N° 443 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2002 RAPPORT D'INFORMATION FAIT AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (1), SUR LA DESSERTE DU TERRITOIRE PAR LA TÉLÉPHONIE MOBILE PAR M. Nicolas FORISSIER Député -- (1ère partie) (1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page. Télécommunications. La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Emile Blessig, président ; MM. Nicolas Forissier, Jean Launay, Serge Poignant, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Folliot, secrétaires ; MM. Joël Beaugendre, Jean Diébold, Jacques Le Nay, Alain Marleix, Mme Henriette Martinez, MM. Max Roustan, Jean-Pierre Dufau, Patrick Lemasle, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. INTRODUCTION 5 I - RAPPEL DES OBSERVATIONS DE LA DELEGATION SUR LE SCHEMA DE SERVICES COLLECTIFS DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION 7 A. UN ETAT DES LIEUX INCOMPLET 7 B. DES OBJECTIFS ENCORE IMPRÉCIS 8 II - LA COUVERTURE DU TERRITOIRE EN RÉSEAUX DE TÉLÉPHONIE MOBILE 10 A. UNE COUVERTURE DU TERRITOIRE THÉORIQUEMENT EN VOIE D'ACHÈVEMENT 11 B. LA POLÉMIQUE SUR LA QUANTIFICATION DES ZONES NON COUVERTES 13 1. La quantification selon le gouvernement 13 2. Les raisons des divergences d'évaluation avec l'Autorité de régulation des télécommunications 16 C. LA NÉCESSITÉ D'UN ARBITRAGE PUBLIC 17 1. Les évolutions de l'engagement de l'Etat 18 2. Un enjeu de concurrence entre opérateurs 19 3. Un nouveau dispositif 20 III - LA DESSERTE DU TERRITOIRE EN LIAISONS INTERNET À HAUT DÉBIT 22 A. L'ENJEU D'INTERNET POUR L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 24 1. L'état des lieux : des territoires inégalement desservis 25 a) La desserte par l'internet haut débit 25 b) Une progression lente malgré des tarifs plus attractifs 27 c) Le service universel en question 30 d) L'accès au réseau de France Telecom : une entrave à la concurrence ? 33 2. Une offre technique diversifiée, mais une logique de marché 36 a) L'offre technique 37 b) Une logique de marché 40 B. L'ACTION DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES 41 1. Une réglementation encore incomplète 43 a) L'adaptation du droit des télécommunications aux nécessités de l'aménagement du territoire 43 b) Autoriser les collectivités locales à être opératrices 45 2. Les collectivités locales et la Caisse des dépôts, principaux investisseurs publics 47 a) Le désengagement de l'Etat et des opérateurs 47 b) Les facilités de financement et d'expertise de la Caisse des dépôts 49 IV - CONSTAT ET PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION 51 A. LES CARENCES DU MARCHÉ ET DE L'ETAT 51 B. UNE CONCURRENCE ENCORE EMBRYONNAIRE SUR LE MARCHÉ DE L'INTERNET 53 C. PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION 54 1. Dans le domaine de la téléphonie mobile 54 2. Dans le domaine d'internet 55 EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION 59 LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 63 AUDITIONS 65 A N N E X E : COMPARAISONS INTERNATIONALES MESDAMES, MESSIEURS, La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a décidé de se pencher, pour la seconde fois en deux ans, sur les technologies de l'information et de la communication. Sous la précédente législature, M. Lionel Jospin, Premier ministre, avait saisi le Parlement par lettre du 23 mai 2001 afin qu'il rendît un avis sur les neuf schémas de services collectifs issus de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Parmi ces neufs schémas figuraient l'information et la communication. Votre Rapporteur avait présenté son rapport sur cette question à la Délégation le 6 juin 2001 (1). La Délégation a souhaité, dès l'ouverture de la présente législature, travailler à nouveau sur ce sujet en raison d'un constat : les remarques et les critiques qu'elle avait émises en 2001 sont restées sans suite. Si le schéma de services collectifs avait le mérite de proposer des pistes de réflexion dans un domaine où la prospective est difficile, tant les évolutions technologiques sont rapides, force était de constater l'imprécision de ce document quant à l'aménagement du territoire. L'absence totale de cartographie empêchait notamment de connaître l'état de la desserte des collectivités locales en technologies de l'information et de la communication. Cette lacune rendait à elle seule le travail de la Délégation très abstrait. Or, peu après la publication du rapport de la Délégation, un Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) s'est tenu le 9 juillet 2001 à Limoges sur le thème de la société de l'information. Le gouvernement a dégagé deux objectifs : d'une part, assurer un déploiement équilibré des réseaux d'information et de communication sur tout le territoire, en particulier dans les zones défavorisées, les moins développées économiquement ou les moins peuplées ; d'autre part, accompagner le Plan d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI) Les membres de la Délégation, tous élus locaux dans différentes régions de métropole et d'outre-mer, ne peuvent que constater le retard pris par notre pays, qu'il s'agisse de l'équipement des ménages ou de l'accès des entreprises aux différents réseaux. Ce retard varie selon les zones de notre territoire. La "fracture numérique" n'est pas une vaine expression mais reflète une réalité, à savoir celle de territoires bien équipés, attractifs pour les investisseurs tandis que d'autres risquent d'être marginalisés à terme. Plus généralement, il semble que le CIADT du 9 juillet 2001 n'ait connu qu'une seule application : l'aménagement d'un pylône dans l'Ardèche. Au-delà de l'ironie que suscite ce constat d'indigence, l'enjeu est de savoir si l'Etat entend conduire une politique des nouvelles technologies garantissant une réelle équité entre les territoires, en y mettant les moyens juridiques et financiers nécessaires ou s'il renvoie leur développement aux collectivités locales et aux opérateurs privés. Conformément au rôle assigné par la loi du 25 juin 1999 à la Délégation, le présent rapport a pour objet de faire le point sur l'application des textes relatifs aux télécommunications, notamment sur les retards d'équipement de notre territoire en matière de technologies de communication et d'information, et de mesurer par ailleurs les obstacles à une desserte équilibrée de l'ensemble de notre pays. I - RAPPEL DES OBSERVATIONS DE LA DELEGATION SUR LE SCHEMA DE SERVICES COLLECTIFS DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION Un bref rappel des conclusions émises par la Délégation le 6 juin 2001 s'impose afin d'apprécier les limites qui frappent le schéma des services collectifs de l'information et de la communication. Votre Rapporteur avait d'emblée souligné la relative singularité d'une démarche planificatrice, en contradiction avec l'évolution rapide du secteur des technologies de l'information. Ce secteur bénéficie des progrès desdites technologies, mais subit les soubresauts des marchés financiers. Du moins le projet de schéma avait le mérite de lancer le débat et de contenir des informations d'une grande utilité. Il convenait donc de saluer le travail de la DATAR. A. UN ETAT DES LIEUX INCOMPLET Le projet de schéma aurait dû se fonder sur une approche géographique de la diffusion des technologies de l'information sur notre territoire. Seule cette approche permet d'apprécier le taux de couverture du territoire et d'évaluer les inégalités que les élus locaux soulignent. L'article 8 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications a inséré dans le code des postes et télécommunications un article 35-7 prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement "au moins une fois tous les quatre ans à compter de la date de publication de la loi". En application du deuxième alinéa de l'article 35-7 précité, le premier rapport devait comporter un bilan de la couverture du territoire en téléphonie mobile. Ce rapport n'était pas réalisé lors de l'élaboration du schéma de services collectifs. Il n'a été rendu public qu'en juillet 2001, avec une année de retard, après que le Gouvernement ait sous-traité cette tâche à un cabinet privé de consultants. Ce retard est regrettable car il a privé la Délégation d'un élément décisif pour sa réflexion. Votre Rapporteur a par la suite constaté que le rapport du Gouvernement était partiellement remis en cause par les analyses de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART). A défaut d'une approche géographique, le schéma de services collectifs a mis en lumière une série d'évolutions : la diffusion accélérée des équipements dans la sphère domestique, le rôle croissant de l'école dans la société de l'information, l'engagement de l'administration à recourir aux technologies de l'information ainsi que les initiatives prises par les collectivités locales. L'état des lieux insistait trop sur le rôle de l'Etat, en s'étendant sur son équipement informatique, sur la croissance du nombre des sites publics, leur qualité - qui est réelle, même en comparaison avec les sites étrangers - et sur les usages faits à présent des différents moyens informatiques (la correspondance électronique, les bases de données, les systèmes d'information territoriaux qui sont des intranets de services déconcentrés). La part faite aux collectivités locales était moindre. Or, votre Rapporteur estime qu'elles sont devenues des acteurs majeurs de la société de l'information et qu'elles ont pris la mesure des possibilités ainsi offertes pour améliorer les services rendus à la population, en s'engageant dans une politique d'équipement de réseaux de télécommunications. Votre Rapporteur s'étonne également qu'à partir de ce constat, le schéma ne se soit pas situé au niveau d'une collectivité locale afin de porter un diagnostic plus précis et de pouvoir proposer ensuite des mesures adaptées. La vision adoptée est une vision jacobine, alors que pourtant, la volonté affichée des schémas de services collectifs est de déterminer une politique en fonction des besoins. Enfin le schéma ne contenait pas d'information fiable sur les retards enregistrés par notre pays. Il manque notamment des explications sur l'insuffisance des réseaux à haut débit. Le rapport Bourdier consacré à ces réseaux se contente de préciser qu'en octobre 2000, 61 % des petites et moyennes entreprises (PME) françaises (de 6 à 200 salariés) étaient connectées à Internet, mais que le retard de notre pays demeurait par rapport à la moyenne européenne. L'Italie, qui était derrière la France dans ce domaine en 1999, a dépassé notre pays avec 75 % de PME connectées. En outre, la majorité des PME françaises sont connectées à internet de manière commutée, c'est-à-dire par le réseau téléphonique classique, à 90 % contre 10 % par une connexion permanente à l'aide d'une liaison louée. B. DES OBJECTIFS ENCORE IMPRÉCIS Assez curieusement, le schéma établit des perspectives jusqu'en 2020. Si ce terme est pertinent pour les transports terrestres dont le financement s'étale sur plusieurs années, il l'est moins pour les technologies de l'information dont les évolutions sont rapides. Ainsi qu'on le constatera à la lecture des auditions qui ont accompagné la rédaction de ce rapport, la totalité des opérateurs en téléphonie mobile et en internet a jugé irréaliste une telle démarche. Aussi faut-il s'interroger sur les objectifs que recherchait le schéma. Ce manque de visibilité pose également le problème du suivi. Dans la mesure où l'analyse à long terme n'est pas pertinente, le suivi -voire l'actualisation- du schéma s'avérera sans doute indispensable, ainsi que le font les opérateurs des télécommunications, toutes les deux ou trois années. Le schéma fixe pour 2003 un triple objectif : familiariser le grand public, poursuivre la modernisation de l'administration et rechercher un développement équilibré des territoires par la mise en œuvre d'un maillage territorial pour les nouvelles technologies. Votre Rapporteur a regretté l'imprécision des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Malgré quelques ajouts utiles, comme la création en mars 2001 d'une mission pour l'économie numérique rassemblant des représentants du secteur privé et de l'administration, les moyens pour réaliser les objectifs demeurent abstraits. Votre Rapporteur avait par ailleurs relevé que le schéma préconisait des mesures qui avaient déjà reçu un début d'application, ce qui en atténuait le caractère novateur. Ainsi proposait-il que le mécanisme selon lequel les entreprises puissent donner leurs ordinateurs sans incidence fiscale soit plus répandu. Il souhaitait également le développement des lieux où le public puisse librement accéder à internet. Or, ces deux mesures existent déjà et ne témoignent pas d'une approche nouvelle et volontariste. De même, le schéma citait la stratégie des systèmes d'information et de télécommunications, plan de développement sur trois ans du ministère de l'Education nationale, qui lui non plus, ne doit pas son existence au schéma. La sensibilisation des PME aux nouvelles technologies a par ailleurs déjà été entreprise. La plupart des mesures d'accompagnement au commerce électronique, proposées comme un objectif à moyen terme, sont opérationnelles depuis déjà plusieurs années. Quant au dispositif de soutien aux entreprises de contenu multimédia, il s'agit aussi le plus souvent de mesures existantes dont la plupart sont liées au partenariat avec le réseau de recherche publique. En ce qui concerne la modernisation de l'administration, les mesures envisagées n'étaient non plus guère novatrices, qu'il s'agisse de la généralisation progressive des systèmes d'information territoriaux destinés à faciliter l'échange d'informations entre les services déconcentrés de l'Etat et la mise en ligne des données publiques, déjà amorcée. Les propositions étaient également générales et peu innovantes dans le domaine de la santé. Il est vrai que les nouvelles technologies ont un rôle fondamental à jouer dans ce secteur qui connaît actuellement une complète refonte de son organisation du fait du renforcement de la maîtrise des dépenses de santé. Celui-ci se traduit par la régionalisation, la réorganisation de la carte sanitaire et les coopérations inter-établissements, la collecte de données économiques liées à l'activité médicale, l'information du secteur, la mise en place de réseaux de soins. Or, le schéma se limite à rappeler ces défis. Il en est de même dans le domaine de la culture où sont proposées la connexion des lieux culturels et la poursuite de la numérisation du patrimoine. Votre Rapporteur a également critiqué l'objectif d'un accès à deux mégabits à la seconde, à un coût abordable pour tout usager à l'horizon 2005. L'objectif était certes louable, mais il ne pouvait y être souscrit. En effet, il suppose des investissements considérables pour chaque foyer, à la condition en outre que 40 000 kms de fibres optiques soient posés en quatre ans, ce qui est irréaliste. Quant à la desserte par satellite, elle est d'un coût très élevé. Par ailleurs, tenir compte de la demande réelle est préférable à une démarche technocratique. Or, la demande du grand public est plutôt axée vers les bas et moyens débits. En revanche, le haut débit est indispensable pour les entreprises. La possibilité d'accéder à un large choix de technologies joue de manière cruciale dans le choix d'un lieu d'implantation. Votre Rapporteur a donc relevé de nombreuses contradictions entre le schéma de services collectifs, la réalité économique et les attentes des ménages, des entreprises ou des collectivités locales. L'urgence d'un équipement équilibré de notre territoire est néanmoins réelle. D'ores et déjà, un constat s'impose : le schéma de services collectifs est inadapté à la réalité et en conséquence, n'est pas appliqué. Aussi est-il logique que les collectivités locales lancent des plans d'investissement sans tenir compte du schéma précité. Le Gouvernement est lui-même allé dans le sens de ce constat. M. Jean-Paul Delevoye, ministre chargé de l'Aménagement du territoire, a déclaré le 10 octobre dernier devant le Conseil national de l'aménagement du territoire que les schémas de services collectifs "n'étaient pas en phase avec les financements disponibles". II - LA COUVERTURE DU TERRITOIRE EN RÉSEAUX DE TÉLÉPHONIE MOBILE La téléphonie mobile a connu une forte croissance depuis décembre 1997. A cette date, notre pays comptait cinq millions d'abonnés. Ces derniers étaient au nombre de trente millions à la fin de 2001. Le parc français évolue presque entièrement sous la norme GSM. Admise dans l'ensemble de l'Union européenne, cette norme a permis d'homogénéiser le marché de l'Europe occidentale, favorisant ainsi un taux de pénétration supérieur à celui des Etats-Unis et du Japon. Evolution du marché de la téléphonie mobile
(1) Ce taux a atteint 65 % à la fin de 2001. Source : Sagatel Grâce au dynamisme des opérateurs, la couverture du territoire est presque achevée. Quelques zones demeurent non couvertes et ne sont pas en voie de l'être, en raison de problèmes financiers et juridiques. Les zones en question sont de trois ordres : - les zones blanches, correspondant à des zones d'habitat diffus, qu'aucun opérateur ne couvre sur une portion de territoire significative ; - les trous de couverture, marquant l'absence de signal des trois opérateurs sur un périmètre réduit ; - les zones grises, couvertes par un ou deux opérateurs. A. UNE COUVERTURE DU TERRITOIRE THÉORIQUEMENT EN VOIE D'ACHÈVEMENT La couverture du territoire est assurée par trois opérateurs, à savoir France Telecom, via sa filiale Orange, Cegetel, via sa filiale SFR et Bouygues. Pour bénéficier de l'autorisation d'exercer, ils étaient soumis à un cahier des charges prévoyant leurs obligations de couverture. Obligations de couverture d'Orange et SFR
Obligations de couverture de Bouygues
Le taux global de couverture s'établissait ainsi, à la fin de décembre 2000 : Taux de couverture par les opérateurs
Source : Rapports annuels de France Telecom, SFR et Bouygues. Ces taux constituent une évolution significative si on les compare à l'année 1997. A cette période, Orange et SFR couvraient respectivement 59 % et 47 % du territoire, à raison de 92 % et 82 % de la population. Il est important de noter que les opérateurs, en 1991, ne s'attendaient à avoir que deux millions d'abonnés. Dix ans après, le nombre de téléphones mobiles a dépassé celui des téléphones fixes. Il était difficile de prévoir dans les cahiers des charges un tel succès, et par voie de conséquence, d'anticiper une politique en faveur des zones les plus reculées de notre territoire. On relèvera que les taux de couverture s'apprécient par rapport au niveau d'intensité des champs radioélectriques. Un champ de 73 (dBm) correspond à la réception à l'intérieur des bâtiments, tandis qu'un champ de 87 dBm est utilisable pour la même réception, avec en outre une utilisation en mobilité lente. 93 dBm permet une réception à l'intérieur d'une voiture en mouvement. Les taux de couverture territoriale communiqués par les trois sociétés opératrices se réfèrent à un champ radioélectrique de 87 dBm. B. LA POLÉMIQUE SUR LA QUANTIFICATION DES ZONES NON COUVERTES 1. La quantification selon le gouvernement La quantification des zones non couvertes a été effectuée par le cabinet d'études Sagatel, pour le compte du gouvernement, après consultation des opérateurs. Selon ces derniers, 46 000 km² en métropole ne sont couverts par aucun réseau, soit 8,4 % du territoire. Cela représente environ 390 000 personnes, soit un peu moins de 0,7 % de la population, répartis sur 1480 communes. En outre, 970 cantons comprennent sur leur territoire des zones de non couverture d'une surface de 10 km² ou plus. Répartition régionale des surfaces non couvertes (2)
Source : Sagatel, pour le compte du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Communes non couvertes
Source : Sagatel, pour le compte du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Les zones non couvertes présentent deux caractéristiques selon cette étude : - soit des surfaces de petite taille, de quelques hectares à quelques dizaines de km², ne représentant que 0,2 % du territoire. Il s'agit le plus souvent d'un manque de qualité technique dans la desserte ; - soit des surfaces de 20 km² à 2 000 km², correspondant en règle générale à des régions de montagne, de forêts ou de marécage, où la pose de relais radio-électriques est plus difficile. La moitié des zones non couvertes se situe au-dessus de 700 m. Ces deux tableaux ont suscité les plus vives réserves des élus car ils ne correspondaient pas à la réalité telle que constatée sur notre territoire. L'Autorité de régulation des télécommunications en a également contesté l'exactitude. 2. Les raisons des divergences d'évaluation avec l'Autorité de régulation des télécommunications Le chiffre de 1 480 communes non couvertes, résultant de l'étude de Sagatel reprise par le gouvernement, a été contesté par nombre d'élus locaux ainsi que par l'Autorité de régulation des télécommunications (ART). Cette contestation est fort gênante, car elle oppose deux organes de l'Etat (le ministère de l'industrie et l'ART) sur un point qui engage à terme les finances publiques. En raison de la mission d'aménagement du territoire que la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 assigne à l'ART, cette dernière a lancé des études de sa propre initiative, et se trouve également consultée de manière croissante par les collectivités locales. La dernière étude de l'ART date des mois d'octobre et de novembre 2001 et se fonde sur un protocole établi avec l'Ecole supérieure des télécommunications, consistant à mesurer dans plusieurs cantons, d'une part l'accessibilité (possibilité d'obtenir ou non la tonalité de sonnerie lorsqu'un appel est passé auprès de l'un des trois réseaux), d'autre part la qualité de la communication (possibilité de tenir une communication pendant au moins une minute, en se déplaçant à l'allure d'un piéton). Les études de l'ART n'ont pas porté sur l'ensemble du territoire métropolitain, pour des raisons budgétaires, mais sur 25 départements. L'extrapolation des résultats rejoint les observations de plusieurs communes et conseils généraux et laisse à penser que 5 000 à 6 000 communes seraient mal desservies, soit 15 % environ des communes de notre pays. Mais une extrapolation complémentaire qui prendrait en compte le caractère rural de notre pays peut conduire à considérer que 15.000 communes environ connaissent des problèmes de desserte, dès lors que l'on fixe comme objectif la facilité d'accès aux trois opérateurs dans chaque canton, avec une bonne qualité d'écoute. Le chiffre précis du nombre de communes mal desservies est impossible à connaître tant qu'une étude n'aura pas porté sur la totalité du territoire. La méthodologie de l'ART a été mise à la disposition de l'Association des départements de France, pour les départements qui souhaiteraient conduire des études sur leur territoire. Le débat sur la quantification n'est pas neutre. S'arrêter à 1.480 communes équivaut en quelque sorte à figer ce débat dans des limites étroites et donner l'impression que la couverture du territoire en téléphonie mobile est un problème qui sera facilement résolu. Il n'en est rien en réalité. La Délégation constate que la quantification de ce problème n'est pas achevée. En partant de ce constat, il est impossible, contrairement à ce que les services de l'Etat affirment, de connaître avec précision le coût financier pour les pouvoirs publics comme pour les opérateurs privés de l'achèvement de la couverture de notre territoire. Il est donc du devoir de l'Etat de financer, dans chaque département, une étude permettant d'avoir une vision exacte des zones non desservies ou mal desservies. A l'évidence, une telle étude sera susceptible de modifier le champ des obligations de l'Etat et les dotations budgétaires qu'il lui incombe d'inscrire. La Délégation a constaté que la divergence entre les évaluations du gouvernement et celles de l'ART provenait en réalité du cahier des charges adressé aux personnes qui ont conduit les études. Le gouvernement a demandé au cabinet Sagatel de déterminer les zones non couvertes, ne disposant donc d'aucune desserte par l'un des trois opérateurs. De ce fait, Sagatel a travaillé à partir de cartes, et non sur le terrain. Ce cahier des charges est révélateur de la conception minimaliste que le gouvernement avait de l'aménagement du territoire lorsque l'étude a été lancée, à savoir la desserte d'une zone par un opérateur au minimum. La recherche a donc été circonscrite aux seules zones ne bénéficiant d'aucune couverture. Les collectivités locales considèrent que les préoccupations d'aménagement du territoire sont respectées lorsque chaque zone de notre pays est desservie dans de bonnes conditions par les trois opérateurs, afin que nos concitoyens puissent comparer les prix des abonnements, conformément aux règles du droit de la concurrence. La méthodologie de l'ART a le mérite de respecter une approche réaliste de la situation. C. LA NÉCESSITÉ D'UN ARBITRAGE PUBLIC Les zones non couvertes - ou mal couvertes - présentent l'inconvénient d'exiger des investissements plus onéreux, alors qu'elles n'abritent que peu d'habitants. Il est certain que les opérateurs n'achèveront pas de leur propre initiative la couverture du territoire, par manque de rentabilité de leur investissement. Le déficit de couverture défavorise les petites communes alors qu'elles cherchent à implanter sur leur territoire des PME artisanales ou des professionnels libéraux. De même, de nombreuses communes de montagne essaient de valoriser le potentiel touristique de leur territoire en complément des activités agricoles traditionnelles. En l'absence d'accès au téléphone mobile, de tels efforts risquent d'être fortement entravés. L'action publique, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités locales, doit donc prendre le relais, afin que la politique d'aménagement du territoire conserve tout son sens et que toute zone géographique de notre pays soit couverte. Or, une série de problèmes financiers et juridiques empêche à ce jour l'achèvement de ladite couverture. 1. Les évolutions de l'engagement de l'Etat On rappellera que l'engagement de l'Etat a d'abord consisté en un mécanisme d'incitation financière, exonérant les opérateurs de téléphonie mobile de la rémunération additionnelle à la rémunération d'interconnexion versée à France Telecom, opérateur historique. Cette incitation, prévue par le sixième alinéa de l'article 35-3 du code des postes et télécommunications (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996) (3), n'a pas donné d'impulsion notable à la couverture du territoire en téléphonie mobile. Sans autre support législatif que l'article 35-3 du code précité, l'engagement de l'Etat est de nature politique. Lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 9 juillet 2001, à Limoges, le Gouvernement avait évalué à 220 millions d'euros la charge financière pour l'équipement des zones non couvertes. Il avait proposé de répartir cette charge à raison de 150 millions d'euros pour l'Etat et les collectivités locales, le solde étant pour les sociétés opératrices. La circulaire du 30 novembre 2001 a ensuite précisé que la charge des collectivités publiques serait partagée à parité entre l'Etat et les collectivités locales. La crise des marchés financiers et la fragilisation de la trésorerie de l'ensemble des sociétés de télécommunications ont remis en cause ce schéma. Le Gouvernement a été contraint de diminuer le prix des licences UMTS, tandis que deux opérateurs (Orange et SFR) acceptaient d'en acquitter le coût. Bouygues Telecom a en effet, pour sa part, renoncé à cette technologie. En contrepartie des nouvelles conditions d'octroi des licences UMTS, Orange et SFR ont convenu avec l'Etat, le 30 novembre 2001, qu'ils investiraient chacun 76,3 millions d'euros, s'engageant ainsi à poursuivre leur déploiement en fonction de la proximité de leur réseau. Cet accord, surnommé "Plan Pierret", devait aboutir aux résultats suivants : 50 % des zones blanches seraient couvertes uniquement par Orange ou SFR, et 50 % le seraient par les deux opérateurs à la fois. Le "Plan Pierret" n'a connu aucune application. Le Gouvernement n'a en effet inscrit aucun crédit en faveur de la téléphonie mobile dans la loi de finances pour 2002. En fait, il ne s'agit pas d'un problème budgétaire, les dotations en cause ne constituant qu'une infime proportion du budget général. Le Gouvernement a été contraint de tenir compte des règles européennes du droit de la concurrence, et a constaté que ce plan ne convenait pas aux attentes des élus. Une telle négligence a eu des conséquences dommageables. L'Etat n'a pu mettre en œuvre le "Plan Pierret", et n'a donc pas apporté la dotation de 500 millions de francs qu'il avait promise. Il a perdu une part de sa crédibilité auprès des opérateurs, rendant la résolution de ce dossier plus difficile. On notera que les opérateurs, victimes du retournement de la conjoncture, ont gelé leurs investissements dans l'attente des fonds publics. En se combinant à l'attentisme de l'Etat, leur attitude a eu pour conséquence de bloquer l'évolution du dossier de la téléphonie mobile. 2. Un enjeu de concurrence entre opérateurs L'accord passé par le Gouvernement avec Orange et SFR revêtait une valeur contractuelle. Techniquement, il s'appuyait sur la mutualisation des infrastructures des deux opérateurs. Cet accord s'est heurté rapidement à des obstacles liés au droit de la concurrence. La première opposition de principe a émané de la Commission européenne. Celle-ci subventionne en effet une partie de la quote-part des collectivités locales, au travers du Fonds européen de développement régional (FEDER). La Commission européenne a demandé, en application des articles 85 et suivants du Traité de Rome, que le dispositif retenu par notre pays respecte le droit de la concurrence entre les trois opérateurs. Or, ce dispositif excluait Bouygues Telecom. L'ART a par ailleurs critiqué l'accord du 30 novembre 2001, son président, M. Jean-Michel Hubert ayant déclaré qu'il "évacuait du système 18 % des consommateurs actuels", à savoir la clientèle de Bouygues. Ce sentiment est partagé par nombre d'élus locaux, pour lesquels la politique d'aménagement du territoire doit offrir la possibilité à leurs administrés de s'abonner à l'un des trois opérateurs. La mutualisation des infrastructures permet en fait à Orange et SFR de bénéficier d'une facilité d'investissement en partie publique, alors que leurs investissements en téléphonie mobile sont quasiment amortis. L'aide de l'Etat renforcerait notamment la position d'Orange, filiale de France Telecom qui, en raison de son statut d'entreprise publique, n'a pas les mêmes contraintes en matière d'investissement que ses concurrents. Bouygues Telecom, avec le soutien indirect de l'ART et de la DATAR, préconisait l'itinérance, qui s'analyse comme un partage total du réseau, par la prise en charge du coût d'une installation par les trois opérateurs. Si Orange et SFR ont pris acte du choix stratégique de Bouygues de ne pas enchérir sur l'UMTS, leur hostilité à l'itinérance se comprenait aisément car cette solution permettait à Bouygues de combler son retard sur le marché en bénéficiant d'un financement public. Prenant acte du manque de résultats du "Plan Pierret" le Gouvernement mis en place en juin 2002 a repris l'ensemble du dossier de la téléphonie mobile et a conclu un accord avec les trois opérateurs le 23 septembre dernier. La convention affirme le principe d'égalité des citoyens sur le territoire, en assurant pour chacun la possibilité d'accéder aux trois opérateurs (itinérance locale). Bouygues a donc été réintroduit dans le dispositif. La convention propose par ailleurs deux solutions techniques : soit le partage des pylônes entre les trois opérateurs, soit le partage total du réseau, à l'échelle locale. L'accord limite l'itinérance aux zones où aucun opérateur n'est présent. De nombreux points techniques demeurent en suspens. Le Gouvernement a récemment rendu public le nouveau dispositif et a fixé le montant des dotations de l'Etat. Interrogé par votre Délégation le 23 octobre dernier, M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire a indiqué les principales étapes de l'achèvement de la couverture de notre territoire. L'itinérance locale constitue le principe de cette couverture, la mutualisation des infrastructures étant limitée à certaines zones. Le Gouvernement procède à la mise en place d'un comité de pilotage, qui fixera les priorités d'investissements parmi les 300 premiers sites à équiper. Il reste encore à expertiser 800 sites. Le Gouvernement demandera à cet égard aux préfets de région de hiérarchiser les priorités. La Commission européenne, sur la demande du Gouvernement, a accepté de rendre les investissements en téléphonie mobile éligibles aux fonds communautaires et a admis la révision immédiate des documents de programmation. Le Gouvernement doit encore négocier avec la Commission le type d'aide acceptable au regard du droit de la concurrence. Le financement du dispositif signé le 23 septembre dernier est désormais assuré à hauteur de 44 millions d'euros par l'Etat, et de 44 millions d'euros par les collectivités locales et les fonds européens. * * * La question de la desserte du territoire par la téléphonie mobile devrait être résolue par le Gouvernement. Il s'agit en réalité d'un problème simple -à savoir la facilité d'utilisation d'un bien de consommation courante- pour lequel les dotations budgétaires à dégager sont faibles (88 millions d'euros) au regard du montant total du budget de l'Etat. Il importe seulement de régler cette question dans le respect du droit européen de la concurrence. L'accord du 23 septembre 2002 entre le Gouvernement et les trois sociétés opératrices s'analyse comme la première étape permettant l'achèvement du réseau de téléphonie mobile sur notre territoire. Il faut féliciter le Gouvernement d'avoir rapidement engagé les mesures qui s'imposaient pour conduire l'achèvement de la couverture de nos territoires par la téléphonie mobile. Mais cela n'affranchit pas l'Etat de l'obligation de mener une étude dans la totalité de nos départements pour connaître avec exactitude les zones non desservies ou mal desservies. L'actualisation de telles informations sera, à l'évidence, susceptible de modifier les dotations inscrites au FNADT et au budget du ministère de l'industrie. Il est nécessaire de veiller à l'application rapide de ces mesures. Il faut s'assurer que les crédits de l'Etat, inscrits aux budgets de la DATAR et du ministère de l'industrie ne fassent pas l'objet d'annulations. L'itinérance locale doit encore faire l'objet d'expérimentations techniques. Enfin, la possibilité de financer la couverture de notre pays par les fonds structurels communautaires est soumise à la réussite de la réforme de l'attribution desdits fonds par notre pays. La problématique de la desserte par l'internet en haut débit est en revanche plus complexe. A la différence du téléphone mobile, il ne s'agit pas du seul accès à un bien de consommation, mais d'un ensemble de techniques et d'industries qui influent, dans les pays développés, sur l'ensemble des activités économiques, sociales et culturelles. La DATAR en a parfaitement résumé les enjeux dans l'introduction du schéma de services collectifs de l'information et de la communication : "Irriguant de façon croissante l'ensemble de la société, les technologies de l'information et de la communication bouleversent les modalités de l'échange, du savoir du pouvoir et de l'expertise. Marquée par des développements technologiques de plus en plus rapides, la "révolution numérique" s'accompagne d'une mondialisation des flux d'informations qui offrent un accès nouveau à la connaissance et modifient le rapport traditionnel entre le territoire, l'identité et l'activité. Cette dynamique de transformations profondes est en train de dessiner une véritable mutation de société qui modifie la place de l'homme et que traduit, de manière concrète, le concept de "société de l'information". III - LA DESSERTE DU TERRITOIRE EN LIAISONS INTERNET À HAUT DÉBIT D'après l'Association française des fournisseurs d'accès à l'internet (AFA), la France comptait 16 millions d'internautes en 2001, à comparer à 10 millions en 2000. Notre pays a donc connu un accroissement notable de son taux d'équipement, même si ce dernier n'atteint pas, loin s'en faut, les taux constatés en Grande-Bretagne, en Suède ou en Allemagne. En outre, l'on constate une stagnation de l'équipement des ménages que les fournisseurs d'accès à internet expliquent par le prix élevé des abonnements à des liaisons bas débit, en raison du financement du service universel.
Source : Commission européenne Les utilisateurs d'internet peuvent opter pour le bas, le moyen et le haut débit. Le débit s'entend comme la capacité pour un réseau de transmettre des données en une seconde (bit/s). Actuellement, les débits sont ainsi définis : - bas débit : débit inférieur à 100 kbits/s, comme le téléphone classique (64 kbits/s) ou le téléphone mobile par GSM (9,6 kbits/s) ; - moyen débit : débit oscillant entre 100 kbits et 1mbit/s. Il s'agit du téléphone mobile par UMTS (384 kbits/s), de l'ADSL et de la bande locale radio. - haut débit : débit oscillant en 1 et 20 mbits/s. Il permet entre autre la transmission d'images animées. Les applications professionnelles sont nombreuses, allant du téléchargement de longs métrages à des opérations chirurgicales à distance. Ces définitions sont à l'évidence sujettes à révision dans la mesure où les progrès techniques accélèrent constamment les vitesses de transmission. L'organisation de la transmission de données s'apparente à celle d'un réseau routier : Organisation de la transmission de données
Source : DATAR A. L'ENJEU D'INTERNET POUR L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE Le dernier recensement de la population, effectué en mars 1999 a clairement démontré que le développement démographique et le dynamisme des activités économiques dépendaient de la proximité des réseaux de communication. La compétitivité des territoires est toujours fonction de l'offre de transports, mais désormais s'ajoute l'accessibilité des réseaux de téléphone mobile et d'internet. Ces derniers ont modifié la localisation traditionnelle des activités, nombre d'entre elles ne nécessitant plus d'être à proximité d'un bassin de population ou de ressources naturelles pour fonctionner. L'internet structure désormais nos territoires selon une logique de réseau. L'internet représente une chance pour un aménagement équilibré du territoire. Les grands centres urbains constituent des concentrations excessives de population, qui induisent des coûts d'investissements eux-mêmes excessifs, en raison de la rareté de l'espace. Plus vaste territoire d'Europe, la France dispose de nombreuses zones rurales sous-peuplées, prêtes à accueillir de nouvelles activités. Le recensement a également montré que les aspirations de nos concitoyens les poussaient à vivre dans des villages ou des petites villes, à la condition que ces derniers disposent d'une gamme étendue de services. Si l'internet contribue au désenclavement de nombreuses zones, son absence maintient ou accentue tout aussi logiquement l'isolement économique de certains territoires. L'internet et l'ensemble des technologies numériques forment un secteur économique dont le poids va croissant (environ 6 % du PIB des pays développés), et qui se trouve au premier rang des créations d'emplois (400 000 postes) ces trois dernières années. La moitié des salariés du secteur privé utilise un ordinateur. Près de 80 % des PME de plus de six salariés disposaient d'un accès à l'internet en décembre 2001. A l'instar du chemin de fer qui, au XIXème siècle, a créé une géographie économique nouvelle, l'internet constitue une technologie qui structure les territoires autour des réseaux de communication. Nombre d'entreprises utilisent désormais des procédures dématérialisées (commandes en ligne dans la grande distribution et le tourisme, liaisons entre les points de vente commerciaux et les usines, relations avec les plates-formes logistiques...). Les professions libérales et l'administration y recourent de plus en plus. L'accès aux réseaux de télécommunications, sous toutes ses formes (téléphonie mobile, téléphone fixe, internet) est donc crucial pour l'attractivité des territoires et, au-delà de cet enjeu, constitue un élément essentiel de la puissance globale d'un Etat. Internet modifie en effet la logique de localisation des activités. En rendant accessibles à l'échelle mondiale les informations qui les concernent, les entreprises peuvent ensuite arbitrer la localisation de leurs sites de production ou de leurs plate-formes logistiques en fonction du coût de la main d'œuvre, du niveau de la fiscalité ou de l'attractivité des salaires. En certaines zones du Bas-Rhin, les sociétés suisses sont ainsi devenues le premier employeur de la population active. En d'autres cas, l'internet et l'ensemble des NTIC peuvent accentuer une position déjà dominante. La place de Londres a ainsi renforcé sa prédominance sur le marché monétaire, la combinaison des NTIC et de charges sociales peu élevées ayant accru son attractivité. L'influence d'internet ne porte pas uniquement sur l'aménagement du territoire mais sur la compétitivité d'un pays. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette technologie, de nature décentralisatrice, que de constater qu'elle est susceptible de concentrer géographiquement certaines activités. 1. L'état des lieux : des territoires inégalement desservis a) La desserte par l'internet haut débit L'état de la desserte du territoire par l'internet nécessite de croiser les données par offre technique, par zone géographique et par opérateur. Le recoupement d'études récentes permet de constater une forte similitude entre l'accès à l'internet et l'accès au téléphone mobile. Ainsi la couverture de la population par l'ADSL reflète clairement la séparation entre une France urbaine, bien desservie, et une France rurale, quelque peu à l'écart. Couverture par ADSL en mai 2001 (1)
(1) Les chiffres indiquent le pourcentage de population disposant potentiellement d'un accès à l'ADSL. Source : cabinet Tactis Au total, 40 millions de Français sont susceptibles de bénéficier de ce service, majoritairement concentrés sur les grandes villes et les villes moyennes. La couverture par l'ADSL touchait potentiellement 65 % du territoire en mai 2001. En décembre 2001, 430 000 clients étaient abonnés et leur nombre devrait atteindre 1,3 million, d'après France Telecom, ce qui est encore faible au regard des possibilités d'abonnement. 73 % de la population devrait être couverte en décembre 2002, avec néanmoins de forts déséquilibres régionaux. Les départements d'Ile-de-France affichent ainsi une couverture à hauteur de 98 % largement supérieure à la moyenne nationale Les départements les plus mal desservis sont en zone rurale et montagneuse, comme l'Ariège, la Corrèze, la Haute-Loire ou la Lozère. La plupart des départements d'Outre-Mer connaissent des problèmes similaires en raison de leur enclavement et de leur insularité. Il n'y a pas de retard de notre pays dans la possibilité d'accéder au haut débit. La Grande-Bretagne et l'Allemagne présentent des taux d'accès légèrement supérieurs. En revanche, l'AFA estime que le prix du matériel informatique et celui des forfaits d'accès sont encore trop dissuasifs pour que le marché s'élargisse. Le nombre réel d'utilisateurs du haut débit est effectivement bien moindre que celui des personnes potentiellement couvertes. A cet égard, on observe une nette différence entre les entreprises et les particuliers. En avril 2001, 6 % des entreprises s'étaient dotées du haut débit, mais les enquêtes d'intention montraient un très vif intérêt pour cette technologie. Seulement 0,07 % des particuliers possédaient une connexion à haut débit à la même date, ce qui place notre pays dans une position médiane à l'échelle européenne. L'analyse géographique n'est pas, pour l'heure, pertinente compte tenu du faible nombre des populations en cause, mais il ne fait aucun doute que la dichotomie entre zones urbaines et zones rurales sera à nouveau observée dans la mesure où les investissements se concentrent dans les grandes villes. b) Une progression lente malgré des tarifs plus attractifs Le retard de la France dans le domaine de l'internet tient à un faisceau de facteurs. La présence du minitel a sans doute ralenti le développement d'internet, même si ce dernier gagne désormais régulièrement du terrain. L'existence d'un opérateur historique, soucieux de conserver ses parts de marché, constitue vraisemblablement une seconde raison. Jusqu'à une période récente il fallait ajouter le prix des abonnements, parmi les plus élevés d'Europe, compte tenu du coût que faisait payer France Telecom à ses concurrents pour l'utilisation de son réseau. La vigoureuse action de l'ART a permis d'abaisser les offres proposées aux consommateurs pour le haut débit illimité. Les tarifs de quelques pays européens s'établissent ainsi (en kilobits par seconde, kbps) : - France : 30 € en 128 kbps, 45 € en 512 kbps, 80 € en 1024 kbps ; - Royaume-Uni : 45 € en 512 kbps ; - Allemagne : 38 € en 718 kbps ; - Espagne : 42 € en 256 kbps, 84 € en 512 kbps, 165 € en 2048 kbps ; - Italie : 37 € en 320 kbps. L'offre illimitée la moins chère se trouve en France, mais le meilleur rapport entre le prix et le débit est proposé en Allemagne. Si l'offre commerciale est devenue nettement plus attractive, la taxation des communications au titre du service universel pèse lourdement sur la structure des prix. Selon M. Rafi Kouyoumdjian, Président de Tiscali France, les liaisons par internet sont dix fois plus taxées que les appels par téléphone mobile. Les opérateurs sont obligés de reporter ce coût dans la tarification de l'ensemble des abonnements. De ce fait, l'internet à bas débit est d'un coût élevé et ne se diffuse que lentement auprès des consommateurs. La stagnation du nombre d'utilisateurs en France semble confirmer cette argumentation, même si la progression rapide de l'ADSL ces derniers mois, au sein des personnes déjà abonnées, montre que l'étroitesse du marché n'entrave pas le développement du haut débit. Ce marché connaît une progression indéniable, tant l'internet à haut débit devient une nécessité pour les particuliers et les entreprises. L'abonnement au haut débit a plus que doublé entre juin 2001 et juin 2002, mais le nombre des abonnés reste très faible en valeur absolue, par rapport au potentiel de ce marché, ainsi que précédemment indiqué. Evolution d'internet en France
Source : Association française des fournisseurs d'accès à internet Evolution du nombre de sites personnels
Source : Association française des fournisseurs d'accès à internet c) Le service universel en question Votre Rapporteur rappellera que le service universel est une redevance payée par l'ensemble des opérateurs de téléphonie et d'internet à un Fonds géré par la Caisse des Dépôts qui rémunère les opérateurs qui assurent des missions de service universel, pour contribuer à quatre missions : - l'accès de tous les français au téléphone au même tarif d'abonnement partout en France (péréquation géographique) ; - la maintenance des cabines téléphoniques ; - les annuaires ; - les tarifs sociaux. En pratique, France Telecom (qui est assujettie à cette contribution) est le seul opérateur à remplir cette mission de service public. On relèvera par ailleurs que la France et l'Italie sont les seuls pays européens à conserver un service universel dans le secteur des télécommunications. La redevance est de 0,13 centime d'euro par minute de télécommunications, quel que soit le type de communication (appel local, longue distance, mobile, fixe, accès à internet...). L'internet sur le bas débit est assujetti à cette redevance, ce qui n'est pas le cas pour le haut débit, qui voyage sur d'autres supports techniques. L'AFA considère que cette contribution est très lourde pour l'accès à internet sur le bas débit, puisqu'elle représente 4,68 € hors taxe sur un forfait de 60 heures, soit 5,60 € toutes taxes comprises. Compte tenu de la forte augmentation de la consommation de l'internet à bas débit, celui-ci a contribué en 2001, selon les dernières estimations, à près de 25 % au fonds du service universel, soit 102 millions d'euros sur 415 millions d'euros, alors qu'en 1998 il y avait contribué pour moins de 2 % (7,6 millions d'euros sur près de 199,25 millions d'euros). En 2002, la contribution s'élèverait à 138 millions d'euros sur 442 millions d'euros, soit 31 % du fonds. Les fournisseurs d'accès à internet appellent à une réduction du coût du service universel afin de diminuer les tarifs du bas débit et de relancer le marché. Ils ont pris acte avec satisfaction d'un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes, rendu le 6 décembre 2001, qui a réduit le coût du service universel en excluant des activités génératrices de profits ou de revenus comme l'inscription sur la liste rouge ou le service d'annuaire. Actuellement, le service universel forme 13 % des charges d'exploitation des fournisseurs d'accès sur le bas débit. Aussi proposent-ils que le prix de la redevance soit proportionnel à la valeur ajoutée du service rendu. Techniquement, le coût du service universel serait réparti en fonction du montant du chiffre d'affaires du service téléphonique au public, en excluant les coûts d'interconnexion dans l'activité des télécommunications réalisé par chaque opérateur titulaire de licence. Les opérateurs privés de téléphonie mobile, craignant une augmentation de leur redevance, contestent la position des fournisseurs d'accès à internet. Dans une note publique, SFR et Bouygues Telecom ont marqué leur attachement à une redevance liée au volume de trafic. "La remise en cause de la cohérence relative de la répartition selon le volume de trafic au profit d'une clé financière impliquerait de redéfinir le périmètre des contributeurs au service universel, et en l'espèce, à l'étendre à tout acteur qui bénéficie financièrement des boucles locales d'abonnés, du maintien du parc de cabines et d'abonnés sociaux, car la vraie prestation fournie dans le cadre du service universel est l'accès à un marché et non l'accès au réseau. L'absence d'élargissement de la base des contributeurs porte donc atteinte au principe d'équité et donnerait inévitablement lieu à contestation... En l'état actuel, la clé au trafic reste la plus équitable : - La relation entre cette clé physique et la nature des contributeurs est justifiée : les opérateurs de réseaux et fournisseurs de services licenciés (L 33-1 et L 34-1) interconnectés au réseau de France Telecom et contributeurs au service universel bénéficient d'un service rendu à travers les obligations de service universel, et ce service rendu croît directement avec l'importance du trafic. En d'autres termes, il s'agit bien de considérer les coûts de France Telecom générés par l'activité des clients et des opérateurs, qui ne seraient pas couverts par les recettes. Si contribution il doit y avoir, c'est bien au prorata des coûts de France Telecom (et donc du trafic) et non au prorata du chiffre d'affaires des opérateurs tiers. - Quand le coût du service universel augmente par une perte de chiffre d'affaires de l'opérateur historique au profit d'acteurs non contributeurs (distributeurs, fournisseurs de terminaux, ...), elle ne modifie pas la part de l'opérateur historique dans les contributions alors qu'une clé financière conduirait la part de France Telecom à baisser, car son chiffre d'affaires baisse, alors que celui de ses concurrents étant inchangé, leur contribution augmenterait : paradoxalement la clé financière accentue donc l'iniquité car elle se traduit par une augmentation de la part relative des opérateurs licenciés concurrents de France Telecom." Au-delà d'une polémique - bien compréhensible, s'agissant de leurs comptes d'exploitation - qui oppose les fournisseurs d'accès aux opérateurs de téléphonie mobile, votre Rapporteur s'interroge sur le principe même du service universel, tel qu'il s'applique actuellement. Il renchérit les tarifs des abonnés au téléphone et à internet, et met à contribution les opérateurs de téléphonie mobile alors qu'en vertu du droit communautaire le service universel ne doit être assuré que pour le téléphone fixe. Ce dernier point mérite d'être souligné car il induit le paradoxe suivant : la montée en puissance de la concurrence dans le téléphone fixe s'est traduite par une baisse des revenus pour France Telecom. De ce fait, le service universel a augmenté et corrélativement la contribution demandée aux opérateurs autres que France Telecom (les opérateurs mobiles représentent 60 % de la contribution des opérateurs autres que France Telecom au fonds du service universel). Il n'est pas nécessaire d'entrer dans un débat qui met aux prises les niveaux de contribution qui seraient à la charge des opérateurs travaillant dans les secteurs de la téléphonie mobile et de l'internet. Il s'agit avant tout de déterminer un objectif politique. Si la volonté du Gouvernement, comme celle du législateur, est de favoriser l'émergence d'une société de l'information en France, la réforme du calcul du service universel au profit des fournisseurs d'accès à internet s'impose comme une nécessité. Lors de son audition devant la Délégation, M. Jean-Michel Hubert, président de l'ART, a clairement pris position en faveur d'une révision des modalités de calcul de la redevance afin de diminuer la charge qui pèse sur l'utilisation d'internet. Si l'on veut favoriser le développement d'internet en France, il faut en diminuer le coût. Une réforme du service universel s'impose, tant pour des raisons d'équité concurrentielle qu'au regard des nécessités d'équipement du territoire. Comme l'a noté la CJCE, le coût du service universel n'est pas transparent et il grève l'exploitation des lignes, rendant l'internet bas débit non rentable. d) L'accès au réseau de France Telecom : une entrave à la concurrence ? Des opérateurs à l'ART, en passant par le Gouvernement, le Conseil économique et social et la Caisse des dépôts, il n'est pas une audition qui n'ait évoqué la question de l'accès au réseau de France Telecom. Le réseau de fibres optiques - 2,6 millions de km - de l'opérateur historique irrigue en effet 3100 cantons sur les 3 600 que compte notre pays. De ce fait, 73 % de la population et près de 80 % des sites d'entreprises seront couverts en décembre 2002. France Telecom a récemment accompagné le développement de cette infrastructure par une politique de baisse de prix pour les consommateurs souscrivant à l'ADSL. Au cours des auditions devant votre Délégation, les fournisseurs privés d'accès à internet ont déclaré que France Telecom leur louait ses lignes à un tarif trop élevé pour que l'internet haut débit proposé à leur clientèle soit rentable. Ils avancent deux explications à l'attitude de l'opérateur historique. Ralentir d'une part le déploiement du haut débit de ses concurrents, rentabiliser au mieux d'autre part ses liaisons en cuivre, qui ont une durée d'amortissement de vingt-cinq ans. De ce fait, les opérateurs, mais également le Conseil économique et social, proposent que France Telecom soit séparée en deux entités : l'une pour gérer le réseau, l'autre pour assurer des services aux abonnés. Dans la mesure où le réseau est utilisé à la fois par France Telecom et par les autres opérateurs, ces derniers estiment que la concurrence ne peut s'effectuer à armes égales que si France Telecom est soumise aux mêmes contraintes techniques et tarifaires qu'eux-mêmes le sont. Cette proposition s'inspire du fonctionnement des secteurs du transport ferroviaire et de l'électricité. Dans ces deux cas, la gestion des infrastructures est assurée par une société (Réseau ferré de France, et Réseau de transport de l'électricité) distincte de l'opérateur d'origine (SNCF et EDF). Le Conseil économique et social voit dans cette séparation une économie substantielle en investissements. Plutôt que de contraindre les fournisseurs d'accès à déployer leur propre réseau de fibres optiques, le recours à un gestionnaire d'infrastructure permettrait d'utiliser le réseau existant sans avoir à le dupliquer. Les fournisseurs d'accès se battraient sur le contenu de leurs services, et non sur la commodité d'accès desdits services en un point donné du territoire. M. André Marcon, membre du Conseil économique et social, a ajouté devant la Délégation que l'obligation dans laquelle se trouvait l'Etat de recapitaliser France Telecom favorisait la perspective d'une séparation entre les activités de gestionnaire de réseau et d'opérateur, car une telle séparation peut s'accompagner d'un mécanisme de cantonnement de la dette. Le contexte dans lequel intervient cette hypothèse est malheureusement biaisé par la situation financière délicate de France Telecom. La séparation des deux activités est-elle censée favoriser l'équipement du territoire grâce à la stimulation de la concurrence, ou est-elle le moyen de désendetter l'opérateur historique ? Votre Rapporteur relèvera d'emblée que la seule concurrence ne garantit pas un meilleur aménagement du territoire. S'il faut favoriser la concurrence pour développer l'économie en général, et le secteur des communications en particulier, la concurrence ne peut répondre à l'ensemble des besoins économiques et sociaux. Le présent rapport démontre que les opérateurs, tant les sociétés privées que France Telecom, investissent en priorité dans les zones à forte densité de population, et que seule la puissance publique est à même de corriger les déséquilibres territoriaux. En revanche, l'idée que la séparation de France Telecom en deux entités conduise les opérateurs à se battre sur la qualité des contenus est plus pertinente, à condition de considérer que l'Etat est dépositaire du réseau de télécommunications. France Telecom considère que le réseau lui appartient. Dans une note communiquée aux membres de votre Délégation, l'opérateur indique que "le budget général de l'Etat n'a jamais financé le développement des télécomunications. Au contraire, c'est souvent le budget annexe, et tout particulièrement sa partie télécommunications, qui a abondé le budget de l'Etat. La modernisation du réseau dans les années 1970-80 s'est faite par recours au marché financier par la création en 1967 de la Caisse Nationale des Télécommunications et de sociétés de financement (Finextel, Codetel, Créditel, Agritel, Francetel), les seules ressources émanant des abonnés ne parvenant pas à répondre aux besoins. L'encours de l'ensemble de la dette ainsi accumulée a été transféré à l'exploitant autonome de droit public France Telecom au 1er janvier 1991 puis à la société anonyme France Telecom le 31 décembre 1996. Depuis qu'elle est juridiquement distincte de l'Etat, France Telecom n'a cessé d'investir dans le réseau. Ainsi, ce sont au total environ 22 milliards d'euros (144 milliards de francs) que France Telecom a investis dans le réseau fixe de 1991 à 2001. Il ne fait donc aucun doute que le réseau fixe est la propriété de France Telecom et de ses actionnaires, et non un "bien national". Cette argumentation ne peut toutefois être retenue. Le capital initial de France Telecom a été constitué par l'Etat et France Telecom, longtemps établissement public industriel et commercial, a accompli ses missions au nom de l'Etat, en jouissant d'une situation de monopole. Cette situation lui a permis, avec l'accord de l'Etat, de facturer aux usagers des tarifs élevés pour construire le réseau de téléphone fixe, puis de téléphone mobile. Le fait que l'Etat demeure majoritaire au sein de la société anonyme France Telecom, créée le 31 décembre 1996 confère à l'opérateur le caractère d'une personne publique, soumise à son autorité de tutelle. France Telecom avance également que la séparation du réseau des services est un faux problème : Le motif invoqué pour demander la séparation réseau/services est que le réseau, notamment pour la fourniture de services d'accès à Internet à haut débit, est utilisé non seulement par France Telecom mais également par les autres opérateurs, et qu'il faut que France Telecom se vende à elle-même les prestations de réseau au même prix qu'elle les vend à ses concurrents. Faux problème puisque, qu'il s'agisse de l'interconnexion, des liaisons louées aux autres opérateurs ou du dégroupage de la boucle locale sous ses différentes formes, toutes les prestations de réseau que France Telecom fournit à ses concurrents sont tarifées au prix coûtant sous la contrôle vigilant de l'ART, ce qui garantit l'exercice d'une concurrence loyale". En outre, l'opérateur conteste le raisonnement par analogie avec le réseau ferré et le réseau de transport d'électricité : "Le réseau ferré et le réseau de transport d'électricité ont quatre caractéristiques communes qui facilitent ou qui justifient la séparation structurelle entre exploitant du réseau et opérateurs de services. Tout d'abord, ils reposent sur des technologies très stables dans le temps. Ensuite, ils sont utilisés pour la fourniture d'un seul type de services : le transport d'électricité ou la circulation des trains. Ils sont la seule infrastructure utilisable pour rendre ce type de service : on ne sait pas transporter de l'électricité autrement que sur des lignes à haute tension ni faire rouler des trains ailleurs que sur des voies ferrées. Enfin, leur duplication serait génératrice de graves nuisances. La conséquence juridique est que Réseau ferré de France et le Réseau de transport de l'électricité bénéficient l'un et l'autre d'un monopole sur leur activité. Les infrastructures de télécommunications présentent des caractéristiques diamétralement opposées : elles sont caractérisées par une évolution technologique rapide ; les services fournis sur une même infrastructure sont diversifiés (voix, données, Internet...) ; le même service peut être fourni sur des infrastructures très différentes (on achemine du service téléphonique par paire de cuivre, fibre optique, réseau câblé, boucle locale radio, GSM, voire satellite) et souvent nombreuses en un même site sans que cela pose de réels problèmes d'environnement. La conséquence juridique est que France Telecom ne bénéficie plus d'aucun monopole sur les infrastructures ; à supposer que son réseau soit vendu, les directives européennes s'opposent à la reconstitution d'un monopole au bénéfice du nouvel exploitant." Il n'appartient pas à la Délégation chargée de l'aménagement du territoire de préconiser une réforme de France Telecom, quel qu'en soit le sens, au seul motif de l'aménagement du territoire. D'autres enjeux, notamment industriels, sont en cause. Mais la Délégation ne peut que constater que les modalités d'accès au réseau ne permettent pas de stimuler la concurrence et de développer le marché. 15 % des cantons de notre pays n'ont actuellement aucune perspective de recevoir l'internet à haut débit. Il apparaît donc nécessaire de modifier le prix de location des lignes par France Telecom. L'opérateur indique que la tarification de son réseau est contrôlée par l'ART, ce qui garantit l'exercice d'une concurrence loyale, mais les sociétés privées fournisseurs d'accès contestent cette analyse et avancent des exemples, confirmés au cas par cas par l'ART, d'entraves à la concurrence. 2. Une offre technique diversifiée, mais une logique de marché Les supports techniques d'internet sont diversifiés. Cette diversité pourrait autoriser une large diffusion d'internet sur notre territoire, quelles que soient les densités de population. En réalité, les coûts des infrastructures, certaines contraintes techniques et les frais d'exploitation conduisent à une logique de marché qui privilégie les zones densément peuplées. L'accès à l'internet à haut débit est rendu possible par différents supports techniques. - Réseaux câblés : principalement installés dans les agglomérations, les réseaux câblés irriguent les particuliers. Au 30 septembre 2001, 169 302 abonnés étaient reliés à internet par ce vecteur. Les réseaux doivent néanmoins être aménagés car ils ont été conçus, initialement, pour la diffusion de programmes audiovisuels dans un seul sens, de l'émetteur au récepteur, alors qu'internet nécessite une voie de retour, chaque abonné étant à la fois émetteur et récepteur. Les opérateurs doivent consentir de forts investissements, concentrés sur les grandes villes pour des raisons de rentabilité. La progression annuelle d'abonnés est de l'ordre de 125 %. Réseau câblé au 30 septembre 2001
Source : Association des villes pour le câble et le multimédia (1) Nombre de prises que comprendra le réseau une fois sa construction achevée (2) Prises disponibles à la vente (3) Ensemble des foyers raccordés à un réseau câblé, quel que soit le nombre de services qu'ils reçoivent (4) Foyers recevant une offre télévisuelle (5) Foyers recevant un service de télécommunications téléphonique et/ou internet - Satellites : Les satellites permettent de diffuser du très haut débit. L'avantage essentiel de cette technologie est qu'elle s'affranchit des contraintes physiques du terrain, ce qui autorise notamment une bonne couverture des zones de montagne. En contrepartie, les investissements initiaux et le coût d'utilisation sont élevés. En France, le développement de cette technologie est freiné par l'existence d'une redevance de mise à disposition et de gestion de fréquences radioélectriques, dès lors que le fonctionnement des réseaux est assuré par des antennes paraboliques d'une puissance de transmission inférieure à 2 watts. - Réseaux de fibres optiques : Ces réseaux, réalisés par des opérateurs spécialisés, concernent les grandes entreprises ou administrations. Ils sont principalement implantés dans les quartiers d'affaires des grandes villes et nécessitent de forts investissements en génie civil. - Technologies DSL : Les technologies DSL (digital subscriber line, ou ligne numérique dédiée) sont apparues depuis une dizaine d'années. Elles reposent sur une optimisation des installations téléphoniques existantes et permettent la transmission d'informations numériques, à haut débit, sur le fil téléphonique. Elles supposent une modification du répartiteur téléphonique (et donc un investissement pour l'opérateur) ainsi que l'installation d'un modem spécifique chez l'abonné. Cette technologie présente un triple avantage : la conservation de l'installation existante (la paire cuivre), un accès à internet haut débit permanent et la possibilité (comme avec le câble) de téléphoner tout en travaillant sur internet. Le dégroupage de la boucle locale, qui consiste à donner un accès physique aux opérateurs alternatif à la partie terminale du réseau de l'opérateur historique, a favorisé leur déploiement en France. L'ADSL ("A" pour asynchrone) développé par le Centre national de recherche en télécommunications, appartient à cette famille technologique et offre des débits de 500 Kb/s à 6 Mb/s en réception. Il est activement commercialisé par France Telecom. Le VDSL et le HDSL promettent de très hauts débits dans un proche avenir, mais leur coût limitera dans un premier temps leur usage aux entreprises. Les débits théoriques des différentes technologies du DSL
Source : Internet Society France Les technologies DSL présentent cependant trois inconvénients. D'une part, l'abonné ne doit pas être éloigné de plus de cinq kilomètres de son central téléphonique de rattachement (cette distance s'entendant comme la distance réelle et non la distance à vol d'oiseau). Cette technologie est donc réservée à des zones d'habitat dense. La contrainte technique empêchera de desservir les zones les plus reculées par l'ADSL. D'autre part le débit est directement dépendant du trafic de la ligne. Les débits sont donc très variables, ce qui en fait une technologie destinée aux particuliers plutôt qu'aux entreprises. Enfin, les débits sont, pour les versions actuellement proposées sur le marché, asymétriques c'est-à-dire qu'elles sont bien adaptées à la consultation/réception de données, mais beaucoup moins à l'émission. - Boucle locale radio : La boucle locale radio (BLR) autorise les opérateurs à raccorder leurs clients à leurs réseaux par voie hertzienne. Cette technologie est très souple, notamment pour le choix des bandes de fréquence. Il n'existe en effet pas d'harmonisation européenne desdites bandes, la plupart des pays ayant opté pour des fréquences oscillant entre 3,5 et 266 Ghz. L'ART a accordé des licences d'exploitation à First Mark Communications et à Fortel, tandis que Belgacom est implanté dans neuf régions dans lesquelles il dispose de licences. - Internet mobile : L'internet mobile est confidentiel dans notre pays, et sa première application, le WAP (Wireless Application Protocol), a été un échec, compte tenu d'une technologie immature. Le GPRS (General Pocket Radio Service) ou l'UMTS (Universal Mobile Telecommunications Services) devraient permettre à cette technologie de s'implanter sur les marchés européens, quoique les opérateurs freinent l'introduction de l'UMTS sur le marché. Au Japon, l'internet mobile dispose déjà de 20 millions d'abonnés, qui ont accès à 20 000 sites de commerce électronique, de courrier ou d'informations. Le développement de l'internet peut aussi passer par des technologies aussi différentes que le WiFi ou la télévision numérique terrestre. Les conceptions en la matière évoluent aussi rapidement que les techniques mais elles se heurtent aux usages qu'en font les consommateurs. Diverses études, parmi lesquelles le remarquable rapport de M. Michel Boyon, en ont montré les facettes. Les auditions conduites par votre Rapporteur ont globalement montré la réticence des opérateurs à l'égard de la convergence. Néanmoins, l'intérêt pour l'aménagement du territoire de l'implantation de la télévision numérique terrestre reste entier. Aussi ne faut-il pas écarter ce type de technologie. Plus d'une centaine d'opérateurs se répartissent le marché de la desserte par internet. On y trouve les filiales de grandes entreprises de télécommunications françaises, européennes et américaines, qui offrent la totalité des services de télécommunications, ainsi que des entreprises plus petites spécialisées sur un support technique ou un type de clientèle. A l'évidence, ces sociétés opératrices investissent dans des zones densément peuplées disposant d'une demande solvable. Les investissements y sont rentables plus rapidement. L'investissement sur 20 % du territoire permet de desservir 80 % de la population. La clientèle privilégiée est constituée par les administrations, les grandes entreprises ou les sociétés opérant dans les secteurs des technologies à haute valeur ajoutée. A l'inverse, les zones rurales et les PME des secteurs traditionnels sont peu desservies. Le paradoxe d'internet est d'accentuer le déséquilibre démographique des territoires alors que cette technologie permet théoriquement la délocalisation des activités. L'enjeu d'une politique d'aménagement du territoire est de supprimer ce paradoxe, par la prise en charge par la puissance publique des infrastructures de desserte. B. L'ACTION DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES L'action des collectivités publiques en faveur du développement d'internet trouve essentiellement son origine dans les conclusions du Comité interministériel d'aménagement du territoire du 9 juillet 2001. L'objectif était de généraliser la couverture du territoire par le téléphone mobile au plus tard en 2004, et l'accès au haut débit en 2006. La réflexion des différentes instances publiques est antérieure, mais l'on regrettera que la France ait mis autant de temps à prendre conscience des enjeux de la société de l'information. Certes, de 1994 à 2001, l'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil économique et social, le ministère de l'équipement, le Conseil d'Etat, le Commissariat général au Plan, la DATAR et plusieurs universités ont publié des rapports sur ce thème. Mais il a fallu attendre 2000 pour pouvoir constater une première action tangible de l'Etat, avec la mise en place, auprès des préfets de région, de chargés de mission pour les technologies de l'information et de la communication. Ces chargés de mission ont une quadruple fonction : - accompagner les projets de modernisation de l'administration ; - suivre les grands projets régionaux, en particulier ceux inscrits dans les contrats de plan Etat-Région 2000-2006 et dans les documents-cadres qui présentent les conditions générales de mise en œuvre des principaux programmes cofinancés par les fonds structurels européens ; - favoriser le développement des usages et des services ; - assurer un lien privilégié avec les collectivités locales. Par ailleurs, une série de cellules ont vocation à réfléchir et à coordonner l'action des pouvoirs publics et ses relations avec le secteur privé. Le rôle des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement consiste ainsi à sensibiliser les PME aux technologies de la communication, tandis que la DATAR anime un réseau de correspondants travaillant sur la société de l'information. Abstraction faite du bilan de ces actions, le développement de l'internet est devenu un impératif. Les acteurs économiques, sociaux et culturels souhaitent assurer ce développement, quelle que soit la nature des initiatives de l'Etat. Il est vrai que le caractère décentralisé de l'internet et la diversité des supports techniques facilitent l'émergence des projets locaux. Il paraît néanmoins impossible d'avoir une couverture totale du territoire par la seule initiative privée. Les opérateurs de réseaux se limitent aux agglomérations et ne veulent investir plus avant sans connaître le marché (les contenus) proposés par les fournisseurs de services. Ces derniers attendent de leur côté une couverture de territoire suffisante pour étendre leur offre. L'étroitesse du marché conduit à des tarifs trop élevés pour les PME ou les microentreprises. Le rapport du Conseil économique et social du 13 juin 2001 a clairement montré les limites du seul jeu de la concurrence, tant pour le développement de l'internet que pour l'aménagement du territoire (4) : "La concurrence, selon l'ART, doit contribuer à l'aménagement du territoire. Beaucoup d'acteurs en doutent aujourd'hui et n'estiment pas que cela soit suffisant (à court et surtout à long terme), si l'on en juge à la fois par quelques résultats de l'ART et par les interventions croissantes des collectivités territoriales. Parmi ces résultats, on peut noter que : Les licences n'ont pas trouvé preneurs, dans toutes les régions, dès le premier tour de la procédure. Au surplus, à ce jour, les opérateurs retenus avancent à des rythmes différents. Certains mêmes comme Fortel "restent au point mort". Seuls trois d'entre eux ont vraiment démarré (Belgacom, Firstmark, Altitude Telecom). Sur quatre licences UMTS attribuées selon le système de soumission comparative, deux seulement ont trouvé preneurs : France Telecom et Cégétel... ce qui remet en cause l'échéancier précis qu'avait planifié l'ART. L'Union européenne, dans sa communication du 20 mars 2001, a réaffirmé sa confiance dans les perspectives du marché 3 G et proposé des lignes d'actions pour surmonter les difficultés, notamment en termes d'harmonisation ou encore de mutualisation d'équipements. Par ailleurs, la situation en matière de recherche est particulièrement préoccupante. La situation financière des opérateurs de télécommunications, aggravée par les incertitudes pesant sur le développement de l'UMTS, et ses incidences sur les équipementiers, pose des problèmes. Elle risque d'encourager ces entreprises à focaliser leur effort sur des développements susceptibles d'être mis sur le marché très court terme. Sans méconnaître les atouts sérieux dont dispose la France (technologies optiques, cartes à puces et technologies connexes) et sans nier l'existence d'entreprises innovantes et de succès commerciaux appréciables, notre pays est particulièrement en retard en matière de logiciel et de connexion aux réseaux internationaux". 1. Une réglementation encore incomplète a) L'adaptation du droit des télécommunications aux nécessités de l'aménagement du territoire Si l'article 22 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications proclame le principe de libre établissement et d'exploitation de réseaux de télécommunications, les dispositions traditionnelles de notre droit n'en demeurent pas moins applicables, notamment l'interdiction faite aux collectivités locales de créer des services industriels ou commerciaux (Conseil d'Etat, chambre syndicale du commerce en gros de Nevers, 30 Mai 1930), sauf en cas de carence de l'initiative privée ou si un intérêt public justifie cette intervention. La loi de 1996, votée pour préparer l'ouverture à la concurrence du marché des télécommunications, intervenue le 1er janvier 1998, concernait les seuls opérateurs. Le décalage entre leur objectif de rentabilité -logique, s'agissant d'entreprises pour la plupart privées- et les besoins des collectivités locales est très vite apparu. De nombreuses collectivités locales ont décidé de mettre à la disposition de leurs services publics et des entreprises situés sur leur territoire un réseau de communications, dans un triple objectif : mettre en réseau les services publics, diminuer le coût de l'infrastructure et par là-même, le prix des futures communications ; enfin rendre leur territoire attractif en offrant rapidement des liaisons interne à haut débit. C'est donc une finalité d'aménagement du territoire qui est à l'origine de la demande des collectivités locales. On notera que lesdites collectivités locales qui travaillaient sur des projets de desserte étaient à l'origine en milieu urbain : syndicat intercommunal de la périphérie de Paris, communauté urbaine de Lyon, Besançon, district d'Amiens, Grenoble, Colmar, Valenciennes, Rouen, Marseille, Mulhouse, Issy-les-Moulineaux. Seuls les projets du département du Tarn et du district de Castres-Mazamet concernaient des zones rurales. En raison des interdictions évoquées supra, les collectivités locales mettaient à la disposition des opérateurs, sans base juridique spécifique, une infrastructure inerte (réseaux dits de fibres noires) qui n'était raccordée à aucun équipement de commutation. Il appartenait au concessionnaire ou au gestionnaire du réseau (France Telecom ou tout autre opérateur privé) d'installer lesdits équipements par lesquels s'effectuent les transmissions. Dans la mesure où l'intervention des collectivités locales constituait un mode d'organisation des services publics, sans le moindre aspect commercial, France Telecom n'y a opposé aucune objection d'ordre juridique. C'est ainsi que le district du grand Toulouse avait installé 75 km de fibres noires pour relier ses zones de haute technologie (aéronautique, informatique) et les pôles universitaires et de recherche. La communauté urbaine du grand Nancy avait investi 10 millions de francs pour poser 47 km de fibres noires reliant les centres universitaires et scientifiques et les acteurs économiques. De même, le district de Castres-Mazamet avait décidé la création d'une forme numérique expérimentale (sur le fondement de la loi du 10 avril 1996 relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services de l'information) à l'initiative des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre. Les premiers litiges sont survenus avec France Telecom lorsque les collectivités locales ont décidé d'étendre le réseau local reliant les services et établissements publics aux zones d'activité économique pour offrir, par l'intermédiaire d'opérateurs, des services de télécommunications. Ainsi les projets de Toulouse, Nancy ou Lyon, partis de réseaux de sites publics, ont été développés pour mettre en place une exploitation tournée vers les entreprises et les usagers. Saisi par France Telecom, le tribunal administratif de Nancy a annulé le 18 mars 1999 deux délibérations de la communauté urbaine de Nancy de décembre 1997 et avril 1998 décidant la mise en place d'un réseau de fibres noires donné en concession à un opérateur privé afin de permettre la connexion des entreprises de l'agglomération nancéenne. Si le code des postes et télécommunications n'interdisait pas stricto sensu la création de tels réseaux par les collectivités locales, le tribunal administratif de Nancy a jugé illégal ce réseau en raison de sa non-conformité aux règles jurisprudentielles gouvernant l'interventionnisme économique des collectivités locales. La loi n° 99-533 du 25 juin 1999 a donc inséré dans le code général des collectivités territoriales un article L. 1511-6 pour donner une base légale à l'intervention des collectivités locales. Cette intervention était limitée au seul cas de carence du marché, le législateur ayant choisi de ne pas s'écarter du principe de non-interventionnisme économique des collectivités locales. Le dispositif était en outre relativement restrictif puisqu'il imposait d'inclure dans le tarif de location des infrastructures un amortissement sur huit ans de leur coût d'installation. De ce fait, les tarifs proposés aux opérateurs étaient très élevés et dissuadaient les collectivités locales de s'engager dans des investissements qu'elles n'étaient pas assurées de rentabiliser. La loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 a modifié l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, à l'issue d'une réflexion du Comité interministériel sur la société de l'information (10 juillet 2000). Le Gouvernement a fini par admettre les observations exprimées en 1999 par le Sénat et par M. Patrice Martin-Lalande, député, devant la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Le dispositif autorise désormais les collectivités locales à créer des infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunications, aussi bien pour des opérateurs que pour des utilisateurs. Le troisième alinéa de l'article L. 1511-6 précité encadre par ailleurs les conditions de mise à disposition desdites infrastructures : "Les infrastructures (...) peuvent être mises à la disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs par voie conventionnelle, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires et à des tarifs assurant la couverture des coûts correspondants, déduction faite des subventions publiques qui, dans certaines zones géographiques, peuvent être consenties selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. La mise à disposition d'infrastructures par les collectivités ou établissements publics ne doit pas porter atteinte aux droits de passage dont bénéficient les opérateurs de télécommunications autorisés". La loi du 17 juillet 2001 n'a cependant pas résolu tous les problèmes. Les difficultés d'interprétation de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales ont conduit le Gouvernement à demander au Conseil d'Etat son avis, afin qu'un prochain décret en précise les conditions d'application. b) Autoriser les collectivités locales à être opératrices La législation, en son état actuel, assure la protection des intérêts des opérateurs mais ne répond nullement aux exigences d'aménagement du territoire. Les opérateurs, qui obéissent à une logique de rentabilité, se concentrent sur les grandes zones urbaines. Le risque d'inégalités dans le développement du territoire français est donc réel. A moins d'un abondement budgétaire massif de l'Etat, il serait logique, pour éviter la fracture numérique, d'envisager une réforme du code général des collectivités territoriales pour autoriser ces dernières à être opératrices en s'inspirant d'expériences étrangères. L'exploitation pourrait principalement s'effectuer selon le régime de la concession, en encadrant avec soin cette autorisation car elle comporte des risques financiers pour ces collectivités. Cette hypothèse a été soumise à l'ensemble des personnalités entendues par votre Délégation. Le gouvernement, l'ART et la plupart des fournisseurs d'accès à internet ont émis de sérieuses réserves à son encontre, estimant - à raison - que l'exploitation de systèmes est un véritable métier, qui nécessite l'injection constante de capitaux, tant pour le démarrage du réseau que pour son alimentation en données et services. En cas d'échec, les conséquences seraient lourdes sur les budgets des collectivités locales. La situation actuelle ne peut pourtant perdurer. Les collectivités locales les moins peuplées n'ont actuellement que deux alternatives : soit admettre de ne jamais recevoir le bas comme le haut débit, ce qui les condamne à terme au déclin économique, soit construire à leurs frais des infrastructures passives sur lesquelles s'installera un unique opérateur. Cela équivaut à subventionner la venue de cet opérateur, avec de fortes probabilités qu'il s'agisse de France Telecom, tant sa position est dominante sur le réseau. Votre Rapporteur considère qu'il faut éviter cette alternative, rejoignant ainsi l'avis de la Caisse des dépôts, qui préconise de bâtir au profit des collectivités locales des réseaux ouverts et mutualisables, à partir de leurs besoins. "Les collectivités locales ont un rôle à jouer dans la définition de la desserte numérique de leur territoire. Elles ne doivent pas tout financer, loin de là, mais elles ont à fixer les règles et à définir les besoins des collèges, des lycées, des hôpitaux, qui sont les plus gros consommateurs de débit, puis ceux des entreprises et enfin ceux de leur population. Ce sont trois types de marché. La collectivité locale est souvent d'ailleurs elle-même un gros consommateur. Le besoin public est un aiguillon des besoins sur un territoire. Ce que les collectivités locales font pour leurs besoins propres ne doit pas être isolé de ce qu'elles veulent faire sur l'ensemble de leur territoire, au risque de faire des montages d'offres d'achats de services qui reviendraient peu ou prou à payer l'extension du réseau d'un seul opérateur, empêchant les autres de pénétrer par la suite. Elles doivent donc considérer l'ensemble des besoins de leur territoire" (Mme Gabrielle Gauthey, directrice à la Caisse des dépôts - cf. audition jointe au rapport, p. 129) La mise à disposition des réseaux pour le plus grand nombre de fournisseurs de services est seul à même de permettre l'exercice de la concurrence sur l'ensemble des territoires, et de garantir à nos concitoyens un accès aux technologies de la communication aux tarifs les plus bas. A défaut, les élus locaux se retrouveraient avec internet devant la même problématique que celle qu'ils viennent de rejeter pour le téléphone mobile. S'il revient aux collectivités locales de déterminer leurs besoins et de donner l'impulsion à l'aménagement de leur territoire, le risque d'exploitation doit être assuré par les fournisseurs d'accès et de services, qu'ils soient publics (Wanadoo) ou privés. Diverses solutions sont juridiquement possibles, allant de la concession à la société d'économie mixte, à la condition, pour cette dernière, d'en modifier le régime car il n'est pas sûr que des acteurs privés agissant dans une industrie fortement capitalistique acceptent d'y être minoritaires. Cette réforme permettrait aux collectivités locales d'investir en fonction de leurs besoins économiques et sociaux afin de répondre notamment à la demande des entreprises. Elle aurait également pour conséquence de renverser la logique qui prévaut en matière d'aménagement du territoire, à savoir attendre de l'Etat qu'il décide des investissements et octroie les financements. En étant opératrices, les collectivités locales deviendraient le point de départ des réseaux, en les adaptant à leur géographie économique et à leurs contraintes financières. La couverture du territoire pourrait être plus rapide. Cette approche a été expérimentée avec succès en Suède et a été adoptée par plusieurs autres pays européens. Au total, 11 pays de l'Union européenne ont ouvert à leurs collectivités locales la faculté d'être opératrices (cf. annexe du présent rapport). La transposition d'un tel dispositif ne peut cependant être automatique. La notion de collectivités locales ne recouvre pas le même sens en Europe, où coexistent des Etats unitaires (France, Royaume Uni), fédéraux (Allemagne) ou fortement régionalisés (Espagne, Italie). La France abrite à elle seule la moitié des communes d'Europe occidentale, mais celles-ci sont souvent dépourvues de moyens financiers et de capacités d'expertise. Dans de telles conditions, l'échelon pertinent permettant à une collectivité locale d'être opératrice paraît être au minimum le département ou la communauté de communes. Leur démarche pourrait s'inscrire dans le cadre d'un schéma départemental ou régional de desserte des territoires. 2. Les collectivités locales et la Caisse des dépôts, principaux investisseurs publics a) Le désengagement de l'Etat et des opérateurs La loi du 26 juillet 1996 précitée a été votée dans un contexte bien différent de ses conditions d'application. La libéralisation du secteur des télécommunications semblait d'autant plus facile au législateur qu'elle intervenait à une période où les opérateurs publics et privés disposaient de larges moyens financiers, supposés assurer les investissements nécessaires. L'Etat s'est donc désengagé, au point qu'il n'existe plus qu'un chargé de mission sur les nouvelles technologies auprès du Gouvernement, et que les directions départementales de l'équipement ne s'occupent plus de télécommunications. Par ailleurs, le législateur de 1996 n'avait pas pris en compte l'essor d'internet. Ce mot n'apparaît en aucun article de la loi. Six ans après le vote de la loi, les opérateurs privés ont subi des pertes considérables sur les marchés financiers, qui grèvent leurs capacités d'investissement. France Telecom admet à ce titre un déficit d'investissement de 6,10 milliards d'euros (5). Le développement des infrastructures d'internet s'en trouve ralenti. Les difficultés financières des sociétés opératrices ont de fortes conséquences sur l'aménagement du territoire. Les collectivités locales constatent qu'elles ne disposent pas de choix réels face à des offres de services ou que l'offre de services par haut débit est à un prix exorbitant. Or le développement de leur tissu économique passe par l'exercice d'une véritable concurrence, elle-même dépendante du déploiement d'infrastructures neutres, ouvertes et mutualisables, aussi bien dans le domaine de la collecte que celui de la desserte. La plupart des pays développés ont renoncé au seul libéralisme dans le domaine des technologies de la communication. Les Etats-Unis ont désormais une vision très keynésienne de ce secteur. En Italie, les régions ont mis en place des agences d'infrastructures (cf. annexe au présent rapport). Prenant acte du retrait de l'Etat, les collectivités locales ont graduellement pris l'initiative de lancer des investissements sous la pression croissante des chambres de commerce, des entreprises et des particuliers. L'Etat n'est pas resté insensible à cette demande du corps social. Il n'a cependant pas pris d'engagement budgétaire, ce qui aurait symbolisé sa forte implication, mais il a mandaté la Caisse des dépôts et consignations (CDC) afin que cette dernière assiste les collectivités locales. Votre Rapporteur rappelle que la CDC est depuis 1816 un établissement public à statut spécial qui agit pour le compte de l'Etat. Un financement par la CDC doit donc être considéré comme un financement d'Etat, même s'il relève plus souvent de la technique bancaire. La CDC participe actuellement à la mise en œuvre de politiques publiques dans cinq domaines d'activités économiques et sociales qui ont tous en commun d'avoir des besoins que le marché n'est pas en mesure de satisfaire. Il s'agit du renouvellement urbain, du développement durable des territoires, du financement en fonds propres des PME et de l'innovation, de la création de très petites entreprises, enfin du développement numérique du territoire. Le mandat de la CDC a été affirmé à trois reprises : lors du Comité interministériel pour la société de l'information de juillet 2000, lors du CIADT de juillet 2001 et lors du Comité interministériel pour la réforme de l'Etat d'octobre 2001. Si l'engagement de l'Etat est indéniable, les facilités de financement ouvertes par la CDC ne peuvent cependant être considérées comme une politique d'aménagement du territoire, au sens où l'Etat place l'ensemble des communes, des départements et des régions sur le même plan, quel que soit leur potentiel fiscal ou leur densité de population. Or, la capacité d'emprunt des collectivités locales varie selon leur richesse et leur volume actuel de dettes. L'Etat semble volontairement ne pas avoir de doctrine pour soutenir l'équipement des territoires les plus pauvres ou les moins peuplés. Les prêts de la CDC constituent un outil intéressant, que cette dernière utilise avec intelligence, mais ne peuvent dédouaner l'Etat de ses responsabilités, à moins qu'il n'affirme clairement que l'équipement du pays en réseau internet n'est pas de son ressort. b) Les facilités de financement et d'expertise de la Caisse des dépôts On notera qu'avant même d'avoir reçu un mandat de l'Etat, la CDC avait recensé plus de 60 projets d'infrastructures en internet à l'initiative des collectivités locales. Elle les avait porté à la connaissance de l'Etat, dans le cadre de la préparation du CIAT. Les études de la CDC avaient montré que les investissements cumulés des opérateurs de télécommunications ne pouvaient assurer un développement équilibré du territoire. Le mandat du CIAT a conduit la CDC à s'engager à hauteur de 230 millions d'euros sur cinq ans. Le nombre de projets d'infrastructures s'élève désormais à 171, à raison de 129 dossiers d'infrastructures et 42 dossiers de services. Dossiers d'infrastructures et de services
Source : Caisse des dépôts La CDC n'agit pas uniquement comme financeur. Elle accomplit également une mission d'ingéniérie et d'expertise, selon une méthodologie précise en cinq phases. La CDC vise à la mise en place d'infrastructures ouvertes et mutualisables entre les opérateurs et non le seul financement des équipements d'opérateurs. Phases des dossiers d'infrastructures et de services (1)
(1) au 1er novembre 2002 Source : Caisse des dépôts La CDC agit principalement dans quatre directions : développer les contenus et les usages, définir des services de télématique qui contribuent à la modernisation des collectivités locales, permettre aux échanges électroniques d'avoir la même force juridique que les échanges sur papier, enfin développer l'usage d'internet dans les relations entre citoyens et administration. Le développement de l'offre de services par les collectivités locales concerne au premier chef l'aménagement du territoire. C'est en effet grâce à une offre variée et facilement accessible que les collectivités locales pourront attirer des activités nouvelles. Les élus locaux comme la CDC ont à cet égard constaté la pénurie d'offres et la frilosité générale des investisseurs privés pour l'élaboration de services internet dans le domaine administratif. Seule l'intervention publique peut combler cette carence et moderniser le fonctionnement des collectivités locales dans leurs rapports avec les citoyens. IV - CONSTAT ET PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION Comme indiqué en introduction du présent rapport, la Délégation a pour mission d'examiner les difficultés d'application des lois et/ou des politiques relatives à l'aménagement du territoire. Elle ne s'étendra pas outre mesure sur un premier constat. Le schéma de services collectifs sur l'information et les communications s'est révélé inapplicable, en raison de son inadaptation à un domaine où les technologies évoluent rapidement. Ce constat est partagé par l'actuel gouvernement, l'ART, la Caisse des dépôts et l'ensemble des opérateurs publics et privés de téléphonie et d'internet. Votre Rapporteur avait déjà opéré une conclusion similaire lors de son précédent rapport sur le schéma de services collectifs. Aussi, plutôt que conduire une nouvelle étude, convient-il de mettre en place les moyens de stimuler et d'assurer le suivi d'une politique des nouvelles technologies. S'agissant de la téléphonie mobile et de l'internet haut débit, la Délégation rappelle qu'il s'agit d'activités relevant du marché. Ces métiers obéissent à des logiques d'entreprise. La téléphonie mobile est un bien de consommation courante, mais ses usages sont considérés comme indispensables par nos concitoyens, qui souhaitent en disposer sur l'ensemble du territoire. L'internet est pour sa part une industrie qui structure les territoires et influe sur leur dynamisme. Or, malgré l'existence d'un schéma de services collectifs, la Délégation ne peut que constater la double carence du marché et de l'Etat. A. LES CARENCES DU MARCHÉ ET DE L'ETAT Le contexte dans lequel a été votée la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications était celui d'une forte croissance de l'ensemble des technologies de la communication et de l'information. La croissance artificielle des marchés financiers autorisait les prévisions les plus optimistes, dans la mesure où les opérateurs semblaient pouvoir couvrir leurs investissements en infrastructures, tout en lançant de nouveaux produits, comme l'UMTS. Six ans après, le marché des télécommunications traverse une crise profonde. L'éclatement de la bulle spéculative a révélé de nombreuses erreurs stratégiques, dont la plus notable a été la surestimation de la demande. Celle-ci s'est limitée aux usages basiques du téléphone portable, provoquant l'échec de l'UMTS avant même que cette technologie dispose des infrastructures nécessaires à sa diffusion. Les opérateurs de téléphonie se sont donc massivement endettés au moment où la demande se réduisait. Dans le domaine d'internet, nombre de sociétés se sont effondrées parce qu'elles ne proposaient aucun produit correspondant à une demande réelle. La situation a été aggravée par les prélèvements des Etats pour l'octroi des licences de téléphonie mobile. Les Etats européens ont perçu au total 129 milliards d'euros sur leurs opérateurs, soit l'équivalent du PIB annuel du Portugal, pour une technologie mort-née. Le pays le plus raisonnable en la matière a été la France, grâce à l'ART, qui a mis en garde le gouvernement contre des prélèvements excessifs. L'endettement des sociétés françaises provient moins des licences UMTS que d'investissements hasardeux hors de nos frontières. De ce contexte de crise résulte un constat très simple : les opérateurs, dont la plupart travaillent à la fois dans les secteurs de la téléphonie mobile et d'internet, ne souhaitent pas investir dans de nouvelles infrastructures dans des zones non rentables, même lorsqu'ils en ont la capacité. Il est impossible de compter sur le marché pour achever la couverture de notre territoire en téléphonie mobile et en réseau internet. L'Etat n'échappe pas non plus à un constat de carence. A sa décharge, il était difficile de prévoir la diffusion si rapide des technologies de l'information. Il était tentant, dans un contexte budgétaire de rigueur, de s'en remettre au marché pour l'équipement du territoire. L'Etat a donc essentiellement agi sur la législation, conformément à ses obligations communautaires, et a institué une autorité régulatrice, l'ART, chargée de quatre missions : l'ouverture du marché à la concurrence au bénéfice des consommateurs, la mise en œuvre des règles du service universel, le développement de l'innovation, de l'emploi et de l'investissement ; enfin, l'équipement des territoires. L'aménagement du territoire figure donc bien parmi les missions que l'autorité régulatrice assume au nom de l'Etat, mais ce concept s'est révélé vide de sens, devant la quasi absence de dotations budgétaires à cet effet. L'Etat s'en est remis à une forme d'accord tripartite, avec les collectivités locales et les opérateurs. Il n'a donc pas rempli son rôle d'aménageur du territoire, laissant une partie de la charge d'investissement aux collectivités locales les plus pauvres. En outre, le jeu de la concurrence entre les opérateurs a différé à l'évidence l'application des accords. Le non respect des règles communautaires de la concurrence a en outre retardé le versement de la part de l'Etat qui a, sur ce dossier, perdu quelque crédibilité. Les collectivités locales se retrouvent en première ligne pour faire face à la demande des entreprises, des institutions sociales et culturelles ainsi que des particuliers. Il s'agit aussi bien des collectivités en zone rurale que des grandes agglomérations, dont la compétitivité par rapport à des métropoles européennes comme Londres ou Milan dépend de l'attractivité dans le domaine des technologies nouvelles. Mandatée par l'Etat, la Caisse des dépôts et consignations essaie d'apporter quelque cohérence aux projets des collectivités locales, en leur évitant en outre d'être prisonnières de logiques à court terme, qui consisteraient simplement à subventionner un opérateur en situation dominante, au risque d'être dans l'incapacité de déployer à l'avenir un réseau mutualisable et ouvert à la concurrence. B. UNE CONCURRENCE ENCORE EMBRYONNAIRE SUR LE MARCHÉ DE L'INTERNET Les auditions conduites par votre Délégation révèlent une atonie certaine du développement de l'internet en France. Le taux d'équipement des ménages en PC stagne et le nombre d'abonnés au bas débit n'augmente que lentement. Seul l'ADSL connaît ces derniers mois un taux de croissance soutenu en raison d'une récente baisse des prix des abonnements. L'atonie du marché renforce le monopole de fait de France Telecom, opérateur historique, malgré les efforts notables de l'ART pour stimuler la concurrence. Les sociétés privées fournisseurs d'accès à internet rencontrent nombre de difficultés (prix d'usages des lignes, installation de leur technologie) pour concurrencer à armes égales l'opérateur historique. De ce fait, le consommateur ne dispose pas d'offres entre lesquelles il puisse fonder son choix sur le contenu des services. La position dominante de France Telecom favorise certes un équipement rapide du territoire en infrastructures, y compris pour le haut débit, mais elle ne permet pas à nos concitoyens habitant dans des petites villes ou des bourgs ruraux de bénéficier des mêmes offres que ceux vivant en agglomération. La Délégation, en accord avec l'ART, a enfin relevé que si le service universel n'était pas remis en question, son mode de calcul pénalisait le développement d'internet. L'utilisation du produit du service universel est également contestée par nombre d'opérateurs. C. PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION La Délégation souhaite que l'Etat remplisse d'une part ses obligations d'aménagement du territoire, d'autre part qu'il soit en mesure d'accompagner les efforts du marché pour stimuler l'émergence des nouvelles technologies. Il s'agit d'une priorité nationale comme l'a rappelé M. Jacques Chirac, Président de la République, le 13 avril 2002 : "...la question de l'accès au téléphone mobile et à l'internet rapide se trouve au cœur des enjeux de développement des territoires ruraux. Pour réduire les inégalités d'accès aux technologies de l'information, je propose un plan de rattrapage qui portera à la fois sur l'équipement des foyers et des écoles en ordinateurs, sur la formation à l'usage de l'internet et sur le déploiement de l'internet rapide pour tous. L'Etat s'engagera, aux côtés des collectivités locales, pour garantir l'accès de chaque commune au haut débit d'ici cinq ans. Il accompagnera techniquement et financièrement les initiatives qui seront prises dans le cadre des contrats de plan Etat-Région. Enfin, d'ici trois ans, l'ensemble du territoire français devra être couvert par la téléphonie mobile. Il y a aujourd'hui trop de zones d'ombre... Ces investissements ne sont pas seulement nécessaires pour garantir l'égalité devant le service public et la participation de tous à la communauté nationale. Ils contribueront aussi à la création et au développement des entreprises, et appuieront des nouveaux dispositifs de soutien à l'artisanat et au commerce de proximité." La Délégation a constaté que l'Etat ne disposait pas d'un outil lui permettant de coordonner les différents acteurs du secteur des nouvelles technologies. Aussi propose-t-elle, sur le modèle du Conseil de la politique économique, d'instituer auprès du Premier ministre un Conseil d'orientation de la politique des nouvelles technologies. Ce conseil serait composé des ministres des finances, de l'industrie et de l'aménagement du territoire, d'un représentant de la DATAR, d'un représentant de l'ART, de représentants des entreprises publiques et privées travaillant dans ce secteur et de parlementaires. Il ne s'agirait pas d'une énième structure, mais d'une instance d'impulsion dans un domaine devenu stratégique pour l'ensemble de la société. 1. Dans le domaine de la téléphonie mobile La Délégation approuve le travail conduit par le Gouvernement pour régler les retards de couverture de notre territoire en téléphonie mobile. L'action de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire convient particulièrement d'être saluée. Le dossier ne pourra cependant être considéré comme résolu qu'aux conditions suivantes : - conduire une étude, financée par le Gouvernement, permettant de connaître avec exactitude, dans l'ensemble des départements, l'état de la couverture en téléphonie mobile. Aucune politique, aucun financement n'a de crédibilité en l'absence d'une quantification précise des zones géographiques sur lesquelles il faudra investir. Il s'agit d'une question d'honnêteté à l'égard de nos concitoyens d'une part, des collectivités locales d'autre part, dans la mesure où il leur est demandé un effort financier. L'Etat doit s'attendre, compte tenu des résultats prévisibles d'une étude complémentaire, à devoir porter au budget général une dotation supérieure à celle de 44 millions d'euros inscrite dans la loi de finances pour 2003. - s'assurer que les expérimentations techniques pour l'itinérance locale s'effectuent dans des délais raisonnables, afin que les sites non couverts actuellement disposent d'une desserte au plus tard à la fin de 2004 ; - ordonnancer les crédits votés par le Parlement dans la loi de finances pour 2003, qui représentent la part de l'Etat : 30 millions inscrits au FNADT et 14 millions inscrits au budget du ministère de l'industrie ; - mettre en œuvre au sein de l'administration française la réforme d'instruction des dossiers des fonds structurels, afin que les collectivités locales puissent utiliser ces fonds pour la part de leurs investissements en téléphonie mobile. - Diffuser largement les technologies de l'information et de la communication Le retard de diffusion d'internet en France est patent. La Délégation propose en conséquence de subventionner l'équipement informatique des ménages, comme c'est le cas aux Pays-Bas, afin de faire émerger en France une véritable société de l'information, conformément aux vœux récemment affirmés par M. le Premier ministre. Les principales mesures à prendre sont les suivantes : - TVA réduite à 5,5 % sur les PC, les imprimantes et les logiciels ; - instauration d'une prime de 100 à 300 € dédiée à l'achat des PC, selon le revenu des ménages ; - intégrer l'achat d'un ordinateur dans les bourses d'études pour les étudiants ; - prêt ou don de matériel usagé par les collectivités locales (dans le cadre par exemple du projet de développement des TIC de la Caisse des Dépôts) aux ménages disposant de faibles revenus. L'objectif est que chaque foyer dispose d'un PC. Les pertes de recettes pour l'Etat seront largement compensées par les bénéfices issus d'un usage généralisé des technologies de l'information. - Réformer le calcul du service universel pour favoriser le bas débit en accès illimité L'internet à bas débit conserve des avantages considérables, ne serait-ce qu'en raison de son prix abordable. En outre, il est le seul moyen d'accès à Internet disponible sur l'ensemble du territoire, pour des raisons techniques. Il satisfait encore plus de 80 % des usages des internautes. Ainsi, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, 90 % des internautes sont encore en bas débit. La grande majorité des consommateurs souhaite avant tout un accès illimité à Internet (par le biais d'abonnements illimités). Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le lancement des offres illimitées sur bas débit a multiplié par trois l'usage moyen des internautes, passant de 20 minutes à plus d'une heure par jour. Or, le mode de financement du service universel pénalise ce type de forfait et affaiblit la trésorerie des fournisseurs d'accès à internet. Paradoxalement, le financement du service public s'effectue au détriment des zones les moins peuplées de notre territoire, qui ne peuvent recevoir que le bas débit. La réforme du calcul du service universel, préconisée par l'ART, rencontre l'accord de votre Délégation, afin de développer l'usage du bas débit sur l'ensemble du territoire. - Assurer une plus grande concurrence sur le moyen et le haut débit Si la couverture potentielle du territoire est satisfaisante grâce au réseau de France Telecom, la concurrence est quasi inexistante, l'opérateur historique disposant d'un monopole de fait. L'Etat doit assurer les conditions d'une concurrence loyale entre l'opérateur public et les opérateurs privés. Il lui incombe de prendre les moyens juridiques et techniques pour que cette concurrence s'exerce sans qu'apparaisse, en arrière-pensée, l'idée d'une atteinte à France Telecom. Il s'agit simplement de rendre transparents les coûts d'accès au réseau pour les opérateurs privés en internet. La Délégation propose de favoriser l'interconnexion ADSL, afin que les fournisseurs privés d'accès à internet puissent utiliser les infrastructures déployées par France Telecom. Cela évitera de dupliquer les réseaux. Il n'apparaît pas en revanche nécessaire de dissocier juridiquement l'activité d'opérateur de France Telecom de celle de gestionnaire de réseau pour garantir aux autres opérateurs un accès non discriminatoire. L'ART est chargée de veiller au respect d'une vraie concurrence. Cependant, dans la pratique, et en dépit du travail considérable de l'ART, il est indéniable que les conditions de transparence tarifaire et de concurrence seraient nettement améliorées par la séparation comptable des activités de réseau et de service de France Telecom. Votre Délégation préconise en conséquence cette réforme, qui assure plus de transparence tout en préservant l'unité de France Telecom. - Autoriser les collectivités locales à être opérateurs La réforme de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales n'est pas purement technique. Elle vise, en autorisant les collectivités locales à être opérateurs, à définir les réseaux et les offres sur la base des besoins locaux. Une telle réforme comporte un risque financier, car être opérateur en télécommunications est un métier qui exige des capitaux et des ressources humaines. Il revient au législateur de déterminer les modalités d'exercice de ce principe : taille minimale de la collectivité locale, règles comptables, structure juridique (avec, le cas échéant la modification de la législation sur les sociétés d'économie mixte pour permettre à des opérateurs privés d'y être majoritaires), ouverture et mutualisation des réseaux... La Délégation voit mal au nom de quel principe l'Etat refuserait aux collectivités locales un droit dont disposent les collectivités locales de onze pays de l'Union européenne. Ce droit permettrait d'accélérer l'usage des technologies de l'information sur l'ensemble du territoire. A défaut d'accorder aux collectivités locales cette faculté, la séparation juridique des activités de réseau et d'opérateur de France Telecom trouve une justification si elle permet aux départements et/ou aux régions d'être autorité concédante, ce qui favoriserait la constitution de réseaux cohérents, correspondant à une logique démographique ou économique. Ces réseaux seraient mis à la disposition de l'ensemble des opérateurs, qui acquitteraient une redevance d'usage, celle-ci constituant une ressource financière pour les collectivités concédantes. Les syndicats départementaux d'électrification fonctionnent sur ce système. * * * En conclusion, la Délégation rappelle que l'Etat a la responsabilité d'assurer la couverture géographique du territoire. Cet objectif sera sans doute atteint pour la téléphonie mobile, mais prendra plus de temps pour l'internet. L'Etat doit retrouver son volontarisme pour que l'ensemble des composantes de la société française accède aux technologies de l'information. Le fait que les collectivités locales jouent en la matière un rôle notable ne doit pas faire oublier à l'Etat sa mission d'impulsion et de coordination, ni son action budgétaire, qui demeure le moyen le plus efficace de corriger les retards que connaissent certains territoires. Au cours de sa séance du mercredi 27 novembre 2002, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport d'information de M. Nicolas Forissier, sur la couverture du territoire en téléphonie mobile et internet haut débit. Après l'exposé du Rapporteur, M. Emile Blessig, président, a indiqué que le travail de la Délégation sur les technologies de l'information résultait d'une auto-saisine. Pendant la durée de son travail, la Délégation a déjà enregistré des avancées significatives qui ouvrent des perspectives nouvelles pour les collectivités locales. Les dix auditions auxquelles elle a procédé ont permis d'éclairer les risques liés à la fracture numérique. Il est à espérer que les conclusions du rapport de la Délégation soient utiles pour le Comité interministériel d'aménagement du territoire qui se tiendra le 12 décembre prochain. M. Jean Launay a approuvé l'économie générale du rapport, ainsi que les propositions relatives à la réforme du service universel, à de meilleures conditions de concurrence et à la possibilité pour les collectivités locales d'être opératrices. Il s'est interrogé sur l'opportunité de créer un Conseil d'orientation des politiques des nouvelles technologies, considérant qu'il faudrait du temps pour mettre en place un tel conseil et que le Parlement, par le biais de ses commissions permanentes ou de ses délégations à l'aménagement du territoire, était en mesure de jouer ce rôle d'impulsion et d'analyse de la politique du Gouvernement. Il a jugé que la proposition la plus importante du rapport résidait dans la séparation comptable des activités de réseau et d'opérateur de France Telecom et a souhaité que la Délégation observe avec attention les conclusions du récent rapport du Conseil économique et social. M. Nicolas Forissier, rapporteur, a ensuite détaillé l'ensemble de ses propositions. Il a jugé souhaitable que l'Etat remplisse d'une part ses obligations d'aménagement du territoire, d'autre part qu'il soit en mesure d'accompagner les efforts du marché pour stimuler l'émergence des nouvelles technologies. Il s'agit d'une priorité nationale comme l'a rappelé M. Jacques Chirac, Président de la République, le 13 avril 2002. Or l'Etat ne dispose pas d'un outil lui permettant de coordonner les différents acteurs du secteur des nouvelles technologies. Aussi est-il proposé, sur le modèle du Conseil de la politique économique, d'instituer auprès du Premier ministre un Conseil d'orientation de la politique des nouvelles technologies. Ce conseil serait composé des ministres des finances, de l'industrie et de l'aménagement du territoire, d'un représentant de la DATAR, d'un représentant de l'ART, de représentants des entreprises publiques et privées travaillant dans ce secteur et de parlementaires. Il ne s'agirait pas d'une structure administrative, mais d'une instance d'impulsion dans un domaine devenu stratégique pour l'ensemble de la société. Le dossier de la téléphonie mobile ne pourra être considéré comme résolu qu'aux conditions suivantes : - conduire une étude, financée par le Gouvernement, permettant de connaître avec exactitude, dans l'ensemble des départements, l'état de la couverture en téléphonie mobile. Aucune politique, aucun financement n'a de crédibilité en l'absence d'une quantification précise des zones géographiques sur lesquelles il faudra investir. Il s'agit d'une question d'honnêteté à l'égard de nos concitoyens d'une part, des collectivités locales d'autre part, dans la mesure où il leur est demandé un effort financier. L'Etat doit s'attendre, compte tenu des résultats prévisibles d'une étude complémentaire, à devoir porter au budget général une dotation supérieure à celle de 44 millions d'euros inscrite dans la loi de finances pour 2003 ; - s'assurer que les expérimentations techniques pour l'itinérance locale s'effectuent dans des délais raisonnables, afin que les sites non couverts actuellement disposent d'une desserte au plus tard à la fin de 2004 ; - ordonnancer les crédits votés par le Parlement dans la loi de finances pour 2003, qui représentent la part de l'Etat : 30 millions inscrits au FNADT et 14 millions inscrits au budget du ministère de l'industrie ; - mettre en œuvre au sein de l'administration française la réforme d'instruction des dossiers des fonds structurels, afin que les collectivités locales puissent utiliser ces fonds pour la part de leurs investissements en téléphonie mobile. S'agissant de l'internet, il est nécessaire de prendre les mesures permettant de diffuser plus largement les technologies de l'information et de la communication. Les principales mesures à prendre sont les suivantes : - réduire la TVA à 5,5 % sur les PC, les imprimantes et les logiciels ; - instaurer une prime de 100 à 300 € dédiée à l'achat des PC, selon le revenu des ménages ; - intégrer l'achat d'un ordinateur dans les bourses d'études pour les étudiants ; - assurer le prêt ou le don de matériel usagé par les collectivités locales (dans le cadre par exemple du projet de développement des TIC de la Caisse des Dépôts) aux ménages disposant de faibles revenus ; - réformer le calcul du service universel pour favoriser le bas débit en accès illimité ; - assurer une plus grande concurrence sur le moyen et le haut débit. Il est indéniable que les conditions de transparence tarifaire et de concurrence seraient nettement améliorées par la séparation comptable des activités de réseau et de service de France Telecom ; - autoriser les collectivités locales à être opérateurs. Une telle réforme comporte un risque financier, car être opérateur en télécommunications est un métier qui exige des capitaux et des ressources humaines. Il revient au législateur de déterminer les modalités d'exercice de ce principe : taille minimale de la collectivité locale, règles comptables, structure juridique (avec, le cas échéant la modification de la législation sur les sociétés d'économie mixte pour permettre à des opérateurs privés d'y être majoritaires), ouverture et mutualisation des réseaux... Mais l'Etat ne peut refuser aux collectivités locales un droit dont disposent les collectivités locales de onze pays de l'Union européenne. En réponse à M. Jean Launay, le Rapporteur a ensuite précisé que le conseil d'orientation dont il proposait la création avait pour objectif de doter l'Etat d'une instance d'impulsion qui lui fait actuellement défaut. Un tel conseil serait plus approprié qu'un schéma de service collectif devenu obsolète. La Délégation a ensuite autorisé la publication du rapport relatif à la desserte du territoire par la téléphonie mobile et par internet en haut débit. LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES 16 octobre 2002 : - M. Emmanuel Forest, Directeur général de Bouygues Telecom. - M. Rafi Kouyoumdjian, Président de Tiscali France. 23 octobre 2002 : - M. Jean-Paul Delevoye, Ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. 30 octobre 2002 : - M. Philippe Bertran, Directeur adjoint des relations extérieures de France Telecom. - M. André Marcon, membre du Conseil économique et social. 6 novembre 2002 : - Mme Gabrielle Gauthey, Directrice à la Caisse des dépôts et consignations. - M. Stéphane Treppoz, Président d'AOL France. 13 novembre 2002 : - M. Jean-Michel Hubert, Président de l'Autorité de régulation des télécommunications, et M. Christian Bècle, membre du collège. 20 novembre 2002 : - M. Eric Jacoty, Directeur de la stratégie et du développement de CEGETEL et Mme Marie-Georges Boulay, Directrice de la réglementation et des relations extérieures de CEGETEL. - M. Nicolas Jacquet, Délégué de la DATAR. Audition de M. Emmanuel Forest Directeur général adjoint de Bouygues Telecom Réunion du mercredi 16 octobre 2002 Présidence de M. Emile Blessig, Président M. Emile Blessig, président : Je passe immédiatement la parole à M. Nicolas Forissier pour qu'il introduise le débat et qu'il mène cette audition en fonction des travaux qu'il a déjà engagés sur le sujet. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Je ferai une introduction courte, car nous sommes réunis pour entendre M. Emmanuel Forest et connaître la position de Bouygues Telecom sur la question des nouvelles technologies de l'information et de la communication, au regard de l'équité d'accès aux services et du développement harmonieux du territoire. La question de la fracture numérique reste posée. Nous l'avions constaté au cours des travaux de la Délégation à l'aménagement du territoire sous la précédente législature et les premiers travaux de la Délégation, sous la législature actuelle, le confirment. La fracture numérique concerne internet et la télévision numérique terrestre. Il nous semble qu'elle concerne aussi la téléphonie mobile et nous voudrions connaître votre point de vue. Aujourd'hui, les personnes habitant certaines parties du territoire se demandent si elles ont le droit d'avoir accès à la téléphonie mobile au même titre que les habitants de zones bien couvertes, c'est-à-dire dans des conditions normales de concurrence offrant au consommateur le choix entre les trois opérateurs actifs sur le territoire national. J'ai modestement contribué à la réflexion de la Délégation sur ce sujet en tant que rapporteur de l'étude des schémas de services collectifs présentés par l'Etat et la DATAR. Cette réflexion reste d'actualité car il semble que les mesures proposées au Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) de Limoges en juillet 2001 n'aient pas trouvé d'effet. Le seul résultat tangible du CIAT a été la construction d'un pylône dans l'Ardèche, alors qu'on en avait annoncé plus de 500. A l'époque, j'avais souligné le déficit en matière d'investissements dans les projets proposés par le gouvernement, qui avait annoncé un montant de 1,5 milliard de francs, partagés entre SFR et France Telecom. Ces projets se sont confirmés dans le plan Pierret s'appuyant sur l'accord entre SFR et France Telecom, accord auquel Bouygues Telecom n'était pas associé. Ce montant de 1,5 milliard de francs pour couvrir les zones blanches et grises apparaissait insuffisant aux spécialistes, dont les évaluations se situent entre 4 et 5 milliards de francs. Une autre question qui s'était posée à l'époque, et qui reste d'actualité, était de savoir s'il fallait demander aux opérateurs et aux collectivités locales de partager les frais avec l'Etat. La répartition retenue mettait à la charge des opérateurs et des collectivités locales un peu plus du tiers de l'investissement total pour chacun de ces acteurs et un peu moins du tiers pour l'Etat. Il s'agit de garantir l'équité de l'accès aux nouvelles technologies afin de réduire la fracture numérique et éviter ainsi que des territoires ne soient défavorisés parce que les entreprises et les particuliers n'ont pas accès à la téléphonie mobile, ce qui produirait l'effet contraire de ce que l'on attend des nouvelles technologies. S'agissant d'aménagement du territoire, on peut se demander si l'investissement ne devrait pas revenir à l'Etat, responsable de la mise en œuvre d'une politique volontariste qui nécessite de lourds investissements. Je n'ai présenté que quelques éléments de la problématique, il y en a bien sûr beaucoup d'autres. Nous souhaitons connaître la position de Bouygues Telecom ainsi que votre analyse de professionnel des nouvelles technologies. J'ai plusieurs questions : Premièrement, pourriez-vous nous donner votre appréciation du schéma de services collectifs sur l'information et la communication ? Ce schéma, modifié par quelques amendements, avait été adopté à l'unanimité. Il est un peu abstrait, dans la mesure où il oblige à réfléchir pour les vingt années à venir alors qu'il est impossible de connaître l'évolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans un an. Nous avons pu le constater depuis deux ans que nous travaillons sur ces questions. Deuxièmement, quelle est votre appréciation de la quantification des zones couvertes et non-couvertes ? De nombreuses études ont été faites, dont une menée par le cabinet Sagatel pour le compte de l'Etat et une autre conduite par l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), qui joue un rôle central dans ce domaine. Les appréciations sont divergentes. Le gouvernement précédent avait estimé à 1 500 le nombre de communes non couvertes. Une deuxième estimation porte ce chiffre à 6 000 et, en extrapolant sur la base d'un accès aux trois opérateurs, on arrive à 14 000 ou 15 000, soit près de la moitié des communes de France. En tant qu'élu local, j'ai le sentiment qu'on est bien loin du compte, à la fois en termes quantitatifs et qualitatifs. Ainsi, quand je suis dans ma belle province du Berry, j'ai le sentiment que la moitié du territoire n'est même pas couverte. Dans mon bureau de maire de La Châtre, je suis obligé de me tenir à moitié courbé dans un coin pour pouvoir avoir une conversation suivie sur mon portable. J'insiste sur le fait que la couverture du territoire par la téléphonie mobile doit aussi s'apprécier en terme de qualité de réception et d'émission, et pas seulement en terme quantitatif, qui était la base des accords passés avec les opérateurs. Troisièmement, quelle est votre position par rapport à Orange et SFR dans ce débat ? Orange et SFR estiment que vous comptez sur les financements publics pour rattraper votre retard d'investissement et de couverture. Quatrièmement, quel est le montant des investissements que vous prévoyez de faire pour achever votre couverture de réseau, tant en métropole qu'en outre-mer ? N'oublions pas en effet l'outre-mer. Pouvez-vous nous donner une estimation en pourcentage par rapport au chiffre d'affaires de votre dernier bilan ? Comment ces investissement se structurent-ils dans votre compte d'exploitation et dans vos prévisions ? Enfin, cinquièmement, pourquoi avez-vous accepté l'accord sur l'itinérance locale et la mutualisation signé le 23 septembre 2002 ? M. Emmanuel Forest : Je vous remercie de nous avoir convié à cette audition et de la richesse de vos questions. Nous nous efforcerons de contribuer modestement aux travaux de votre Délégation. Bouygues Telecom cherche à concilier l'intérêt de l'entreprise à l'action de la puissance publique. Avant de répondre à vos questions, je voudrais rappeler que Bouygues Telecom a obtenu son autorisation à la norme DCS 1800, il y a exactement huit ans, en octobre 1994. A l'époque, le DCS 1800 était une nouvelle technologie, qui a par la suite fusionné avec le GSM pour devenir la norme GSM sur les deux bandes de fréquences, 900 et 1800. Le DCS 1800 était censé apporter un service différent avec une qualité supposée meilleure, dirigé vers les utilisateurs urbains, car cette technologie avait une portée moindre, ce qui s'explique par le fait que plus la bande de fréquence est élevée, moins la distance de propagation est grande. Notre autorisation prévoyait comme obligation de couverture un taux de 90% de la population à l'horizon 2005. La pénétration du territoire a été plus rapide que prévu : depuis un an, il y a plus d'abonnés au téléphone mobile qu'au téléphone fixe. Vous-même, M. Forissier, vous plaignez de ne pouvoir téléphoner avec votre portable depuis votre bureau alors qu'à l'origine, au bureau, on utilisait le poste fixe de France Telecom. La couverture nationale du territoire a été fêtée en novembre 1998, à mon sens à tort. Compte tenu du succès commercial, nos consultants et nos banquiers nous ont incité à accélérer notre déploiement par rapport à notre planning initial sans que nous nous rendions compte que, le téléphone mobile devenant un instrument quotidien, les utilisateurs attendaient de pouvoir s'en servir en tout point du territoire. Nous étions donc parti sur une vision stratégique cohérente avec la volonté de la Direction générale des postes et télécommunications (DIGITIP) de l'époque et le chemin parcouru depuis est important puisque nous avons aujourd'hui plus de 9 500 stations de base alors que le plan d'affaires d'origine, que j'ai eu la chance de connaître en tant que directeur financier, poste que j'occupais depuis les débuts de la société, n'en prévoyait pas plus de 5 000. Avant la tenue du CIAT numérique, Bouygues Telecom a participé à une réunion sous l'autorité du préfet de la région Auvergne. Le rapport que le gouvernement avait alors remis au Parlement désignait l'itinérance comme la meilleure méthode pour économiser les fonds publics comme privés. Le communiqué de presse du CIAT numérique indiquait que l'Etat avait obtenu l'accord des trois opérateurs pour couvrir les zones blanches, essentiellement grâce à l'itinérance locale. L'investissement avait été chiffré à 1,4 milliards de francs, dont 500 millions à la charge de l'Etat, 500 millions à la charge des collectivités locales et 400 millions à la charge des opérateurs. Le point de savoir si les dépenses d'exploitation des pylônes devaient ou non rester à la charge des collectivités n'avait pas été tranché. Pendant l'été, nous avons entendu nos camarades d'Orange et SFR expliquer que l'itinérance n'était pas la solution parfaite, car elle se heurtait à des difficultés techniques et économiques. Puis est intervenue la fameuse négociation Pierret au cours de laquelle le gouvernement, à la faveur de la baisse du montant de la redevance sur les licences UMTS, a demandé aux opérateur de faire un effort. Bouygues Telecom était prêt à le faire, sous réserve qu'Orange et SFR ne persistent pas dans leur rejet de la solution de l'itinérance. La DIGITIP, fléchissant sans doute sous la pression d'Orange, a conseillé au secrétaire d'Etat d'accepter les 500 millions de francs que proposaient les deux opérateurs en échange d'une renonciation totale à la solution de l'itinérance pour retenir celle de la mutualisation. Orange et SFR étaient donc les deux opérateurs partie prenante financièrement au projet Pierret. Nous sommes restés dans les groupes de travail, mais nous n'avons pas voulu prendre d'engagement contre nature. Le projet prévoyait, les deux autres opérateurs l'ont affirmé à la réunion qui s'est tenue à Clermont-Ferrand en mai dernier, que la moitié des 1 638 communes concernées seraient couvertes par deux opérateurs et l'autre moitié par un seul opérateur. Bouygues Telecom a toujours considéré que s'opposer à l'itinérance n'est pas sérieux sous prétexte que, lorsqu'un client passe de la zone de son opérateur à la zone de l'opérateur assurant l'itinérance, la communication est coupée. Dans 50 % des communes, les communications des clients de deux opérateurs auraient été systématiquement coupées. Effectivement, un seul pylône a été inauguré en mutualisation, en Ardèche, et il existait déjà. Cette inauguration n'a eu qu'un effet d'annonce, comme c'est souvent le cas. L'Autorité de régulation des télécommunications a repris les choses en main, grâce à de nombreux élus qui avaient été choqués par les conséquences de la réunion de Clermont-Ferrand et à l'engagement de M. Delevoye, ministre chargé de l'aménagement du territoire. L'ART nous a donc convoqué avec les autres opérateurs en juillet et nous a réuni tous ensemble en septembre pour que nous parvenions à un consensus. Chacun a mis de l'eau dans son vin et le 23 septembre 2001, les opérateurs se sont mis d'accord sur une position commune sur la couverture GSM des zones blanches. Bouygues Telecom a joué un rôle important dans l'élaboration de ce texte, qui correspond à ce que nous avons toujours défendu. Nous avons accepté de reconnaître que l'itinérance était locale et ne s'appliquait qu'aux zones strictement blanches, c'est-à-dire celles où il n'y a aucun opérateur. SFR et Orange acceptaient d'admettre que l'itinérance était une solution pertinente dans certaines zones à définir. La pertinence de l'itinérance est confirmée par une étude menée par l'ingénierie de Bouygues Telecom. Elle chiffre l'investissement nécessaire à la couverture en mutualisation, c'est-à-dire à trois opérateurs par pylône, des 1 638 communes retenues par le CIAT numérique à 400 millions d'euros. Une solution mixte laissant en mutualisation les pylônes suffisamment proches de réseaux existants pour qu'il ne soit pas nécessaire de les relier à des équipements dédiés à l'itinérance coûterait un peu plus de 200 millions d'euros. Le plan Pierret prévoyant une couverture en mutualisation à deux opérateurs nécessiterait un investissement de 220 millions d'euros pour un service inférieur à celui auquel aboutirait la solution mixte. La couverture par l'itinérance des 1 638 communes retenues par le CIAT numérique coûterait donc approximativement deux fois moins cher, même en tenant compte de tous les surcoûts liés à l'itinérance, qu'une couverture par la mutualisation. Nos confrères l'ont aussi admis, peut-être parce que leur situation financière n'est pas très facile, et nous avons donc pu signer l'accord du 23 septembre. Cet accord nous satisfait, même s'il ne suffit peut être pas à assurer les besoins des collectivités locales. Vous m'avez demandé quel était la position de Bouygues Telecom face aux accusations de SFR et Orange nous reprochant de compter sur des financements publics pour combler notre retard en matière de couverture territoriale. Bouygues Telecom a bénéficié à l'origine de fréquences sur 1800 mégahertz. Cette bande requiert, pour une couverture équivalente, 40 % d'investissements supplémentaires compte tenu de sa moindre portée. L'ART nous a accordé en nombre limité des fréquences sur 900 mégahertz. Elle vient d'allouer à nouveau le spectre dans sa totalité en nous accordant des fréquences 900 dans la bande d'extension du GSM, appelée bande EGSM. Nous allons pouvoir travailler sur les deux fréquences dans certaines de nos 9 500 stations de base et ainsi accroître immédiatement la couverture, dont les usagers vont bénéficier, notamment dans les zones urbaines des départements ruraux, puisque la portée de nos cellules va augmenter. Les aides de l'Etat profiteront tout autant à SFR et à Orange et, par les temps qui courent, les économies que l'on peut faire grâce à l'itinérance sont utiles pour tous les opérateurs. Nous avons signé l'accord du 23 septembre car nous avons accepté le principe de couvrir, en même temps que nos concurrents, des zones extra-blanches, c'est-à-dire des zones très rurales et de faible passage alors que nous rencontrons encore, du fait de notre histoire, des difficultés de couverture dans des zones moins rurales. Nous devrons donc affronter à court terme un handicap, car nos clients ne comprendront pas que Bouygues Telecom étende sa desserte à une vallée des Pyrénées alors que notre couverture entre Foix et cette vallée restera moindre que celle de nos concurrents. Le procès que nous font Orange et SFR en disant que l'itinérance est le mot magique qui résoudra les problèmes de couverture de Bouygues Telecom me paraît donc injuste. Ce n'est pas comme cela que nous voyons l'itinérance. J'en viens maintenant à votre question sur les schémas de services collectifs. L'aménagement de l'espace électromagnétique - l'expression m'est chère - recouvre la nécessité de couvrir les zones rurales et la protection de la santé contre les prétendus effets néfastes des ondes, prétendus en ce qui concerne les stations de base. Nous sommes au début du XXIème siècle au cours duquel la technologie radio s'imposera de plus en plus, car elle est moins coûteuse que la pose de câble. Cela a toujours été la position de Bouygues Telecom. Si la technologie radio se développe dans le domaine de la téléphonie mobile, mais aussi par exemple dans celui de la TNT, l'Etat doit déterminer le champ minimum exigible dans les zones pertinentes du territoire pour avoir un certain niveau de qualité de service et le champ maximum pour ne pas mettre en danger la santé de nos concitoyens. La recommandation européenne de 1999, relayée par le décret du 3 mai 2002, respecte selon nous le principe de précaution, mais l'Etat doit bien marquer cette option puisque la polémique persévère. Bouygues Telecom va continuer à développer la technologie radio et à l'installer sur l'ensemble du territoire. Le fait qu'il y ait 30 000 stations GSM ne rend pas la radio plus nocive : le champ est ce qu'il est à l'endroit où l'on se trouve. C'est le premier élément à prendre en compte dans l'aménagement de l'espace électromagnétique et dans l'élaboration des schémas de services collectifs pour la téléphonie mobile. En ce qui concerne les zones pertinentes sur lesquelles la couverture est exigée, il faut dire clairement qu'on ne peut pas couvrir 100 % du territoire pour des raisons de coût, afin que nos clients, et donc les citoyens et les élus, ne s'attendent pas à une couverture intégrale du territoire par la technologie GSM et a fortiori par la technologie UMTS si elle voit le jour dans de bonnes conditions, car sa bande de fréquence est encore moins efficace. La couverture intégrale du territoire était prévue par Globalsat et Iridium, opérant par mode satellitaire. Ils ont connu les problèmes que l'on sait. La couverture intégrale du territoire par la technologie GSM n'est donc pas envisageable en France, comme elle ne l'est pas d'ailleurs dans les autres pays européens, d'autant que la France a une géographie vraiment particulière. Je vous rejoins, M. Forissier, quand vous soulignez la difficulté de planifier en matière de nouvelles technologies. Nous sommes des professionnels de ce secteur et il nous est très difficile de déterminer la pertinence d'investissements pour développer une technologie à l'horizon de deux ans. Je pourrais ainsi citer l'exemple de l'UMTS par rapport à Wi-Fi et à la norme HyperLAN, c'est-à-dire les réseaux radio haut débit un peu libertaires qui s'installent déjà aux Etats-Unis. Les risques de la planification d'investissements, qui ont toujours existé, je m'en souviens en tant qu'ancien fonctionnaire, se sont aggravés, car les technologies sont beaucoup plus coûteuses et beaucoup plus volatiles. On a ainsi entendu dire qu'il fallait le 2 mégabits dans chaque foyer en 2005. C'est la porte ouverte à des dizaines de milliards d'euros d'investissement dans une technologie qui pourrait s'avérer obsolète à cet horizon. En tant que contribuable et citoyen, j'inviterais volontiers à la prudence, même si je comprends qu'il y a une forte attente et que nous sommes dans une situation difficile. L'histoire récente nous montre qu'en matière de planification les erreurs peuvent être énormes et fatales. Dans le domaine du transport ferroviaire, il a fallu un siècle pour passer de la vapeur au TGV alors que dans celui de la téléphonie mobile, il a fallu une dizaine d'années pour passer de l'analogique au numérique GSM et on a vu arriver Wi-Fi que l'on n'attendait pas il y a trois ans. On retrouve cette difficulté dans le cadre législatif. Lors d'un déjeuner avec le président de l'ART, Jean-Michel Hubert, nous évoquions la transposition du paquet législatif européen sur les télécommunications. Le président Hubert a alors rappelé que la loi du 26 juillet 1996 créant l'Autorité de régulation des télécommunications ne comportait pas le mot "internet" alors que la première décision de l'ART avait porté sur l'internet par câble dans les écoles. Le paquet de directives prend en compte l'environnement des télécommunications d'il y a deux ans, lorsqu'il était dominé par de grandes sociétés, alors qu'aujourd'hui on parle de la couverture des zones rurales en GSM et on ne se préoccupe pas de savoir si une autorité bruxelloise devra réguler l'action de MCI WorldCom contre Orange ou SFR. La quantification des zones à couvrir est très volatile. C'est la première fois aujourd'hui que j'entends évoquer les 14 000 à 15 000 communes. On en était resté à 6 000. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Vous en êtes resté à 6 000 communes, parce que vous y avez intérêt. L'estimation de 15 000 communes est certes une extrapolation, mais elle n'est pas forcément absurde. M. Emmanuel Forest : L'estimation de Sagatel repose sur un calcul théorique fait à base d'ingénierie de réseaux à partir d'un découpage du territoire en carrés assez vastes et il suffit que l'ingénierie indique que le signal soit présent sur un de ces carrés pour que celui-ci soit déclaré couvert. Cette étude permet de bien identifier les zones qui ne sont couvertes par aucun des opérateurs. Elles méritent à ce titre l'appellation de zone blanche, aucune solution autre que volontariste ne permettant de les couvrir, car même si quinze opérateurs étaient présents sur le marché, aucun n'aurait l'idée de couvrir de telles zones que rien ne peut rentabiliser. L'étude de l'ART, dite cantonale, permet de mieux identifier ce que ressentent nos clients et les élus et on ne s'étonne pas que cette étude chiffre à environ 6 000 le nombre de communes qui ne sont pas couvertes. J'ai cru comprendre, et c'est nouveau, qu'il s'agirait de 6 000 communes qui ne sont couvertes par aucun des trois opérateurs. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Non, elles sont mal couvertes par un ou deux opérateurs. M. Emmanuel Forest : Je fais le lien avec les 15 000 communes que vous citez, qui sont couvertes par un ou deux des trois opérateurs, Bouygues Telecom étant souvent absent. Les trois opérateurs s'accordent à reconnaître que 1 800 communes, plutôt que 1 638, ne sont couvertes par aucun opérateur. Pour ces communes, qui se trouvent dans de vraies zones blanches, l'itinérance locale est légitime. Les 6 000 communes de l'étude de l'ART sont donc couvertes par un ou deux opérateurs, mais fort mal et il peut même arriver que en indoor certains endroits de ces communes ne soient pas couverts. Plus on s'approche de la barre des 15 000 communes que vous avez citées, plus la concurrence doit jouer pour que la couverture par les trois opérateurs parvienne à son terme, car si Orange le fait, nous le ferons. Nous ne supporterons plus que nos concurrents disent que nos services et nos produits sont moins bons que les leurs. Maintenant que l'ART nous a attribué une large bande en 900 megahertz, nous pourrons poursuivre la couverture du territoire. La question se pose donc moins en terme d'objectifs de couverture que de délais. J'en profite pour répondre à votre question sur les moyens financiers. Bouygues Telecom ne fait pas partie d'un groupe issu d'une technologie analogique. Nous sommes isolés. Nos actionnaires ont investi à ce jour 4,5 milliards d'euros dont 3 milliards ont été investi dans le réseau, le reste étant investi dans les systèmes d'information, dans les coûts d'acquisition d'abonné, dans le réseau de distribution... Chaque année, nous investissons 200 millions d'euros pour maintenir notre capacité et pour poursuivre notre extension géographique. Nos directeurs régionaux sont en contact avec les conseils régionaux et les municipalités pour déterminer les priorités. Combien faudrait-il investir pour assurer une meilleure couverture du territoire ? Selon nos estimations, il faudrait investir 500 millions d'euros pour notre réseau. Orange évoque le chiffre d'un milliard d'euros pour couvrir les zones blanches, y compris les vallées des Pyrénées dans lesquels les randonneurs voudraient pouvoir appeler les secours avec leur portable. Ces chiffres sont considérables. Etant donné que des demandes s'expriment, même si elles étaient inattendues, nous devrons peut être aller jusqu'à un milliard d'euros. Notre chiffre d'affaires était de 2,7 milliards d'euros en 2001. C'est un chiffre d'affaire typique pour un troisième opérateur. Notre excédent brut d'exploitation était de 473 millions d'euros en 2001. L'excédent brut d'exploitation d'Orange, qui est la somme qu'une entreprise peut investir une fois qu'elle a payé ses dépenses d'exploitation, est égal à notre chiffre d'affaires, ce qui signifie que quand Orange commence à investir, nous commençons à payer nos conseillers de clientèle et les dépenses d'exploitation, comme l'électricité de nos stations de base. M. Nicolas Forissier, rapporteur : En combien de temps amortissez-vous les 500 millions d'euros d'investissement que vous estimez nécessaires ? M. Emmanuel Forest : Cela dépend des matériels : pour une station de base, il faut compter huit ans alors que le matériel informatique s'amortit beaucoup plus rapidement. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Compte tenu de la crise du tourisme dans les Antilles, votre esprit civique ne vous a pas poussé à y investir plus rapidement ? M. Emmanuel Forest : Bouygues Telecom est présent aux Antilles et en Guyane. Notre couverture y est équivalente à celle d'Orange. SFR n'est pas présente aux Antilles, mais l'est à La Réunion, alors que nous ne le sommes pas. Je ne connais pas les Antilles et j'ai donc une mauvaise appréciation de la couverture de ces territoires par Bouygues Telecom. Ce sont des territoires difficiles à couvrir, au même titre que la Corse. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Vous n'avez pas répondu à ma question, sur les rôles de l'Etat, des collectivités locales et des opérateurs dans l'aménagement du territoire au regard des nouvelles technologies. Acceptez-vous l'idée d'avoir à partager les investissements permettant de couvrir les zones blanches ou grises ou considérez-vous que l'Etat doit investir pour mettre en place les infrastructures, quitte à ce que les opérateurs supportent les coûts de fonctionnement ? La principale difficulté en ce domaine concerne les collectivités départementales et régionales. Plus elles sont pauvres, plus elles doivent payer. A Paris par exemple, le département n'a pas à intervenir alors que des départements comme celui de l'Indre, qui sont des zones rurales déjà très fragiles économiquement et qui ont peu de ressources, doivent payer pour pouvoir accéder à la téléphonie mobile. M. Emile Blessig, président : Pour synthétiser, je vous poserai trois questions : Quel est votre diagnostic sur la fracture numérique dans le domaine de la téléphonie mobile ? Quelles sont les moyens permettant de la réduire ? Quels sont les rôles respectifs de chacun des acteurs ? M. Emmanuel Forest : La fracture numérique est liée à la configuration du territoire de la France. On cite souvent à cet égard le cas du département du Tarn, dont la population est égale à celle du quinzième arrondissement de Paris, et qui est bien plus difficile à couvrir. Nous nous heurtons donc à un problème matériel que nous ne savons pas résoudre, car les équations sont têtues. Bouygues Telecom conçoit d'autant moins la fracture numérique que nous nous sommes toujours positionnés comme un opérateur grand public. Dès le début, alors que le téléphone mobile n'était encore réservé qu'aux cadres supérieurs qui ne payaient pas eux-mêmes leurs factures, notre slogan était de faire du téléphone mobile le téléphone personnel de chacun. Nous n'avons donc jamais exclu d'utilisateur potentiel en raison de sa localisation géographique. Nous connaissons les besoins des utilisateurs ruraux, grâce notamment aux contacts que nous avons avec les élus. L'artisan qui parcourt les hameaux et les bourgs de sa région doit être considéré de la même façon que le cadre supérieur parisien, d'autant plus que ses besoins en téléphonie mobile peuvent être plus importants que ceux du cadre parisien. Une couverture satisfaisante est économiquement difficile à réaliser, d'autant que la ligne bleue des Vosges s'éloigne au fur et à mesure que le nombre d'adeptes du téléphone mobile augmente. Les fonds publics doivent donc être mobilisés et l'Etat, plus que les collectivités territoriales, doit financer - entre guillemets - l'effort demandé aux opérateurs. Le question de la clé de répartition doit être abordée de façon très pragmatique. Lors du CIAT numérique, un bureau d'étude avait modélisé la courbe de cash flow typique d'une station de base rurale et avait démontré que cette courbe ne remontant jamais, la station n'était pas rentable. Cette courbe permettait de calculer le montant de la subvention nécessaire pour que l'opération soit blanche, c'est-à-dire pour que, après rémunération standard du capital, l'opérateur n'ait ni gagné ni perdu d'argent. Ces calculs peuvent amuser les économistes, mais ils risquent de retarder le projet si certains entreprennent de le faire département par département, voire station par station. Il est préférable de procéder par moyenne. J'ai cru comprendre qu'il pourrait y avoir des châteaux d'eau partout, ce qui simplifie grandement le travail des opérateurs, et s'il n'y a pas de château d'eau, les collectivités territoriales, avec leurs propres fonds ou avec ceux de l'Etat, construiront des pylônes à trois positions. Nous serions alors prêts à nous engager dans des délais raisonnables, sans attendre que le pylône rouille pour s'installer dans la zone qu'il couvre. Je ne sais pas si c'est un bon exemple, parce que je ne suis pas sûr qu'il faille lancer les départements dans ce type de projet, mais le Cher a financé six pylônes et les trois opérateurs ont alors signé un protocole d'accord. Orange y est allé très vite, SFR un peu moins vite et nous beaucoup plus lentement. Je leur ai en effet expliqué qu'avant de nous occuper des six pylônes qui sont en zone totalement rurale, nous devions satisfaire d'autres clients. Pour les cas les plus urgents, la clé de répartition pourrait donc être la suivante : les investissements nécessaires à la construction des pylônes seraient à la charge de la collectivité publique - Etat ou collectivités locales, ce n'est pas à nous de décider - et ceux nécessaires à l'installation des équipement électroniques seraient à la charge des opérateurs. Cette clé de répartition devrait être revue si on nous demande une couverture à 100 %, étant donné l'état actuel du secteur et la fragilité économique de Bouygues Telecom, qui a tout juste atteint l'équilibre. M. Emile Blessig, président : Est-ce ce schéma qui a été retenu pour la mise en place de l'itinérance dans les zones blanches ? M. Emmanuel Forest : Nous attendons que le ministère précise la clé de répartition, mais nous avons compris que les pylônes seraient financés par des fonds publics : collectivités territoriales, Fonds européen de développement régional et Etat. Le ministre a parlé d'une somme de 88 millions d'euros, ce qui me semble correspondre à l'ampleur du problème des 1 800 communes prioritaires. Nous serions alors prêts, comme SFR et Orange, à mettre en place les budgets pour installer l'équipement électronique sur ces pylônes, en mutualisation pour 200 d'entre eux, et en itinérance pour le reste, c'est-à-dire avec l'équipement d'un seul opérateur, ce qui rend le pylône moins cher. Nous allons nous réunir à nouveau avec l'ART le 22 octobre. Nous présenterons alors la liste des 200 sites que les trois opérateurs s'accordent à exploiter en mutualisation. Pour ces sites, la construction de pylônes à trois positions pourra donc démarrer immédiatement et les trois opérateurs s'engagent à les exploiter dans les meilleurs délais. Les trois opérateurs se réuniront le 18 octobre pour arrêter cette liste. Si la dalle du pylône est coulée en décembre, le pylône peut être dressé au printemps et les équipements électroniques peuvent être installés pour l'été. Parallèlement, nous avons désigné le site sur lequel nous sommes prêts à faire des tests en itinérance. Concernant l'exploitation en itinérance, l'ART répartira le territoire en trois zones, sans nécessairement que le sud-ouest soit réservé à Orange, les Alpes à Bouygues Telecom et le Massif Central à SFR. Dès que les autorités nous donneront leur feu vert, nous procéderons aux installations et brancherons les stations pour nos clients. L'itinérance fonctionnera quand les systèmes communiqueront entre eux pour échanger les informations sur les clients de chaque opérateur. M. Emile Blessig, président : Si j'ai bien compris, grâce aux progrès de la négociation, vous êtes passé dans certaines zones d'une mutualisation à deux opérateurs à une mutualisation à trois opérateurs et dans les zones blanches, l'exploitation se ferait en itinérance, c'est-à-dire avec un seul opérateur. M. Emmanuel Forest : La liste des communes en zones blanches retenue par les opérateurs correspond aux 1 638 communes qu'a retenu le CIAT numérique, mais cette liste pourra être ajustée. Ces communes requièrent entre 1 200 et 1 250 stations de base. Dans certains endroits, comme dans les vallées des Pyrénées, l'installation de 15 stations contiguës sera nécessaire. Les stations de base sont reliées à un équipement électronique spécifique qui accepte les clients des trois opérateurs. L'investissement est réparti également entre chaque opérateur pour couvrir notamment les vallées des Pyrénées et des Alpes, ainsi que le Massif Central. 200 stations, peut-être 300, ne pourront être regroupées par plaques. Elles sont très proches du réseau d'un ou plusieurs opérateurs. Dans ces cas, un pylône à trois positions sera installé et sera exploité par les trois opérateurs. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Quelle est la situation en Alsace, en Bretagne et dans le Berry ? M. Emmanuel Forest : La Bretagne est très bien couverte par Bouygues Telecom, peut-être parce que l'entreprise compte beaucoup de Bretons. Le Finistère par exemple est bien desservi, même si des besoins ne sont pas encore satisfaits. Il est prévu de poursuivre la couverture du territoire sur la base de la concurrence entre les trois opérateurs. Des problèmes de zones blanches subsistent. Pour les résoudre, nous pratiquons déjà, spontanément, la mutualisation. Elle va se développer grâce à l'accord du 23 septembre et nous n'oublierons pas la Bretagne, le Poitou-Charentes, l'Alsace et la Haute-Marne. M. Serge Poignant : Certaines communes ont refusé l'installation de pylônes, en raison du champ magnétique et pour préserver leur paysage. Ce refus peut-il être à l'origine de la mauvaise réception que l'on constate dans certaines zones denses ? M. Emmanuel Forest : C'est pour l'instant marginal, mais cela pourrait devenir un lourd handicap. Orange a 300 sites bloqués à l'heure actuelle, à Paris notamment. Bouygues Telecom rencontre de graves difficultés de déploiement. Ainsi aujourd'hui, entre le moment où nous prenons la décision de couvrir une zone et celui où nous mettons le courant, s'écoulent entre 18 et 20 mois alors qu'auparavant 6 mois suffisaient. Cet allongement des délais s'explique par les négociations et par la difficulté d'obtenir des autorisations administratives. Un opérateur doit obtenir l'autorisation d'une centaine d'administrations. On nous accuse souvent de déployer à tort et à travers. Cette accusation n'est pas fondée, car, même si nous n'avons pas toujours à solliciter un permis de construire, la commission des sites et servitudes sollicite l'avis de nombreuses administrations. A Paris, l'architecte des bâtiments de France a systématiquement été consulté et il a fait modifier quasiment tous les sites. Nous gérons très bien ces procédures administratives, mais la crainte de l'effet des ondes sur la santé retarde parfois notre déploiement. Je vous donnerais un exemple. Une commune située à moins de 10 kilomètres de Laval, Andouillé, n'est couverte par aucun des trois opérateurs alors que Laval est couverte ainsi que l'autoroute et la route nationale. Les habitants d'Andouillé travaillant à Laval sont des usagers permanent du téléphone mobile au sens où Bouygues Telecom l'a toujours entendu, mais se trouvent dans un "trou" parce qu'il n'y a pas de jonction entre les sites. Il ne s'agit pas d'une zone blanche officielle, même si les élus et les utilisateurs la considèrent, à juste titre, comme telle. Les opérateurs résolvent spontanément ce genre de problème, mais j'imagine très bien l'association Priartem nous accuser de causer des leucémies aux habitants d'un lotissement où nous voulons installer un pylône. M. Emile Blessig, Président : Quels résultats peut-on attendre, en termes de couverture du territoire, de l'accord du 23 septembre ? M. Emmanuel Forest : Nous pouvons espérer, d'ici à mi-2004, que 1 250 stations seront installées, ce qui règlera le problème des 1 638 centre-bourgs recensé par le CIAT numérique. Cet effort permettra à 390 000 personnes d'accéder à la téléphonie mobile. Le contexte - proposition de loi du sénateur Bruno Sido, déclarations du président Hubert - indique que l'implantation des 1 250 stations se fera par le dialogue et non de manière technocratique. Ce dialogue devra s'organiser rapidement, car le calendrier fixé par l'ART est serré : le 22 octobre, nous devrons fournir la liste des 200 premiers sites et, avant la fin novembre, les élus, probablement au niveau du conseil régional, devront donner leur avis sur la pertinence des sites choisis. Les élus évoqueront sans doute les 4 000 ou 5 000 communes résiduelles mais grâce au dialogue, nous pourrons améliorer la pertinence de la liste des 200 premiers sites, par exemple en déplaçant un site afin qu'il couvre une commune oubliée. De plus, ce dialogue fera comprendre aux trois opérateurs qu'il leur faut poursuivre l'effort. En interne, j'ai dit à mes collègues de la planification et du réseau que l'accord du 23 septembre indiquerait que Bouygues Telecom allait couvrir des zones plus rurales et que les enveloppes pour la couverture du réseau allaient donc être plus importantes. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Quel est votre appréciation, en tant que professionnel du secteur, de l'effort de la France pour améliorer la couverture de son territoire par les NTIC, en comparaison de celui de nos principaux partenaires européens ? On entend souvent dire qu'il n'y a pas de véritable effort national en matière de NTIC et que nos concitoyens ne se les approprient pas suffisamment, même si leur développement s'est accéléré ces dernières années, principalement en matière de téléphonie mobile. M. Emmanuel Forest : Peut-être tout cela relève-t-il du goût français pour l'auto-flagellation. En Italie, les utilisateurs ont facilement deux, voire trois téléphones mobiles afin de profiter au mieux des offres de cartes prépayées, qui sont très ciblées, sur des horaires précis. Ils bénéficient ainsi toujours du meilleur tarif, quelle que soit l'heure à laquelle ils utilisent leur téléphone portable. Le retard de la France en termes de pénétration de la téléphonie mobile est donc artificiel. Les opérateurs français n'ont pas à rougir des investissements qu'ils ont fait, dans des délais extrêmement brefs qui plus est. La France a un problème géographique. La densité de peuplement en Allemagne est beaucoup plus régulière qu'elle ne l'est en France. Quant à la Grande-Bretagne, elle se préoccupe peu de ses "déserts". L'action de l'Etat, celle de l'autorité de régulation en particulier, nous paraît, en tant qu'opérateur, efficace. Nous n'attendons d'ailleurs de l'Etat aucune aide particulière, sauf si nous devions faire des investissements dans des zones qui ne sont pas rentables. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Le message public vous semble donc suffisamment mobilisateur. M. Emmanuel Forest : C'est aussi aux industriels de se mobiliser et de faire des proposition. Ainsi, en 1996, concernant la technologie DCS 1800, le groupe Bouygues Telecom s'est mobilisé et a demandé au gouvernement de lancer un appel à candidature pour une troisième licence. M. Emile Blessig, président : Cet appel aux responsabilités de chacun est une belle conclusion. Audition de M. Rafi Kouyoumdjian Président directeur général de Tiscali France Réunion du mercredi 16 octobre 2002 Présidence de M. Emile Blessig, Président M. Emile Blessig, président : Monsieur Kouyoumdjian, nous voudrions connaître votre analyse de la situation en tant qu'opérateur internet. Je passe la parole à notre Rapporteur, M. Nicolas Forissier, qui souhaite vous interroger sur plusieurs thèmes. M. Nicolas Forissier, rapporteur : La Délégation à l'aménagement du territoire, qui existe maintenant depuis trois ans, a pour vocation d'examiner diverses questions au regard de l'aménagement du territoire. Elle a ainsi été amenée, lors de la précédente législature, à rendre des avis sur les schémas de services collectifs, notamment celui concernant l'information et la communication, mis en œuvre par la DATAR, bras armé de l'Etat en ce domaine. J'avais travaillé à l'époque sur ce sujet dans le cadre de la Délégation. Les schémas de services collectifs ont pour objectif de planifier l'installation des équipements sur notre territoire dans les domaines des transports ou de l'éducation par exemple. Dans le domaine des NTIC, il est difficile de planifier à l'horizon de vingt ans, comme le schéma de services collectifs l'exigeait, car ces technologies évoluent très rapidement. Un opérateur nous avait ainsi dit qu'il ne savait pas comment les technologies dans son domaine évoluent en un an. La Délégation a souhaité, dès son installation sous la nouvelle législature, sous l'impulsion de son président, se pencher à nouveau sur la question des NTIC, notamment au regard de la fracture numérique, qui est une réalité aujourd'hui. La téléphonie mobile, l'internet haut débit et, pour l'instant en théorie, la télévision numérique terrestre ne couvrent pas l'intégralité du territoire national, empêchant l'accès de citoyens et d'entreprises à ces technologies. Face à cette situation, les collectivités territoriales, notamment les régions, ont mis en œuvre divers plans. Nous souhaiterions connaître votre avis en tant que fournisseur d'accès sur la question de la couverture du territoire par l'internet haut débit et donc connaître vos contraintes économiques, car vous raisonnez d'abord sans doute en fonction de votre compte d'exploitation. Tout ce que vous nous direz est enregistré et pourra être retenu contre vous (rires). Un territoire qui ne peut aujourd'hui avoir accès à l'internet haut débit, ne serait-ce qu'à l'ADSL, est défavorisé, je le constate dans ma propre région. L'accès au haut débit est une question cruciale pour le développement économique d'un territoire, mais aussi au regard de l'équité territoriale. Afin d'aider la Délégation, qui doit rendre un avis aussi objectif et utile que possible, je souhaite vous poser quelques questions. Premièrement, quelle est votre appréciation du schéma de services collectifs au regard de l'internet ? Vous paraît-il trop abstrait ? La Délégation avait notamment trouvé que la réflexion de la DATAR était trop axée sur l'Etat et les services publics et pas assez sur les besoins des entreprises et des particuliers et participait donc d'une vision jacobine, plutôt que d'une vision décentralisée. Deuxièmement, quels sont les obstacles juridiques et techniques au développement de l'internet en France ? Qu'en est-il du forfait illimité ? Cette question vous amènera sans doute à nous parler de France Telecom. Les foyers français se sont équipés assez rapidement en bas et moyen débit. Le retard français en ce domaine semble se combler. Quelle est votre appréciation sur le rythme de connexion des foyers français au regard de la situation de nos voisins ? Troisièmement, l'utilisation du satellite, pour les zones difficiles d'accès comme les zones de montagne, vous paraît-elle une bonne réponse ? Quatrièmement, à quel niveau votre entreprise situe-t-elle la rentabilité de l'internet haut débit dans les zones rurales ? Quel est le montant de l'investissement que vous comptez faire en ce sens ? En combien de temps pensez-vous l'amortir ? Cinquièmement, pensez-vous que les collectivités locales pourraient devenir opératrices au même titre que la centaine d'opérateurs qui existent déjà en France ? Cette question peut se poser dans le cadre du débat sur la décentralisation, officiellement lancé depuis ce matin. M. Rafi Kouyoumdjian : Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer devant vous. Mon point de vue sera avant tout celui d'un opérateur fournisseur d'accès internet grand public. Avant de répondre plus précisément à vos questions, je souhaite vous parler de la bulle internet - existe-t-elle toujours ? - de l'utilité d'internet et du retard de la France dans ce domaine. J'ai commencé à travailler dans le domaine d'internet en octobre 2000, donc après l'éclatement de la bulle spéculative. Aujourd'hui, internet est une industrie et n'est plus dans une bulle. Tiscali emploie 800 personnes en France et 3 000 personnes en Europe. 50 000 kilomètres de fibre optique ont été installés, des centaines de millions d'euros ont été investis. Notre entreprise est implantée en France dans trois zones : à Paris, où nous avons trois centres, à Bordeaux, où nous avons un centre d'appel et à Marseille, où se trouve notre centre de compétence d'accès aux voies. Tiscali est un opérateur de télécommunications, fournisseur d'accès internet et fournisseur de voies. Comme je le disais, internet est aujourd'hui une industrie. Tiscali réalise en France 200 millions d'euros de chiffre d'affaires et nous commençons à approcher de l'équilibre. Les schémas économiques indiquent qu'internet est une industrie viable qui va continuer à se développer. Quelle est l'utilité d'internet ? Maintenant que les effets de mode sont passés, internet a trois fonctions essentielles. Première utilité : communiquer. Pour 90 % des personnes interrogées, internet sert à communiquer. Les utilisateurs peuvent également fonder des communautés d'intérêt et de pensée. Ces communautés interagissent entre elles, pour échanger et partager leurs passions. Internet permet enfin d'abolir les distances : que l'on soit à Paris, en province ou à l'étranger, on peut avoir accès à la même richesse d'informations, la partager et communiquer. Deuxième utilité : approfondir ses connaissances. Cette utilité est reconnue par 85 % des internautes. Grâce au surf, les internautes ont accès sans barrière à une information riche. La troisième utilité d'internet concerne la vie pratique. Le minitel jouait un grand rôle dans ce domaine, mais son usage baisse d'environ 20 % par an. En trois ans, l'usage du minitel a été divisé par deux. L'internet remplace le minitel pour la vie pratique : consultation de la météo, réservation de voyages par exemple. Internet a bien sûr, outre ces trois utilités de base, d'autres utilités, comme le téléchargement de musique par exemple. Je pense que, même si l'internet s'est développé en France ces dernières années, notre pays est encore en retard. Tiscali s'en rend compte en tant qu'acteur européen. Sur ce point, je vous donnerai l'avis de Tiscali, qui est partagé par d'autres acteurs du marché, tels que l'association des fournisseurs d'accès internet et l'association des opérateurs de télécommunications. Je vous citerai un chiffre : 27 % des foyers français sont connectés à internet. Ce taux n'a pas beaucoup augmenté depuis 18 mois. Fin 2000, il s'établissait à 23 %, fin 2001 à 26 % et à mi-2002 à 27 %. Après avoir fortement progressé, ce taux semble donc plafonner. De plus, ce taux est inférieur à celui de nos voisins : il est de 30 % en Italie ; en Espagne et en Allemagne, il est supérieur à 30 %. Enfin, il dépasse à 50 % en Grande-Bretagne. Au cours des années 1999 et 2000, le développement de l'usage grand public a été rapide. Tiscali y a d'ailleurs contribué en tant que promoteur de l'accès gratuit qui permet aux internautes de se connecter en ne payant que la communication téléphonique, sans avoir à payer en outre un droit d'accès et de services internet. C'est Libertysurf, dont Tiscali est le successeur, qui avait promu cette formule en France. Tiscali l'avait fait en Italie et dans d'autres pays européens. Comment faire pour rattraper le retard de la France ? Il faut distinguer nettement l'accès à internet en bas débit et en haut débit. Le bas débit passe par la ligne téléphonique. Il est donc accessible à 100 % des Français, où qu'ils soient et aux mêmes conditions. Il est déjà disponible, aucun équipement supplémentaire n'est nécessaire. L'internet bas débit est le point de passage obligé vers l'internet haut débit. Il est illusoire de penser que le consommateur français va, du jour au lendemain, se découvrir un goût pour l'internet haut débit. Cela arrive, mais cela concerne moins de 5 % des cas, celui par exemple de personnes qui ont bien pratiqué l'internet en entreprise. Dans 95 % des cas, l'internaute qui paye le haut débit a découvert l'internet grâce au bas débit. Le haut débit avait commencé par le câble. Aujourd'hui, l'essentiel de la croissance du haut débit se fait par l'ADSL. Le principal problème concernant l'internet à bas débit est, selon nous, le financement du service universel. Le principe du service universel ne pose pas de problème, il existe des réglementations européennes. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Vous répondez à une question que j'avais omis de vous poser. M. Rafi Kouyoumdjian : Le financement du service universel a été décidé en 1996-1997, à un moment où l'internet ne représentait quasiment rien du trafic. Il se fonde sur des volumes de minutes, sans distinction entre les minutes sur téléphone mobile et les minutes sur internet. Or, la valeur économique d'une minute sur téléphone mobile est au moins dix fois supérieure à celle d'une minute sur internet. La répartition du service universel fait donc peser un poids dix fois plus important sur une minute sur internet que sur une minute sur téléphone mobile. Un forfait illimité est commercialisé par Tiscali et par AOL à un prix de 25 euros toutes taxes comprises. Sur ces 25 euros, il y a 4 euros de TVA et, en comptant en moyenne 100 heures de connexion mensuelles, durée qui permet de faire beaucoup de choses sur internet, il y a 5 euros pour le service universel. Si le financement du service universel n'est pas modifié, ces offres ne sont pas viables. Ce sont pourtant des offres bas débit, accessibles à tous les consommateurs, y compris ceux habitant des zones où le haut débit n'est pas disponible. Il faudrait par conséquent favoriser le développement de ces offres. Or, paradoxalement, elles intègrent des coûts que les offres ADSL ne supportent pas, puisque l'ADSL n'est pas considéré comme une offre de télécommunication tarifée à la minute. L'ADSL n'existait d'ailleurs pas à l'époque de la transposition de la réglementation européenne sur le service universel. Ce paradoxe est souligné par l'Autorité de régulation des télécommunications et par tous les acteurs économiques, comme l'association des fournisseurs d'accès à internet ou La Force, l'association des opérateurs alternatifs. On nous dit que grâce à la transposition des réglementations européennes, ce problème sera réglé d'ici à l'été 2003, mais il y a urgence, vu la situation des fournisseurs d'accès à internet et des opérateurs de télécommunications. On a demandé 4 millions d'euros à Tiscali et nous risquons de ne pas être en mesure de passer la période allant jusqu'à l'été 2003. Il faut agir de façon urgente sur le problème du financement du service universel pesant sur le bas débit, car celui-ci est essentiel dans le processus de démocratisation de l'internet. L'ART a réaffirmé sa position il y a quelques jours. Elle suggère que le financement du service universel soit assis sur le chiffre d'affaires et non sur le volume de minutes. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Où est le blocage ? M. Rafi Kouyoumdjian : Le problème pourrait être résolu par voie d'amendement au projet de loi de finances, sinon il faudra attendre 2003 pour que la loi soit modifiée. Bien sûr, il faut éviter de mettre en place une législation trop complexe. Le principe d'une répartition selon le chiffre d'affaires me semble bon. Une telle modification serait neutre pour France Telecom : l'augmentation de sa contribution au titre de la téléphonie mobile serait compensée par la baisse de sa contribution au titre de sa filiale internet, Wanadoo. En outre, ses effets seraient mineurs pour les opérateurs de téléphonie mobile compte tenu de leurs comptes d'exploitation qui, contrairement à ceux des opérateurs internet, sont positifs, largement positifs même pour Orange et SFR et positifs depuis peu pour Bouygues Telecom. Les opérateurs de téléphonie mobile proposent que le financement du service universel soit pris en charge par l'Etat et les collectivités locales. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Une autre solution pourrait être d'instaurer une période transitoire jusqu'à l'été 2003 avec prise en charge ou modération du financement. M. Rafi Kouyoumdjian : La Cour européenne de justice a rendu une décision en décembre 2001. Cette décision a été appliquée et le montant des prélèvements a baissé. Les chiffres que je vous ai donnés tiennent compte de cette décision. Un moratoire pourrait permettre de trouver une solution plus équitable. Il pourrait être assis sur le chiffre d'affaires. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Quelles sont les raisons qui expliquent le retard de la France ? Est-il lié aux problèmes financiers des opérateurs que vous avez évoqués ? S'agit-il d'un problème plus global ayant des causes culturelles ? Ou peut-il s'expliquer par le fait que la puissance publique ne s'est pas montrée suffisamment mobilisatrice, faute d'une stratégie nationale ? M. Rafi Kouyoumdjian : Concernant votre première question, il y a probablement des freins culturels, comme le minitel, qui expliquent le retard de la France. Les résultats hypothétiques d'une action en se domaine ne s'obtiendront pas à court terme. Mais en tant qu'industriels, nous pensons que c'est notre rôle de rendre l'internet attractif, d'en faciliter l'usage en faisant des offres intéressantes, car le prix représente un frein évident au développement de l'internet. Afin de libérer les énergies, il faudrait supprimer des fardeaux tel que le financement du service universel que doivent porter les fournisseurs d'accès. Lorsque nous avons commercialisé notre forfait illimité, je ne savais pas quels allaient en être les résultats. Nous l'avons volontairement lancé le 6 août, qui n'est pas une date à laquelle les consommateurs se jettent sur les nouveaux produits. J'étais alors en vacances et lorsque j'ai pris connaissance par SMS du nombre de clients, j'ai été très surpris de constater qu'il était plus élevé que nos prévisions. Aujourd'hui, nos quotas sont très largement dépassés. Il y avait donc une vraie demande correspondant à un vrai besoin, notamment d'internautes de certaines régions de province qui n'ont que cette solution pour pouvoir surfer sans compter. D'ailleurs, la répartition des clients du forfait illimité entre Paris et la province est dans un rapport de un à quatre. Concernant votre seconde question, sur la qualité de connexion par le bas débit, nous avons fait des tests pour les applications d'internet que j'évoquai. Pour la communication, la messagerie, les communautés, l'échange de fichiers ou le surf, les performances du bas débit et du haut débit sont quasiment similaires. La différence se fait sentir pour les téléchargements de fichiers importants, comme ceux contenant de la musique. Le rapport est alors de un à dix. Il faut aussi tenir compte du moyen débit, dont la vitesse s'établit à 128 kilobits par seconde, et qui est donc trois fois plus rapide que le bas débit. M. Serge Poignant : L'échange de gros fichiers en bas débit est dissuasif. M. Rafi Kouyoumdjian : C'est vrai, mais le prix du forfait illimité en bas débit s'établit entre 15 et 25 euros. C'est donc un budget différent. M. Emile Blessig, président : Vous avez raison en logique, mais aujourd'hui, la satisfaction du consommateur s'exprime souvent par une demande marginale. La communication qui est faite autour de l'usage d'internet porte toujours sur ses utilisations les plus marginales. Je pense à l'exemple des téléphones portables qui permettent d'envoyer des images. De tels usages mettent en lumière l'utilisation de technologies mal réparties sur l'ensemble du territoire. Votre intervention est intéressante car elle peut nous permettre de construire un discours autour de trois questions : quel accès ? Pour quels services ? Sur quels territoires ? M. Rafi Kouyoumdjian :Vous avez raison. Notre discours ne s'arrête pas sur le bas débit. Le haut débit joue un rôle essentiel, celui de locomotive. Mais je voulais insister sur le fait qu'on oublie un peu aujourd'hui le bas débit, qui est pourtant accessible à tous, et on lui fait assumer un fardeau qu'il ne devrait pas porter, celui du financement du service universel. Le haut débit est aujourd'hui accessible à 70 % de la population française et France Telecom estime que ce taux pourrait atteindre 80 % fin 2003. Les forces du marché peuvent grandement favoriser le développement du haut débit. Toutefois, le marché du haut débit est aujourd'hui monopolisé par Wanadoo, la filiale de France Telecom qui détient 90 % des accès haut débit. Si l'on compare avec le marché très similaire de la téléphonie mobile, on se rend compte que celui-ci s'est développé grâce à une concurrence saine entre un nombre limité d'opérateurs soumis à une autorité de régulation. Bouygues Telecom a ainsi pu inventer les forfaits qui ont fait avancer la téléphonie mobile. On sait que lorsqu'un marché se développe, son leader en profite, en l'occurrence Wanadoo. France Telecom reconnaît que 20 millions de ligne pourraient être équipées pour recevoir l'ADSL. Or, pas plus de 4 millions le sont. Pourquoi Wanadoo détient-il une part si importante du marché ? Parce que jusqu'à aujourd'hui, un fournisseur d'accès internet doit faire appel à France Telecom s'il veut offrir l'ADSL à ses clients. Jusqu'à octobre 2001, les fournisseurs d'accès perdaient même de l'argent. Un abonnement à l'ADSL, vendu 45 euros toutes taxes comprises, c'est-à-dire 38 euros hors taxes, nous coûtait ainsi plus de 38 euros. Chaque abonnement nous coûtait donc plus que ce que nous pouvions le vendre. A partir d'octobre 2001, la situation a été corrigée et nous pouvions vendre 38 euros ce que nous achetions 38 euros à un seul fournisseur, France Telecom. Une telle situation ne stimulait pas la concurrence. Depuis la décision de l'ART de juillet 2002, effective depuis le 15 octobre, nous commençons à gagner de l'argent avec l'ADSL. Nous allons investir pour créer des offres et animer le marché. La barrière du prix subsiste toutefois. Le dégroupage, qui permet aux opérateurs, selon les règles de l'Autorité de régulation des télécommunications, de louer la dernière boucle locale à France Telecom a un rôle à jouer en ce domaine. Toutefois, le dégroupage donnera des résultats dans plusieurs années, cinq ans, peut-être dix ans. De plus, à ma connaissance, tous les opérateurs de dégroupage, dans le monde entier, ont mis la clé sous la porte. Ainsi, aux Etats-Unis les cinq opérateurs de dégroupage ont disparu. En Europe, le dégroupage existe pour les entreprises, mais de façon limitée, puisqu'il ne concerne que quelques milliers de lignes, et pour le grand public, il n'a jamais donné de résultats. Le dégroupage peut donc être intéressant à moyen et long terme, mais aujourd'hui, il ne l'est pas pour un opérateur. M. Nicolas Forissier, rapporteur : L'ART a d'ailleurs confirmé que c'était un échec, car la plupart des boucles locales n'avaient pas été retenues. M. Rafi Kouyoumdjian : On a hélas passé beaucoup de temps à essayer de réguler le dégroupage. Il y a toutefois une solution intermédiaire entre le dégroupage total et l'achat à France Telecom, comme nous le pratiquons aujourd'hui : c'est ce que nous appelons l'option 3 dans notre jargon. La situation est similaire à celle du marché de la transmission de la voix. Sur ce marché, sur lequel sont présents plusieurs opérateurs, comme Tele 2 ou le 7, les opérateurs indépendants peuvent s'interconnecter avec France Telecom au niveau des commutateurs dans certaines régions. Cette solution a permis d'ouvrir, puis d'animer ce marché. Nous demandons que l'option 3 s'applique aussi au marché de l'ADSL. L'ART se bat pour que France Telecom l'accepte et pour que cette option soit compétitive. Les opérateurs comme Tiscali pourraient alors utiliser un réseau qui existe déjà en s'interconnectant avec France Telecom sans avoir à aller jusqu'au dégroupage, qui ne peut avoir de sens que dans des cas exceptionnels, comme ceux de certains quartiers de Paris. Grâce à l'option 3, les opérateurs pourraient commercialiser des offres différenciées techniquement, et non plus seulement du point de vue du marketing, et bénéficier de marges de manœuvre qui leur permettront d'être plus compétitifs. Tiscali mène ce combat en France, mais aussi dans d'autres pays européens où la situation est similaire. M. Nicolas Forissier, rapporteur : C'est un vieux combat. Le président de l'association des fournisseurs d'accès estime qu'il s'agit d'un véritable scandale, car les fournisseurs d'accès sont comme pris en otages par France Telecom qui a la double nature d'une part, d'être le gestionnaire de ce qu'il appelle un bien national, à savoir les paires de cuivres, patrimoine accumulé grâce à l'effort national au même titre que le réseau ferré de France et d'autre part, d'exploiter commercialement ce même patrimoine. C'est ce qui explique peut-être les réticences de France Telecom à partager l'exploitation commerciale de ce patrimoine. Quelle est votre appréciation d'opérateur de la situation aujourd'hui ? Jugez-vous que France Telecom a suffisamment évolué ? L'option 3 vous semble-t-elle suffisante ? M. Rafi Kouyoumdjian : Nous avons beaucoup de mal à comprendre les réticences de France Telecom. En effet, si le marché s'ouvrait, la part de Wanadoo baisserait, mais le marché se développerait tellement que le premier bénéficiaire en serait France Telecom et sa filiale. Nous ne pensons pas avoir réussi à faire bouger les choses. L'ART a pourtant fait beaucoup d'efforts. Elle s'était engagée à faire modifier les prix en avril dernier, mais le combat a été permanent pour arriver finalement en juillet à une solution qui n'a été concrètement appliquée que le 15 octobre. Encore une fois, nous ne pensons pas que le dégroupage soit la solution, car il consisterait à installer dans des locaux de France Telecom des équipements en parallèle à ceux que France Telecom a déjà installés. Cette duplication d'investissement n'a aucun sens. Autant amortir sur le plus grand nombre l'investissement déjà réalisé pour installer les équipements. L'option 3 pourrait donc être une solution, à condition que l'on baisse les prix. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Comme vous, je n'arrive pas à comprendre la réticence de France Telecom. Comment l'expliquez-vous ? Vous pouvez parler librement. M. Rafi Kouyoumdjian : France Telecom a essayé de faire un pas en annonçant le moyen débit, mais pour eux, cela revient au même. Dans une offre ADSL, deux éléments sont à prendre en considération : la ligne et le flux. La ligne reste la même, qu'elle supporte du moyen débit ou du haut débit. Or, France Telecom vend la ligne haut débit à 15 euros et la ligne moyen débit à 11. C'est un moyen pour eux de baisser les prix, mais on pourrait aller beaucoup plus loin. D'un côté, ils ne baissent pas significativement les prix et de l'autre ils se disent ennuyés d'avoir 90 % de parts de marché. M. Emile Blessig, président : Il doit bien y avoir une raison à cette attitude de France Telecom. Vous ne voulez pas nous la dire, mais on la devine. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Sont-ils attentistes en raison de leurs 70 milliards d'euros d'endettement ? M. Emile Blessig, président : Vous nous dites que 80 % de la population française a accès à l'ADSL, mais 80 % de la population signifie en fait seulement 20 % du territoire. Or, la préoccupation de la Délégation est la desserte de l'ensemble du territoire. Comment assurer cette égalité d'accès à l'ADSL ? M. Rafi Kouyoumdjian : Le taux de 80 % est celui annoncé par France Telecom pour fin 2003. Aujourd'hui, à la fin de l'année 2002, il s'établit à 70 %. J'ai confiance dans le marché et je crois que France Telecom ne pourra pas faire d'investissements supplémentaires s'il n'a pas plus d'abonnés à l'ADSL. Or, pour que leur nombre augmente, il faut que les prix baissent pour que les autres opérateurs puissent contribuer à animer le marché. On pourrait alors passer de 800 000 abonnées à l'ADSL à 1,5 million, voire 2 millions. M. Emile Blessig, président : L'ouverture du marché de l'ADSL permettrait donc à France Telecom de développer son offre et justifierait ainsi des investissements supplémentaires. M. Rafi Kouyoumdjian : France Telecom aura du mal à justifier quoi que ce soit si les investissements qu'ils font dans des zones à densité plus forte ne donnent pas de résultat. France Telecom dispose de 20 millions de lignes pouvant supporter l'ADSL, mais il n'y a que 800 000 clients à l'ADSL. Comment France Telecom pourra-t-elle justifier des investissement pour équiper des lignes supplémentaires si le nombre de clients reste stable ? Avec 3 ou 4 millions de clients, l'exercice sera beaucoup plus facile. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Quel est votre avis sur l'internet par satellite ? M. Rafi Kouyoumdjian : Tiscali commercialise des offres par satellite dans certains pays européens, mais pas encore en France, pour le moment. Les chiffres sont très faibles : 400 abonnés en Angleterre, 300 en Suède. Le satellite permet à des habitants de zones isolées d'accéder à l'internet à haut débit, mais c'est un moyen coûteux. En termes de retour d'investissement, l'ADSL est plus intéressant et a plus de perspectives. Tiscali ne considère par l'internet par satellite comme une solution à court ou moyen terme : face aux milliers d'utilisateurs potentiels de l'internet par satellite, il y a des millions d'utilisateurs potentiels de l'internet par ADSL, soit un rapport de 1 à 100. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Que pensez-vous de la convergence ? Vivendi en était, entre autre, le grand promoteur. La convergence fait de la téléphonie mobile, de l'internet et de la télévision numérique terrestre un seul et même outil avec des supports différents. Or, on a vu ce qui est advenu de l'UMTS, qui a pris beaucoup de retard. La question de l'utilisation réelle de la convergence se pose. Les utilisateurs vont-ils vraiment vouloir regarder un match de football sur l'écran de leur portable ? En revanche, sans doute souhaiteront-ils accéder à internet via leur portable pour des services précis. Que pensez-vous de cette question ? Le débat à ce sujet reste-t-il à vos yeux encore d'actualité ? M. Rafi Kouyoumdjian : La convergence a deux aspects. Elle peut d'abord signifier qu'un même groupe distribue le contenu qu'il produit. Ce schéma, on l'a vu avec Vivendi Universal, on le voit avec AOL Time Warner, est en train de montrer ses limites. Le producteur d'un contenu de qualité a en effet intérêt à le diffuser en s'appuyant sur un grand nombre de distributeurs. Ainsi la grande distribution -nous sommes en France les champions dans ce domaine- ne fait que distribuer, elle ne produit pas. Pour Tiscali, les fournisseurs d'accès internet, ainsi que les opérateurs de téléphonie mobile d'ailleurs, sont des distributeurs et des opérateurs de services, mais pas des créateurs de contenu. Leur rôle est de permettre à leurs clients d'accéder au contenu dans les meilleures conditions. La convergence recouvre aussi la notion de distribution multisupports, qui signifie par exemple qu'on peut accéder à internet grâce à un ordinateur, mais aussi grâce à un téléphone portable ou à la télévision. L'internet va évoluer et il est déjà quasiment possible de télécharger via internet un film pour pouvoir le regarder sur sa télévision. On n'a pas encore atteint les limites de l'ADSL. Les logiciels s'améliorent. On pourra donc télécharger des films grâce à l'ADSL. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Ces évolutions ont des conséquences très importantes, notamment sur le débat concernant la télévision numérique terrestre, car elles pourraient permettre à un internaute de s'abonner à des programmes dédiés, ce qui relativise l'offre multiple de la télévision numérique terrestre. C'était ce que disaient certains opérateurs de télévision. Ces évolutions ont des conséquences importantes pour un opérateur internet grand public tel que Tiscali, puisqu'elle rendront internet encore plus accessible. Comment intégrez-vous ces évolutions dans vos plans de charge ? M. Rafi Kouyoumdjian : Nous sommes d'accord avec cette analyse. Reste à savoir si ces évolutions se concrétiseront dans un an ou plutôt dans quatre ans. Ce qui est important, ce n'est pas tant d'accéder à internet sur sa télévision, mais plutôt de télécharger des films par internet. M. Nicolas Forissier, rapporteur : En effet, car cela relativise la viabilité économique des nouvelles chaîne de la TNT et du câble. M. Rafi Kouyoumdjian : C'est vrai. L'internet permet d'accéder de façon très simple à des contenus du monde entier. Ses ressources sont donc pratiquement infinies, alors que celles de la TNT et du câble sont limitées. Les possibilités de l'ADSL sont très importantes. Alcatel et Thomson Multimédia en parleront mieux que moi. On voit déjà des lignes ADSL à 1028 kilobits par seconde. Dans trois ou quatre ans, peut-être même bien avant, il sera possible de télécharger des films grâce à internet. M. Emile Blessig, président : La question du câblage et des techniques concurrentes se pose, surtout en milieu rural. Des plans câble, par définition très coûteux, ont été mis en place dans des zones rurales. Aujourd'hui l'ADSL permet la transmission de données par les lignes téléphoniques ; demain peut-être sera-t-elle possible par des fils électriques. Quelles sont les évolutions technologiques prévisibles à moyen terme dans ce domaine ? De quel marge de manœuvre dans le temps l'ADSL dispose-t-il ? Faut-il d'ores et déjà se placer sur d'autres supports de transmission de données en termes d'aménagement du territoire ? M. Rafi Kouyoumdjian : En tant qu'opérateur, il nous est difficile de regarder plus loin que trois ans. Or, à cet horizon, la technologie ADSL nous paraît la plus efficace, car les réseaux existent et cette technologie peut encore être perfectionnée. Nous ne voyons pas ses limites à l'horizon de trois ans. Au-delà, je ne saurais pas vous répondre. M. Emile Blessig, président : Tout ce qui favorisera le développement de l'usage de l'ADSL contribuera à cette fusion. M. Rafi Kouyoumdjian : Tout à fait. M. Nicolas Forissier, rapporteur : J'aimerais savoir si, selon vous, les collectivités locales peuvent devenir opérateurs . Vous n'avez pas répondu à cette question. M. Rafi Kouyoumdjian : Les collectivités locales devraient pouvoir être opérateurs ou constructeurs pour soutenir leurs projets de zones industrielles ou ceux visant à favoriser l'implantation d'entreprises sur leur territoire. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Cela ne vous choque pas à partir du moment où elles ne touchent pas au grand public. M. Rafi Kouyoumdjian : Nous sommes aussi présents sur le marché des entreprises. Simplement, permettre aux collectivités locales d'être opérateur internet pour le grand public n'aurait pas grand sens économiquement. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Vous êtes donc d'accord pour permettre aux collectivités locales d'être opérateur sur une zone économique précise afin par exemple d'offrir un service intégré à une pépinière d'entreprises. La question de savoir si les collectivités locales pourraient être ou non opérateurs internet est encore théorique, mais elle se pose, car certains souhaitent le faire. M. Rafi Kouyoumdjian : Je pense que leur permettre d'être opérateur dans les cas que vous décrivez a du sens car cela responsabiliserait les collectivités locales qui font des investissements. Je crois que l'ART est d'accord. M. Nicolas Forissier, rapporteur : En revanche, si la ville de Nice devient opérateur pour ses habitants, cela vous pose un problème. M. Rafi Kouyoumdjian : Cela ne me pose pas de problème, mais je pense que ce n'est pas économiquement viable. Internet est une industrie de volume et de taille. Tiscali résulte du regroupement de quatre fournisseurs d'accès à internet, Libertysurf, World Online, Infonie et Freesbee. Aujourd'hui, le marché compte 5 fournisseurs d'accès à internet, nous pensons qu'il n'en restera que 3, comme sur le marché de la téléphonie mobile. C'est donc comme si vous imaginiez que la ville de Nice puisse devenir opérateur de téléphonie mobile. M. Emile Blessig, président : Je vous remercie d'avoir bien voulu venir nous exposer votre point de vue qui nous a permis d'avoir une idée plus précise des grandes orientations des nouvelles technologies. M. Rafi Kouyoumdjian : Je vous remercie de m'avoir donné cette opportunité. Je me permets d'insister sur l'urgence de résoudre le problème posé par le financement du service universel et par le prix de l'ADSL. Dans notre domaine, l'urgence se mesure en semaines ou en mois et non en années. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, Ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire Réunion du mercredi 23 octobre 2002 Présidence de M. Emile Blessig, Président M. Emile Blessig, président : Nous entendons aujourd'hui M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Après l'exposé de M. le ministre, je donnerai la parole à M. Nicolas Forissier, notre rapporteur, puis à ceux d'entre vous qui le souhaiteront. M. Jean-Paul Delevoye : Je voudrais d'abord parler de ce que le Gouvernement a fait et de ce qui reste à faire. Le CIAT de juillet 2001, réuni par le précédent Gouvernement, avait défini les modalités de la couverture du territoire national par la téléphonie mobile. C'est l'itinérance locale qui avait été retenue pour garantir l'accès aux trois opérateurs. Le financement de la couverture d'environ 1480 communes était pris en charge par l'Etat à hauteur de 500 millions de francs, par les collectivités locales à hauteur de 500 millions de francs et par les trois opérateurs à hauteur de 400 millions de francs. En raison de la baisse du prix de la licence UMTS, le gouvernement précédent a ouvert des négociations en novembre 2001 et un autre accord a été conclu qui prévoyait que la moitié des 1480 communes seraient couvertes soit par Orange et SFR, soit pour moitié par l'un ou l'autre de ces deux opérateurs. Il y avait donc deux cas de figure. Le financement devait en être assuré par Orange pour 500 millions de francs, par SFR pour 500 millions et par l'Etat et les collectivités territoriales pour 400 millions. Une liste de communes à couvrir avait été arrêtée, mais sur des bases qui n'étaient pas homogènes. Ce dispositif a été contesté, notamment parce qu'il n'était pas sécurisé juridiquement vis-à-vis de la Commission européenne et que le fameux article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales posait de nombreuses questions. Certes, des décisions politiques avaient été prises, mais il y avait une absence totale de réalisation, si ce n'est la pose d'un poteau, et encore dans des conditions qui n'étaient pas correctes. Le gouvernement actuel a exercé des pressions avec l'Agence de régulation des télécommunications (ART) sur les trois opérateurs et nous avons obtenu qu'ils se mettent d'accord, le 23 septembre, sur la couverture des zones blanches identifiées par le CIAT de juillet 2001. L'économie générale du dispositif repose sur l'itinérance locale, mais la mutualisation pourra être utilisée dans des zones où elle est économiquement et techniquement justifiée. Aucun des deux modes n'est donc exclu. Une liste de 200 ou 300 sites devait nous être communiquée le 23 septembre. Elle ne nous a été envoyée que le 23 octobre. Un comité de pilotage sera mis en place, selon les instructions très précises de la lettre du Premier ministre, au début du mois de novembre. Nous pourrons ainsi, avec le ministère de l'industrie, valider ces 200 ou 300 premiers sites expérimentaux. M. Jean Launay : S'agit-il de 200 ou 300 sites ? M. Jean-Paul Delevoye : La liste telle qu'elle nous a été fournie par les opérateurs n'est pas encore validée par la DATAR et par le gouvernement. Elle concernerait un peu moins de 400 communes. Soyons prudent, car tout le monde va nous demander quelle zone est concernée. L'économie générale du dispositif repose sur la mise en commun des trois opérateurs, car nous sommes très fermement opposés à la solution qui avait été préalablement arrêtée. L'absence de concurrence et la volonté d'entente de deux opérateurs vis-à-vis du troisième aurait fragilisé le dispositif par rapport au droit communautaire de la concurrence et aurait pénalisé à terme les territoires concernés car les opérateurs n'auraient jamais mis les dernières technologies à leur disposition, préférant amortir d'abord leurs anciennes technologies. Ces territoires allaient être doublement pénalisés. Nous avons pris contact avec la Commission européenne, ce qui devrait permettre un démarrage rapide des travaux sous maîtrise d'ouvrage public et peut-être une mobilisation des fonds européens, puisque le commissaire européen, lors de la réunion du 7 octobre 2001 de l'ensemble des ministres de l'aménagement du territoire a accepté le dispositif de mobilisation des fonds européen que nous avions arrêté lors du conseil des ministres du 31 juillet. Il a également accepté le principe d'une révision immédiate des documents préparatoires (DOCUP) concernant la téléphonie mobile. Tout cela est à prendre avec beaucoup de précautions. Que reste-t-il à faire ? D'abord, lancer le plan et mettre en place le comité du pilotage. Il sera rapidement installé, dans les premiers jours de novembre. Il permettra, avec les associations d'élus de suivre la réalisation du plan. Ce comité sera en particulier chargé d'expertiser la liste des 200-300 premiers sites, de valider les résultats des tests techniques relatifs à l'itinérance locale que nous avons demandés aux opérateurs et de valider la répartition des zones blanches entre zones d'itinérance et zones de mutualisation. Ce choix a été fait, car la tentation serait forte de privilégier la mutualisation au mépris de l'itinérance alors que nous voulons que la concurrence prévale sur les territoires. Il nous faut ensuite, définir un calendrier précis de mise en œuvre et le faire respecter, puis organiser la concertation avec les élus. Les premiers travaux d'infrastructure pourront normalement être lancés fin janvier 2003. J'ai aussi demandé à ce que ce comité de pilotage se charge de l'évaluation. Cela ne sert à rien de lancer le plan, de mettre en place les programmations, de valider les aspects techniques, si on ne voit pas comment les choses se passent concrètement sur le terrain. Il faut aussi arrêter le principe de la couverture des zones blanches résiduelles, car ces 1400 communes ne représentent pas la totalité des zones blanches. Il s'agit des axes prioritaires et des bourgs structurants sur lesquels s'appuie le développement économique des territoires. Nous allons réunir, dès la semaine prochaine ou début novembre les trois opérateurs afin de déterminer une position commune sur la couverture des bourgs centres et des axes de transport prioritaires à l'intérieur des zones blanches résiduelles, c'est-à-dire les zones allant au-delà des 1638 communes identifiées. Nous allons donc commencer à travailler sur la deuxième tranche. A cette fin, nous réfléchissons à notre dispositif juridique. Une circulaire sera adressée aux préfets de région pour qu'ils mettent en place la concertation avec les conseils régionaux, les conseils généraux et les associations départementales de maires, ce qui nous permettra de hiérarchiser les priorités. Nous devons aussi sécuriser juridiquement l'intervention des collectivités territoriales au niveau local, afin de garantir l'uniformité de l'interprétation des textes sur l'ensemble du territoire européen. Nous devons donc réfléchir à la rédaction du décret d'application de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, qui a nourri et nourrit encore beaucoup de débats. Il nous faut notifier à Bruxelles le type d'aides que nous mettons en place, qui doivent respecter le droit de la concurrence. Nous sommes sous l'œil extrêmement vigilant de la Commission européenne. Nous prévoyons d'achever le dispositif global en mars 2003. Pourquoi ce délai ? Nous souhaitons lancer immédiatement les travaux d'édification des pylônes, car leur édification ne rentre pas dans le champ concurrentiel et laisse donc la Commission européenne indifférente, à la différence de la mise à disposition des infrastructures, car celle-ci permet l'activation des réseaux. Les travaux seront donc lancés en janvier 2003. La sécurisation juridique devrait être achevée et l'accord de Bruxelles obtenu en mars 2003 afin de pouvoir activer les réseaux au début du mois d'avril. Je rappelle le calendrier : 23 septembre, accord des opérateurs ; 4 novembre, réunion du comité de pilotage ; janvier, début des travaux ; mars, sécurisation juridique. On est donc dans des délais extrêmement contraignants. Sur le financement, je vous rappelle que le CIAT de juillet 2001 avait prévu que 500 millions de francs seraient à la charge de l'Etat, 500 millions de francs à celle des collectivités locales et 400 millions de francs à celle des opérateurs. Le nouveau dispositif fixe à hauteur de 88 millions d'euros le financement global des investissement, 50 % pour l'Etat et 50 % pour les collectivités locales et les fonds européens. Globalement, l'effort des collectivités locales est donc inférieur à celui arrêté au CIAT de 2001. S'agissant de l'internet haut débit, je rappelle qu'à la suite du CIAT de juillet 2001 un accord avait été passé avec la Caisse des dépôts pour qu'elle finance un programme sur fonds propres à hauteur de 1,5 milliard de francs, soit 230 millions d'euros, sur cinq ans et qu'elle mette en place des prêts à taux préférentiel sur 30 ans à l'intérieur d'une enveloppe de 10 milliards de francs, soit 1,5 milliard d'euros. Nous devrions réviser, dans le cadre du développement d'internet, l'article L. 1511-6 précité qui permet aux collectivités d'établir des infrastructures pouvant supporter des réseaux de télécommunications pour les mettre à la disposition d'opérateurs à des tarifs inférieurs, tout en laissant à un décret en Conseil d'Etat le soin de définir les modalités de mise en œuvre des subventions. Au mois de septembre 2002, la Caisse des dépôts a recensé 109 projets d'infrastructures et 35 projets de services. La plupart sont en phase d'identification ou en étude de faisabilité. Ils concernent souvent le déploiement de réseaux de collecte et sont en majorité portés par des structures intercommunales (53 sur 129) et par les départements (47 sur 129). La Caisse des dépôts estime les investissements sous-jacents à environ 2,4 milliards d'euros et la part du FEDER mobilisable à hauteur de 833 millions d'euros. Quels sont les modes d'intervention des collectivités locales ? Certaines interviennent sur la base de marché de services, notamment le conseil régional de Bretagne et celui des Pays de la Loire. D'autres établissent leurs propres infrastructures de réseaux par l'intermédiaire de syndicats intercommunaux, de sociétés d'économie mixte ou de DSP. L'encadrement juridique est aujourd'hui toujours incertain et n'est donc pas sécurisé. La rédaction actuelle de l'article L. 1511-6 ne permet pas de définir avec précision l'étendue du champ d'intervention des collectivités locales. C'est d'ailleurs l'objet de nombreux débats. Nous avons mis en place un projet de circulaire visant à clarifier les modes d'intervention des collectivités locales. Il a été mis en ligne pour consultation, mais, paradoxalement, il n'a fait qu'augmenter la confusion sur le sujet. Nous avons décidé de saisir le Conseil d'Etat pour lui demander son interprétation sur le champ d'intervention possible des collectivités territoriales à droit constant. Par ailleurs, nous avons pris contact avec la Commission européenne pour explorer diverses pistes d'intervention des collectivités territoriales afin de préparer la rédaction du futur décret d'application. Que nous reste-t-il à faire ? Délimiter le champ d'intervention des collectivités locales. A la suite de l'avis qui sera rendu par le Conseil d'Etat avant le CIAT de décembre 2002, nous devrons clarifier, si nécessaire par des moyens législatifs, le rôle que nous entendons faire jouer aux collectivités locales dans le secteur des télécommunications. Nous réfléchissons sur l'opportunité de laisser aux collectivités territoriales la faculté de devenir opérateurs. Cette réflexion doit être menée dans le cadre des travaux préparant la transposition du nouveau paquet de directives européennes imposant une harmonisation des régimes applicables aux réseaux de télécommunications et aux réseaux câblés, car une directive européenne de juillet 2003 prévoit la fusion des réseaux. Nous devons donc intégrer ce calendrier. A ce jour, nous n'avons pas arrêté de décision officielle. La position de notre ministère est de donner aux collectivités territoriales les moyens juridiques d'investir, non seulement dans les infrastructures passives, mais aussi dans les infrastructures actives. Mais nous sommes réservés sur la possibilité pour les collectivités territoriales de devenir elles-mêmes opérateurs de télécommunication, car leur intervention risque de fausser le jeu de la concurrence et serait donc contestée par la Commission européenne. Toutefois, nous ne sommes pas totalement fermés à cette possibilité. Ainsi, des expérimentations pourraient être menées concernant, par exemple, le Wi-Fi dans des zones où aucun opérateur ou activateur n'est présent. La question se pose alors de savoir si, pour les collectivités territoriales recourant à l'exploitation par le système de la régie, il faut mettre en place un gestionnaire d'infrastructures ou un système de délégataire. Notre sommes donc favorables au financement des infrastructures passives et actives et défavorables à ce que les collectivités locales puissent être opérateurs, sauf, soyons pragmatiques, dans les cas où cette règle mettrait des territoires à l'écart de l'utilisation du haut débit. Nous devons ensuite préciser les modalités d'intervention des collectivités territoriales. Aujourd'hui, elles interviennent de diverses manières pour répondre aux besoins de leurs administrés avec des différences techniques, commerciales et financières. Certains de ces modes d'intervention nous paraissent dangereux pour les collectivités territoriales. Il en est ainsi des marchés de services qui contribuent souvent à financer avec de l'argent public le redéploiement du réseau de l'opérateur historique et qui enfreignent le droit de la concurrence. Nous devons donc sensibiliser les collectivités territoriales sur les modes d'intervention par l'intermédiaire d'une circulaire ou d'un guide méthodologique définissant les rôles de chacun. Aujourd'hui, en matière de télécommunications, les compétences sont partagées entre les communes, les structures intercommunales, les départements et les régions. Il convient de rendre cohérentes toutes ces interventions. Le débat est ouvert. On pourrait imaginer un schéma régional avec la région comme chef de file, mais de nombreux départements aujourd'hui se sont beaucoup investis dans le financement ou la subvention de réseaux de télécommunications. On pourrait donc s'appuyer sur les départements en leur demandant d'avoir un schéma pluridépartemental qui pourrait même dépasser les limites des régions. Du côté de l'Etat, il faut établir un schéma de cohérence, afin d'éviter les interconnexions difficiles ou les surinvestissements. Ce schéma de cohérence est distinct du schéma d'exécution. On pourrait très bien avoir un schéma de cohérence régional et laisser l'exécution aux départements et aux structures intercommunales. Ce débat est ouvert et doit être guidé par le pragmatisme en laissant aux départements et aux structures intercommunales le rôle de maître d'ouvrage. Les initiatives en ce domaine sont nombreuses. Il est donc temps que nous prenions des décisions. Peut-être faudrait-il réserver le financement de l'Etat à ceux qui respecteraient le schéma de cohérence. Nous devons compléter l'arsenal réglementaire et juridique. Plusieurs travaux devraient être menés pour permettre aux collectivités locales de subventionner la construction d'infrastructures à haut débit. Ces travaux sont communs au dossier GSM. C'est le décret d'application de l'article L. 1511-6 et la notification à la Commission européenne. Nous devons mettre en place le financement. Au-delà des fonds européens qui pourraient être mobilisés au cas par cas, se pose la question d'un soutien financier de l'Etat exprimant la solidarité nationale. A enveloppe financière constante, nous sommes en train de réfléchir à la révision à mi-parcours des contrats de plan Etat-régions qui pourraient autoriser certains redéploiements, notamment en faveur des projets à haut débit. Cette révision soulève la question de la clé de répartition. Nous réfléchissons également au développement de l'expérimentation Wi-Fi. En association avec l'ART, nous étudions les conditions dans lesquelles l'utilisation de cette technologie, sur une zone géographique limitée, pour la fourniture de services haut débit au public, pourrait être autorisée. L'opportunité d'expérimenter un régime particulier au profit des collectivités locales figure parmi les options envisagées. Je conclurais par une observation sur l'amendement à une disposition du projet de loi de finances sur l'exonération de la taxe sur l'internet satellitaire. A titre personnel et sous réserve du résultat des discussions interministérielles, je trouve cette proposition pertinente, car l'internet satellitaire permet à des territoires souffrant d'un handicap d'accéder au haut débit et favorise l'égalité d'accès aux technologies. M. Emile Blessig, président : Merci, M. le ministre, pour ces précisions et pour votre exposé. Je donne la parole à notre rapporteur, M. Nicolas Forissier, qui a plusieurs questions à vous poser et ensuite à ceux d'entre vous qui le souhaiteraient. M. Nicolas Forissier, rapporteur : M. le ministre, vous avez répondu à nombre de questions que je comptais vous poser. Je vais rentrer très vite dans le détail. J'aimerais que vous nous fassiez part de façon plus globale de votre philosophie, de votre analyse de ce que doit être la politique de l'Etat en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication. La fracture numérique existe, malgré les CIAT et toutes les initiatives qui peuvent être prises ici ou là. Nous sommes en charge de rechercher l'équilibre du développement du territoire national. Les territoires qui ont accès moins vite aux NTIC, qu'il s'agisse de la téléphonie mobile ou de l'internet à haut débit, prennent un retard qu'il leur sera très difficile de combler. Nous nous interrogeons depuis ces dernières années sur la volonté politique, indépendamment des majorités, face à cette fracture numérique. Existe-t-elle vraiment ? Est-elle suffisante ? Vous n'avez pas du tout abordé le sujet des schémas de services collectifs. La Délégation à l'aménagement du territoire, lors de la précédente législature, avait été d'abord saisie pour avis sur ces schémas de services collectifs. Il y en a neuf dont le dernier, qui avait été rajouté par la DATAR, porte sur la société de l'information et sur le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Nous avions conclu à l'époque que rédiger un schéma de services collectifs avec une échéance de 20 ans sur des questions aussi évolutives que les nouvelles technologies de l'information et de la communication était irréaliste. La Délégation avait donc recommandé que la gestion du suivi de ces questions soit plus active et se fasse dans un cadre permanent. Nous avions donc proposé la mise en place d'une instance permanente - à la différence du comité de pilotage en charge du dossier de l'achèvement de la couverture du territoire par la téléphonie mobile que vous avez évoqué - et pluraliste dans sa composition qui suivrait l'évolution de la politique de développement des NTIC et évaluerait ses conséquences en matière d'équité territoriale ainsi que ses conséquences industrielles. Nous pourrions ainsi être plus opérationnels et nous débarrasser en ce domaine de l'habitude que nous avons dans ce pays de nous en tenir à des rapports approfondis et à une approche assez théorique. Ma troisième question porte sur les financements et le rôle de l'Etat. Celui-ci s'inscrit dans la droite ligne ce qui a été mis en œuvre ces dernières années. Il y a comme un fait accepté qu'on partage les financements, notamment en ce qui concerne l'achèvement de la couverture en téléphonie mobile entre trois acteurs, l'Etat, les collectivités locales et les opérateurs. On peut s'interroger sur cette philosophie quand il s'agit d'aménagement du territoire, c'est-à-dire quand il s'agit de rétablir l'équité entre l'ensemble des citoyens de notre pays en tout point de notre territoire. On peut se demander s'il ne revient pas précisément à l'Etat d'assumer complètement cette charge. En effet, les collectivités territoriales les moins couvertes doivent intervenir financièrement. Or, elles sont en déjà en grande difficulté et abritent les zones les plus fragiles. D'une certain façon, elle sont conduites à payer une deuxième fois. Par ailleurs, les opérateurs traversent une crise évidente et font face à des contraintes financières colossales. Il n'est pas de leur intérêt, au regard de leur compte d'exploitation, d'investir pour couvrir des zones très difficilement rentables. Les opérateurs que nous avons interrogés nous ont dit qu'ils arriveraient très difficilement au point zéro dans les zones blanche ou grises ou dans les trous de couverture. La question se pose donc de savoir si ce n'est pas à l'Etat, au moins pour des zones bien définies, de prendre en charge l'équipement des infrastructures pour les mettre ensuite à disposition, dans des conditions économiquement viables, aux opérateurs. La question se pose d'autant plus que l'Etat a demandé aux opérateurs de formidables tickets d'entrée pour l'UMTS, dont le montant a été réduit à 8 milliards de francs par opérateur dans un deuxième temps. On peut se demander, au regard du coût de la couverture du territoire qui s'établit entre 1,5 milliard de francs et 3 milliards de francs, si ce ne serait pas de bonne politique que l'Etat utilise une partie de ces sommes. Le débat est plus compliqué, parce que l'UMTS n'est plus aujourd'hui une urgence absolue, mais il y a là une question de fond. C'est important que la Délégation à l'aménagement du territoire puisse y apporter une réponse définitive. Quatrièmement, je voudrais revenir sur la téléphonie mobile. Vous avez donné beaucoup de détails sur la politique que vous avez décidé de mettre en œuvre pour accélérer l'équipement des zones blanches, des zones grises et des trous de couverture. Pouvez-vous nous dire à quelle date environ, à un an près, le territoire national sera complètement couvert ? Quand je dis complètement couvert, je me fais l'écho des collectivités locales, des acteurs locaux qui, eux, n'attendent pas, comme cela a été trop souvent le cas dans les évaluations de ces dernières années, une couverture par un opérateur, voire par deux opérateurs, une couverture partielle d'une zone, mais une couverture totale où nos concitoyens peuvent choisir entre l'un des trois opérateurs. Quelles sont les méthodes d'évaluation de la couverture et comment pourrait-on les rendre plus transparentes ? Je rappelle que depuis deux ou trois ans, il y a eu plusieurs types d'évaluation, conduites soit par l'ART, soit par des cabinets spécialisés, notamment le cabinet Sagatel pour le compte de l'Etat. Les résultats obtenus en nombre de communes sont extrêmement variables, selon la méthode de quantification retenue. Selon Sagatel, 1 638 communes ne seraient pas couvertes, mais s'il s'agit de couverture dans des conditions normales de concurrence par les trois opérateurs, les estimations deviennent beaucoup plus floues et certains n'hésitent pas à dire qu'il y aurait entre 6 000 à 16 000 communes qui seraient mal couvertes. Il y a donc un vrai problème de quantification qui joue sur les délais de couverture. Sur l'internet, je voudrais vous poser quelques questions. Je suis un peu surpris par ce que vous nous avez dit sur le rôle des collectivités territoriales, et notamment par l'hypothèse que la Commission des communautés européennes pourrait être amenée à considérer qu'ouvrir aux collectivités territoriales la possibilité d'être opérateur internet risquerait de fausser la concurrence. Or, il me semble que dans la plupart des pays européens, les collectivités territoriales sont opérateurs. Elles n'interviennent pas seulement sur les infrastructures de base, mais elles sont aussi opérateurs. Je souhaiterais avoir plus de précisions. J'ai le sentiment, en tant que rapporteur, que le gouvernement adopte une attitude de prudence qui peut conduire à freiner la mise en œuvre rapide de réseaux internet. Deuxième question, toujours dans le souci de faire en sorte que les collectivités les moins favorisées puissent retrouver le chemin de l'équité en terme d'aménagement du territoire, envisagez-vous de développer des aides particulières sur ces territoires pour aider ces collectivités à s'équiper en infrastructures leur permettant d'accueillir le haut débit ? C'est un débat très important, car c'est la vraie fracture numérique. Je prends toujours des exemples concrets. J'ai en tête celui d'une entreprise de 80 salariés de services informatiques qui a absolument besoin du haut débit. Elle se demande aujourd'hui si elle ne va pas devoir quitter la petite ville rurale dans laquelle elle est implantée depuis très longtemps parce qu'elle ne peut avoir accès, ou alors à des coûts beaucoup trop élevés par rapport aux grands centres urbains, au haut débit. Il y a là une question qui porte sur la politique exceptionnelle ou temporaire que l'Etat pourrait conduire en matière d'aménagement du territoire sur le soutien à l'implantation des équipements. J'ai déjà posé trop de questions. Je pense que mes collègues en ont aussi, mais cela permet d'aller plus loin dans ce que vous nous avez dit. Vos propos sont d'ailleurs conséquents et marquent un tournant de la politique du Gouvernement. M. Jean-Paul Delevoye : Je commencerai par la politique de l'Etat et la philosophie que nous avons par rapport aux NTIC. Notre volonté politique est forte. Nous avons donné à la DATAR trois objectifs majeurs : développer l'attractivité des territoires, accompagner, prévoir et anticiper les mutations économiques et développer la solidarité entre les territoires. Si on part du principe, sans tomber dans de grandes phrases, qu'après une économie primaire, secondaire, tertiaire, nous rentrons dans une économie de services, il est évident que la gestion des flux d'intelligence et des flux d'informations sera déterminante tant pour l'activation du territoire que pour l'ensemble de l'économie, puisque l'essentiel réside dans les services que les technologies apportent. Les infrastructures valent moins que les services. Si nous voulons, en terme d'aménagement du territoire, éviter ce qui est aujourd'hui un risque majeur, à savoir une relative thrombose de notre économie par la saturation des flux de marchandises, nous avons intérêt à regarder ce que l'irrigation de certains territoires par les technologies peut apporter dans la relation domicile-travail. Prenons comme exemple Los Angeles, qui avait constaté une saturation totale de son centre ville et qui, d'une façon politique forte, a décidé, constatant les pertes de temps énormes subies par les entreprises, de créer à la périphérie de la ville toute une série de business centers avec les technologies nouvelles de communication. Résultat : en 15 ou 20 ans, le trafic intra muros a baissé de 30 à 35 %, les gens passent la moitié de leur temps à proximité de leur domicile et les analyses sociologiques montrent que la productivité en terme de travail a considérablement augmenté. On voit donc bien que nous avons le choix entre subir des évolutions dramatiques de concentration et de congestion territoriale ou mettre en œuvre des politiques de rééquilibrage par rapport à la saturation des flux dans laquelle nous sommes. Aujourd'hui, les centres administratifs en centre ville ont l'obligation forte d'avoir les cadres au bureau. Demain, grâce aux bureaux virtuels, nous connaîtrons de nouvelles relations de localisation de travail. Cela passe par une gestion des ressources humaines profondément rénovée, cette gestion ayant à l'évidence des conséquences sur l'aménagement du territoire. L'une des inégalités forte dont souffrent certains territoires est de voir disparaître non seulement des jeunes formés, mais aussi des cadres qui sont des éléments importants non seulement en terme de pouvoir d'achat, mais qui structurent également la vie sociale, la vie associative et qui, de manière générale, apportent beaucoup au développement de la vie politique. Nous sommes convaincus que le développement des territoires passe non seulement par la volonté des élus, mais aussi par la capacité administrative mise à leur disposition. Pour la première fois, grâce aux technologies, on peut déconnecter l'organisation administrative de l'organisation politique. On peut parfaitement imaginer d'avoir, je suis un peu provocateur, des communes sans fonctionnaires, avec des guichets d'accueil importants et derrière l'organisation de pôles de compétences permettant l'égalité des réponses administratives sur le territoire. Le Trésor public est déjà organisé sur ce modèle : les trésoriers payeurs généraux font appel au centre de ressources de Lyon pour pouvoir répondre à des problèmes techniques et juridiques extrêmement délicats. Un certain nombre de villes sont déjà en train de s'organiser dans la mise en réseau de leurs compétences au service d'une politique locale. M. Nicolas Forissier, rapporteur : C'est tout le débat sur le télétravail et sur la e-administration. Le télétravail était un sujet très à la mode il y a quelques années. Aujourd'hui, il a un peu disparu du débat. C'est formidable d'imaginer qu'on va connaître une meilleure répartition de la population grâce aux technologies nouvelles sur le territoire. Mais comme ces technologies nouvelles se développent inégalement sur le territoire, on a l'impression que le télétravail a plus agi comme un aspirateur vers les grands centres urbains que dans le sens inverse. Comptez-vous avoir des actions précises sur cette question, y compris en terme de communication ? J'aimerais aussi avoir, c'était dans le cœur du schéma de services collectifs, votre appréciation et vos projets en matière de développement de l'administration technologique, la e-administration. Des initiatives ont été prises au sein de l'administration de l'Etat, les collectivités territoriales aussi se sont lancées. On a un peu parfois l'impression que cela n'avance pas suffisamment vite par rapport à d'autres pays et que la démarche de certaines régions est trop tournée vers les services publics, la mise en réseau des collèges, des hôpitaux, des mairies et pas assez vers le monde de l'entreprise, qui fait pourtant la vitalité d'une région. M. Jean-Paul Delevoye : Les nouvelles technologies, c'est Janus, car elles permettent de renforcer l'attractivité de certains territoires, mais elles développent en même temps la concurrence entre les territoires. Certains organismes bancaires importants ont ainsi délocalisé la gestion de leur base financière et de l'ensemble des paiements des salaires à Londres car cela leur permettait, sur le plan de la fiscalité, de pouvoir faire des économies énormes. Les technologies n'assurent pas le développement. Il faut retourner l'argument : sans technologie, on passe à côté d'un certain développement. Ce n'est pas parce qu'il y a l'électricité sur un territoire qu'il y a forcément développement. Sinon, en Afrique, cela se saurait. Mais c'est la capacité de pouvoir accéder à certains services qui doit enclencher une politique d'environnement global. Nous disons donc très clairement qu'il convient d'assurer l'égalité des chances territoriales, mais qu'il ne faut pas leurrer les acteurs locaux en leur disant que grâce aux infrastructures, leur développement sera assuré. Il y a des risque de basculement et de délocalisation. Par exemple, une très grande entreprise française dont le siège social se trouve dans une zone proche de la frontière, a créé à l'étranger 1 000 emplois, dont 70 % de salariés français habitant de l'autre côté de la frontière, à cinq kilomètres. Les impôts versés par cette entreprise et la valeur ajoutée qu'elle produit se sont donc retrouvés dans le pays voisin. Les nouvelles technologies permettent un partage de valeur ajoutée sur l'espace mondial, ce qui donne une importance particulière à l'économie de la logistique. Le développement du transport de l'information va faire exploser la logistique de transport des marchandises et des hommes entre les lieux de production, les lieux de consommation et les lieux de transformation. Ainsi, plus l'e-économie se développe sur la planète, plus les tissus industriels dont le coût de main d'œuvre dépassera un certain pourcentage du produit fabriqué seront fragilisés. J'ai en mémoire l'exemple d'un vendeur de truffes de la Dordogne qui avait pu vendre sa production locale sur le marché mondial. Cet exemple donne une idée du changement d'échelle en matière d'attractivité et de développement d'un territoire. L'e-administration ne doit pas être pour certaines administrations le moyen de conforter la verticalité de leur pouvoir administratif. Nous devons appliquer ici les mêmes principes que ceux qui nous ont guidé avec les organisations syndicales et la réforme de l'Etat : premièrement, c'est l'usager qui doit guider l'offre administrative et, deuxièmement, il faut développer les hiérarchies intermédiaires de façon à responsabiliser les acteurs du service public au service de l'usager. Il faut apporter des réponses sécurisées sur le plan juridique, techniquement irréprochables, dans les meilleurs délais, c'est la principale revendication de nos concitoyens et il faut simplifier les démarches. Nous souhaitons développer l'administration back office front office. L'administration d'accueil doit ainsi simplifier les démarches et, en arrière, il faut se réorganiser sur des pôles de compétences permettant de pouvoir traiter les procédures tel que je viens de l'évoquer. Cela pose le problème de la transversalité et donc ceux de la mobilité et de l'osmose entre les différents services. Aujourd'hui la territorialisation des politiques publiques est permise par cette e-administration. Si nous sommes convaincus, à tort ou à raison, et quelle que soit notre philosophie, que l'injection d'argent public dans l'économie est un élément intéressant dans un contexte de ralentissement de croissance, ne serait-ce que par son effet de levier, nous devons, dans une économie de plus en plus moderne, de plus en plus réactive, raccourcir considérablement le délai entre la prise de décision politique et l'action politique et faire en sorte que ces e-administrations puissent traiter les dossiers de façon convergente plutôt qu'additionner les calendriers, comme c'est le cas par exemple lors d'une procédure de révision de documents d'urbanisme où s'empilent les phases d'enquête, de révision, de consultation et de contentieux. Nous avons ouvert des chantiers. Leur réussite passera d'abord par la formation des hommes. On a vu des infrastructures et des matériels installés dans certains territoires qui n'ont jamais été utilisés, comme l'informatique dans l'éducation nationale. Dans les cas où les enseignants n'étaient pas formés et convaincus de leur utilité, ils n'avaient pas recours aux matériels informatiques. J'ai moi-même, à l'Association des maires de France, mis en place un système d'intranet dans mes services et d'internet avec les réseaux départementaux. Je me suis rendu compte que cela a fonctionné parce qu'on a investi pendant six mois dans la formation. Un organisme extérieur est venu nous former, y compris moi-même, à l'utilisation, à la manipulation et à la gestion de ces flux informatiques. La formation des utilisateurs est un élément important sur ce sujet. D'où d'ailleurs l'intérêt pour les centres d'accueil de développer des cybercentres à la disposition des citoyens. Sur les schémas de services collectifs, nous partageons votre point de vue. Il est totalement irréaliste de faire des schémas de services collectifs sur des technologies qui sont mortes au bout de six mois. On peut réfléchir sur les services que permettent les infrastructures, mais on ne peut certainement pas planifier à l'horizon de 20 ans, car les technologies auront peut-être disparu. Ou alors on dit : vous aurez le minitel pendant vingt ans, même s'il est dépassé. Si nous avions gardé ce type de principe, on serait resté avec les télex et les minitels. Vous voyez un peu l'erreur que nous aurions commise. Dans un domaine où l'évolution des technologies est extrêmement rapide, nous devons nous méfier de la prédétermination. Regardez tous les discours que l'on tenait sur les câbles. On a oublié les milliards de francs investis, y compris par des collectivités locales, avec des discours extraordinaires, des visites organisées, des démonstrations, des expériences et la certitude que le câble était le nec plus ultra. Et quand nous contestions cela en parlant du satellite, on nous traitait d'idiot. Lorsque l'échec financier fut avéré, les mêmes qui estimaient que cet échec ne pouvait être prévu, nous ont expliqué comment il leur permettait de rebondir sur d'autres technologies. Je me méfie donc beaucoup, en matière de technologies, des certitudes. Il faut avoir une vision très claire sur le plan politique des principes d'égalité des chances territoriales, de formation des utilisateurs et de qualité des services apportés par les infrastructures. Il faut que la réactivité soit la plus grande possible dans la mise à disposition des technologies de dernier cri. Certains utilisateurs préfèrent ainsi le leasing avec un prestataire de services à l'achat. Certaines collectivités locales ne veulent pas être opérateurs, pour justement pouvoir bénéficier des dernières technologies. Elles demandent à un délégataire ou à un prestataire qu'elles contrôlent, de leur garantir les dernières technologies. C'est la raison pour laquelle nous avons mené un combat acharné, qui n'est toujours pas gagné, contre les opérateurs. Nous sommes très déterminés à ce qu'ils ne nous proposent pas des solutions monopolistiques, car leur retour sur investissement se ferait sur le dos des territoires concernés. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes battus pour l'itinérance locale car elle garantit, par la concurrence, une certaine émulation dans l'offre des technologies. Sur la mise à disposition d'un comité de suivi, je trouve cette idée pertinente et intelligente. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Le Parlement peut avoir des idées intéressantes. M. Jean-Paul Delevoye : Une telle structure existe déjà au niveau de la DATAR. Je ne serais pas opposé à étudier la possibilité d'y intégrer quelques parlementaires afin de bénéficier de leur apport intellectuel. Je vais demander à mes collaborateurs de regarder si, au niveau de la DATAR, nous ne pouvons pas mettre en place un comité de suivi, un observatoire permettant de mener des évaluations et éventuellement de faire des recommandations. On pourrait aussi confier une telle mission au Conseil national de l'aménagement du territoire. Sur le financement et le rôle de l'Etat, je vous donne une position purement personnelle. Nous nous sommes appuyés sur le schéma du CIAT de juillet 2001 prévoyant une mobilisation de l'Etat, des collectivités locales et des opérateurs. Pour assurer une couverture totale du territoire sans pénaliser les territoires où l'équilibre du marché n'est pas assuré, les usagers, par exemple le parisien qui souhaite pouvoir utiliser son portable aux sports d'hiver, doivent payer. Il faut faire comme pour l'électricité et assurer donc une péréquation tarifaire pour financer les services. Sans quoi, le financement sera instable car la contribution de l'Etat est soumise à des contraintes budgétaires. Au profit de qui se fera la couverture totale du territoire ? Au profit des usagers. En tant qu'usager, lorsque j'empruntais l'autoroute du nord, je n'étais pas choqué de savoir que l'argent que je donnais au péage servait, par la caisse de compensation, à financer une autoroute de montagne qui était extrêmement coûteuse. La Commission européenne vient de décider de mettre en place l'adossement qui n'autorise le financement d'une infrastructure que par les usagers de cette infrastructure, ce qui veut dire qu'on fusille le système de péréquation et que certaines autoroutes sont complètement condamnées. Je ne suis pas opposé à ce que l'on réfléchisse à une tarification de l'usager pour l'ensemble du territoire, mettant par exemple à contribution l'usager parisien qui souhaite utiliser son portable dans un petit village où il prend ses vacances. Cela me paraît d'autant plus judicieux que cela permettra aussi de mettre à contribution les usagers internationaux qui viennent sur nos territoires et probablement là aussi d'éveiller la concurrence. Si on compare les tarifs de téléphonie mobile en France, où le marché est ouvert à la concurrence, avec les autres pays européens, la France est un des pays où les communications sont les moins chères. En revanche, pour l'internet à haut débit, où le monopole de France Telecom n'est pas contesté, la France est un des pays les plus cher. On aura beau couvrir l'ensemble du territoire par l'internet haut débit, l'entreprise japonaise ou américaine regardera si le tarif n'est pas moins élevé chez nos voisins, à Londres ou en Irlande par exemple, avant d'implanter un pôle de gestion des flux financiers. En ce domaine, l'absence de concurrence ne fait que renforcer la fracture numérique. Sur l'UMTS, j'ai partagé avec d'autres l'idée qu'il fallait aborder de manière simple ce problème. Lorsqu'on m'expliquait qu'il fallait pour amortir les investissements jusqu'à 15 heures de services sur un portable, je mesurai la capacité physiologique de développer la capacité d'écoute. On ne peut pas multiplier à l'infini l'usage d'un portable. L'approche de l'UMTS a été une approche budgétaire et on a vu les dégâts sur les comptes d'exploitation de certaines entreprises. Cela a rempli le budget de certains Etats et a complètement vidé les portefeuilles des actionnaires, et enfin fragilisé l'activité de certaines entreprises. Or, aujourd'hui, aux yeux de certains, cette technologie est déjà complètement dépassée. Concernant l'évaluation de la couverture totale des territoires, nous avons signé un protocole avec l'ART pour qu'elle nous donne une lecture précise de la couverture réelle des territoires. Le ministère de l'industrie du précédent gouvernement s'était basé sur 1300 communes et avait fait dessiner dans un bureau parisien l'implantation des poteaux, sans même tenir compte du relief. Notre approche est plus pragmatique, un peu paysanne, et consiste à dire que ce n'est pas en additionnant des zones de différents opérateurs qu'on arrive à un taux de couverture. La lecture de l'ART de la couverture dans certains départements est très précise et prend en compte la qualité d'écoute. C'est à l'évidence en concertation avec les acteurs locaux et en tenant compte du relief, de la structuration, de la hiérarchisation des zones d'activité que l'on doit déterminer une politique de couverture sachant qu'une couverture totale du territoire est impossible La Commission européenne est totalement indifférente à l'intervention des collectivités territoriales en qualité d'opérateur, mais elle est très vigilante si l'intervention de la collectivité territoriale met en péril la concurrence et crée un monopole local. Nous devons donc y être très attentifs. Nous devons protéger les élus contre eux-mêmes. S'ils maîtrisent bien leurs infrastructures lors de la phase de construction, ils peuvent parfaitement recourir à la délégation de service public pour choisir un prestataire sur appel d'offres permettant l'activation des services. Il ne faut pas nuire à l'efficacité de l'activation des infrastructures, mais il faut limiter au maximum les risques, car cela a coûté assez cher à certaines collectivités locales. Il faut toutefois agir avec souplesse et pragmatisme. Si dans certaines zones particulières, comme les fonds de vallées, aucun activateur ne se présentait, un système dérogatoire pourrait permettre aux collectivités locales, sous une forme à déterminer, de pouvoir elles-mêmes être l'activateur tout en laissant jouer la concurrence, sans que la Commission européenne mette son veto. Avons-nous prévu des aides particulières pour les collectivités locales les moins favorisées ? Je ne sais pas très bien ce qu'est une collectivité locale moins favorisée. Quand je vais chez Didier Quentin par exemple, je constate qu'il a des richesses évidentes, mais en même temps, compte tenu de sa personnalité, elles sont cachées. Il faudrait donc une péréquation à l'envers. (Rires). Nous n'avons pas prévu d'aide particulière, mais par contre je serais ravi de travailler avec vous sur cette notion de répartition homogène des technologies modernes sur le territoire national. C'est le système du service public à la française. La Commission européenne a accepté cette notion. On peut donc financer des entreprises publiques pour permettre l'équation d'une offre. L'idée d'un schéma national de couverture d'infrastructures est donc viable, à condition qu'elle n'instaure pas de monopole de l'activation. C'est ce que nous avons obtenu avec la modification du DOCUP européen, car le financement des infrastructures ne met pas en péril la concurrence. Les fonds européens nous permettraient de mettre en place un tel schéma. Nous sommes aujourd'hui devant un risque politique mondial. Après avoir exploité les sols et les sous-sols, notamment des pays en voie de développement, et avoir créé ainsi des ruptures économiques, les pays développés, par le vieillissement de leur population, sont en train de vider ces pays de leur intelligence. Le développement de ces pays est directement proportionnel à leur capacité administrative. Or, les nouvelles technologies permettent l'irrigation intellectuelle à distance par des pôles de compétences et pourront ainsi aider à réduire les fractures de développement. Sans cela, nous allons au devant de séismes politiques. On le voit en terme de sécurité et d'information avec les systèmes mafieux. Il faut donc que l'aide au développement s'accompagne d'une aide administrative et d'une aide à l'intelligence. Que l'on ne me fasse pas croire que cela n'est pas possible quand je vois, pour prendre une image sportive, un navigateur solitaire s'opérer lui-même sur les conseils d'un médecin se trouvant à des milliers de kilomètres qui le guide dans son geste. Dès lors, je ne comprendrais pas que demain des aides de coopération décentralisée ne puissent pas s'appuyer sur des pôles de compétences accompagnant par exemple les politiques de santé, qui aujourd'hui sont impossibles parce que ces pays n'ont pas la structure administrative nécessaire. Au-delà des technologies, il faut éviter de se faire enfermer dans le débat sur les infrastructures pour mener une réflexion intellectuelle et politique sur les services que permettent ces infrastructures. M. Jean Launay : On voit bien dans l'exposé que vous avez fait que la date du 23 septembre est un tournant. Ma première remarque porte sur la téléphonie mobile. Il faudrait que les opérateurs déterminent les zones qu'ils considèrent comme rentables pour qu'on pose le plus rapidement possible l'itinérance comme règle. Ma deuxième question porte sur le haut débit. Vous avez déclaré n'être pas opposé à l'idée que les collectivités locales puissent investir dans des infrastructures actives et passives Aujourd'hui, il y a un petit blocage avec les DSLAM, qui sont des équipements accompagnant le déploiement de l'ADSL et qui sont considérés comme des infrastructures actives. Pourrait-on accélérer les choses et permettre aux collectivités locales d'investir et de financer le déploiement des DSLAM, qui me semble stratégique ? M. Jean-Paul Delevoye : Nous réunirons les opérateurs début novembre. Nous ne nous les laisserons pas nous entraîner sur le terrain de la mutualisation, car c'est leur tendance naturelle, et nous afficherons très clairement l'itinérance locale comme principe. Nous leur demanderons dans quelles zones ils estiment que l'itinérance n'est pas techniquement viable et où la mutualisation devra donc lui être préférée. Sur votre deuxième question. Le décret en Conseil d'Etat a précisément pour but de préciser la limite entre infrastructure passive et active. On évitera ainsi que, dans les contrôles de légalité, les réponses varient selon les préfets. Le Conseil d'Etat a été saisi il y a trois semaines et sa réponse devrait nous parvenir début décembre. M. Philippe Folliot : Sur la couverture du territoire par la téléphonie, au-delà des mots, nous voulons avoir des actes. C'est une attente profonde de bon nombre de nos concitoyens. Imaginez l'injustice que ressentent ceux qui habitent des zones non couvertes quand ils voient les publicités, parfois agressives, de certains opérateurs qui annoncent qu'ils couvrent 98% de la population. Pour les 2 % restant, c'est une véritable offense ! La couverture du territoire par les NTIC a des répercussions à tous les niveaux, en terme de perspectives de développement touristique notamment, sans parler de la notion d'égal accès. S'agissant de l'internet à haut débit, on parle beaucoup d'infrastructures, on parle un peu moins d'opérateurs et on parle encore moins de la formation de ceux qui vont faire fonctionner ces systèmes. Il faut relever le défi de la formation des futurs ingénieurs du multimédia et de toutes les nouvelles technologies d'information et de communication. Vous avez rappelé les objectifs fixés par la DATAR, renforcer l'attractivité des territoires et la solidarité entre les territoires et accompagner les mutations industrielles de certaines régions. Je voudrais donc attirer votre attention sur les projets d'implantation d'école d'ingénieurs dans des zones répondant à ces critères. L'implantation d'un établissement de formation supérieure de plus en région parisienne ou dans une grande métropole d'équilibre apportera peu, mais elle serait un symbole pour des régions qui sont enclavées physiquement, surtout si elles ont fait l'effort de se désenclaver numériquement. M. Jean-Paul Delevoye : La mise en place des nouvelles technologies nécessite un effort de formation très important tant des fonctionnaires territoriaux que des utilisateurs. Sur les opérateurs, on en a touché un mot tout à l'heure. Nous recevons les trois opérateurs début novembre pour leur poser la totalité des questions que vous évoquez. Ensuite, vous parlez d'un problème beaucoup plus difficile. C'est celui de savoir quelle est la possibilité, la volonté ou la faisabilité de l'implantation des centres de formation sur certains territoires. Le réseau des écoles s'est mis en place. Les écoles ont été implantées à Marseille, Roubaix et Bourges. On va voir ce que cela va donner. La constitution d'un pôle de compétence et d'un pôle de formation supérieure n'est pas si évidente que cela. C'est un sujet sur lequel nous réfléchissons parce que la structuration d'un territoire et son développement passe d'abord par une métropole, ensuite par des infrastructures de qualité et enfin par la formation des individus. La rationalisation des centres de recherche français est un élément déterminant pour l'avenir de l'industrie française. Nous sommes bons en recherche fondamentale, mais plus faibles en recherche appliquée. La mobilisation en réseau des centres de recherche doit nous amener, dans le cadre de la réforme de l'Etat, à reformer les pôles de recherche sur des thématiques très fortes, comme la biosanté et la génétique à Toulouse. Il y a des masses critiques en dessous desquelles on ne peut pas descendre. L'irrigation, l'attractivité, l'émergence, ce sont les locomotives et tous les territoires ne peuvent pas être locomotive. Mais il faut que derrière la locomotive, les wagons bénéficient de l'égalité des chances territoriales. C'est la raison pour laquelle nous étions plutôt favorables à la région comme schéma de cohérence pour évaluer la fonctionnalité des territoires pour ce qui concerne les investissements de caractère public et leur irrigation en périphérie. Mais vous avez raison, plus on mettra d'intelligence sur les territoires, plus on favorisera leur développement. Nous constatons toutefois l'éparpillement territorial des écoles de formation supérieure, mais c'est une réflexion que nous avons lorsqu'on veut délocaliser des centres de recherche. Nous risquons une monothématique des territoires, l'aéronautique à Toulouse par exemple. Toulouse doit trouver un autre pilier, pour ne pas dépendre totalement de l'aéronautique. Aujourd'hui, Airbus a des commandes, qui assurent l'avenir de Toulouse. Mais si Boeing fragilisait Airbus, c'est la condamnation de Toulouse. Toulouse doit donc se réorienter vers la biotechnologie en s'appuyant sur ses pôles de recherche, déjà très importants. M. André Chassaigne : Il y a une attente si forte dans les zones rurales pour la couverture par la téléphonie mobile que le moindre village demande à être couvert. Les premières listes qui ont été diffusée fin 2001 par l'association des maires ont été suivies de nombreuses délibérations de communes parce que l'ensemble des communes non-couvertes n'apparaissaient pas sur ces listes. Pour que les communes qui se seront pas immédiatement couvertes ne nous sollicitent pas, il va falloir expliquer très clairement et très pédagogiquement les critères de choix ou de refus. Cela va mettre en difficulté les collectivités territoriales qui seront parties prenantes parce qu'il va falloir voter des programmes dans les conseils généraux et dans les conseils régionaux. Or, sur quels critères vont se faire ces programmes ? Deuxième question sur un problème technique. Est-ce que le choix entre l'itinérance et la mutualisation a une conséquence sur la taille des pylônes ? C'est une question qui se pose notamment dans les parcs naturels régionaux, car la taille des pylônes a des conséquences sur le paysage. M. Jean-Paul Delevoye : Les poteaux de mutualisation sont plus hauts que les poteaux d'itinérance, pour répondre à votre dernière question. Vous avez mille fois raison sur le problème de la hiérarchisation des priorités. Il faut casser le cou à cette idée selon laquelle l'ensemble du territoire serait couvert par la téléphonie mobile. C'est impossible. Ce n'est pas réaliste dans l'état actuel des choses. Il faudra donc faire des choix qui devront être guidés par l'usage. Nous nous appuierons donc sur une consultation très forte des usagers et des élus locaux. A l'évidence, nous devons donner la priorité à tous ceux qui créent de la richesse sur les territoires par des activités économiques, quelle que soit leur nature, industrielle, artisanale. Il faut privilégier les flux d'échange et donc couvrir les axes structurants qui permettent les échanges territoriaux. Mais alors quid des services de proximité, par exemple de la santé ? C'est une difficulté. Aujourd'hui tout le monde veut tout, tout de suite. Or, il n'y a qu'une vraie urgence, c'est la personne qui fait un infarctus devant vous, mais même si le médecin dans sa voiture dispose d'un appareil permettant de déclencher une alarme - un portable par exemple - il ne se déplacera pas plus vite. Nous devons donc relativiser le service par rapport à des exigences que nous ne pouvons pas formaliser ou auxquelles nous ne pourrons pas répondre. Cela revient à la question que posait Nicolas Forissier tout à l'heure : sommes-nous capables de trouver les assiettes de financement permettant éventuellement de pouvoir accompagner et accélérer le développement des infrastructures ? Il existe trois types de zones. Les zones noires sur lesquelles il n'y a aucun problème, le marché permet aux opérateurs de dégager des excédents. Les zones grises où les opérateurs s'interrogent sur l'équilibre du marché et les zones blanches sur lesquelles ils sont à peu près certains d'être déficitaires. Dans leurs comptes d'exploitation, ils vont donc eux-mêmes faire la part de péréquation entre les usagers. S'ils acceptent de le faire, c'est parce qu'ils savent que leur client qui habite en zone noire va prendre des vacances, quitter son domicile pour aller partir en week-end en zone blanche. Il se doit de lui assurer le meilleur service possible. Il n'y a pas de philanthropie en matière économique. M. Nicolas Forissier, rapporteur : Je rebondis sur la question de M. Chassaigne pour insister sur le problème des évaluations. Si on évalue la couverture en terme de qualité d'écoute ou de disponibilité des trois opérateurs sur une zone donnée, on est plutôt sur une évaluation de 14 000 à 15 000 communes, c'est-à-dire presque la moitié des communes de France qui ne sont pas correctement couvertes. Ma question est donc la suivante : est-ce que le Gouvernement va avoir une exigence plus forte en terme de qualité d'écoute et en terme d'accès à la concurrence dans ses discussions avec les opérateurs ? Je prendrai un exemple très concret. Quand je suis dans mon bureau de la mairie d'une sous-préfecture, qui est certainement l'une des plus importantes de France et l'une des plus symbolique, puisqu'elle est au cœur de notre pays, je suis obligé de me pencher légèrement de côté dans le coin droit de mon bureau pour pouvoir téléphoner sur mon portable. Je sais bien que je suis très exigeant et qu'il y a cinq ou six ans on ne parlait pas de téléphone mobile dans cette région. Cela pose notamment un problème de transparence sur les évaluations et sur les objectifs qui en découlent. M. Jean-Paul Delevoye : Est-ce que parce que des micros sont placés à cet endroit ? (Sourires) M. Nicolas Forissier, rapporteur : Je ne pense pas être suffisamment important pour être surveillé à ce point, mais on ne sait jamais. La question de la qualité de la couverture me paraît tout aussi essentielle que celle de la quantité des réseaux. On a très rapidement évoqué à propos d'internet l'opérateur historique, c'est-à-dire France Telecom. Est-ce que le ministre de l'aménagement du territoire, en relation avec le ministre de l'industrie, Mme Nicole Fontaine, a une appréciation sur le rôle de France Telecom qui est considéré de la part des autres fournisseurs d'accès à internet comme un frein plutôt qu'un support ? France Telecom est à la fois le gestionnaire d'un bien national, le réseau de paires de cuivre qui a été construit pendant des décennies grâce à nos impôts, et un opérateur commercial en concurrence avec les autres. Cette double nature pose notamment problème dans le dossier du forfait internet illimité et du financement du service universel par internet. M. Jean-Paul Delevoye : Nicole Fontaine sera associée au comité de pilotage puisque le Premier ministre a été très clair en la matière. Les chiffres sont éloquents : les tarifs de téléphonie mobile ont considérablement baissé grâce à la concurrence alors que le coût de l'accès à l'internet haut débit, où il n'y a pas de concurrence, met la France en avant-dernière position en Europe. Pour autant, il ne faut pas fragiliser la position de France Telecom. Nous avons intérêt à concilier France Telecom et les deux autres opérateurs. Nous devons être très attentifs sur l'émulation de la concurrence en zone blanche où la couverture se fera pour la couverture piéton et non pas pour la couverture bâtiment. C'est l'objectif qu'ils se sont fixés. Il faut aussi faire attention à ce que l'absence ou la fragilisation de la concurrence en zone grise ne créé pas des déséquilibres plus redoutables que dans certaines zones blanches qui seraient couvertes. C'est un équilibre très délicat à trouver : d'un côté, la nécessité d'assurer le financement des infrastructures permettant la couverture maximale du territoire ; de l'autre, favoriser l'émergence de la concurrence qui permettra l'abaissement des tarifs, la mise à disposition des dernières technologies et le développement d'un certain nombre de services. M. André Chassaigne : Qui décidera des programmes, c'est-à-dire des zones qui seront prioritairement couvertes ? Quelle sera la marge de manœuvre ? Le risque est de déboucher sur du favoritisme. M. Jean-Paul Delevoye : C'est le comité de pilotage qui a vocation à valider le choix des sites. Sur demande de Nicolas Forissier, le Puy-de-Dôme ne sera pas intégré parce qu'on a estimé que c'était un territoire favorisé et très branché. (Rires). Plus sérieusement, le choix des 300 premiers sites devra être le plus équitable possible, mais il créera bien sûr des frustrations. La consultation avec les élus du terrain devra être très forte. Il faut éviter que, comme cela s'est fait, ce soit un cabinet ministériel à Paris qui dessine l'implantation des poteaux sur une jolie carte et que les élus nous disent après que cela ne peut pas coller car il y a des montagnes de 1200 mètres à l'emplacement prévu pour un poteau. Les élus locaux devront nous dire quelles sont leurs priorités, par exemple une activité agroalimentaire importante pour l'économie de leur région, qu'ils souhaitent privilégier par rapport à une ville centre. M. Emile BLESSIG, président : M. le ministre, je vous remercie d'avoir participé à cette audition. 443 - rapport d'information de M. Nicolas Forissier sur la téléphonie mobile et internet à haut débit 1 () Rapport d'information (n°3162, onzième législature) portant avis sur le projet de décret mettant en œuvre les schémas de services collectifs prévus aux articles 10 et 11 de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 2 () A la fin de l'année 2000 3 () Art. 35-3 du code des postes et télécommunications : "Afin de favoriser le développement des radiocommunications mobiles, la baisse des tarifs aux utilisateurs et compte tenu du supplément de trafic qu'ils apportent, les opérateurs de radiocommunications mobiles soumis par leurs cahiers des charges à des obligations de couverture à l'échelle nationale sont exemptés de la part de cette rémunération additionnelle correspondant au déséquilibre de la structure courante des tarifs téléphoniques. En contrepartie, les opérateurs concernés s'engagent à contribuer, à compter du1er janvier 2001, à la couverture, par au moins un service de radiotéléphonie mobile, des routes nationales et des autres axes routiers principaux et des zones faiblement peuplées du territoire non couvertes par un tel service à la date de remise du premier rapport mentionné à l'article L. 35-7. Ils s'engagent également à fournir les éléments et à formuler les propositions nécessaires à l'élaboration de ce rapport. Les opérateurs qui ne prennent pas ces engagements avant le 1er octobre 1997 sont exclus par le ministre chargé des télécommunications, sur proposition de l'Autorité de régulation des télécommunications, du bénéfice de l'exemption". 4 () Rapport de M. André Marcon : "Haut débit, mobile : quelle desserte des territoires" 5 (1) A la décharge de France Télécom, votre Rapporteur rappelle que cette société a subi à plusieurs reprises des prélèvements sur son bénéfice au profit du budget général de l'Etat 6 () Votre Rapporteur regrette que le ministère de l'Industrie n'ait pas répondu à ses demandes réitérées de rendez-vous. |