aux 20 milliards d'euros qui apparaissent sur la courbe de la page 9, les 15 milliards d'euros qui figurent sur la courbe de la page 12, il est possible de répondre 5 milliards d'euros.

M. Michel PIRON : Plus exactement 3,5 puisque 1,5 milliard d'euros provient de la TEOM.

M. le Président : Ce calcul montrerait simplement que le total intercommunalité plus communes ne dépense pas un sou de plus, alors que je pense le contraire. Je souhaite donc que nous disposions d'une courbe traduisant communes plus intercommunalité.

M. le Rapporteur : La question essentielle est de savoir ce qui pousse aujourd'hui les structures intercommunales à ouvrir plus largement la fiscalité ménages.

M. Dominique SCHMITT : Sur les documents que je vous ai fournis, on voit clairement que les intercommunalités n'ont pratiquement pas touché les taux en TPU.

La liaison des taux pourrait poser le problème soulevé par le Président, mais nous avons procédé à une analyse rétrospective qui montre qu'on en reste au stade de l'hypothèse, puisque cela ne s'est jamais produit jusqu'ici. Le tableau que je vous ai donné montre une stabilité des taux de TPU. Les communes n'ont donc pas été amenées, par le jeu de cette liaison, à faire varier la fiscalité ménages.

M. le Rapporteur : Les quelques variations de la fiscalité ménages s'expliquent donc par des choix politiques plutôt que par la liaison des taux.

M. Dominique SCHMITT : Je ne puis vous répondre, faute d'études sur la fiscalité ménages. Mais il est certain que les communes n'ont pas eu besoin d'augmenter cette fiscalité en raison de la liaison des taux, puisqu'elles n'ont pas fait varier leur taux de taxe professionnelle.

M. le Président : On nous explique pourtant que les dépenses des communes augmentent...

Je vous remercie.

7 Autoroutes : 100 km - Routes nationales : 225 km - Routes départementales : 2 350 km - http://www.haut-rhin.equipement.gouv.fr/presentation.html


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